Mme la présidente. La parole est à M. Éric Jeansannetas.
M. Éric Jeansannetas. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par féliciter Mme la rapporteur, au nom du groupe socialiste, pour la qualité de son travail, son implication et sa rigueur.
Tout le monde convient que l’augmentation du chômage, a fortiori du chômage de longue durée, est l’un des défis les plus cruciaux auxquels nous devions faire face. Depuis 2007, le nombre de personnes sans emploi ou en activité réduite depuis plus d’un an n’a cessé de croître. Aujourd’hui, près de 45 % des personnes privées d’emploi entrent dans la catégorie des chômeurs de longue durée. Or, comme l’on sait, plus l’éloignement du marché du travail dure, plus les chances de trouver un emploi en cas de reprise de l’activité économique se réduisent. En s’attaquant frontalement à ce problème, l’expérimentation qui nous est proposée, et que nous soutenons, vise un objectif essentiel.
Au-delà de cet objectif, je tiens à saluer la démarche adoptée, qui est en tout point innovante.
Tout d’abord, cette proposition de loi émane d’un travail de terrain, en premier lieu celui d’ATD Quart Monde, une organisation dont nous ne pouvons tous que louer le travail : depuis plus de soixante ans, elle lutte avec acharnement contre la pauvreté et toute forme d’exclusion.
Grâce à la rencontre des acteurs économiques, associatifs et politiques locaux et à une évaluation des situations au plus près, cinq territoires ont d’ores et déjà démarré l’expérience. Cinq territoires supplémentaires intégreront le dispositif lorsque, comme je l’espère, cette loi aura été promulguée. Mme la ministre a d’ailleurs annoncé à l’Assemblée nationale que les zones de revitalisation rurale et les quartiers prioritaires de la politique de la ville seraient les premiers concernés, ce dont je ne puis que me réjouir.
La loi ne pouvant préjuger de tout, je suis heureux de légiférer sur la base d’un travail de terrain. En effet, qui mieux que les acteurs locaux peut élaborer un diagnostic juste et adapté à des situations particulières ? En vérité, je pense que la mobilisation des acteurs d’un territoire est essentielle pour mener des politiques d’emploi localisées.
Je tiens, par ailleurs, à insister sur le caractère expérimental de la méthode adoptée : ce dispositif nouveau pourra et devra faire l’objet de divers ajustements ; il jouera un rôle de laboratoire social, duquel émaneront des bribes de solutions pour lutter contre le chômage de longue durée.
L’originalité de cette expérimentation tient également à ceci que l’on s’extrait de la logique de rentabilité à tout prix qui prévaut dans l’économie actuelle. L’idée de créer de l’emploi en fonction du besoin social est éminemment intéressante. De fait, là où il n’y a pas d’offres d’emploi, il y a pourtant toujours du travail : ici c’est un boulanger qui n’a personne pour livrer les personnes âgées, mais qui ne peut pas se permettre d’embaucher, là un parc naturel qui a besoin d’être préservé et entretenu.
Au stade de l’expérimentation, le choix a été fait de réserver aux seules entreprises de l’économie sociale et solidaire la possibilité d’être conventionnées. Ces entreprises embaucheront des chômeurs de longue durée, sur des emplois extrêmement variés. Les membres d’ATD Quart Monde ont constaté que les besoins les plus récurrents jusqu’ici se situent dans les services administratifs et culturels, les espaces verts et le développement durable, le tourisme, les services aux collectivités, aux personnes et aux entreprises, l’agriculture et l’élevage, la forêt, l’entretien de bâtiments, les travaux de peinture et ce qu’on appelle le gros nettoyage : autant de missions qui, aujourd’hui, ne peuvent pas être assumées, alors même qu’elles sont d’utilité publique et propres à susciter des externalités positives, en particulier de moindres dépenses de santé et un affaissement des besoins sociaux.
Le mode de financement du dispositif est en lui-même novateur : l’État et les collectivités territoriales concernées, volontaires, financeront son amorçage, après quoi le fonds sera abondé par l’ensemble des organismes publics et des collectivités territoriales qui tireront un bénéfice du retour à l’emploi des chômeurs de longue durée. Ces bénéfices, comme il a déjà été expliqué, viendront principalement du redéploiement des différentes aides sociales que percevaient les anciens demandeurs d’emploi.
Je tiens à préciser que ce dispositif n’a en aucun cas vocation à se substituer à un dispositif existant en matière de politique de l’emploi ; Mme la ministre a eu raison d’être très claire à cet égard. Les emplois créés le seront selon le régime de droit commun, en CDI, et seront rémunérés au minimum au SMIC. Ce ne seront pas de nouveaux emplois aidés, comme on le prétend ici ou là. L’expérimentation, en effet, vise à faire émerger des emplois nouveaux en les solvabilisant, au moins partiellement. Par ailleurs, l’embauche en CDI répond au besoin de stabilité qui caractérise un parcours sécurisé d’insertion.
Il faut considérer également que l’impératif de non-concurrence à un emploi existant est inscrit dans l’ADN de cette expérimentation. Les emplois créés ne le seront donc jamais au détriment d’emplois préexistants. Il n’est pas question de provoquer des effets d’aubaine ou de perturber des dispositifs d’insertion déjà en place.
Le pilotage de cette expérimentation – chose intéressante – s’articulera autour de deux niveaux : le national et le local.
Au niveau national, c’est à une association relevant de la loi de 1901, administrée par des représentants syndicaux, associatifs et parlementaires, que la gestion du fonds sera confiée. Son rôle sera de superviser le pilotage des comités locaux et d’approuver leurs modalités de fonctionnement, ainsi que leur programme d’action.
Au niveau local, des comités rassembleront tous les acteurs publics et privés : élus, entreprises, associations et citoyens. Leur mission sera d’abord de rencontrer les demandeurs d’emploi afin d’inventorier leurs compétences ; ensuite, d’identifier les potentiels économiques du territoire ; enfin, de piloter le déploiement de l’expérimentation.
Il va sans dire que cette expérimentation sera soumise à une évaluation rigoureuse ; telle est bien la volonté de Mme la rapporteur. L’article 1er de la proposition de loi prévoit ainsi qu’un premier bilan sera dressé au plus tard dix-huit mois avant le terme de l’expérimentation ; le fonds national adressera au Parlement et à la ministre du travail un rapport public évaluant les différentes incidences du dispositif.
Si cette expérimentation ne constitue pas une solution miracle, elle prouve que nous pouvons toujours faire plus dans la lutte contre le chômage. En renversant le paradigme d’adaptation de l’offre à la demande, elle met au jour un angle d’attaque nouveau dans le combat pour l’emploi. Sans doute, reconnaissons-le, la portée du dispositif sera d’abord modeste ; mais l’objectif est de procéder, en fonction des résultats et des aménagements qui seront opérés, à son extension, voire à sa généralisation.
Mes chers collègues, nous soutenons cette expérimentation originale et peu coûteuse et nous vous invitons tous à faire de même. Dans la lutte contre le chômage, la création d’un outil nouveau ne peut être que salutaire et, comme Mme la ministre l’a souligné, il ne faut écarter aucune piste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Yves Daudigny. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le chômage touche 10,6 % de la population active et le nombre des chômeurs de longue durée, qui n’a cessé d’augmenter depuis 2008, atteint aujourd’hui près de 2,5 millions. Face à ces réalités, toute initiative innovante allant dans le sens d’une réduction du fléau du chômage doit être encouragée.
La proposition de loi dont nous entamons l’examen, largement promue par l’association ATD Quart Monde, que je salue, vise à permettre à des entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire, conventionnées, d’employer des chômeurs de longue durée sous contrat à durée indéterminée et au niveau du SMIC, pour des emplois qui, faute d’être assez rentables, ne sont pas créés par le secteur marchand, alors qu’ils répondent à des besoins sur un territoire donné.
Le caractère innovant de ce dispositif réside dans le financement des emplois, qui reposera sur la réaffectation de dépenses liées à la privation d’emploi, en particulier de celles associées au revenu de solidarité active, à l’allocation de solidarité spécifique et à l’allocation de retour à l’emploi. De plus, les chômeurs de longue durée qui s’engageront dans ce processus seront tous volontaires.
L’originalité du dispositif tient aussi à la méthode de l’expérimentation, rendue possible par l’article 37-1 de la Constitution. Plus précisément, il s’agit de tester pendant cinq ans, sur dix territoires volontaires, un système qui ne remet nullement en cause l’architecture de notre système de protection sociale. Une première évaluation en sera dressée dans trois ans : si les résultats sont probants, le Parlement légiférera de nouveau, pour corriger et améliorer le dispositif avant, éventuellement, de le généraliser à l’ensemble du territoire, ce que nous espérons. Cette démarche consistant à expérimenter avant de généraliser et d’imposer uniformément me semble intéressante.
Je crois beaucoup en la capacité des territoires à se mobiliser pour des projets de ce type. Actuellement, cinq collectivités territoriales sont déjà engagées dans cette expérimentation, parmi lesquelles une commune de mon département, les Deux-Sèvres : Mauléon. Les acteurs de ce territoire m’ont présenté leur projet et m’ont convaincu de la pertinence de cette proposition de loi, moi qui, à l’origine, avais de nombreuses interrogations sur la faisabilité de cette initiative. Dans cette commune, les élus de tous bords politiques se sont déclarés prêts à soutenir cette expérimentation et attendent l’adoption définitive de la présente proposition de loi pour continuer leur démarche.
Localement, la maison de l’emploi s’est vue confier la coordination de l’expérimentation. Un tiers des deux cents chômeurs de longue durée qu’elle a contactés se sont portés volontaires. Certains, au chômage depuis de nombreuses années, ont pour motivation première de sortir de l’assistanat ; en retrouvant une activité professionnelle, ils reprendront confiance en eux et pourront, ensuite, valoriser cette nouvelle expérience dans leur parcours professionnel.
Dans le même temps, les partenaires sont en train de repérer les besoins non satisfaits sur le territoire, afin de proposer des emplois dans ces domaines d’activité. Je rappelle que le principe est de créer des activités utiles qui ne fassent pas concurrence aux emplois existants dans le secteur privé. Les secteurs concernés sont l’environnement, le lien social et les services aux collectivités territoriales, voire aux entreprises.
Compte tenu des différentes informations qui m’ont été données et de l’engagement volontaire de tous les acteurs, je ne puis que soutenir cette proposition de loi qui, je le répète, prévoit une expérimentation portée par les territoires. Après avoir testé ce dispositif, nous pourrons l’évaluer et en tirer des conclusions pour imaginer le futur.
Toute intéressante que cette expérimentation me paraisse, un certain nombre d’aspects restent à préciser.
Tout d’abord, des craintes ont été exprimées à juste titre par un certain nombre d’élus locaux au sujet du financement du dispositif. Il n’est pas question que de nouvelles charges financières soient imposées aux collectivités territoriales qui s’engageraient dans le processus. En effet, la baisse des dotations de l’État et le surcroît de dépenses occasionné par la montée en charge des dépenses sociales ne laissent aucune marge de manœuvre financière aux collectivités territoriales, notamment aux départements. Nous ne souhaitons pas que l’État se désengage du processus après l’avoir amorcé et que l’essentiel du financement de celui-ci retombe sur les collectivités territoriales ! Madame la ministre, nous voudrions que vous nous rassuriez à ce sujet en prenant l’engagement que le dispositif sera principalement financé par l’État, la participation des collectivités territoriales restant volontaire.
Ensuite, l’article 2 de la proposition de loi exclut du bénéfice du dispositif les chômeurs de longue durée ayant perdu volontairement leur dernier emploi, c’est-à-dire ceux qui ont démissionné et ceux qui ont fait l’objet d’une rupture conventionnelle. Mme Emery-Dumas présentera un amendement tendant à modifier cette disposition. Madame la ministre, nous souhaitons obtenir du Gouvernement un certain nombre de garanties à cet égard.
Cela étant, je profite de mon intervention pour le rappeler, quelle que soit la qualité de ce projet, dont nous espérons tous qu’il produira des résultats positifs, je doute que cette seule initiative puisse régler le problème du chômage de longue durée. Dans tous les cas, en matière d’emploi, il est avant tout urgent de relancer l’économie, de soutenir nos PME, nos TPE et nos artisans, qui sont les véritables créateurs d’emplois. C’est le seul moyen de sortir les chômeurs de longue durée de leur situation.
Le Gouvernement doit rapidement modifier sa politique économique et sociale, et nous attendons des mesures en ce sens. Il doit entendre les propositions du monde économique, à savoir la diminution des charges sociales, la simplification du droit du travail, l’adaptation de la formation aux besoins des entreprises et l’amélioration de la compétitivité de celles-ci. L’insertion, c’est d’abord l’emploi et, s’il n’y a pas de travail, il n’y a pas d’insertion réussie !
Je salue donc la position du groupe Les Républicains sur ce texte, exposée précédemment par Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà que s’énonce devant nous, à travers cette proposition de loi, une grande et belle ambition, portée avec enthousiasme et détermination par des forces vives et voilà que se dressent des territoires et leurs habitants pour combattre l’un des plus grands maux dont souffre notre société : le chômage de longue durée.
Le chômage touche toutes les catégories de population, mais plus particulièrement les plus de cinquante ans : 63 % d’entre eux sont des chômeurs de longue durée ! Contrairement aux rumeurs malintentionnées, ils sont animés d’une forte envie de travailler, que l’on a déjà constatée auprès des bénéficiaires du RMI ou du RSA ; ils ont envie de restaurer leur dignité et leur place dans la communauté. Non, ce ne sont pas des assistés ! Ce sont les victimes d’une crise, des victimes qui ont besoin d’être accompagnées, et non stigmatisées, et dont les enfants ne méritent pas l’abandon par les pouvoirs publics que certains proposent bien imprudemment.
C’est donc une grande originalité que cette initiative soit partie du terrain dans cinq territoires. Celle-ci réunit, dans un même projet, trois grands atouts, qui sont autant de conditions essentielles garantes de la réussite.
Le premier atout est de nourrir une grande ambition ancrée et partagée pour en finir avec le chômage de longue durée et les tragédies qui l’accompagnent : tragédie personnelle, avec son long cortège de dommages collatéraux – perte de pouvoir d’achat, de confiance en soi – ; tragédie sociale, avec un sentiment d’inutilité, la peur du regard supposé des autres, qui conduit à l’auto-exclusion de la collectivité et au repli sur soi ; tragédie familiale, enfin – quand on ne s’accepte plus, comment s’intéresser aux autres, notamment à ses enfants, à leur éducation, à leur avenir ?
Éradiquer le chômage de longue durée, c’est lutter contre le déterminisme social, c’est favoriser l’égalité des chances et le « bien vivre ensemble ».
En outre, le chômage hypothèque la santé économique d’un territoire par la perte de pouvoir d’achat des habitants. Il engendre également un vrai gaspillage des savoir-faire, préjudiciable à la compétitivité. À titre d’exemple, entre 1993 et 1997, la Bretagne avait perdu 13 000 emplois dans le bâtiment. En 1997, avec l’effervescence nouvelle de la construction, les entreprises ont voulu faire appel à ces compétences écartées. Elles ne les ont pas retrouvées : les travailleurs s’étaient perdus dans le désespoir, et leur confiance en eux avait disparu.
Le deuxième atout réside dans la mobilisation de tout un territoire derrière un projet construit avec l’ensemble des forces vives et la population. Ce dernier s’appuie sur des territoires déjà engagés, depuis longtemps, dans des actions menées par les forces vives, au sein desquels la dimension humaine, les relations interpersonnelles et la confiance réciproque sont autant d’atouts pour la réussite de l’entreprise ; il s’appuie également sur des associations caritatives, comme ATD Quart Monde, des responsables associatifs, des élus, la population ; il s’appuie enfin sur des entreprises citoyennes ancrées dans leur territoire et conscientes de leur responsabilité devant l’avenir commun.
Le troisième atout est le fait que ce projet est concret et réaliste, avec une organisation locale à échelle humaine qui permet l’expression de tous et des corrections de trajectoires au moyen d’observations permanentes.
Il s’agit d’une expérimentation qui a pour ambition non seulement de résorber le chômage, mais aussi de déterminer les conditions essentielles à réunir pour servir de modèle transposable à l’ensemble des territoires de France.
Les financements sont assurés : ils seront essentiellement nationaux dans la phase expérimentale, le temps d’éprouver les moyens nécessaires et de définir les modalités administratives du financement. Dans un second temps, les participations financières seront gagées sur les économies attendues par les différents contributeurs sollicités.
Une évaluation externe sera réalisée au bout de cinq ans. La mesure en ce domaine est souvent difficile et s’avère fréquemment plus élogieuse que la réalité. Combien de bilans réalisés trop tôt en matière d’insertion ont ainsi versé dans une complaisance coupable, recensant comme d’égales réussites les sorties en CDI, en CDD, en intérim ou encore en formation ? Souvenons-nous de la mise en œuvre du RSA après une période d’expérimentation raccourcie.
La pratique expérimentale habituelle autorise l’échec. Celle-ci s’en distingue : elle doit réussir, non seulement parce que l’échec aurait un goût amer pour tous ceux qui ont cru à ce projet et qui s’y sont impliqués avec enthousiasme, mais aussi parce que la généralisation, qui doit nécessairement être notre horizon, suppose que l’équilibre financier soit atteint après la phase d’expérimentation. S’il faut aujourd’hui des crédits d’amorçage, il faudra demain que l’État et les collectivités, notamment les départements, n’aient pas à souffrir d’une augmentation des charges déjà trop lourdes qu’ils supportent.
La mobilisation originale à laquelle nous prenons part est sans doute le chemin à emprunter pour restaurer la citoyenneté, la responsabilité individuelle, plutôt que de privilégier une attitude passive et de plus en plus généralisée de consommateurs de services publics exigeant de la collectivité qu’elle règle tous les problèmes, y compris les problèmes domestiques. Mieux vaut rechercher leur résolution, citoyenne cette fois, dans la solidarité familiale ou de voisinage.
Demander à un habitant de s’impliquer dans la vie locale en contrepartie des services qu’il en attend, c’est lui reconnaître le statut de citoyen acteur du développement de la cité – il faut tout un village pour élever un enfant, selon un proverbe africain –, plutôt que celui, dégradant et toujours frustrant, de consommateur toujours déçu et se réfugiant dans des votes extrêmes pour exprimer cette déception. Redonner à chacun le sentiment de sa part de responsabilité dans le devenir de la communauté de destin à laquelle il appartient, c’est faire se lever une nouvelle citoyenneté. Rappelons-nous de ce que Kennedy disait fort justement : « Plutôt que de demander ce que l’Amérique peut faire pour toi, demande-toi ce que tu peux faire pour l’Amérique. » C’est à cela aussi que ce texte nous invite.
Cette proposition de loi, c’est plus qu’un remède nouveau et efficace contre le chômage de longue durée ; c’est l’amorce d’une autre conception de la politique. Offrir à nos concitoyens les moyens d’exercer leur citoyenneté, de se sentir responsables du devenir de la collectivité et de s’y engager, c’est le meilleur antidote contre l’individualisme, contre le repli sur soi. Donner aux territoires les moyens de l’implication de tous leurs habitants, c’est, j’en suis persuadé, la manière de dessiner le meilleur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qu’il nous est demandé d’examiner ce soir est une bonne initiative, que je soutiendrai, à la suite de mes collègues Alain Milon et Philippe Mouiller, à la condition de la voir amender par un certain nombre de précisions.
C’est une bonne initiative en ce qu’elle est porteuse d’un paradigme nouveau : elle vise à faire émerger de nouveaux emplois partiellement solvables pour accomplir des tâches utiles à la société, mais non réalisées actuellement, alors que les besoins sont pourtant nombreux, notamment dans un contexte de vieillissement de la population, comme nous l’avons mis en exergue, dans ce même hémicycle, voilà quelques semaines, au moment de l’examen du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement. Les besoins en termes d’aides à la personne sont notamment très importants, et la question du financement de ces prestations reste entière. Et ce sont bien souvent les structures associatives locales aux faibles moyens qui réalisent un immense travail au sein des territoires, notamment auprès des populations les plus vulnérables.
Imaginer de redonner des perspectives aux chômeurs de longue durée, tout en développant des activités répondant à des besoins économiques et sociaux locaux non satisfaits semble donc une bonne opportunité de valoriser et de mettre en œuvre les compétences des personnes privées d’emploi et de parier sur la volonté collective des acteurs territoriaux de développer localement des activités nouvelles en se plaçant au plus près des besoins exprimés. L’idée est louable… Néanmoins, cette proposition de loi élude un certain nombre de réponses structurelles, sans lesquelles nous ne pourrons renouer avec le plein-emploi et la croissance.
Il demeure tout d’abord fondamental de s’attaquer aux racines du mal : le chômage de longue durée, ce fléau qui concerne aujourd’hui 4,2 % de l’ensemble de la population active. Cette situation de privation d’emploi a des effets graves sur les personnes qui en sont victimes. Il s’agit au demeurant d’un cercle vicieux, puisque ces personnes sont également celles qui ont le moins de chance de retrouver un emploi en cas de reprise de la croissance.
En parallèle, ce sont plus de 2 millions d’emplois industriels que la France a perdus depuis les années quatre-vingt. Au regard de ces chiffres, l’établissement d’une corrélation entre désindustrialisation et permanence du chômage de masse se fait naturellement et doit nous interpeller, aujourd’hui plus encore qu’hier.
Le secteur tertiaire, porté notamment par les entreprises de l’économie sociale et solidaire dont il est question dans ce débat, joue un rôle clé dans la vitalité de nos territoires et le développement économique. Mais, j’en suis convaincu, la France doit également pouvoir compter sur le secteur secondaire, à travers la réindustrialisation de notre pays, même si les emplois directs sont moins nombreux qu’auparavant dans le secteur productif avec l’augmentation de la productivité.
Notre pays doit renouer avec la compétitivité en stimulant l’activité industrielle et la recherche. Cette approche est à mener de front avec le développement de l’activité économique sur le territoire et avec l’idée qu’aucune personne en âge d’exercer une activité professionnelle n’est inemployable. La création de richesses est un préalable au bon fonctionnement des mécanismes de solidarité et aux initiatives locales. En cela, cette proposition de loi est insuffisante.
Nous devons ensuite répondre à la question de la formation. La crise n’a fait qu’exacerber ce problème historique, de nature structurelle : il existe une inadéquation flagrante entre la formation et les besoins des entreprises. Ce sont environ 300 000 emplois qui ne trouvent pas preneurs actuellement.
Le reflux du chômage appelle une rénovation de nos systèmes de formation pour entretenir nos compétences industrielles à travers la réhabilitation des filières professionnelles. Il convient aussi de rapprocher les systèmes de formation, les salariés et les entreprises, pour développer dès le plus jeune âge un « habitus » de travail commun chez les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers, et permettre une meilleure insertion de chacun, notamment des plus vulnérables.
Certains secteurs de notre économie sont amenés à disparaître, d’autres sont en voie d’émergence, comme les énergies vertes, les biotechnologies, les nouveaux matériaux... D’autres métiers vont perdurer, mais devront répondre à de nouvelles exigences.
Dans le cas de l’expérimentation qui nous est proposée à travers cette proposition de loi, quelles mesures sont-elles envisagées pour former les demandeurs d’emploi de longue durée ? Quels dispositifs sont-ils prévus pour permettre un retour à l’emploi « choisi » ? Quelle cohérence est-elle assurée avec les autres dispositifs de retour à l’emploi ?
Il faudra veiller à accompagner les bénéficiaires de l’expérimentation pour garantir leur insertion pérenne dans l’emploi, afin que le dispositif ne s’apparente pas in fine à un énième contrat aidé du secteur non marchand. Il conviendra donc de veiller à ce que ces derniers aient accès aux droits à la formation professionnelle acquis au titre des périodes de chômage pour valider leurs compétences acquises au sein de l’entreprise qui les embauche ou pour leur permettre d’en acquérir de nouvelles. De même, il faudra veiller à ne pas cloisonner ces salariés dans un type d’emploi ou un échelon de rémunération et à évaluer les dispositifs d’aides au retour à l’emploi déjà en vigueur dans ces territoires avant de les compléter par cette expérimentation. En ce sens, la préservation du caractère strictement volontaire de la participation des collectivités est indispensable.
Madame la ministre, il nous faut absolument apporter la garantie des financements et nous attaquer à la source du chômage de longue durée, ce qui passe par la reconquête de l’activité industrielle. À travers tous ces éléments, cette expérimentation peut avoir un sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur quelques travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Mes chers collègues, je vous rappelle que nous disposons d’un temps contraint, la séance devant impérativement se terminer à une heure du matin, sans possibilité de prolongation. Il nous faut donc, dans ce délai, examiner quarante-deux amendements et cinq sous-amendements pour parvenir au vote sur l’ensemble. J’émets donc le souhait que vos interventions soient respectueuses des temps impartis et aussi concises que possible.
proposition de loi d’expérimentation territoriale visant à faire disparaître le chômage de longue durée
Article 1er
(Non modifié)
Pour une durée de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, est mise en place une expérimentation qui a pour objet de tester, dans un nombre limité de collectivités territoriales volontaires, la possibilité de résorber fortement le chômage de longue durée en permettant à des demandeurs d’emploi d’être recrutés, dans le cadre de contrats à durée indéterminée, par des entreprises de l’économie sociale et solidaire pour exercer des activités non concurrentes avec des activités économiques exercées sur le territoire. Cette expérimentation est, pour les collectivités concernées, complémentaire des politiques publiques en faveur du développement économique et de la lutte contre le chômage.
Cette expérimentation est mise en place avec le concours financier de l’État, des collectivités territoriales volontaires et des organismes publics et privés volontaires susceptibles de tirer un bénéfice financier de ces recrutements, avec pour objectif que ce bénéfice soit supérieur au coût du dispositif.
Au plus tard dix-huit mois avant le terme de l’expérimentation, le fonds mentionné à l’article 3 de la présente loi adresse au Parlement et au ministre chargé du travail un rapport public dressant le bilan de l’expérimentation et en évaluant l’impact direct et indirect. Ce rapport dresse notamment un bilan des effets de l’expérimentation sur la situation de l’emploi dans les collectivités territoriales ou groupes de collectivités territoriales participant à l’expérimentation et évalue l’impact financier, pour l’État, les collectivités territoriales et les organismes publics et privés participant à l’expérimentation, de ces recrutements par rapport au coût lié aux situations de chômage. Il tient compte des nouveaux indicateurs de richesse définis à l’article unique de la loi n° 2015-411 du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques.