M. Jacques Bigot. Certains, y compris au sein de mon groupe, se sont posé des questions sur les atteintes aux libertés qui viennent d’être dénoncées par l’oratrice précédente.
M. Pierre-Yves Collombat. Tiens, les socialistes se souviennent du passé ! (Sourires sur les travées du RDSE, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. Jacques Bigot. Cependant, nous nous sommes tous efforcés d’être pragmatiques, tout en veillant à respecter un cadre fondamental à nos yeux, celui de la Convention européenne des droits de l’homme.
M. Jacques Mézard. Vous avez surtout eu le souci de l’opinion publique !
M. Jacques Bigot. Malgré les difficultés, nous avons cherché cet équilibre.
Ce fut le cas en particulier lorsque nous avons abordé la question de la perpétuité réelle. Nous avons été confrontés à la désinformation, qui court dans toute la France, selon laquelle la perpétuité ne serait pas appliquée aujourd'hui lorsqu’un aménagement de peine est possible au bout de vingt-deux ans, exceptionnellement au bout de trente ans. C’est faux !
Nous avons eu du mal, y compris le président de la commission, à expliquer que non, il y a bien des personnes encore détenues aujourd'hui, alors qu’elles ont été condamnées à la perpétuité, et qui n’ont pas obtenu de la part des juges des aménagements de peine.
Dans le même temps, et la Cour européenne des droits de l’homme a eu raison de le rappeler, nous sommes restés dans l’esprit de la Convention européenne, madame Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. On verra !
M. Jacques Bigot. Nous avons effectivement fait en sorte qu’un aménagement soit possible au bout d’un temps important, soit trente ans, afin de sortir de cette situation.
Par ailleurs, si devait se produire le cas exceptionnel d’un terroriste exprimant un repentir tel qu’il mériterait de bénéficier d’une grâce, il existe dans notre Constitution la grâce présidentielle. Celle-ci peut certes apparaître comme une exception monarchique, mais il faut rappeler qu’elle existe et qu’elle correspond à une réalité.
Pour en revenir à cette mesure qui a beaucoup fait débat au sein de mon groupe, il reste pour nous difficile de penser que, au bout de trente ans, il sera véritablement possible de solliciter l’avis des victimes. Je leur souhaite, trente ans après la condamnation du terroriste, d’être parvenues à surmonter leur traumatisme. Quoi qu’il en soit, sera-t-il pertinent, même trente ans après, de leur faire revivre cet épisode ? C’est une autre histoire ; d’ici à trente ans, ceux qui nous succéderont n’auront peut-être pas le même avis que nous sur cette question.
Nous avons veillé sur d’autres points encore à mettre en place des dispositifs plus pragmatiques. L’évolution de la procédure pénale est également au cœur de ce texte. Au-delà de la question du terrorisme et du crime organisé, cette évolution – nous le verrons lors du retour au Sénat du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle – donne de plus en plus de place au juge des libertés et renvoie à des perspectives qui ne sont sans doute pas complètement satisfaisantes le juge d’instruction. Ce dernier sera peu à peu amené à disparaître, dans une procédure pénale qui doit s’adapter elle aussi à l’ensemble des procédures européennes.
Le procureur de la République a de plus en plus de pouvoir. L’article 24, issu de la rédaction de l’Assemblée nationale, était allé très loin dans le respect du contradictoire, de manière satisfaisante dans l’absolu à mes yeux, mais complètement illusoire en l’état des moyens de la justice. Le débat sur ces sujets, monsieur le garde des sceaux, devra continuer au mois de décembre prochain, lorsque vous viendrez réclamer au Parlement un peu plus de moyens pour la justice.
M. Jacques Bigot. Certes, mais si l’on arrivait à obtenir un peu plus, ce serait déjà bien !
Au sein de la commission mixte paritaire, nous avons fait un effort, Mme Cukierman y a fait référence, pour satisfaire les inquiétudes de Bercy sur un article bien précis. En contrepartie, Bercy pourrait peut-être donner un peu plus de moyens à la justice, notamment au procureur de la République.
Qu’il me soit permis également de dire un mot de la question des moyens accordés à l’administration pénitentiaire, à laquelle on demande beaucoup. Il y a bien des choses que vous souhaitez voir respecter, madame Cécile Cukierman. Nous pourrions tous dans cet hémicycle réaffirmer un certain nombre de principes.
Toutefois, la réalité, dont nous devons tous être conscients, est celle des moyens ! Quand j’entends tout ce qui se passe dans les prisons, notamment grâce à l’usage dangereux du téléphone portable, je me dis qu’il faut bien trouver des solutions pour faire respecter l’interdiction de ces appareils. (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
Mme Cécile Cukierman. Passerez-vous les détenus aux rayons X ?
M. Jacques Bigot. Certes, des moyens nouveaux peuvent être mis en œuvre, mais ils supposent de l’argent. Il faut aussi faire des efforts pour accroître le nombre de personnels, même si le Gouvernement s’y est attelé.
Monsieur le rapporteur, vous n’avez eu que dix minutes pour vous exprimer. Je n’oserai pas utiliser les quatorze minutes qui me sont accordées, afin de ne pas donner le sentiment d’en faire plus que vous, qui avez fait tant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la version issue de la commission mixte paritaire du projet de loi visant à lutter contre le terrorisme et le crime organisé.
Force est de constater que, depuis son dépôt en février dernier, ce texte a été modifié en profondeur et significativement allongé, toujours dans le sens du durcissement et du « tout sécuritaire ».
Le texte initial comportait trente-quatre articles. Il en compte aujourd’hui près d’une centaine.
Mme Esther Benbassa. Une centaine d’articles, donc, dont la plupart ont des conséquences directes sur les libertés et droits fondamentaux de nos concitoyens, élaborés et examinés en procédure accélérée et finalement adoptés en moins de quatre mois.
Si certains considèrent parfois, à raison souvent, que le Parlement fait preuve de lenteur dans l’adoption des réformes et qu’il est fréquemment en retard sur les évolutions que la société a acceptées depuis longtemps, ce projet de loi, qui contient tant de mesures contestables, aurait en revanche mérité un examen bien plus approfondi.
Ces cent articles nous permettront-ils de lutter efficacement contre le terrorisme ? Peut-être – c’est ce que nous souhaitons tous. Reviennent-ils à brader nos valeurs démocratiques et républicaines ? Cela ne fait pas de doute, au moins pour certains d’entre eux.
Je ne me lancerai pas dans un inventaire à la Prévert de toutes les dispositions qui amèneront le groupe écologiste, dans sa majorité, à s’opposer à ce texte. Les six minutes qui me sont attribuées ne me le permettent pas.
Je voudrais toutefois revenir sur deux dispositions qui me semblent être emblématiques des reniements dont beaucoup ont fait preuve lors de l’examen de ce texte.
La première concerne la fouille des détenus. L’article 32, introduit sur l’initiative du Gouvernement, prévoit la possibilité de recourir aux fouilles intégrales « dans des lieux et pour une période de temps déterminés, indépendamment de la personnalité des personnes détenues […] lorsqu’il existe des raisons sérieuses de soupçonner l’introduction au sein de l’établissement pénitentiaire d’objets ou de substances interdits ou constituant une menace pour la sécurité des personnes ou des biens ».
Une décision de fouille pourrait dès lors s’appliquer à une personne sur le fondement exclusif du lieu dans lequel elle se trouve, le parloir par exemple.
Cette disposition, qui permet de rétablir le caractère systématique des fouilles à nu, constitue, à n’en pas douter, un important recul du respect des droits fondamentaux. Elle a d’ailleurs été dénoncée avec force par l’Observatoire international des prisons et par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan.
Cette mesure aura également pour conséquence certaine la condamnation de la France, une nouvelle fois, par la Cour européenne des droits de l’homme au titre de l’article 3 de la Convention, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants.
Toutefois, les défenseurs des droits fondamentaux ne sont que des empêcheurs de tourner en rond et chaque personne qui s’insurge est accusée de ne pas soutenir la lutte contre le terrorisme !
Je dois vous le dire, mes chers collègues, je ne suis vraiment pas convaincue que l’humiliation de détenus vivant déjà dans des conditions indignes contribuera à la sécurité des établissements pénitentiaires et à la lutte contre le terrorisme.
Je ne suis pas certaine non plus, et c’est l’autre disposition sur laquelle je voulais revenir, que l’instauration d’une « perpétuité réelle » pour les crimes terroristes soit de nature à dissuader les candidats à l’attentat suicide.
Le texte de la commission mixte paritaire allonge la période de sûreté de vingt-deux à trente ans, et l’aménagement de la peine est rendu quasiment impossible. De surcroît, les conditions d’examen par le tribunal d’application des peines des demandes de relèvement de la période de sûreté seront très strictement encadrées et ne pourront intervenir qu’après une incarcération minimale de trente ans.
Il n’est plus permis d’en douter, la lutte contre le terrorisme est devenue une fin qui justifie tous les moyens, même ceux que la plupart d’entre nous, sur les travées de gauche au moins, auraient fustigés il y a encore peu de temps !
Ce projet de loi sera bientôt en vigueur, adopté à une grande majorité. Certaines mesures d’exception, liées à l’état d’urgence, entreront dans le droit commun. Finalement, c’est bien l’avenir qui nous dira l’ampleur de l’erreur que nous commettons aujourd’hui. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, mon groupe votera de façon très diverse sur ce texte, mais il s’abstiendra dans sa grande majorité.
Si nous reconnaissons certaines avancées, nous ne pouvons pas majoritairement partager les orientations fondamentales de ce projet de loi, qui sont contraires à celles que nous avions aussi très majoritairement combattues sous les ministères de Mmes Dati et Alliot-Marie – je ferai l’impasse sur le dernier garde des sceaux du président Nicolas Sarkozy… (M. le rapporteur sourit.)
M. Jacques Mézard. Ce texte nous paraît être une coproduction des deux groupes dominants du Parlement. Certes, il est plus facile de critiquer que de construire. Il n’en reste pas moins qu’un tel consensus n’est pas à nos yeux un signe d’unité républicaine. Il nous semble plutôt être un message « pré-présidentielle » de ces deux groupes dominants à l’opinion publique !
Ce texte vise à pérenniser dans la loi ordinaire l’état d’urgence. Je ne reviendrai pas sur ce que j’ai déjà dit sur l’inutilité totale d’inscrire l’état d’urgence dans la Constitution et sur la question de la déchéance de nationalité. Un choix a été fait ; nous l’avons d’ailleurs voté dans l’émotion et dans un souci de rassemblement.
D’autres pays, confrontés au même problème, ont fait des choix différents et ne s’en portent pas plus mal en ce qui concerne la sécurité. Notre pays est même aujourd'hui, je pense, le seul en Europe à s’être doté d’une telle accumulation de textes, comme si c’était le moyen de préserver la sécurité de nos concitoyens. Ce n’est pas raisonnable !
Qu’il n’y ait pas de confusion. Nous avons, en ce qui nous concerne, toujours défendu à la fois le respect des libertés individuelles – c’est la tradition fondamentale de notre groupe depuis 1892 au sein de la Haute Assemblée –, mais aussi la sécurité de nos concitoyens et la nécessité de faciliter le travail de nos forces de sécurité mises à rude épreuve aujourd'hui, d’autant que viennent s’ajouter les événements de la place de la République, sans oublier ceux de Rennes et de tant d’autres lieux, qui donnent un bien mauvais exemple.
Quelle curieuse image donnons-nous à l’étranger avec cette cohabitation entre l’état d’urgence, qui éloigne de nous tant de touristes, et les incidents qui ont lieu sur les places de nos villes la nuit !
Monsieur le ministre, vous le savez parce que vous êtes un grand professionnel : on ne règle pas les problèmes de fonctionnement de la justice, de sécurité et de liberté en accumulant les textes législatifs sécuritaires. Nous l’avons vous et moi suffisamment reproché sous le quinquennat Sarkozy. Je ne vous ferai pas l’affront, car il est difficile de gouverner, de vous rappeler certains de vos propos de l’époque…
M. Jacques Mézard. Pourquoi une telle accumulation ? Tout simplement pour répondre aux inquiétudes de l’opinion publique. Toutefois, à force d’empiler les textes, nos concitoyens eux-mêmes finissent par penser que ce n’est pas le moyen de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés.
Notre justice mérite une approche globale, tant en ce qui concerne le droit pénal que la procédure pénale. Nous le savons tous ici. Or cette diarrhée législative des gouvernements successifs aboutit à une cacophonie et à une incohérence, qui en sont la marque depuis des décennies. Vos propos pleins de sagesse sur la question de la collégialité de l’instruction en sont le révélateur. De grâce, arrêtons cette prolifération de textes !
C’est la troisième loi antiterroriste en trois ans, je fus le rapporteur du premier texte ici – chacun porte sa croix ! –, sans parler du projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, qui comprend des bouleversements tardifs, mais vous arrivez tout juste au ministère et vous avez considéré que votre prédécesseur n’avait peut-être pas fait tout ce qu’il fallait…
Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne le travail parlementaire, cet amoncèlement pose un problème de fond. Ce texte prévoit une rétention administrative de quatre heures : j’en connais ici qui auraient hurlé contre une telle proposition il y a quelques années. Depuis lors, il y a eu les attentats, me direz-vous, mais ce n’est pas une explication suffisante. Et que dire de la perpétuité réelle ? Je ne vais pas en rajouter une couche…
En ce qui concerne la question des fouilles, cet hémicycle, dans sa quasi-unanimité, a voté la loi pénitentiaire et a salué le travail de notre collègue Jean-René Lecerf, pour le fouler aujourd'hui aux pieds. Est-ce bien raisonnable ?
Mme Cécile Cukierman. Exactement !
M. Jacques Mézard. Nous savons qu’il y a des problèmes. Vous avez lu comme moi, monsieur le garde des sceaux, l’excellente intervention du Premier président de la Cour de cassation dans Le Monde. Selon lui, la justice fonctionne mal : « Trois préoccupations principales ressortent : l’indépendance des juges – vous y êtes sensibles –, les délais excessifs des procédures – il faut des moyens – et l’imprévisibilité des décisions – il y a bien du travail interne à réaliser ! »
Je me permettrai d’ajouter la question de l’exécution des peines. Mes chers collègues, on peut fabriquer des textes, augmenter les peines et supprimer les prescriptions, mais faute de moyens pour exécuter les décisions, tout cela est dérisoire et ne suffira pas à convaincre nos concitoyens. Par ailleurs, on l’a vu ce matin, réformer les prescriptions sans toucher à l’échelle des peines, c’est démontrer l’irresponsabilité dont nous faisons preuve les uns et les autres ! (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mmes Esther Benbassa et Cécile Cukierman applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Paul.
M. Philippe Paul. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, par ce texte, notre pays va enfin être doté d’un arsenal pénal complet, permettant de préparer la sortie de l’état d’urgence. C’est pourquoi le groupe Les Républicains le votera.
Six mois et trois prorogations de l’état d’urgence auront été nécessaires pour arrêter des mesures renforçant l’efficacité des investigations judiciaires, augmentant les pouvoirs de police administrative et du ministère public – répondant ainsi, notamment, à une demande récurrente des parquets, qui seront désormais dotés des mêmes prérogatives que les juges d’instruction –, permettant plus d’efficacité dans la répression des actes terroristes et de la grande délinquance, assurant une exécution plus rigoureuse des peines, enfin garantissant une meilleure détection et prise en charge de la radicalisation.
Il faut toutefois rappeler qu’il s’agit là de la troisième loi antiterroriste depuis le début du quinquennat.
Le groupe auquel j’appartiens est d’autant plus satisfait de l’accord trouvé en commission mixte paritaire que nombre de mesures visant à renforcer les dispositifs de droit commun avaient déjà été votées par le Sénat, en février dernier, dans le cadre de la proposition de loi présentée par le président Philippe Bas tendant à renforcer la lutte antiterroriste.
Je pense, en particulier, à l’élargissement des facultés de recours aux perquisitions nocturnes dès le stade de l’enquête préliminaire, pour les forces de police comme pour les parquets, et à l’élargissement des facultés de recours aux nouvelles techniques d’enquête dont pourront enfin disposer les parquets, alors qu’elles sont aujourd’hui réservées au juge d’instruction.
Comme l’a rappelé notre collègue, Michel Mercier, rapporteur, dont je tiens à saluer l’excellent travail, l’organisation d’une meilleure articulation entre les enquêtes antiterroristes conduites par les parquets et les procédures d’instruction, placées sous l’autorité des juges d’instruction, rendra plus effectif l’engagement des procédures judiciaires, grâce à la co-organisation de la continuité des actes d’enquête pendant quarante-huit heures.
Le Sénat est également à l’origine de l’introduction de deux nouveaux délits de terrorisme qui nous semblent être indispensables au regard des nouveaux modes opératoires de radicalisation : le délit d’entrave au blocage des sites internet incitant à la commission d’actes de terrorisme et le délit de consultation habituelle de tels sites.
Comme je l’ai déjà indiqué lors de la première lecture de ce texte au Sénat, je me réjouis que nous proposions enfin un nouveau cadre légal de l’« état de nécessité », permettant aux forces de sécurité intérieure, policiers et gendarmes, mais aussi aux militaires des armées déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle, d’utiliser leurs armes contre des terroristes lorsque ceux-ci sont engagés dans un « périple meurtrier » à la suite d’un attentat.
Nous pouvons également être satisfaits de la généralisation de l’expérimentation des caméras mobiles utilisées par les forces de sécurité intérieure, qui ont démontré l’efficacité de cet équipement pour faire baisser la tension lors de certaines interventions difficiles et pour accréditer les propos des gendarmes ou des policiers à l’occasion des interpellations qu’ils sont amenés à effectuer.
Deux autres outils nous semblent également très pertinents dans la lutte contre le terrorisme.
Le premier est le renforcement des règles de contrôle d’identité, qui permet, en particulier, la retenue durant quatre heures de la personne contrôlée, si elle apparaît sur le fichier des personnes recherchées. Notre groupe est sensible au fait que cette durée ait été réduite à deux heures pour les mineurs contrôlés et que le contrôle soit alors opéré en présence de la famille ou, à défaut, d’un représentant du procureur.
Le deuxième outil est le renseignement pénitentiaire, qui permettra à l’ensemble des services de recueillir des informations essentielles. Si notre position était quelque peu différente de celle de nos collègues députés, nous nous satisfaisons de la rédaction de compromis trouvée.
Je souhaiterais m’arrêter un instant sur un élément de la discussion parlementaire qui a fait débat, à savoir la « perpétuité réelle ».
Il est tout à fait légitime que chacun s’interroge sur la réalité de l’exécution des peines prononcées. Comment comprendre qu’un individu condamné à la réclusion criminelle à perpétuité puisse aujourd’hui sortir au bout de vingt-deux ans ? C’est pourquoi, avec mes collègues du groupe Les Républicains nous plaidons depuis de nombreux mois pour étendre cette période de sûreté à trente ans, durée qui permet de rester en conformité avec les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous nous réjouissons donc que le texte que nous allons voter ait pris en compte cette demande.
Néanmoins, cette période de sûreté de trente ans risquait d’être mise à mal si aucune solution n’était trouvée pour limiter les sorties de personnes considérées comme dangereuses.
Je salue donc toute l’habileté de notre rapporteur d’avoir trouvé la possibilité d’encadrer très strictement la procédure de relèvement de cette période de sûreté, en la conditionnant à des exigences procédurales nouvelles, garantes de la sécurité de nos concitoyens, car tel est bien le sujet.
Un mot, mes chers collègues, sur les dispositions importantes du texte en matière de grande délinquance, notamment financière, dont on connaît les liens forts avec le terrorisme. C’est pourquoi nous souscrivons au durcissement des dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent, à l’encadrement de l’utilisation des cartes prépayées et aux nouveaux moyens donnés à TRACFIN – Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins –, pour une surveillance plus efficiente.
Enfin, j’aborderai un dernier point concernant les personnes rentrant d’une zone à l’étranger où opèrent des groupes terroristes.
Nous connaissons tous les chiffres, qui ont été en forte expansion ces dernières années et qui semblent se réduire. Malgré cette évolution, les derniers faits tragiques que notre pays a vécus, tout comme la Belgique, montrent que tous les terroristes ont fait un passage dans ces zones. Nous avions proposé de créer un délit de séjour sur ces zones à l’étranger. Nous avons néanmoins entendu vos arguments, monsieur le rapporteur, ainsi que ceux de M. le garde des sceaux. C’est pourquoi nous nous rallions au système de contrôle administratif prévu dans la loi.
Je conclurai mon propos en rappelant notre attachement sans faille à l’État de droit, qui ne peut tolérer les affrontements d’une extrême violence que connaît la France depuis plusieurs semaines maintenant.
Je rappelle également notre soutien à nos forces de police et de gendarmerie, sur la brèche depuis plusieurs mois. Je tiens à dire qu’ils effectuent un travail remarquable, dans des conditions très difficiles, pour garantir notre sécurité, pour prévenir les actes de terrorisme ou contenir les débordements inqualifiables, auxquels nous assistons à la fin de chaque manifestation contre le projet de loi relatif au travail.
Comment ne pas être interpellés et choqués par les images qui tournent en boucle sur les réseaux sociaux du CRS violemment agressé le 3 mai dernier à Nantes, des tentatives d’assaut du musée de l’armée le 12 mai dernier, à Paris, ou de la voiture de police incendiée, toujours à Paris, toujours la semaine passée ?
Il n’est pas acceptable que la police et la gendarmerie soient les cibles de tant de haine. De tels actes, commis par des professionnels de la violence, ne peuvent pas et ne doivent pas être tolérés. Ils doivent être sanctionnés lourdement ! Le droit de manifester, ce droit fondamental auquel nous sommes tous attachés, ne peut, ne doit servir de paravent aux auteurs de ces violences.
Comment aussi ne pas dénoncer cette affiche publiée par une section d’un syndicat de salariés s’en prenant avec brutalité à la police ? Alors que notre pays a vécu une année 2015 particulièrement éprouvante, marquée par les épouvantables attentats des mois de janvier et de novembre de cette année-là, veillons, au contraire, à continuer à faire corps avec nos forces de sécurité, en les soutenant et en leur donnant les moyens humains, matériels et juridiques de travailler.
M. Jean-Louis Carrère. Il ne fallait pas supprimer des postes dans la police et la gendarmerie, alors !
M. Philippe Paul. C’est tout le sens de ce projet de loi, que je vous propose d’adopter, mes chers collègues. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer le travail et l’implication de notre rapporteur dans ce projet de loi.
Disons-le franchement : il y a quelques semaines, il nous semblait difficile de parvenir à la conclusion à laquelle nous aboutissons aujourd'hui. En effet, si le Sénat partageait globalement l’orientation donnée au texte par les députés, il restait plusieurs points de tensions entre les deux assemblées, notamment sur la question de la perpétuité réelle. Michel Mercier a su faire entendre la voix du Sénat ; nous pouvons l’en remercier.
Le projet de loi que nous examinons cet après-midi a sensiblement évolué. Alors qu’il devait initialement servir à simplifier la procédure pénale, ce texte devrait aujourd'hui nous permettre de sortir de l’état d’urgence que nous venons de prolonger pour deux mois. Chacun sait qu’il est indispensable de sortir de cette situation.
Nous approuvons donc sans réserve la démarche qui a consisté à intégrer dans ce texte des mesures de détection et de surveillance de la menace.
Ainsi, nous sommes favorables à bon nombre des mesures contenues dans le projet de loi : les perquisitions de nuit, les dispositions relatives à la fouille des bagages lors d’un contrôle d’identité ou encore la procédure de retenue d’une personne, en cas de suspicions sérieuses, pendant une durée de quatre heures. Pour l’essentiel, ce sont des dispositions que nous avions proposées lorsque nous avions voté ici au Sénat, à la fin de l’année 2015, une proposition de loi cosignée par Philippe Bas, Michel Mercier, Bruno Retailleau et moi-même. Je remercie le Gouvernement de s’être inspiré de notre rédaction.
Je dirai un mot de l’introduction d’une procédure contradictoire au sein de l’enquête préliminaire. La commission mixte paritaire a porté à un an, comme le souhaitait le Sénat, le point de départ à partir duquel une personne mise en cause dans une enquête préliminaire peut demander à consulter son dossier. C'est une bonne chose. Elle a opportunément supprimé les dispositions introduites par les députés qui allaient à l’encontre de ce dispositif.
Nous sommes également favorables à certaines avancées introduites par nos deux assemblées. Je pense à la période de sûreté, qui pourra être portée à trente ans, ou à la création d’un délit de consultation habituelle de sites terroristes, une mesure que nous appelions de nos vœux depuis plusieurs mois.
Sur le cadre légal de l’usage des armes par les forces de l’ordre, le dispositif prévu par le texte est celui que nous avions adopté. Tant mieux !
En outre, la question du retour des djihadistes sur notre territoire doit être au cœur de nos préoccupations. Pour répondre à cette menace, le projet de loi prévoit notamment un contrôle administratif des retours sur le territoire. Il s’agit d’une mesure de bon sens, que nous devons tous voter.
Voilà pour les points positifs. J’éprouve néanmoins quelques regrets – j’en détaillerai deux dans un instant –, et je suis déçu que la commission mixte paritaire ne soit pas parvenue à aller plus loin dans le sens d’un compromis entre nos deux assemblées.
Mon premier regret est l’absence l’exclusion des délits terroristes du champ de la contrainte pénale. Cette mesure aurait pu être adoptée, car la contrainte pénale a montré ses limites.
Mon second regret porte sur un sujet plus récurrent : le fameux « verrou de Bercy ». Le Sénat était parvenu à faire adopter un dispositif permettant de revenir sur le monopole de Bercy en matière de poursuite pour fraude fiscale. Force est de constater que nous n’avons pas réussi à maintenir cette disposition. Je le regrette d’autant plus que notre groupe s’était engagé de longue date à supprimer ce verrou.
Vous l’aurez compris, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe de l'UDI-UC aurait préféré, dans l'absolu, que le texte final soit encore plus proche de ce qu’avait voté le Sénat en première lecture. Il soutiendra cependant ce projet de loi, qui comporte des dispositions nécessaires à la lutte efficace contre le terrorisme et le crime organisé.
Monsieur le garde des sceaux, je profite du temps d’intervention qui me reste pour évoquer deux textes : celui qui est relatif à la justice du XXIe siècle et celui qui porte sur la prescription en matière pénale.
Nous sommes non seulement déçus, mais même contrariés, de l’approche, selon nous mauvaise, qui consiste à faire voter dans le cadre du texte sur la justice du XXIe siècle des dispositions comme le divorce sans recours au juge ou encore la suppression des juges d’instruction dès lors qu’il n’y a pas de pôle de l’instruction – une mesure qui concerne, me semble-t-il, vingt-cinq départements. Il n’est pas raisonnable, monsieur le garde des sceaux, de faire adopter ces mesures sans que le Sénat puisse en débattre.