M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà enfin arrivés au véritable débat, celui qui n’a pu avoir lieu entre les partenaires sociaux, puisque ces derniers n’ont pas été saisis sur la base d’un document d’orientation, contrairement à ce que prévoit l’article L. 1 du code du travail, cher au président Larcher, ni à l’Assemblée nationale, où les discussions ont été interrompues dès l’examen de l’article 1er du projet de loi, du fait du recours au 49.3…
Madame la ministre, je vous ai écoutée attentivement nous faire la leçon sur ce qu’est le « bon » dialogue social : c’est bien d’en parler, mais c’est mieux de le mettre en pratique ! (M. Philippe Mouiller applaudit.) « Grand diseux, petit faiseux ! », comme on dit chez moi.
En tout cas, ici au Sénat, nous allons nous attacher, tout au long de l’examen des amendements, à exposer notre vision du dialogue social dans notre pays et les mesures qui nous semblent efficaces pour en finir avec cette fatalité bien française d’un chômage structurellement très élevé.
Madame la ministre, nous serons sûrement d’accord sur nos désaccords, mais cela ne doit pas empêcher de progresser ici et là, en retenant certaines propositions de la commission des affaires sociales du Sénat. Celle-ci, en examinant, à partir du 1er juin dernier, ce projet de loi, a souhaité faire entrer résolument notre code du travail de plain-pied dans le XXIe siècle. En cette année 2016, nous mesurons l’accélération des mutations et des transformations de l’économie et du travail, notamment sous l’incidence du numérique.
Retrouver l’ambition de l’avant-projet de loi transmis par le Gouvernement au Conseil d’État, tout en y imprimant la marque du Sénat : tel était le cap, l’objectif clair que mes collègues rapporteurs Jean-Marc Gabouty et Michel Forissier, à qui je rends hommage pour le travail accompli, et moi-même nous étions fixé.
Sur les 411 amendements déposés en commission, 201 ont été adoptés, en vue d’atteindre cinq objectifs : simplifier et sécuriser juridiquement les règles applicables aux entreprises ; renforcer leur compétitivité, ainsi que l’association des salariés aux résultats ; prendre en compte les spécificités des TPE et des PME, parents pauvres du projet de loi adopté en conseil des ministres ; relancer l’apprentissage et réaffirmer les missions de la médecine du travail.
À l’article 1er, nous avons précisé la feuille de route de la commission chargée de repenser le code du travail, en lui fixant notamment comme objectif la simplification des normes. C’était une intention affichée du Gouvernement, mais il ne lui avait pas été donné de traduction dans le projet de loi. Nous nous en sommes chargés, et je présume, madame la ministre, que vous allez « acheter » cette nouvelle rédaction ! Ainsi, chaque nouvelle disposition proposée par cette commission devra être compensée par l’abrogation d’une disposition devenue obsolète.
S’agissant de la durée du travail, la commission des affaires sociales du Sénat a souscrit à la philosophie générale de l’article 2, qui vise à faire de l’accord d’entreprise ou, à défaut, de branche le pivot de la négociation collective. En effet, cet article s’inscrit dans la lignée des réformes engagées à partir de 2004 par la précédente majorité. Vous marchez, madame la ministre, sur nos brisées : nous nous réjouissons de ce réveil, un peu tardif, certes, mais salutaire pour la France. Bienvenue au club ! Sur les travées de la majorité sénatoriale, nous sommes profondément attachés à la primauté de l’accord d’entreprise.
M. Jean-Pierre Caffet. C’est récent !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Aujourd'hui, vous endossez cette logique : c’est formidable ! Tout au long du débat, vous allez donc pouvoir, par cohérence, nous suivre sur un certain nombre de sujets.
Mme Éliane Assassi. Heureusement que nous sommes là pour faire entendre une autre voix au Sénat !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Sur proposition de nos collègues Catherine Deroche et Bruno Retailleau, nous avons ainsi prévu, en toute cohérence, qu’une durée de référence serait désormais fixée par accord collectif et se substituerait à la durée légale de 35 heures. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Certains passeront à 37 heures, d’autres décideront de conserver les 35 heures, d’autres encore choisiront une autre durée. Bref, on sort du jardin à la française pour donner en pleine confiance aux partenaires sociaux, sur le terrain, la latitude de définir leurs propres équilibres.
Mme Nicole Bricq. Mais nous ne voulons pas d’un jardin à l’anglaise !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Que vous l’assumiez ou non, madame la ministre, c’est la logique de l’article 2 que vous défendez ; nous aurons l’occasion de le démontrer.
M. Jean-Pierre Caffet. On va voir !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Vous avez la réforme honteuse, nous avons la réforme revendiquée ! Il faut dire les choses, vous ne le faites pas. Finalement, vous cherchez, comme on l’a vu au travers de votre discours, qui est en somme une reprise de celui que vous avez tenu lors du meeting de la semaine dernière, à vous refaire une santé sur le dos de la majorité sénatoriale. Je trouve que ce n’est pas de très bonne pratique. Ici, nous avons pour tradition de mener un travail approfondi sur les textes, article par article. Vous verrez que les équilibres que nous avons trouvés ont leur cohérence.
La commission a en outre réintroduit la possibilité de signer des conventions individuelles de forfait dans les PME en l’absence d’accord collectif, dans le respect, naturellement, de la santé et de la sécurité des salariés, et elle a prévu de permettre, dans ces entreprises, un aménagement du temps de travail, sur l’initiative de l’employeur, sur une période de seize semaines.
Ce sont là autant de mesures auxquelles je présume que vous vous rallierez, madame la ministre, puisque vous les aviez endossées en les soumettant au Conseil d’État. Quitte à y aller à la hussarde, faites-le pour promouvoir un texte ambitieux, et non pas rabougri ! (M. Roger Karoutchi rit.)
Sur proposition de notre collègue Élisabeth Lamure et de plusieurs membres de la délégation sénatoriale aux entreprises, la commission a doublé les seuils d’effectifs. Ainsi, sur nos territoires, nombre d’entreprises qui aujourd’hui se refusent à franchir les seuils, par crainte de se voir imposer de nombreuses obligations supplémentaires, créeront des postes, des emplois en CDI… Nous avons tous à l’esprit des cas concrets.
Par ailleurs, constatant que le projet de loi prévoyait qu’il fallait avoir accès à l’accord pour avoir accès à la réforme, nous avons ouvert des voies de passage pour les PME, en permettant aux employeurs de conclure des accords collectifs directement avec les représentants élus du personnel, quel que soit le sujet abordé.
Vous avez déposé un amendement visant à supprimer cette disposition : quelle drôle d’idée que de ne pas vouloir faire confiance aux représentants élus ! L’élection, c’est pourtant mieux qu’une nomination décidée de l’extérieur !
En l’absence de représentants élus du personnel, l’employeur pourra soumettre un projet d’accord aux salariés, qui statueront alors à une majorité des deux tiers, pour garantir un consentement large.
S’agissant de la validité des accords, si nous partageons l’objectif à moyen terme de retenir la règle d’engagement majoritaire, exprimée de façon positive, force est de constater que le risque de blocage du dialogue social est sérieux. Beaucoup d’auditions nous l’ont montré. Il serait pour le moins paradoxal d’ouvrir de nouveaux domaines dans le champ de la négociation d’entreprise et, dans le même temps, de freiner la conclusion d’accords en exigeant une majorité d’engagement difficilement accessible. C’est pourquoi nous avons conservé les règles actuelles de validité des accords collectifs, qui fixent un seuil de 30 % des suffrages exprimés, tout en prévoyant que, en cas d’opposition de la part de syndicats majoritaires dans l’entreprise, l’employeur ou les syndicats signataires auront la possibilité de demander aux salariés de trancher le différend par le biais d’une consultation. Pour signifier clairement qu’il n’y a pas de renoncement aux 50 %, mais un cheminement, nous prévoyons une clause de revoyure en 2018.
J’en viens aux nouveaux accords de préservation et de développement de l’emploi, qui pourraient enfin doter nos entreprises d’un outil d’adaptation interne comparable aux accords de compétitivité allemands.
Les accords de maintien de l’emploi avaient ouvert la voie, mais les verrous étaient si nombreux que seulement une douzaine d’entre eux ont été conclus depuis leur création.
Je constate avec satisfaction que l’article 11 présenté par le Gouvernement semble tenir compte des travaux du Sénat sur la loi Macron. Finalement, avec ce projet de loi « El Khomri-Macron 2 », nous progressons sur la voie de l’unification du régime des accords de préservation et de développement de l’emploi.
Nous avons parachevé cette logique sur un certain nombre de points, notamment la rémunération ou l’accompagnement du salarié qui refuserait de s’inscrire dans cette dynamique.
Enfin, nous avons inséré une « clause de retour à meilleure fortune », de sorte que l’accord devra d’emblée prévoir les modalités d’association des salariés aux résultats de l’entreprise, puisque ceux-ci auront été obtenus grâce à leurs efforts.
Sur ce sujet comme sur d’autres, faisons confiance aux partenaires sociaux dans l’entreprise, d’autant que ce nouveau type d’accord nécessitera la signature de syndicats représentant plus de la moitié des suffrages recueillis par des syndicats représentatifs lors des dernières élections professionnelles.
Enfin, nous affirmons clairement notre attachement à la notion de participation, promue en son temps par le général de Gaulle.
Mme Isabelle Debré. Très bien !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Le Président de la République a fait aujourd'hui un pèlerinage à Colombey-les-Deux-Églises ; c’est fort bien, mais il serait mieux encore de mettre en œuvre la philosophie qui a sous-tendu l’action du général de Gaulle. (Mme Isabelle Debré applaudit.) Aussi espérons-nous que notre proposition d’exonérer de forfait social pendant trois ans les entreprises de moins de 50 salariés mettant en place pour la première fois un dispositif de participation ou d’intéressement et de ramener ce forfait de 20 % à 16 % pour toutes les autres entreprises recueillera l’approbation du Gouvernement.
C’est donc bien une logique d’équilibre, de liberté et d’équité qui sous-tend nos travaux, bien loin de la caricature que le Président de la République ou le Gouvernement a voulu en faire, sans parvenir à tromper quiconque. Madame la ministre, si, après avoir entendu vos propos, les manifestants ne renoncent pas à défiler demain, c’est à n’y plus rien comprendre… (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Cela ne va pas être possible !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Je suis impatient de voir combien de personnes seront dans la rue : ce sera un bon indicateur de la crédibilité de votre discours !
Mme Éliane Assassi. On vous le dira, on y sera !
M. Didier Guillaume. Avec votre texte, il y aura beaucoup plus de monde dans la rue !
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Pour notre part, nous réaffirmons que capital et travail doivent être non pas opposés, mais conjugués, qu’employeurs et employés doivent être non pas adversaires, mais partenaires. C’est notre acte de foi dans un dialogue social rénové qui, seul, permettra à la France d’en finir avec les maux qui rongent la cohésion sociale et minent le pacte social. Nous avons une ardente obligation d’agir vite et fort. Nous vous tendons la main en ce sens, madame la ministre ; si vous la saisissez, vous laisserez votre marque au ministère du travail. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, Jean-Baptiste Lemoyne, Michel Forissier et moi-même nous sommes efforcés d’adopter une approche essentiellement pragmatique pour l’examen de ce projet de loi.
En effet, il n’est pas utile d’introduire dans la loi de belles constructions intellectuelles ou juridiques si celles-ci ne doivent avoir aucune traduction effective et positive pour les entreprises et les salariés, comme cela a été malheureusement le cas pour les accords de maintien de l’emploi, dispositif qui, depuis sa création voilà trois ans, n’a trouvé qu’une dizaine de fois à s’appliquer concrètement.
Pour atteindre l’objectif d’une économie créatrice de richesses et d’emplois, l’efficacité commande de permettre aux entreprises de s’adapter à une concurrence mondialisée et d’être plus réactives, grâce à un environnement législatif et réglementaire plus simple et plus souple. Cette approche est très largement partagée au sein de l’ensemble de la majorité sénatoriale, qui aborde ce débat unie sur l’essentiel.
Ce souci de simplicité et de souplesse dans l’élaboration de la loi s’est notamment traduit, pour les articles qu’il me revient de rapporter, par la suppression ou la contraction d’un certain nombre de dispositifs d’un intérêt assez discutable, à l’exception notable de ceux qui concernent les personnes handicapées.
Ainsi, la commission a tout d’abord supprimé l’article 27 bis, qui ébauche une responsabilité sociale des plateformes électroniques de mise en relation à l’égard des travailleurs indépendants qui collaborent avec elles. Sur un sujet aussi important, et alors même que des contentieux ont été engagés par l’URSSAF, nous pensons qu’un tel article est prématuré et préempte les conclusions d’une réflexion de fond, que nous appelons de nos vœux, sur le statut de ces travailleurs.
La commission a, en outre, supprimé l’article 29 bis A, introduit par l'Assemblée nationale, qui instaure une instance de dialogue au sein du réseau de franchise, considérant qu’il n’a fait l’objet d’aucune concertation préalable et qu’il entre en contradiction frontale avec le principe même de la franchise, sachant qu’il n’y a aucun lien de subordination entre les salariés des franchisés et les franchiseurs.
S’agissant du licenciement économique, l’effort du Gouvernement visant à objectiver les causes le justifiant n’a guère convaincu, car il a débouché sur un dispositif peu sécurisant, aussi bien pour les salariés que pour les entreprises.
C’est pourquoi nous avons récrit l’article 30, pour poser le principe selon lequel les difficultés justifiant un licenciement économique doivent résulter de l’évolution concomitante de plusieurs indicateurs économiques et financiers.
Pour ne pas alourdir la loi et permettre une concertation avec les spécialistes et les employeurs, nous avons renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de définir ces indicateurs et de prévoir dans quelles conditions une baisse pourra être qualifiée de « significative », en tenant compte des spécificités des entreprises et de leur secteur d’activité.
Nous avons, en outre, défini dans la loi les situations évidentes dans lesquelles un licenciement économique sera présumé reposer sur une cause réelle et sérieuse : d’une part, en cas de baisse du chiffre d’affaires ou de l’encours des commandes d’au moins 30 % pendant un semestre par rapport à l’année précédente ; d’autre part, en cas de perte d’un marché représentant au moins 30 % de l’activité.
Si l’entreprise appartient à un groupe, l’appréciation des difficultés économiques, des mutations technologiques ou de la nécessité d’assurer la sauvegarde de sa compétitivité s’effectuera à l’échelon des entreprises du groupe exerçant dans le même secteur d’activité et implantées sur le territoire national.
Par surcroît, nous avons encadré les délais dans lesquels le juge devra statuer en cas de contestation du bien-fondé d’un plan de sauvegarde de l’emploi, en nous inspirant des règles prévues pour contester la décision de validation ou d’homologation d’un tel plan devant le juge administratif.
Nous avons enfin prévu que le juge ou l’une des parties pourra solliciter une expertise extérieure pour l’éclairer dans les litiges portant sur la réalité de la cause réelle et sérieuse d’un licenciement économique.
Ces précisions en termes de définitions et de procédure visent à réduire le nombre des contentieux.
La commission a, par ailleurs, réintroduit le plafonnement des indemnités octroyées par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, auquel le Gouvernement avait renoncé dans le projet de loi présenté à l’Assemblée nationale, tout en excluant bien entendu du champ de ce plafonnement certaines situations graves comme le harcèlement ou la discrimination.
Sur proposition de notre collègue Catherine Deroche, la commission a, en outre, supprimé le dispositif d’information préalable des salariés en cas de cession d’une entreprise, considérant qu’il était complexe, méconnaissait la vie des entreprises et pouvait nuire à la conclusion des transactions.
S’agissant de la réforme de la médecine du travail prévue à l’article 44, la commission regrette que le projet de loi tienne pour acquise la pénurie de médecins du travail, sans répondre au véritable problème que constitue le manque d’attractivité de cette profession. (M. François Marc s’exclame.)
Nous avons jugé nécessaire de réaffirmer le caractère universel de la médecine du travail pour les travailleurs. C’est pourquoi le texte adopté par la commission maintient le principe général de la visite d’embauche, sans remettre en cause la possibilité de recourir à une visite d’information et de prévention lorsque la nature du poste auquel le travailleur est affecté le permet ; nous reviendrons sur ce sujet au cours de nos débats.
En ce qui concerne les règles relatives à l’inaptitude, la commission a considéré que la plupart des propositions formulées par le Gouvernement dans son texte initial allaient dans le bon sens. C’est le cas notamment des dispositions qui clarifient les conditions dans lesquelles la rupture du contrat de travail est possible.
La commission a, enfin, jugé nécessaire de préserver la gouvernance actuelle des services inter-entreprises de santé au travail. Celle-ci repose sur des règles cohérentes au regard des missions et des responsabilités de chacune des instances concernées.
La commission a, par ailleurs, approuvé l’essentiel des dispositions visant à renforcer la lutte contre la fraude au détachement de travailleurs. Elle a toutefois constaté que, en la matière, les lois de 2014 et de 2015 ont presque épuisé la marge de manœuvre laissée aux États membres par le droit de l’Union européenne. Deux leviers peuvent encore être actionnés : d’une part, les moyens matériels et humains mis à la disposition des corps de contrôle doivent être renforcés ; d’autre part, une évolution de la législation européenne en matière de détachement doit être recherchée.
Complétant les mesures contenues dans le texte, la commission a souhaité associer plus encore les acheteurs publics à cet effort, en leur permettant de résilier les marchés conclus avec des entreprises dont l’activité a été suspendue par l’autorité administrative en raison d’une infraction aux règles du détachement de travailleurs. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Forissier, rapporteur.
M. Michel Forissier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, comme viennent de le souligner Jean-Baptiste Lemoyne et Jean-Marc Gabouty, la commission des affaires sociales s’est attachée à corriger les insuffisances du modèle social français. Celles-ci sont un frein à la compétitivité de nos entreprises, et tous les actifs ne disposent pas des outils et de l’accompagnement adéquats pour faire face aux ruptures de trajectoire professionnelle ou amorcer des évolutions de carrière.
Ce texte est présenté comme une nouvelle étape dans la sécurisation des parcours professionnels des salariés et des non-salariés. On a parfois tendance à l’oublier : il ne traite pas que de la négociation collective ; il crée également le compte personnel d’activité, le CPA.
Au cours de nos auditions, personne ne s’est prononcé contre le principe d’une sécurité sociale professionnelle et de droits sociaux transférables…
M. François Marc. Encore heureux !
M. Michel Forissier, rapporteur. … attachés à la personne, quel que soit son statut, et non à son emploi. Sur ce point, un consensus existe : le CPA pourrait façonner les contours d’un marché du travail plus fluide, dans lequel chacun accéderait plus facilement à la qualification et pourrait anticiper les évolutions des secteurs d’activité et des métiers.
Pourtant, les initiatives récentes en matière d’individualisation des droits sociaux n’ont pas produit de résultats satisfaisants. Le compte personnel de formation, le CPF, monte en charge plus lentement que prévu, et le mécanisme des listes des formations éligibles est profondément critiqué. C’est surtout le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P, qui s’avère inapplicable, malgré des aménagements successifs, qui n’ont pas réussi à corriger des erreurs tenant à sa conception même.
À ces deux comptes rattachés au CPA est venu s’ajouter un compte d’engagement citoyen, apparu à l’improviste…
M. Didier Guillaume. Cela s’appelle le débat parlementaire !
M. Michel Forissier, rapporteur. … durant l’ultime étape d’élaboration du projet de loi. Il vise à valoriser un ensemble hétéroclite d’engagements, allant du service civique au tutorat d’un apprenti, en passant par la direction d’association, et ce jusqu’au décès de son titulaire.
Afin de ne pas reproduire les erreurs commises avec le C3P et de rendre ce compte personnel d’activité véritablement opérationnel au 1er janvier 2017, la commission des affaires sociales l’a recentré sur le CPF et le C3P et a limité son champ à la vie professionnelle. Elle a renvoyé la question des contreparties aux activités civiques, bénévoles ou associatives à un débat plus large, portant sur un texte dédié. Il s’agit là non pas d’un renoncement, mais d’une autre manière d’aborder ce problème. La commission a surtout cherché à simplifier, dans toute la mesure du possible, ce monstre de complexité que constitue le C3P.
Néanmoins, la sécurisation des parcours professionnels ne doit pas débuter à quarante ans. C’est dès la formation professionnelle initiale que sont posés les jalons d’une carrière préservée des à-coups de l’emploi précaire. Voilà pourquoi il m’a semblé nécessaire – je crois que c’est un sentiment très largement partagé ici – d’inscrire la relance de l’apprentissage au cœur de ce projet de loi, en s’inspirant de certains principes qui en ont assuré la réussite à l’étranger.
En février dernier, avec plusieurs membres de la délégation sénatoriale aux entreprises et sous la houlette de sa présidente, Élisabeth Lamure, nous avons déposé une proposition de loi, partant d’un constat très simple : il faut cesser de considérer l’apprentissage comme une formation d’excellence ou, au contraire, comme une voie de garage pour les jeunes en échec scolaire ; il faut l’appréhender tel qu’il est, à savoir une voie de formation initiale à part entière, une voie de réussite qu’il convient de développer.
Alors que le projet de loi, y compris après son examen par l’Assemblée nationale, était peu disert sur le sujet, la commission des affaires sociales du Sénat a inséré quinze articles sur l’apprentissage.
Le premier objectif est de développer un pilotage national de la politique d’apprentissage, avec des objectifs librement consentis par tous les acteurs et dans le respect des compétences de chacun d’eux, en particulier les régions. Un tel modèle a fait ses preuves en Allemagne, qui est pourtant un État fédéral avec des Länder forts.
Le deuxième objectif est de rapprocher l’éducation nationale du monde de l’entreprise et de mieux faire connaître l’apprentissage aux élèves au cours de leur orientation. Nul ne peut nier le constat d’une méconnaissance réciproque, voire d’une méfiance, entre ces deux acteurs, dont la coopération est pourtant essentielle pour le succès de l’apprentissage. Il faut combler le fossé qui existe encore entre eux, même si des progrès ont été récemment réalisés, ainsi que nous avons pu le constater au cours de nos auditions.
Le troisième objectif est de moderniser le cadre juridique de l’apprentissage, au bénéfice des apprentis et de leurs employeurs. Pour lutter contre les ruptures prématurées, qui dépassent 30 % dans certaines filières, nous avons rendu obligatoire la médiation préalable. Nous avons également imposé aux employeurs de former les maîtres d’apprentissage.
S’agissant des apprentis mineurs, nous avons corrigé plusieurs absurdités de la réglementation actuelle du travail qui font obstacle au bon déroulement de leur formation. Le travail de nuit, lorsqu’il est absolument nécessaire dans le métier préparé – celui de boulanger traditionnel, par exemple –, sera autorisé sous la supervision directe et constante du maître d’apprentissage. Il ne s’agit pas, bien entendu, de faire travailler l’apprenti tandis que le maître d’apprentissage se repose. La durée de travail quotidienne ou hebdomadaire maximale pourra être ponctuellement dépassée, dans la limite de deux heures par jour ou d’un total de cinq heures par semaine, pour s’adapter au rythme de l’entreprise, notamment sur les chantiers, que j’ai pratiqués durant toute ma vie professionnelle. Il s’agit là d’une mesure d’un tel bon sens qu’elle figurait dans votre avant-projet de loi, madame la ministre. Je reprends donc là une de vos idées.
Mme Éliane Assassi. Encore !
M. Michel Forissier, rapporteur. La commission veut aussi faciliter l’accès à l’apprentissage pour les élèves présentant la maturité suffisante, notamment dans le cadre du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, le DIMA, qui permet une découverte des formations professionnelles initiales en centre de formation d’apprentis, sous statut scolaire. Sur proposition du groupe Les Républicains, elle a autorisé l’entrée en apprentissage des titulaires du brevet s’ils atteignent l’âge de quinze ans au cours de l’année civile.
Elle a, par ailleurs, établi un cadre juridique sécurisé pour la mobilité internationale des apprentis, notamment à l’échelon européen.
Enfin, elle a consacré dans le code du travail, sur proposition de nos collègues Jean-Claude Carle et Gérard Collomb, les écoles de production, qui, par une pédagogie professionnelle atypique, assurent la formation et l’insertion de jeunes décrocheurs.
Le projet de loi avait été complété de dispositions à destination de la jeunesse, en particulier la généralisation de la Garantie jeunes. Nous avons supprimé non pas la Garantie jeunes, comme l’ont affirmé certains – notamment vous, madame la ministre, lors d’un meeting – dans un raccourci erroné, mais sa généralisation.