Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, présentée par nos collègues du groupe socialiste et républicain, nous permet, une nouvelle fois, d’aborder la délicate question de l’avenir de l’agriculture française dans cet hémicycle.
Il y a tout juste deux semaines, il était également question, dans ce même lieu, d’une agriculture française forte et diversifiée, au travers de la proposition de loi de notre collègue Jean-Claude Lenoir du groupe Les Républicains, visant à favoriser la compétitivité de l’agriculture et la filière agroalimentaire.
Demain et vendredi prochain se tiendra le comité de l’agriculture de l’OCDE et le conseil Agriculture et pêche de l’Union européenne se réunira, la semaine prochaine, de manière informelle. Il y a, en effet, urgence !
Oui, l’agriculture est en crise. Oui, des réponses structurelles et conjoncturelles doivent être apportées par nos gouvernants, et c’est également notre devoir de parlementaires.
Ces dispositifs sont très attendus par les agriculteurs, bien sûr, mais aussi par tous les Français, car l’agriculture fait partie intégrante de notre identité. C’est aussi un moteur économique très puissant et un facteur essentiel d’aménagement de notre territoire, notamment en zone de montagne.
Dans ce contexte, comment passer sous silence l’attitude de l’Assemblée nationale, qui n’a pas souhaité examiner, en première lecture, la proposition de loi transmise par le Sénat, qui vise pourtant à apporter des réponses adaptées aux problèmes de l’agriculture et aux filières agroalimentaires ?
M. Antoine Lefèvre. C’est scandaleux !
Mme Patricia Morhet-Richaud. Alors que la crise agricole n’a jamais été aussi grave, comment devons-nous interpréter la motion de rejet préalable de vos collègues socialistes, chers collègues, vous qui portez cette résolution ?
Comment interpréter l’absence d’amendement de votre part, lors des deux lectures au Sénat, sur la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire ?
Comment expliquer à nos agriculteurs et éleveurs, sur nos territoires, que certains élus de la République n’ont pas jugé utile d’étudier un texte, qui a donné lieu à un important travail parlementaire, en commission et en séance publique ?
Le constat serait-il différent selon que l’on siège d’un côté ou de l’autre de l’hémicycle ? Le mal qui gangrène l’agriculture française, nous l’avons tous identifié. Je crois que nous partageons tous la même vision ; elle doit nous conduire à répondre à l’urgence de la situation.
C’est pourquoi je reste convaincue que l’amélioration de la transparence sur l’origine des produits alimentaires et le souci de mieux partager la valeur ajoutée, tout au long de la chaîne d’approvisionnement alimentaire du producteur au consommateur, est une nécessité.
L’instauration d’une conférence agricole annuelle s’inscrit dans cette perspective, tout comme l’utilisation d’indicateurs d’évolution de coûts pour garantir des prix rémunérateurs.
L’investissement doit aussi être soutenu. La création d’un livret vert pourrait permettre de drainer l’épargne populaire vers les secteurs agricole et alimentaire.
La gestion des risques doit aussi faire l’objet d’améliorations visant, d’une part, à reporter les échéances des emprunts en cas de crise et, d’autre part, à assouplir le mode de calcul du seuil de déclenchement de la déduction pour aléas. La gestion collective des risques doit être amplifiée, car elle permet de garantir une couverture acceptable.
Enfin, face à la volatilité des marchés et à la concurrence internationale, l’allégement des charges qui pèsent sur les exploitants agricoles, qu’elles soient administratives ou financières, doit aussi être acté, faute de quoi de nombreuses exploitations agricoles disparaîtront demain.
Mes chers collègues, ce n’est pas une résolution qui va régler le problème de l’agriculture française. Aussi, comme ma collègue l’a dit tout à l’heure, notre groupe s’abstiendra sur ce texte.
Nous attendons du Gouvernement qu’il mette en place des politiques publiques adaptées et prenne un engagement fort, qu’il soit en capacité de relayer à l’échelle européenne.
Nous devons tout faire pour préserver nos savoir-faire et nos produits de qualité et renforcer la compétitivité de notre agriculture et des filières, afin de sauvegarder les emplois dans nos territoires et d’entretenir l’espace. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Bataille.
Mme Delphine Bataille. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française compte parmi les plus grandes au monde. Au sein de l’Union européenne, la France occupe, depuis une quinzaine d’années, la troisième place des pays exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires, toutes destinations confondues. Elle reste le premier exportateur vers les pays hors Union européenne.
Son excédent d’échanges en matière agricole dépasse les 10 milliards d’euros et, avec ses 475 000 exploitations qui créent 73 milliards d’euros de produits agricoles, notre pays est aussi le premier producteur européen, comme le premier en termes de surface agricole utilisée, avec plus de 25 millions d’hectares.
M. Jean-Paul Emorine. Non, 28 millions !
Mme Delphine Bataille. L’agriculture constitue donc une composante d’une importance stratégique pour notre pays et l’un des piliers de nos territoires. C’est dire l’importance des enjeux et des répercussions de la crise actuelle des filières agricoles pour les économies française et européenne.
Cette proposition de résolution vise à apporter des réponses structurelles, dans le contexte actuel de crise profonde. Elle pose les bases d’un débat nécessaire sur l’évolution de la politique agricole commune, car il nous faut nous adapter aux nouvelles orientations européennes. En effet, le mouvement de réforme de la PAC, lancé depuis une dizaine d’années, a nettement aggravé l’exposition des agriculteurs aux risques des marchés. De nombreuses exploitations, davantage exposées aux fluctuations des cours, se trouvent aujourd’hui très fragilisées et risquent de disparaître.
Quoi qu’en pense la première oratrice du groupe Les Républicains, dont l’intervention, partisane et polémique, n’honore pas notre assemblée et constitue une insulte aux agriculteurs et à l’action de nos collègues sur leurs territoires (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), la mobilisation du Gouvernement et votre engagement, monsieur le ministre, ont permis, outre les mesures prises au niveau national pour répondre à l’urgence de la situation – ces mesures ont été déclinées par Henri Cabanel tout à l’heure –, de préserver au mieux le budget de la PAC, les aides couplées et un certain nombre d’outils pour la gestion de crises.
Néanmoins, la baisse des prix et la disparition des outils de régulation des marchés en Europe affectent le niveau moyen du revenu agricole.
De plus, les aides directes, qui constituent encore un puissant stabilisateur des revenus, sont menacées par les contraintes budgétaires. Pour sécuriser les revenus, la question des outils de gestion des risques agricoles devient donc cruciale.
Il existe déjà plusieurs dispositifs pour faire face aux aléas climatiques et sanitaires, comme le fonds de mutualisation sanitaire et environnemental ou le contrat socle, récemment mis en place et encore sous-utilisé, malheureusement, mais le risque économique lié notamment à la volatilité des prix n’est pas suffisamment couvert.
Certains pays, comme les États-Unis ou le Canada, ont développé des outils pour répondre à ces aléas économiques et faire face aux fluctuations des revenus. L’expérience nord-américaine montre que trois familles d’instruments peuvent coexister : les filets de sécurités pour pallier des situations catastrophiques, les outils de lissage des prix et des revenus et les instruments de cession du risque.
Toutefois, la mise en œuvre de ces outils n’est rendue possible qu’au prix d’un interventionnisme très fort et très coûteux de l’État. Par ailleurs, certains de ces dispositifs font l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part des organisations environnementales.
Plus récemment, des outils privés de gestion des risques et des expériences professionnelles se sont développés, en Europe, dans certaines productions. De nombreux acteurs institutionnels et universitaires mènent des réflexions sur des modes d’accompagnement plus pérennes et sur ces instruments de gestion de l’aléa économique.
Les solutions et les enjeux étant connus, il semble indispensable d’agir au plus vite, tant au niveau national qu’européen.
Aujourd’hui, seule la France, avec des alliés comme l’Espagne et l’Italie, a la capacité d’être leader sur ces orientations de la politique agricole européenne.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Delphine Bataille. Aussi, nous ne pouvons que soutenir les auteurs .de cette proposition de résolution dans leur invitation à engager des discussions, dès les prochains rendez-vous européens et internationaux. Monsieur le ministre, nous savons pouvoir compter sur votre détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’agriculture française souffre. Nous le savons et nous devons réagir par des mesures efficaces, des réformes structurelles et des textes ambitieux.
La proposition de résolution qui nous est présentée aborde la notion de l’aléa économique en agriculture. Les agriculteurs font face, il est vrai, à la volatilité des marchés mondiaux des matières premières agricoles et à la variation des prix. Ces facteurs sont difficilement supportables pour les exploitants. Un agriculteur vendra une tonne de blé tel jour à tel prix et découvrira, le lendemain, qu’elle aura augmenté de 50 %. Est-ce son rôle d’être un trader ?
Il est nécessaire de sécuriser le revenu des agriculteurs. C’est ce à quoi encourage cette proposition de résolution, dont les auteurs souhaitent le développement d’outils de gestion de cet aléa économique au niveau européen.
Le Gouvernement est invité à agir, dans le cadre des réflexions menées sur la politique agricole commune d’après 2020, pour construire un système de mutualisation du risque économique, et à aborder ce sujet dès les rendez-vous internationaux de demain, à l’OCDE, et de la semaine prochaine, lors de la réunion informelle du Conseil « Agriculture et pêche » de l’Union européenne.
Nous pouvons observer les mécanismes de prise en charge de cet aléa qui existent déjà dans d’autres pays, tel le dispositif américain de prix garantis. Cette proposition de résolution semble donc évidemment consensuelle. Elle invite notamment le Gouvernement à « poursuivre son engagement en faveur d’une agriculture française forte et diversifiée ». Personne ne peut s’opposer à cela…
Toutefois, chers collègues, nous avons débattu, dans cette assemblée, en décembre et mars derniers, de la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire. Pourquoi ne pas avoir apporté plus d’éléments sur la gestion de l’aléa économique dans ce texte ?
La proposition de loi sénatoriale contenait des dispositions pertinentes, puisque le Gouvernement en a repris plusieurs : la révision du dispositif de déduction pour aléas, afin de permettre aux exploitants de mobiliser plus facilement cette réserve financière ; l’assouplissement de la définition de l’aléa économique ; l’extension du dispositif de suramortissement des investissements aux bâtiments d’élevage et de stockage réalisés.
Enfin, le Gouvernement a annoncé qu’il reprendrait d’autres mesures encore, telles que la référence au prix payé au producteur dans les contrats commerciaux, la non-cessibilité des contrats laitiers et la simplification en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE. La proposition de loi n’était donc pas si mauvaise que cela !
Il reste, certes, beaucoup de travail sur la gestion de l’aléa économique, mais nous avions au moins commencé à avancer sur ce point. Je regrette que vous n’ayez pas souhaité y prendre davantage part et que vous ayez préféré élaborer cette proposition de résolution.
Néanmoins, je reconnais que ce texte peut constituer un appui pour le Gouvernement, afin que celui-ci agisse au niveau européen.
Je profite de cette discussion générale, monsieur le ministre, pour vous indiquer d’autres facteurs qui pénalisent gravement les agriculteurs et qui, à ce titre, méritent d’être abordés.
Dans mon département de la Haute-Savoie, plus spécialement dans ma commune, agriculteurs et maraîchers m’expliquent qu’ils souffrent d’une concurrence déloyale entre pays européens. Ainsi, les produits phytosanitaires utilisés sont différents selon les pays : certains sont tolérés quand d’autres ne le sont pas. Les normes ne sont pas les mêmes, par exemple en Espagne, les produits se retrouvant pourtant sur les mêmes marchés.
Nos agriculteurs bénéficient, bien sûr, d’outils de prise en charge des aléas climatiques, environnementaux et sanitaires, via le Fonds national de gestion des risques en agriculture et via l’outil fiscal qu’est la dotation pour aléas.
Pourtant, certaines difficultés subsistent, notamment en ce qui concerne les maraîchers dont les surfaces de production sont limitées. Des problèmes de coût, tout d’abord : le coût de l’assurance étant trop élevé, certains maraîchers m’indiquent qu’ils ne peuvent pas assurer leurs parcelles.
En outre, le système d’assurance fonctionne sur une unité de base d’un hectare. Lorsqu’un hectare d’une même culture est endommagé, l’agriculteur est indemnisé. Mais la situation se révèle problématique pour les maraîchers, puisque, durant l’année, ils ont généralement plusieurs cultures sur un même hectare.
Monsieur le ministre, je vous remercie, pour les exploitants qui m’ont alerté, de prendre en compte ces difficultés, qui sont les leurs, mais aussi certainement celles de nombreux autres agriculteurs. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord me féliciter, comme chaque fois d’ailleurs, du débat qui nous réunit.
Si certains peuvent penser qu’il s’agit de débats très politiciens, au fond, quand on en arrive à la conclusion, on constate, comme la dernière intervention vient de le montrer, qu’il y a des choses qui avancent : il y en a qui font consensus, d’autres qui font dissensus, mais cela fait partie du débat démocratique.
Je crois que le Sénat a, sur la question agricole, des choses à dire, et cette proposition de résolution s’inscrit dans un calendrier assez précis. Tom Vilsack, le secrétaire d’État à l’agriculture américain, vient ainsi à Paris et coprésidera demain avec moi la réunion ministérielle de l’OCDE, qui va réunir à peu près vingt-cinq ministres de pays appartenant à cette organisation, ce qui est important en termes de participation.
Ensuite, il y aura au mois de mai prochain, à Amsterdam, un conseil informel où sera évoqué l’avenir de la politique agricole commune, qui comprendra sûrement deux étapes : l’avenir immédiat, c'est-à-dire l’évaluation à mi-parcours, en 2017, et l’avenir d’une nouvelle politique agricole commune, pour 2020.
Les sujets qui vous ont beaucoup occupés dans vos interventions et qui vous préoccupent sont, bien sûr, liés à la crise que traverse l’agriculture, en particulier l’élevage français, mais aussi européen. Cela a été rappelé, il y a eu des manifestations même en Grande-Bretagne. Et j’ajouterai : même en Finlande, où entre 500 et 1 000 agriculteurs ont manifesté avec leur tracteur, ce qui était du jamais vu ! C’est bien la preuve que le problème se pose à l’échelle européenne.
Je l’avais dit lors du conseil des ministres extraordinaire qui s’est tenu au début de l’année et répété lors de celui du 14 mars dernier, on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas un problème de surproduction à l’échelle européenne, en particulier pour le lait.
J’ai déjà dû l’indiquer devant le Sénat : nous en étions à plus de 52 000 tonnes de poudre de lait stockée au mois de février, alors qu’on en avait stocké 40 000 tonnes sur toute l’année 2015. Au début de ce mois, et c’est la preuve d'une surproduction, on a atteint le plafond d’intervention, soit 109 000 tonnes. D’ores et déjà est donc stocké en poudre de lait l’équivalent du plafond. C'est dire à quelle vitesse vont les choses !
Or ceux qui refusent de discuter d’un minimum d’organisation de la stabilisation de la production sont souvent les mêmes qui ont recours à l’intervention. On ne peut pas et augmenter sa production et ne pas vouloir de régulation, et aller solliciter l’intervention publique. C’est là un sujet que je vais rappeler, et je suis très heureux que le Parlement européen ait décidé d’organiser le 20 mai prochain la réunion que nous avions demandée. J’ai eu une discussion hier avec l’interprofession laitière pour qu’une position française puisse être dégagée et défendue.
Tout cela doit être l’occasion de pousser dans le sens que nous souhaitons, c'est-à-dire faire en sorte qu’il y ait une responsabilité européenne par rapport à la crise que nous traversons et que nous ne soyons pas en concurrence les uns avec les autres, les uns contre les autres.
L’un de vous a évoqué les délocalisations de production. Il y a en a plus aujourd'hui au sein même d’un pays comme la France, par exemple, avec la fin des quotas laitiers – on voit bien qu’il y a des risques très importants de transferts de production laitière de régions françaises vers d’autres – qu’à l’échelle européenne où, au contraire, sauf dans quelques pays, on est en train d’augmenter la production.
De ce côté, la France est parfaitement respectueuse des engagements pris en 2008 sur une augmentation, certes, mais une augmentation acceptée et acceptable de la production laitière, qui s'est accrue de 1,5 % à 2 % l’an dernier. On va dépasser les 24 milliards ou 25 milliards de litres, mais, dans d’autres pays – je pense notamment à l’Allemagne –, cela fait cinq ou six ans que l’on est à des niveaux d’augmentation de la production de 2,5 %, 3 % ou 3,5 %. L’Irlande est même passée au-dessus des 6 %. Ces augmentations se cumulent et rendent plus que jamais nécessaires des décisions de régulation.
Cependant, au-delà de ces éléments, le débat d’aujourd'hui porte sur un autre sujet, qui est un sujet de fond.
Il y a un budget de développement agricole et rural de la politique agricole commune. Si je prends l’exemple de la France, les aides qui sont versées dans le premier pilier et dans le deuxième pilier avoisinent 8,5 milliards d’euros. Elles comprennent des aides à l’hectare, des aides couplées, des aides de compensation des handicaps naturels, etc.
Ces 8,5 milliards d’euros constituent en quelque sorte un forfait versé tous les ans, quel que soit le niveau des prix du marché, donc de la rémunération que les agriculteurs peuvent attendre de la vente de leurs produits.
Dans la logique des aides découplées, dont il a été rappelé que c’était une spécificité européenne, l’idée au début de la réforme de la PAC était d’ailleurs de verser la même aide à l’hectare partout, de manière forfaitaire et équivalente, et de laisser les agriculteurs choisir, en fonction des opportunités de marché, leurs productions sur les hectares aidés. C’est cela la stratégie du découplage, ce qui peut entraîner des effets de bascule et de balancier d’une production à l’autre. Ainsi, au moment où j’ai pris mes fonctions, du fait des difficultés de l’élevage, une partie des éleveurs a « basculé » du côté de la production céréalière et végétale. Cela a donc existé.
Au moment de la réforme de la politique agricole commune, je n’ai pas souhaité accepter la logique du découplage à 100 % sur toutes les aides, et c’est pourquoi je me suis battu pour des aides couplées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez justement rappelé que, aux États-Unis, il reste des aides couplées. Qu’est-ce qu’une aide couplée ? C’est une aide qui est destinée à soutenir une production de manière spécifique. En revanche, quand vous êtes à l’aide forfaitaire à l’hectare, on vous aide et on vous demande des contreparties environnementales, mais, pour ce qui est de la production, c’est le marché qui décide.
Le débat entre aides découplées et aides couplées est donc déjà un débat de fond, qui rejoint la préoccupation qui est la vôtre : entre le libéralisme, qui voudrait que l’on aille vers 100 % d’aides découplées, et l’idée que la politique agricole commune doit garder des objectifs de choix de production, vous avez là une partie de l’explication et de ce qui se joue à l’échelle européenne.
M. Martial Bourquin. Tout à fait !
M. Stéphane Le Foll, ministre. Si j’ai obtenu des aides couplées alors qu’un certain nombre de pays n’en voulaient pas, c’est parce que j’ai trouvé une majorité à l’échelle européenne.
Cette majorité que j’appelle la « banane verte », par opposition à la « banane bleue » souvent indiquée par les géographes du centre urbain de l’Europe, correspond aussi, cela m’a frappé, à une certaine conception de l’agriculture, en particulier de l’élevage, un élevage qui n’est pas uniquement industriel et dans des bâtiments, mais intègre aussi l’élevage en plein air, en particulier pour le lait et pour la viande bovine. Vous regarderez sur la carte : l’Irlande, la France, l’Espagne, le Portugal, l’Italie, puis on remonte vers la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie et la Pologne. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Cette majorité est liée à une conception de l’agriculture et elle a fait le choix de refuser le découplage totalisé qui nous conduit à avoir une logique unique de marché. C’est le premier point, et il est très important.
Deuxième point, quand il y a une crise sur les prix, avec une perte de 20 % à 30 %, ces aides européennes à hauteur de 8,5 milliards d’euros ne permettent plus – soyons objectifs entre nous – aux agriculteurs d’y faire face. La preuve en est que nous avons débattu, et logiquement et légitimement, du plan de soutien à l’élevage.
Du fait aussi que dans les crises sanitaires, que ce soit pour l’influenza aviaire dans le Sud-Ouest aujourd'hui ou pour la fièvre catarrhale ovine que l’on a connue dès la fin de l’année dernière, ou encore pour la sécheresse – avec le FNGRA, le Fonds national de gestion des risques en agriculture –, nous avons l’obligation de soutenir les agriculteurs.
Il y a une aide, forfaitaire en quelque sorte, de 8,5 milliards d’euros, et 1 milliard d’euros lorsque nous sommes confrontés à une crise. Il y a donc là un sujet majeur.
On pourrait défendre l’idée que, si les prix étaient définitivement fixés et encadrés, le problème ne se poserait plus. Toutefois, le bonheur n’est pas toujours aussi facile à trouver !
Notre agriculture est exportatrice – on a l’impression parfois que, pour certains, c’est un gros mot ! – de champagne, de vin, de blé, de viande, de foie gras, donc de produits de qualité, qui sont demandés à l’échelle mondiale, exportatrice aussi d’une image. Mais, dès lors que l’on est sur le marché mondial, on n’est plus uniquement entre nous. Les prix que l’on pourrait fixer ici changeraient ailleurs et, de toute façon, nous serions affectés.
Je prends le cas du lait : 24 milliards à 25 milliards de litres produits en France et l’équivalent de 8 milliards de litres exportés, que ce soit sous forme de poudre, de beurre ou de produits transformés. Si nous devions considérer que tout ce qui est produit en France doit y être consommé, il nous faudrait consommer l’équivalent de 8 milliards de litres de lait supplémentaires ! Et je n’ose même pas parler du vin : s’il fallait que l’on consomme chez nous tout ce que l’on importe, les séances seraient beaucoup moins longues au Sénat, ou au contraire beaucoup plus longues… (Sourires.) Ailleurs aussi, d’ailleurs !
C’est donc impossible. On peut toujours rêver à une forme idéale de système, mais il faut tenir compte des conséquences sur une réalité qui est, pour le ministre de l’agriculture, celle d’une agriculture qui a aussi vocation à exporter des produits, en particulier des produits de qualité.
La volatilité a trois causes, dont j’ai parlé tout à l’heure.
Il s’agit tout d’abord des crises sanitaires, dont chacun ici mesure les conséquences.
Il s’agit ensuite des crises climatiques, qui parfois se succèdent et qui sont de deux types, celles qui sont liées aux inondations ou à la grêle et celles qui sont liées aux sécheresses. Le réchauffement climatique a en l’occurrence une conséquence concrète : il augmente les fréquences des aléas climatiques et, ce faisant, il en accroît aussi l’intensité. Lorsqu’il y a des problèmes d’inondation ou de grêle, comme on a pu en connaître depuis que je suis arrivé dans ce ministère, on a affaire à des phénomènes d’une violence extrême. De la même manière, on a bien sûr connu des sécheresses dans le passé, mais, désormais, elles ont des conséquences économiques, en particulier pour l’élevage, qui sont également extrêmes.
Il s’agit enfin, et dans le même temps, de la volatilité des prix sur le marché.
Il y a donc là trois causes, trois effets qui nécessitent effectivement que l’on ait bien en tête – c’est l’objet de cette résolution – la nécessité de mettre en place des mécanismes pour compenser les crises, mais aussi pour permettre aux agriculteurs de faire des provisions ou de se constituer une épargne de précaution. En effet, il est bien sûr nécessaire que l’État soit là pour faire face aux conséquences des crises, mais on a aussi besoin d’amortisseurs plus forts. Vous les avez d’ailleurs cités dans vos interventions.
Nous avons ajusté la DPA, dotation qui fonctionne mieux que la DPI, avec laquelle la défiscalisation profitait d’abord à l’investissement.
En fait, vous investissez quand les prix sont bons et que vous avez de bons revenus. Si vous devez rembourser quand les prix sont plus bas, vous vous trouvez coincés entre vos annuités de remboursement et les investissements que vous avez faits alors que vous aviez de la marge. Si les prix restent trop bas pendant trop longtemps, comme c’est le cas actuellement, alors vous vous demandez à l’État de vous aider ; c’est le débat sur les années blanches et les reports d’annuités. C’est logique, et c'est la raison pour laquelle il faut que nous ayons un système beaucoup plus contracyclique.
Nous devons être capables quand les prix sont élevés de permettre aux agriculteurs d’accéder à des mécanismes mutualisés, assurantiels. En somme, il s’agit d’une épargne de précaution, que l’on mutualise ensuite, pour faire en sorte que la volatilité liée aux aléas sanitaires, climatiques et économiques puisse être compensée par des mécanismes d’amortissement évitant que des agriculteurs ne soient confrontés à des pertes brutales de revenus qui remettent en cause la pérennité des exploitations.