Mme Sylvie Goy-Chavent. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. La troisième contre-vérité est que l’Europe n’est pas fédérale ! C’est une coopérative, et le pouvoir en Europe n’est pas à celui qui a la plus grande créativité pour imaginer la plus grande proposition. Le pouvoir est à celui qui est capable de faire partager par les autres ses propres propositions. (Mme Sophie Primas et M. Jean-Claude Lenoir applaudissent.) Ce n’est pas un pouvoir déclaratif, c’est un pouvoir d’influence.
Là est le talent : savoir rassembler ! C’est cela, ce langage de vérité qu’il nous faut tenir. Il ne suffit pas d’aller à Bruxelles pour tenir un discours consistant en ceci ou cela. Non ! il faut s’interroger : que disent les Allemands, les Italiens et les autres, et qu’avons-nous fait pour les convaincre ? Seule cette capacité-là offre un véritable levier pour faire bouger l’Europe.
Quelle est notre vision de l’Europe ? À la suite des nombreux débats que notre pays a connus, et bien qu’ils méritent sans doute d’être encore approfondis, il me semble qu’une vision assez claire se fait jour. (MM. Jacques Bigot et Jacques Chiron frappent sur leur pupitre en signe d’impatience.) On pourrait l’appeler l’Europe des cercles et des piliers.
M. le président. Il va falloir conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. L’Europe des cercles est l’Europe des trois espaces : le cercle des fondateurs, le cercle de l’euro, qui est le plus coopératif, et le cercle de la grande Europe avec les grands partenaires comme la Russie ou la Turquie, c'est-à-dire une Europe du voisinage.
À cette vision d’une Europe espace en trois cercles s’ajoute celle d’une Europe puissance avec des compétences définies en fonction de priorités, les autres compétences étant renvoyées aux États-nations. Ce principe de subsidiarité doit aujourd'hui pouvoir être révoqué.
Si tout cela est possible, il y a un chemin à prendre. Ce chemin est à prendre avec les Allemands,…
Mme Catherine Troendlé. Très bien !
M. le président. Il faut conclure !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. … pour partager une vision…
Mme Catherine Troendlé. Bravo !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. … et pour faire en sorte que le rapport franco-allemand ne soit pas celui de la vacuité, mais soit, au contraire, celui de l’imagination.
Permettez-moi pour terminer de citer le plus européen de tous les Picto-Charentais,…
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. … Jean Monnet, qui disait : « Ce qui est important, ce n’est, ni d’être optimiste, ni pessimiste, mais d’être déterminé ». (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères et du développement international, mes chers collègues, le peuple britannique a donc choisi la sortie de l’Union européenne. Ce résultat est un choc pour tous ceux qui croient en l’idée européenne. Il démontre cruellement le manque d’un leadership européen, marqué notamment par la faiblesse du couple franco-allemand.
Le Royaume-Uni se prépare ainsi un difficile chemin. Il devra maintenir sa cohésion en surmontant la fracture générationnelle et territoriale que révèle le scrutin du 23 juin. Il devra négocier les termes d’un partenariat avec l’Union européenne, dans un nouveau statut qui sera celui d’un pays tiers.
L’Union doit engager rapidement cette négociation, dont le déclenchement relève de la Grande-Bretagne et d’elle seule. L’Union ne doit pas être l’otage des débats politiques internes à un pays qui a choisi de la quitter. Elle doit travailler à un partenariat nouveau qui puisse fonctionner correctement à partir d’intérêts communs bien identifiés.
Tirons, nous aussi, tous les enseignements du vote du 23 juin. En clair, il faut refonder l’Union européenne sur de nouvelles bases. La sortie du Royaume-Uni rend cette exigence d’autant plus forte. Il est donc désormais urgent d’adresser quatre messages essentiels aux peuples européens.
Premier message : il faut, comme l’a dit voilà quelques instants le président Raffarin, mettre un frein à l’élargissement et sécuriser concrètement les frontières. Nous voulons un Schengen de deuxième génération, qui assure cette sécurité et n’hésite pas à suspendre les États défaillants. Nous devons par ailleurs construire des partenariats efficaces : au Sud avec la Turquie sur la question migratoire ; à l’Est avec la Russie, en valorisant nos intérêts économiques réciproques.
Deuxième message : nous devons recentrer l’Europe autour d’un noyau dur « ouvert » d’États membres déterminés à aller de l’avant. Le couple franco-allemand doit en être le moteur. Il est malheureusement aujourd'hui en panne. Il est impératif de le relancer. Nos deux pays doivent montrer la voie, en construisant l’union de l’énergie par la mutualisation des coûts et le partage des réseaux, en bâtissant le marché unique du numérique avec une Europe productrice et pas seulement consommatrice, en affirmant l’ingénierie financière européenne, la City, avouons-le, étant désormais hors de l’Union, et ce à partir de l’excellence des places de Paris et Francfort.
Troisième message : il convient de mettre en œuvre les priorités stratégiques innovantes du président Juncker : l’industrie, créatrice de richesses et d’emplois ; l’énergie, qui est une composante fondamentale pour notre compétitivité ; et le numérique, qui est au cœur de toute activité du XXIe siècle. C’est une Union centrée sur l’essentiel dont nous avons besoin. La relance de l’investissement doit être une priorité. N’ayons pas peur des mots : nous avons besoin d’un fonds souverain européen, qui serait tout simplement le fonds Juncker de deuxième génération ! Nous devons bâtir une nouvelle politique agricole commune en intégrant la nouvelle géopolitique alimentaire.
Enfin, quatrième message : il faut redonner aux parlements nationaux toute latitude pour décider des « normes » relatives à la vie quotidienne de leurs concitoyens, en affirmant le principe de subsidiarité, en faisant de la simplification le fil directeur de notre action commune.
Dans un monde globalisé, face à des États-continents, les replis nationaux ne sont pas la bonne réponse. Nous voulons une Europe puissance, qui s’affirme sur la scène internationale. Cette Europe puissance doit se doter d’une capacité de défense, au sens propre et au sens figuré. Elle doit négocier des accords commerciaux sur la base d’un cahier des charges précis, ex ante, ce qui relativise la pertinence du concept de traité mixte, puisqu’ils seront négociés au préalable, les parlements nationaux devant pouvoir en débattre et fixer des « lignes rouges » dès le départ.
Ne restons pas, enfin, sans réagir face à l’extraterritorialité des lois américaines, contraire au droit international. Utilisons tous nos instruments de défense. Opposons un Buy European Act au Buy American Act ! Si nos partenaires commerciaux ne respectent pas leurs engagements, appliquons rapidement des clauses de sauvegarde pour préserver nos intérêts, et ce avec rapidité !
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Mes chers collègues, au travers du Brexit, l’histoire vient de donner une nouvelle chance à l’Europe. Saisissons-la ! Réinventons l’Europe, réenchantons l’Europe, car, à défaut, elle sortira de l’histoire, et la France avec elle ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, c’est la quatrième fois en un an que nous nous retrouvons pour débattre au sein de cet hémicycle après une déclaration du Gouvernement sur un sujet européen.
L’on pourrait s’en réjouir, et y voir une poussée d’intérêt pour l’Europe. Cela serait heureux, mais c’est hélas la multiplication et l’accélération des crises de notre union continentale qui nous amène aujourd'hui à débattre de nouveau.
S’agissant de la crise de l’euro et de l’action pour faire rester la Grèce dans l’euro, je veux saluer l’action du Président de la République François Hollande et du gouvernement français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également. – Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) En effet, alors que, à l’époque, certains voulaient le Grexit, la France a toujours dit : Non, la place de la Grèce est dans l’Europe et dans l’euro ».
M. Jean-Louis Carrère. Bravo !
M. Didier Guillaume. Après la crise de l’euro et l’action pour faire rester la Grèce dans l’euro, après la recherche d’une solution concernant les réfugiés, dossier sur lequel beaucoup reste à faire, nous voici aujourd’hui confrontés à une première historique pour l’Europe : un divorce entre notre communauté européenne et l’un de ses membres.
Cette nouvelle difficulté est sans doute la plus ardue, et il est de notre responsabilité collective, à nous, Français, et à tous les autres pays d’Europe, de la surmonter aujourd'hui.
Mes chers collègues, cette rupture ne vient pas de nulle part. Peu nombreux sont ceux qui formulaient cette éventualité avant la convocation du référendum britannique, mais beaucoup la craignaient. Nous y sommes.
Cette rupture entre l’Europe et un de ses peuples intervient comme le point d’orgue d’une multiplication des crises européennes. Bien sûr, il y a eu la crise économique qui a entraîné dans son sillage la crise des dettes souveraines, après 2008. Mais les difficultés de l’Europe avec les peuples avaient déjà commencé bien avant. De la peur de davantage d’intégration dans les années 1990 à la crainte d’un projet trop vertical en 2005, les signes de défiance des peuples envers l’Europe étaient nombreux. Les réponses ont été trop courtes, et même lorsque le peuple français a voté, il n’a pas été tenu compte de son souhait.
Nous sommes tous comptables de cette situation. Les rivalités politiciennes nationales prenant souvent le pas sur le reste, le statu quo devient souvent le point d’arrivée des débats européens.
Pendant ce temps, les voix eurosceptiques de toutes provenances se sont renforcées en Europe. Les nationalismes ont pris confiance. Le débat qui s’est déroulé il y a maintenant quelques jours au Royaume-Uni en a été le témoignage : racisme et xénophobie à tous les étages ; slogans réducteurs et fausses pistes de sortie, qui inquiètent aujourd'hui les Britanniques, y compris ceux qui ont voté pour la sortie.
Ces crises européennes traduisent douloureusement une certaine absence de projet européen. Lorsque nous disons cela, lorsque notre groupe dit cela, je sais que ça hérisse le poil de tous ceux qui, comme nous-mêmes, dans cet hémicycle, sont des Européens convaincus. Mais reconnaissons qu’au-delà des champs économiques et monétaires, au-delà de la question du marché, donc, nous avons échoué à construire une véritable société européenne.
David Cameron a qualifié vendredi matin les Britanniques de « nation de marchands ». Par une ironie de l’histoire, ce sont les « marchands » qui quittent les premiers une communauté tournée vers le « marché ». Et ce n’est pas qu’une ironie. C’est aussi le symbole que l’Europe, que nous tous n’avons pas su apporter plus que ce marché.
Cette faillite doit être constatée aujourd’hui pour mieux préparer demain, l’après-sortie du Royaume-Uni. Car, oui, le Royaume-Uni doit quitter l’Europe. Après ce référendum, après cette séparation, après ce divorce, il faut se tourner vers la famille. Et la famille, c’est l’Europe, ceux qui restent. Cette famille doit demeurer soudée, unie, et affirmer trois principes. Le peuple britannique est un peuple ami et le restera. Le Royaume-Uni est un pays ami et le restera. Mais quand on divorce, on quitte la maison commune immédiatement, pour habiter peut-être à côté, mais en tout cas, pas sous le même toit, sinon personne ne le comprendrait. (Exclamations sur quelques travées du groupe Les Républicains.) Que cela plaise ou non, le peuple a toujours raison. Le peuple britannique a voté et il a décidé. Il a souhaité quitter l’Europe. La priorité doit donc désormais être d’organiser cette sortie.
Celle-ci ne doit pas traîner au-delà de ce que prévoit l’article 50 du traité de Lisbonne. La sortie du Royaume-Uni est un enjeu de respect démocratique, mais pas seulement. Elle est aussi impérative pour sortir d’une zone d’incertitudes qui pénaliserait les Européens et les Britanniques.
Ceux qui voudraient aujourd’hui retarder cette sortie sont parfois ceux qui l’ont demandée. Il n’est pas acceptable que les Anglais se retirent des contraintes, mais gardent les avantages communautaires. Quand on quitte l’Europe, on n’a plus de commissaire européen, on n’a plus de députés européens, on ne touche plus les aides de la PAC (M. Hubert Falco applaudit.) et on est un pays comme un autre, même si l’on reste un pays ami. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.) Il faut que cela soit clair.
Aussi, la deuxième question, lorsque le Brexit sera effectif, est celle du projet européen. Si ce projet a failli, il peut repartir – les orateurs qui m’ont précédé ont évoqué ce point.
Le chef de l’État en a esquissé les contours depuis plusieurs semaines, et précisé le contenu le week-end dernier. Dans les discussions avec la Chancelière allemande – et il fera de même au cours des discussions qui vont se dérouler dans les jours qui viennent avec l’ensemble des présidents –, il a fixé comme priorité l’établissement de politiques européennes pour la sécurité et la défense, pour l’investissement dans les nouvelles technologies, pour la jeunesse, pour l’harmonisation fiscale et sociale ainsi que pour le renforcement de la gouvernance.
C’est une trajectoire essentielle, non pas qu’il faille effacer ce qui s’est passé jusqu’à présent, mais pour tirer les conclusions et les conséquences du référendum britannique, et parce que l’Europe, pour qu’elle soit mieux comprise, doit être plus efficace et plus tournée vers les peuples.
Ensemble, nous avons l’objectif de bâtir une Europe plus forte, plus solidaire et qui soit susceptible de faire progresser chacune de nos nations. Nous soutenons le Président de la République, le Gouvernement, vous-même, monsieur le ministre Jean-Marc Ayrault, et donc la France dans cette orientation. Quelles que soient nos sensibilités politiques, tous les discours qui abaisseraient, qui rabaisseraient la France participeraient du dénigrement et l’affaibliraient dans la discussion internationale et européenne.
Il est temps, oui, il est temps, que l’Europe reparle aux citoyens. Le projet que nous devons bâtir maintenant est celui d’une transformation européenne qui nous fasse passer de l’Europe du marché à l’Europe du citoyen, celui d’une Europe qui écoute ses citoyens.
Il faudra ensuite investir un véritable espace démocratique, et il sera enfin impératif que l’Europe se simplifie, qu’elle simplifie son fonctionnement, qu’elle porte des projets qui aient un sens pour les citoyens.
Nos concitoyens, j’en suis persuadé, aiment l’Europe. Les Français et les Européens, dans leur grande majorité, savent ce que l’Europe leur a apporté en termes de paix et d’ouverture culturelle, d’échange. Tous les jeunes qui ont échangé dans les jumelages après la Seconde Guerre mondiale savent que cette Europe est l’Europe de leur futur, l’Europe de leur vie. Mais certains ne comprennent plus l’Europe qui est aux commandes. Le rôle des politiques, le rôle des gouvernants est de faire en sorte que le projet européen l’emporte sur la technocratie et la technostructure européenne.
Le moment est important. Soixante ans de construction européenne ne doivent pas tomber par la sortie d’un seul membre.
Il y a eu à mon sens deux événements importants dans la construction européenne. Tout d’abord, novembre 1989 et la responsabilité historique d’Helmut Kohl. Ce grand européen avait compris que pour que l’Allemagne soit plus forte elle devait se réunir, que le peuple allemand devait se réunir. En gommant cette partie de l’histoire, il a rendu l’Allemagne plus forte. Cela a coûté cher à l’Allemagne, mais Helmut Kohl a eu le courage de le faire, sans démagogie, sans populisme. Il restera comme le grand homme de la réunification.
Une autre date, beaucoup plus négative, restera celle de juin 2016. Elle est marquée par la responsabilité de David Cameron, qui n’a pas eu de vision prospective pour l’Europe, mais une vision politicienne, à des fins d’élection interne. Il aura réussi à diviser le peuple britannique et, peut-être, ce royaume, ce grand pays, et il portera sans doute dans les années qui viennent la lourde responsabilité de ce qui se sera passé dans notre continent.
Mes chers collègues, il faut surmonter ce défi, économique, social, culturel et politique. Je suis certain que notre pays, nous toutes et nous tous, malgré nos divergences, malgré nos sensibilités différentes, avons la capacité de surmonter cette étape, en ouvrant un grand débat sur le projet européen que nous souhaitons.
Il faut que ce projet soit clair. Le ministre des affaires étrangères l’a dit tout à l’heure, le débat aura lieu dans les mois qui viennent pour l’élection présidentielle, et chacun devra apporter ses orientations en intégrant les citoyens à la décision, en redonnant du souffle à l’Europe par un projet porteur d’espoir. Il ne s’agit pas d’être négatif, il ne s’agit pas d’être pessimiste, il s’agit d’être réaliste.
Aujourd'hui, comme cela s’est déjà passé, l’Europe traverse une zone de turbulences. À nous de faire en sorte d’en sortir non pas uniquement pour nos pays, mais pour les peuples d’Europe qui doutent. Si nous voulons que les peuples d’Europe et le peuple de France reprennent confiance en la politique et en ceux qui les gouvernent, cela passera par le respect de la parole, mais surtout par le tracé de perspectives pour un grand marché commun européen, celui de la paix et de la prospérité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain ainsi que sur plusieurs travées du RDSE. – M. Jean Desessard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jeudi soir, après une campagne excessivement instrumentalisée à des fins de politique intérieure, 52 % des Britanniques ont pris la lourde décision de quitter l’Union européenne.
C’est un choix démocratique que nous respectons, et qui doit aujourd’hui être mis en œuvre à travers une activation rapide de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, le TUE.
Car après ce coup sans précédent porté à une Union européenne déjà bien mal en point, il ne faudrait pas que de longues et tortueuses négociations sur les modalités de sortie viennent accaparer nos diplomaties respectives et paralyser les institutions européennes pendant au moins deux ans, précisément à un moment où il est désormais urgent, et je dirai même vital, d’engager un véritable débat de fond sur l’indispensable renouveau du projet européen.
L’heure est donc grave, pas seulement pour les Britanniques, mais pour l’ensemble de l’Union et de ses citoyens.
Cependant, s’il y a au moins un aspect salutaire dans cette affaire, c’est que tous nos responsables politiques nationaux parlent enfin de l’Europe et que, à moins d’un an de l’élection présidentielle, cette question figure désormais en haut de leur agenda politique.
Face à cette crise inédite, il est plus que jamais urgent de nous interroger sur notre responsabilité collective en tant qu’États membres dans cette lente mais constante dérive de l’idée européenne.
Nous avons effectivement dessiné les prémisses d’un possible rejet citoyen du projet européen, lorsque nous nous sommes orientés tête baissée et presque exclusivement vers un grand marché unique et vers une austérité accrue qui a surtout accentué les inégalités sociales en Europe.
Nous les avons aussi dessinées lorsque nous n’avons pas eu le courage de doter l’Union d’un budget suffisamment ambitieux. Alors que nous demandons chaque jour à l’Europe de prendre à sa charge de nouvelles missions, ses ressources sont limitées à 1 % du produit intérieur brut de l’Union, et désormais presque exclusivement alimentées par des contributions nationales qui font l’objet d’un marchandage toujours plus âpre quant aux retours attendus par chaque État membre. (M. Jean Desessard applaudit.)
De surcroît, l’abaissement continu des droits de douane à l’entrée de l’Union au cours des vingt dernières années a drastiquement diminué nos ressources propres.
Monsieur le ministre, comment construire une Europe solidaire, qui protège et qui investit avec aussi peu de moyens pour agir ? Car, en général, c’est lorsqu’une crise surgit et que nous ne parvenons pas à la résoudre à l’échelle nationale que nous nous tournons en urgence vers l’Europe. Mais comme dans le cas récent de la crise des réfugiés, à défaut de prévention et de solidarité, la réponse est chaotique et désordonnée.
Or le sens fondamental du projet européen, c’est précisément de se projeter, d’anticiper ensemble les défis à affronter.
Si cette responsabilité collective de l’Europe est indéniable, elle ne doit pas faire oublier la responsabilité aussi de notre pays, la France, membre fondateur de l’Union et deuxième puissance européenne.
À ce titre, quelle proposition forte avons-nous portée auprès de nos collègues européens au cours des dix dernières années ? Et plus prosaïquement, monsieur le ministre, que reste-t-il désormais de notre influence réelle au sein des institutions européennes ?
Depuis dix, voire quinze ans, nous avons laissé se déliter la relation franco-allemande, qui a longtemps constitué le moteur de l’Union.
La réalité aujourd’hui, à un moment où nous devrions agir de concert pour un véritable sursaut de l’Europe, c’est que nous avons bien du mal à nous entendre et à nous comprendre. Un peu à l’instar de nos amis Britanniques, nous, Français, nous drapons volontiers dans la grandeur de notre passé national sans reconnaître aujourd’hui notre profonde dépendance aux autres.
« France, cinquième puissance mondiale », c’est par cette ritournelle illusoire que presque tous les prétendants à l’élection présidentielle aiguisent l’imaginaire politique des électeurs, sans oser dire que nous ne devons notre maintien à ce rang fragile dans la hiérarchie mondiale qu’à notre appartenance à l’Union et à ce qu’elle nous a apporté au cours des décennies écoulées.
Ritournelle illusoire, aussi, parce que la réalité qui s’annonce, et que nous cachons très pudiquement à nos concitoyens, c’est qu’à l’horizon de 2050 au plus tard, plus aucun pays européen, pas même l’Allemagne, ne figurera parmi les vingt premières puissances de la planète.
À l’heure de la montée en puissance de pays qui n’ont plus d’émergents que le nom, comment pouvons-nous penser l’avenir de notre pays sans penser l’échelle européenne, la seule susceptible d’imposer une véritable régulation dans un processus de mondialisation effréné ?
Les fondements actuels de la crise de l’Union ne sont pas le seul fait du Brexit, qui n’en est aujourd’hui que le révélateur.
Ces fondements remontent en réalité à une vingtaine d’années, lorsque, à défaut de nous doter d’une vision politique commune, appuyée sur une véritable gouvernance démocratique, nous avons choisi de nous limiter à la construction d’un grand marché unique, que nous avons largement délégué à une Commission européenne empreinte en la matière d’un dogmatisme néolibéral totalement suranné.
Celle-ci s’est en effet érigée en négociatrice exclusive d’une multitude de traités bilatéraux, et à défaut de favoriser l’émergence d’une vigoureuse politique industrielle européenne, elle préfère développer une insensée politique de la concurrence, y compris dans les secteurs les plus stratégiques pour notre économie. Avec les règles qui ont cours aujourd’hui, la création d’Airbus, heureusement bien antérieure, n’aurait sans doute jamais pu voir le jour.
Ce sont les mêmes règles qui, aujourd’hui, entravent l’émergence d’une véritable industrie européenne du numérique (M. Yves Pozzo di Borgo applaudit.) et d’un grand plan d’investissement en faveur de la nécessaire transition énergétique de nos économies. Car dans ces deux domaines, et dans bien d’autres, nos concurrents nord-américains et asiatiques sont loin d’avoir la même retenue, en recourant parfois de manière massive à l’aide publique pour stimuler leur économie.
Conscients de cette politique devenue hors sol, le vice-chancelier allemand, M. Sigmar Gabriel, et le président du Parlement européen, M. Martin Schulz, ont proposé vendredi dernier de transformer la Commission européenne en un véritable « gouvernement » et, surtout, de la placer sous le contrôle démocratique de deux chambres, à savoir le Parlement européen et une assemblée représentant les États membres.
Monsieur le ministre, comment le gouvernement français accueille-t-il cette proposition ?
Par ailleurs, et compte tenu des griefs croissants des citoyens européens à l’encontre des accords commerciaux bilatéraux, dont les négociations restent conduites dans une très grande opacité par la Commission, ne pensez-vous pas qu’il est urgent de réclamer immédiatement un moratoire sur les traités en cours ou en prévision, le temps, au moins, d’en repenser les finalités et les modalités ?
Au-delà de ces questions de nature économique, la relance et la cohérence du projet européen doivent parallèlement passer par d’autres initiatives visant à rendre l’Union plus solidaire et plus proche des préoccupations des citoyens.
Il faut bien évidemment avancer à marche forcée vers une harmonisation des règles fiscales et sociales au sein de l’Union, afin que certains États membres cessent de capter indûment une bonne partie de la richesse produite sur le territoire de l’Union.
Car, il faut bien le dire, il est pour le moins paradoxal de constater aujourd’hui qu’une partie des pays jugés parmi les plus vertueux en matière de respect des critères de convergence budgétaire s’adonnent à des pratiques fiscales qui n’ont rien de respectables au regard de l’intérêt général européen.
D’aucuns proposent également un renforcement significatif de la politique de sécurité et de défense commune pour faire face aux crises externes et internes que nous affrontons. Pourquoi pas ? Mais cette question appelle de nombreux débats, notamment celui de ne pas sombrer dans une politique répressive, sans respect pour nos principes d’accueil, et, surtout, sans la mise en œuvre, en amont, d’une véritable politique d’aide au développement et de prévention des conflits dans les zones à risque.
Cependant, le problème majeur de toutes ces belles propositions qui fleurissent depuis quelques jours, c’est que celles-ci supposent, afin de pouvoir entrer en action, de passer outre la fameuse règle de l’unanimité des États membres qui, aujourd’hui à 27, comme ce fut le cas hier à 28, constitue un véritable verrou bloquant toute possibilité de changement.
La grande difficulté de l’Union européenne, c’est que ses institutions et ses modes de fonctionnement ont, pour l’essentiel, été conçus à une époque de prospérité pour six ou dix États, et où la mondialisation et la conjonction des crises n’avaient pas la même intensité qu’aujourd’hui.
Le saut en avant de l’Europe est inévitable. Si nous ne voulons pas périr dans le processus de décomposition qui s’est amorcé, il faut agir vite et fort. Mais ce saut ne pourra s’opérer qu’avec l’agrément de nos concitoyens, quitte à devoir entériner au passage le principe d’une Europe à plusieurs vitesses.
Cela n’aurait aucun sens aujourd’hui, me semble-t-il, de soumettre la question européenne à référendum, sans qu’un tel projet renouvelé ait été sérieusement discuté et élaboré au préalable.
L’idée de lancer un processus constituant, tel que proposé par les écologistes, me paraît être la bonne.