Mme Françoise Férat. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Nicolas Hulot, ministre d’État. Le 13 décembre 2017, la commission des affaires économiques du Sénat a décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable sur le projet de loi. Malgré les très nombreux apports du Sénat, que je salue ici, notamment sur les parties du texte concernant le stockage du gaz, la commission a en effet considéré que le texte voté par l’Assemblée nationale était trop différent des positions exprimées dans cet hémicycle.
Le texte qui vous est aujourd’hui soumis est donc celui qui a été adopté à l’Assemblée nationale. Cette situation fait très clairement apparaître deux visions très contrastées.
La première assume le choix fait par le Gouvernement d’engager une transformation irréversible de notre modèle énergétique pour retrouver une forme de souveraineté dans ce domaine.
La seconde, que vous avez défendue, mesdames, messieurs les sénateurs, conteste cette approche. Si elle était adoptée, elle introduirait de nombreuses exonérations dans le projet du Gouvernement, s’agissant notamment – nous en avons maintes fois discuté – de l’outre-mer, de la recherche, des usages non énergétiques des hydrocarbures, ou encore, et surtout, des permis déjà déposés, mais non encore instruits.
De mon point de vue, les amendements adoptés au Sénat portaient atteinte à la cohérence du texte, à son ambition et au souhait du Gouvernement d’introduire dans notre droit les principales conséquences de l’accord de Paris, ainsi que les responsabilités qui en découlaient.
Comme l’a déclaré le Président de la République lors du sommet du 12 décembre, gardons à l’esprit que, en l’état, nous sommes en train de perdre la bataille climatique. Dès lors, nous avons le choix entre céder à une forme de résignation ou de fatalisme en continuant à laisser faire les choses et renoncer aux hésitations et aux tergiversations.
C’est pourquoi, à l’occasion de cette nouvelle lecture en séance publique, je vous invite à poursuivre sereinement nos échanges, à débattre des ultimes améliorations que nous pourrions apporter à ce texte.
Nous le faisons sous le regard de nos concitoyens. Je sais que le Parlement a toujours fait preuve de responsabilité sur les questions environnementales. Un certain nombre de lois ont été votées dans une forme de magnifique consensus. C’est ainsi sous votre impulsion qu’a été adoptée la loi Jacob sur l’interdiction des gaz de schiste. C’est aussi sous votre regard qu’ont progressé les grandes étapes législatives de la protection de la planète. Je pense à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte ou encore à la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Je sais que vous portez cette exigence pour vos territoires et pour notre pays, démarche que je salue.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite une nouvelle fois à poursuivre nos échanges, pour faire entrer l’accord de Paris dans notre droit et pour écrire ensemble une nouvelle page de la lutte contre le changement climatique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur de la commission des affaires économiques. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, alors que la position du Sénat a souvent été caricaturée, ce que je regrette vivement, car c’est très injuste, je tiens à redire l’état d’esprit dans lequel nous avions choisi d’aborder ce texte en première lecture.
Dès lors que nous ne partageons pas l’approche du Gouvernement consistant à interdire une production nationale très résiduelle plutôt que d’agir résolument sur la consommation, nous aurions pu, en effet, nous opposer frontalement et rejeter d’emblée le projet de loi qui nous était soumis.
Au lieu de cela, et parce que l’enjeu climatique exige, au-delà des slogans et des symboles, une action collective efficace et déterminée, notre commission a dès l’origine cherché à améliorer le texte pour lutter véritablement contre le réchauffement planétaire. Le Gouvernement nous disait vouloir interdire la production d’hydrocarbures non pas pour elle-même, mais en raison de son effet sur le climat : nous l’avons donc pris au mot en confrontant les solutions proposées aux réalités du terrain.
Car pour être irréversible, comme vous le souhaitez, monsieur le ministre d’État, l’évolution de notre modèle productif suppose d’être acceptable à la fois sur le plan économique et social. Au Sénat, nous n’oublions pas qu’un développement durable doit impérativement reposer sur trois piliers : l’environnement, le social et l’économie ; et c’est bien cet équilibre que nous avions visé en première lecture. Nos détracteurs nous ont opposé qu’à prévoir trop de dérogations, quand bien même celles-ci seraient strictement encadrées et justifiées, nous aurions dénaturé le texte et affaibli la portée du signal politique. Il me semble au contraire qu’en préférant le symbole à l’efficacité, en rejetant par principe toutes nos propositions, le Gouvernement et sa majorité se sont enfermés dans une approche dogmatique qui manquera sa cible, en n’ayant aucun effet sur nos émissions de gaz à effet de serre.
D’ailleurs, nous contestons à ce gouvernement et à cette majorité le monopole de la lutte contre le changement climatique. Oui, le Sénat est plus que jamais déterminé à agir pour le climat. Oui, nous continuerons, pour cette raison, à défendre très concrètement la place du nucléaire dans le mix électrique, à plaider pour une tarification forte du carbone, à soutenir le déploiement des énergies renouvelables au meilleur coût pour la collectivité, ou à faciliter le développement maîtrisé de l’autoconsommation.
Non, il n’y aurait pas d’un côté les vertueux, adeptes d’un « nouveau monde », et de l’autre les rétrogrades enfermés, pour citer le rapporteur de l’Assemblée nationale, dans « une vision défensive et passéiste de la transition écologique pour notre pays et notre tissu industriel ».
Non, le Sénat n’a pas amendé le projet de loi parce que les sénateurs auraient « manifesté une incompréhension préoccupante des objectifs comme de la portée [du] texte ». En d’autres termes, dans l’esprit du Gouvernement et de sa majorité, il était impossible pour le Sénat d’adhérer à l’objectif tout en proposant une autre marche à suivre, sauf à ce que nous ayons tout simplement mal compris…
En l’état, ce projet de loi n’aura d’autre effet que de mettre fin au « produire en France », en dégradant à la fois notre balance commerciale et notre bilan carbone, et dans l’espoir d’un improbable signal envoyé au monde.
À l’opposé d’une telle approche, le Sénat a défendu une autre vision, pragmatique et ambitieuse, qui développe nos filières industrielles, tout en accompagnant leur mutation pour réduire nos émissions. C’était le sens, en particulier, des dérogations que nous avions créées ou étendues en faveur des hydrocarbures à usage non énergétique, des productions connexes ou de la recherche. C’est ce même pragmatisme qui nous avait conduits à autoriser les régions d’outre-mer à exercer la compétence qui leur est théoriquement dévolue pour exploiter les ressources présentes au large de leurs côtes, et contribuer ainsi à leur développement économique et social. C’est enfin pour faire respecter la parole de l’État que nous avions souhaité un traitement moins brutal des demandes en cours d’instruction, et pour assurer un profit minimal aux exploitants que nous avions amendé l’encadrement du droit de suite.
Aucun de ces apports majeurs n’a survécu en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale qui, à quelques modifications rédactionnelles ou exceptions près sur des sujets secondaires, a rétabli le texte issu de ses travaux en première lecture sur le volet « hydrocarbures ».
M. Ronan Dantec. Elle a bien fait !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Seul changement notable par rapport à cette version, l’adoption d’une définition nouvelle des techniques dites « non conventionnelles » posera sans doute des difficultés d’interprétation qui pourraient remettre en cause des méthodes autorisées jusqu’à présent.
Au-delà des hydrocarbures, le projet de loi comportait une série de dispositions plus techniques sur lesquelles une grande partie, voire la quasi-totalité, des apports du Sénat a en revanche été conservée, notamment pour réformer le stockage souterrain de gaz naturel, conforter le régime d’indemnisation des producteurs d’énergies marines renouvelables en cas d’indisponibilité du raccordement, mieux encadrer la notion nouvelle de réseaux intérieurs, protéger les filières française et européenne de biocarburants contre la concurrence déloyale de produits importés, permettre aux communes de déployer des stations de recharge en gaz ou en hydrogène, réformer les sanctions applicables en cas de non-respect de l’obligation de pavillon français ou assouplir les obligations d’économies d’énergie des distributeurs de fioul domestique.
Sur cet autre volet, je regretterai simplement le rétablissement de l’obligation de double distribution dans chaque station-service qui mettrait à la vente de nouveaux biocarburants, obligation que n’exige pas le droit européen et qui fragilisera encore un secteur de la distribution de carburants déjà sinistré. J’ajoute que l’introduction, à ce stade de la navette, d’une disposition nouvelle pour réduire les coûts de raccordement des méthaniseurs aux réseaux de transport est certes bienvenue sur le fond, mais méconnaît certainement la « règle de l’entonnoir »…
Au sortir de la nouvelle lecture du projet de loi à l’Assemblée nationale, le bilan apparaît donc très contrasté : sur le volet le plus politique du texte, c’est-à-dire sur les hydrocarbures, les députés n’auront fait droit à aucun de nos arguments.
M. Ronan Dantec. Si !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. À l’opposé, sur les parties plus techniques, l’essentiel de nos apports aura été préservé, signe que la qualité de nos travaux, au moins sur ce plan, aura été reconnue.
Mais dès lors que le Gouvernement et sa majorité jugent les fondements de leur texte « incontestables », il n’y a plus de place pour le dialogue entre nos deux assemblées, et rien n’indique qu’un nouvel examen des articles nous permettrait de progresser sur la voie d’un improbable compromis, ce qui justifie pleinement l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable.
À ceux qui, parmi vous, regrettent qu’une telle procédure écourte nos débats, je rappellerai que, malgré des délais très contraints, la première lecture avait été l’occasion d’un travail de fond qui avait permis, aux uns et aux autres, de faire valoir leurs positions, ainsi qu’en témoignent les très nombreux amendements présentés ou adoptés.
S’il en était encore besoin, nos échanges de la semaine dernière en commission ont confirmé que les points de désaccord se sont cristallisés et qu’il sera difficile, sinon impossible, de faire encore évoluer le texte.
Lors de cette réunion de commission, certains d’entre vous ont aussi fait part de leurs regrets de ne pouvoir parvenir à un consensus sur des sujets aussi primordiaux.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Je fais mienne cette déception et je le dis d’autant plus que, sans trahir de secret, nous étions prêts à faire un certain nombre de concessions, y compris sur des sujets qui nous tenaient particulièrement à cœur, pour parvenir à un accord en commission mixte paritaire. Cependant, malgré la qualité du dialogue noué avec les rapporteurs de l’Assemblée nationale, ces tentatives de conciliation n’auront trouvé, auprès de ces derniers ou du cabinet du ministre, aucun écho favorable. Il n’y avait donc aucun espace de négociation, sauf à renier la totalité de nos positions, et nous n’avons par conséquent plus d’autre choix que de rejeter l’ensemble du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous terminons l’examen de ce projet de loi permettant la fin de l’exploitation des hydrocarbures sur le sol national, dans lequel nous nous sommes investis positivement, tant le symbole nous semblait important.
Malheureusement, si le texte venant de l’Assemblée nationale comportait certaines failles, nos travaux les ont accentuées, réduisant quasi à néant les ambitions de ce projet de loi en laissant bien trop de place aux intérêts partisans et financiers des industriels pétroliers et gaziers, qui vont à l’encontre de l’intérêt général et environnemental.
Bien naturellement, les députés ont rétabli leur texte, avec quelques évolutions notables et favorables, notamment la définition de la fracturation qui permet concrètement, à notre sens, que soit interdite l’exploitation des gaz et hydrocarbures de roche.
Aujourd’hui, la nouvelle lecture va être courte, puisqu’une motion est déposée. Nous ne partageons ni cette démarche qui prive le Sénat de ses prérogatives ni les attendus qui nous semblent en décalage absolu avec l’urgence environnementale.
Que dire de ce projet de loi en fin de parcours ? Si nous adhérons au symbole, nous aurions aimé qu’il aille plus loin, et ce de plusieurs manières.
Tout d’abord, en plaçant à plus brève échéance la fin des permis de recherche et concession. L’horizon 2040 nous semble bien lointain au regard de l’urgence climatique.
Ensuite, parce que le droit de suite est maintenu, alors qu’il porte atteinte à la capacité de la puissance publique de maîtriser son mix énergétique et de définir sa politique minière.
En outre, l’introduction de la notion de l’équilibre économique est une épine dans le principe même de l’arrêt de l’exploitation et de la recherche.
Enfin, parce que ce texte n’envisage l’économie des énergies fossiles que sous le prisme de l’exploitation. Il fait l’impasse sur la définition d’une stratégie nationale en matière d’importation, et ne fixe aucune règle nouvelle sur le financement, y compris public, des activités d’exploitation des hydrocarbures à l’étranger.
Or nous savons que ces questions sont importantes. Dans ce contexte, nous ne pouvons pas passer sous silence l’Accord économique et commercial global, ou CETA, et ses conditions d’application désastreuses. Ainsi, 75 % des compagnies minières mondiales sont enregistrées au Canada, avec les avantages juridiques et fiscaux qui vont avec. En vertu de cet accord, la France ne pourra plus s’opposer à l’importation de sables bitumineux du Canada. Pour ne prendre que quelques exemples, cet accord entraînera une hausse des échanges entraînant à son tour une hausse des émissions de gaz à effet de serre, et mettra à mal le principe de précaution.
Je ne pense pas que, malgré tous les garde-fous et le plan d’action mis en place, le CETA soit climato-compatible ; je souhaiterais d’ailleurs que vous nous fassiez part de votre position, monsieur le ministre d’État, plus précisément que ne l’a fait votre secrétaire d’État lors du débat sur la COP23 la semaine dernière.
Nous continuons donc, je le répète, de défendre l’idée d’un référendum, pour donner la parole au peuple sur cet accord qui va à l’encontre de l’objectif de ce projet de loi.
Par ailleurs, le rapport d’Attac a également mis en lumière l’aide apportée par les banques nationales et les institutions financières publiques aux projets concernant les énergies fossiles. Ainsi, les banques françaises ont investi 844 millions d’euros dans les énergies fossiles depuis 2015, alors même que les énergies renouvelables ont vu leur financement baisser de 23 % au niveau mondial. La loi de finances pour 2018 continue une politique fiscale avantageuse de niches pour les énergies fossiles, qui coûteront la bagatelle de 7 milliards d’euros au budget national !
Nous ne pouvons plus continuer ainsi à manier le double discours, comme encore récemment lors du One Planet Summit.
Derrière les promesses de décarbonation de l’économie, la réalité est tout autre. Après trois années de stagnation, les émissions humaines de dioxyde de carbone sont reparties à la hausse en 2017. C’est le constat des travaux publiés, le 13 novembre dernier, par 15 000 scientifiques de 184 pays. Cette tribune enjoint aux responsables politiques que nous sommes de tout mettre en œuvre pour « freiner la destruction de l’environnement » et éviter que ne s’aggrave l’épuisement des ressources que l’humanité tire de la planète. Le point de non-retour est presque atteint.
Monsieur le ministre d’État, au-delà des symboles, la transition énergétique et écologique doit donc s’incarner. Plus un euro ne doit financer les énergies fossiles !
Par ailleurs, pour engager ce changement de paradigme, les transformations doivent être accompagnées et préparées. Le changement climatique, s’il est réfléchi et préparé, ne menace pas les emplois, comme je l’ai entendu, mais permet au contraire d’en créer. Ainsi, la plateforme emplois-climat indique qu’un million d’emplois seraient créés si nous investissions dans la transition énergétique.
Il faut veiller à ce que les salariés des filières menacées aient le temps et les moyens de se reconvertir, mais il faut aussi préparer l’avenir, c’est-à-dire la protection de notre planète, de la biodiversité, qui est la condition même de la vie.
Nous prônons, vous le savez, un pôle public de l’énergie, dégagé des impératifs de rentabilité et du marché, afin que notre pays se donne démocratiquement les outils pour favoriser les coopérations et la montée en puissance des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Ce pôle aurait pour mission de garantir pour toutes et tous un droit à l’énergie dans des conditions économiquement acceptables.
Il est clair qu’aujourd’hui aucune énergie renouvelable n’est en capacité de répondre aux besoins de la consommation nationale. Pour autant, la question du produire mieux et plus et, en même temps, du consommer moins est donc centrale, tout comme celle de l’indépendance énergétique.
Pour conclure, toutes ces questions doivent être débattues au sein de ce pôle public, qui devra avoir les moyens de mener cette politique audacieuse. Pour cela deux solutions : les pouvoirs publics doivent prendre leurs responsabilités en investissant massivement, et les bénéfices des entreprises du secteur doivent être fléchés vers les investissements en faveur de la transition écologique et énergétique. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous abordons à nouveau ce projet de loi qui est l’une des premières mises en œuvre de l’accord de Paris sur le climat, affichant les ambitions de la France et des cosignataires de réussir la transition énergétique et la lutte contre le changement climatique, ambitions que je partage.
Puisque la COP21 qui a entériné ce traité international a eu lieu en France, puisque la France s’est toujours montrée à l’avant-garde des défis planétaires et universels, il est légitime que la France soit l’un des premiers pays à se montrer exemplaire.
Je souhaite vous le réaffirmer clairement, monsieur le ministre d’État : le groupe Union Centriste partage les objectifs environnementaux et de lutte contre le réchauffement climatique. Nous serons présents pour soutenir la politique énergétique de la France visant à réduire la consommation des énergies fossiles, qui permettra, entre autres, de contenir l’augmentation de la température en deçà de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et à tendre vers un objectif de 1,5°C.
Nous saluons les efforts que le Gouvernement entend mener dans les énergies renouvelables, qui seront utiles pour décarboner l’économie et la production énergétique. L’annonce de l’augmentation de 1 gigawatt des appels d’offres solaires par l’État et, surtout, le plan dévoilé par EDF visant à développer 30 gigawatts de solaire photovoltaïque entre 2020 et 2035 inscrivent la France dans ses ambitions de transition énergétique. Toutefois, monsieur le ministre d’État, il faudra être beaucoup plus offensif dans la réduction de la consommation.
Mme Françoise Férat. J’espère que l’État affiche la même volonté dans l’éolien, la géothermie, la méthanisation et dans le contenu de ses futurs contrats de transition écologique et solidaire à destination des territoires. Je connais des communes de mon département qui sont intéressées pour déployer ces énergies.
Vous voyez que nous pouvons avoir les mêmes ambitions, bien que nous n’ayons pas le même diagnostic ni surtout les mêmes méthodes.
En parlant de méthode, j’aimerais évoquer le déroulement de la commission mixte paritaire sur ce texte, qui fut ubuesque, si je puis dire, car il n’avait même pas le mérite d’être drôle. Je commence à avoir une certaine expérience et j’ai participé à quelques commissions mixtes paritaires dans ma vie parlementaire. Certaines étaient rudes, les convictions s’affrontaient et les débats rapprochaient les points de vue. Ainsi, bien souvent, les députés et les sénateurs arrivaient à un accord, parfois largement, parfois a minima, mais les uns reconnaissaient les arguments et les expériences des autres.
Or ce n’est pas ce que nous avons vécu le 21 novembre dernier !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Absolument !
Mme Françoise Férat. Les nouveaux députés qui, paraît-il, s’inspirent de nouvelles méthodes de management et de démocratie participative, avec une volonté de bienveillance, ont dû oublier leur guide et leur manuel au Palais-Bourbon !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Nous sommes d’accord !
Mme Françoise Férat. J’en profite pour saluer le travail de notre rapporteur, Élisabeth Lamure, qui avait apporté pour la majorité sénatoriale des ajustements sans détricoter le texte. Je suis certaine que d’autres mesures auraient pu être conservées par l’Assemblée nationale, dans un souci d’équilibre afin de lutter contre le dérèglement climatique.
Seulement, monsieur le ministre d’État, je vous le redis en nouvelle lecture, la France ne doit pas être la seule. Vous estimez que cet engagement permettra à la France d’avoir une autorité pour « peut-être » convaincre d’autres partenaires de faire de même. Le groupe Union Centriste le souhaite sincèrement, et je me félicite que vous ayez évoqué tout à l’heure l’engagement d’autres partenaires.
Seulement, autant des alternatives existent pour l’automobile – électricité, hydrogène, biogaz… –, autant je pense sincèrement qu’en 2040, malgré nos investissements en matière de transition énergétique, malgré le développement des énergies renouvelables – solaire, éolien, méthanisation… –, nous ne serons pas totalement sortis de l’ère des hydrocarbures. Nous en utiliserons beaucoup moins, mais nous en utiliserons encore ! Il est des secteurs où les palliatifs n’ont pas encore été trouvés. En aviation, par exemple, il n’y a pas d’alternative au kérosène.
En 2040, il est donc vraisemblable que nous continuions à utiliser des hydrocarbures, les techniques évoluant, mais pas aussi vite que nous l’imaginons.
La question qui me fait douter de la pleine efficacité de ce projet de loi est celle-ci : pourquoi importer des hydrocarbures, car nous y serons contraints, qui ont un impact carbone beaucoup plus fort que les hydrocarbures nationaux ?
Ce projet de loi a pour objectif principal d’arrêter la recherche et l’exploitation des hydrocarbures en France, pas d’arrêter leur consommation. Vous ne proposez pas la fin des énergies fossiles, mais la fin du « produire en France » !
Sur un plan environnemental, le pétrole produit en France permet d’éviter l’émission de 100 000 tonnes de CO2 du fait de l’absence de transport. De plus, en se privant de la production nationale, la France favorisera plus encore l’importation de pétrole étranger pour lequel nous ne connaissons pas les conditions environnementales et sociétales d’extraction. En France, nous bénéficions d’un arsenal de normes et de contraintes permettant de protéger la biodiversité ou les sols.
Il sera d’ailleurs intéressant de faire le bilan pour le climat, monsieur le ministre d’État. Nous consommerons toujours des hydrocarbures ; nous en consommerons véritablement moins, mais absolument importés !
Bref, vous maintenez malgré tout le cap de 2040. Les impacts se feront peut-être sentir au plan écologique, mais ils se feront assurément sentir au détriment des territoires !
Ces concessions structurent des bassins de vie de nos départements. Il ne faut pas oublier que ces exploitations engendrent des revenus financiers importants pour les collectivités. Dans la Marne, nous avons des idées, mais aussi un peu de pétrole, et les ressources de la redevance communale et départementale des mines représentent 1,8 million d’euros. On pourrait additionner ainsi l’ensemble des départements impactés par cette législation !
En outre, ces installations sont de véritables écosystèmes industriels qui bien souvent se situent dans des zones déjà touchées par la crise économique ou éloignées des zones d’emplois dynamiques, qui drainent des centaines d’emplois directs et indirects.
C’est pourquoi, monsieur le ministre d’État, il faut étudier la possibilité de créer un fonds permettant d’accompagner économiquement les territoires pénalisés par la fermeture de sites liée à la fin de l’exploitation des hydrocarbures. Ces fermetures peuvent avoir des conséquences économiques et sociales graves. Ne pouvant créer ce fonds par voie d’amendement, je propose la remise d’un rapport dans un délai assez bref, afin de rassurer l’ensemble des acteurs – élus, entreprises et salariés – touchés sur le terrain.
Convaincue que notre pays devra toujours importer des hydrocarbures pour poursuivre ses activités, je propose que ce fonds soit utilement alimenté par une taxation des importations d’hydrocarbures. Ainsi, il pourrait être créé une forme de cercle vertueux entre ces importations et la revitalisation des territoires. C’est un point important pour le développement économique dans le monde rural qui a finalement été assez peu débattu.
Je vous remercie, monsieur le ministre d’État, d’être attentif à l’avenir de nos territoires et à la solidarité pour la transformation de ceux-ci. Le dispositif que je propose répond à ces objectifs et à notre ambition partagée.
J’insiste enfin : le groupe Union Centriste considère la transition énergétique et écologique comme un besoin vital, crucial. Je ne sais pas si ce texte sera utile, mais ce qui est certain, c’est que personne ne détient seul la vérité : les députés de la majorité présidentielle devraient le prendre en compte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – Mme le rapporteur applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, il est dommage, en effet, que la commission mixte paritaire ait échoué.
Voilà un texte qui aurait mérité autre chose que la procédure accélérée qui est imposée au Parlement. Voilà un texte qui aurait également mérité plus de volonté - de part et d’autre - dans l’objectif de parvenir à un consensus, par plus d’échange, plus de dialogue et plus de désir d’aboutir à un texte coconstruit entre députés et sénateurs.
Il est en effet des textes comme celui-ci qui devraient susciter l’« union sacrée », vu les conséquences du changement climatique déjà à l’œuvre et la grande urgence d’agir, le temps jouant contre nous. Nous devrions unanimement cesser de douter, de tergiverser et de reporter certaines décisions. Nous devrions plutôt unir nos forces dans cette lutte contre le chamboulement climatique. Force est de constater que ce n’est pas encore le cas, vu l’état des discussions, sur ce texte notamment.
Or faut-il insister, encore et encore, quitte à se répéter, sur la vulnérabilité des sociétés humaines devant les forces de la nature lorsque ces sociétés sont construites dans le déni de l’environnement ? Faut-il rappeler que nous risquons de perdre cette bataille contre le changement climatique ? Faut-il rappeler toujours et encore qu’il est urgent de passer d’une société fondée sur une consommation abondante d’énergies fossiles à une société plus sobre et écologiquement plus responsable ?
C’est tout l’enjeu de la transition énergétique. C’est tout l’enjeu de la COP21 et de l’accord de Paris. C’est tout l’enjeu du présent texte, qui vise à envoyer un signal fort au monde entier, comme la France a su en envoyer dans son histoire, en faisant de notre pays le premier pays au monde à laisser les hydrocarbures dans le sous-sol.
Ce texte s’inscrit donc dans un mouvement engagé ces dernières années. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015 est aujourd’hui un exemple en Europe. Elle a engagé une dynamique et libéré les énergies sur les territoires. Les ruptures dans nos comportements se confirment, certes trop lentement encore. L’État, les collectivités territoriales, l’économie sociale et solidaire se mettent en mouvement. Le verdissement de l’économie française est certain, même si les résultats sont encore contrastés.
Avec ce projet de loi, tel que modifié en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, la France s’engage résolument dans un développement post-pétrolier, réellement durable, en commençant par se libérer des énergies fossiles : une brique de plus en matière de lutte contre le chamboulement climatique ou, dit autrement, une impulsion supplémentaire sur un mouvement engagé depuis quelques années et qui se doit de devenir irréversible.
Cela dit, je voudrais insister sur les quatre corollaires qui doivent impérativement découler de la mise en œuvre de ce projet de loi.
Premièrement, l’indispensable et urgente modification de nos comportements et de nos modes de consommation, ce qui implique une véritable transformation culturelle en ce domaine.
Deuxièmement, la réduction de nos consommations d’énergies fossiles.
Troisièmement, le développement des énergies renouvelables, encore entravées par certains blocages administratifs et par des processus décisionnels complexes.
Quatrièmement, enfin, un investissement massif dans la recherche et la formation ; l’objectif étant de construire un nouveau modèle économique nous permettant d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
La loi de transition énergétique de 2015 et le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre d’État, constituent les premières briques de l’édifice à construire. Or certaines des modifications introduites par le Sénat en première lecture nous paraissent de nature à compromettre l’irréversibilité des mesures permettant de lutter contre le changement climatique en vidant de son sens l’essentiel du projet de loi.
Ce fut un mauvais signal donné par la majorité sénatoriale, qui expliqua que le groupe socialiste et républicain ait pu voter contre ce texte. Certes, le Sénat avait apporté un certain nombre de compléments utiles sur des dispositions techniques, notamment aux articles 5 ter, 5 bis A, à l’article 4 relatif au stockage du gaz ou encore à l’article 11 sur les certificats d’économie d’énergie pour les petites entreprises de fioul, mesure chère à Martial Bourquin et à Angèle Préville, ici présents.
Mais, hélas, tout aussi objectivement, on ne pouvait que déplorer le détricotage qui eut lieu avec la multiplication des dérogations, des exceptions ou des assouplissements !