M. Daniel Raoul. Très bien !
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis. L’article 2 de la proposition de loi prévoit une majoration des plafonds de ressources. Cela conduirait à augmenter le nombre de Français éligibles à un logement social alors même que l’on ne pourrait pas satisfaire cette demande nouvelle dans l’immédiat. On ne ferait donc qu’allonger la file d’attente des demandeurs, dont le nombre s’élève aujourd'hui à 1,8 million.
Cette majoration des plafonds des ressources, outre qu’elle pourrait se révéler source de difficultés au regard de la législation européenne, aurait également des conséquences sur le supplément de loyer de solidarité, perçu lorsque les ressources du ménage dépassent de 20 % les plafonds.
Une majoration des plafonds aurait en effet pour conséquence immédiate et automatique de diminuer les cas de suppléments de loyer de solidarité, donc de maintenir dans les lieux un plus grand nombre de personnes ayant des ressources un peu plus importantes, au détriment de l’entrée dans le parc de personnes moins fortunées, qui seraient obligées de se loger dans le parc privé à des niveaux de loyers plus élevés.
Si je peux comprendre l’objectif de mixité sociale de nos collègues, il me paraît nécessaire de favoriser une certaine fluidité dans le parc HLM et d’être particulièrement attentif au rôle, notamment, des commissions d’attribution des logements. Nous aurons un débat plus large sur la question de la mixité sociale lors de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Pour répondre à la demande de logements, nous devons encourager la construction de logements dans le parc privé comme dans le parc social et produire des logements abordables. Pour cela, il faut agir dans plusieurs directions.
Premièrement, la production de logements doit être accélérée, par la facilitation de la libération du foncier et l’action sur les règles en matière de contentieux.
Deuxièmement, il faut agir sur les coûts de construction, qu’ils résultent du coût du foncier, de l’incidence de la fiscalité ou des normes de construction.
Notre commission a considéré qu’il serait nécessaire et fort utile à cet égard de mettre en place un observatoire des prix de la construction. Grâce à une telle instance, les pouvoirs publics disposeraient de données précieuses, nationalement et localement, et pourraient ainsi mieux adapter les outils à la réalité du terrain. Cet observatoire permettrait par exemple d’évaluer l’impact du foncier ou des dispositifs fiscaux sur l’évolution des prix de la construction.
Il nous faut également réfléchir aux causes du départ des investisseurs institutionnels du parc locatif privé, dont le nombre a été divisé par quatre en trente ans, pour atteindre aujourd'hui 2 %.
Troisièmement, nous devons examiner les moyens de mobiliser le parc vacant, qui est encore trop important.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des affaires économiques a considéré que les propositions de nos collègues présentaient plus d’inconvénients que d’avantages. Elle a donc émis un avis défavorable quant à l’adoption de cette proposition de loi, même si je souligne une nouvelle fois l’intérêt du débat que ce texte a suscité, monsieur Le Scouarnec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des finances, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi, déposée par les membres du groupe CRC et débattue dans le cadre de leur ordre du jour réservé, prévoit, pour la résumer, de supprimer le dispositif d’investissement locatif Pinel et d’en réaffecter les crédits au financement du logement social, dont le texte relève également les plafonds d’accès. Il est aussi proposé de réduire le taux du CICE pour gager les deux premiers articles
L’examen des articles me donnera l’occasion de détailler les raisons pour lesquelles le Gouvernement estime que cette proposition de loi est inopportune, et même porteuse d’effets néfastes, tant pour le secteur de la construction que pour l’accès au logement. Vous me permettrez, en guise de propos liminaire, de les évoquer.
Il est d’abord proposé d’abroger le dispositif Pinel, alors même que le secteur du bâtiment connaît enfin une légère reprise en 2015, après huit années de difficultés.
En effet, en 2015, le nombre de permis de construire accordés, ainsi que les mises en chantier ont connu une légère hausse, de respectivement 1,8 % et 0,3 %.
Ces chiffres sont encourageants et doivent nous inciter à poursuivre les efforts engagés. Sur les trois premiers trimestres, les ventes dans le neuf ont également progressé, de 19 %. Cette hausse a été principalement soutenue par le dispositif d’investissement locatif intermédiaire entré en vigueur le 1er janvier 2015.
À lui seul, il enregistre une augmentation de 63 %, correspondant à une trajectoire de 15 000 logements supplémentaires construits par an, soit environ 50 000 au total. Sa simplicité et sa lisibilité sont les conditions de son succès. En outre, la possibilité de louer à un ascendant ou à un descendant a permis de le rendre plus attractif et de débloquer de nombreuses opérations. Pour toutes ces raisons, il a été reconduit à l’identique dans la loi de finances pour 2016.
Nous devons surtout souligner son rôle essentiel dans la production de logements intermédiaires, c’est-à-dire destinés à celles et ceux qui ne sont pas éligibles au logement social, mais qui peinent à se loger dans le parc privé.
Il est enfin mieux calibré, car ciblé sur les secteurs géographiques connaissant un déficit important et une forte demande de logements.
À ce titre, les dispositifs Duflot et Pinel, qui ont succédé au Scellier, ont permis, par l’ajustement des plafonds de loyers, d’accroître une offre intermédiaire abordable sur les secteurs connaissant une tension locative importante.
La réforme du zonage « ABC » visant à mieux adapter ces dispositifs logement, notamment celui de l’investissement locatif, aux réalités du marché a sans conteste renforcé l’attractivité du Pinel.
Par ailleurs, il convient également de noter que ces investissements locatifs permettent des recettes fiscales supplémentaires, en termes notamment de TVA et d’imposition des revenus locatifs.
D’une manière plus globale, le secteur de la construction a pu limiter les destructions d’emplois, grâce au logement social, mais aussi largement grâce à l’investissement locatif, même si ses effets sont nécessairement progressifs dans le temps, en raison du délai incompressible entre la vente, la mise en chantier et la livraison.
Son abrogation mettrait donc en péril plusieurs milliers de projets de construction, ainsi que les emplois qui y sont liés, alors que la dynamique de la relance est désormais engagée et que le Pinel y contribue.
Une telle suppression n’est donc ni envisageable ni souhaitable.
Le Gouvernement estime que le secteur a besoin de stabilité, notamment fiscale, comme cela est souligné dans le rapport de la commission des finances.
Mais, je veux aussi le dire, encourager l’investissement locatif intermédiaire n’est ni contradictoire ni inconciliable avec la production de logement social. Au contraire : pour favoriser l’accès au logement de chacun de nos concitoyens, nous devons diversifier les offres et les moyens.
Le Gouvernement n’a d’ailleurs jamais opposé logement intermédiaire et logement social. Il s’est engagé à dynamiser conjointement la production de l’un et de l’autre.
Les aides financières à la construction de logement social sont essentielles pour maintenir un niveau élevé de production qui réponde aux besoins des territoires et de nos concitoyens. Elles assurent la modération des loyers.
En termes de subventions directes, la capacité d’engagement des aides à la pierre est portée à 500 millions d'euros en 2016, au travers du nouveau fonds national dédié. Sa gouvernance sera partagée entre l'État, les bailleurs sociaux, les collectivités locales et les parlementaires, ce qui constitue une avancée indéniable.
L’État y participera à hauteur de 250 millions d’euros en 2016, malgré un contexte budgétaire contraint. Les bailleurs sociaux contribueront à la même hauteur au Fonds national des aides à la pierre, le FNAP, apportant de meilleures garanties de sécurité, de pérennité et de visibilité au financement du parc social.
Ces subventions sont complétées par d’autres aides de nature fiscale. Je pense notamment au taux réduit de TVA pour les opérations d’acquisition de terrains et de logements et la construction de logements sociaux, ou à l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties, la TFPB, ou l’exonération d’impôt sur les sociétés.
Ces aides représentent dans leur ensemble 4 milliards d’euros, qui s’ajoutent aux aides à la pierre. Elles permettent d’atteindre un taux moyen de subvention de 40 % d’un logement social. De surcroît, elles peuvent s’ajouter à certaines aides des collectivités locales et d’Action logement.
En outre, compte tenu du faible taux du livret A, que l'on a abaissé à 0,75 % au mois d’août 2015, les conditions de crédit favorables représentent un autre levier important pour la production de logements sociaux.
Selon les chiffres publiés le 19 janvier dernier, nous avons enregistré en 2015 une augmentation du nombre de logements sociaux de 2,3 % par rapport à 2014. Ainsi, 109 000 logements sociaux ont été agréés en métropole, auxquels il convient d’ajouter plus de 11 000 logements construits dans le cadre des opérations de rénovation urbaine de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU.
Mais, au-delà de ce nombre, je souligne qu’un quart de ces logements ont été financés en prêts locatifs aidés d’intégration et sont ainsi destinés aux ménages les plus modestes. De plus, deux sur cinq sont situés en zone A, là où la demande est particulièrement forte. Car, s’il convient de construire plus de logements, notamment sociaux, il est essentiel de les construire là où sont les besoins.
Au-delà de la seule construction de logements sociaux, le Gouvernement a également souhaité renforcer leur rénovation. C’est une des grandes orientations, de l’« Agenda 2015-2018 », signé avec l’Union sociale pour l’habitat.
Ces résultats sont le fruit de l’action du Gouvernement, dans le cadre de la relance de la construction en faveur de l’accès au logement des ménages les plus modestes.
Ces efforts nécessitent cependant d’être poursuivis et pérennisés. Les mesures que j’évoquais y participeront incontestablement.
Je voudrais ensuite m’attarder sur la proposition, inscrite à l’article 2, de relever les plafonds d’accès au logement social. Elle nous paraît inadaptée à la réalité et à la mission du parc social.
En effet, nous devons promouvoir des parcours résidentiels ascendants et inciter ainsi les familles qui le peuvent à se tourner vers le parc locatif intermédiaire, privé dans certains cas, ou vers l’accession sociale à la propriété.
En 2009, la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion avait diminué de 10,3 % les plafonds de ressources pour l’attribution de logements sociaux. L’objectif était notamment d’accroître la mobilité dans le parc social et de le recentrer sur sa mission première, mais aussi de contrebalancer la hausse mécanique des plafonds de ressources indexés sur le SMIC horaire, qui avait augmenté lors du passage aux 35 heures.
Aujourd’hui, 66 % des ménages se situent sous les plafonds de ressources PLUS et 81 % sous les plafonds PLS. Ainsi, une très large majorité de nos concitoyens a déjà accès à la demande de logement social.
On relève pour autant que le fichier national ne comptabilise que très peu de demandeurs PLS. Ainsi, notre travail est avant tout de sensibiliser ces ménages et de faire évoluer l’image du parc social.
En outre, il me paraît antinomique de vouloir augmenter le plafond de ressources ouvrant théoriquement droit au parc de logements, alors même que l’on souhaite en prioriser l’attribution aux ménages les plus modestes. Je rappelle que les demandes demeurent supérieures à l’offre disponible, et ce malgré l’effort important de l’État pour soutenir la production de logements sociaux depuis plusieurs années.
Les ménages dont les ressources sont supérieures aux plafonds du logement social ont vocation à s’orienter notamment vers le logement intermédiaire. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) C’est que le Gouvernement promeut depuis quelques années. Je rappelle que cela a un effet moindre sur les finances publiques.
J’évoquais le Pinel. Je pourrais également mentionner la constitution de deux fonds créés avec le concours de la Caisse des dépôts et consignations. Ils permettront de construire 35 000 logements intermédiaires d’ici à 2019, principalement en zones tendues.
Je serais incomplète si je n’évoquais pas le prêt à taux zéro, qui a été significativement renforcé, dans le neuf et l’ancien, en loi de finances pour 2016. Il permettra ainsi à des ménages aux ressources modestes ou moyennes, et surtout aux jeunes, d’accéder plus facilement à la propriété et de sortir ainsi du secteur locatif.
Nous savons en effet que l’achat est une aspiration partagée par nombre de nos compatriotes. Par le prêt à taux zéro, l’État les accompagne dans leur réalisation.
À « l’accès au logement social du plus grand nombre », que vous prônez, y compris dans l’intitulé de la proposition de loi, nous préférons « l’accès au logement pour tous ».
Le modèle français du logement social constitue un pilier central de cette politique. Par son rôle redistributeur et régulateur, il est l’instrument qui permet à près de 4,7 millions de ménages de bénéficier d’un logement abordable.
Mais, pour être réellement efficaces dans la lutte contre le mal-logement, nous devons mobiliser tous les leviers qui sont à notre disposition et intervenir sur l’ensemble des formes de logement, du très social à l’investissement locatif.
La thématique de l’accès au logement est indissociable de celle sur la mixité, notamment sociale. Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, elle est présentée comme un « ciment du pacte républicain ». Nous nous retrouvons sur ce point.
C’est pourquoi, quinze ans après l’adoption de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, il est apparu nécessaire de réformer certains des outils. Le projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté, qui passera en conseil des ministres au mois de mars, y contribuera. Son volet « logement » prévoit en effet de rénover la politique d’attribution des logements sociaux, la fixation des loyers, et de favoriser une meilleure répartition du parc social dans les territoires.
Vous le voyez, au travers de la politique qu’il met en œuvre, le Gouvernement ambitionne d’accompagner les parcours résidentiels et les projets de vie de nos concitoyens, en agissant de manière globale et cohérente sur l’ensemble des segments du marché du logement, sans les opposer, que ce soit sur l’accession à la propriété, le logement intermédiaire, la rénovation et, bien entendu, le logement social.
Le Gouvernement entend enfin adapter l’ensemble de ses outils aux problématiques qui se posent de manière différenciée selon les territoires, et donner les moyens d’œuvrer pour un aménagement harmonieux de nos villes et de nos quartiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE. – Mme la rapporteur pour avis applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays connaît depuis de nombreuses années une grave crise du logement. Nous le savons tous dans cet hémicycle. Nous savons tous également que l’engagement de campagne du Président de la République de faire construire 500 000 logements par an d’ici à 2017, dont 150 000 logements sociaux, ne sera pas respecté. C’est bien regrettable ; c’est le moins que l’on puisse dire.
D’après le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre, plus de 3 800 000 personnes sont mal logées en 2016. Environ 900 000 personnes sont privées de domicile personnel, dont 140 000 sont sans domicile fixe.
Au-delà des 4 300 000 personnes qui occupent des logements surpeuplés, la situation de nos concitoyens au regard de leur logement est de plus en plus contrainte. Le logement est le premier poste de dépenses des ménages, et les prix de l’immobilier ont parfois tellement augmenté ces vingt dernières années qu’ils ont tout simplement conduit à l’exclusion de nombreuses personnes de certaines zones urbaines.
Cette situation d’exclusion de nos concitoyens par les prix est d’autant plus paradoxale que l’une des spécificités économiques de la France est que l’épargne de nos ménages, historiquement abondante, a majoritairement été orientée vers la pierre. Le livret A en est l’un des exemples les plus significatifs, puisque l’une des missions historiques de la Caisse des dépôts était justement de financer la construction du logement social grâce à l’épargne des Français.
En 2014, la Caisse a ainsi consenti plus de 16 milliards d’euros de prêts en vue de la construction ou de la réhabilitation de logements sociaux. Toutefois, le logement social ne représente pas l’horizon indépassable de toute politique du logement en France. À cet égard, la Caisse des dépôts a su diversifier ses activités en développant des filiales dédiées au logement intermédiaire.
Je crois que nous pouvons ainsi dessiner les grandes lignes de la question du logement en France. Tout le monde a besoin d’un logement, mais tout le monde ne souhaite pas nécessairement demeurer toute sa vie dans un logement social. En outre, au-delà de cet arbitrage, se pose la question du financement, aussi bien du logement social que du logement intermédiaire.
Aussi, le principal mérite de la proposition de loi de nos collègues communistes est de poser clairement la question. Faut-il sacrifier les efforts budgétaires et fiscaux de la Nation en faveur du logement intermédiaire pour stimuler le développement de l’offre de logements sociaux auprès de nos concitoyens les plus modestes et des classes moyennes ?
Cela revient à dire qu’il faudrait par nature favoriser le logement social sur les autres formes de logement en raison des modalités publiques de son financement.
Nos collègues du groupe communiste nous donnent une vision très nette du modèle qu’ils proposent en matière de politique du logement. Cela se résume en trois points : suppression des avantages fiscaux liés au logement intermédiaire ; extension du périmètre du logement social ; saupoudrage de dépenses publiques pour combler les manques ici et là.
C’est, peu ou prou, la dynamique qui apparaît à la lecture des trois articles de la présente proposition de loi. Vous en conviendrez, mes chers collègues, au regard de l’enjeu pour nos concitoyens, c’est très insuffisant.
Pour ma part, je ne suis pas favorable à ce que l’on favorise principalement le logement social comme forme du logement en France. Nous avons des besoins très clairs en la matière. Mais je ne comprends pas que, lorsque l’on observe la nature du mal-logement ou les difficultés d’accès au logement pour les plus démunis de nos concitoyens, on s’attache prioritairement à augmenter de 10 % les conditions de ressources permettant d’accéder au logement social.
Cela est d’autant plus regrettable que ce type d’initiative cristallise les oppositions sur un sujet devenu hautement symbolique depuis l’entrée en vigueur de la loi SRU. À cet égard, la position des élus locaux et des maires est très claire : le logement social n’est pas la solution unique à la crise du logement en France. Cette offre sociale n’est pas de nature à satisfaire la totalité de la demande ; vous le savez très bien.
Dès lors, il n’est pas légitime de sacrifier sur l’autel du financement du logement social le logement intermédiaire, qui devrait être naturellement destiné aux classes moyennes.
Certes, je peux comprendre qu’il soit tentant de supprimer ces dispositifs d’incitation fiscale, et je vois bien l’avantage budgétaire que nous pourrions tirer de la suppression du Pinel.
Pourtant, cela ne serait pas opportun : ces dispositifs fiscaux d’incitation à la construction semblent fonctionner. D’après les services de la commission des finances, plus de 750 000 logements auraient été construits ces trente dernières années au moyen des dispositifs Robien, Scellier ou autre Pinel.
Le véritable problème vient de la difficulté de dynamiser le fonctionnement du marché de la construction. Le prix du foncier, principalement en zone tendue, est un frein financier considérable. Les coûts de construction ne cessent de croître. Il y a, certes, le coût du travail, mais on ne mesure pas suffisamment le coût des normes de construction et leurs conséquences sur les chantiers.
Nous devrions, me semble-t-il, développer l’aide aux maires constructeurs, ce que l’on a commencé à faire. Si l’on veut obtenir une vraie mixité sociale, si l’on veut permettre un parcours résidentiel, ce que tous les élus semblent appeler de leurs vœux, il faut faire plus confiance aux maires et accroître leurs droits d’attribution dans les logements sociaux. Aujourd’hui, le taux de 20 % est très insuffisant ; c’est un frein à la construction de logements dans beaucoup de communes.
Mme Isabelle Debré. Absolument !
M. Vincent Delahaye. Quand un maire veut construire dans sa commune, les habitants lui répondent : « pas à côté de chez moi » ou « de préférence dans la commune voisine » !
Il me semble que nous devons être beaucoup plus ambitieux sur le soutien envers les maires et tous les élus qui souhaitent construire et le font de manière équilibrée.
M. Jean-Pierre Bosino. Nous sommes d’accord avec cela !
M. Vincent Delahaye. Il faut du logement social, du logement intermédiaire et de l’accession à la propriété. Les politiques publiques doivent favoriser cette diversité. (Mme Françoise Gatel applaudit.)
Je ne comprends pas la volonté d’augmenter le nombre de personnes pouvant avoir accès au logement social, alors que nous avons déjà des difficultés dans toutes les zones tendues pour répondre aux besoins des candidats qui se manifestent en nombre.
Voilà les questions que nous devrions traiter en priorité si nous souhaitons dynamiser le secteur du logement en France. Et encore, ce ne serait qu’une première étape. La congestion initiale du marché du logement conduit mécaniquement à freiner la circulation des logements déjà construits. Notre système fiscal alimente cette rétention. Sur ma proposition, le Sénat avait ainsi adopté au mois de décembre dernier une réforme de notre régime des plus-values immobilières, dont la finalité est justement de fluidifier le marché, donc l’accès au logement.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe UDI-UC ne soutiendront pas cette proposition de loi, conformément à la position adoptée par la commission des finances. Ce texte a le mérite de poser une bonne question, pas celui d’y apporter une vraie réponse.
Nous devrons poursuivre la réflexion à l’horizon de la prochaine loi de finances. Toutefois, il est bien évident que ce n'est pas en sacrifiant le soutien au logement intermédiaire au profit du logement social que l'on résoudra la crise du logement en France. Les réponses sont donc encore à définir. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. - Mme la rapporteur pour avis, applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je le constate, nous partageons assez largement, semble-t-il, l’idée que la quasi-suppression des aides à la pierre est un mauvais choix pour garantir le droit au logement.
Nos propositions permettraient d’augmenter significativement ces dernières, sans passer par une pression financière accrue sur les bailleurs, contrairement au choix effectué par le Gouvernement, qui, en créant un nouveau fonds national des aides à la pierre, confirme que les bailleurs sociaux sont les principaux financeurs des aides à la pierre. Un tel mécanisme revient à faire financer la construction nouvelle par les locataires eux-mêmes, indépendamment de toute idée de solidarité nationale.
Notre proposition de loi est claire. Nous souhaitons réorienter l’argent public, denrée rare et précieuse, vers la construction publique relevant de l’intérêt général. La suppression du dispositif Pinel est un pas en ce sens. Nous vous proposons de le compléter par une baisse du taux du CICE.
M. le rapporteur indique ne pas être favorable à cette suppression, parce que le dispositif serait trop jeune, fiscalement parlant. Il plaide ainsi pour la stabilité fiscale. Je dois le dire, en matière d’exonération fiscale, les gouvernements successifs ont le mérite de la stabilité ! (Sourires sur les travées du groupe CRC.) Ce qu’on appelle aujourd’hui le Pinel s’est appelé avant le Scellier, le Robien, le Besson ou le Borloo, même si un encadrement différent a essayé d’en limiter les effets négatifs. Chaque ministre du logement a eu sa niche fiscale. On est donc plus dans la continuité d’une politique d’exonération fiscale, sur laquelle nous devons avoir des données fines permettant une analyse, pour une prise de décision.
Au regard des éléments dont nous disposons, nous considérons que tous ces dispositifs n’ont pas fait la démonstration de leur pertinence en la matière. La construction immobilière qui en est issue n’est pas celle qui répond aux besoins et à la demande ; vous n’avez pas abordé ce sujet, madame la secrétaire d’État.
En termes de surface, notamment, le Pinel conduit, comme précédemment, à construire des logements de quarante et un mètres carrés en moyenne, alors que la surface moyenne nationale des appartements est de soixante-trois mètres carrés. Les débats en commission ont par ailleurs soulevé les problèmes en matière de qualité du bâti et d’absence de lien entre le territoire et le bailleur.
Autre critique, et non des moindres, nous avons besoin de logements aux loyers accessibles. Les prix de location de ces logements avec cette aide fiscale sont environ 20 % moins hauts que les prix du marché, ce qui est encore beaucoup trop élevé pour la grande majorité des demandeurs.
Nous devons donc être pragmatiques, a fortiori alors que le périmètre d’éligibilité du dispositif a été élargi aux descendants et aux ascendants des propriétaires.
Qui peut contester qu’il s’agit clairement d’une niche fiscale permettant aux ménages les plus aisés de payer moins d’impôt ? Pour notre part, nous considérons que l’argent public doit être mieux utilisé.
Vous nous accusez également de ne vouloir que du logement public au détriment du logement privé. Cet argument n’est pas recevable. Nous ne contestons pas l’intérêt du logement privé. Nous souhaitons même qu’un effort particulier soit effectué en faveur de la réhabilitation de l’habitat dégradé privé. Nous intervenons régulièrement, et depuis fort longtemps, pour l’augmentation des crédits de l’Agence nationale de l’habitat, l’ANAH. Nous disons simplement que le logement public doit faire l’objet d’une attention et d’un financement prioritaires par les pouvoirs publics. Nous déplorons d’ailleurs le désengagement de l’État sur tous les fronts, y compris sur le financement de l’ANRU ou de l’ANAH.
En revanche, vous ne pouvez pas soutenir l’idée d’un marché totalement libre et dérégulé tout en exigeant que ce marché soit soutenu très fortement par l’État via des dispositifs fiscaux financés par les impôts de tous. Cet assistanat à la promotion privée est un luxe dont l’État n’a aujourd’hui plus les moyens.
Nous parlons en effet de sommes importantes, en l’occurrence 1,8 milliard d’euros pour le logement. Ces sommes seraient mieux employées sous forme d’aides à la pierre pour construire du logement accessible et répondre à la demande, qui est immense. Je le rappelle, 1,8 million de nos concitoyens attendent un logement social, et ils sont plus de 5 millions à souffrir de loyers excessifs dans le privé. Les pouvoirs publics doivent répondre à cette urgence. À travers l’article 2 de cette proposition de loi, et par cohérence avec l’article précédent, nous souhaitons accroître la mixité sociale, ciment de la République, en rehaussant les plafonds d’accès au logement social.
En effet, en 2009, lors l’examen du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, ou MOLLE, présenté par Mme Boutin, les plafonds d’accès au logement social ont été abaissés de 10 %. Je rappelle d’ailleurs que le Sénat avait à l’époque voté contre cette mesure.
Nous proposons simplement de revenir sur cette erreur. Elle a conduit à sortir du parc social nombre de nos concitoyens pour y faire rentrer des personnes toujours plus fragilisées, entraînant, avec le dispositif de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, ou DALO, une paupérisation globale du parc HLM, au sein duquel les locataires sont 70 % à être en situation de très grande pauvreté.
Aujourd’hui, les personnes les plus fragiles sont bloquées dans un parc ancien, le plus dégradé et le moins cher, créant des poches d’exclusion et de mal-vivre cumulant tous les handicaps. Parallèlement, le parc neuf peine à trouver des locataires, puisque, faute de subventions publiques à la hauteur, les prix de sorties sont trop élevés pour les capacités contributives réelles des personnes éligibles aujourd’hui au parc social. C’est une double impasse.
Nous défendons une vision généraliste du logement social. Nous croyons que la politique publique du logement est le meilleur des leviers pour garantir le brassage des populations, dont nous avons plus besoin que jamais ; c’est l’une des conditions de la reconstruction de la République.
Il faut d’ailleurs le rappeler, le logement public a été le lieu de l’innovation, de la modernité architecturale. Non, le logement social n’est pas forcément laid et gris ! Inversement, le logement privé n’est pas forcément beau et coloré. Pour nous, le logement social, c’est un bâti de qualité qui répond à des normes environnementales de grande exigence. Nous devons retrouver cette ambition !
Il faut également cesser de penser qu’on traitera de l’accueil de la diversité des populations par la politique spécifique de la ville, qui souffre, comme toutes les politiques publiques, de l’austérité.
Permettre la mixité réelle et le vivre-ensemble, ce n’est pas seulement lié à l’intelligence des commissions d’attribution ou à la création de programmes « mixtes ». C’est aussi permettre de loger, au sein du parc social, des populations encore plus diverses. En tant que maire, je suis régulièrement confrontée à ces enjeux.
À nos yeux, les dispositions de cette proposition de loi font avancer le droit au logement, en réaffectant des crédits à la construction publique, faisant en sorte que la société multiple et plurielle qui fait la richesse et la force de notre culture commune puisse s’épanouir pleinement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)