M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 3, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Alinéas 2 à 24
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Il s’agit ici de supprimer les alinéas 2 à 24 pour bien montrer que notre divergence de fond n’est pas liée à l’existence du projet Cigéo.
En effet, le maintien de l’alinéa 1 offre le sursis nécessaire au dépôt de la demande d’autorisation de création du centre.
En revanche, je propose de supprimer les alinéas conduisant à une irréversibilité totale. On ne peut être d’accord avec la définition de la réversibilité donnée au II de l’article unique : « La réversibilité est la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. »
Il est ici question de « faire évoluer les solutions de gestion », mais pas d’un éventuel retour en arrière. Or, le principe même de la réversibilité, c’est précisément de pouvoir revenir en arrière !
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Masson, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Tout stockage souterrain de déchets radioactifs doit être réversible. La réversibilité implique qu’à tout moment dans l’avenir il soit possible de revenir à la situation antérieure dans des conditions techniques et financières acceptables.
La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Cet amendement vise à fixer la notion de réversibilité.
La définition que je propose est à la fois en bon français et honnête. Moi, je ne cherche pas à enfumer nos concitoyens !
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Abate, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 6, seconde phrase
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
trois
II. – Après l'alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Afin de garantir la participation des citoyens tout au long de la vie d’une installation de stockage en couche géologique profonde, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs élabore et met à jour tous les trois ans, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et le public, un plan directeur de l’exploitation de celle-ci.
La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Comme l’a souligné Christian Namy, nous considérons que la France est championne du monde en matière nucléaire, notamment dans la prise en compte des externalités, en particulier des déchets.
Trois conditions doivent être remplies pour que nous soyons effectivement « champion » : l’intérêt général doit toujours prévaloir, de manière indiscutable, dans les décisions de gestion et de pilotage de la production et de ses externalités ; cet intérêt général doit être porté par des acteurs publics ; la transparence doit être la règle. Jusqu’à présent, notre pays a pu s’enorgueillir d’avoir su remplir ces trois conditions.
S’agissant de la transparence, nous proposons, à travers cet amendement, de ramener le délai d’organisation des revues de mise en œuvre du principe de réversibilité de dix à trois ans. L’ANDRA devra ainsi élaborer et mettre à jour tous les trois ans un plan directeur d’exploitation après consultation, afin de mieux faire participer nos concitoyens, de les impliquer davantage, de manière plus régulière.
Personne n’ignore ici les oppositions au principe même de la création du site de Bure. D’une manière générale, personne n’ignore les craintes liées au nucléaire. Ces réticences peuvent être compréhensibles.
C'est la raison pour laquelle nous pensons qu’il est important d’ouvrir la concertation, de la favoriser le plus souvent possible. Nous devons nous prémunir contre toute opacité dans la prise de décision, dans l’avancement du projet et faire face au manque de confiance dans les experts, dans nos ingénieurs et dans cette capacité d’enfouir de manière absolument sécurisée et tout à fait réversible, cher monsieur Masson.
Car c’est de cela qu’il s’agit aujourd’hui, de la participation de nos concitoyens et de la confiance qu’ils doivent avoir dans le processus mis en œuvre à travers cette proposition de loi.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par Mme Tocqueville, MM. Roux, Guillaume, Filleul et Bérit-Débat, Mme Bonnefoy, MM. Camani et Cornano, Mme Herviaux, MM. Madrelle, J.C. Leroy, Miquel et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 19
1° Supprimer les mots :
, le cas échéant,
2° Remplacer les mots :
afin de prendre en compte
par les mots :
et prenant en compte, le cas échéant,
La parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. La réversibilité est une question sensible.
La proposition de loi prévoit de procéder par étapes pour fixer les conditions de cette réversibilité : au cours de la première étape, plusieurs rapports d’expertise doivent être réalisés pour rendre compte des résultats de la phase pilote – un rapport de l’ANDRA, un avis de la Commission nationale d’évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs, la CNE, et un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN ; la deuxième étape consiste dans la remise du rapport de l’ANDRA, accompagné des avis de la CNE et de l’ASN, à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques – OPECST – pour évaluation ; enfin, troisième et dernière étape, l’OPECST rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.
La proposition de loi initiale prévoyait une quatrième étape : la présentation, par le Gouvernement, d’un projet de loi fixant les conditions « d’exercice de la réversibilité du stockage pour la suite de son exploitation ».
Or l’adoption en commission du développement durable d’un amendement des auteurs de la proposition de loi a rendu en quelque sorte facultatif ce rendez-vous avec le Parlement.
Nous considérons au contraire que le dépôt d’un projet de loi est nécessaire. C’est à la loi qu’il revient de définir les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage.
Le Gouvernement pourrait évidemment tenir compte de l’avis des collectivités locales situées dans la zone concernée. Toutefois, en matière de déchets nucléaires, nous ne pouvons rester dans une certaine opacité, notamment s’agissant de choix, de technologies, qui concernent les générations futures, comme cela a été dit à plusieurs reprises.
Nous souhaitons que le Gouvernement présente un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage et prenant en compte, le cas échéant, les recommandations de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Raison, rapporteur. Monsieur Masson, j’ai bien noté votre incompréhension sur la définition même de la réversibilité. Cependant, la commission ne peut qu’émettre un avis défavorable sur votre amendement n° 3, qui vise à supprimer la quasi-totalité de la proposition de loi.
Votre second amendement est plus précis en ce qu’il cible plus particulièrement la réversibilité. Toutefois, il pose aussi un certain nombre de problèmes. Je peux comprendre que nous ne soyons pas d’accord sur la définition très particulière retenue dans le texte.
Cependant, votre amendement n° 2 dispose que « tout stockage souterrain de déchets radioactifs doit être réversible » et que la « réversibilité implique qu’à tout moment dans l’avenir il soit possible de revenir à la situation antérieure dans des conditions techniques et financières acceptables ».
Or, même si nous tombions d’accord sur la définition de la réversibilité, nous ne pourrions retenir une telle rédaction. En cas de désaccord sur un sujet aussi grave, on ne s’attarde pas sur les questions techniques et financières !
Pour ces raisons, la commission émet également un avis défavorable sur votre amendement n° 2.
Monsieur Abate, vous souhaitez revenir un peu plus souvent sur ce phénomène de réversibilité. Je comprends qu’un délai de dix ans puisse sembler long. Il s’agit d’une question de curseur. Vous proposez un délai de trois ans. Accepteriez-vous de modifier votre amendement pour passer à cinq ans ?
Dans la mesure où l’amendement de Mme Tocqueville semble satisfait, la commission souhaitait initialement en demander le retrait ; à défaut, elle aurait émis un avis défavorable.
Toutefois, je peux aisément comprendre qu’un dossier aussi difficile soulève de nombreuses interrogations. Cet amendement, qui n’est pas forcément nécessaire, ne perturbe pas l’équilibre du texte. C'est la raison pour laquelle, après avoir écouté vos arguments, j’ai décidé de m’en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État. L’amendement n° 3 de M. Masson tend à supprimer quasiment l’ensemble de cette proposition de loi, à la vider de sa substance. Le Gouvernement y est donc défavorable.
Dans votre amendement n° 2, monsieur Masson, vous proposez une définition de la réversibilité qui renvoie à un caractère acceptable des conditions techniques et financières, sans limite de durée. L’adoption d’une telle disposition apparaît introduire une incertitude dans la mise en œuvre de ce principe essentiel.
Tout ouvrage, même le mieux conçu, finit par vieillir. Introduire cette réversibilité sans limite de durée n’est pas réaliste et fait peser un risque de blocage du projet.
Pour ces raisons, monsieur Masson, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, je me verrai contrainte d’émettre un avis défavorable.
Monsieur Abate, si vous acceptez la proposition du rapporteur de ramener le délai à cinq ans, je m’en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée sur votre amendement.
J’ai bien entendu vos arguments, madame Tocqueville, et j’émets un avis favorable sur votre amendement n° 1 rectifié.
M. le président. Monsieur Abate, acceptez-vous de modifier votre amendement n° 4 rectifié dans le sens proposé par le rapporteur ?
M. Patrick Abate. Oui, sur le principe, monsieur le président.
Toutefois, j’aimerais que le rapporteur, en qui j’ai la plus grande confiance, nous explique si ses réticences sont liées à des problèmes techniques ou s’il estime simplement que tous les trois ans, c’est trop.
Si un délai de trois ans n’offre pas le recul suffisant et ne permet d’aboutir qu’à un travail bâclé, cela ne sert effectivement à rien. L’objectif de transparence ne serait pas atteint, ce qui serait contre-productif.
Si vous nous dites ici, et Mme la secrétaire d’État aussi, qu’un délai de cinq ans permet de disposer du recul nécessaire pour travailler efficacement et rendre un bon rapport, et par conséquent accroître la transparence, nous serons d’accord pour bouger.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Raison, rapporteur. Soyez rassuré, monsieur Abate : quoi qu’il arrive, les organisations concernées recevront chaque année tous les éléments. La lourdeur tient plus à la remise d’un rapport tous les trois ans.
Toujours est-il que, sur un tel sujet, le travail ne saurait être bâclé.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État. Monsieur Abate, la durée de trois ans nous paraît trop courte et les éléments seront donnés annuellement. Je crois plus raisonnable de retenir une durée supérieure.
M. Patrick Abate. Dans ces conditions, je rectifie mon amendement, monsieur le président !
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 4 rectifié bis, présenté par MM. Abate, Bosino et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi libellé :
I. – Alinéa 6, seconde phrase
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
cinq
II. – Après l'alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Afin de garantir la participation des citoyens tout au long de la vie d’une installation de stockage en couche géologique profonde, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs élabore et met à jour tous les cinq ans, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et le public, un plan directeur de l’exploitation de celle-ci.
La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Si vous me le permettez, monsieur le président, je m’exprimerai sur les quatre amendements, afin de gagner du temps.
M. le président. Soit !
M. Gérard Longuet. À mon collègue Jean Louis Masson, dont je connais la passion et dont je respecte la compétence – ingénieur des mines, c’est un esprit parfois surprenant (Sourires.), mais toujours réfléchi – je dirai, pour paraphraser une formule, que la réversibilité est un combat.
C’est un combat permanent contre trois risques. Le premier, c’est le risque géologique. C’est à mon avis le plus prévisible, le plus maîtrisé, et la stabilité géologique me rassure profondément.
Le deuxième risque est celui de la logistique cinétique, c’est-à-dire de la gestion, sur plusieurs dizaines d’années, de milliers de colis nucléaires. Il s’agit d’une affaire beaucoup plus compliquée. Comme l’a dit fort justement notre rapporteur, cela demande un très haut niveau de technicité, car nous sommes dans une logique de télémanipulation, de télécommande, de surveillance à distance où l’intervention humaine est extraordinairement difficile, avec une obligation absolue de compétence.
Le troisième risque est économique : il faut avoir l’argent pour faire fonctionner tout cela.
Des trois risques, le risque géologique est sans doute le moindre, même si je reconnais que l’argilite, par sa souplesse, assure l’étanchéité nécessaire. Toutefois, en raison d’une certaine souplesse toute relative, celle du béton, le retrait des colis est sans doute plus difficile que s’ils étaient enfouis dans le granit, par exemple – plus difficile, mais pas du tout impossible, monsieur Masson.
En revanche, chers collègues, considérez bien que la complexité d’approvisionnement va certainement amener les opérateurs et ceux qui les contrôlent à considérer qu’une fois les choses faites, il est préférable de ne pas prendre de risques supplémentaires. Et ce d’autant plus que se pose le problème du financement – certes non pas demain matin ni dans vingt ou trente ans, mais peut-être dans un siècle.
C'est la raison pour laquelle je pense que tous les rendez-vous de contrôle, tous les rendez-vous législatifs, sont pertinents. Ils permettront d’assurer le suivi de la réversibilité en direct et en fonction des découvertes que la création et l’exploitation du centre entraîneront.
Voilà pourquoi, cher monsieur Masson, si nous votons vos amendements, nous ne pourrons pas progresser intellectuellement. Et comme nous avons besoin de progresser intellectuellement, il faut voter le texte issu des travaux de la commission.
Cher collègue Abate, si je reconnais que, dix ans, c’est long, je pense que, trois ans, c’est trop court. Réfléchissez bien au fait que les investissements sont très lourds et qu’un industriel – sous-traitant, équipementier, systémier… – doit disposer d’une visibilité qui ne peut être remise en cause tous les trois ans. Cinq ans, je l’accepte ; j’aurais préféré en rester à dix ans, mais l’unanimité a un prix.
Je pense que l’amendement n° 1 rectifié n’est pas nécessaire, madame Tocqueville, si vous faites confiance au Gouvernement et au législateur ; nous, nous avons considéré que l’on pouvait faire confiance aux parlementaires, à travers l’OPECST. Mais votre amendement ne me pose franchement aucun problème, et si c’est le prix de l’unanimité, je suis prêt à le payer de bon cœur.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Si, à travers mon amendement n° 3, je souhaite supprimer les alinéas 2 à 24, c’est que je refuse d’entériner la non-réversibilité, c’est-à-dire l’irréversibilité !
Il est donc tout à fait logique que j’aie souhaité seulement maintenir le délai supplémentaire qui permet de se retourner et de recadrer les choses sur la base d’une réversibilité véritable.
S’agissant de mon amendement n° 2, la réversibilité suppose des conditions techniques et financières acceptables. C’est tout à fait clair, monsieur le rapporteur, et en tout état de cause c’est sans commune mesure avec la définition de la réversibilité qui est retenue dans cette proposition de loi.
Les dispositions de cet amendement pourraient même figurer dans le dictionnaire : il s’agit de la notion même, au sens physique du terme, de la réversibilité. Bien évidemment, je maintiens cet amendement.
Mme la secrétaire d’État a elle-même reconnu à l’instant le caractère irréversible de cet enfouissement en disant qu’au bout d’un certain nombre d’années, on ne pourra revenir en arrière. Madame la secrétaire d’État, vous avez parfaitement exprimé mon souci : sous l’apparence de la réversibilité, on fait de l’enfouissement irréversible !
Monsieur Abate, il me semble que, cinq ans, ce peut être la bonne jauge : trois ans, c’était un peu trop court ; dix ans, un peu trop long…
Toujours est-il que cet amendement n’apporte pas grand-chose : à partir du moment où l’on accepte le principe de l’irréversibilité, ça et rien, c’est pareil !
En revanche, je soutiendrai très activement l’amendement de Mme Tocqueville. Il me semble important de tenir un nouveau débat sur le sujet. Si cet amendement n’est pas plus rassurant que cela, c’est quand même mieux que rien !
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Mon explication de vote porte sur l’amendement de nos collègues du groupe CRC.
Par cet amendement n° 4 rectifié bis, M. Abate évoque les notions de confiance et de transparence. Il s’agit d’une question fondamentale.
À côté des sites nucléaires, dont Mme la secrétaire d’État a rappelé le nombre, et des établissements spécialisés, le rôle des commissions locales d’information doit être souligné. La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, dite « loi TSN », a donné un fondement législatif à ces commissions.
Je peux apporter mon modeste témoignage en tant qu’ancien président de la commission locale d’information de la centrale nucléaire de Chooz. La concertation entre les membres des trois collèges – le monde économique, les élus et les représentants des associations liées à l’environnement – est essentielle.
Nous devons nous efforcer de faire confiance aux ingénieurs, aux scientifiques et à l’ensemble des services qui travaillent dans ce domaine. Les organismes tels que l’IRSN ou l’ASN sont aussi là pour garantir le sérieux et la transparence de cette filière
Je soutiendrai la proposition du groupe CRC.
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. M. Longuet nous a expliqué que le risque géologique était le plus prévisible. En l’écoutant, je me disais que les ingénieurs allemands qui ont proposé du stockage en mine de sel ont dû tenir à peu près le même discours : pour eux, c’était encore là qu’il y avait le moins d’incertitudes… Las, ce n’était pas étanche et nos voisins d’outre-Rhin font face à un problème financier et environnemental extrêmement sérieux.
Je ne suis donc pas sûr que le risque géologique, surtout sur de longues durées, soit beaucoup plus prévisible que les autres risques.
Ce débat me surprend. Quand on aborde la question du nucléaire, l’acte de foi prend le dessus et l’on sort assez vite de la logique scientifique. (M. Bruno Sido sourit.) Il est difficile de voir dans le nucléaire la quintessence de notre capacité à trouver des solutions et d’admettre qu’il nous faut enfouir les déchets de manière irréversible faute de solution !
La logique scientifique est d’attendre, de ne surtout pas se mettre dans une situation irréversible. Or, comme l’a très bien dit Mme la secrétaire d’État, cet enfouissement est irréversible.
Je remercie M. Masson : par son amendement sur ce qui est récupérable ou non, il a totalement éclairci le débat. Dire que les déchets sont récupérables signifie que l’on a intégré techniquement le fait d’aller les rechercher pour un coût à peu près raisonnable.
Cet amendement est judicieux. L’avis défavorable du rapporteur et de Mme la secrétaire d’État est clair : il s’agit bien d’aller vers quelque chose d’irréversible, soit parce qu’on ne sait pas faire autrement, soit en raison du coût.
Je suis d’ailleurs très surpris qu’on ne parle pas davantage de l’aspect financier. Où allez-vous trouver les 6 milliards d’euros nécessaires selon l’ANDRA ? On ne les a pas !
Je ne comprends pas cette précipitation, si ce n’est en raison d’un autre élément qui n’est pas de même nature, mais qui a tout de même été évoqué par plusieurs intervenants : trouver de l’argent pour certains territoires en difficulté.
Je suis un fervent partisan de l’aménagement du territoire. Il me semble tout à fait légitime de ne pas laisser la concurrence entre les territoires fracturer notre pays comme cela se passe aujourd’hui entre l’Ouest et l’Est – et c’est un élu de l’Ouest qui en parle !
Il faut trouver aujourd’hui des financements pour des projets industriels sérieux pour l’est de la France. Ce projet n’est pas sérieux ! Discutons avec les élus de l’Est en vue d’un véritable aménagement du territoire. Ce n’est certainement ce projet qui le permettra !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Lenoir. J’avoue que je n’avais pas prévu de prendre la parole, soucieux de ne pas prolonger les débats, mais ce que vient de dire notre collègue Ronan Dantec constitue un aveu.
Pourquoi les écologistes dénoncent-ils la solution industrielle proposée ? Il s’agit bien d’une solution industrielle : il n’est pas question de creuser des trous et d’enfouir des caissons pour les oublier. La France est d’ailleurs le seul pays au monde à s’engager dans un processus aussi élaboré.
Si les écologistes sont contre, c’est tout simplement parce qu’ils veulent tuer le nucléaire : comme ils ne peuvent y parvenir en s’attaquant aux maillons qui précèdent, ils essaient de s’en prendre au dernier. (M. Ronan Dantec s’exclame.) À l’Assemblée nationale, il y a eu une expression émanant d’un député, qui n’est pas de mon groupe politique, qui parlait de la constipation du nucléaire.
L’objectif avoué des écologistes est bien celui-là. Ronan Dantec l’a d’ailleurs exprimé en dénonçant en des termes étranges la solution à laquelle travaille un certain nombre de personnes.
Je sais que les écologistes estiment que les ingénieurs et scientifiques qui se penchent sur ces questions sont des incompétents et des incapables et que les parlementaires qui défendent à la fois ces entreprises et ces solutions à travers des lois qui sont votées ne valent pas mieux. Mais, ne l’oubliez pas, mon cher collègue, les lois votées sur le nucléaire ont rassemblé la quasi-unanimité des parlementaires,…
M. Ronan Dantec. De moins en moins !
M. Jean-Claude Lenoir. … à l’exception de ceux de votre groupe. Nous respectons votre position, mais n’avancez pas des arguments qui ne tiennent absolument pas la route,…
M. Ronan Dantec. Prenez au moins la peine de répondre à ces arguments, alors !
M. Jean-Claude Lenoir. … et qui, permettez-moi de vous le dire, sont tout à fait réversibles ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'article unique, modifié.
(L'article unique est adopté.)
Article additionnel après l'article unique
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Mézard, est ainsi libellé :
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après la première phrase de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 542-12 du code de l’environnement, est insérée une phrase ainsi rédigée :
« Elle communique cette évaluation aux présidents des commissions parlementaires compétentes en matière de finances, d'énergie et de développement durable. »
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L'estimation des charges du projet Cigéo fait l'objet de controverses entre les exploitants d'installations nucléaires et l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA.
L'article L. 542–12 du code de l'environnement prévoit que l'ANDRA propose au ministre chargé de l'énergie une évaluation des coûts afférents à la mise en œuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue selon leur nature.
Il revient au ministre chargé de l'énergie d'arrêter l'évaluation de ces coûts et de la rendre publique, après avoir recueilli l'avis des principaux producteurs de déchets radioactifs et après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Notre amendement tend à prévoir la transmission de l'évaluation de l'ANDRA aux présidents des commissions des finances, des commissions des affaires économiques et des commissions du développement durable de chaque assemblée parlementaire.
Nous considérons que, eu égard au rôle du Parlement dont ce texte offre une nouvelle illustration, il s’agirait d’une avancée démocratique.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Michel Raison, rapporteur. L’adoption de cet amendement permettra d’améliorer encore la transparence, notamment en matière de chiffres. Or nous savons combien l’amélioration de la transparence facilite l’acceptation du dossier lui-même.
Quelques questions ont été soulevées en commission sur le coût du site de Bure auxquelles je suis aujourd’hui en mesure d’apporter une réponse. Depuis sa création, Bure aura coûté, en fonctionnement et en investissement – le site compte 150 salariés – environ 2 milliards d’euros.
S’agissant du coût futur – M. Dantec en a parlé –, on peut se lancer dans une bataille de chiffres, mais cela n’aboutira à rien. En effet, entre 20 milliards d’euros et 35 milliards d’euros, il existe une marge ! Je le rappelle tout de même, ce coût est calculé sur 150 ans. Quoi qu’il en soit, il convient de procéder, le plus régulièrement possible, à des estimations.
La commission est donc favorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État. Monsieur Mézard, la proposition de l’ANDRA est rendue publique au moment où le Gouvernement arrête les coûts. Elle est donc a fortiori connue des présidents des commissions des finances, des commissions des affaires économiques et des commissions du développement durable de chaque assemblée parlementaire.
Ces commissions peuvent bien sûr auditionner l’ANDRA, afin de disposer de tous les éclairages nécessaires.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.