M. Jacques Grosperrin. Accord historique ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques-Bernard Magner. Il fallait prendre une initiative pour sortir des difficultés, achever la réforme licence-master-doctorat de 2002 (M. Jacques Grosperrin s’exclame.), dont les résultats sont variables selon les territoires.
Nous souhaitons adopter ce texte pour garantir un meilleur accompagnement de tous les étudiants et assurer la réussite de chacun, conformément aux principes édictés dans la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche.
L’accompagnement à l’insertion professionnelle était un des engagements contenus dans cette loi. Dans ce domaine, nous allons franchir une nouvelle étape, qui permettra d’assurer cette finalité dans la transparence.
M. Jean-Léonce Dupont a proposé l’évaluation du dispositif par un organisme indépendant, ce qui est de nature à rassurer tout le monde et permettra d’apporter des correctifs le moment venu.
On évoque une notion de « sélection ». Ce qui est ajouté, c’est l’accompagnement des étudiants titulaires de licence dans un deuxième cycle qui corresponde à leurs aptitudes et à leur projet professionnel. La capacité d’accueil est fixée par les chefs d’établissement, en vertu de l’autonomie des universités, et validée par le recteur, chancelier des universités, garant du dialogue avec l’État et, donc, du respect du droit à la poursuite des études.
Ainsi, pourra être réparée l’injustice créée par la sélection clandestine pratiquée entre les deux premiers et les deux derniers semestres du master. Nous allons supprimer cette barrière et intégrer un dialogue d’orientation et de recrutement dès l’entrée en master.
Comme l’a montré M. Jean-Léonce Dupont, nous ne rencontrons pas de véritable problème en termes de places ; il existe juste des filières et des établissements en tension.
Madame la ministre, mes chers collègues, je conclurai sur les travaux de la mission d’information sur l’orientation scolaire.
Au terme de leurs travaux, les membres de cette mission d’information ont souhaité présenter douze recommandations principales pour insuffler une nouvelle ambition à l’orientation scolaire, celle d’une orientation réussie pour tous les élèves.
Je ne vous rappelle pas ces recommandations, que M. le rapporteur a présentées voilà quelques instants. Mais tout comme lui, j’exprime le souhait, très vif, au regard de la qualité et du sérieux de nos travaux, mais aussi de l’esprit constructif dans lequel ceux-ci ont été menés, de voir le meilleur accueil réservé à ces propositions, qui ne resteront pas de vains mots. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mmes Françoise Laborde et Françoise Férat ainsi que M. Claude Kern applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin.
M. Jacques Grosperrin. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, le rapport sur l’orientation scolaire présenté par notre cher collègue Guy-Dominique Kennel porte sur un sujet important s’il en est : l’orientation scolaire.
La France, pourtant dotée d’un système scolaire exemplaire, peine aujourd’hui à s’enorgueillir des résultats de ses enfants. Le classement PISA pointe en effet régulièrement les insuffisances de notre école. L’idée se répand dès lors, insidieusement, que notre système est décadent, que nos enfants n’apprennent plus rien dans nos établissements scolaires.
Une telle affirmation, fréquente dans l’opinion publique, doit être combattue avec la dernière des déterminations, pour l’injure qu’elle fait aux enseignants et personnels du système éducatif français. La situation est en fait contrastée et complexe.
Il demeure toutefois que les mauvais résultats ne peuvent être passés sous silence – étant précisé que l’actuel gouvernement ne peut être tenu responsable de tout et que le précédent porte également une part de responsabilité : la France se classe au vingt-cinquième rang en mathématiques, au vingt et unième rang en lecture et au vingt-sixième rang en sciences.
Quels sont les remèdes ? La création de quelques écoles expérimentales, plus d’expérimentation dans les écoles, le refus de l’uniformisation par l’égalitarisme sont peut-être des pistes à envisager. Mais il faut probablement, aussi, en passer par une redéfinition des missions de l’école, par un recentrage autour de quelques axes forts.
À cet égard, la multiplicité des missions, telle qu’elles ont été posées par le ministre Vincent Peillon, s’inscrit dans l’exact contresens historique qui caractérise, malheureusement, et sur de nombreux sujets, l’action de l’actuel gouvernement.
Recentrer l’école de la République sur ses missions essentielles de transmission du savoir et d’accompagnement des élèves est donc une première piste.
Au titre des missions essentielles que doit assumer l’école figure notamment, en plus de la transmission des connaissances, l’insertion professionnelle et, plus largement, sociale. L’école doit permettre à chacun, non pas seulement de trouver sa place dans la société, mais, mieux encore, de la construire.
Voilà l’ambition fièrement portée par l’école des « hussards noirs de la République », chers à Jules Ferry : l’école doit être un ascenseur social !
Or, comme chacun le sait, cet ascenseur est aujourd’hui en panne en France. L’école ne permet plus aux enfants de s’élever au-dessus de la condition de leurs parents. Elle renforce – c’est un comble – les inégalités sociales !
C’est dire l’enjeu qui s’attache à une meilleure politique d’orientation scolaire. C’est dire combien le rapport que nous a présenté Guy-Dominique Kennel doit susciter l’intérêt.
On peut s’interroger sur le choix de certaines filières, de certains bacs technologiques pour certains enfants, qui peuvent ensuite intégrer des écoles d’ingénieurs, parce que, justement, ils connaissent ces parcours.
Parmi les solutions présentées dans le rapport, il me semble nécessaire d’insister sur le lien puissant qui doit unir la professionnalisation des études et le renforcement de l’orientation. Aider l’élève à identifier les voies dans lesquelles il dispose des aptitudes pour réussir, l’accompagner dans le renforcement de ses potentiels, choisir les bonnes options et filières pour lui permettre, à sa sortie du système éducatif, de s’insérer parfaitement dans le métier qu’il a choisi et pour lequel il s’est préparé : voilà ce que l’école doit permettre !
Mais l’école ne peut pas tout. Il faut absolument impliquer les parents, construire un contrat entre la famille, l’école et l’État.
Je m’interroge également sur la suppression du redoublement en fin de troisième, celui-ci étant mis en œuvre en fonction de l’avis des parents, ainsi que sur l’école obligatoire jusqu’à 18 ans car, on le sait, lorsqu’il n’y a pas d’appétence scolaire, il ne sert à rien d’obliger l’élève à continuer d’aller à l’école. Dans de tels cas, un cursus de professionnalisation est peut-être préférable.
La tâche est toutefois immense et suppose des enseignants formés pour l’assumer. Le rapport de notre collègue préconise donc de renforcer la formation de ces derniers et de faire en sorte qu’au cours de leur cursus, ils puissent découvrir l’entreprise pour resserrer le lien entre école et entreprise. Il est également préconisé de renforcer le lien entre le lycée et l’enseignement supérieur.
Toutes ces idées me semblent excellentes.
Des interrogations demeurent néanmoins sur la procédure d’affectation Affelnet. L’affectation des élèves en collège et en lycée ne permet pas d’envisager la mixité sociale dès lors qu’elle passe par un algorithme. Un ordinateur ne comprend qu’une chose : les notes ; il n’accorde aucune place à l’évaluation, qui peut pourtant être une source d’orientation.
Les enseignants vivent une situation difficile. Je ne reviendrai pas sur les exactions commises au cours des derniers jours, mais, au-delà de cette situation tragique, que nous espérons ne pas entendre qualifiée par M. le ministre de l’intérieur d’œuvre de « sauvageons » ou de « galopins », il faut admettre que les conditions d’exercice professionnel sont devenues, dans de très nombreux endroits, quasi invivables. Ce n’est pas un hasard si la profession d’enseignant suscite aujourd’hui des vocations en nombre plus mesuré qu’il ne serait souhaitable.
J’ai écouté votre intervention de ce matin, madame la ministre. Il faut condamner ceux qui ont commis ces actes, avez-vous dit. J’aurais aimé entendre autre chose de la part d’un ministre de la République, ministre de tutelle. Vous auriez pu employer la même formule qu’Émile Zola et son « J’accuse… ! », et dire clairement : « Je condamne ces actes ». C’est ce que les enseignants attendaient.
Dans ce contexte, pourront-ils réellement assumer de nouvelles missions ? C’est une question qu’il faut se poser.
Le rapport envisage, enfin, la situation de l’enseignement supérieur.
Les questions qui y sont abordées me semblent refléter une réalité terrible. La massification de l’enseignement supérieur a conduit à un doublement des effectifs étudiants depuis les années quatre-vingt. Les moyens n’ont pas suivi – hélas, trois fois hélas !
La loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, l’excellente réforme LRU, portée par Valérie Pécresse, avait fait un premier pas pour redonner aux universités l’autonomie dont elles ont besoin. Il faudra aller plus loin, c’est l’évidence, et permettre aux établissements de développer une véritable politique d’attractivité des meilleurs bacheliers, de recrutement des meilleurs professeurs, de recherche de sources de financement qui ne peuvent plus être uniquement celles de l’État.
L’université française du XXIe siècle sera autonome ou ne sera pas !
Il faut donc oser remettre sur la table la question de la sélection à l’entrée de l’université. Ce ne doit pas être un gros mot, madame la ministre.
C’est pourquoi je félicite mon collègue Guy-Dominique Kennel de proposer, pour les filières en tension que sont le droit, la médecine, la psychologie ou encore les cursus dédiés aux sciences et techniques des activités physiques et sportives, les STAPS, de remplacer le système actuel de tirage au sort absurde, injuste et illégal par un ensemble de règles fondées sur les prérequis.
C’est l’unique voie pour permettre la meilleure orientation et accroître les chances d’une meilleure insertion professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il faut une certaine dose de courage pour se retrouver à cette heure avancée, plutôt en nombre, pour évoquer ce sujet – je vous remercie donc de votre présence.
Il faut aussi un certain sens de l’humour, monsieur Grosperrin. Ainsi, je préfère prendre avec beaucoup de légèreté vos derniers propos et concentrerai plutôt mon intervention sur cette question de l’orientation, sujet particulièrement important, qui met en jeu rien de moins que l’avenir de nos élèves et, à travers eux, celui de notre pays.
Je voudrais tout d’abord, monsieur le président de la mission d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs ayant contribué à l’élaboration de ces conclusions, saluer très sincèrement la qualité de votre travail. Je vous en remercie.
Comme tous les orateurs l’ont souligné, la scolarité convoque, pour chaque élève, un horizon qui ne peut jamais être occulté : l’horizon de l’insertion professionnelle et citoyenne. Certes, il n’est pas le seul de la scolarité, mais nous connaissons tous son importance et l’attente qui est celle des familles et des élèves sur cette question.
Bien évidemment, la meilleure garantie d’une insertion professionnelle réussie, c’est effectivement, en amont, une orientation réussie.
Il y a là un enjeu que l’on doit aborder à la fois avec un sentiment de responsabilité – vous l’avez tous fait ici – et avec une grande humilité.
Un sentiment de responsabilité, car l’école et ses professionnels jouent un rôle majeur, dont j’ai pleinement conscience, dans l’orientation des jeunes.
Une grande humilité, car l’école, clairement, ne peut pas tout, toute seule. Elle n’est pas le seul facteur ; la trajectoire de l’élève, nous le savons bien, ne dépend pas uniquement de l’institution scolaire.
C’est d’ailleurs à cette logique que répondent les dispositifs que nous appelons « parcours d’excellence » et que nous développons en cette rentrée scolaire. Ces parcours – je n’en dirai qu’un mot car il n’en a pas été question ce soir – permettent, dans les réseaux d’éducation prioritaire, un accompagnement des élèves, depuis la classe de troisième jusqu’à la classe de terminale, par des tuteurs étudiants ou salariés d’entreprises volontaires. Leur mission consiste à ouvrir les horizons, lutter contre l’autocensure, apprendre aux élèves à mieux s’informer et s’orienter.
La trajectoire de l’élève, je le disais, ne dépend pas que de l’institution scolaire et il est important de mobiliser l’ensemble des acteurs, sans, bien sûr, priver l’école du rôle qui est le sien.
Mon action, en tant que ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, s’appuie d’abord sur une certaine vision de l’orientation.
Il s’agit de respecter un équilibre, décrit dans le premier article du code de l’éducation. Celui-ci rappelle que le droit à l’éducation passe par l’opportunité, pour chaque élève, « de développer sa personnalité, d’élever son niveau de formation […], de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa citoyenneté. »
L’orientation est donc, bien entendu, tournée vers l’insertion professionnelle des jeunes, construite pour tous les élèves, et mobilise l’ensemble des équipes pédagogiques.
Une fois ce cadre posé, quelles sont les conséquences ?
Cela implique d’abord que l’orientation ne soit pas, en effet, monsieur Abate, une étape de tri, à la fin de la troisième, entre ceux qui s’orienteront vers des formations en alternance et ceux qui emprunteront la voie de l’enseignement général.
Vous le soulignez aussi dans votre rapport, monsieur Kennel : nous ne devons pas penser l’orientation au regard de nos impératifs d’affectation des élèves dans les différents établissements scolaires en fonction du nombre de places. Je suis mille fois d’accord avec vous sur ce point.
Enfin, il faut sortir de l’opposition quelque peu stérile entre une école qui serait « adéquationniste », c'est-à-dire gouvernée par les seuls besoins du marché du travail, et une école qui transmettrait des savoirs et des connaissances éthérés sans tenir aucun compte de ce marché du travail.
Sans se résumer à la préparation des élèves au monde du travail, l’école doit penser son offre de formation en lien avec les évolutions à long terme de l’univers professionnel.
À cet égard, permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, d’ouvrir à nouveau une parenthèse.
C’est bien parce que j’ai totalement conscience de cet enjeu que j’ai entamé, en collaboration avec les différents présidents de région, la construction de 500 nouvelles formations, qui seront effectives à la rentrée prochaine.
Leur particularité est de concerner des filières professionnelles qui, sur le fondement des travaux de France Stratégie, ont été identifiées comme comprenant des métiers susceptibles de manquer de main-d’œuvre à l’horizon de dix ans. Ce sont aussi bien les filières de l’aéronautique, de la sécurité, des services à la personne ou, bien sûr, du numérique.
En nous appuyant sur les conclusions de l’institution, nous avons donc commencé à définir ces 500 filières de formation, qui mobiliseront, dès la rentrée de 2017, 1 000 enseignants en lycée professionnel.
Donc, oui, l’école doit penser son offre de formation en lien avec les évolutions du monde professionnel. De ce fait, et vous constaterez que nous convergeons très nettement sur la question, l’orientation ne peut être un choix imposé à un carrefour : elle doit être un parcours progressif, pour tous les élèves, indépendamment de leur filière.
Le fait de penser l’orientation comme un parcours représente un véritable changement de paradigme par rapport aux pratiques qui avaient cours, voilà encore peu, au sein de l’éducation nationale.
Cela a une influence sur l’ensemble de la scolarité des élèves. Ainsi, si nous voulons avoir une appréhension cohérente et sur le long terme de l’orientation, alors la scolarité elle-même doit être cohérente.
C’est cette mise en cohérence que nous avons réalisée depuis 2013.
Nous avons tout d’abord refondé le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, en définissant ce que tout élève doit pouvoir maîtriser à la fin de sa scolarité obligatoire.
Nous avons également révisé les programmes scolaires, pour les neuf années de scolarité obligatoire, en liaison avec le socle repensé – si l’on veut atteindre les objectifs, encore faut-il disposer de programmes cohérents avec ces objectifs !
À ce titre, je vous rappelle qu’avant que nous ne réalisions ce travail, qui n’était en rien mince – tout le monde l’aura constaté –, nous disposions, depuis la loi Fillon sur le socle commun de connaissances et de compétences, de programmes scolaires n’ayant rien à voir avec le socle adopté par les parlementaires.
C’est donc – pardonnez-moi d’entrer à ce point dans les sujets techniques – un travail considérable qui a été réalisé, depuis 2013, pour donner une cohérence à la scolarité, lui assurer une certaine progressivité et faire en sorte que les élèves, concrètement, acquièrent bien les connaissances dont ils auront besoin, y compris pour s’insérer dans le monde professionnel.
Enfin, il ne vous aura pas échappé – le sujet n’a pas été évoqué en soi – qu’une réforme du collège est entrée en vigueur à l’occasion de cette rentrée scolaire.
Cette réforme du collège comprend un lien évident avec l’insertion professionnelle.
Les compétences nouvelles acquises, au travers, notamment, du travail en interdisciplinarité, de l’accent mis sur la collaboration dans le cadre de projets créatifs ou autres, d’une plus grande place accordée à l’oral, de l’apprentissage plus précoce des langues vivantes, offriront aux élèves autant de plus-values qui leur serviront dans le monde professionnel.
La réforme du brevet, qui, elle aussi, entre en vigueur cette année, leur en offrira d’autres.
Ainsi, l’examen prévoit désormais une épreuve orale. Nous savons très bien, en effet, qu’à l’heure actuelle on vous jugera non pas sur la beauté de votre curriculum vitae ou de votre lettre de motivation, mais bien sur votre entretien d’embauche.
Donc, nous avons déjà remis de la cohérence dans la scolarité, et c’est une première réponse à ce besoin d’un parcours menant vers l’insertion professionnelle.
À cela, s’ajoute la construction de l’orientation.
Jusqu’à présent, les élèves – pour résumer – devaient attendre la classe de troisième, donc la fin du collège, pour acquérir leur première expérience professionnelle. Ils le faisaient à travers un stage, et quel stage ! Tous ne parvenaient pas à trouver un lieu d’accueil avec la même facilité et, là encore, il y avait, selon les cas, le stage choisi et le stage subi, voire pas de stage.
Qu’avons-nous changé depuis notre arrivée aux responsabilités ? Quel dispositif avons-nous mis en place, qu’il faut sans doute encore améliorer ? Le parcours Avenir !
Ce parcours, qui commence désormais non pas en troisième, mais en sixième, consiste à offrir régulièrement aux collégiens, pendant toute leur scolarité, des expériences du monde professionnel sous formes très diverses : visites d’entreprise, réception d’entrepreneurs et de chefs d’entreprise dans la classe, création de mini-entreprises permettant d’expérimenter le développement de projet ou la réalisation d’études de marché, etc. Ce type d’activités, grâce au parcours Avenir, fera partie du quotidien des élèves, et ce dès la classe de sixième.
Dans votre rapport, vous estimez qu’il faut prévoir un horaire dédié à l’orientation. Notre préférence va pourtant clairement à ce parcours Avenir, parce qu’il est conçu comme une ouverture culturelle, en articulation avec des contenus disciplinaires. Par exemple, on peut recevoir un chercheur à l’occasion d’un cours de sciences pour qu’il explique à quoi ressemble le monde de la recherche quand on aime les sciences et que l’on veut atteindre l’excellence ; ou bien, pendant le cours d’anglais, on peut faire une expérience de pratique de la langue anglaise en lien avec le monde professionnel.
Nous défendons ainsi l’idée que l’insertion professionnelle vienne « mailler » l’ensemble des enseignements disciplinaires et enrichir les représentations des métiers et des formations pour tous les élèves.
Dans ce parcours Avenir, les conseillers d’orientation-psychologues, que vous avez évoqués, jouent aussi un rôle important. Il faut, à ce sujet, cesser d’opposer le conseiller d’orientation tourné vers l’insertion professionnelle des jeunes et le conseiller d’orientation-psychologue. En effet, il existe bien une psychologie de l’orientation, qui consiste à aider le jeune à faire le lien entre ce qu’il est et ce qu’il veut devenir dans le monde tel qu’il est. Cette dimension doit être reconnue et la création d’un corps unique de psychologues de l’éducation nationale – PsyEN–, de la maternelle au lycée, va clairement dans ce sens ; je vous confirme qu’elle entrera en vigueur cette année. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPE, participeront à cette nouvelle formation, afin que ces personnels intègrent pleinement les équipes éducatives.
Vous le voyez, avec le parcours Avenir et la réforme de l’ensemble de la scolarité obligatoire, nous aurons en réalité inscrit l’orientation dans un processus progressif, cohérent, continu, qui ne se résume plus à un choix réalisé lors de la troisième, ou à une découverte trop sommaire du monde professionnel.
Notre action en faveur d’une orientation progressive et choisie se déploie aussi par des mesures concrètes concernant certains moments charnières que vous avez relevés dans votre rapport : le passage de la troisième à la seconde, ou celui du lycée à l’enseignement supérieur.
Parlons du premier de ces passages. Chaque orateur s’est exprimé sur l’orientation subie, qui est insupportable et explique bien des décrochages. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet : nous avons tous rencontré des jeunes qui nous ont expliqué leur frustration, dix ans après, d’avoir dû arrêter leurs études parce qu’ils avaient été mal orientés…
M. Jacques Grosperrin. Eh oui !
M. Jacques Grosperrin. Absolument !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. On remarque malgré tout que ces jeunes sont souvent passés par l’enseignement professionnel.
Disons donc les choses clairement : trop souvent, l’enseignement professionnel est considéré, y compris par ceux qui orientent, comme une voie de relégation de jeunes qui rencontrent des difficultés scolaires. Ce n’est pas normal, ce n’est pas pour cela que l’enseignement professionnel a été conçu il y a trente ans, ce n’est pas comme cela que nous le voyons et que nous voulons le valoriser !
Pour remédier à cette situation, qui peut encore exister, parce que les représentations culturelles ont la vie dure, nous avons, à l’occasion de cette rentrée scolaire, pris une décision importante qui est passée inaperçue des médias, comme c’est souvent le cas des décisions qui comptent véritablement. Je vais donc prendre le temps de vous l’exposer.
Pour la première fois, les élèves de seconde professionnelle, qu’ils aient choisi cette orientation ou qu’ils y aient été incités à la choisir, ont la possibilité de changer d’orientation jusqu’aux vacances de la Toussaint. S’ils considèrent, après quelques jours ou quelques semaines, que cet environnement n’est pas fait pour eux et ne leur convient pas, ils peuvent demander à changer d’orientation, soit pour rejoindre une autre filière de l’enseignement professionnel, soit pour aller dans l’enseignement général ou technologique. (Mme Vivette Lopez s’exclame.)
C’est une véritable nouveauté qui se concrétise, puisque vous vous êtes intéressés au sujet, par l’ouverture d’un « troisième tour » sur l’application Affelnet aux vacances de la Toussaint. Ce changement d’orientation s’effectue bien évidemment en concertation avec l’équipe pédagogique. Il s’agit d’une innovation très importante, car elle devrait permettre d’éviter que ces élèves n’aient le sentiment d’avoir subi leur orientation.
L’autre moment charnière est le passage de l’enseignement scolaire à l’enseignement supérieur. Parler d’orientation à ce moment conduit trop souvent à parler beaucoup de la plateforme d’admission post-bac, ou APB, même si, je le répète, APB n’est pas et ne doit pas être un outil d’orientation. Il s’agit d’un outil dédié à l’expression des vœux, qui est la dernière étape de l’orientation.
L’orientation, le projet d’entrée dans l’enseignement supérieur doit se construire bien en amont, et non pas au moment où le lycéen saisit ses vœux, au deuxième ou au troisième trimestre de l’année de terminale.
Il doit être élaboré, d’une part, grâce à la découverte des métiers et à l’élaboration de son projet professionnel par l’élève et, d’autre part, avec la découverte de l’offre de l’enseignement supérieur. Concrètement, c’est désormais dès la classe de première que le conseil en orientation doit trouver sa place, comme nous le faisons de plus en plus.
Bien sûr, APB est un outil souvent perçu comme complexe,…
M. Jacques Grosperrin. Injuste !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. … beaucoup plus par les parents, d’ailleurs, que par les jeunes eux-mêmes, qui se déclarent très satisfaits lorsqu’ils sont interrogés.
Il est donc nécessaire que l’apprentissage de la maîtrise de cet outil soit également anticipé et son fonctionnement bien présenté au sein du lycée. Ce dernier point vaut autant pour les élèves, dès la classe de première, que pour les équipes pédagogiques, afin que les enseignants puissent aider leurs élèves au quotidien.
Pendant l’année scolaire 2015–2016, à ma demande, une expérimentation portant sur l’accompagnement rapproché des lycéens a été menée dans cinq académies. Les équipes pédagogiques des lycées devaient se concentrer sur les lycéens repérés comme ayant formulé des choix d’orientation problématiques par rapport à leur profil ou à leurs chances de réussite dans la filière visée. Ces jeunes ont bénéficié d’un accompagnement beaucoup plus personnalisé : ils ont pu notamment être reçus par les enseignants pour pallier leur connaissance défaillante des réalités des filières du supérieur.
Cette expérimentation a donné des résultats assez extraordinaires, c’est pourquoi nous la généralisons cette année. C’est l’occasion pour moi de préciser – je suis sans doute un peu brouillonne, mais tous les sujets se tiennent – que nous sommes tous contre le tirage au sort dans l’enseignement supérieur, c’est une évidence, car cette pratique nous heurte tous.
Entre la rentrée universitaire de l’an dernier et celle de cette année, nous avons réussi à réduire de 60 % le nombre de filières qui recourent au tirage au sort. Nous l’avons fait notamment grâce à l’information en amont dispensée auprès des élèves de terminale, avant la saisie de leurs vœux dans APB, sur leurs chances de succès, les capacités d’insertion professionnelle offertes par les filières, etc. Il faudra poursuivre dans cette voie.
En même temps, nous agissons aussi pour favoriser un parcours cohérent entre le lycée et l’enseignement supérieur. Je reprendrai l’exemple des bacheliers professionnels, parce qu’ils constituent un sujet à part entière, dans la mesure où personne ne peut se satisfaire que leur taux de réussite en licence soit seulement de 3 %, même si l’on ne peut que se réjouir de leur aspiration à poursuivre des études supérieures. Ici encore, agir pour l’orientation, c’est tenir compte de la singularité des voies et des filières.
Les lycéens professionnels sont les seuls bacheliers à être formés en alternance. Il est donc logique qu’ils puissent aussi poursuivre leurs études supérieures en alternance, puisque cette modalité constitue leur plus-value, qu’ils y sont habitués et qu’elle leur convient. Autrement dit, il est très important que les bacheliers professionnels trouvent des places en BTS, puisque c’est dans cette filière que leur taux de réussite est le plus élevé, de huit à dix fois supérieur à celui qui est observé en première année de licence.
Nous avons donc décidé, premièrement, d’instaurer des quotas de places réservées aux bacheliers professionnels en BTS et, deuxièmement, de créer 10 000 places nouvelles en BTS sur les cinq ans qui viennent, à raison de 2 000 places par an à partir de 2017. Ainsi, les bacheliers professionnels pourront poursuivre leurs études de manière cohérente et y connaître eux aussi le succès.
Nous agissons donc, vous le voyez, sur l’orientation scolaire en recourant à des leviers qui lui sont spécifiques, mais nous agissons aussi à une échelle plus large, en impliquant l’ensemble des acteurs jouant un rôle dans l’orientation.
Concernant les acteurs institutionnels, vous évoquez dans votre rapport un objectif de clarification et de rationalisation de leur organisation. L’idée est très juste et nous avons commencé à l’appliquer.
Aujourd’hui, l’État définit et met en œuvre au niveau national la politique d’information et d’orientation des jeunes dans les établissements scolaires et d’enseignement supérieur. Les centres d’information et d’orientation, les CIO, l’Office national d’information sur les enseignements et les professions, l’ONISEP, et les services communs universitaires d’information et d’orientation, les SCUIO, viennent appuyer l’État dans la mise en œuvre de cette politique.
De son côté, la région organise le service public régional de l’orientation tout au long de la vie, le SPRO, et coordonne sur son territoire les actions des autres organismes qui y concourent en direction des publics jeunes et adultes.
Vouloir ouvrir à nouveau, comme vous le suggérez, le débat sur le transfert des CIO aux régions me paraît contre-productif. Nous sortons à peine d’une période difficile : les départements se sont désengagés des CIO et l’État a fait ce qu’il a pu pour remédier à cette situation. On entretiendrait ainsi des inquiétudes qui ont pu légitimement s’exprimer et qui se sont apaisées maintenant. Il me semble donc préférable d’en rester à la situation actuelle. Les conseillers d’orientation-psychologues sont et restent des personnels de l’État comme la loi du 5 mars 2014 le réaffirme. Par ailleurs, cette situation est d’ailleurs favorable à l’élaboration de partenariats et complémentarités entre l’État et les collectivités.
Cela étant dit, je suis d’accord avec l’idée que le SPRO, tel qu’il a été construit par la loi, n’est pas pris en main de la même façon par toutes les régions. Beaucoup de travail reste à faire sur ce sujet.
Nous associons aussi davantage les parents, autres acteurs importants, au processus d’orientation, et nous le faisons avec plus de transparence. Votre rapport le précise à juste titre, la confusion entre le processus d’orientation et l’affectation est fréquente chez les parents. C’est pourquoi il est très important d’expliquer ces procédures d’orientation et d’affectation aux familles et de les accompagner dans la formulation des vœux de leurs enfants. C’est un enjeu dont nous nous sommes emparés.
À ce sujet, je comprends la demande de transparence des procédures d’affectation qui s’incarnent dans des outils APB et Affelnet : comme vous le savez, nous avons publié l’algorithme qui, dans APB, propose des affectations au recteur lorsque le nombre de candidats dépasse la capacité d’une filière non sélective. Concernant Affelnet, dans le cadre du nouveau système d’évaluation des acquis des élèves à l’école et au collège, sachez que nous travaillons à un cadrage national qui harmonise les pratiques et les critères entre les académies, ce qui permettra de répondre à un certain nombre d’interrogations légitimes.
Enfin, je veux souligner que le principe de coéducation parents-enseignants, qui était au cœur de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, nous a conduits à mener une expérimentation consistant à donner à la famille le dernier mot sur le choix de la voie d’orientation de son enfant. À ce jour, 445 établissements répartis dans 20 académies sont impliqués dans l’expérimentation de ce choix ouvert aux familles, qui sont de plus en plus nombreuses à souhaiter pouvoir y accéder.
Les premières observations des résultats de cette expérimentation ont montré que l’orientation était davantage préparée, que l’association de la famille contribuait à nourrir un dialogue centré sur le projet de l’élève et que les choix d’orientation des élèves étaient pris en compte bien avant la fin de la troisième. Nous incitons donc d’autres établissements et d’autres académies à mettre en œuvre cette méthode.
Enfin, je veux parler d’un autre partenaire essentiel pour la réussite de l’orientation, à savoir le monde professionnel. Vous me donnez l’occasion ce soir, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous dire à quel point je suis attachée aux relations entre l’école et les entreprises.
Peut-être l’ignorez-vous, j’ai créé des pôles de stage dans chaque bassin d’emploi. Ils visent précisément à répondre aux difficultés rencontrées par les jeunes qui n’arrivent pas à trouver de stage, lorsqu’ils sont en troisième ou en lycée professionnel. Dans chaque bassin d’emploi, nous avons donc créé une structure, appelée « pôle de stage » – il en existe aujourd’hui 330 –, qui a vocation à trouver un stage pour chaque jeune dont la recherche est restée infructueuse. Pour y parvenir, chaque pôle recourt à un réseau d’entreprises de son bassin d’emploi avec lesquelles il a l’habitude de travailler et de communiquer.
Autre exemple – cela devrait vous plaire –, j’ai décidé d’inscrire un stage obligatoire en entreprise dans la formation statutaire des chefs d’établissement.
Enfin, nous avons aussi généralisé l’accès au stage en entreprise pour tous les professionnels de l’éducation nationale, ce qui demande un important travail de mobilisation de nos partenaires.
Dernière idée qu’il faut avoir à l’esprit lorsque l’on envisage le lien entre l’école et l’entreprise, de plus en plus de candidats aux concours de l’enseignement effectuent une reconversion professionnelle. Ainsi, pour de plus en plus de nouveaux enseignants, la réussite au concours ne prélude pas à leur première expérience professionnelle, parce qu’ils ont déjà une vie active derrière eux.
J’insiste sur ce phénomène assez nouveau qui est évidemment lié au retour de la formation initiale et à la création des ESPE. Bien entendu, lorsque la formation initiale a été supprimée, rares étaient ceux qui acceptaient d’affronter une classe sans formation préalable, comme des frites jetées dans l’huile bouillante.