Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains.
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si ce débat revêt, comme il a été dit, une très grande importance, c’est parce qu’il est le fruit de notre histoire. Dans quelques jours, le 25 mars prochain, nous fêterons les soixante ans du Traité de Rome. Depuis 1957, nous avons vécu soixante années de paix et de fondation d’une Europe politique.
Seulement, de traités en réformes institutionnelles, le pouvoir politique s’est laissé dépasser par le pouvoir économique. Le « technocratisme » et la surproduction normative ont entamé le processus de construction, qui s’est trouvé affaibli de manière exponentielle par la crise économique de 2008. Cette dernière a mis en évidence les limites de la gouvernance économique et politique de l’Union européenne, plus particulièrement de la zone euro. Malgré la volonté de réforme exprimée à la fois par les institutions de l’Union européenne et par des États membres, cette crise a révélé les lacunes de l’organisation de la zone euro.
La priorité donnée au renforcement de la gouvernance économique de l’Union économique et monétaire est compréhensible, mais n’a pas été accompagnée d’une réflexion sur la légitimité démocratique du régime politique de la zone euro. L’Europe et l’euro ont un sens pour les citoyens, qui attendent une Europe meilleure : plus proche, plus pragmatique et moins technocratique.
D’année en année, sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, la Banque centrale européenne et le Conseil européen se sont imposés comme les acteurs majeurs de la politique économique, en liaison avec l’Eurogroupe. Aujourd’hui, la BCE apparaît comme la seule puissance centrale en matière économique. Elle a mené en 2015 et 2016 une politique de baisse des taux d’intérêt qui a profité aussi bien aux entreprises qu’aux ménages. Contenant la spirale déflationniste qui menaçait la zone euro, la politique monétaire et économique a également permis une baisse du chômage, mais, comme l’a souligné récemment l’OCDE, le creusement des inégalités s’est aggravé.
À présent, deux défis majeurs sont devant nous.
Tout d’abord, des élections se tiendront cette année dans trois pays, dont le nôtre. Or, le mois dernier, le sentiment des investisseurs s’est dégradé, à la suite des scrutins autrichien et italien. Les rendez-vous électoraux de 2017 créent de l’incertitude. En effet, pour l’indice de confiance des investisseurs Sentix, chacun des scrutins à venir est présenté comme un vote vital pour ou contre l’euro, ce qui perturbe les investisseurs et les entreprises, qui préfèrent avoir un horizon dégagé pour leurs décisions d’investissement.
Ensuite, les négociations sur le Brexit se dérouleront dans un contexte où les positions de la France et de l’Allemagne diffèrent : tandis que, pour notre pays, le Brexit est une occasion de bousculer les rapports de force au sein de l’Union européenne et de prendre l’initiative, l’Allemagne fixe ses conditions et exige une plus grande intégration de la zone euro, avec un changement des traités pour renforcer le contrôle sur la politique financière et économique – bref, une mise sous tutelle européenne des budgets nationaux.
Depuis des années, l’État français vit au-dessus de ses moyens. Son budget est en déficit permanent. Résultat : notre dette avoisine les 100 % du PIB. Notre politique actuelle consistant à augmenter les charges et les taxes ne dégraisse pas le mammouth ; elle le rend plus gourmand, puisque, plus l’État prélève de ressources fiscales, plus il dépense en fonctionnement et moins il investit.
Tel est le cercle vicieux dans lequel nous sommes entrés.
La France est en pleine déliquescence économique. Alors qu’elle bénéficie d’une nouvelle période de grâce pour la réduction de son déficit budgétaire, au grand dam de Bruxelles, elle s’enlise dans la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires à sa compétitivité. Les entreprises de notre pays réalisent des marges extrêmement faibles en termes de compétitivité et ne peuvent s’autoriser ni les embauches ni les investissements nécessaires à leur vitalité économique.
Les défis de la présidence maltaise de l’Union européenne sont aussi les nôtres : intéresser davantage les citoyens aux affaires européennes, rendre le travail institutionnel audible.
Aujourd’hui, la zone euro semble attendre son salut de l’extérieur, c’est-à-dire de la relance de la Chine et des États-Unis de Trump. C’est pourtant au sein même de l’Union européenne que doit se dessiner le leadership européen ! À cet égard, la France a un rôle évident à jouer.
La zone euro souffre d’un problème démocratique. Les Européens attendent de pouvoir se saisir politiquement et démocratiquement des enjeux européens. Cet idéal démocratique passe par la création d’un leadership politique clair, légitime et responsable, ainsi que par le renforcement démocratique des décisions européennes par les parlements nationaux et le Parlement européen. Il s’agit de donner pour interlocuteur à la Banque centrale européenne une gouvernance politique forte, un exécutif doté de la légitimité démocratique qui fait défaut à l’actuel Eurogroupe.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enjeu de la réforme du fonctionnement de la zone euro réside dans la dimension politique. En effet, comme le soulignait Philippe Séguin, qui fut l’élu de mon département, il est essentiel que le politique guide l’économie et dangereux que l’économie guide le politique. Il faut que le politique assume ses responsabilités ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Michel Canevet et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains.
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, faut-il réformer le fonctionnement de la zone euro ? La réponse est : « Oui, mais ».
L’Europe va mal, et, comme nous l’avons souvent souligné ces derniers mois dans notre hémicycle, l’Union européenne est à la croisée des chemins. Il existe bien un risque majeur de désintégration du projet européen si rien n’est rapidement entrepris dans plusieurs domaines.
Il y a le terrorisme islamiste, la pression migratoire et les tensions fortes avec la Russie, sans compter les inquiétudes concernant la situation en Turquie. N’oublions pas cependant ce qui fut la tragique actualité de l’Union européenne pendant des mois : la crise de la zone euro. À l’heure de l’information en continu, une crise chasse l’autre dans les médias…
L’avenir de la zone euro suscite toujours l’inquiétude, et les conditions du sauvetage in extremis de la Grèce ont laissé des traces dans les opinions nationales : des impressions de panique et d’improvisation qui, d’ailleurs, tranchent avec la formidable machine à produire de la norme juridique et des institutions qu’est devenue l’Union européenne. Au sein de celle-ci, pensions-nous collectivement, tous les cas de figure étaient prévus et anticipés. Las, cette cacophonie a fait le lit des populismes et mis à mal le principe de solidarité.
À cette occasion, certains Européens se sont interrogés sur les raisons de la présence de la Grèce dans la zone euro au regard de son économie, minée depuis longtemps par une faible rentrée de l’impôt, des fraudes récurrentes à la TVA, une économie grise développée et un secteur public omnipotent. Autant de caractéristiques connues, qui pouvaient laisser présager quelques complications à venir. D’aucuns se demandent également quel serait le prochain pays de la zone euro en difficulté, au regard des performances économiques de certains États membres.
Il est vrai que, loin d’être homogène, la zone euro se caractérise par de fortes disparités entre les économies nationales, en plus d’un déficit de croissance et d’un chômage et d’un endettement public élevés. Elle n’a donc pas atteint son objectif de stabilité et de prospérité.
Comme l’extension vers l’Est, menée tambour battant, la création de la zone euro était avant tout une réforme politique. Comme pour l’extension vers l’Est, de nombreuses difficultés ont été éludées, probablement mal évaluées, dans la quête de cet objectif ô combien symbolique. Seulement, aujourd’hui, les problèmes sont là, car la réalité nous rattrape toujours.
Si force mensonges ont aussi été distillés par les eurosceptiques à la faveur des crises, il reste que nombre d’Européens se demandent désormais pourquoi ils doivent se serrer la ceinture pour renflouer ceux qui se sont laissé aller – une vision peut-être simpliste, mais qui ne peut pas être ignorée.
Les évolutions en cours, inspirées des travaux des présidents de la Commission européenne, du Conseil européen, du Parlement européen, de l’Eurogroupe et de la Banque centrale européenne, prévoient deux phases pour le renforcement des structures et des moyens de la zone euro.
La commission des affaires européennes du Sénat se penche évidemment sur ce dossier crucial. Je vous invite à consulter le récent rapport d’information La Phase I de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, qu’elle a adopté à l’unanimité et dont est issue une proposition de résolution européenne. J’en partage les conclusions et les inquiétudes.
Pour ce qui est de la France, il est temps d’entreprendre les réformes structurelles indispensables à la reprise de son économie. Sans économie forte, en effet, son poids politique dans l’Union européenne restera limité. Nous ne pouvons pas nous résoudre à consommer, comme aujourd’hui, une fraction notable de notre crédit politique pour obtenir la clémence de Bruxelles face à nos déficits. Comme l’a rappelé au Sénat le commissaire européen Moscovici, « l’influence, en Europe, dépend de la capacité à respecter sa parole. Un grand pays doit montrer l’exemple ». Parole d’orfèvre…
Comme je l’ai dit en préambule, les crises placent les Européens au pied du mur. Pour répondre à la question posée dans ce débat, il convient, certes, de réformer la zone euro, sans créer de nouvelles lourdeurs, avant que ne se pose avec plus d’acuité encore une autre question : faut-il sortir de la zone euro ? L’émergence de cette problématique dans les opinions constitue un signe d’échec qui doit nous alerter, car son instrumentalisation par les populistes et les eurosceptiques est déjà en train de fragiliser l’Europe. Cette question sera l’un des enjeux du débat présidentiel en France. Or, depuis le Brexit, nous savons que tout est possible, même le pire.
En réalité, plus qu’une réforme de l’euro, c’est, à la lumière des crises, une refondation de l’Europe qui nous paraît nécessaire. Dans ces moments importants pour l’avenir, il faudra à la France être forte pour ne pas se laisser définitivement distancer. Mes chers collègues, nous avons besoin de « plus de France » dans « mieux d’Europe », au contraire de ce qui se passe depuis cinq ans ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tous les orateurs qui ont pris la parole dans ce débat passionnant, opportunément provoqué par le groupe du RDSE, en particulier par Pierre-Yves Collombat.
La réforme de la zone euro est une question essentielle pour l’avenir de l’Europe, sur laquelle la Haute Assemblée a déjà beaucoup travaillé, notamment dans le cadre du rapport d’information publié en novembre dernier par Fabienne Keller et François Marc, et que les différentes interventions de cet après-midi ont éclairée sous des angles différents.
Réformer la zone euro pour la rendre plus solide, plus stable et pour qu’elle contribue davantage à la croissance et à l’emploi est un enjeu majeur non seulement pour les pays qui partagent la monnaie unique, mais aussi pour toute l’Europe, qui a besoin que son cœur économique et politique fonctionne bien.
L’euro est un acquis fondamental de l’Europe. À la suite de la crise financière de 2008, puis des crises bancaires qui ont touché plusieurs pays, des pays d’Europe du Sud, mais aussi l’Irlande, et de la crise grecque, il a été à plusieurs reprises au bord de l’éclatement au cours des dernières années. Je me souviens que, en 2012, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, la question du maintien de la Grèce dans la zone euro n’était pas résolue ; elle a continué de se poser jusqu’en juillet 2015. Par ailleurs, il a fallu au Président de la République beaucoup de détermination pour faire avancer le projet d’Union bancaire.
En définitive, les décisions que nous avons prises collectivement, dont certaines, comme la création du Fonds européen de stabilité financière, puis celle du Mécanisme européen de stabilité, avaient déjà été engagées avant notre accession aux responsabilités, ont permis d’assurer l’intégrité de la zone euro et, partant, la stabilité et la pérennité de la monnaie unique.
Aujourd’hui, l’euro est solide ; il est une protection dans la mondialisation face à l’instabilité financière. Il a mis fin à la spéculation sur les monnaies européennes qui, avant sa création, se déchaînait à chaque crise.
L’Union économique et monétaire, composée de onze États fondateurs, s’est élargie pour compter aujourd’hui dix-neuf États membres, représentant un espace économique de 338 millions d’habitants, au sein duquel les échanges sont facilités et qui se place au troisième rang mondial pour le PIB.
L’euro est également devenu une monnaie de référence au plan international. C’est ainsi qu’il est la deuxième devise de réserve à l’échelle mondiale.
Seulement, il ne suffit pas que l’euro protège ; il doit aussi soutenir et dynamiser la croissance, l’investissement et l’emploi.
C’est pourquoi il était important que la politique monétaire change, comme la France l’a souhaité. C’est ce qui s’est passé sous l’impulsion de Mario Draghi, en particulier via la baisse des taux d’intérêt et l’assouplissement quantitatif, le quantitative easing, comme on dit en anglais, auquel Pierre Laurent a fait référence, qui a permis une injection massive de liquidités par la Banque centrale européenne par le rachat de titres de dette souveraine et d’autres titres bancaires sur le marché secondaire, pour un montant total de plus de 1 270 milliards d’euros depuis mars 2015.
Ces rachats d’actifs se poursuivent, à un rythme un peu moindre que celui de 80 milliards d’euros par mois, mais encore très soutenu. Cette politique favorise des taux de refinancement bas et l’investissement des entreprises ; elle décourage l’immobilisation du capital et la rente, conformément d'ailleurs aux souhaits de Pierre Laurent.
La situation économique au sein de la zone euro s’est aujourd’hui améliorée. De nombreuses réformes ont été entreprises dans les États membres. Le pacte de stabilité et de croissance est appliqué avec une plus grande flexibilité, ainsi que la France l’avait souhaité, et il a été mis fin aux politiques d’austérité qui avaient aggravé la situation dans les pays d’Europe du Sud et qui ont eu un effet récessif sur la croissance, en même temps que des conséquences sociales très négatives.
La croissance économique repart dans la zone euro, même si c’est trop faiblement. Selon les prévisions de la Commission européenne, elle s’élèvera à 1,5 % en moyenne en 2017 – un chiffre qui tient compte des potentielles incidences négatives du Brexit, ce qui explique qu’il ne marque pas un progrès par rapport au résultat attendu pour 2016 – et avoisinera 1,7 % en 2018. Il y a donc bien reprise, mais une reprise encore insuffisante, notamment pour absorber le chômage, qui reste très élevé dans nombre d’États membres.
Par ailleurs, des fragilités demeurent, notamment en raison de la situation du secteur bancaire dans plusieurs pays, dont l’Italie, le Portugal et l’Espagne. Sans oublier que la Grèce continue d’avoir besoin de soutien dans le cadre du troisième programme d’assistance financière. D’une façon générale, les leçons de la crise et des fragilités de la zone euro doivent être tirées. C’est la raison pour laquelle le fonctionnement de cette zone doit, en effet, être encore amélioré, comme ce débat l’a mis en évidence.
De fait, des déséquilibres macroéconomiques importants persistent au sein de l’Union économique et monétaire depuis sa création, en particulier entre les pays du sud et ceux du nord de l’Europe. Si nous partageons depuis maintenant près de dix-huit ans la même monnaie, nos économies ont continué de diverger, comme Jean Bizet l’a souligné. C’est ainsi que les niveaux de dette et de déficit, les balances commerciales et les niveaux des salaires restent très différents d’un pays à un autre, de même que les taux de chômage.
Beaucoup reste donc à faire pour réaliser une réelle convergence des économies des États membres de la zone euro.
La France est convaincue que, pour assurer la solidité de la zone euro, il est nécessaire de mettre en œuvre une véritable stratégie économique de convergence économique et sociale. En effet, la coordination économique au sein de la zone euro ne peut se limiter aux seules règles budgétaires ni à la seule application du pacte de stabilité et de croissance. La gouvernance de la zone euro doit obéir à des objectifs politiques, ainsi qu’à un objectif structurel de convergence des niveaux économiques et sociaux.
C’est notamment pour cela que, en octobre 2015, à la demande de plusieurs États membres, dont la France, la Commission européenne a décidé une réforme du semestre européen, qui représente la phase I de la mise en œuvre du rapport dit « des cinq présidents », les présidents de la Banque centrale européenne, du Parlement européen, du Conseil européen, de l’Eurogroupe et de la Commission européenne.
Il a ainsi été décidé, notamment, de mieux prendre en compte les situations nationales différenciées, et non pas seulement les critères habituels du pacte de stabilité et de croissance, qui reprennent en partie les critères de convergence dits « de Maastricht ». Il a également été décidé de mieux prendre en compte la situation de la zone euro dans son ensemble, d’accorder une plus grande importance aux résultats en matière d’emploi et dans le domaine social, d’améliorer le dialogue démocratique, d’encourager la convergence en adoptant et en comparant les bonnes pratiques et de soutenir les réformes en recourant aux fonds structurels et d’investissement européens et à l’assistance technique. Il s’agit, en somme, de rendre le pacte de stabilité et de croissance plus intelligent, moins mécanique.
Cette volonté de réforme est aussi au cœur des autres dimensions du rapport des cinq présidents, publié en 2015 et auquel la France et l’Allemagne ont souhaité apporter une contribution commune.
Au lendemain du sauvetage de la Grèce, le Président de la République a également voulu tirer des leçons plus générales pour la zone euro : il a proposé de renforcer la convergence et de doter la zone euro d’une gouvernance économique renforcée, d’un président stable, d’une capacité budgétaire et d’un Parlement de la zone euro – je reviendrai sur ce point. Avec l’Allemagne, nous avons voulu mettre un accent plus particulier sur quatre priorités.
Premièrement, nous avons besoin d’une politique économique commune à la zone euro, qui soit élaborée sur proposition de la Commission européenne et approuvée chaque année par les chefs d’État et de gouvernement à l’occasion d’un sommet de la zone euro.
Deuxièmement, nous devons favoriser une convergence réelle des économies grâce à l’élaboration de mesures fournissant, en particulier, les bases fiscales et sociales nécessaires à la cohésion de la zone euro. En d’autres termes, il faut travailler à l’harmonisation fiscale et sociale. Dans le même temps, nous devons poursuivre l’approfondissement du marché intérieur, tout particulièrement des marchés du numérique, de l’énergie et des capitaux, tout en maintenant sur chacun d’eux un haut niveau de régulation, car à chacun correspondent des enjeux spécifiques ; je pense par exemple aux droits d’auteur sur le marché unique numérique.
Je tiens à souligner que la convergence sociale est, pour nous, un élément nécessaire à la convergence économique au sein de la zone euro. C’est pourquoi la France soutient l’initiative d’un socle européen des droits sociaux, présentée par la Commission européenne.
Le Premier ministre a d’ailleurs saisi de cette question le Conseil économique, social et environnemental, qui a rendu en décembre dernier un avis sur lequel la France s’est appuyée, ainsi que sur les travaux de l’Assemblée nationale et du Sénat, portant en particulier sur la question du salaire minimum européen, pour transmettre sa contribution à la Commission européenne à la fin du mois de décembre dernier.
Dans cette contribution, nous proposons notamment l’instauration dans tous les pays de l’Union européenne d’un salaire minimal national correspondant à une certaine proportion du salaire médian, par exemple 60 %. Nous proposons également un droit à la formation garanti pour tous les salariés et tous les travailleurs, quel que soit leur statut, dans l’ensemble de l’Union européenne, ainsi que la portabilité des droits, l’encouragement à la mobilité et le développement d’un Erasmus des apprentis, entre autres mesures.
Il nous faut également œuvrer à la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. La zone euro, pas plus que l’Union européenne dans son ensemble, ne peut être un espace économique où le social deviendrait la variable d’ajustement. C’est pourquoi nous voulons des garanties que la convergence des droits sociaux se fasse par le haut et que les règles en matière de détachement soient rigoureusement respectées et contrôlées.
Troisièmement, les efforts entrepris doivent être poursuivis pour, notamment, achever l’Union bancaire, avec la garantie des dépôts, le troisième pilier qui n’a toujours pas été adopté.
La priorité doit aussi être donnée aux investissements. De ce point de vue, le plan Juncker, que nous avons souhaité et soutenu, a obtenu de bons résultats dans plusieurs pays, notamment en France, qui en est l’un des principaux bénéficiaires. Nous avons donc demandé le prolongement et l’augmentation de ce plan destiné à soutenir des projets d’investissement dans des domaines d’avenir. Le Conseil a donné son accord ; nous attendons maintenant celui du Parlement européen.
Le plan Juncker passera ainsi d’un objectif de 315 milliards d’euros à une capacité totale de 500 milliards d’euros, ce qui permettra de renforcer les investissements tant publics que privés dans les domaines prioritaires que sont le numérique, l’écomobilité, la transition énergétique, la recherche et le soutien aux PME innovantes.
D’ores et déjà, 30,6 milliards d’euros du Fonds européen pour les investissements stratégiques ont été mobilisés, permettant de soutenir 163,9 milliards d’euros d’investissements en Europe. Nous sommes donc à mi-chemin de la réalisation de l’objectif initial.
Quatrièmement, il convient de renforcer la gouvernance et la cadre institutionnel de la zone euro. Une gouvernance stable et solide implique des évolutions institutionnelles.
Tout d’abord, des sommets plus réguliers de la zone euro sont nécessaires pour fixer les choix stratégiques. Ensuite, les capacités de l’Eurogroupe doivent être renforcées, par l’instauration d’une présidence permanente et la création d’une capacité budgétaire de la zone euro : cette réserve, dont Richard Yung a parlé, pourrait être mobilisée pour agir sur les déséquilibres macroéconomiques et, en cas de crise, pour prévenir les chocs ou pour y faire face, mais également pour soutenir les investissements au sein de la zone euro, en complément du soutien permis par le plan Juncker dans l’ensemble de l’Union européenne.
Ces évolutions doivent, selon nous, s’accompagner de la mise en place d’un contrôle parlementaire, qui permettrait de renforcer le débat démocratique sur les décisions prises dans la zone euro et d’améliorer la transparence vis-à-vis des citoyens. À ce sujet, nous pensons que la pleine implication du Parlement européen, mais aussi des Parlements nationaux, est nécessaire.
Enfin, pour mieux défendre nos intérêts à l’échelle mondiale, nous en appelons à une unification de la représentation de la zone euro au sein des institutions financières internationales, qu’il s’agisse du FMI, le Fonds monétaire international, ou de la Banque mondiale.
Dans les prochaines semaines, après la mise en œuvre de la première phase du rapport des cinq présidents dont j’ai parlé, c’est-à-dire la réforme du semestre européen à traités constants, et après le débat sur ses priorités, la Commission européenne a prévu de publier un livre blanc dans lequel elle devrait formuler des propositions qui seront débattues dès le printemps prochain. Évidemment, la France analysera ces propositions en fonction de ses priorités, en étudiant notamment leur efficacité en termes de convergence économique et sociale, d’amélioration de la gouvernance et de transparence démocratique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’Europe affronte aujourd’hui un ensemble de crises de nature très différente : les unes tirent leur origine de l’extérieur du continent, les autres résultent de ses propres difficultés. Le Brexit, la menace terroriste, l’instabilité internationale, la crise des réfugiés sont autant de problèmes auxquels l’Europe doit répondre avec détermination.
À ce titre, elle doit accomplir un certain nombre de progrès en termes de sécurité et de protection des individus et renforcer ses politiques communes en matière d’asile, d’immigration, de défense et de politique extérieure. Toutefois, le soutien à la croissance et à l’emploi, la lutte contre la pauvreté et la précarité, l’aide à l’investissement dans les domaines prioritaires pour préparer l’avenir constituent également une nécessité incontournable pour l’Union européenne.
C’est pourquoi le bon fonctionnement de la zone euro doit rester au cœur de nos priorités : nous devons poursuivre notre action en faveur de son approfondissement et d’un rééquilibrage des politiques monétaires et fiscales. La France pèse dans ce débat, précisément parce qu’elle respecte ses engagements.
À cet égard, je tiens à dire que j’ai bien entendu les propos tenus par Daniel Gremillet et Pascal Allizard.
Seulement, si la France a contribué à promouvoir une autre interprétation du pacte de stabilité et de croissance en préconisant davantage de flexibilité, et à demander que l’on prenne en compte la situation des pays du sud de l’Europe, qu’il s’agisse du Portugal, de l’Espagne ou de la Grèce, si elle est parvenue à mettre en avant le débat sur la meilleure manière de soutenir la croissance au travers d’un plan d’investissement – lequel est devenu par la suite le plan Juncker – et à faire en sorte de prolonger ce plan dans le temps et d’en accroître l’ampleur, c’est bien parce que sa voix est respectée et que son déficit budgétaire, qui s’élevait à 5,1 % du PIB en 2011, lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, est désormais conforme à nos engagements, puisqu’il se situera en dessous de 3 % du PIB en 2017.
Oui, nous avons respecté nos engagements européens. En revanche, nous n’avons pas voulu mettre en œuvre de politiques d’austérité. Nous y sommes parvenus à notre rythme. Nous avons mené un certain nombre de réformes en maintenant un équilibre entre l’objectif de compétitivité et celui de protection des droits des salariés. Ainsi, le compte personnel d’activité est désormais accessible à l’ensemble des salariés. Nous avons voulu montrer qu’il est possible d’améliorer la situation économique des pays de la zone euro, de soutenir la croissance et les investissements et de conduire des réformes sans imposer de politiques régressives en matière sociale.
Relancer l’Europe passe par la consolidation du noyau que représente la zone euro. Il faudra mener des réformes, sans pour autant remettre en cause l’existence de l’euro lui-même, et s’assurer que l’euro est bien au service des objectifs de cohésion, de solidarité, de croissance et d’emploi que l’Union européenne s’est fixés. Il est de notre devoir de respecter nos engagements et de réussir à modifier le fonctionnement de la zone euro. Telle est la volonté de la France et du Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)