M. Jacques Chiron. Entre 2007 et 2012, c’était pire !
Mme Fabienne Keller. Les mesures adoptées par le Gouvernement pour réduire le coût du travail et stimuler la compétitivité ne permettent pas de renforcer immédiatement la confiance des entreprises.
La compétitivité du pays reste une source d’inquiétude pour la Commission européenne, qui estime que la contribution nette des exportations au produit intérieur brut devrait rester négative jusqu’en 2017. J’en profite pour apporter une précision : si la Commission européenne relève une augmentation des exportations depuis la fin de l’année 2014, elle y voit non pas une dynamique structurelle, mais plutôt l’effet de la dépréciation de l’euro, qui profite à deux secteurs, l’énergie et les transports.
La croissance est également conditionnée par l’impact des charges réglementaire et fiscale qui pèsent sur les entreprises françaises. Sur la question des salaires, la Commission européenne pointe que l’ensemble des charges ainsi que la limitation du travail contribuent à un coût de la main-d’œuvre élevée dans l’Union européenne. Elle rappelle aussi le niveau élevé des charges fiscales sur les emplois, de l’ordre de 30 % du coût horaire total, contre 24 % en moyenne au sein de l’Union européenne, et juge insuffisantes les mesures adoptées pour réduire le coût du travail.
Le rapport de la Commission européenne porte aussi sur la trajectoire budgétaire : la France a été plus lente dans la réduction de son déficit que le reste de la zone euro. Nous ne pouvons donc pas nous satisfaire de la faible amélioration de la situation budgétaire.
M. Jacques Chiron. En Espagne, c’est mieux ?…
Mme Fabienne Keller. Seuls l’Espagne, le Portugal et la Grèce se trouvent dans une situation plus mauvaise. La France enregistre le deuxième ratio de dépense des administrations publiques – 57,5 % du PIB – derrière la Finlande – 58,3 % – et se place largement au-dessus de la moyenne de la zone euro. Ainsi, mes chers collègues, comme l’Italie, le Portugal, la Bulgarie et la Croatie, la France a été placée dans l’avant-dernière catégorie, celle des pays relevant de la procédure de déficit excessif.
J’en viens aux grandes lignes du programme de stabilité. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous féliciter de la présentation que vous en avez faite : elle est tout à fait remarquable et même, pourrait-on dire, très « communicante ».
M. Robert del Picchia. C’était le but !
Mme Fabienne Keller. Sans doute ! Reste que l’efficacité de la présentation ne résiste guère à l’analyse, comme l’a clairement démontré le rapporteur général de la commission des finances.
Ainsi, la dépense publique a continué à augmenter par rapport à 2011. Comment croire, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, que la masse salariale et les prestations sociales, en hausse jusqu’à 2015, baisseront d’ici à 2018 ? Nous serions curieux d’entendre les arguments et éléments factuels que vous pourrez nous apporter pour étayer ce changement de tendance, alors que la stratégie est la même. Nous savons tous que ce sont la baisse des charges d’intérêts et celle des investissements qui ont amélioré le solde budgétaire. Les tableaux de la commission des finances publiés sur les réseaux sociaux hier le démontrent clairement.
J’en viens au solde public. La France restera pour les trois prochaines années parmi les quatre pays les plus mal classés de la zone euro. Un peu comme l’horizon, la perspective d’une baisse de la dette publique globale, c’est-à-dire du stock de dettes, s’éloigne au fur et à mesure que l’on avance dans le quinquennat…
Monsieur le ministre, monsieur secrétaire d’État, cette analyse montre toutes les limites de vos propositions, alors qu’il y a une urgence absolue à redresser les finances publiques et à restaurer le cercle vertueux de la confiance. Je pense à la confiance des chefs d’entreprise dans l’établissement d’un cadre fiscal plus efficace et stable, alors que celui-ci a été tant chahuté au cours du mandat qui se termine. Je pense à la nécessaire confiance des salariés et des chefs d’entreprise dans un cadre social clarifié, simplifié, encourageant les employeurs et les créateurs d’emplois à recruter. Il faut un cercle vertueux qui marque son soutien aux acteurs économiques qui innovent pour construire l’économie et l’emploi de demain.
C’est bien par le rétablissement structurel du cadre fiscal, social, légal, et non par des mesures de dissimulation et de court terme, que les Français pourront retrouver la fierté d’un pays qui offre du travail et une place dans la société à ses enfants. C’est par le nouveau départ d’une économie créatrice d’emplois qu’un État recentré sur ses fonctions régaliennes pourra retrouver, cette fois de manière structurelle, les grands équilibres, à l’image des efforts qu’ont conduits nos partenaires européens.
M. Alain Richard. Que de généralités creuses !
Mme Fabienne Keller. Enfin, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, comment comprendre votre refus de soumettre au vote ce programme de stabilité ? Ces éléments de cadrage budgétaire devraient être validés par une majorité démocratiquement élue, mais nous connaissons vos difficultés…
Ce programme de stabilité ne traduit pas une ambition réelle de redressement de la France. Il n’assure pas notre rang et notre place sur le plan économique en Europe et dans le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons aborder la question de la trajectoire de nos finances publiques et du programme de stabilité en distinguant ce qui peut relever de l’affrontement et ce qui peut au contraire être partagé.
Il va de soi que le débat entre assainissement des finances publiques et soutien à la croissance est légitime ; les deux mesures doivent aller de pair et, si possible, se conjuguer. S’ensuit le débat sur le rythme des réductions budgétaires et sur celui de la réduction des déficits en conséquence. Tout cela dépend, on le sait, de l’appréciation de la situation économique du moment et des scénarios choisis en termes de croissance et d’inflation.
Il faut toujours choisir entre un scénario optimiste, un scénario plus pessimiste et un scénario moyen. Tous les gouvernements s’y essayent, toutes les majorités sont confrontées à cela. Le rapporteur général de la commission des finances a excellemment montré en commission l’extrême sensibilité de ces scénarios à des évolutions de la croissance, à la hausse ou à la baisse, ainsi qu’à l’évolution de la dépense publique, qui est sans doute l’une des principales questions qu’il nous appartient de traiter.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous mesurons la difficulté de la tâche, mais, ce constat une fois posé, nous mesurons aussi le chemin qui reste à parcourir au regard de notre situation.
Nous avons ainsi plusieurs points de différence majeurs avec le Gouvernement. Ainsi, nous pensons que les conditions économiques actuelles sont le produit de mauvaises décisions opérées ces dernières années, dont certaines ont été corrigées, mais seulement à la marge et un peu tard. Je regrette en particulier que la confusion sur la ligne économique et financière nous ait conduits là où nous sommes.
Fabienne Keller l’a rappelé : nous avons décroché par rapport au reste de l’Union européenne et de la zone euro. Nous sommes parmi les pays incapables de satisfaire à la règle des 3 %, et parmi les quelques rares grands pays dans ce cas. Nous avons décroché aussi du point de vue de la croissance comme de celui de la réduction des déficits. C’est une réalité, non un sujet de polémique : cette difficulté, notre pays doit la surmonter aujourd'hui et devra quoi qu’il arrive le faire demain.
Je ne nie pas les efforts réels et parfois substantiels qui ont été faits. Je pense au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, et à diverses tentatives de réformes, malheureusement souvent inabouties. Cependant, le constat est là : il nous faut redoubler d’efforts. De ce point de vue, je n’ai pas le sentiment que ce qui nous est proposé dans ce projet de programme de stabilité soit à la hauteur de l’effort qu’il nous reste à accomplir. C’est là tout l’objet du débat.
Il ne s’agit pas de nier que le Gouvernement a pris conscience des difficultés ; il s’agit bien plutôt de savoir si les solutions qui sont proposées sont à la hauteur des enjeux. Je ne le crois pas.
Nous sommes à la traîne. L’Allemagne a vu son produit intérieur brut augmenter de 1,7 % en 2015, le Royaume-Uni de 2,2 %, l’Espagne de 3,2 % et le Portugal de 1,6 %. Seule l’Italie fait moins bien que la France.
Cette situation a un impact sur notre trajectoire des finances publiques. En effet, quand la croissance est moindre, on a moins de moyens que les autres. Nous ne sommes donc pas près de sortir de nos difficultés. L’économie française est moins dynamique que celle de l’ensemble des pays de la zone euro, dont le produit intérieur brut a augmenté en 2015 de 1,5 %.
S’agissant du déficit public, la France fait l’objet d’une procédure de déficit excessif depuis 2009. À l’époque, quatorze États étaient dans ce cas ; en 2014, il en reste sept. Comme le soulignait la Commission européenne lors de la publication du déficit pour 2015, « depuis le début de la crise, la France a été plus lente dans la réduction de son déficit que le reste de la zone euro, d’où le contraste observé en matière d’évolution de la dette ». Tout est donc bien lié.
Dans la zone euro, seuls trois pays – la Grèce, l’Espagne et le Portugal – ont un niveau de déficit supérieur à la France. En moyenne, dans la zone euro, le déficit public se situe à 2,2 %. Nous en sommes loin !
Quant à la dette publique, elle continue d’augmenter, alors qu’elle recule dans la zone euro. Avec 95,7 % d’endettement public en 2015, la France est très au-dessus de la moyenne européenne, qui s’établit à 86,6 % du produit intérieur brut dans l’Union européenne, contre 92,1 % dans la zone euro.
Ces réalités sont connues et appelleraient une mobilisation plus forte. Est-ce le cas ? Je ne le crois pas. Certes, pour la première fois depuis longtemps, la France pourrait voir le taux de ses dépenses publiques légèrement baisser en 2016. Reste que celui-ci atteint un record avec 57 % de la richesse nationale en 2014. La France est ainsi le deuxième pays de l’OCDE en termes de dépenses publiques, avec un écart de 14 points de produit intérieur brut par rapport à la moyenne de ces pays et de 12 points par rapport à l’Allemagne. C’est là une difficulté sérieuse qu’il faudra traiter demain.
Ce niveau de la dépense publique pénalise la croissance et la compétitivité du pays. Le Gouvernement peine à prendre en compte cette réalité, même si je mesure à quel point les solutions sont complexes.
La conséquence est qu’en matière de prélèvements obligatoires, avec 45 % du produit intérieur brut, la France se situe au deuxième rang le plus élevé des pays de l’OCDE ; seul le Danemark fait mieux – ou pire, selon les opinions ! Le taux de prélèvements obligatoires de la France est de 7 points supérieur à celui de l’Allemagne et de 11 points supérieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. On mesure là aussi l’importance du travail qu’il nous faudra accomplir demain. De ce point de vue encore, le projet ne me paraît pas à la hauteur.
Certes, me direz-vous, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, il y a des « mieux », et vous citez à juste titre le résultat de 2015. On pourra toujours objecter que, quand on se donne un objectif qui nous paraissait, à nous, majorité sénatoriale, assez peu ambitieux, la moindre des choses, c’est de l’atteindre.
Vous avez fait mieux. Dont acte ! (M. le secrétaire d'État s’exclame.) Il serait d’ailleurs paradoxal que le fait que vous ayez corrigé certaines des erreurs commises depuis le début de ce quinquennat et soyez revenus sur un certain nombre de vos décisions ne produise aucun effet. Là aussi, dont acte. Quel qu’ait été le prix de ces revirements, il faut s’en féliciter !
En matière de réduction des déficits publics, nous avons plusieurs fois reporté le moment où l’objectif des 3 % serait atteint. Vous l’aviez annoncé pour 2013, ce sera en 2017. Restons vigilants pour être cette fois à l’heure !
Il faut prendre en compte un autre élément pour relativiser l’optimisme dont le Gouvernement – on le comprend ! – fait preuve à la veille de l’élection présidentielle : la Commission européenne, en raisonnant en termes de déficit structurel, établit une prévision de croissance inférieure de 0,3 point. Il nous faudrait alors trouver 26 milliards d’euros d’économies…
Beaucoup ont souligné les facteurs exogènes qui ont permis des améliorations que le Gouvernement ne manquera pas de citer – c’est la règle du jeu. Reste que les taux d’intérêt et le prix du pétrole sont pour beaucoup dans un certain nombre de ces améliorations. Tant mieux, mais cela nous paraît insuffisant.
Il faudra désormais travailler sur les facteurs endogènes : la compétitivité de la dépense publique, une vraie réforme du marché du travail, la taxation du travail. De ce point de vue, les mesures dans le domaine de la fiscalité nous laissent sur notre faim, tant dans le programme de stabilité que dans le programme de réforme.
Des risques pèsent sur la conjoncture internationale et sur la croissance elle-même, raison pour laquelle il faut se garder de tout excès d’optimisme. Nous avons noté qu’un certain nombre de dépenses étaient annoncées, dont le montant s’établit entre 4 milliards d’euros et 5 milliards d’euros. On verra bien lors de l’examen du prochain projet de loi de finances rectificative comment seront financées toutes ces dépenses, mais un certain nombre de signaux et de clignotants sont allumés !
M. le président. Veuillez conclure !
M. Vincent Capo-Canellas. Enfin, le Gouvernement a recalé les prévisions en matière d’inflation : il reste 4,6 milliards d’euros à trouver. Le Gouvernement a évoqué 2 milliards d’euros d’économies, 1,8 milliard d’euros liés à la baisse des taux d’intérêt et 0,8 milliard d’euros liés aux résultats de 2015. Pourquoi pas ?
Nous verrons lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative si ce programme de stabilité est un document d’affichage ou s’il aura été suivi d’effets. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le programme de stabilité qui fixe les grandes orientations économiques et budgétaires de la France pour les années 2016 à 2019 concerne toutes les administrations publiques : administrations centrales, administrations locales et administrations de sécurité sociale, dites « ASSO ».
Ces dernières représentent près de la moitié des dépenses et recettes de l’ensemble, soit environ 570 milliards d’euros en 2014, sur un montant total de 1 200 milliards d’euros. Elles sont donc un acteur essentiel de la stratégie de réduction des déficits et de baisse des taux de prélèvements mise en œuvre depuis 2012, ainsi que du programme national de réforme transmis avec le programme de stabilité à la Commission européenne, dans le cadre de la coordination des politiques économiques de l’Union européenne.
C’est pourquoi les commissions des affaires sociales du Parlement doivent pleinement s’associer aux travaux des commissions des finances consacrés au semestre européen. J’y suis d’autant plus attentif que, en 2012, l’examen du projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, qui a été adopté en application du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance et que j’ai rapporté pour avis, m’avait alerté sur le risque d’atrophie progressive du projet de loi de financement de la sécurité sociale et d’éviction des commissions des affaires sociales du champ des finances publiques. Nous pouvons encore nous améliorer sur ce point, me semble-t-il, même s’il est vrai que le calendrier de ce cycle budgétaire est extrêmement serré.
Au fond, ce programme de stabilité se caractérise par le maintien de l’essentiel des prévisions initiales en loi de finances pour 2016 – hormis l’indice d’inflation, fortement revu à la baisse, ce qui nécessitera une compensation de la moins-value mécaniquement entraînée – et la poursuite d’une stratégie associant mesures de rétablissement de l’équilibre des comptes publics – avec un objectif fixé en 2014 de réduction de 50 milliards d'euros de dépenses sur trois ans – et mesures en faveur de la croissance, avec la mise en œuvre du pacte de responsabilité et de solidarité.
Cette stratégie est-elle la bonne ? Le déficit public est ramené à 3,5 % du produit intérieur brut, en deçà des 3,8 % initialement prévus. Le taux de progression de la dépense publique est limité à 1 %, contre une moyenne de plus de 3 % entre 2007 et 2012. La dette publique est stabilisée. Le taux des prélèvements obligatoires est en recul pour la première fois depuis 2009. J’insiste bien sur le fait qu’il s’agit là non de projections, mais de résultats acquis.
Les administrations de sécurité sociale connaissent également un redressement plus rapide que prévu, comme le confirment les comptes arrêtés mi-mars par les caisses. La situation de toutes les branches s’améliore : le déficit de l’assurance maladie se réduit à 5,8 milliards d’euros, soit 1,5 milliard d’euros de mieux. L’assurance vieillesse réalise 300 millions d’euros de mieux, la branche famille 200 millions d’euros de mieux, la branche accidents du travail et maladies professionnelles 800 millions d’euros de mieux. Si le Fonds de solidarité vieillesse augmente – je ne l’oublie pas – son déficit de 100 millions d’euros, celui du régime général est ramené à 6,6 milliards d’euros, contre 9 milliards d’euros initialement attendus. Ainsi, en seulement quatre ans, le déficit du régime général a été divisé par trois et retrouve son plus bas niveau depuis quatorze ans.
Ce redressement des comptes est-il réalisé au détriment des droits des administrés ? Non, et là est l’essentiel, car le rétablissement des comptes publics n’a de sens que s’il est mis au service d’un projet de société de progrès et de mieux-vivre partagé par tous. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Or l’amélioration qui se dessine est réalisée sans réduire la protection sociale des assurés et a permis, tout au contraire, la création de droits nouveaux.
Le programme de stabilité 2016-2019 confirme ce choix d’équilibre en ne portant pas les objectifs d’efforts structurels au niveau recommandé par la Commission européenne, ce qui impliquerait 26 milliards d’euros d’économies supplémentaires, mais détruirait, selon l’estimation de Mme le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, 150 000 emplois et coûterait un point de produit intérieur brut à l’horizon de 2017.
Le plan de réduction des déficits est donc poursuivi de manière cohérente et mesurée, dans le cadre de prévisions de croissance et de reprise des créations d’emploi qui ne sont pas contestées par le Haut Conseil des finances publiques. Celui-ci en effet estime que « la croissance pourrait se poursuivre, voire dépasser son rythme potentiel », sans méconnaître pour autant les risques liés à la restauration des contrôles aux frontières, à un éventuel Brexit ou à la persistance de fragilités bancaires de certains pays.
Ce programme se traduit pour les administrations de sécurité sociale par une économie de 5,3 milliards d’euros en 2016 et de 8,8 milliards d’euros en 2017. Un ajustement sera nécessaire pour compenser les pertes liées à la faible inflation et notamment pour le financement du plan emploi, du plan d’urgence pour les agriculteurs et des mesures en faveur des jeunes engagés depuis le mois de janvier 2016.
Le comité d’alerte a publié le 13 avril dernier son avis anticipant l’exécution de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, pour 2016 sur la base de réalisation de l’année précédente. S’il prend date au mois de mai prochain pour mesurer les effets des mesures de maîtrise des dépenses associées à l’ONDAM, il souligne toutefois d’ores et déjà des dépenses de soins de ville plus élevées que prévu et un aléa sur les dépenses de médicaments lié aux nouveaux traitements contre le cancer.
La loi de modernisation de notre système de santé apporte des réponses à ces préoccupations en poursuivant les réformes structurelles fixées dans le cadre de la stratégie nationale de santé. Leurs effets s’inscrivent dans les moyen et long termes, qu’il s’agisse de concrétiser le « virage ambulatoire », l’organisation des mutualisations hospitalières avec la création des groupements hospitaliers de territoire, le plan de promotion des médicaments génériques, le renforcement de la pertinence des soins ou l’appui aux structures interprofessionnelles.
À cet égard, je note d’ailleurs que l’argument d’un effet inflationniste imputé à la généralisation du tiers payant resurgit comme le monstre du Loch Ness. Il en a la même fonction – effrayer – et la même caractéristique : il est faux ! Comme le démontre l’expérience de la CMU, cette mesure produira un effet de rattrapage, source d’économies en soins retardés ; elle est d’ores et déjà pratiquée par une grande partie des professionnels de santé et par presque tous les pays européens, parmi lesquels la France fait figure d’exception. De grâce donc, sur ce point, félicitons-nous désormais de cet élargissement de l’accès aux soins et, ensemble, avançons. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mon tour à revenir sur la nature de ce débat, qui, beaucoup l’ont rappelé, n’est pas sanctionné par un vote
Mme Nicole Bricq. Dommage !
M. Michel Bouvard. Ce débat a pour but d’entendre l’avis du Parlement sur le projet de programme de stabilité. Puisque de grands rendez-vous nous attendent l’an prochain – l’élection présidentielle, les élections législatives –, il me semble nécessaire que l’on se pose la question de la place du Parlement.
En effet, le document qui nous est présenté aujourd'hui engage notre pays et a des conséquences sur l’exécution budgétaire, puisqu’en cours d’année, pour atteindre les objectifs, il faudra sans doute souvent récupérer de l’argent sur la réserve de précaution, voire mobiliser une partie des crédits de report. En d’autres termes, des modifications profondes par rapport à ce qui a été décidé par le Parlement au moment du vote de la loi de finances initiale seront apportées, sans qu’il faille même passer par un collectif budgétaire.
Je tiens à exprimer mon souhait que celles et ceux qui aspirent aux fonctions les plus importantes du pays se posent la question d’une éventuelle modification de la loi organique qui a été votée avant que ne soit instituée cette procédure, pour permettre au Parlement de s’exprimer pleinement et de voter sur le document transmis à la Commission européenne.
Bien évidemment, je me félicite de la réduction du déficit en 2015 – chacun peut s’en réjouir – et d’une progression de la dépense publique limitée à 0,9 point, même si le document remis par le Gouvernement précise que c’est hors crédit d’impôt. C’est la règle, mais cela doit nous inciter à rester vigilants sur l’évolution de la dépense fiscale, dont on sait qu’elle mine la recette et contribue durablement aux déséquilibres budgétaires que nous constatons depuis tant d’années.
Je ne me prononcerai pas sur les perspectives d’hypothèses macroéconomiques, les analyses pouvant en effet diverger, sinon pour formuler deux observations.
En premier lieu – cette observation a été formulée par le Haut Conseil des finances publiques –, je m’interroge sur le fait que, depuis trois ans, la France connaisse une contribution significative des stocks à la croissance. Or il est généralement observé que ce phénomène n’est pas durable au-delà de quatre ans.
En second lieu, je m’interroge sur les hypothèses de croissance qui ont été retenues. Or le Haut Conseil des finances publiques rappelle que la croissance potentielle présentée par le Gouvernement, soit 1,5 % pour les années 2016 et 2017, est désormais nettement supérieure aux estimations des organisations internationales, qui sont de l’ordre de 1,1 % à 1,2 % – je renvoie chacun au tableau qui fait apparaître ce décalage. On peut voir dans cette annonce du Gouvernement soit une expression de volontarisme et de croyance dans le redressement de notre situation économique, soit un élément de fragilité…
Au-delà de ces remarques, la question qui se pose est celle du décalage de notre pays par rapport au reste de l’Union européenne. Fabienne Keller, à l’instar du rapporteur général de la commission des finances, a excellemment rappelé la nature de ce décalage. En France, les efforts d’ajustements structurels sont plus limités que dans les autres pays soumis à la procédure de déficit excessif par la Commission européenne.
Pour ne parler que des pays de la zone euro, les ajustements structurels français se limitent à 3,1 % du produit intérieur brut, contre 4,5 % en Espagne, 5,6 % au Portugal et 6,2 % en Irlande. Nous sommes également le seul pays dont les dépenses publiques dans le produit intérieur brut ont crû au cours des cinq dernières années. Nous sommes encore le seul pays qui, pour limiter ses déficits, ait accru les prélèvements obligatoires pendant la même période. Cela signifie que les efforts structurels ne sont pas suffisants.
Certes, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je mesure combien il est difficile d’arbitrer entre une impérieuse austérité budgétaire et la nécessité de ne pas casser la croissance et de ne pas brutaliser le corps social. J’en suis conscient, mais je suis aussi conscient que les efforts qui nous ont permis de diminuer les déficits viennent aujourd’hui principalement de la réduction de l’investissement public…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui !
M. Michel Bouvard. … et d’un certain nombre d’« effets d’aubaine », qu’il s’agisse de la baisse des taux d’intérêt de la dette et du combat mené pour lutter contre la fraude fiscale.
Sur ces deux derniers points, il faut être conscient que les phénomènes en cause ne sont pas durables. En effet, pour la fraude fiscale, il existe des effets de stock : plus la lutte contre cette fraude sera efficace, moins il y aura de gens encore tentés de frauder et de dissimuler. Quant aux taux d’intérêt, ils finiront bien par augmenter à nouveau.
Ce dernier point m’amène d’ailleurs à vous interroger sur la stratégie de gestion de notre dette à long terme. La majeure partie de la dette publique a une maturité d’environ sept ou huit ans. Or l’Agence France Trésor a récemment procédé à une émission de bons à très long terme. Cette initiative sera-t-elle renouvelée ? Cela me paraîtrait une bonne stratégie au regard de la gestion de nos dettes dans la durée. En effet, un point supplémentaire de taux d’intérêt représente 2 milliards d’euros la première année et 3,5 milliards d’euros dès la seconde année.
L’investissement public a quant à lui reculé en France entre 2010 et 2015, selon le constat fait par la Cour des comptes, ce qui couvre donc une période antérieure à 2012. Cependant, il a encore diminué de 5 % l’an dernier, pour s’établir à 75,3 milliards d’euros.
Ce qui est préoccupant en la matière, au-delà des conséquences pour les collectivités territoriales, c’est que nos voisins, qui sont aussi nos concurrents, augmentent aujourd’hui leurs investissements publics en faveur des infrastructures, de la recherche et de l’éducation. Ils renforcent ainsi, pour le long terme, l’attractivité et les capacités économiques de leurs territoires.