Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce rendez-vous que constitue la première loi de financement de la sécurité sociale de la nouvelle législature était attendu. Quelle vision d’une sécurité sociale du XXIe siècle ? Quelles réponses apportées aux défis de notre système de santé : allongement de la vie, polypathologies, maladies chroniques, innovations médicamenteuses, inégalités territoriales et financières d’accès aux soins, culture de la prévention – quand 40 % des cancers, selon l’Institut national du cancer, pourraient être évités par des mesures alimentaires, comportementales et d’hygiène de vie –, soins dans la durée exigeant des interventions combinées de professionnels de santé ?
Une considération doit primer toutes les autres : la dimension humaine. Tel est l’héritage des ordonnances d’octobre 1945, le cœur de notre vivre ensemble, dont nous avons la responsabilité de maintenir les fondements de solidarité en leur donnant une efficience dans la réalité d’un monde ouvert à toutes les compétitions et où l’individualisme triomphe.
Madame la ministre, nous jugerons vos propositions sans a priori, en cohérence avec les valeurs que nous défendons, en premier lieu la justice sociale et la lutte contre les inégalités.
La pérennité de notre sécurité sociale repose sur notre responsabilité collective, celle des professionnels, celle des patients, des élus, à retrouver un équilibre financier, condition de la confiance de nos concitoyens en l’avenir, mais aussi enjeu de dignité et de responsabilité envers nos enfants et petits-enfants.
La sécurité sociale était excédentaire en 2001. Son déficit cumulé – régime général et fonds de solidarité vieillesse – a ensuite progressé jusqu’à 28 milliards d’euros en 2010. Il s’élèvera à 5,2 milliards d’euros en 2017 et à 2,2 milliards d’euros en 2018 avec, dans une conjoncture économique favorable, le retour à l’équilibre du régime général. Le déficit de la branche maladie, qui depuis 2001 fut supérieur à quatre reprises à 10 milliards d’euros, se réduit à 4,1 milliards d’euros en 2017 et passera, selon les prévisions, à 800 millions d’euros en 2018.
J’ai une question précise, qui s’adresse plutôt au ministre du budget : quelle est la part, dans ce résultat, du surplus de recettes, évalué par certains à 3,5 milliards d’euros, qui résulterait de l’écart entre la hausse de la CSG dès le 1er janvier prochain et les baisses de cotisations chômage et maladie ? Madame la ministre, du doute naît la suspicion : pouvez-vous nous éclairer précisément sur ce point ?
Si les déficits – ACOSS, dette restant à amortir par la CADES – représentent 140 milliards d’euros à la fin de 2017, la disparition de la dette sociale peut en effet être envisagée, à la condition, non satisfaite à ce jour, d’excédents à venir des branches ou de recettes nouvelles qui permettraient de couvrir 20 milliards d’euros de déficits cumulés de l’ACOSS. Prenons garde à la dangereuse illusion entretenue par les taux d’intérêt faibles ou même négatifs sur le court terme.
Madame la ministre, nous serons à vos côtés quand vous affirmerez la prévention, premier objectif de la stratégie nationale de santé.
L’article 11 porte l’obligation vaccinale à onze vaccins pour les enfants de moins de 24 mois. Quand une enquête réalisée dans soixante-sept pays en octobre 2016 classe la France championne du monde de la défiance vaccinale, quand des enfants meurent de la rougeole dans notre pays, il est rassurant que l’État prenne ses responsabilités. L’urgence sanitaire impose l’obligation.
En ce mois de novembre sans tabac, créé sur l’initiative de Marisol Touraine en 2016, une nouvelle étape est engagée dans la lutte contre la consommation du tabac, avec l’objectif d’un paquet de cigarettes à 10 euros en 2020. Les prix de vente sont fixés par les fabricants ; je reviendrai dans le cours du débat sur les modalités retenues. J’insiste sur trois points : l’accompagnement par des actions de communication en direction des jeunes avec leur langage, leurs codes ; l’évolution de la profession de buraliste qui structure nos territoires ; l’urgence, que vous avez évoquée tout à l’heure, de la lutte contre le commerce illicite de tabac en France, le plus important d’Europe, avec près de 9 milliards de cigarettes par an.
Une disposition module une taxe sur les boissons sucrées existant déjà afin de mieux lutter contre l’obésité infantile. L’accord sur cette mesure est assez large, même de la part des fabricants. Vous avez indiqué dans le débat, madame la ministre, que la disposition « vise non pas à gagner de l’argent sur la vente des boissons sucrées, mais à inciter les industriels à mettre moins de sucre dans les boissons ». Or il semble que les valeurs adoptées à l’Assemblée nationale conduisent à une forte augmentation du produit global de la taxe. Je défendrai donc un amendement dans l’esprit indiqué.
Je vous ai dit notre soutien, madame la ministre, j’en viens à notre opposition totale sur deux sujets emblématiques.
La CSG, créée par Michel Rocard, s’est appliquée au taux de 1,1 % pour la première fois en 1991. Augmentée par les gouvernements Balladur, puis Juppé, devenue pour partie déductible, elle progressera en 1999 de 4,1 points sous le gouvernement Jospin en contrepartie d’une baisse de 4,75 points des cotisations maladie, mais à l’époque la hausse limitée à 2,8 points pour les retraités était compensée totalement. L’idée était déjà de rendre du pouvoir d’achat aux salariés. Vous n’êtes pas dans cette continuité, vous n’y êtes pas en raison du transfert assumé entre les générations.
Une redistribution des ménages de plus de 60 ans vers les ménages de moins de 60 ans est-elle juste ? Peut-être l’est-elle au regard de données de l’INSEE ou d’économistes, mais encore faudrait-il juger de la limite de revenus choisie pour départager les retraités contributifs des autres.
Je vous le dis avec force, cette mesure est inacceptable, destructrice du pacte social, quand dans le même temps la suppression d’une partie de l’ISF et la mise en place de la flat tax allégeront de plusieurs milliards d’euros la contribution à la solidarité nationale des familles les plus aisées. Nous présenterons un amendement visant à supprimer cette disposition.
Nous soutiendrons de même un amendement de suppression de l’alinéa 6 de l’article 44 bis.
Madame la ministre, vous avez tort de supprimer le caractère obligatoire du tiers payant, qui va dans le sens de l’histoire. C’est un marqueur social répondant à une des difficultés d’accès aux soins.
Le rapport de l’IGAS est nuancé. Il sépare la part sécurité sociale de la part des complémentaires. La mise en place est techniquement réalisable à brève échéance pour la part sécurité sociale – 16,50 euros sur une consultation de 25 euros. Or, après la décision du Conseil constitutionnel, seule cette part pouvait voir le tiers payant s’appliquer au 30 novembre. Il était possible d’avancer en deux temps, progressivement, sans bras de fer avec les médecins, puisqu’aucune sanction n’est prévue. Pour les familles modestes, ce n’est pas la même chose de payer 25 euros au lieu des 7,50 euros de la part complémentaire. Madame la ministre, pouvez-vous nous préciser le calendrier après la remise du rapport ?
Dans la branche maladie, les articles 35 et 36 ouvrent un cadre général pour favoriser les expérimentations en matière d’organisation des soins, pour développer la télémédecine par le financement conventionnel de la téléexpertise et de la téléconsultation. J’en approuve la philosophie, même si des points doivent être précisés ou posent question, comme la composition et le rôle des comités stratégiques et techniques ou le montant alloué au fonds d’innovation. L’enjeu est bien de briser les rigidités, les cloisonnements existants, de remettre en cause le seul paiement à l’acte pour adopter des logiques de parcours ou de séquences de soins, de favoriser l’exercice collectif. Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur le lien – s’il y en a un, ce que je souhaite – des articles 35 et 36 avec les logiques de territoires déjà créées grâce aux équipes de soins primaires et aux communautés professionnelles territoriales de santé ?
J’évoquerai enfin trois sujets d’inquiétude.
Premièrement, l’hôpital public n’assure ses missions que grâce au formidable engagement et au total dévouement du personnel soignant – médecins, infirmiers, aides-soignants, personnels paramédicaux – auquel je rends hommage. Quand, chaque année, plus de dix millions de personnes se rendent aux urgences, à l’interface de la médecine et des maux de la société, il y a obligation à redonner du sens à l’hôpital public.
Deuxièmement, l’accès aux médicaments innovants, sujet que vous connaissez bien et que je développerai ultérieurement, pose problème. Je partage les inquiétudes qui ont été précédemment exposées.
Troisièmement, la situation de la santé scolaire est difficile. Une récente enquête indique que les secteurs varient de 1 000 à 46 500 élèves par médecin.
Je terminerai par un élément de contexte et en osant rapprocher deux rapports récents. L’un du FMI, intitulé Lutter contre les inégalités, qui établit un lien entre les investissements dans l’éducation et la santé, la lutte contre la pauvreté et une croissance durable et inclusive ; l’autre du Secours catholique, sous le titre L’état de la pauvreté en France 2017, dont j’extrais ma conclusion : « La solidarité commence par le regard porté sur l’autre. Lorsque ce regard se fait dur, empreint de jugement, il est une véritable violence et entraîne le repli. » Nous sommes au cœur de nos préoccupations pour 2018. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale marque la volonté du Gouvernement de rétablir l’équilibre des comptes sociaux, et notamment de l’assurance maladie, dont le déficit passerait de 4,1 milliards d’euros en 2017 à 0,8 milliard d’euros en 2018. La sécurité sociale, quant à elle, verrait son déficit passer de 5,2 milliards d’euros en 2017 à 2,2 milliards d’euros en 2018.
Vous souhaitez, madame la ministre, arriver à l’équilibre en 2020, malgré les difficultés très importantes qui s’annoncent pour la branche vieillesse.
Si l’ONDAM doit progresser de 2,3 %, vous prévoyez un effort de maîtrise des dépenses et des économies de 4,2 milliards d’euros. Pour ce faire, le taux de prise en charge en chirurgie ambulatoire passera de 54 % à 70 % en 2022. Les responsables des cliniques et hôpitaux que j’ai rencontrés m’ont fait part de leurs difficultés pour équilibrer ce secteur, du fait, selon eux, de cotations trop faibles – elles ont encore baissé – pour avoir la qualité et l’efficacité nécessaires.
Il faudra aussi tenir compte des malades atteints de polypathologies, qui peuvent être obligés de rester en service aigu. Ils ne devront pas être pénalisés.
Enfin, les services mobiles d’urgence et de réanimation des centres hospitaliers régionaux vont être en difficulté : ils vont devoir participer, sur leur dotation, aux paiements des transports secondaires vers les CHU, ce qui risque de les handicaper dans l’exercice de leur mission pourtant indispensable à la prise en charge des urgences au sein d’un département.
Pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, l’amélioration semble possible, tout comme une meilleure coordination entre l’hôpital et le domicile.
Vous avez également, madame la ministre, des projets de prévention, dont ce projet de loi de financement de la sécurité sociale porte la marque.
Vous l’avez dit dans votre intervention liminaire : l’augmentation des prix du tabac qu’il prévoit ne doit pas être le seul paramètre pour diminuer le nombre de fumeurs. Nous souhaitons d’ailleurs la mise en place d’une évaluation des conséquences de cette mesure sur les buralistes. Une aide devra leur être apportée, car ils jouent un rôle important dans nos communes.
Vous proposez aussi d’améliorer la couverture vaccinale, avec la mise en place de onze vaccins obligatoires. Nous sommes tout à fait d’accord pour protéger les enfants.
Vous prônez aussi le développement du dépistage du cancer du sein, du cancer colorectal et du cancer de l’utérus. Nous proposons quant à nous celui du dépistage du cancer de la prostate.
Nous sommes également d’accord avec vos suggestions en faveur de la prévention de la consommation d’alcool ou de l’obésité.
Vous proposez également, madame la ministre, plus d’innovations et d’expérimentations : actes nouveaux en équipe ; télémédecine ; numérique ; remboursement des lunettes et des prothèses auditives ; incitation, pour les médecins s’installant dans une zone surmédicalisée, à réaliser un ou deux jours par semaine des consultations dans les zones sous-dotées ; création de 300 postes de médecins partagés ; cumul emploi-retraite facilité ; encouragement, pour les médecins spécialistes, à venir faire des consultations en maison de santé pluridisciplinaires, ou MSP ; poursuite des aides financières ; développement des stages extrahospitaliers ; coconstruction d’un projet d’aménagement du territoire avec les élus… Nous approuvons tous ces projets.
Permettez-moi néanmoins quelques suggestions.
Nous pensons nécessaire d’augmenter le numerus clausus, non pas de façon uniforme, mais dans les facultés établies sur des territoires risquant de devenir des déserts médicaux, avec pour critère, par exemple, l’âge des médecins y exerçant.
Il faudrait également organiser le concours de l’internat par faculté, au lieu de le faire via une épreuve nationale classante, et prévoir une spécialité de médecine générale, où l’interne travaillerait six mois avec son maître de stage, comme à l’hôpital.
Dans certains territoires ruraux, beaucoup de médecins ont plus de 60 ans. Nous pourrions mettre en place, en coconstruction avec les élus, un salariat pour les médecins généralistes qui seraient embauchés par un hôpital ou une clinique et qui pourraient intervenir dans les MSP. Ce modèle semble attractif.
On pourrait également recourir à une forme de coercition, en conventionnant un médecin installé en zone surmédicalisée s’il s’engage à aller deux jours par semaine dans une zone désertifiée.
À titre personnel, je pense qu’en cas d’échec de ces mesures, il faudrait se diriger vers un non-conventionnement des médecins s’installant en zone surmédicalisée, autrement dit vers un numerus clausus d’installation.
L’État doit s’engager à fournir des soins de premier recours dans toutes les MSP et dans tous les territoires. Il faut enfin associer les cliniques aux groupements hospitaliers de territoire, les GHT.
Le budget alloué aux personnes âgées et handicapées connaît quant à lui une augmentation de 2,6 %.
Il est également proposé aux personnes handicapées concernées d’entrer dans le quatrième plan Autisme, en coconstruction avec les familles. Nous approuvons cette démarche.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit également, pour les personnes âgées, la création de 4 500 places en EHPAD, mais aussi de 1 500 places d’accueil de jour ou d’hébergement temporaire, les deux derniers dispositifs étant des maillons très importants du maintien à domicile.
Actuellement, les centres pour l’accueil de jour doivent prévoir au moins six places ; il serait indispensable de pouvoir proposer quatre places seulement, mais cette hypothèse est toujours refusée par les ARS, ce qui est incompréhensible.
Pour la maladie d’Alzheimer, le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit des unités de pôle d’activités et de soins adaptés, ou PASA. Il est souhaitable que les accueils de jour, lorsque c’est possible, puissent être intégrés dans ces unités.
Pour ce qui est de l’augmentation nécessaire du forfait soins, vous proposez 100 millions d’euros par an sur cinq ans. Cela nous semble indispensable, car les personnes âgées en EHPAD sont très dépendantes et le nombre d’employés de ces structures est très inférieur à ce que prévoient les outils AGGIR ou PATHOS.
J’en viens au tiers payant. Heureusement, la guerre n’aura pas lieu le 30 novembre ! Le tiers payant est maintenu seulement pour les personnes en CMU, en ALD ou en congé de maternité. Je rappelle que le tiers payant peut s’appliquer pour les ALD à 100 %, car il est actuellement, pour cette catégorie, à 70 %. Pour les malades en difficulté financière, il faudrait simplement ajouter dans la loi que le tiers payant doit s’appliquer à la demande du patient. Ce serait très simple à mettre en place.
Nous sommes d’accord avec la mesure de justice sociale qu’est l’augmentation de 100 euros par mois du minimum vieillesse et de l’allocation aux adultes handicapés, ou AAH.
En ce qui concerne la famille, vous proposez une augmentation sensible – 30 % – de la PAJE pour les familles monoparentales et fragiles, ce en quoi nous sommes d’accord.
Pour ce qui est des allocations familiales, vous prévoyez d’aligner en 2018 le plafond des ressources sur celui du complément familial. Cette mesure diminuera les allocations et pourrait être reportée.
Il serait par ailleurs souhaitable que la prime à la naissance soit versée dès le premier mois après la naissance. Nous nous associerons donc à l’amendement déposé par Élisabeth Doineau sur ce point.
J’aborde maintenant un point particulier, madame la ministre : l’arrivée en nombre des mineurs non accompagnés. Ils étaient 4 000 en 2011 ; ils sont plus de 30 000 en 2018. Cela pose un véritable problème. Il est nécessaire d’isoler certains de ces mineurs perturbés, qui ont souvent un vécu épouvantable, mais aussi les enfants qui souffrent de troubles du comportement, par la mise en place d’unités de dix lits dans les centres départementaux de l’enfance, les CDE, et les maisons d’enfants à caractère social, les MECS, avec un encadrement adapté. La différence entre les prix de journée pratiqués par ces deux structures pourrait être prise en charge par l’État.
Enfin, de nombreux jeunes majeurs vont se retrouver à la rue à 18 ans, sans pouvoir finir leur année de formation, car le département ne pourra pas financer seul.
J’en viens aux mesures concernant le pouvoir d’achat.
Les salariés vont bénéficier de la suppression des cotisations salariales d’assurance maladie et d’assurance chômage, ce qui représente un gain important. En contrepartie, la CSG va augmenter 1,7 point. Vous le savez, cette mesure fait couler beaucoup d’encre. La commission des affaires sociales du Sénat s’est d’ailleurs emparée du sujet : sur proposition du rapporteur général, elle a en effet supprimé la hausse de la CSG sur les pensions de retraite, afin d’éviter une baisse de pouvoir d’achat à cette catégorie de population. Conséquence : 4,5 milliards d’euros de recettes en moins pour le budget de la sécurité sociale.
Nous partageons cette inquiétude pour les retraités, mais notre groupe politique juge que l’effort de redressement des finances de la sécurité sociale doit être porté par tous les Français. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à limiter la hausse de la CSG sur les pensions de retraite à 1,2 point, cela afin de préserver les ménages les plus modestes, tout en ne mettant pas en difficulté le budget de la sécurité sociale.
Pour ce qui est du pouvoir d’achat des salariés, je tenais à rappeler la mesure proposée par Jean-Pierre Decool et Dany Wattebled, à l’occasion des débats de la semaine dernière, visant à étendre la participation des salariés dans l’entreprise.
J’en viens aux mesures relatives au soutien aux entreprises.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 met en place la transformation du CICE et du CITS en allégement des cotisations sociales, à compter du 1er janvier 2019. Cela représentera une baisse de charges totale pour des salaires allant jusqu’à 2,6 SMIC.
La précarité, c’est le chômage. C’est pourquoi nous soutenons ce choix, comme ceux de la fusion de la C3S et de la C4S, de l’extension du chèque emploi service universel, le CESU, de la réforme de l’aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprise, l’ACCRE, et du doublement du plafond du chiffre d’affaires applicable au régime de la micro-entreprise.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoit également l’adossement du RSI au régime général, avec une période de transition de deux ans. Les instances régionales d’ores et déjà mises en place seront là pour continuer de jouer leur rôle social. Nous souhaitons que le personnel s’intègre bien dans le régime général.
Je voudrais, pour terminer, évoquer la situation de l’économie en zone hyper-rurale. Les zones comptant moins de 20 habitants au kilomètre carré devraient bénéficier, dans le cadre du zonage de revitalisation rurale, de cinq ans – au lieu d’un – d’exonération totale de cotisations sociales pour chaque embauche nouvelle. C’est nécessaire pour inciter les petites entreprises à s’installer dans les zones hyper-rurales, qui disposeraient ainsi d’un avantage par rapport aux autres secteurs. C’est important aussi pour les associations et entreprises de l’économie sociale et solidaire et du médico-social, qui sont souvent d’importants employeurs.
Madame la ministre, le groupe Les Indépendants – République et Territoires vous soutient dans votre volonté d’agir le plus vite possible afin de maîtriser les déficits sociaux sans renoncer à l’exigence d’une médecine pour tous, tout en limitant la participation des retraités afin de ne pas mettre en difficulté le budget de la sécurité sociale.
Nous soutenons donc vos propositions, expérimentations et innovations pragmatiques, madame la ministre, sans perdre de vue les objectifs que doit avoir l’État : aucun désert médical et maintien de la vie en zone rurale.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, nous serons force de proposition pour accompagner le projet du Gouvernement et soutenir la réforme de notre modèle de sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.
M. Jean-Noël Cardoux. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si ce projet de loi de financement de la sécurité sociale traduit une volonté de retour à l’équilibre financier, le choix de privilégier des mesures conjoncturelles a été retenu au détriment de réformes structurelles.
Prenons d’abord le problème du déficit récurrent de l’ACOSS, qui se situe actuellement, selon les sources, entre 17 milliards d’euros et 21 milliards d’euros, quand son plafond de découvert est, je le rappelle, de 30 milliards d’euros.
Une démarche vertueuse, recommandée par la Cour des comptes, aurait consisté à rouvrir la possibilité de transferts entre l’ACOSS et la CADES, possibilité éteinte depuis l’année dernière avec la décision du secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics Christian Eckert d’épuiser les 22 milliards d’euros de reliquat autorisés par le Parlement.
Il aurait en effet été possible de transférer l’ensemble des déficits de l’ACOSS à la CADES en procédant à une augmentation de la CRDS de 0,25 %, sans toucher à la durée de vie légale de la CADES. C’eût été une démarche vertueuse, permettant de revenir à l’équilibre financier, sans exposer l’ACOSS à la variation des taux d’intérêt, dont on peut craindre qu’elle ne survienne dans les années à venir, tant les marchés financiers sont fébriles. Dans un tel cas de figure, l’ACOSS, déjà lourdement déficitaire, serait dans une situation désastreuse.
Plutôt que de privilégier cette démarche, le Gouvernement a choisi d’augmenter la CSG de 1,7 %. Il aurait pourtant été possible, un simple calcul le prouve, de ne l’augmenter que de 1,45 %, tout en augmentant la CRDS de 0,25 %. Au-delà, différents orateurs l’ont dit, on aurait même pu imaginer de ne pas l’augmenter du tout, en privilégiant une réforme de fond : la création de taux différentiels de TVA.
Il faut le savoir, beaucoup de pays européens ont un taux normal de TVA supérieur à celui de la France : il est de 25 % en Suède et au Danemark, de 23 % au Portugal, de 22 % en Italie et de 21 % en Espagne
En fixant un taux normal à 23 %, sans toucher bien sûr aux biens de première nécessité pour ne pas pénaliser les personnes les plus démunies, nous aurions engrangé des ressources supplémentaires. Nous aurions même pu aller plus loin, et créer un taux de TVA majoré à vocation environnementale qui s’applique aux produits d’importation, et même un taux super-majoré pour les véhicules polluants, à l’image de ce qu’ont déjà fait d’autres pays.
Cette démarche vertueuse n’a pas été retenue.
Je fais pourtant remarquer à tous les sénateurs que, si la CSG est un prélèvement « imposé », la consommation, sauf pour les produits de première nécessité, est le fruit d’un choix.
Je m’attarderai plus longuement sur le RSI. Plutôt que de le réformer en profondeur, le Gouvernement a choisi, avec l’article 11, de l’aligner sur le régime général de la sécurité sociale, dans un texte difficilement compréhensible ne comptant pas moins de 404 articles, dont on peut douter de la constitutionnalité.
Une telle réforme, incluse dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale contre la volonté des principaux acteurs de terrain et après une concertation plus que limitée, pourrait être assimilée à un cavalier législatif.
Cette mesure d’affichage intervient alors que l’organisation du RSI est en voie d’amélioration depuis deux ans. Jean-Pierre Godefroy et moi-même y avions beaucoup travaillé avec acteurs du RSI. Je ne citerai que quelques propositions formulées par les parlementaires, Assemblée nationale et Sénat confondus : possibilité de faire des provisions fiscales pour charges, limitation des acomptes, projet d’autoliquidation. Tout cela allait dans le bon sens.
La réforme que l’on nous propose est le fruit d’une pression exercée par une certaine catégorie de population ; elle résulte de la confusion entre le poids des charges pesant sur les professions indépendantes et la façon dont les charges étaient recouvrées par l’interlocuteur social unique.
Le Gouvernement prend un grand risque en laissant espérer aux indépendants que cette réforme allégera leurs charges.
J’ai demandé à un cabinet d’expertise-comptable d’effectuer le calcul du coût d’un tel alignement sur le régime général pour trois catégories de revenus : 24 000 euros, 48 000 euros et 96 000 euros. Ce simple calcul montre que l’alignement générera pour ces catégories d’indépendants des augmentations de cotisations de 6 000 euros, 11 000 euros et 28 000 euros, respectivement.
C’est, à terme, ce qui risque de se produire. À prestations égales, cotisations égales : c’est automatique ! Vous avez certes avancé devant notre commission, madame la ministre, que ni les unes ni les autres ne changeraient. Vous avez également affirmé, tout à l’heure, que l’accompagnement social mis en place avec beaucoup de courage par les administrateurs du RSI serait maintenu.
Dans ces conditions, pourquoi faire une telle réforme, impliquant trois intervenants au lieu d’un seul – la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, la CARSAT, l’URSSAF et la CPAM –, et alors que le logiciel de l’ACOSS, le fameux SNV2, à l’origine de tous les déboires du RSI, a été à peine toiletté ? Il faudrait que par enchantement, par un coup de baguette magique, un système qui ne fonctionnait pas devienne subitement opérationnel !
Cette réforme n’est-elle pas en fait une convention de gestion déguisée, ne respectant pas la procédure d’appel d’offres ? Le problème doit être exposé ainsi, ce me semble.
Le réveil risque d’être douloureux, alors même que l’assurance chômage des indépendants, un moment évoquée, n’est pas prévue. Beaucoup d’indépendants s’imaginaient pouvoir bénéficier de la garantie chômage : ce ne sera pas le cas. Compte tenu de l’augmentation du coût des prestations chômage qu’elle aurait entraînée, cette réforme était en réalité difficilement envisageable.
Parallèlement à tout cela, une réforme complexe de la Caisse interprofessionnelle d’assurance vieillesse des professions libérales, la CIPAV, est engagée. Elle vise à créer trois ou quatre catégories différentes en fonction des années d’affiliation. Or, depuis quelques jours, des catégories socioprofessionnelles préconisent le dépôt d’amendements visant à les maintenir, selon leur activité, dans le périmètre de la CIPAV. Si de tels intervenants réagissent ainsi, c’est que la concertation a été plus que défaillante. Cela devrait nous amener à y réfléchir de façon plus approfondie.
Et puis, dernière remarque, sur un plan éthique, vouloir uniformiser le statut des salariés et des indépendants, c’est à mon sens la négation d’une approche libérale de notre système économique.
Dans notre esprit, une telle réforme aurait dû faire l’objet d’un texte spécifique et être soumise à une large concertation, souhaitée par tous les acteurs de terrain, au lieu d’être contenue dans 404 articles du présent projet de loi.
Je ne sais pas quels amendements seront adoptés dans les jours qui viennent. Si le texte reste en l’état, notre groupe, dans sa grande majorité, s’abstiendra ; il envisagera également la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de la réforme du RSI telle que présentée aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)