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Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère
M. le président. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureux de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation conduite par le ministre de la justice de la République démocratique populaire Lao, Son Excellence M. Bounkeut Sangsomsak. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le secrétaire d’État se lèvent.)
Il est accompagné par M. Vincent Eblé, président du groupe d’amitié France-Cambodge et Laos, Mme Catherine Tasca, présidente déléguée pour le Laos, et des membres de ce groupe.
Nous nous félicitons des liens étroits que tissent nos deux pays grâce à ces rencontres croisées. Ainsi, M. Vincent Eblé, Mme Catherine Tasca et Mme Marie-Annick Duchêne ont participé récemment aux cérémonies du vingtième anniversaire de l’inscription de la ville de Luang Prabang à la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.
Votre visite d’étude, monsieur le ministre, s’inscrit dans le cadre du programme de soutien du ministère des affaires étrangères et du développement international pour la mise en œuvre du schéma directeur de la justice au Laos, dont l’objectif est d’approfondir l’État de droit.
Accompagnée par Mme Claudine Ledoux, ambassadrice de France à Vientiane, la délégation a un programme d’auditions et d’entretiens à Paris, puis se rendra à l’École nationale de la magistrature à Bordeaux.
Nous vous souhaitons, monsieur le ministre, un séjour et des échanges fructueux, en formulant le vœu que cette session de travail contribue à la réforme de la justice au Laos.
Nous vous souhaitons la plus cordiale bienvenue au Sénat français ! (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que M. le secrétaire d’État applaudissent.)
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Conséquences du traité transatlantique pour l’agriculture et l’aménagement du territoire
Suite de la discussion d’une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion de la proposition de résolution européenne sur les conséquences du traité transatlantique pour l’agriculture et l’aménagement du territoire.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’agriculture est un secteur stratégique, singulièrement en France.
La proposition de résolution européenne qui vous est soumise aujourd’hui est importante, car les agricultures européenne et française ont des dimensions économiques, sociales et culturelles essentielles. Les dispositions qui les concerneront dans le cadre d’un futur accord commercial ne doivent pas être les variables d’ajustement de concessions obtenues sur d’autres secteurs, comme l’ont excellemment exprimé les deux précédents orateurs.
Notre collègue Daniel Raoul et moi-même avons rapporté cette proposition devant la commission des affaires européennes, en ayant en tête le fait que le solde de nos exportations sur nos importations vis-à-vis des États-Unis était positif de 7 milliards d’euros et que la crise de l’élevage français, qui affleure largement notre débat, est, par définition, préalable aux éléments d’un éventuel accord.
Nous avons souhaité insister sur trois points, et conclurons en vous demandant, monsieur le secrétaire d’État, de nous donner des garanties quant au rôle du Parlement français, si l’accord devait être signé.
Premier point : dans certains secteurs agroalimentaires, la suppression négociée des droits de douane se fait dans un climat de compétitivité déséquilibrée entre l’Union européenne et les États-Unis.
Aujourd’hui, les droits de douane moyens appliqués aux produits agricoles et agroalimentaires dans l’Union européenne sont supérieurs à ceux des États-Unis. La négociation en cours a pour but de les réduire au maximum, voire de les supprimer. Pour autant, certains produits « sensibles » ne seront pas concernés par la réduction immédiate des tarifs douaniers. Pour la France, mais pas seulement pour elle, il s’agit notamment de la viande de bœuf, de porc et de la volaille. Le sort de ces produits sensibles est déterminé souvent en fin de négociation et peut aboutir à l’octroi au partenaire d’un contingent limité, à droit réduit ou nul.
L’accès de certains produits agricoles européens au marché des États-Unis est freiné par un fort écart de compétitivité. Les données ayant déjà été présentées, je serai bref.
Le secteur de la viande bovine est particulièrement exposé, tant sont différentes les pratiques respectives dans nos systèmes d’élevage. Elles placent l’Europe, mais plus singulièrement la France, dans une posture défensive.
En France, vous le savez, l’essentiel des aliments de troupeau bovin est produit sur l’exploitation. La ration de base est majoritairement composée d’herbe.
Je relève également que les États-Unis et le Canada bénéficient déjà de contingents d’exportation de viande bovine vers l’Union européenne, sans hormones ni accélérateurs de croissance. Mais ces deux pays n’utilisent à ce jour qu’assez peu lesdits contingents…
Enfin, des embargos interdisent encore l’exportation européenne des viandes bovine, ovine et caprine vers les États-Unis à la suite de l’épidémie dite d’encéphalite spongiforme bovine. Les États-Unis n’ont récemment levé cet embargo que pour les seules viandes d’Irlande et de Lituanie.
Deuxième point : les intérêts offensifs de la filière laitière.
Les professionnels français du secteur considèrent que le développement de la production laitière passe par l’exportation, notamment vers les États-Unis. Mais il y a au moins deux obstacles.
Le premier est tarifaire. Les droits américains sur les produits laitiers dépassent le niveau des droits moyens.
Le second obstacle concerne les règles sanitaires. Les États-Unis ont des exigences extrêmement strictes, assimilables à des barrières non tarifaires, qui imposent des contrôles plus rigoureux encore que dans l’Union européenne. Les exportations de fromages européens pâtissent évidemment de cette situation.
Les régulateurs de l’Union européenne et des États-Unis ont bien sûr en commun le souci de la protection des consommateurs. Mais les démarches respectives pour y aboutir sont très différentes et la disparité des normes freine les échanges. Côté américain, une approche « basée sur la science » ; côté européen, le principe de précaution, conforme à des choix sociétaux et culturels regroupés sous les termes de « préférences collectives ». Ainsi, les promoteurs de croissance, les OGM, la décontamination chimique des viandes et le clonage animal sont un enjeu majeur.
Les négociateurs doivent prendre en compte, en complément de l’évaluation scientifique, les choix exprimés par les consommateurs européens. L’accord ne devra donc pas remettre en cause la capacité de l’Union et de ses États membres à faire respecter ces choix collectifs.
Je rappelle d’ailleurs que le mandat de négociation confié à la Commission indique explicitement que, dans l’accord éventuel, les États-Unis et l’Union européenne devront respecter de hauts niveaux de protection de l’environnement et des consommateurs, « conformément à l’acquis de l’Union européenne et à la législation des États membres ».
Troisième point : les indications géographiques sont pour nous un enjeu central.
Notre système d’indications géographiques s’oppose au système américain des marques commerciales. L’indication géographique est ancrée dans un territoire ; elle n’est pas transférable. Elle est liée à un savoir-faire, à un mode de production, défendus et entretenus par les fabricants mais aussi, bien entendu, par les producteurs.
La marque ne répond pas aux mêmes critères. Elle peut avoir une durée limitée et être vendue, tous éléments que l’on ne peut bien sûr retrouver pour une indication géographique.
La France a donc un intérêt offensif majeur à faire reconnaître et protéger une liste ciblée d’indications géographiques dans le cadre de l’accord. S’il n’était pas reconnu dans le traité transatlantique, il ne figurerait à l’évidence dans aucun des autres accords commerciaux à venir : c’est bien un sujet stratégique.
Vous le savez, mes chers collègues, la discussion de cette proposition de résolution européenne tombe à point nommé, au moment où les négociations entre la Commission et ses interlocuteurs américains devraient entrer, avec le douzième round, dans le vif du sujet.
Je voudrais conclure en évoquant une question à laquelle je faisais référence dans l’introduction de mon propos.
Nous savons que, le moment venu, il reviendra successivement au Conseil, et donc aux gouvernements nationaux, puis au Parlement européen et surtout enfin – espérons-le ! – aux parlements nationaux d’évaluer le contenu du traité, avant de le ratifier ou non.
Monsieur le secrétaire d'État, c'est sur ce point que je souhaiterais vous interroger pour que le Sénat ait une réponse, mais surtout pour que nos concitoyens sachent avec certitude si le traité sera ou non soumis à examen.
En effet, nous ne savons toujours pas aujourd’hui si les accords conclus avec le Canada ou avec Singapour seront ou non considérés comme des accords mixtes, c’est-à-dire intégrant des éléments de la compétence commerciale exclusive de la Commission ou relevant de compétences partagées entre elle et les États membres. Nous ne savons donc pas ce qu’il en irait du traité transatlantique s’il devait être conclu.
C’est une véritable interrogation puisque de la réponse à cette question dépendra la saisine, ou non, des parlements nationaux pour autoriser leur ratification.
En attendant la décision que devrait enfin rendre la Cour de justice sur l’accord avec Singapour et la jurisprudence qu’elle établira, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous indiquer les critères qui, pour la France, gouvernent la qualification d’accord mixte ? Qu’adviendrait-il si un tel accord était rejeté par au moins un parlement national ? Serait-il applicable pour les dispositions relevant de la compétence exclusive de la Commission, lesquelles sont souvent les plus importantes ?
Pour être plus direct, monsieur le secrétaire d'État, quelles garanties pouvez-vous nous donner que l’éventuelle signature du TTIP donnera lieu à une approbation préalable par notre Parlement ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Matthias Fekl, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé du commerce extérieur, de la promotion du tourisme et des Français de l'étranger. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier la Haute Assemblée pour l’engagement dont elle fait preuve dans le suivi des négociations transatlantiques, qui sont majeures à bien des égards.
J’ai déjà eu l’occasion d’échanger avec vous à de très nombreuses reprises sur ce sujet, notamment à l’occasion de l’examen, l’an passé, d’une proposition de résolution européenne sur les questions d’arbitrage, mais aussi en répondant aux convocations des commissions compétentes du Sénat. Je me tiens bien évidemment toujours à votre disposition pour débattre de ces questions avec vous.
L’intérêt que vous portez aux négociations en cours, et tout spécialement aux conséquences potentielles sur notre agriculture, nous permet de poursuivre ici un indispensable travail de fond. Tout au long de l’année 2015, je me suis engagé, au nom de la France, pour que vous ayez le meilleur degré d’information possible. Je poursuivrai évidemment dans cette voie.
Voilà maintenant plus de deux ans et demi que les négociations ont commencé. Fin février s’ouvrira la douzième session de négociation : après Miami l’année dernière, celle-ci se tiendra à Bruxelles. Deux autres suivront avant l’été. Des contacts de haut niveau entre la Commission et le négociateur américain auront lieu. Le gouvernement français suivra bien sûr très attentivement ces négociations.
Vous le savez, 2016 est une année de campagne électorale aux États-Unis, ce qui aura aussi un impact sur le cours des choses. Dans cette situation, certains estiment que les négociations transatlantiques devront être conclues à tout prix cette année, sans quoi la perspective d’un accord commercial entre l’Union européenne et les États-Unis serait repoussée de plusieurs années, voire indéfiniment. Ce n’est ni mon analyse ni la position de la France.
Certains ajoutent également, et il en a été question dans plusieurs interventions, que l’aboutissement des négociations sur le partenariat transpacifique devrait là aussi accélérer les choses et nous inviter à hâter le pas. Je ne partage pas non plus ce point de vue, en particulier parce qu’il repose sur une erreur de raisonnement. Sur le TPP, plus de trente cycles de négociations ont été tenus et les négociations ont duré plus de cinq années, elles ont commencé avant celles du traité transatlantique. On ne voit donc pas bien au nom de quelle logique la conclusion de négociations entamées avant celles du partenariat transatlantique devrait automatiquement conduire à la conclusion des négociations sur ledit partenariat.
Le gouvernement français aborde les négociations transatlantiques en respectant un principe simple, que nombre d’entre vous ont mis au cœur de leur intervention : seul un bon accord, c'est-à-dire un accord ambitieux, équilibré et mutuellement bénéfique, serait acceptable. Cela a pour nous des implications très claires. Le contenu de l’accord sera pour la France le seul critère d’appréciation au regard duquel nous déciderons s’il faut approuver ou rejeter le texte final. C’est précisément cette position que j’ai exprimée publiquement, au nom de notre pays, en septembre 2015, partant du constat que, sur le fond, le compte n’y est pas aujourd'hui pour la France.
On n’aborde pas une négociation en voulant la conclure à tout prix et dans la précipitation. Ceux qui seraient tentés par cette approche font, là aussi, une erreur d’appréciation – c'est en tout cas notre analyse. La France défendra ses intérêts, ses valeurs et une conception exigeante de l’intérêt général tant national qu’européen.
Cette résolution est très importante. Elle permet aussi de faire un point sur ce que nous avons appelé, avec Stéphane Le Foll, « la diplomatie des terroirs » : il s’agit de défendre notre agriculture dans les instances européennes et internationales où sont prises des décisions très importantes, qui ont souvent un impact direct sur la vie de nos territoires. Je sais que vous êtes toutes et tous ici particulièrement sensibles et attentifs à la réalité de ce qui se passe dans les territoires de France.
L’agriculture est stratégique pour notre pays. Négocier dans ce domaine, ce n’est pas seulement discuter de chiffres ou de normes techniques, c'est aussi défendre des règles et des méthodes de production conformes à nos traditions, à la capacité d’innovation de notre agriculture et à nos valeurs. C'est parler d’alimentation, de choix de production et de consommation, et de souveraineté alimentaire.
Les négociations transatlantiques font apparaître des conceptions pour le moins différentes en matière d’agriculture. Je le redis ici devant vous, comme j’ai pu le dire à nos partenaires américains et à nos partenaires de l’Union européenne, rien ne saurait remettre en cause les règles qui traduisent les préférences collectives des citoyens européens.
L’agriculture européenne est en particulier caractérisée par une recherche de qualité, par l’exigence qu’ont nos agriculteurs dans leur manière de produire, et par des contrôles très forts « de la ferme à l’assiette » pour réduire les risques sanitaires. Notre approche est clairement préventive. Aux États-Unis, l’accent est mis sur le traitement final des produits pour garantir leur qualité sanitaire. Ce sont deux manières différentes d’envisager l’agriculture et la protection du consommateur. Je le redis, il n’est pas envisageable de remettre en cause nos préférences collectives, comme l’interdiction de la viande traitée aux hormones, la décontamination chimique des viandes ou encore notre réglementation en matière d’OGM.
Je souligne également les divergences transatlantiques dans la gestion des risques : les États-Unis insistent sur la mobilisation de preuves scientifiques pour procéder à l’interdiction de certaines pratiques de production, alors qu’en Europe c’est le principe de précaution qui joue un rôle déterminant. Chacun doit être en mesure de gérer le risque à sa manière. Chaque approche est légitime, mais chacun est aussi légitime à définir l’approche qu’il choisit. Plusieurs des vœux formulés dans la présente proposition de résolution européenne vont en ce sens. Sachez que le Gouvernement tout entier est mobilisé pour s’assurer du respect du mandat de négociation confié par les États membres à l’Union européenne et, donc, à la Commission.
Ne nous méprenons pas : le maintien d’une agriculture européenne fidèle à nos traditions et à nos valeurs nécessite une mobilisation politique de chaque instant, non seulement dans le cadre des négociations sur la convergence réglementaire – il en a été question –, mais aussi dans celui plus classique des négociations tarifaires.
La résolution que vous proposez mentionne, à raison, ce point en évoquant le cas du secteur de l’élevage qui connaît, nous le savons tous, une crise aiguë. Le ministre de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, mon collègue Stéphane Le Foll, est totalement mobilisé sur ce sujet aux niveaux tant national qu’européen et international. Pour ce qui est des négociations transatlantiques, la France a obtenu le classement en produits sensibles des viandes de bœuf, de porc et de volaille. Au-delà du secteur de l’élevage, qui est particulièrement sensible, j’ajoute que d’autres produits agricoles font l’objet de ce type de traitement. Il s’agit par exemple du maïs doux, des petits légumes, des produits amylacés – contenant donc de l’amidon –, de l’éthanol, le sucre, du rhum ou des ovoproduits – les sous-produits des œufs.
Il est désormais exclu de faire des concessions significatives supplémentaires en matière agricole. La France comme l’Europe ont multiplié, via la Commission européenne, les offres. Nous considérons que c’est maintenant aux Américains de faire mouvement et de présenter des propositions. Le Gouvernement restera attentif à la poursuite des négociations sur l’ensemble de ces sujets, avec pour objectif de ne pas déstabiliser plus encore nos secteurs agricoles, qui traversent des situations très difficiles en termes tant économiques qu’humains. De nombreuses situations dramatiques sont là, semaine après semaine, pour nous le rappeler.
Votre proposition de résolution européenne aborde également avec justesse la nécessaire reconnaissance de la protection des indications géographiques. Il en a été question dans les interventions. Comme vous le savez, l’Union européenne et les États-Unis ont des systèmes très différents pour protéger les productions agroalimentaires. En Europe, nous nous appuyons sur l’origine régionale et sur le respect d’un certain nombre de règles de fabrication. Le système américain repose, lui, beaucoup plus largement sur un système de marques, même si les deux peuvent bien sûr coexister.
Une fois de plus, ce sont deux conceptions différentes de l’agriculture qui se font face ici. L’une se concentre sur les caractéristiques de nos produits de terroir, l’autre davantage sur le droit de propriété, avec souvent une déconnexion entre les modes de production, les terroirs et le produit finalement réalisé et consommé. Dans le cadre des négociations commerciales, l’enjeu est d’obtenir un haut niveau de protection pour les appellations et indications françaises. C’est vrai pour les vins et spiritueux et pour toutes les productions agricoles de notre pays. Nous souhaitons aussi l’abandon des dénominations semi-génériques – je pense en particulier au champagne de Californie. Un certain nombre d’appellations proches de « champagne » usurpent en réalité la qualité de cette appellation à travers le monde. Nous sommes, là aussi, mobilisés.
On pourrait prendre malheureusement de très nombreux autres exemples qui, en la matière, faussent les choses. C’est d’ailleurs l’esprit qui présidait à l’accord sur le commerce de vins de 2006 signé par les États-Unis. La France a proposé des listes très ambitieuses d’indications géographiques, à l’image de ce qui a été fait pour la négociation avec le Canada. Ce pays a en effet reconnu, dans le cadre du CETA, Comprehensive Economic and Trade Agreement, de très nombreuses indications géographiques françaises, en particulier des produits laitiers et charcutiers, après la reconnaissance déjà très exigeante des vins et spiritueux dans l’accord sur ce sujet au début des années 2000.
Cela fixe clairement un haut degré d’ambition et nous souhaitons atteindre des résultats comparables dans les négociations transatlantiques en cours ; du point de vue de l’étalonnage, il est très intéressant de le rappeler. Nous souhaitons que les choses avancent sur ce sujet ; ce n’est pas le cas aujourd’hui, l’honnêteté nous force à l’admettre.
Nos demandes sont très précises, cohérentes et étayées. De fait, la coexistence entre un système de marques et un système d’indications géographiques est possible ; l’exemple canadien le démontre. Là encore, c’est désormais à nos partenaires américains de prouver qu’ils souhaitent avancer à ce sujet mais, en ce qui concerne les indications géographiques, croyez à la détermination totale du Gouvernement pour faire avancer les choses et en faire l’une des conditions absolues de ratification d’un accord.
À ce stade, les négociateurs américains n’ont pas du tout souhaité aborder ces sujets et ils ont clairement signifié que les négociations seraient ardues. Nous restons toutefois convaincus qu’il existe une solution : d’abord parce que la négociation est loin d’être terminée, ensuite parce que la question des indications géographiques peut faire l’objet des sujets abordés tout à la fin, et enfin parce que les producteurs américains souffrent parfois de difficultés comparables à celles de l’Union européenne avec le système des marques et qu’ils font entendre leur voix ; c’est un point d’appui pour nous. J’ajoute que le partenariat transpacifique, dont on se sert souvent comme référence, comprend la protection des indications géographiques. À ce sujet, une priorité pour la France, la balle est, je le répète, dans le camp des États-Unis.
La reconnaissance des indications géographiques n’est pas notre seule demande ; nous souhaitons aussi la levée de barrières sanitaires et phytosanitaires qui continuent d’être opposées à nos produits. Aujourd’hui, le marché américain du bœuf est de facto fermé du fait de l’épidémie dite « de la vache folle » des années 1990. Pourtant cela n’est plus d’actualité ; d’ailleurs, notre pays s’est vu attribuer le meilleur statut en matière de sécurité relative à l’encéphalopathie spongiforme bovine, ou ESB, par l’Organisation internationale de la santé animale. À l’unanimité, le statut de risque négligeable en la matière nous a été décerné. Cela doit donc logiquement se traduire par la levée des embargos ; là encore, nous sommes totalement mobilisés.
Je pourrais multiplier les exemples à l’envi : ainsi, la législation « Grade A » nous empêche d’exporter de nombreux produits laitiers comme les yaourts, la crème ou le lait ; nos exportations de pommes ont repris, mais restent très compliquées du fait notamment de doubles contrôles souvent identiques de part et d’autre de l’Atlantique ; les États-Unis ont activé le 5 octobre dernier des mesures de sauvegarde contre le beurre européen, déjà très frappé par la situation russe.
Face à cela, nous avons mené des travaux techniques très approfondis, identifiant précisément chacune des barrières en matière agricole et agroalimentaire. Cela vient à l’appui des demandes européennes, notamment la reconnaissance du système sanitaire européen – comme demandé dans la résolution examinée aujourd’hui – ou encore la garantie d’une transparence et de délais raisonnables dans le traitement des dossiers.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’agriculture, parce qu’elle nous nourrit, qu’elle aménage nos paysages et qu’elle a des effets sur notre santé et traduit des modes de vie hérités de notre histoire, occupe une place particulière dans la négociation du TTIP. J’ai rappelé les lignes rouges que nous défendons et les évolutions que nous recherchons.
Je souhaite ajouter que la position du gouvernement français est fondée non seulement sur un attachement à nos valeurs, mais aussi sur une analyse économique extrêmement précise, rigoureuse et exigeante. J’en veux pour preuve la parution en décembre dernier d’un rapport directement issu de l’organisme de recherche du ministère fédéral de l’agriculture des États-Unis. Cette étude américaine porte sur les conséquences de la suppression des barrières tarifaires et non tarifaires. On peut en retenir de nombreux points, notamment qu’une réduction significative des droits de douane agricoles aurait des effets délétères pour l’Union européenne, avec un déséquilibre qui serait très largement en notre défaveur.
Mme Sophie Primas, rapporteur. Si même eux le disent…
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Oui, madame la sénatrice, c’est bien une étude américaine qui l’affirme. Elle a été publiée sur internet – j’ignore si c’est par des voies directes ou indirectes – et c’est évidemment un objet à verser au débat.
Vous demandez à la Commission européenne de réitérer auprès du gouvernement américain ses demandes en matière d’ouverture et de transparence. Je partage pleinement cette préoccupation et j’en ai fait, vous le savez, l’un des axes de mon action. Aujourd’hui, notamment grâce à des demandes répétées de la France, nous avons enfin accès aux documents consolidés dans une salle de lecture d’une administration française, à Paris.
M. David Rachline. C’est bien aimable !
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. Cela met fin à la mascarade inacceptable qui consistait à proposer aux États membres de l’Union européenne de consulter ces documents cruciaux soit à Bruxelles, soit dans une salle des ambassades américaines des différents États membres (M. David Rachline s’esclaffe.). C’était, pour tout membre du gouvernement ou tout parlementaire d’un État souverain, évidemment inacceptable ; je l’ai d’ailleurs indiqué en ces termes à nos partenaires européens, qui étaient souvent d’accord, à la Commission européenne et au représentant du président Obama pour le commerce, l’ambassadeur Froman. Il y a donc eu un progrès important en la matière, et tant l’ambassadeur Froman que la Commission européenne se sont engagés en ce sens.
Il manque toutefois encore beaucoup de choses et, en matière de transparence, nous n’en sommes qu’au début. La transparence des négociations commerciales internationales est l’un des enjeux du siècle qui commence – il est déjà bien entamé. Les négociations commerciales modernes ne pourront plus se faire en cachette,…
M. Matthias Fekl, secrétaire d’État. … à l’abri des regards, eu égard en particulier aux sujets désormais abordés. Il ne s’agit plus de négociations tarifaires classiques ; de nombreux sujets concernant potentiellement la vie de tous les jours sont évoqués. Le regard citoyen ainsi que le contrôle démocratique et parlementaire sont donc indispensables à la légitimité de ces négociations et de tout accord.
Nous souhaitons en particulier que les États membres aient accès aux offres américaines, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. Les États-Unis refusent pour le moment que les États de l’Union, qui sont pourtant directement concernés par les négociations, aient accès aux offres qui sont adressées à la Commission européenne de manière détaillée, chapitre par chapitre. C’est un manque qui nuit gravement à notre capacité d’assurer une information parfaite de tous – Parlement, Gouvernement et citoyens – et d’agir efficacement. J’ai adressé des messages répétés à ce sujet et je continuerai de le faire. Ce n’est là que l’un des aspects de la transparence en la matière.
Je veux dire quelques mots de la nature juridique de l’accord, puisque, notamment, M. Bonnecarrère en a parlé. La France considère que le TTIP est un accord mixte, j’ai eu l’occasion de le dire devant les deux chambres du Parlement, c’est-à-dire appelant une ratification aux niveaux européen et national, qui, dans notre pays, se déroulerait selon nos procédures constitutionnelles, avec le vote du Parlement. C’est aussi la position unanime de tous les États membres de l’Union européenne. La Commission reste à ce stade plus prudente ; elle ne s’est jamais clairement exprimée sur ce point. Cela est peut-être dû à la procédure pendante devant la Cour de justice de l’Union européenne concernant le projet d’accord entre l’Union et Singapour.
Je vais répondre très précisément à votre question, monsieur le sénateur. Pour la France, plusieurs éléments relèvent de la compétence des États membres et justifient ainsi la mixité nationale et européenne de cet accord. Il s’agit notamment d’éléments relatifs à la propriété intellectuelle, aux investissements et au transport.
En cas de vote négatif, que vous avez évoqué, une phase d’incertitude s’ouvrirait ; distinguons l’analyse juridique de l’analyse politique. Du point de vue juridique, l’état du droit prévoit la juxtaposition de stipulations qui continueraient à vivre même en cas de vote négatif et de stipulations qui tomberaient. Néanmoins, en la matière, c’est évidemment l’analyse politique qui doit primer. Ma conviction personnelle, qui correspond à la position du Gouvernement, est qu’un rejet d’un accord TTIP par le Parlement français conduirait nécessairement à la remise en cause de l’ensemble de l’accord.
Que ce soit dans l’hypothèse de la non-mixité de l’accord – s’il en était ainsi décidé à l’échelon européen – ou dans celle d’un accord mixte qui ferait l’objet d’un vote négatif, cela équivaudrait, selon moi, à un coup d’État démocratique. La France n’acceptera ni l’hypothèse où cet accord serait déclaré purement communautaire sans intervention du Parlement européen, ni l’hypothèse du rejet d’un projet qui vous serait soumis mais entrerait en vigueur. Une telle hypothèse ferait trop de mal à notre conception de la démocratie et au projet européen. Telle est la position du gouvernement français sur ce sujet majeur. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et au banc des commissions. – Mme Éliane ainsi que MM. Joël Labbé et René Danesi applaudissent également.)