M. Gérard Cornu. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de résolution relative au développement du fret ferroviaire est pour nous l’occasion de rappeler notre attachement au système ferroviaire dans notre pays.
Aujourd’hui, le transport ferroviaire, qui engendre peu de nuisances environnementales et consomme peu d’énergie, est incontestablement pénalisé face au transport aérien et au transport routier. Il en va logiquement de même pour le fret ferroviaire par rapport au transport routier de marchandises, qui échappe souvent à la fiscalité française, notamment sur les carburants.
Notre groupe a toujours défendu l’activité du fret ferroviaire. C’est une activité pertinente sur la longue distance pour des produits dangereux, massifiés ou lourds à transporter de manière régulière. Sa capacité d’emport reste un atout majeur.
Lors de l’examen en juin 2009 du projet de loi dit Grenelle 2, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat avait décidé la création d’un groupe de travail sur l’avenir du fret ferroviaire, compte tenu de nos interrogations et du vif intérêt que nous portions aux problématiques relatives à ce mode de transport.
Le sénateur Francis Grignon, président de ce groupe de travail, avait présenté ses conclusions en octobre 2010, dans un rapport d’information intitulé Avenir du fret ferroviaire : comment sortir de l’impasse ? Il observait déjà que cette activité connaissait une crise récurrente en France. Finalement, madame Assassi, si nous partageons le même constat, nous n’aboutissons pas aux mêmes conclusions.
Votre proposition de résolution occulte le fait que le déclin du fret ferroviaire préexistait à l’ouverture à la concurrence en 2006. Il est donc réducteur de lier la baisse du fret uniquement à l’ouverture à la concurrence. En fait, nous le savons tous, mes chers collègues, le fret va mal depuis longtemps en France.
Le rapport de Francis Grignon rappelait que, en 1950, les deux tiers des marchandises transportées en France passaient par le rail. Entre 2008 et 2014, la part du transport ferroviaire dans le transport terrestre de marchandises a reculé, de 10,2 % à 9,5 %. Le total des marchandises transportées est passé de 40,4 milliards de tonnes-kilomètres en 2008 à 32,2 milliards de tonnes-kilomètres en 2014, soit une baisse de 21 %. Plus de 87 % des marchandises sont transportées actuellement en France par les camions. Le transport routier a donc fait un bond énorme depuis l’an 2000.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation. Elle est due tout d’abord à la désindustrialisation de la France : moins de produits fabriqués sur le territoire, c’est moins de produits transportés.
Ensuite, on observe une moindre attractivité des ports français par rapport à leurs voisins européens : moins de marchandises arrivant par la mer, c’est moins de marchandises transférées sur les trains à partir des ports. À cet égard, on peut d’ailleurs souligner l’importance de l’intermodalité ferroviaire/fluviale. Mais c’est le chien qui se mord la queue : les marchandises n’arrivent-elles plus dans nos ports parce qu’il n’y a pas d’intermodalité, ou bien l’inverse ?
En outre, le réseau ferroviaire est mal entretenu et insuffisamment équipé.
Par ailleurs, la concurrence de la route est indéniable. Les entreprises jugent les camions plus fiables, moins coûteux et plus souples sur les distances courtes et moyennes. De plus, les délais sont en général respectés par les poids lourds, malgré les aléas de la route.
Enfin, nous ne pouvons ignorer les incohérences de la politique de l’État au cours de ces dernières années. S’il affirme d’un côté son soutien au fret ferroviaire, il a dans le même temps pris plusieurs décisions qui le pénalisent fortement, comme l’abandon de l’écotaxe. De plus, les négociations sur le cadre social commun prévues par la loi de réforme ferroviaire d’août 2014 ont alourdi les contraintes des opérateurs privés, ce qui a encore augmenté leurs coûts. La situation est encore pire pour Fret SNCF, dont le régime de travail a été rigidifié.
La proposition de résolution fait totalement abstraction de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de marchandises depuis mars 2006. Ce n’est plus un service public ! Vous proposez une vision étatisée et archaïque du fret ferroviaire, alors qu’il convient au contraire de définir une stratégie tournée vers les entreprises.
Nous devons impérativement passer d’une logique de l’offre à une logique de la demande en matière de fret ferroviaire. Le développement d’infrastructures ferroviaires et de services doit répondre aux besoins des chargeurs et des clients.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud.
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a déposé une proposition de résolution visant à déclarer le fret ferroviaire d’intérêt général. Je suis heureux de m’exprimer au nom du groupe La République En Marche en ce dernier jour des Assises de la mobilité, grand moment de concertation lancé en septembre dernier sur les mobilités futures et les besoins des Français en la matière.
Nous sommes tous originaires de territoires variés, mais nous connaissons tous la réalité des transports de poids lourds en France, les nuisances occasionnées au regard de la santé comme de l’économie – le bruit, la pollution, la congestion, la dégradation des chaussées –, qui ne cessent d’augmenter.
Parallèlement, le secteur du fret a perdu un tiers de son trafic en quinze ans et la dette de SNCF Réseau, qui atteint 45 milliards d’euros, continue à augmenter de trois milliards d’euros par an.
Telle est la réalité, que nous ne pouvons pas nier. Toutefois, si je partage aisément le diagnostic et l’idée qui sous-tend cette proposition de résolution, je n’en partage ni la philosophie ni le remède, face à la réalité économique, légale et sociétale.
Tout d’abord, ce texte du groupe CRCE est en contradiction avec le mouvement d’ouverture à la concurrence de nombreux secteurs d’activité. Je pense notamment à la téléphonie, à l’énergie et aux transports.
Je prendrai l’exemple du domaine de l’énergie, avec la création de RTE et la séparation d’EDF et d’ERDF : la production, le transport et la distribution doivent être séparés parce que le monopole n’est pas la solution la plus efficace pour le consommateur citoyen.
Le monopole est une rente : les services proposés étant plus chers et moins performants, il bloque l’innovation et crée de fait des barrières de marché. En s’appuyant sur le droit de la concurrence, le groupe la République En Marche est favorable à des services moins chers et plus efficaces.
Le modèle français est donc en train d’évoluer au contact du droit européen. En ce qui concerne le ferroviaire, l’ouverture des réseaux ferroviaires nationaux à la concurrence a débuté en 1999, touchant le réseau international de fret en 2006, puis le transport interne de marchandises en 2007 et, enfin, le transport international de passagers en 2010.
Je tiens ici à préciser que l’ouverture à la concurrence ne signifie pas la loi de la jungle. C’est tout le contraire, puisque les grands services publics n’auront jamais été autant contrôlés pour éviter les abus. Tel est le rôle de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
Cela ne signifie pas non plus l’abandon de l’État. Depuis 1993, la question est définitivement réglée. Je vous invite, mes chers collègues, à relire la décision de la Cour de justice des communautés européennes de 1993, l’arrêt Corbeau, qui concerne la poste belge et autorise les compensations entre activités rentables et non rentables pour assurer la couverture de l’ensemble du territoire. Vous pouvez également vous plonger dans la décision de 1997, qui concerne la France, et qui précise bien qu’un État peut restreindre la concurrence, notamment pour des motifs d’aménagement du territoire.
Je crois que nous partageons ces objectifs. Je crois que le modèle français doit évoluer. Je vous invite, mes chers collègues, à le comparer au modèle allemand : son activité est identique à celle de la SNCF, avec moitié moins de personnels. Le train est-il en crise en Allemagne ? Les passagers bloqués en gare Montparnasse le 3 décembre dernier auraient-ils aimé avoir davantage de possibilités de transport à un moindre coût ? Sans doute !
Mes chers collègues, nous voilà face à une différence profonde entre nos deux groupes. Relisons l’histoire. Les premières lois antitrusts, qui remontent au XIXe siècle, nous viennent des États-Unis. Le droit de la concurrence a aussi donné naissance à l’école de Fribourg, qui est bien loin de l’image diabolique qu’on a voulu lui donner : pas d’interventionnisme économique, mais un État de droit économique, un libre accès au marché selon les mérites. Égalités, mérites : des valeurs très républicaines qu’il s’agit de faire vivre et non pas d’invoquer sans cesse sans substance.
Si nous contestons la philosophie du texte et les moyens préconisés, nous vous rejoignons sur un objectif : celui de favoriser le report modal de la route vers le rail, pour désengorger nos routes, diminuer les émissions des gaz à effet de serre, conformément à nos engagements internationaux, et contribuer à une mobilité durable.
Écouter le terrain, diagnostiquer, évaluer et proposer : tel est l’objectif des Assises de la mobilité qui se sont déroulées pendant plusieurs mois sur l’ensemble du territoire.
Parallèlement aux ateliers qui se sont tenus, la ministre chargée des transports a missionné Jean-Cyril Spinetta pour proposer une refondation de notre modèle ferroviaire. Il s’agit également de définir des actions à mettre en œuvre pour assurer une remise à plat coordonnée du modèle économique de la gestion du réseau, aujourd’hui structurellement déficitaire, qu’il s’agisse d’ailleurs du transport de voyageurs ou du fret.
En janvier prochain, nous connaîtrons les conclusions de ce rapport, qui enrichiront la prochaine loi d’orientation en proposant une stratégie et un calendrier soutenables des actions à mener dans les prochaines décennies. Ce sera alors l’occasion d’inscrire, au sein de notre hémicycle, le sujet du fret ferroviaire dans un débat plus large relatif à la mobilité.
Parce que cette proposition de résolution est loin de notre philosophie et de la feuille de route du Gouvernement, le groupe la République En Marche votera contre.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le constat alarmant dressé à l’instant par ma collègue Éliane Assassi.
La diminution drastique du fret ferroviaire dans notre pays est en contradiction totale avec les objectifs fixés par la loi Grenelle 1, la Commission européenne et l’accord de Paris. Ainsi, alors que la loi Grenelle 1 prévoyait que 25 % du fret se ferait par des modes de transport alternatifs à la route, on observe une baisse de 21 % du total de marchandises transportées par le fret ferroviaire entre 2008 et 2014.
Comme beaucoup d’entre vous, je m’interroge sur l’écart entre un discours volontariste repris par tous les gouvernements successifs et sa traduction effective. À ce titre, le rapport de la Cour des comptes du 3 juillet dernier est éclairant. La Cour, avec le sens de la litote qu’exige sa neutralité, évoque « une politique de l’État en faveur du fret ferroviaire [qui] comporte des contradictions ». C’est le moins que l’on puisse dire !
Dans le budget pour 2018, le financement du fret routier, de 80 millions d’euros, est huit fois supérieur à celui du fret ferroviaire, qui ne représente que 10 millions d’euros.
La suppression de l’écotaxe précédemment évoquée maintient le déséquilibre économique entre la route et le rail en externalisant tous les coûts négatifs du transport routier sur la collectivité.
L’autorisation par décret des camions pesant 44 tonnes est un très mauvais signal lorsque l’on ambitionne de reporter le transport routier sur le rail.
Pis encore, la France est l’un des rares pays en Europe à autoriser une hauteur de 4,5 mètres pour les camions, ce qui pénalise lourdement l’intermodalité, les infrastructures du fret ferroviaire étant majoritairement calibrées pour des camions de 4 mètres.
Ainsi, la part modale du fret ferroviaire, de 15,6 % en France, est inférieure à la moyenne européenne, qui atteint 18,3 %, alors même que nous disposons de l’un des meilleurs réseaux ferroviaires du continent. Si la désindustrialisation de notre pays explique en partie la baisse structurelle de la part modale du fret ferroviaire, il ne faudrait surtout pas oublier de pointer du doigt la vétusté du réseau, qui décourage les transporteurs.
Autre facteur, la France n’a pas su s’adapter à l’explosion du commerce en ligne, qui entraîne une multiplication des livraisons de commandes individuelles dans des délais très courts. Ce type d’activité est peu compatible avec la logistique lourde du fret ferroviaire, majoritairement calibré, jusqu’alors, pour le commerce industriel.
Enfin, au-delà des infrastructures laissées à l’abandon, notre pays n’a pas été capable de penser efficacement l’intermodalité. J’en veux pour preuve la situation dramatique de la gare de triage de Miramas dans les Bouches-du-Rhône. On parle là de l’interface stratégique entre le port de Marseille Fos et la vallée du Rhône, l’un des axes les plus essentiels du commerce européen. Faute de pouvoir trouver 17 millions d’euros pour rénover le site, la SNCF envisage de le fermer. Cette décision est un non-sens économique, social et écologique. Elle aurait pour effet de lancer 300 000 camions de plus sur les routes, ce qui viendrait aggraver un peu plus la pollution chronique de la vallée du Rhône et de son embouchure.
Puisque j’évoque ma région, je m’attarderai sur quelques éléments qui me permettront d’illustrer la suite de mon propos.
Dans les Alpes, la part du fret ferroviaire est tombée à 3,5 millions de tonnes de marchandises par an. Pourtant, moyennant un petit milliard d’investissements pour rénover les lignes, le réseau ferroviaire existant est capable d’absorber 5 fois plus, jusqu’à 17,5 millions de tonnes, soit les trois quarts du commerce entre la France et l’Italie. Je le précise au passage, parmi les arguments ayant permis de justifier les 25 milliards d’investissements pour la LGV Lyon-Turin figurait le développement du fret ferroviaire, et ce jusqu’à 60 millions de tonnes de marchandises par an. Nous en sommes bien loin !
Je salue à ce sujet le pragmatisme de Mme la ministre chargée des transports. Il est temps de changer de méthode et d’orienter les fonds publics vers des solutions efficaces, adaptées aux territoires, en s’appuyant sur l’existant.
Tel est le sens de la résolution que nous vous proposons et qui s’accorde parfaitement avec les objectifs affichés par le Gouvernement.
Tant pour le développement du fret que pour celui du réseau ferroviaire régional, l’État doit éponger la dette de SNCF Réseau. La décision récente de la Commission européenne sur le cas italien crée un précédent bienvenu pour investir dans le rail sans risquer de distordre la concurrence.
Il faut ensuite créer une nouvelle taxe sur les poids lourds, tant pour inciter les transporteurs au report modal que pour flécher des financements propres au développement du fret ferroviaire.
N’oublions pas également l’enjeu social que constitue la relocalisation d’emplois sur le territoire. En lien avec l’État, il faut que la SCNF redevienne un véritable organisateur stratégique et logistique du développement du ferroviaire. Il s’agit de rénover ses infrastructures, d’en développer de nouvelles dans les zones économiques en construction, de réserver du foncier dans les zones urbaines pour y développer le fret, de préserver et développer l’activité « wagon isolé », la seule à même de faire face aux besoins de livraison du commerce en ligne.
Le défi est immense, mais la volonté est partagée. L’État doit devenir un acteur central du développement du fret. Certes, la libéralisation du rail qui nous sera imposée en 2019 ne facilitera certainement pas les choses. Pourtant, d’autres pays ont su faire les bons choix. Je pense à la Suède ou à la Suisse, plus proche de nous, qui ont investi durablement dans leur réseau et sont intervenues dans le domaine législatif, en adoptant des lois qui donnent la priorité au fret ferroviaire.
Hier, le Président de la République réunissait un sommet pour la planète, pour répondre à l’urgence écologique et climatique. Il a annoncé avec raison que l’heure était aux actions concrètes. C’est exactement ce que nous vous proposons avec ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
M. Jean-François Longeot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au nom d’Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, je remercie le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir déposé cette proposition de résolution sur le développement du fret ferroviaire.
Il s’agit en effet d’un enjeu important, en particulier en matière de développement durable. Dans ce contexte, le développement du fret ferroviaire est évidemment primordial. Nous le savons tous depuis des années, mais les résultats ne sont pourtant pas au rendez-vous.
Entre 2011 et 2016, le volume transporté par voie ferroviaire a diminué de 1 % par an en moyenne. Sa part modale est restée proche de 10 %. Certes, les difficultés et les évolutions de notre économie expliquent en partie ce recul. Mais l’État n’a pas eu d’approche globale du secteur du transport de marchandises, et n’a donc pas été en mesure de défendre effectivement le fret ferroviaire face à la concurrence de la route.
Les gouvernements successifs ont toujours affiché un engagement fort en faveur du fret ferroviaire. Mais, comme l’a montré la Cour des comptes dans son référé du 3 juillet 2017 envoyé aux ministres Nicolas Hulot et Élisabeth Borne, ils ont pris, dans le même temps, plusieurs décisions qui lui ont ôté toute chance de survie.
Je parle bien entendu de l’abandon de l’écotaxe et de l’instauration d’un cadre social très favorable aux salariés de la branche ferroviaire à la suite de la loi portant réforme ferroviaire de 2014, qui m’avait fait vivement réagir. Ces deux mesures ont accentué l’écart entre les coûts des transports ferroviaire et routier. Je ne m’attarderai pas sur ce point.
Je regrette néanmoins que le fret ferroviaire ait été peu abordé dans le cadre des Assises de la mobilité. Je comprends qu’il ait été jugé nécessaire de concentrer les débats sur certains sujets, mais on ne peut dissocier l’avenir du fret ferroviaire des choix qui seront faits dans le domaine du transport routier, tant la concurrence est forte entre ces deux modes.
Les entreprises de fret sont aujourd’hui confrontées à plusieurs difficultés. Tout d’abord, elles doivent disposer de sillons de qualité qui ne soient pas remis en cause au dernier moment.
Ensuite, un enjeu important réside dans l’augmentation des péages ferroviaires, telle qu’elle figure dans le contrat de performance signé entre l’État et SNCF Réseau.
Enfin, le maintien des lignes capillaires est indispensable, dans certains territoires, pour faire vivre concrètement le fret ferroviaire.
Nous faisons tous, me semble-t-il, le même constat. Je ne peux que partager certaines dispositions de la proposition de résolution présentée par nos collègues du groupe communiste.
Par exemple, il me paraît effectivement urgent de fixer comme objectif le rééquilibrage entre les modes de transport, et de faire en sorte que le transport routier de marchandises assume ses externalités négatives en matière de pollution ou d’utilisation des infrastructures. Telle était, je le rappelle, la logique de l’écotaxe.
Une telle démarche d’internalisation des coûts externes est par ailleurs vivement encouragée par la Commission européenne, qui cherche même à l’accentuer dans le cadre du paquet routier qu’elle a présenté le 31 mai 2017. Nous avons pu le constater en nous rendant voilà quelques jours à Bruxelles avec une délégation de la commission.
De la même façon, il ne me semble pas raisonnable de supprimer les aides financières apportées au mode ferroviaire sans analyse approfondie de la viabilité du secteur sans ces aides.
Enfin, il me semble pertinent de préserver ou de prévoir l’installation des infrastructures permettant de faciliter le fret ferroviaire ou le transport combiné, ou encore de développer le trafic à partir des ports maritimes en massifiant les flux de marchandises vers les hinterlands. Lors de la table ronde que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a organisée au sujet du canal Seine-Nord Europe, des propositions concrètes ont d’ailleurs été faites à ce sujet. Il faut effectivement revoir notre approche dans ces domaines.
Mais, si nous sommes d’accord sur le constat et les objectifs, il me semble difficile de gommer nos divergences d’appréciation sur les solutions à proposer.
Mes chers collègues du groupe CRCE, vous souhaitez déclarer que le fret ferroviaire est une activité d’intérêt général, et revenir sur le principe de l’ouverture à la concurrence.
Or la libéralisation a permis de faire baisser les coûts du fret ferroviaire et de le rendre plus compétitif face à la route. On le voit très bien lorsqu’on compare, comme l’a fait la Cour des comptes, Fret SNCF, qui appartient à SNCF Mobilités, et VFLI, Voies ferrées locales et industrielles, qui est une filiale de droit privé de SNCF Mobilités. Les écarts de compétitivité sont sidérants !
Je me limiterai à un seul chiffre donné par la Cour des comptes : le surcoût lié à l’organisation du temps de travail pour Fret SNCF par rapport à un opérateur privé est de 20 %, voire de 30 % si l’on tient compte du niveau plus élevé de l’absentéisme dans l’entreprise publique ! Face à ces chiffres, je ne vois pas comment on peut souhaiter revenir sur l’ouverture à la concurrence. Je rappelle que le premier concurrent des entreprises de fret ferroviaire, c’est la route !
Vous souhaitez aussi un moratoire sur l’abandon de l’activité de wagon isolé. Or la Cour des comptes indique, dans son référé, que cette activité subit des pertes importantes, en raison de ses coûts et d’une qualité de service très insuffisante.
C’est pour ces raisons qu’elle a été réorganisée en une offre « multi-lots multi-clients ». Pourquoi s’opposer à cette évolution, si elle satisfait davantage les chargeurs et permet bel et bien de préserver une part du trafic de fret ferroviaire ?
J’évoque enfin la question de la dette de SNCF Réseau. Je suis l’un des premiers à avoir vivement réagi au rapport prévu par la loi de 2014 et remis par le gouvernement en septembre 2016, qui ne proposait en fait qu’une seule solution concrète, et renvoyait ce sujet au quinquennat suivant, alors même que le gouvernement s’était engagé à rechercher des solutions, après avoir imposé au groupe public ferroviaire un accord social très défavorable aux intérêts de l’entreprise.
Pour autant, il ne me semble pas du tout raisonnable de demander, comme le font les auteurs de cette proposition de résolution, la reprise pure et simple de la dette de SNCF Réseau par l’État. Si l’on procédait ainsi, sans s’assurer d’une évolution de la productivité du gestionnaire du réseau, on s’exposerait au risque d’être confronté de nouveau à la même situation, dans quelques années.
L’ensemble de ces remarques me conduira, ainsi que mon groupe, à voter contre cette proposition de résolution, même si nous partageons totalement l’objectif poursuivi de développement du fret ferroviaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Joël Bigot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a exposé ma collègue Angèle Préville, le fret ferroviaire traverse une passe difficile. Le référé de la Cour des comptes en date du 14 septembre dernier est acerbe et criant de vérité sur la responsabilité de l’État dans le déclin du fret ferroviaire.
Ledit État étant capable de relever de 38 à 44 tonnes le poids total autorisé des camions en France, puis de financer des plans de relance autoroutiers très favorables aux concessionnaires, certains commentateurs n’ont pas hésité à puiser dans L’étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde pour qualifier son attitude ambiguë, voire schizophrénique.
Au début des années 2000, la part modale du ferroviaire, en France, se situait encore au-dessus de la moyenne européenne. Mais, en quinze ans, nous avons perdu un tiers du trafic, et nous faisons désormais figure de mauvais élève dans le domaine du fret ferroviaire.
Les derniers chiffres du service de la donnée et des études statistiques du ministère de la transition écologique et solidaire montrent que la part du fret ferroviaire dans le transport terrestre de marchandises a encore reculé en 2016. Aujourd’hui, le trafic routier représente 88 % du fret.
La concurrence accrue du mode routier, avantagé par les infrastructures de réseau, explique en grande partie cette évolution. Elle est aggravée par l’afflux de poids lourds étrangers, encouragé par le cabotage mis en place par le « paquet routier » à partir de 2009.
En outre, un rapport de la Cour des comptes européenne portant sur le transport ferroviaire de marchandises dans l’Union européenne pointe les deux écueils majeurs auxquels la France est confrontée : « La performance [y] a été affectée par l’absence de redevance poids lourds ainsi que par la mauvaise qualité des sillons disponibles pour le transport ferroviaire de marchandises. »
Comment ne pas mettre ces défaillances en miroir des engagements environnementaux que nous avons pris en signant les accords décisifs de la COP21, et réaffirmés hier à l’occasion du sommet de Paris pour le climat ?
Nous le savons, le transport, et au premier chef le transport routier, est le plus grand contributeur aux émissions de gaz à effet de serre. Selon les derniers chiffres fournis par le Commissariat général au développement durable, il est responsable de 29,6 %, soit un tiers, de nos émissions de gaz à effet de serre !
Le fret ferroviaire représente donc une solution à portée de main pour contrer la pollution atmosphérique provoquée par le trafic routier.
À titre d’exemple, un train de fret de 850 mètres représente l’équivalent de 48 camions et émet près de quatre fois moins de dioxyde de carbone. Cette simple démonstration suffit à plaider fermement pour une internalisation des externalités négatives de la route, que l’on connaît trop bien : dumping social et économique, embouteillages, incidences sur la santé publique, nuisances sonores, dégradation des chaussées, routes à fort trafic.
Quel chemin avons-nous parcouru depuis la discussion au Sénat d’une proposition de résolution quasi identique, débattue, sur ces mêmes travées, en octobre 2010 ? Nous en sommes toujours à nous demander s’il ne faudrait pas ressusciter la taxe sur les poids lourds.
Mais, cette fois, la Commission européenne apportera peut-être la solution, grâce à la révision de la directive « Eurovignette ». Elle prévoit en effet de réviser le système de taxation des poids lourds au profit d’un dispositif prenant pleinement en considération le défi climatique, pour un développement durable de la mobilité et des transports européens. Il s’agit de mettre en place de nouveaux outils conformes au principe « pollueur-payeur », auquel la France est attachée et qui permettra, à terme, de favoriser le rééquilibrage modal.
La mission menée, à la hâte, par Jean-Cyril Spinetta devra également apporter des perspectives d’avenir pour redynamiser le transport ferroviaire de marchandises.
Nos anciens collègues députés Gilles Savary et Bertrand Pancher avaient, dès octobre 2016, dans un rapport d’information, tracé les pistes d’améliorations susceptibles de faciliter le transfert modal de la route vers le rail. Les auteurs de ce rapport invitaient l’exécutif « à ne pas baisser les bras, et à cibler une politique publique de relance du fret ferroviaire sur les points où elle est défaillante ».
La présente proposition de résolution s’inscrit dans la continuité de ce rapport. C’est pourquoi, dans le contexte écologique que nous connaissons, le groupe socialiste votera pour cette résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Guillaume Gontard applaudit également.)