M. le président. La parole est à M. Maurice Vincent.
M. Maurice Vincent. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des finances, mes chers collègues, je ne traiterai ni du projet de loi de règlement ni des comptes sociaux, me limitant à contribuer au débat sur l’orientation des finances publiques.
Monsieur le secrétaire d’État, je ne reviendrai pas dans le détail sur les principales mesures annoncées dans le cadre de la préparation du budget pour 2017, puisque vous venez de les rappeler.
À vrai dire, même si la presse et une partie de la majorité sénatoriale ont tendance à se focaliser sur l’annonce de 50 milliards d’euros d’économies en quatre ans (MM. Philippe Dallier et Francis Delattre s’exclament.), qui ne seront du reste peut-être pas réalisées au centime près, personne ne conteste vraiment l’utilité des dépenses nouvelles. Qui pourrait regretter d’ailleurs les efforts indispensables consentis en faveur de nos forces de sécurité, de l’armée et de la justice au moment où notre pays est si durement agressé ?
De même, je n’ai entendu personne remettre en cause le soutien à l’embauche et à l’investissement dans les PME et TPE, au moment où la croissance économique repart et où, selon l’APEC, l’emploi des cadres s’améliore, tandis que, selon l’INSEE, le niveau de nos exportations atteint un niveau record.
Il en va de même pour l’augmentation des moyens alloués à l’éducation, à l’enseignement supérieur et à la recherche, dans une économie de plus en plus dépendante de l’innovation. Je n’insisterai pas non plus sur la nécessité des mesures de soutien à nos agriculteurs, qu’en général tout le monde vote.
En réalité, c’est sans doute par esprit de polémique que certains d’entre vous, notamment parmi Les Républicains, qualifient de « cadeaux » ces dépenses qui, d’une part, sont financées, et, d’autre part, justifiées, et même indispensables.
Il est en effet de bonne politique budgétaire d’intervenir à bon escient pour conforter la croissance économique, certes renforcée depuis 2015 mais qui pourrait pâtir de quelques incertitudes dans les temps à venir.
Si le Brexit, avec ses effets indirects sur la croissance économique, ne devrait pas en principe toucher notre pays de façon excessive, l’on peut toutefois craindre une baisse de 0,1 ou de 0,2 point de notre PIB. Dans ce contexte, mieux vaut prendre des mesures pour assurer le maintien de notre croissance économique au niveau projeté. Ces orientations budgétaires soutiendront la consommation et l’investissement en 2017 et sont donc bienvenues, d’autant qu’elles restent totalement compatibles, quoi qu’en disent certains commentateurs trop rapides ou politiquement orientés, avec les engagements européens de notre pays et, globalement, avec les trajectoires prévues : pour la première fois depuis 2007, le déficit public passera en 2017 sous le seuil de 3 % du PIB !
Ces nouvelles mesures sont rendues possibles par l’ensemble des décisions prises par le Gouvernement depuis 2012 dans le domaine budgétaire et financier. Permettez-moi de citer quelques chiffres qui, je crois, devraient convaincre nos collègues les plus rigoureux et objectifs.
En cinq ans, le déficit des administrations publiques aura été divisé par deux en pourcentage du PIB, passant de 5,7 % en 2011 à 2,8 % en 2017. C’est tout de même une performance !
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, selon vos propres chiffres, la dette publique sera contenue à environ 97 % du PIB, contre 90 % en 2012. S’il y a certes eu une petite hausse, je rappelle que la dette s’élevait à 64 % du PIB en 2007 : on voit bien qui a endetté le pays et qui stabilise aujourd'hui la dette !
Toujours selon vos chiffres, les prélèvements obligatoires, qui représentaient 41,5 % du PIB en 2008 et 44,5 % en 2012, sont aujourd'hui à peu près stabilisés à ce dernier niveau, avec même une légère baisse depuis 2014.
Je voudrais enfin rappeler que le budget pour 2012 avait été construit par la majorité de l’époque selon une prévision de croissance de 1 %, alors que le consensus des économistes s’établissait à 0,2 %. Cela n’a l’air de rien, mais 0,8 % du PIB représente tout de même 16 milliards d’euros. Même avec les récentes annonces du Gouvernement, nous sommes loin d’un tel écart ! Soit dit par parenthèse, les chiffres que je viens de citer montrent que la sincérité des prévisions est à gauche, et non à droite ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
Durant ce quinquennat, la politique budgétaire de notre pays, la maîtrise de la masse salariale, le contrôle accru sur les organismes satellites de l’État, la lutte contre la fraude fiscale auront permis d’enrayer une dégradation importante observée entre 2007 et 2012, qui ne s’explique pas seulement, tant s’en faut, par la crise économique. Personne n’a oublié, par exemple, les pertes de recettes liées à la mise en place du bouclier fiscal.
Je note que les leaders de l’opposition nationale nous promettent, dans un avenir proche, une véritable saignée budgétaire, avec une réduction des dépenses publiques de l’ordre de 100 milliards à 150 milliards d’euros. Si elle devait être mise en œuvre, cette dernière aurait pour double conséquence de casser la croissance économique, qui est pourtant encore insuffisante, et d’affaiblir nos services publics, qui sont au cœur du modèle social français et que nous avons su préserver, et même renforcer, depuis cinq ans.
Oui, la gestion budgétaire et financière de notre pays a été de grande qualité depuis cinq ans, et les mesures annoncées pour 2017 ne remettront pas en cause ce constat. Les taux auxquels nous finançons notre dette prouvent d’ailleurs que le monde le reconnaît.
On peut toujours discuter telle ou telle disposition, mais, en définitive, les résultats obtenus comme les orientations des finances publiques pour 2017 peuvent être légitimement jugées cohérentes avec l’héritage de Michel Rocard, sa rigueur et son sens de la justice sociale et de l’efficacité économique, auxquels nous avons rendu hommage aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ce projet de loi de règlement est déjà le dernier que nous étudierons sous cette législature. Ce débat nous fournit donc une première occasion de revenir rapidement sur les éléments marquants de la politique économique et budgétaire de ces dernières années.
Au début du quinquennat, nous avons manqué l’occasion de renégocier le pacte budgétaire qui s’impose désormais comme le cadre de nos finances publiques, ou au moins d’exiger une contrepartie économique solide. Je ne reviendrai pas ici sur le premier projet de relance de 100 milliards d’euros ou sur le plan Juncker, dont on nous vante les mérites. Tous les économistes considèrent que, pour permettre une véritable relance au niveau européen, celui-ci devrait être d’un montant au moins trois fois supérieur aux 315 milliards d’euros prévus.
D’un point de vue plus technique, lors de la ratification du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, les écologistes avaient dénoncé l’incongruité qu’il y avait à fonder tout l’édifice de la convergence budgétaire sur une notion aussi mal définie que celle de croissance potentielle. Nous n’avions pas été entendus, mais je constate que, dans son dernier rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, la Cour des comptes développe une analyse assez similaire.
Après l’adoption du TSCG, le Gouvernement a fait adopter, à l’automne 2012, le CICE, élaboré sur un modèle assez similaire à celui de la TVA sociale, qui avait pourtant été abandonnée durant l’été. Les écologistes s’étaient alors opposés non pas à l’idée de soutenir les entreprises, mais au fait que l’octroi d’un crédit d’impôt aussi massif et non sectorisé ne soit soumis à aucune condition.
Près de quatre ans plus tard, quel est le bilan ? D’après une étude récente de l’OFCE, le taux de marge des entreprises s’élève désormais à 39 %, ce qui représente le taux le plus haut depuis 1980. Dans le même temps, avec 47 milliards de dollars de dividendes versés en 2015, la France est le pays de la zone euro dont les entreprises rémunèrent le plus les actionnaires. Quant aux emplois promis, selon les premières estimations, seulement 100 000 ont été créés.
Sur le plan budgétaire, cette politique s’est traduite par un report notable de la fiscalité des entreprises vers celle des ménages. Comme l’a montré M. le rapporteur général, la part de la charge fiscale des ménages dans les prélèvements obligatoires a augmenté de deux points depuis 2011, tandis que celle des entreprises a baissé de quatre points. C’est d’ailleurs essentiellement aux fins de permettre la réduction de cette dernière, et non pour résorber le déficit public, que le Gouvernement a procédé, depuis le début du quinquennat, à des coupes parfois claires dans nombre de crédits budgétaires.
Toutefois, il faut le reconnaître et s’en réjouir, l’impact direct de ces coupes sur l’économie n’a pas été aussi néfaste que ce que l’on aurait pu craindre. En effet, la Banque centrale européenne a soutenu l’activité par une politique monétaire très accommodante, allant même jusqu’à outrepasser son statut pour racheter de la dette souveraine sur les marchés secondaires. De même, la baisse historique du cours du pétrole, liée à d’insondables stratégies de concurrence entre les pays producteurs, constitue une aubaine.
Si le pire a donc été évité à court terme, on peut en revanche être légitimement préoccupé pour l’avenir. Rien qu’en 2015, les dépenses publiques d’investissement ont reculé de 4,1 milliards d’euros, soit de 5,1 %. Quant aux services publics, ils cumulent, année après année, baisses de qualité et difficultés de fonctionnement dans une relative indifférence.
Permettez-moi de prendre l’exemple de la mission budgétaire « Écologie », à laquelle j’attache un intérêt particulier. Son exécution pour 2015 est supérieure de 2,3 % à la prévision. C’est formidable… mais seulement en apparence,…
M. Michel Bouvard. Eh oui !
M. André Gattolin. … car il s’agit en réalité, pour près de 800 millions d’euros, d’un artefact dû à un changement de périmètre. La neutralisation de ce transfert conduit en réalité en 2015 à une sous-exécution de la mission « Écologie » de près de 6 % par rapport à la prévision.
M. Michel Bouvard. Et voilà !
M. André Gattolin. Plus généralement, les crédits consommés par la mission ont diminué de près de 22 % entre 2011 et 2015, passant de 12,4 milliards à 9,7 milliards d’euros hors programme d’investissements d’avenir. Les effectifs ont, quant à eux, été amputés d’environ 7 500 emplois en trois ans, soit une baisse d’environ 20 %.
Évidemment, toutes ces coupes ne sont pas indolores. Dans le classement de performance, indexé sur le nombre d’indicateurs pour lesquels l’objectif initialement fixé a été atteint, la mission « Écologie » arrive au vingt-quatrième rang sur vingt-huit. Il ne faut pas s’en étonner. Le personnel restant dénonce la désorganisation du travail et la dégradation des contrôles de préservation de l’environnement. Le fonctionnement de l’Agence française pour la biodiversité, qui n’est même pas encore installée, suscite déjà de nombreuses inquiétudes.
Quant à la fiscalité écologique, qui a augmenté au cours du quinquennat – ce qui à mon sens est une bonne chose –, elle est principalement utilisée pour le financement du CICE, ainsi que pour compenser la faiblesse du produit de la contribution au service public de l’électricité, la CSPE, qui a été maintenue artificiellement basse afin de préserver le mythe d’une électricité française bon marché.
Pour autant, malgré notre vision critique, nous n’oublions pas que ce n’est pas sur la stratégie qu’il nous incombe aujourd'hui de voter, mais sur le règlement. Attendu que les comptes pour 2015 ont été certifiés par la Cour des comptes, nous voterons ce projet de loi, comme nous avions voté, avec le groupe socialiste, le projet de loi de règlement du budget pour 2011.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mes chers collègues, « ça va mieux ! », nous répète le Président de la République depuis la fin de l’année dernière. « Ça va mieux ! », nous dites-vous, monsieur le ministre, à l’appui des chiffres de l’exécution du budget de 2015 que nous examinons aujourd'hui. Et « ça ira encore mieux demain », si l’on en croit le rapport d’orientation des finances publiques, qui nous a été remis bien tardivement cette année, les hypothèses retenues en matière de dépense évoluant tous les jours.
Mes chers collègues, je dois vous dire que nous ne partageons pas l’optimisme dans lequel baigne le Gouvernement depuis quelque temps, tout d’abord parce qu’il faudrait que tous les indicateurs, économiques et budgétaires, soient passés au vert, ce qui n’est pas le cas, ensuite parce qu’il faudrait que le ciel soit bleu, sans aucun nuage à l’horizon, ce qui n’est pas le cas non plus…
Certes, cela va un peu mieux sur certains points, mais pas sur tous les fronts, tant s’en faut, malgré des éléments de conjoncture particulièrement favorables, dont on ne sait d’ailleurs pas jusqu’à quand ils persisteront. Politique de quantitative easing de la BCE, taux d’intérêt historiquement bas, faiblesse de l’euro, bas coût des matières premières : il aurait fallu profiter de cet alignement des planètes pour mener les réformes structurelles nécessaires afin de pouvoir en tirer le meilleur parti.
Malheureusement, en 2012, le Président de la République pensait que la croissance reviendrait toute seule. Grave erreur ! Confronté à la dure réalité, il s’est ensuite résolu à changer de politique, annonçant une baisse des charges des entreprises et des économies pour les financer et réduire le déficit. Le voilà maintenant qui change encore de pied sur le terrain des dépenses…
Ce quinquennat qui s’achève aura donc comporté trois périodes.
La première fut celle de l’assommoir fiscal : 30 milliards d’impôts et de charges qui ont tué la croissance, l’investissement des entreprises et la consommation des ménages, avec, en prime, un taux de chômage qui a explosé.
La deuxième période, celle du virage « social-libéral », débute le 31 décembre 2013, avec l’annonce par le Président de la République, lors de la présentation de ses vœux aux Français, du pacte de responsabilité et de solidarité, suivie, en avril 2014, de celle du fameux plan de 50 milliards d’euros d’économies.
Mais alors que le CICE commençait à donner quelques résultats – 1,3 % de croissance l’an dernier et une légère reprise de l’investissement des entreprises –, le Président de la République est emporté par un optimisme débridé. S’ouvre alors, sur une série d’annonces nouvelles, la troisième et dernière période du quinquennat, celle du « ça va mieux et après nous le déluge ».
Dans un premier temps, monsieur le ministre, vous nous avez garanti que les nouvelles dépenses seraient gagées par des économies. Hier, nous avons appris qu’il n’en serait finalement rien. Exit donc le plan de 50 milliards d’euros d’économies, que vous n’auriez de toute façon pas respecté, même sans ces annonces nouvelles, parce que vous n’avez fait que repousser devant vous la mise en œuvre des réductions de dépenses.
Mes chers collègues, je crois que jamais quinquennat n’aura été marqué, hors période exceptionnelle, par autant de revirements politiques en si peu de temps. Le slogan de campagne de François Hollande était, en 2012 : « le changement, c’est maintenant » ; il aurait mieux valu qu’il annonce : « le changement, c’est tout le temps » !
C’est là à mon sens le point plus regrettable dans cette affaire. Entre 2007 et 2012, nous avons dû affronter la crise des subprimes importée des États-Unis, puis la crise des dettes souveraines. Le monde n’avait rien connu de tel depuis la crise de 1929. Les recettes de l’État ont chuté de 25 % ; il a fallu sauver le système bancaire et certaines grandes entreprises du secteur automobile ; les taux d’intérêt étaient plus élevés, l’euro plus fort, le pétrole plus cher. Quant à la BCE, elle était aux abonnés absents !
Par comparaison, vous aurez connu une période bien calme, le sauvetage de la Grèce, s’il nous a demandé quelques efforts budgétaires, n’ayant rien de comparable. Vous auriez donc pu, vous auriez dû profiter de cette période d’accalmie après la tempête pour alléger, dès 2012, les charges des entreprises, tout en réduisant sérieusement la dépense publique.
Vous avez fait exactement l’inverse : vous avez supprimé la TVA sociale et alourdi sévèrement les charges pesant sur les entreprises et les particuliers. Les charges sur les entreprises n’ont commencé à diminuer véritablement qu’en 2015, comme en témoigne d’ailleurs le fait que le coût du CICE soit supérieur à la prévision, ce qui est une bonne chose.
Quant à la dépense publique, vous n’aurez fait que limiter sa hausse, les résultats que vous obtenez étant dus en grande partie à la baisse des dotations des collectivités locales et à des éléments conjoncturels.
La dette, enfin, continue d’enfler malgré les promesses de stabilisation. Comment, à ce sujet, ne pas pointer l’artifice que vous avez utilisé – je parle des 22 milliards d’euros de primes d’émission que vous avez empochés, reportant cette charge sur les années à venir ? Comment d’ailleurs la dette pourrait-elle se stabiliser en euros, tant qu’il y aura 70 milliards d’euros de déficit budgétaire ? Une stabilisation de la dette en pourcentage du PIB est peut-être possible, mais pas en euros.
Mes chers collègues, voilà le tableau bien moins flatteur que nous dressons de la situation actuelle et que nous retrouvons dans les chiffres de ce projet de loi de règlement. Si le refrain du « ça va mieux » vise, de toute évidence, à rassurer le citoyen à l’approche de l’élection présidentielle, il ne résiste pas longtemps à la réalité des chiffres.
Je crois d’ailleurs pouvoir dire sans risque d’être démenti que l’examen de ce projet de loi de règlement est marqué par l’incroyable divergence d’appréciation entre la Cour des comptes et le Gouvernement. Jamais peut-être, depuis que nous nous livrons à cet exercice, les points de vue n’ont été aussi éloignés. Et pourtant, ce sont les mêmes chiffres que les uns et les autres commentent, et ces chiffres, la Cour des comptes les a certifiés. Alors, qui croire ?
Monsieur le ministre, je vais vous faire de la peine, mais le groupe des Républicains partage le sentiment de la Cour des comptes. Les comptes que vous nous présentez pour 2015 sont bien moins satisfaisants que vous ne le dites.
Pourquoi cette différence d’appréciation ? Tout simplement parce que le Gouvernement commente le déficit de l’État mesuré en comptabilité nationale, alors que la Cour des comptes le mesure en comptabilité budgétaire, retraitée du programme d’investissements d’avenir et des autres dépenses exceptionnelles. Je salue les efforts de notre collègue députée Valérie Rabault, rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale, qui s’est évertuée à entrer dans le détail des chiffres pour essayer, vainement, de démontrer que la Cour des comptes avait tort.
Si nous voulons nous faire une idée des efforts effectivement consentis en 2015 par rapport à 2014, c’est bien la méthode de la Cour des comptes qu’il faut retenir, en excluant les éléments exceptionnels.
Vous mettez en avant la réduction du déficit budgétaire de 85,6 milliards à 70,5 milliards d’euros, mais, après retraitement des éléments exceptionnels, la Cour des comptes la ramène à seulement 300 petits millions d’euros… Monsieur le ministre, permettez au rapporteur spécial des crédits du logement que je suis de vous faire observer que, en fin d’année, vous avez décidé de supprimer 300 millions d’euros de crédits destinés au Fonds national d’aide au logement, le FNAL, soit exactement le montant de la réduction du déficit budgétaire calculée par la Cour des comptes !
Quant au déficit public, s’il passe de 4 % à 3,6 % du PIB, ce qui est une bonne chose, cela est dû en grande partie à la baisse de l’investissement des collectivités locales, dont il est à souhaiter qu’elle ne se poursuive pas, tant ses conséquences sont lourdes.
Puisqu’il faut bien se comparer à ses voisins, il n’est pas inutile de rappeler que le déficit public moyen au sein de la zone euro s’établit à 2,1 % du PIB. Au bout du compte, et c’est là le plus inquiétant, cela va toujours nettement moins bien en France que dans les pays comparables, alors qu’ils sont soumis aux mêmes contraintes conjoncturelles. Qu’il s’agisse des taux de chômage, de croissance, de déficit, d’endettement, de prélèvements obligatoires ou de dépenses publiques, nous sommes toujours à la traîne de nos principaux partenaires européens.
Le chômage a été choisi comme thermomètre par le Président de la République, qui avait annoncé en 2012 qu’il ne se représenterait pas si la courbe du chômage ne s’était pas inversée avant à la fin de l’année 2013. Or, depuis le début du quinquennat, le nombre de demandeurs d’emploi relevant de la catégorie A a augmenté de 610 000, et la hausse est de 1,1 million pour les trois catégories A, B et C.
La comparaison avec nos partenaires européens est encore une fois cruelle : en 2012, en termes de taux de chômage, la France se situait au quatorzième rang des vingt-huit pays de l’Union européenne ; en mai 2016, elle se classe au vingt et unième rang.
C’est ce qui singularise vraiment la France : alors que toutes les économies ont subi de plein fouet les crises de 2009 et de 2010, elle compte, avec la Grèce, l’Espagne et le Portugal, parmi les pays où la situation s’est le moins améliorée au regard de ce qu’elle était au pic de la crise. Monsieur le ministre, il faudrait que vous nous expliquiez pourquoi, de votre point de vue, il en est ainsi.
Quant à l’avenir, le Gouvernement fait manifestement le pari que l’économie européenne poursuivra son petit bonhomme de chemin, que le Brexit n’aura aucun impact sur la croissance – il n’est qu’à regarder l’évolution actuelle du secteur de l’immobilier à Londres pour comprendre que la bulle va peut-être craquer –, que les taux d’intérêt ne remonteront pas sensiblement, alors que des craintes s’expriment de nouveau à ce sujet et qu’une nouvelle crise bancaire pourrait bien se profiler, et que le prix du pétrole restera relativement bas.
Le Gouvernement en conclut, a l’approche de l’élection présidentielle, qu’il peut ouvrir les vannes de la dépense publique, repoussant même à 2018, par un tour de passe-passe assez culotté, la charge de la suppression de la C3S, prévue en 2017 et abandonnée au profit d’une hausse du CICE, dont la charge budgétaire portera sur l’exercice 2018. Décidément, tout lui est bon…
Mes chers collègues, non, décidément non, nous ne croyons pas que « ça va mieux », ni que cela puisse aller encore mieux demain.
Pour terminer, si tout cela n’était pas si grave, je pourrais citer Coluche, qui disait, dans l’un de ses sketches : « La France, comme elle est, c’est pas plus mal que si c’était pire. » Toutefois, je crains que le pire ne soit devant nous et je citerai donc Mendès France : « Les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent ».
Sans remettre en cause les chiffres du projet de loi de règlement, les membres du groupe des Républicains, pour marquer leur désaccord, ne le voteront pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye.
M. Vincent Delahaye. J’avoue avoir assez peu goûté, monsieur le secrétaire d'État, le ton professoral et donneur de leçons sur lequel vous vous êtes adressé à la majorité sénatoriale.
Quand on veut donner des leçons, notamment de modestie, il faut commencer par se les appliquer à soi-même ! Or, dans le discours que vous avez tenu, je n’ai rien entendu de modeste, et cela fait des années que je ne vois rien de modeste dans votre lecture des comptes publics.
J’ai déjà dénoncé à de nombreuses reprises l’habileté de la communication gouvernementale sur les finances publiques. Je dois dire que, d’une certaine manière, la façon très orientée dont vous présentez les comptes me laisse assez admiratif… Cela étant, il faut reconnaître que les membres de la majorité sénatoriale, comme ceux de l’opposition nationale, ont pu, eux aussi, faire preuve d’un peu de parti pris.
Dans ces conditions, il faut, pour nous départager, un juge de paix. Selon moi, cette fonction revient à la Cour des comptes, dont le rapport est, cette année, particulièrement sévère. Je rappelle que cette institution est présidée par un ancien député socialiste, que l’on ne saurait, vous en conviendrez, taxer de parti-pris antigouvernemental.
M. Daniel Raoul. Quoique…
M. Vincent Delahaye. J’invite tous ceux qui suivent nos débats à lire son rapport, parce que c’est sans doute le plus documenté sur les comptes publics que j’aie pu lire.
La Cour des comptes estime que la situation financière de la France est profondément dégradée. C’est un état de choses que l’on ne peut pas cacher à nos concitoyens. La situation nette, qui consiste en la différence entre le passif et l’actif, est aujourd'hui négative, à hauteur de 1 115 milliards d’euros. Aucune entreprise, aucun ménage ne pourrait subsister dans une telle situation ! Quand on dit que la France est en faillite, ce ne sont pas que des mots. C’est une réalité dont il faut tenir compte.
Dans ce contexte, il est heureux que les collectivités locales ne puissent emprunter pour financer leur fonctionnement, ce qui n’est pas le cas de l’État. La Cour des comptes relève d'ailleurs que la croissance de la dette, qui atteint près de 60 milliards d’euros en 2015 – ce n’est pas une paille, alors que vous avez parlé d’une stabilisation, monsieur le secrétaire d'État –, n’a servi à financer des investissements que pour une très faible part. Cela signifie donc qu’elle a financé des dépenses de fonctionnement et que nous vivons à crédit.
Certains arguent que les marchés nous font encore confiance. Pour ce qui me concerne, mes chers collègues, je n’ai qu’une confiance limitée dans les marchés. Ils se sont souvent trompés par le passé et je pense que, à l’heure où le volume de liquidités à placer est important, ils commettent encore des erreurs d’analyse sur un certain nombre de pays, et notamment qu’ils se trompent sur la situation financière profonde de la France.
On nous dit que le déficit budgétaire a été réduit. C’est totalement faux ! La Cour des comptes l’évalue, après retraitement des éléments exceptionnels, à 74 milliards d’euros en 2015, ce qui correspond exactement à la moyenne des déficits enregistrés entre 2012 et 2014, c’est-à-dire depuis le début du quinquennat. C’est une signature du sur-place du Gouvernement, de l’absence de réformes visant à faire baisser la dépense publique et de l’attentisme qui marque votre politique budgétaire.
Entre 2000 et 2008, c'est-à-dire durant la période ayant précédé la crise des subprimes, le déficit budgétaire annuel s’élevait, en moyenne, à 42 milliards d’euros. Aujourd'hui, il s’établit à 74 milliards d’euros ! Pourtant, en 2012, votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d'État, M. Cahuzac, avait annoncé, dans sa loi de programmation des finances publiques, un déficit de 37 milliards d’euros en 2015… Nous sommes donc très loin des prévisions et des annonces initiales, contrairement à ce que vous affirmez !
La France est également très mal placée si on la compare à ses voisins, puisque, sur les vingt-sept autres pays de l’Union européenne, seuls trois font encore moins bien qu’elle en matière de déficit, à savoir la Grèce, le Portugal et l’Espagne, qui ne sont pas à proprement parler des modèles de rigueur budgétaire.
On parle souvent d’austérité, mais je rappelle qu’une politique d’austérité consiste à diminuer très largement les dépenses et les rémunérations. Nous en sommes loin aujourd'hui ! Monsieur le secrétaire d'État, vous parlez de maîtrise des dépenses publiques, mais, en fait, celles-ci augmentent, comme l’a très justement souligné la Cour des comptes, car il faut raisonner à périmètre constant, pour pouvoir comparer ce qui est comparable. Ainsi, la Cour des comptes a calculé que les dépenses avaient augmenté, en 2015, de 3,7 milliards d’euros, c'est-à-dire de 0,9 %, alors que l’inflation est nulle.
Pour ma part, j’ai toujours été partisan de la réduction de la dépense publique, et non de sa maîtrise. Le retour à l’équilibre budgétaire en 2017 était un engagement du Président de la République. Si l’on veut rétablir l’équilibre des comptes, il faut réduire la dépense publique, ce qui nécessite des réformes de fond, des réformes de structure, qui n’ont absolument pas été engagées depuis le début du quinquennat.
Le Gouvernement avait annoncé, à grand renfort de communication, 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans, de 2015 à 2017. Des économies ont été réalisées sur les collectivités locales, à hauteur de 3,7 milliards d’euros en 2015. En revanche, alors que l’État s’était engagé à faire 7,3 milliards d’euros d’économies, la Cour des comptes n’en a relevé que 1,7 milliard d’euros, et même 0,7 milliard d’euros seulement si l’on ne tient pas compte des ponctions sur les fonds de roulement des opérateurs de l’État, qui ne correspondent pas à des économies pérennes.
La Cour des comptes a également noté que, au fil des années, les économies à réaliser étaient reportées aux années futures. En définitive, le calendrier appelant sans doute des mesures électoralistes, nous avons appris récemment que le Gouvernement abandonnait l’objectif de 50 milliards d’euros d’économies sur trois ans.