M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’orientation constitue un paradoxe.
Elle est en effet au centre du cursus des élèves. Les parents l’abordent avec gravité, voire angoisse. Le Parlement et le ministère en connaissent l’importance. Les constats partagés à son sujet, comme ses effets en matière de tri social, sont inacceptables aux yeux de tous.
Et pourtant, les enseignants ne sont pas formés à l’orientation des élèves. Les emplois du temps ne lui consacrent pas de plage horaire spécifique. Il n’existe enfin aucun mécanisme suffisamment puissant pour empêcher que les stages et les découvertes ne reproduisent le tri social.
Les atouts dont disposent les initiés sont évidents, tandis que le poids des notes – je parle bien des notes et non de l’évaluation – ne diminue pas.
Il est urgent d’interroger le rôle des algorithmes pour mieux les reprendre en main, car la technique informatique, avec ses apparences trompeuses de neutralité, peut entraîner la mise en œuvre du contraire de ce que nous appelons de nos vœux. Une procédure d’affectation comme Affelnet, qui était censée empêcher toute opacité et tout arbitraire, a représenté pour beaucoup d’élèves la forme numérique du labyrinthe, dans lequel la pondération des critères a constitué un piège méconnu.
Monsieur le rapporteur, vous préconisez la prise en compte d’autres critères que les seuls résultats académiques, comme la motivation, les aptitudes ou les compétences. Sachez que la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République va dans ce sens et que le Conseil supérieur des programmes en a fait l’esprit du socle commun de connaissances et de compétences.
Hélas, l’évaluation ne lui a pas été confiée et, dans l’attente du livret scolaire unique, ce sont les logiciels que l’on a achetés comme « Pronote » que les parents reçoivent ! Les algorithmes utilisés livrent la seule chose qu’ils n’aient jamais su faire : quantifier, visualiser et classer, aboutissant ainsi à l’opposé de ce que devrait être un résultat nuancé et de ce qui résulterait de l’utilisation de critères élargis.
Un simple exemple : alors que le socle commun de connaissances et de compétences dans son volet « coopération et réalisation de projets » préconise que l’élève sache « que la classe, l’école, l’établissement sont des lieux de collaboration, d’entraide et de mutualisation des savoirs », le logiciel Pronote a inventé l’item « savoir que l’école est un lieu des savoirs » – c’est zéro ou moins. (Sourires.)
Cette situation présente plusieurs dangers : tout d’abord, des effets en amont sur la pédagogie et donc sur l’orientation, car la forme des résultats façonne ce sur quoi on met l’accent ; ensuite, la perte de sens du socle ; enfin, un éventuel futur mésusage pour l’orientation. Rêvons comme Orwell : si l’on connectait Pronote et Affelnet, on n’aurait plus qu’à appuyer sur un bouton pour une orientation automatique ! (Mme la ministre et Mme Françoise Laborde sourient.)
Chaque piste figurant dans ce rapport que je salue a des résonances sur l’ensemble du système.
Prenons la mixité des publics apprentis et scolaires. C’est une piste empreinte de bon sens et que je soutiens. Mais que deviendra cette piste face à une forêt de conservatismes et d’objections plus ou moins justifiées ?
Mme Françoise Cartron. Très juste !
Mme Marie-Christine Blandin. Consultés dans le cadre de l’élaboration des programmes, les acteurs dits « autorisés » nous ont surpris en raison de leurs réticences à faire entrer le travail manuel, la réalisation d’objets, la prise en compte du talent et de l’habilité dans les cycles, comme si ces compétences ne relevaient que de l’employabilité ou n’étaient judicieuses que pour certaines sections. Nous sommes loin de la prise en compte des « intelligences multiples » décrites par Howard Gardner.
Le plus gros handicap de l’orientation est lié au poids des non-dits : l’utilisation des terminales scientifiques comme sas du cursus idéal, même si l’on vise les professions de la magistrature ou des archives, contribue paradoxalement à tarir le vivier des vrais mathématiciens en les tenant à distance. Malheur à celui ou celle qui ne dispose que de la virtuosité des équations et de la géométrie, sans avoir pour lui les codes et l’aisance des classes privilégiées dans son bagage culturel !
Une autre de vos propositions existe déjà dans certains pays : l’année de césure après le bac, le temps de réfléchir et d’aller voir ailleurs. La commission de la culture, de l’éducation et de la communication s’était rendue à Umeå au nord de la Suède en 2013 pour découvrir tous les acquis de l’année de césure post-bac de la bouche des jeunes étudiants. C’est donc possible !
Encore faudrait-il veiller à cultiver chaque élève autrement que par l’exacerbation de la compétition, depuis les classements scolaires jusqu’aux jeux télévisés, et en venir enfin à la coopération. En effet, dans cette période de tension sur le marché de l’emploi, « se caser » relève de l’injonction sociale. De plus, les filières sélectives qui repèrent les élèves en avance pour entretenir leur excellence ne contribuent pas à produire de l’intelligence collective.
La formation tout au long de la vie et le droit de revenir dans un cycle après une période sans scolarité ne sont pas encore effectifs. Exercer une profession non choisie, « décrocher », chacun a le droit d’avoir plusieurs chances.
Pour avoir installé un « lycée de toutes les chances » à Roubaix dans les années 1990, afin de prendre à bras-le-corps les problèmes du décrochage et de la déscolarisation, de l’exclusion et de l’anomie, des inégalités et de la stigmatisation, je mesure combien le fait de ne pas se résoudre à l’orientation punitive est un défi collectif. Il a fallu rénover les méthodes et les outils pédagogiques en appliquant le principe du « cousu main » et prendre en compte une conception plus globale de la dimension éducative. Il a également été nécessaire d’élaborer un travail commun entre les différents acteurs au sein d’un établissement et entre les établissements. Il a enfin été indispensable de développer l’interaction entre les lycées et leur environnement, c’est-à-dire les familles, la cité et le monde professionnel.
C’est uniquement dans ces conditions que l’orientation ne se fait pas par défaut. Toutefois, cela exige des temps de dialogue, de vrais temps identifiables dans les emplois du temps, un dialogue avec les parents, un autre dialogue avec des professionnels, et même une attention spécifique aux nominations qui favoriseraient une telle qualité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Françoise Laborde et M. Claude Kern applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission et chère Catherine, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui invités à débattre de l’avenir professionnel de nos enfants et plus précisément de leur orientation scolaire. L’enjeu est de taille !
L’excellent rapport de notre collègue Guy-Dominique Kennel apporte un éclairage nouveau sur le sujet.
La France est le cinquième pays le plus riche du monde mais connaît un échec scolaire massif, puisque près de 20 % des jeunes sortent chaque année du système éducatif sans qualification. Chaque année, on comptabilise donc 140 000 jeunes « décrocheurs ». En parallèle, les métiers évoluent. Nous sommes donc face un vrai défi : insérer des jeunes dans une société en pleine mutation.
Or nous connaissons tous des exemples concrets d’orientations ratées. C’est le cas des huit jeunes issus du Bois de Bléville, au Havre, quartier politique de la ville, que j’ai rencontrés dernièrement et qui ont tous décroché en raison de leur orientation contre leur souhait en comptabilité. Ces nombreuses situations justifient notre débat de ce soir et impliquent une vraie réflexion sur la réforme de l’orientation des jeunes.
Toutefois, on ne peut pas aborder la question de l’orientation scolaire sans appréhender celle de l’insertion professionnelle des jeunes.
Ainsi, il apparaît essentiel de renforcer les liens entre les acteurs du monde éducatif et ceux de l’emploi. En effet, l’école doit préparer l’insertion professionnelle des jeunes. Le décloisonnement entre corps professoral, milieu entrepreneurial et acteurs de l’emploi est une urgente nécessité. De manière assez évidente, il est fondamental de permettre à chaque jeune de découvrir le monde de l’entreprise et les métiers, pour qu’il puisse choisir la voie qui lui correspond. En effet, de trop nombreux jeunes sont orientés par défaut dans des filières non choisies, ce qui entraîne inévitablement leur décrochage.
L’orientation doit être positive et être élaborée avec le jeune et sa famille. Ainsi, au cours de sa scolarité, un véritable parcours d’orientation doit être proposé à chaque jeune. Il doit lui permettre d’identifier ses appétences et ses capacités, lui faire découvrir les métiers, l’accompagner dans ses choix de formation et l’éclairer sur les embûches du parcours choisi. Cette opportunité doit être offerte à tous les élèves, quel que soit leur environnement social. Le parcours de l’élève se déclinerait en tests de compétences, bilans d’orientation, stages de découverte en entreprise et rencontres avec les professionnels. L’entreprise crée l’emploi et l’école forme le salarié de demain.
Les formations proposées aux jeunes doivent en outre être en adéquation avec les besoins prévisionnels des territoires économiques. Par exemple, l'Union des industries et des métiers de la métallurgie, l'UIMM, a développé en Seine-Maritime des centres de formation qui préparent aux métiers dont ont besoin les entreprises du secteur. Les jeunes orientés en apprentissage vers le pôle de formation de l’industrie acquièrent un savoir-faire d’excellence et développent les compétences nécessaires pour leur future embauche. Dernièrement, l'UIMM est allée plus loin encore en créant une seconde dite « structurante ». Celle-ci accueille des jeunes « décrocheurs » pour leur redonner les bases scolaires nécessaires, les compétences professionnelles qui leur seront utiles et surtout la confiance en eux, indispensable à leur réussite.
L’orientation professionnelle se fait donc en contact direct avec le monde du travail. Elle satisfait un besoin local de main-d’œuvre et offre des opportunités de réussite pour les jeunes. Malheureusement, faute d’orientation positive, trop de jeunes restent actuellement au bord du chemin de l’insertion professionnelle, nous obligeant à déployer des moyens considérables pour leur remobilisation vers l’emploi, comme la garantie jeunes aujourd’hui pilotée par les missions locales. Ces situations d’extrême fragilité pourraient être limitées si les relations entre les établissements scolaires et les missions locales étaient plus étroites, ce qui permettrait d’élaborer les projets professionnels des « pré-décrocheurs ». La prévention du « décrochage » doit prendre le dessus sur des actions plus curatives.
Enfin, la politique en matière de formation et d’orientation doit être déclinée à l’échelle des régions, lesquelles doivent pouvoir coordonner leurs plans de formation avec les perspectives locales en matière d’emploi. Elles doivent également développer une vision stratégique pour renforcer l’attractivité et la vitalité de leurs territoires et adapter constamment l’offre de formation aux évolutions des métiers. C’est en créant des mécanismes d’orientation et de formation fondés sur la souplesse, la connaissance réciproque et l’adaptation aux besoins que nous pourrons relever les défis de l’orientation positive, l’orientation réussie ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission de la culture ainsi que Mmes Françoise Gatel et Françoise Férat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Kern. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – Mme Colette Mélot et M. Gérard Bailly applaudissent également.)
M. Claude Kern. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est sans surprise que je tiens moi aussi à féliciter notre rapporteur, Guy-Dominique Kennel, et le président, Jacques-Bernard Magner, pour la qualité des travaux conduits au sein de la mission d’information à laquelle j’ai pu participer. Je tiens également à remercier la présidente de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly, de nous avoir permis d’entreprendre cette démarche.
Notre assemblée a toujours fait de la réussite de nos enfants une ambition prioritaire et je mesure l’apport des travaux de cette mission dans la réflexion globale sur notre système scolaire et sur l’orientation. Nous comptons donc sur vous, madame la ministre, pour examiner ces propositions avec attention.
En effet, il y a urgence ! Outre l’indignité du rang occupé par la France dans le classement PISA, l’idée même que notre système entretient et crée des « décrocheurs » est insupportable. Notre incapacité à assurer une insertion suffisante des diplômés des formations professionnelles est incompréhensible. Enfin, l’échec massif à l’université pour les bacheliers généraux et encore plus pour les bacheliers techniques puis professionnels est tout simplement révoltant !
Notre système crée des inégalités. Comment l’entendre et, surtout, comment améliorer des dispositifs d’orientation qui prennent malheureusement une part active dans cet état des lieux ?
C’est tout le sens des travaux menés par la mission d’information dont nous examinons les conclusions ce soir. Les douze recommandations formulées visent à « insuffler une nouvelle ambition à l’orientation scolaire, celle d’une orientation réussie pour tous les élèves ».
Sans revenir sur chacune des recommandations que je partage pleinement et que je soutiens avec force, je tiens à évoquer plus particulièrement le rapport de notre système éducatif à l’enseignement professionnel et à l’apprentissage.
Soyons clairs, madame la ministre, les filières technologiques et professionnelles font l’objet d’une dévalorisation – pour ne pas dire d’un dédain – généralisée. Si les discours politiques ont quelque peu évolué, les pratiques les contredisent largement.
Pourtant, la réalité, c’est que l’apprentissage est la voie de la réussite ! Il faut en finir avec cette vision archaïque et dépassée de la professionnalisation, systématiquement dénigrée. Ces filières ne sont en aucune façon des « voies de garage » qui seraient réservées aux cancres. Cependant, cette représentation véhiculée par notre société, qui est à l’origine de la désaffection à l’égard des activités manuelles, a gangrené le système lui-même.
Aujourd’hui, l’orientation toujours plus tardive des élèves les maintient dans la voie générale et implique une spécialisation elle-même plus tardive au détriment de l’élève et de l’entreprise. Une véritable absurdité !
En tant que frontalier, je connais bien le système de formation professionnelle de nos voisins allemands. Outre-Rhin, la formation professionnelle initiale est principalement organisée sous la forme d’un apprentissage appelé « système dual », puisqu’elle se déroule sur deux lieux de formation : l’entreprise et l’école professionnelle. Dans ce système qui a fait ses preuves en termes de qualification et d’insertion des jeunes, le contenu de la formation relève des Länder et des partenaires économiques et sociaux.
Par ailleurs, pour avoir moi-même exercé une activité en parallèle dans un lycée technique et en entreprise, je sais que les acteurs économiques désirent prendre une vraie place dans les dispositifs d’orientation et de développement des formations professionnelles. Nombreux sont les chefs d’entreprise dont la maison mère est allemande qui m’interpellent sur le sujet et qui me rappellent tout le bien qu’ils pensent de nos formations techniques antérieures à la dernière réforme du lycée.
Ces mêmes chefs d’entreprise sont aussi de plus en plus nombreux à adhérer aux démarches en faveur de la mobilité des jeunes en formation professionnalisante. Outre les mobilités locale et régionale, la mobilité internationale dans le cadre d’un apprentissage est une formidable expérience pour le jeune et pour l’entreprise.
À ce titre, je tiens à saluer l’initiative du député européen Jean Arthuis en faveur d’un « Erasmus des apprentis ». Grâce à sa mobilisation auprès de la Commission européenne et au sein du Parlement européen, 145 apprentis européens dont 75 Français préparent en ce moment leur départ à l’étranger pour une année, alors qu’ils ne pouvaient jusqu’à présent prétendre qu’à de courts séjours. Or les statistiques démontrent que ce type d’expérience représente un atout majeur sur le marché de l’emploi.
Madame la ministre, pourquoi vouloir éloigner nos élèves du monde de l’entreprise ? Qu’attendez-vous pour ouvrir davantage notre école à l’entreprise ?
Il est urgent de faire bouger les lignes sur le sujet. Nous devons créer des pôles d’excellence qui regrouperaient des filières entières dans des lycées technologiques ou professionnels jusqu’au brevet de technicien supérieur, voire jusqu’au niveau bac+3. Ayons de l’ambition pour nos enfants ! Créons de vrais lycées des métiers !
À la suite des travaux conduits dans le cadre de la mission pendant plus d’un an, nous proposons les fondements d’une politique d’orientation ambitieuse pour nos élèves.
Donner au système éducatif des objectifs en termes d’insertion professionnelle, valoriser les réussites de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage, généraliser la spécialisation dans la voie professionnelle, développer la mixité des parcours et des publics, développer les parcours montants, les stages passerelles pour faciliter les transitions entre filières, associer pleinement les parents d’élèves à l’éducation, à l’orientation et à la découverte des métiers, renforcer la présence des représentants du monde professionnel dans la gouvernance des lycées, sont autant de propositions fortes de notre mission d’information. Elles permettraient, j’en suis convaincu, d’apporter des réponses efficaces aux difficultés liées à l’orientation des élèves, à leur réussite scolaire et à l’accès à l’emploi.
Je souhaiterais répondre aux propos de M. Abate. Des expériences prouvent que le stage en entreprise est très enrichissant pour les enseignants. Toutefois, et sans entrer dans le détail, il existe également une autre solution, comme l’échange permettant aux uns de vivre pendant une journée le métier de l’autre. Ce type d’initiative permet aux enseignants d’être immergés dans l’industrie et à l’entrepreneur de découvrir également le métier de l’enseignant.
Vous l’avez remarqué, je n’ai pas totalement utilisé le temps de parole qui m’était imparti, tellement le rapport de la mission d’information est excellent. Je souhaite, madame la ministre, que ce rapport devienne votre livre de chevet (Sourires.) et que nous puissions partager demain à la fois une ambition pour nos enfants et les solutions pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme la présidente de la commission applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si le Sénat a décidé, au printemps 2015, de constituer une mission d’information sur l’orientation scolaire au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, c’est parce que chacun d’entre nous est attaché à la réussite de tous les élèves au sein de notre système scolaire.
Dresser l’inventaire des dispositifs d’orientation dans la formation initiale, en mesurer l’efficacité au regard des objectifs qui lui sont assignés, notamment en fonction du rapport entre réussites et échecs, formuler des propositions d’amélioration, tel était l’objet de cette mission d’information, dont le champ d’étude était essentiellement centré sur l’orientation dans l’enseignement secondaire en vue de l’enseignement supérieur.
L’orientation est un sujet d’intérêt qui concerne, à des degrés divers, les parents d’élèves, les personnels enseignants, les responsables publics et les divers acteurs de terrain, les chercheurs des instituts et laboratoires de recherche spécialisés et, surtout, les collégiens, les lycéens et les étudiants.
En effet, l’orientation scolaire et professionnelle est l’un des piliers de toute politique éducative. Chaque élève y est confronté au moins une fois durant sa scolarité. Les choix qu’il fait sont déterminants pour lui, et tout gouvernement soucieux de l’avenir de sa jeunesse se doit d’être informé de l’efficacité de sa politique dans ce domaine.
Dans la période que nous traversons, le chômage des jeunes reste malheureusement encore trop important. Cependant, on sait aussi qu’il touche dans une proportion plus élevée les jeunes sortis du système scolaire sans qualification. Aussi, réduire le nombre de ceux qui arrêtent leurs études sans qualification ni diplôme est un impératif. Les jeunes doivent être diplômés au bon niveau et dans des secteurs susceptibles de leur offrir des débouchés. Il s’agit d’une exigence pour la Nation et pour son école !
Une orientation réussie doit permettre à chacun d’exploiter tout son potentiel et de s’insérer professionnellement. L’idéal serait que chaque élève ait le sentiment qu’il a lui-même choisi son orientation, et non qu’elle lui a été imposée car, le plus souvent, une orientation subie provoque un profond sentiment de frustration et d’injustice.
Vous le savez, des réformes d’envergure ont été engagées ces cinq dernières années en faveur de l’école. Je pense à la loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République ou au recrutement et à la formation de personnels enseignants. Même si de grandes améliorations ont déjà été observées, il faudra cependant plusieurs années avant que ces réformes portent réellement leurs fruits.
Les constats déjà formulés en 2008 par le Haut Conseil de l’éducation dans son rapport sur l’orientation scolaire sont encore d’actualité.
Je les rappelle ici : l’orientation au collège et au lycée dépend étroitement du niveau initial des élèves à l’école primaire ; l’orientation consiste à trier les élèves en fonction de leurs seuls résultats scolaires dans les savoirs abstraits ; on ne cherche pas à détecter chez les élèves en difficulté leurs aptitudes à réussir dans d’autres apprentissages, en particulier dans ceux qui sont propres à la voie professionnelle et à ses spécialités, des apprentissages qui partent du concret et privilégient une approche plus expérimentale ; la décision d’orientation s’appuie sur des notes et des moyennes de notes, méthode dont les insuffisances ont été démontrées depuis longtemps ; l’origine sociale et les diplômes des parents sont des facteurs déterminants ; dans un système très hiérarchisé, l’orientation est trop souvent le produit d’exclusions successives ; enfin, une mauvaise orientation est difficile à rattraper.
Il convient de remarquer que l’informatisation de l’affectation des jeunes pèse beaucoup sur le système d’orientation scolaire. Cette informatisation était certes nécessaire, puisqu’elle permet de réduire les inégalités de traitement et d’attribuer une place à chaque élève. Cependant, elle ne peut pas corriger la rigidité de l’offre et encore moins éviter un engouement pour telle ou telle spécialité. En définitive, cette procédure informatique revient à gérer le mieux possible une situation au cadre extrêmement contraint : c’est tout de même un progrès !
Je me dois de préciser que toute orientation dans une voie ou une autre engage fortement l’élève et qu’il n’est pas facile de se réorienter. En effet, les parcours qui le permettent ne sont ni assez développés ni adaptés. Sur ce point, il paraît opportun de redéfinir les moments de la scolarité au cours desquels il faut proposer des dispositifs de réorientation ou des classes passerelles, et d’encourager toutes les expérimentations relatives aux changements de cursus, comme les réorientations effectuées après quelques semaines de classe seulement, sur le fondement d’un bilan de rentrée, avant que le premier trimestre soit trop engagé et quand le nombre de places vacantes est stabilisé.
Nous devons également veiller à ce que l’orientation scolaire ne soit pas chargée de tous les maux quand un élève est en situation d’échec scolaire, car un défaut d’orientation est loin d’être la seule cause de l’échec scolaire.
Par ailleurs, il est souvent reproché au système de l’orientation scolaire et à la hiérarchie des filières qu’elle perpétue de rester éloignées des réalités de la vie professionnelle et des besoins économiques de la Nation. On reproche également à l’offre de formation professionnelle de s’adapter difficilement aux nécessités économiques. Et c’est là la plus grande difficulté à surmonter : trouver la meilleure adéquation possible entre les formations proposées et les besoins du marché, d’autant qu’un certain nombre d’années sont nécessaires pour qu’une formation professionnelle arrive à son terme.
En fait, il est regrettable que ce soit bien souvent l’offre de formation qui régisse les politiques d’orientation dans les académies.
Le fait que chaque élève obtienne une place à la rentrée scolaire, quels qu’aient été ses vœux, et que chaque professeur soit devant une classe, est a priori satisfaisant pour l’administration de l’éducation nationale. Cependant, le nombre des places disponibles par filière constitue une contrainte qui pèse sur l’orientation des élèves. Cela entraîne une certaine rigidité qui conduit à des orientations que l’on pourrait qualifier de « forcées » et qui aboutissent malheureusement à trop d’abandons en cours de scolarité.
Il faut également tenir compte des inégalités engendrées par les disparités territoriales puisque, selon la région où il habite, un élève n’aura pas les mêmes opportunités d’orientation et de formation.
En conséquence, l’orientation scolaire a trop tendance à fonctionner en circuit fermé.
L’orientation des élèves et leur niveau de qualification final sont trop conditionnés par la structure de l’offre éducative, et, alors même que l’offre de formation est abondante, le choix pour chaque élève reste limité.
À cet instant du débat, il me semble important d’évoquer la proposition de loi, déposée par notre collègue Jean-Léonce Dupont, portant adaptation du deuxième cycle de l’enseignement supérieur français au système licence-master-doctorat, très en rapport avec l’orientation des étudiants.
À l’occasion de l’examen en commission de cette proposition de loi, les sénateurs du groupe socialiste et républicain, par la voix de Dominique Gillot, ont présenté un amendement tendant à instaurer un droit à la poursuite d’études.
Il s’agirait là non pas d’un droit inconditionnel ou d’un droit offert à des étudiants qui atteindraient le master en six ou huit ans et revendiqueraient ensuite le droit à la poursuite de leurs études, mais d’un droit garantissant à la fois l’excellence des parcours, utiles au développement économique de notre pays, l’épanouissement des compétences de nos meilleurs étudiants et un accompagnement de tous ceux qui seraient insuffisamment informés sur les divers masters auxquels leurs aptitudes conduisent.
Certaines inquiétudes ont été exprimées, notamment au sujet des difficultés rencontrées par certains territoires, de l’accord obligatoire entre le recteur et le chef d’établissement ou des conditions de mobilité des étudiants. Sur ces différents points, le Gouvernement apportera des réponses, à la suite d’une concertation de très grande qualité sur le sujet, ayant abouti à un accord unanime de l’ensemble des partenaires.