Mme Fabienne Keller. Je vous remercie de nous présenter votre stratégie de défense de Strasbourg en tant que capitale européenne de la France, cette mission étant si particulière. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe La République En Marche.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour une fois, l’ordre du jour du Conseil européen de fin d’année semble un peu moins pléthorique que d’habitude, mais les sujets qui seront abordés sont loin d’être anodins. Ils portent sur plusieurs des enjeux mis en avant par Jean-Claude Juncker dans son discours sur l’état de l’Union le 13 septembre dernier.
Les orateurs qui m’ont précédé ayant déjà largement évoqué les problématiques inscrites à cet ordre du jour, je concentrerai l’essentiel de mon propos sur le Brexit et sur les questions connexes liées à cet épineux dossier.
Au préalable, je tiens cependant à vous faire part de mon sentiment très mitigé s’agissant de la réforme de la zone euro présentée par la Commission européenne mercredi dernier, laquelle sera examinée lors du sommet de la zone euro, qui se tiendra le 15 décembre, dans la foulée du Conseil européen. Une fois passées les grandes déclarations d’intention sur la nécessaire réforme de l’Europe, la Commission européenne semble être en effet revenue au « business as usual », à savoir avancer a minima, réformer mais pas trop, suffisamment pour éviter l’accusation de statu quo… Une fois de plus, il semblerait que la montagne ait tout simplement accouché d’une souris.
La réforme de la zone euro, telle qu’elle est proposée par la Commission, traduit une absence de vision politique et risque fort de se réduire à la seule création d’un titre de ministre européen de l’économie et des finances. Ce ministre jouera un rôle plus cosmétique qu’effectif, puisqu’il sera placé sous la tutelle du président de la Commission et ravalé au rang de simple « coordinateur ».
Comme mon collègue Didier Marie, je m’interroge : sans solidarité financière entre États membres ni instauration d’un Parlement de la zone euro, comment pouvons-nous espérer mettre fin aux déséquilibres profonds qui existent à l’intérieur de l’Union, ainsi qu’à la compétition fiscale agressive qui sévit entre nos États ?
Faire preuve d’une réelle ambition pour l’Europe supposerait de doter la zone euro d’un budget spécifique, au lieu de se limiter, comme le propose la Commission, à ouvrir quelques lignes budgétaires nouvelles dans un cadre pluriannuel financier déjà plus que contraint.
Bref, ce que la Commission propose aujourd’hui est sans grande audace. On sent bien que le président Juncker a sans doute peur, à dix-huit mois des élections européennes, de froisser les États non-membres de la zone euro et surtout de bousculer l’Allemagne, qui est actuellement plongée dans de délicates négociations en vue de constituer une coalition gouvernementale. Pour autant, les récentes déclarations très pro-européennes de M. Martin Schultz, futur allié de la coalition, laissent penser que nos voisins d’outre-Rhin pourraient assouplir leur position sur la zone euro. Il a en effet évoqué l’idée de la création d’un budget dans son discours du 7 décembre dernier.
Madame la ministre, pensez-vous qu’il y a quelque espoir que les discussions de vendredi permettent d’aller au-delà et dans un sens plus proche des propositions avancées par le Président de la République lors de son discours de la Sorbonne le 26 septembre dernier ?
J’en viens à présent à l’état actuel des négociations sur le Brexit.
Après la relative désillusion de mercredi concernant la réforme de la zone euro, on s’attendait vendredi à un jour plus faste pour l’Union avec l’annonce d’un accord avec la Grande-Bretagne sur la première phase des négociations se rapportant aux modalités de sa sortie de l’Union : accord sur le règlement financier de la séparation, accord sur la gestion de la frontière entre la République d’Irlande et la province d’Irlande du Nord et accord, enfin, sur le sort des citoyens expatriés…
Passé l’effet d’annonce plutôt enthousiasmant – pour peu qu’on puisse réellement s’enthousiasmer pour un divorce par consentement plus ou moins mutuel –, la lecture détaillée du document officiel de quinze pages, présenté vendredi dernier, a de quoi laisser dubitatif sur l’accord final qui résultera des négociations de phase 2, lesquelles porteront sur les futures relations entre les deux parties et sur la demande britannique, non clarifiée, d’obtenir éventuellement une période de transition.
L’avancée la plus nette et la plus clairement favorable aux intérêts de l’Union et de ses citoyens concerne bien évidemment le statut des citoyens expatriés. Le Royaume-Uni semble avoir enfin réalisé, ou reconnu, la valeur et l’importance du travail effectué par les ressortissants européens pour l’économie britannique, qu’ils occupent des emplois qualifiés ou moins qualifiés. D’après les chiffres de son Bureau de la statistique nationale, ils représentaient en 2016 près de 7 % des forces de travail britanniques. Mme May, sous la pression d’ailleurs du patronat et des milieux financiers, a donc été contrainte d’en rabattre un peu sur sa position initiale, très idéologique, et d’accepter que les droits des citoyens expatriés demeurent les mêmes.
Je regrette cependant nos concessions sur la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne. Il est en effet simplement prévu que les tribunaux britanniques « pourront » interroger pendant huit ans la Cour sur des questions d’interprétation de la législation européenne relative aux droits des citoyens immigrés. Que ferons-nous si aucun tribunal britannique n’interroge la Cour de justice de l’Union européenne ? Et pourquoi huit ans seulement ? À partir de quel moment pourra-t-on juger qu’il existe un manquement de la part du Royaume-Uni, susceptible de faire l’objet d’un recours ?
Madame la ministre, au-delà des formules parfois sibyllines et complexes figurant dans cette partie de l’accord, pouvez-vous illustrer plus concrètement et détailler plus avant les garanties obtenues en faveur des ressortissants européens travaillant au Royaume-Uni ?
Quant à l’accord trouvé sur le règlement financier, plusieurs points et non des moindres semblent restés en suspens. Au-delà de la validation de la méthode de calcul du montant dû par Londres, qui est celle proposée par Bruxelles, des ambiguïtés, et non des moindres, subsistent notamment sur la facture que devra régler le Royaume-Uni. Si nous refusons de notre côté d’avancer un chiffre, les Britanniques, eux, ne rechignent pas à le faire. Ils estiment que cette facture s’élèverait à un montant compris entre 40 milliards et 45 milliards d’euros.
À ce sujet, il ne faut pas se faire d’illusion : il n’y a aucun gain, aucun bénef, pour l’Union européenne dans ce règlement financier. La facture correspond à des engagements pris par le Royaume-Uni en tant que membre et à sa participation à plusieurs programmes ou agences européennes. Je pense ainsi au paiement de politiques déjà engagées dans l’actuel cadre pluriannuel financier jusqu’en 2020.
Au-delà de 2020, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne représentera un trou budgétaire annuel de plusieurs milliards d’euros, qu’il faudra combler ou qui nous contraindra à faire des économies. Je rappelle en effet que le Royaume-Uni est le troisième contributeur net du budget européen, avec près de 9 milliards d’euros. Nous devons donc saisir cette occasion pour rendre le budget européen plus lisible et plus équitable, afin de mettre un terme à tous ces mécanismes de rabais et de rabais sur le rabais, qui entachent tant le budget européen.
Enfin, sur le volet relatif à l’Irlande, qui a été évoqué par plusieurs de nos collègues, nous avons l’impression d’être autant otages de la situation politique intérieure du Royaume-Uni que Mme May elle-même, qui est partagée entre, d’un côté, les attentes des milieux financiers et économiques et, de l’autre, une alliance avec le DUP, un parti quasiment d’extrême droite nord-irlandais.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. André Gattolin. Je conclus, monsieur le président.
Or les derniers sondages montrent qu’une majorité d’Irlandais sont favorables à la réunion des deux Irlande. Quelque chose est donc en train de se passer.
Certes, le texte est en l’état intéressant, mais je crains qu’il ne soit pas totalement cadré et que Mme May n’ait surtout cherché à temporiser entre des forces concurrentes et divergentes. La deuxième phase des négociations risque d’être un beau morceau à régler ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Union Centriste. – M. Simon Sutour applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères.
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’interviens au nom du président de la commission, Christian Cambon, retenu par une rencontre avec des personnalités internationales.
Le 30 mars 2019, le Royaume-Uni deviendra un pays tiers de l’Union européenne. Nous le regrettons. Des personnalités telles que Tony Blair veulent croire que cette perspective est encore réversible. Mais il faut se résoudre à l’évidence : après l’accord de vendredi, elle devient de plus en plus plausible.
Nous nous réjouissons de l’accord qui a été trouvé. Sans lui, le Brexit risquait de nous ramener plus de quarante ans en arrière. Cet accord devrait permettre – enfin ! – d’envisager l’avenir, en passant à la deuxième phase des négociations prévues par l’article 50 du traité sur l’Union européenne.
Mais nous ne sommes pas naïfs, mes chers collègues. Le président du Conseil européen l’a rappelé : le temps est compté, et le plus difficile est devant nous, comme l’a également dit la ministre.
En premier lieu, nous restons préoccupés par la question irlandaise, en raison du conflit tragique, pas si lointain d’ailleurs, que l’île a connu, et qui a été surmonté grâce à des coopérations reposant, pour une large part, il ne faut pas l’oublier, sur le droit et les budgets européens.
L’accord trouvé sur la question de la frontière irlandaise est un pas en avant appréciable, mais il n’est pas dépourvu d’ambiguïtés. Au regard des engagements de principe énoncés, les difficultés d’application paraissent presque inextricables. Et je n’évoquerai pas le risque de division politique, voire de désunion territoriale, qu’elles suscitent outre-Manche. Le plus dur reste à faire !
En deuxième lieu, la phase 2 des négociations s’annonce ardue. Elle sera d’abord consacrée à la définition d’une période de transition, puis à l’élaboration de un ou plusieurs traités précisant le cadre futur des relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Ce cadre devra définir une « relation spéciale », équilibrée, non discriminante vis-à-vis des États membres de l’Union européenne et de l’Espace économique européen, dans un traité qui pourrait, nous dit-on, comporter des similitudes avec l’accord économique et commercial global avec le Canada, le fameux CETA.
Nous serons donc particulièrement attentifs à ces nouvelles négociations, car – le négociateur en chef Michel Barnier nous l’a confirmé ici même, au Sénat – ce ou ces traités avec le Royaume-Uni seront de nature mixte, c’est-à-dire que nous aurons à en autoriser la ratification. Madame la ministre, cela signifie que ces nouvelles négociations devront être parfaitement transparentes et portées dans le débat public. Nos concitoyens nous demanderont la garantie que le Brexit ne signifie pas l’introduction, à terme, de formes nouvelles de dumping réglementaire ou fiscal à l’intérieur du continent européen. Il faudra maintenir notre union à vingt-sept, et c’est un défi.
Cela étant dit, le Brexit ne doit pas capter toute notre énergie. Comme cela est écrit dans le rapport du Sénat sur la refondation de l’Europe, et comme le Président Macron et la Chancelière Merkel l’ont affirmé : l’avenir à vingt-sept est plus important que le Brexit !
Plus qu’une priorité, refonder l’Union est un enjeu vital. La politique migratoire, de nouveau à l’ordre du jour du prochain Conseil, doit continuer à concentrer toute notre attention. Le phénomène migratoire, dans sa dimension tant intérieure qu’extérieure, constitue un défi majeur et durable. Nous avons échoué, pour le moment, à y répondre efficacement, humainement et solidairement. Il faut donc agir, et vite.
En matière de défense, les avancées sont importantes, mes chers collègues. Le moteur franco-allemand a permis le lancement d’une coopération structurée permanente et, disons-le, prometteuse. Mais soyons réalistes : on a beaucoup parlé, il faut maintenant agir.
La mise en œuvre, dans les mois à venir, de projets communs d’acquisition et de développement de capacités militaires, voire la réalisation d’engagements conjoints sur des théâtres d’opérations extérieures, constitueront le vrai et l’unique test d’une volonté d’agir ensemble. Or la concrétisation de décisions prises à vingt-cinq sur des sujets si stratégiques nous laisse perplexes.
Mes chers collègues, chacun le sait : la politique d’emploi des forces qui est celle de la France, sa capacité de projection en opérations au-delà de ses frontières constituent une singularité dans l’Union européenne. Mais, au Sahel, c’est bien la sécurité de l’Europe que nous défendons, et pas uniquement celle de la France.
Les principes d’un partenariat renforcé avec le Royaume-Uni, seul État membre qui, à l’instar de la France, dispose d’une culture stratégique, semblent déjà faire consensus. Il faut s’en féliciter.
Madame la ministre, la France doit cultiver cette entente, scellée avec son unique partenaire européen à la fois détenteur de l’arme nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, si elle prétend conserver ses leviers d’actions diplomatiques en formant un bloc européen dans les instances multilatérales et si elle entend défendre sa politique de dissuasion, garante du régime de non-prolifération face à l’accélération des essais balistiques et nucléaires de la Corée du Nord. Plusieurs orateurs ont déjà mentionné ce dernier enjeu.
Face à de tels défis, on le voit bien : la diffraction de l’Europe serait un non-sens géostratégique. Maintenir la cohésion de notre continent est un impératif tant économique que social et de sécurité ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le vice-le président de la commission des affaires européennes.
M. Cyril Pellevat, vice-président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, permettez-moi d’excuser l’absence de M. Bizet, président de la commission des affaires européennes, qui est actuellement en déplacement au titre de l’Union interparlementaire.
Notre débat revêt un intérêt tout particulier à la veille d’un Conseil européen d’une grande importance.
C’est en tout premier lieu le retrait du Royaume-Uni qui retient notre attention. Le Sénat a plaidé pour un « retrait ordonné », et notre groupe de suivi, commun avec la commission des affaires étrangères, restera très vigilant quant à la finalisation de l’accord de retrait. Cette attention est d’autant plus nécessaire que, par ses propos récents, le négociateur britannique, M. Davis, semble lier le sort de cet accord à celui relatif au cadre des relations futures. Une telle analyse nous paraît tout à fait inacceptable.
En priorité, notre vigilance portera sur la situation des citoyens européens installés au Royaume-Uni. Nous relevons beaucoup de points positifs dans le rapport des négociateurs. Je m’interroge cependant sur le rôle de la Cour de justice. Certes, celui-ci est bien prévu, mais les juges britanniques auront la simple faculté et non l’obligation de consulter la Cour. En outre, cette possibilité sera limitée à une période de huit ans. N’est-on pas en deçà de ce qui serait nécessaire pour apporter des garanties effectives aux citoyens européens ?
Le même rapport affirme une nouvelle fois qu’il n’y aura pas de frontière « en dur » entre les deux parties de l’Irlande. C’est là un point très positif. Est ainsi garanti l’accord de paix du Vendredi saint, qui a mis fin aux violences en Irlande du Nord en 1998. C’est fondamental. Mais tout cela devra être précisé en vue de la finalisation de l’accord de retrait.
Pour ce qui concerne le règlement financier, nous prenons acte de la décision des autorités britanniques de respecter leurs engagements budgétaires ; c’est bien le moins. Sur ce point aussi, cependant, le Sénat se montrera vigilant.
Si le Conseil européen décide d’engager des discussions quant au cadre des relations futures, l’Union européenne devra conserver l’unité qui a été la sienne pendant la première phase.
L’enjeu n’est pas à négliger. Les États membres, dont la France elle-même, pourront avoir des intérêts propres à défendre. Le négociateur de l’Union, Michel Barnier, nous a indiqué que le futur accord aura un caractère mixte. Sa ratification devra donc être autorisée par le Parlement.
À cet égard, le Sénat entend jouer tout son rôle. Chacun voit bien l’intérêt de conserver des liens très étroits avec un partenaire qui demeurera essentiel dans beaucoup de domaines, notamment la sécurité.
Cela étant, l’Union européenne doit rester claire et ferme. Le Royaume-Uni a choisi de quitter l’Union. Nous le regrettons, mais nous respectons son choix, et il doit en assumer les conséquences. On ne peut avoir plus d’avantages en dehors qu’au sein de l’Union. Notre groupe de suivi avait clairement exprimé cette exigence.
L’Union devra aussi veiller à défendre les intérêts des différents secteurs économiques exposés aux effets du Brexit. Je pense en particulier au secteur de la pêche, lequel est particulièrement préoccupé par la période d’incertitude qui s’ouvre. Nous devons disposer d’évaluations sectorielles précises.
Les questions de défense seront également à l’ordre du jour du Conseil européen. Nous saluons les progrès accomplis grâce au lancement d’une coopération structurée permanente. Cette coopération va dans le sens des préconisations émises par le groupe de suivi sénatorial. Peut-on escompter une mise en œuvre rapide des projets recensés à ce titre ?
Il nous semble également nécessaire de développer des outils de cohérence opérationnelle et des capacités de financement européen en faveur de la défense. Quelles sont, notamment, les perspectives pour le futur fonds européen de la défense ?
Le Conseil européen se prononcera par ailleurs sur les questions sociales, l’éducation et la culture. Il s’agit de renforcer la cohésion européenne en progressant vers la convergence sociale.
En la matière, le sommet de Göteborg a permis d’identifier des pistes intéressantes. Nous serons, en particulier, attentifs à la mise en œuvre des principes réunis dans le socle européen des droits sociaux. Nous examinerons également le résultat du trilogue sur l’épineux dossier des travailleurs détachés, qui est très vivement ressenti dans nos territoires. Nos rapporteurs, Fabienne Keller et Didier Marie, nous en rendront compte.
Le renforcement des compétences est un autre enjeu majeur. Les défis à relever sont lourds compte tenu de l’impact du numérique et, désormais, de l’intelligence artificielle. À ce titre, l’Union a un rôle limité, mais elle peut appuyer et coordonner l’action des États membres.
Nous plaidons notamment pour un Erasmus des apprentis : ce dispositif contribuerait à l’acquisition des compétences et à la mobilisation des jeunes autour du projet européen.
Enfin, le sommet de la zone euro devrait permettre un débat sur l’avenir de l’union économique et monétaire, après la présentation de sa feuille de route, le 6 décembre dernier, par la Commission européenne.
Notre groupe de suivi a retenu l’approche ambitieuse d’un Fonds monétaire européen. Surtout, il a insisté sur le rôle des États membres dans le pilotage exécutif de la zone euro.
Ce n’est pas la piste que semble privilégier la Commission. Je relève que la question, pourtant essentielle, de la dimension démocratique n’est abordée que sous l’angle de la responsabilité du futur ministre des finances de la zone euro devant le Parlement européen. Rien n’est précisé quant à l’association des parlements nationaux, laquelle est pourtant essentielle à un fonctionnement vraiment démocratique.
La conférence de l’article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union européenne, le TSCG, offre à nos yeux un cadre intéressant à cette fin, à condition d’être modernisée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tous les orateurs l’ont relevé, le prochain Conseil européen aura une importance toute particulière pour l’Europe et son avenir. En effet, il devrait marquer la clôture de la première phase des négociations relatives au Brexit. Il donnera également l’occasion de réunir, pour la première fois depuis juillet 2015, un sommet de la zone euro, dans une configuration ouverte à vingt-sept États membres, afin de décider d’une feuille de route pour avancer dans la réforme de l’Union économique et monétaire.
Bien sûr, ces deux sujets, que j’évoquerai brièvement, sont d’une importance capitale pour la commission des finances, que je représente ce soir.
Tout d’abord, je reviendrai sur les négociations relatives au Brexit.
À la suite du compromis trouvé dans la nuit du 8 décembre dernier entre le Royaume-Uni et la Commission européenne, les vingt-sept États membres devront faire le point sur l’état d’avancement des négociations et autoriser l’ouverture de la deuxième phase de discussions concernant la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Mes chers collègues, vous le savez tous et vous en avez parlé, l’un des trois points de l’accord trouvé la semaine dernière porte sur le règlement financier du Brexit.
Selon les chiffres officieux, le Royaume-Uni devrait verser un total de 50 milliards d’euros, au lieu des 20 milliards d’euros initialement prévus. Ce montant devrait notamment couvrir les engagements pris dans le cadre financier actuel, couvrant la période 2014-2020, ainsi qu’une part des « restes à liquider » antérieurs contractés par l’Union européenne.
Madame la ministre, à ce titre, mes premières questions sont les suivantes : pouvez-vous nous confirmer le chiffre de 50 milliards d’euros ? Surtout, pouvez-vous nous confirmer le calendrier suivant lequel le Royaume-Uni devrait s’acquitter de cette somme ?
Le Conseil européen des 14 et 15 décembre prochains sera également l’occasion d’autoriser la task force de la Commission européenne à entamer la négociation d’une période de transition, à compter de la date de sortie théorique du 30 mars 2019, et à ouvrir les discussions quant aux liens futurs entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne.
Selon le négociateur en chef, Michel Barnier, que le Sénat a auditionné il y a quelques jours, le plus difficile est donc à venir, d’autant qu’il ne reste que seize mois avant la date de sortie théorique du Royaume-Uni.
Le secteur des marchés financiers occupera sans doute – et c’est sur ce sujet que je tiens à insister – une place centrale dans cette seconde phase de négociations.
Il y a quelques jours, la Première ministre britannique, Mme Theresa May, a réitéré la volonté de son pays de sortir de l’union douanière et du marché intérieur. Mais les effets de la perte du passeport européen seront potentiellement dommageables aux intérêts de l’industrie financière britannique.
Dans le cadre des travaux qu’elle a consacrés, au printemps dernier, à la compétitivité des places financières, notre commission des finances a estimé que la conclusion d’un accord de transition couvrant l’ensemble des services financiers ne s’imposait pas.
Cependant, les Britanniques disposeront de moyens de pression non négligeables dans les secteurs de la banque et de l’assurance. C’est pourquoi nous avons tenté de tracer les lignes rouges susceptibles de constituer l’armature de la position française lors des négociations du volet « marchés financiers » du Brexit.
Premièrement, il ne saurait être admis que des infrastructures cruciales pour le bon fonctionnement des marchés européens soient soumises à un régime juridique et à une supervision distincts de ceux de l’Union. Dès lors, nous recommandons d’étudier l’intérêt d’introduire une obligation de localiser au sein de l’Union européenne les infrastructures d’importance systémique dont les activités sont libellées en euros.
Deuxièmement, les conditions d’une concurrence équitable en Europe devront être préservées. Un tel impératif implique, notamment, le durcissement des régimes d’équivalence existants, ce afin de maîtriser les risques de divergence réglementaire.
Madame la ministre, j’espère que ces travaux pourront éclairer le Gouvernement dans la définition de la position française, quant à la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne au sujet des produits financiers.
Troisièmement, et enfin, il appartiendra à la France de tirer pleinement parti du Brexit et du rééquilibrage qu’il pourrait entraîner. À cet égard, le choix de Paris comme nouveau siège de l’Autorité bancaire européenne, même s’il résulte d’un tirage au sort, est un signal positif qui rejoint l’une de nos recommandations.
Dans le bref temps d’intervention qui me reste, j’évoquerai le sommet de la zone euro.
Cette réunion des chefs d’État ou de gouvernement sera l’occasion de débattre de la feuille de route et des propositions présentées par la Commission européenne le 6 décembre dernier.
De prime abord, ce « paquet » relatif à la zone euro paraît plus réaliste que les propositions du Président de la République. En effet, il n’est pas question de créer un véritable budget de la zone euro, mais de déployer des instruments budgétaires spécifiques à la zone euro, notamment pour soutenir la convergence des États en vue de leur adhésion à l’euro ou encore pour faire office de mécanisme de stabilisation en cas de choc asymétrique.
Ces instruments trouveraient leur place au sein même du budget de l’Union.
Ainsi, le ministre européen de l’économie et des finances, proposé par la Commission européenne, ne serait pas responsable du budget de la zone euro, mais cumulerait les fonctions de vice-président de la Commission et de président de l’Eurogroupe.
Parmi ces nouvelles propositions, la transformation mécanisme européen de stabilité, le MES, en un fonds monétaire européen, ou FME, est certainement la plus substantielle.
Le FME continuerait de soutenir les États membres en cas de difficultés financières. Il jouerait également le rôle de filet de sécurité pour le Fonds de résolution unique de l’Union bancaire.
Sur le plan institutionnel, je relève avec satisfaction que la proposition de règlement prévoit une responsabilité du FME devant les parlements nationaux. Ainsi, les parlementaires des différents États pourront demander aux représentants du Fonds de répondre par écrit à toute observation ou question. Ils pourront également entendre le directeur général du FME.
En revanche, je regrette que la proposition de directive pour intégrer le contenu du TSCG au sein du droit de l’Union ne contienne aucune évolution de la conférence interparlementaire prévue par l’article 13 de ce traité. Il est simplement indiqué que la directive s’appliquera sans préjudice de cette « pratique ».
Or les membres de la commission des finances ayant assisté à ces conférences constatent que la pratique existante n’est pas satisfaisante. Ces réunions laissent souvent un sentiment de frustration : elles ne permettent pas aux parlementaires nationaux de débattre de manière approfondie de points précis avec les parlementaires européens. En définitive, elles n’aboutissent à aucune décision.
A minima, l’adoption systématique de conclusions de fond, sur des sujets ou sur des textes préalablement identifiés, serait souhaitable.
Madame la ministre, j’espère que vous pourrez vous faire l’écho de cette demande auprès du Parlement européen et de vos homologues des autres États membres : ainsi, ces réunions au titre de l’article 13 du TSCG pourraient devenir plus efficaces ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche.)