Sommaire
Présidence de M. David Assouline
Secrétaires :
Mmes Agnès Canayer, Mireille Jouve.
2. Communication d’un avis sur un projet de nomination
3. Candidatures à des organismes extraparlementaires
4. Candidatures à une commission d’enquête
5. Candidatures à un groupe de travail
6. « Une crise en quête de fin – Quand l’histoire bégaie » – Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective
M. Pierre-Yves Collombat, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances
M. Olivier Cadic ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Jean-Pierre Sueur ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Alain Fouché ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Alain Fouché.
M. Stéphane Ravier ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Jean-Claude Requier ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. François Bonhomme ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. François Bonhomme/
M. Didier Rambaud ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Éric Bocquet ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Pierre Médevielle ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Franck Montaugé ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Jean-Marc Gabouty ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Jean-Marc Gabouty.
M. Serge Babary ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Didier Rambaud ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Pascal Savoldelli ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Jean-Marie Janssens ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Yannick Vaugrenard ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Michel Raison ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Sophie Taillé-Polian ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Mme Nicole Duranton ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
M. Marc Laménie ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances ; M. Marc Laménie.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances.
Suspension et reprise de la séance
7. Prise en charge des mineurs isolés – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
Mme Nadine Grelet-Certenais ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Daniel Chasseing ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Stéphane Ravier ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Josiane Costes ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Bernard Bonne ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Michel Amiel ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Esther Benbassa ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Élisabeth Doineau ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Laurence Rossignol ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Gold ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Laure Darcos ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Thani Mohamed Soilihi ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Dominique Watrin ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nassimah Dindar ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Benoît Huré ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Olivier Cigolotti ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Marie ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Corinne Imbert ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Brigitte Lherbier ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. René-Paul Savary ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. René-Paul Savary.
Nomination de membres d’organismes extraparlementaires
Nomination de membres d’une commission d’enquête
Nomination de membres d’un groupe de travail
compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
Mme Mireille Jouve.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010–837 et de la loi n° 2010–838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a émis un avis favorable – 16 voix pour, aucune voix contre – à la nomination de M. Antoine Petit à la présidence du Centre national de la recherche scientifique.
3
Candidatures à des organismes extraparlementaires
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de plusieurs organismes extraparlementaires ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Candidatures à une commission d’enquête
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des vingt et un membres de la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure, créée sur l’initiative du groupe Les Républicains, en application du droit de tirage prévu par l’article 6 bis du règlement.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 11 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
5
Candidatures à un groupe de travail
M. le président. L’ordre du jour appelle la désignation des membres du groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance.
En application de l’article 8, alinéas 3 à 11, et de l’article 10 de notre règlement, la liste des candidats établie par les groupes a été publiée.
Elle sera ratifiée si la présidence ne reçoit pas d’opposition dans le délai d’une heure.
Il appartiendra au Sénat de transformer ce groupe de travail en commission spéciale, après la transmission du projet de loi, conformément à l’article 16 de notre règlement.
6
« Une crise en quête de fin – quand l’histoire bégaie »
Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les conclusions de son rapport d’information Une crise en quête de fin – Quand l’histoire bégaie (rapport d’information n° 393, 2016-2017).
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur du débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
Vont tout d’abord s’exprimer les orateurs de la délégation qui a demandé ce débat.
Dans le débat, la parole est à M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Pierre-Yves Collombat et Jean-Marie Janssens applaudissent également.)
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne fais que passer, c’est Pierre-Yves Collombat qui va faire le travail… En 2017, il a en effet présenté, devant la délégation, un excellent rapport sur la crise financière et les institutions bancaires. Ce rapport présente à la fois les crises du passé, avec leurs explications économiques et sociologiques et les garanties qui peuvent exister aujourd’hui, mais aussi les risques à venir.
Je le dis parce que Pierre-Yves Collombat ne le fera pas lui-même, ce rapport a fait beaucoup de bruit, tant médiatiquement que politiquement.
C’est, il est vrai, un rapport iconoclaste, comme je souhaite que la délégation sénatoriale à la prospective en fasse sur d’autres sujets comme le pacte intergénérationnel ou l’urbain.
J’estime que le Sénat ne doit pas seulement être l’assemblée des sages – il l’est, bien évidemment –, mais qu’il doit aussi interpeller, imaginer, innover. C’est pourquoi je souhaite que la délégation sénatoriale à la prospective réalise, à l’avenir, des rapports aussi explosifs et qu’en tout état de cause ces rapports imposent le débat.
Je vais naturellement laisser la parole à Pierre-Yves Collombat, dont le rapport présente un certain nombre d’aspects révolutionnaires – je reprends ainsi un élément évoqué hier lors de nos débats… En effet, il interpelle nos concitoyens beaucoup plus que ne le font les institutions classiques. Celles-ci ont certes la charge de rassurer, mais elles devraient aussi envisager l’avenir et le préparer.
Je remercie donc Pierre-Yves Collombat d’avoir préparé les esprits à des réformes en matière d’institutions financières, et peut-être à une révolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Jean-Marie Janssens, Jean-Pierre Sueur, Pierre-Yves Collombat et Didier Rambaud applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Pierre-Yves Collombat, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, disposer de huit minutes pour restituer les attendus et les conclusions d’un rapport de plus de 270 pages est une plaisanterie. Les plus courtes étant les meilleures, on me pardonnera les nombreuses impasses que je vais devoir faire.
M. Jean-Pierre Sueur. Et que dire de ceux qui n’ont que deux minutes !
M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agissait, avec ce rapport, d’évaluer les probabilités de réédition d’une crise systémique de l’ampleur de celle de 2007–2008, dont le coût global a été évalué, en 2009, à 55 800 milliards de dollars par l’INSEE, soit 103 % du PIB mondial, et à 16 634 milliards de dollars par le FMI, en ne comptabilisant que les interventions publiques des membres du G20.
Pourquoi des crises ? Leur moteur, c’est l’abondance de liquidités, de monnaie, qui stimule bulles financières et prolifération de créances douteuses. Lorsque ces bulles crèvent, les circuits financiers coagulent. Et quand domine, comme aujourd’hui, un oligopole de banques géantes à vocation mondiale interconnectées à la vitesse de la lumière, c’est le fonctionnement du système tout entier, et de l’économie avec lui, qui est bloqué.
À l’origine de la liquidité, on trouve la création monétaire des banques, centrales et, surtout, commerciales. Dans les économies financiarisées comme la nôtre, le crédit et l’endettement deviennent le carburant du système et la spéculation l’activité principale des établissements financiers.
Dix ans après la grande crise de 2007–2008, après treize G20, l’intervention financière massive des États et des banques centrales, un entassement de projets de réformes, force est de constater que le système financier est toujours aussi dangereux.
Premièrement, loin de diminuer, le volume des liquidités en circulation a explosé. Stimulé par une politique de taux bas, voire négatifs, l’endettement public et privé n’a cessé d’augmenter. Alimenté par les politiques de quantitative easing des banques centrales, le stock de liquidités a fait de même.
Ainsi, en zone euro, si l’endettement public est repassé sous la barre des 90 % du PIB – 96 % pour la France –, l’endettement privé en représente 170 % – 135 % en France. Entre 2010 et 2016, le bilan de la Banque centrale européenne – BCE – est passé de 2 600 milliards d’euros à 4 560 milliards, dépassant la Réserve fédérale américaine – FED – et la Banque du Japon.
L’endettement public atteint désormais 100 % du PIB aux États-Unis et l’endettement privé, 105 %. En Chine, l’endettement total, public et privé, représente 250 % du PIB.
D’où la formation de bulles spéculatives sur les obligations, les actions des entreprises américaines, sur l’immobilier dans la plupart des grandes villes.
Deuxièmement, l’oligopole bancaire – plus de 50 000 milliards de dollars d’actifs en 2012, soit 70 % du PIB mondial – est toujours « trop gros pour faire faillite ». La France y tient son rang : le bilan de BNP Paribas – 2 077 milliards d’euros en 2016 – tangente le PIB national. Avec ceux de la Société générale, du Crédit agricole et de BPCE, on atteint trois fois le PIB français.
En Europe, les graves difficultés d’établissement systémiques, comme HSBC, Crédit Suisse et, surtout, Deutsche Bank, la plus grande banque d’Allemagne, inquiètent.
Quant aux banques européennes plus modestes, le total des créances douteuses plombant leurs bilans se situerait entre 1 000 milliards et 1 200 milliards d’euros, dont 300 milliards pour l’Italie.
Troisièmement, la régulation est toujours « ni faite ni à faire ». Faute de temps, je me limiterai à la question de la séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires et à la question des ratios de fonds propres exigibles.
« Les idées qui ont été mises sur la table par Michel Barnier sont des idées […] irresponsables et contraires aux intérêts de l’Union européenne » : cette charge de Christian Noyer, alors gouverneur de la Banque de France contre le commissaire européen français est révélatrice de l’enthousiasme des banquiers européens pour la séparation bancaire…
On en resta donc là, la France rendant obligatoire, dans un sublime effort, la filialisation de 1 % à 2 % des activités bancaires. Bel effort !
Le renforcement des fonds propres des banques se résumera, quant à lui, au tour de passe-passe de Bâle III. À un ratio capitaux propres sur actifs, appelé « indice de levier », trop voyant, on aura préféré un ratio CET1, beaucoup moins inquiétant.
Exemple : en 2016, le ratio CET1 de BNP Paribas était de 11,5 % pour un ratio de levier de 4,4 %. Ces 4,4 % étaient certes plus élevés que les 2,6 % affichés par la banque en 2008, mais ils se situaient très loin des 10 % recommandés par Alan Greenspan, qui n’est pourtant pas vraiment un ennemi de la finance…
Conclusion de ce trop rapide survol de dix années de crise financière et de stagnation économique : la probabilité de réédition d’un nouveau krach n’a pas diminué. Tous les ingrédients – certains sous une forme nouvelle – sont toujours là.
Certes, les hérauts du château claironnent périodiquement la sortie de crise ; tous les clignotants seraient passés au vert. En 2007, ils l’étaient aussi, à tel point qu’aucun expert n’a vu venir la crise.
Ces clignotants étaient aussi repassés au vert en 2011, au point que la BCE a relevé son taux directeur. Vous connaissez la suite.
À ce jour, le monde de la finance retient son souffle, attendant l’arrêt de la perfusion de liquidités des banques centrales et la remontée des taux.
Ce qui adviendra, on le sait d’autant moins que, selon la formule d’Henri Sterdyniak, nous connaissons, depuis 2010, « une instabilité stable qui n’a aucune rationalité. Elle est insoutenable et, paradoxalement, le système tient bon ».
Le système financier peut-être, mais pas forcément les nerfs de ceux qui, pâtissant toujours de ses dégâts et de l’attentisme politique général, ont transformé les élections en « émeutes électorales » : forte poussée de l’extrême droite partout en Europe, séparatismes nord-italien et catalan, Brexit, élection de Donald Trump aux États-Unis, explosion de l’abstention en France.
Ainsi, au second tour de la dernière élection présidentielle, le candidat élu contre celui de l’extrême droite n’a rassemblé que 43,6 % des inscrits, l’abstention et les votes blancs ou nuls, 34 %.
Au second tour des élections législatives qui ont suivi, la dissidence civique atteindra 62,3 %, seuls 32,8 % des électeurs inscrits choisissant effectivement leur candidat, soit un score moyen de l’ordre de 20 % pour les heureux élus… Du jamais vu pour une consultation de cette importance !
Comment ne pas voir dans cette dissidence et ces « émeutes électorales » un désaveu du système tel qu’il fonctionne ?
Or, comme l’histoire l’a montré, un système démocratique ne saurait survivre à la perte de sa légitimité. Les financiers, dans leur patois, appellent cela le « risque politique ». Mais qui a bien pu dire que gouverner, c’était prévoir ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. le président de la délégation sénatoriale à la prospective applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie M. Collombat de son intérêt pour les crises financières systémiques, qui restent un sujet d’attention et de vigilance.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous nous rassurez…
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Analyser le passé est toujours utile ; c’est l’occasion de nous interroger sur notre action, mais aussi de l’éclairer, en répondant aux questions qu’elle peut soulever. En ce sens, même si nous ne partageons pas toujours les conclusions de votre rapport, monsieur le sénateur, le travail important que vous avez réalisé est très apprécié.
Votre rapport évoque beaucoup de sujets, mais je souhaiterais revenir sur trois points qui me semblent mériter un éclairage particulier : les actions mises en place pour renforcer le système bancaire ; la nécessité de renforcer la zone euro pour éviter qu’une crise comme celle des dettes souveraines ne se reproduise ; enfin, les questions d’inégalité, qui sont au cœur de votre rapport et de vos préoccupations.
Vous vous interrogez, dans ce rapport, sur la solidité de notre système bancaire. C’est une question essentielle, qui a toute notre attention.
Depuis la crise, nous avons œuvré, en lien avec nos partenaires étrangers, pour que les banques aient les ressources nécessaires pour absorber les pertes éventuelles, pour être en capacité de se recapitaliser sans exposer les finances publiques et pour faire face à des aléas de marché.
Ainsi, concernant le renforcement de la solvabilité des banques, les exigences de Bâle ont, par exemple, doublé les niveaux de fonds propres minimum requis depuis 2011. Les six plus grandes banques françaises ont désormais un ratio de solvabilité agrégé de 13,2 % fin 2016, contre 5,8 % en 2008.
Ce mouvement de renforcement des fonds propres, et donc d’accroissement de la résilience, se retrouve dans les autres systèmes bancaires européens et mondiaux. (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.) Il se double d’un renforcement de la qualité de ces fonds propres, ainsi que d’un accroissement des exigences afin de tenir compte de l’ensemble des risques identifiés au bilan, mais aussi des risques potentiels.
Au niveau européen, la mise en place de l’union bancaire constitue une étape essentielle permettant une meilleure supervision des banques. L’ensemble du secteur bancaire a par ailleurs fait l’objet d’un examen de la qualité des bilans et a été soumis à des tests de résistance.
Enfin, l’Union européenne s’est dotée d’un instrument très ambitieux de résolution des crises bancaires, dont la philosophie est de disposer d’outils permettant de garantir qu’en cas de pertes celles-ci seront portées par les actionnaires, voire les créanciers, tout en protégeant les déposants et les finances publiques.
La France joue un rôle moteur dans l’achèvement de l’Union bancaire, qui appelle encore des décisions faisant l’objet de discussions en cours.
Vous vous interrogez également sur la capacité de la zone euro à résister aux crises et sur sa pérennité. Je tiens à rappeler que l’euro est un projet économique et politique inédit, qui a doté l’Europe d’une monnaie stable et crédible. Cette monnaie est utilisée quotidiennement par près de 340 millions de personnes dans 19 États membres. C’est la deuxième devise la plus importante dans le monde, avec le quart des réserves de change.
La crise de la zone euro a toutefois mis en évidence des lacunes dans son fonctionnement, qui ont été pour partie comblées. Ainsi, d’importantes évolutions ont déjà été réalisées, notamment pour promouvoir la stabilité financière au sein de la zone – je pense notamment à la création de mécanismes de gestion de crises des dettes souveraines et bancaires.
Le Président de la République et le Gouvernement restent convaincus que le renforcement de la zone euro est la meilleure façon de prévenir les crises futures.
Parmi nos priorités pour avancer dans ce domaine, nous défendons une plus forte intégration financière par l’achèvement de l’Union bancaire et la mise en place d’une véritable union des marchés de capitaux.
M. Pierre-Yves Collombat. L’orgue de Barbarie fonctionne à plein !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Nous défendons aussi l’amélioration de nos instruments de gestion de crise, en renforçant le mécanisme européen de stabilité, ainsi qu’une plus forte intégration économique et, à plus long terme, la mise en place d’une capacité budgétaire propre à la zone euro permettant aux États de mieux faire face aux chocs économiques.
Je tiens enfin à évoquer la question des inégalités, qui tient une place très importante dans votre rapport et à laquelle nous sommes également très attachés. Comme vous le savez sans doute, le ministère de l’économie et des finances a organisé, il y a quelques semaines, une journée d’échanges et de débats autour de ce thème, les « rendez-vous de Bercy ».
Le rapport souligne, à raison, un fort creusement des inégalités depuis trente ans. Il me semble utile de rappeler que ce constat concerne essentiellement les pays anglo-saxons. La France, en effet, montre une forte résilience à ce phénomène : elle se situe dans une situation plus favorable que la moyenne des pays de l’OCDE et les inégalités de revenus y sont restées stables depuis trente ans.
Aussi encourageant que soit ce constat, la lutte contre les inégalités et la pauvreté n’en demeure pas moins un objectif central de la politique du Gouvernement, qui se traduit par l’adoption de plusieurs mesures phares dans la loi de finances pour 2018 (M. François Bonhomme s’exclame.) : exonération de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages (M. François Bonhomme s’exclame de nouveau.) ; pour les personnes en emploi, conformément à la volonté de valoriser le travail, réduction des cotisations sociales pour l’ensemble des salariés du secteur privé et des indépendants et, pour les travailleurs modestes, revalorisation de la prime d’activité ; pour les publics les plus fragiles, revalorisation exceptionnelle du RSA et augmentation du minimum vieillesse et de l’allocation aux adultes handicapés.
Ces mesures de soutien au pouvoir d’achat, mises en œuvre par le Gouvernement, concourent à réduire les inégalités. Le niveau de vie des ménages situés dans les trois premiers déciles de niveau de vie augmentera significativement plus que la moyenne à l’horizon 2022. À l’inverse, le niveau de vie des deux derniers déciles augmentera moins que la moyenne. (M. Yannick Vaugrenard s’exclame.) Je vous invite, sur ces sujets, à vous référer au « livret du pouvoir d’achat » et au « rapport économique, social et financier », qui illustrent l’incidence des mesures décidées par le Gouvernement sur la réduction des inégalités. (Mme Sophie Taillé-Polian s’exclame.)
Débat interactif
M. le président. Mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, je vous rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes, y compris la réplique, avec une réponse du Gouvernement également pour un maximum de deux minutes.
Vingt et un orateurs sont inscrits et il est important de respecter le temps de parole que je viens de vous rappeler, car un autre débat est prévu à l’issue de celui-ci.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Olivier Cadic, pour le groupe Union Centriste.
M. Olivier Cadic. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dix ans après 2008, la crise n’en finirait pas de finir. C’est, en résumé, le constat que pose notre collègue Pierre-Yves Collombat. Une drôle d’impression se dégage de la lecture de son rapport, celle d’un décalage total entre l’analyse qui est faite et la réalité.
La crise de 2008 était d’abord financière, avant de devenir économique. Elle est le résultat de l’éclatement d’une bulle spéculative, comme nous en avons connu d’autres dans l’histoire.
Oui, les fondamentaux liés à la spéculation qui ont conduit à la crise demeurent les mêmes : il y aura évidemment d’autres crises financières dans le futur et nous nous adapterons ! (Protestations sur plusieurs travées.)
M. Yannick Vaugrenard. C’est tout de même extraordinaire !
M. Olivier Cadic. Le rapport explique aussi que, paradoxalement, nous ne devrions pas craindre un nouveau krach financier, mais plutôt un embrasement social et politique, qui serait le contrecoup de la crise de 2008.
Il y a là une sorte de « saut quantique », que l’on ne peut comprendre qu’en exhumant le soubassement idéologique du rapport, qui est fondé sur une grille de lecture marxiste de l’économie : la finance relève de la superstructure ; l’infrastructure, ce sont les rapports de force économiques réels, qui sont entérinés par le système politique. (Exclamations amusées sur différentes travées.)
M. Pierre-Yves Collombat. Il faut brûler les sorcières !
M. Olivier Cadic. Si la crise semble ne pas finir pour certains et que notre croissance n’est pas à la hauteur de nos principaux concurrents, c’est parce que les énergies productives demeurent bridées par toujours plus de carcans réglementaires et normatifs.
Mme Catherine Deroche. C’est vrai !
M. Olivier Cadic. La finance n’est ni un bien ni un mal, c’est une nécessité pour irriguer l’économie. À toutes les phases de son développement, une entreprise a besoin d’investisseurs. Or, depuis dix ans, les Français se sont détournés des marchés en actions, ce qui fait défaut à nos entreprises. Un tel rapport n’incite pas à la confiance, pourtant si importante en économie.
Madame la secrétaire d’État, quelles mesures comptez-vous prendre pour relancer l’actionnariat populaire et faciliter le retour des Français vers la bourse, qu’ils ont délaissée depuis dix ans ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. Claude Kern. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Le Gouvernement est très attaché à ce que les entreprises soient correctement financées. Le système financier doit jouer pleinement son rôle dans la croissance et la prospérité de notre pays.
Actuellement, le financement des entreprises en dette est plutôt satisfaisant, puisque le taux d’obtention des crédits se situe à un très haut niveau historique.
En revanche, sur le front des fonds propres, nous considérons qu’il existe des marges d’amélioration, en particulier pour les très petites entreprises et les petites et moyennes entreprises. C’est pourquoi le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises porté par le ministère de l’économie et des finances et appelé PACTE entend orienter davantage l’épargne des ménages vers le financement des entreprises.
Je vous invite à regarder plus précisément les propositions du Gouvernement sur le financement des entreprises, en particulier en capital, sur le site pacte-entreprises.gouv.fr. Une consultation publique est ouverte sur ce site depuis avant-hier. Plusieurs des propositions qui y sont présentées tendent à mieux orienter l’assurance vie vers les placements de long terme, à simplifier et développer l’épargne retraite et à faciliter l’actionnariat salarié et la reprise des entreprises par leurs salariés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, j’ai envie d’utiliser la première minute qui m’est impartie pour dire le caractère quelque peu ubuesque de ce que nous vivons cet après-midi.
Notre sujet, c’est la crise mondiale, ce n’est quand même pas rien… Et voilà que nous sommes invités, après les huit minutes de M. le rapporteur et celles de Mme la secrétaire d’État, à parler de ce sujet en deux minutes, le Gouvernement répondant vingt et une fois en deux minutes !
Franchement, quel est le sens d’un tel dispositif ? Est-ce que quelqu’un pense qu’on peut sérieusement parler de la crise mondiale et des remèdes à y apporter dans un débat organisé de la sorte ?
Aussi, monsieur le président, je compte sur votre influence (Sourires et exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) pour faire savoir aux hautes autorités du Sénat que ce système n’a pas beaucoup de sens.
J’en arrive à ma deuxième minute. J’ai lu le rapport de Pierre-Yves Collombat avec beaucoup d’intérêt et il ne correspond pas aux caricatures : vous n’êtes pas du tout un crypto-marxiste primaire, mon cher collègue, vous avez fait un travail d’analyse important.
Madame la secrétaire d’État, j’attire votre attention sur les trois propositions qui figurent à la page 228.
« La sécurisation du système bancaire passe prioritairement et en urgence par la séparation réelle des banques de dépôt et des banques d’affaires » : quelles sont vos intentions à ce sujet ?
Ensuite, le rapport évoque « la limitation stricte du levier d’endettement des banques et de l’ensemble des acteurs financiers » : quelles sont vos intentions à ce sujet ?
Enfin, le rapport préconise « l’assèchement des bilans bancaires de leurs créances douteuses » : quelles sont vos intentions à ce sujet ?
Monsieur le président, je pense avoir respecté les deux minutes. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain et sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Vous m’interrogez d’abord sur la séparation de la banque de dépôt et de la banque d’affaires. C’est une voie qui a été choisie par certains pays, mais que la France n’a pas suivie.
M. François Bonhomme. Ce n’est pas ce que dit François Hollande !
M. Pierre-Yves Collombat. C’est la banque universelle !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Nous considérons que cette solution n’est pas efficace (M. Charles Revet s’exclame.) pour assurer de façon sécurisée, stable et résiliente aux crises le financement de notre économie.
Nous avons tout de même introduit une séparation, dans le cadre réglementaire français, des activités de nos banques entre leurs activités commerciales et leurs activités pour compte propre. Tel est le choix fait par la France.
Vous m’interrogez également sur les créances douteuses. Il y a un plan d’action au niveau européen pour résoudre ce problème. Des progrès importants ont déjà été faits depuis la crise, mais il reste des points d’attention en Europe, même si la France n’est pas particulièrement concernée. En effet, nous sommes plutôt parmi les bons élèves en la matière.
Enfin, s’agissant des fonds propres des banques, comme vous le savez, nous avons déjà eu quatre séries de renforcement des régimes de Bâle, et nous arrivons progressivement dans une zone où nous sommes très à l’aise et sereins sur les bilans des banques.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, même si je n’en partage que les analyses et pas les conclusions, j’estime que les travaux extrêmement complets de notre brillant collègue Collombat illustrent ce que l’on peut attendre de la délégation à la prospective : obliger les responsables à anticiper l’avenir, adopter une vision prospective.
Personne n’avait anticipé la crise de 2008, ni les économistes, ni les politiques. Plus grave encore, certains économistes affirmaient que le marché allait s’autoréguler et encourageaient le politique à ne pas intervenir. Or, si la crise financière, devenue économique et sociale, a pu être maîtrisée, c’est bien grâce à l’intervention du politique au niveau européen.
Je partage l’analyse inquiétante selon laquelle, après dix ans de crise, la probabilité technique de réédition d’un krach du système financier d’ampleur équivalente à celui de 2007–2008 n’a pas diminué, bien au contraire.
Je partage également son analyse lorsque notre collègue affirme que les responsables politiques doivent réaliser l’ampleur du danger et adopter des mesures efficaces.
En revanche, il me semble dangereux d’affirmer que s’affranchir de la zone euro est la solution.
Fuir plutôt que réformer et adapter ?
La sortie de la crise peut également se faire non pas par plus ou moins d’Europe, mais par la construction d’une Europe différente qui prenne en compte ce risque.
Le caractère systémique de la crise de 2008 est en partie dû au temps de réaction des marchés financiers, des banques et agences de notation américaines, à la limite de la fraude. Il s’agit donc d’adopter des mesures à l’échelon européen ou international permettant de donner l’alerte.
En 2008, c’est bien l’Europe et une volonté politique française qui ont été la solution. Aussi, je souhaiterais savoir quelles sont les mesures d’anticipation d’une nouvelle crise que le Gouvernement envisage de mettre en œuvre au niveau européen et, pourquoi pas, international. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la vision que promeut la France non seulement au plan européen, mais aussi au plan international. Comme vous le savez, la France a joué un rôle majeur dans le renforcement de la régulation du secteur financier au niveau international. Il s’agit d’un enjeu international et européen. Pour des questions d’efficacité, c’est à ce niveau en effet que notre action se déploie et c’est là que nous obtiendrons des résultats.
Au cours des dernières années, depuis la crise, nous avons été extrêmement proactifs pour porter des mesures ambitieuses, au sein tant du G20 que de l’Union européenne, sur le renforcement des exigences en fonds propres des banques et des assurances, sur le durcissement des règles d’utilisation des instruments financiers, y compris les produits dérivés et la titrisation, sur l’encadrement du shadow banking.
Nous restons très vigilants pour que ces mesures et ces politiques avancent sur le plan international et qu’elles soient bien transposées en droit français. Nous resterons également vigilants pour que ces règles ne soient pas détricotées par certains États au plan international.
Nous allons enfin travailler sur de nouveaux chantiers, en particulier au sein de l’Union européenne et au sein de la zone euro, pour promouvoir l’union bancaire.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. La réponse me convient. Je voudrais simplement attirer l’attention de Mme la secrétaire d’État sur les directives européennes. Non seulement celles-ci sont déjà parfois difficiles à appliquer par les peuples, mais il arrive que l’administration française et les technocrates des ministères en rajoutent par rapport à ce que réclament les institutions européennes, ce qui gêne le fonctionnement de notre pays.
M. Charles Revet. Comme toujours !
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer à mon tour l’excellent travail et l’excellent rapport de notre collègue Collombat, qui souligne avec pertinence une réalité. Prendre en compte la réalité est toujours pertinent, encore faut-il avoir le courage de la regarder en face.
C’est ce que fait ma famille politique depuis longtemps, et, pour avoir eu raison trop tôt dans l’analyse et la dénonciation des graves dérives de l’ultralibéralisme, elle a subi et continue de subir injustement les foudres des tenants de l’idéologie mondialiste aux commandes de toutes les institutions décisionnaires.
Comme le précise le rapport de M. Collombat, le terme de « populiste », que je revendique, prend la forme chez les bien-pensants de la classe politique et médiatique d’une véritable flétrissure.
Les qualificatifs aussi rocambolesques qu’infamants dont nous sommes affublés servent à justifier l’exclusion du Front national du débat démocratique, quitte à manipuler, tripatouiller les modes scrutin, quitte à créer les conditions d’une crise démocratique : 13 % des voix obtenues aux élections législatives pour 1,21 % des sièges… Les extrémistes et les ennemis de la démocratie ne sont pas ceux que l’on croit !
L’élection de Donald Trump aux États-Unis, le succès du Brexit et les très bons résultats électoraux des partis de droite nationale partout en Europe sont la démonstration que les peuples rejettent de plus en plus massivement le modèle, votre modèle de financiarisation de l’économie, destructeur des souverainetés et des identités.
L’action du Président Macron s’apparente à un jusqu’au-boutisme qui confirme que la classe dirigeante reste sourde aux aspirations de nos compatriotes, lesquels sont chaque jour plus nombreux à réclamer plus de France. L’ancien banquier, aujourd’hui locataire de l’Élysée, impose toujours plus de déréglementation européiste, faisant la part belle aux appétits des financiers.
Le fossé qui sépare la réalité des peuples et l’idéologie imposée par les extrémistes mondialistes ne cesse de se creuser. L’emblème, le moteur de ce système dont nous ne voulons plus, et qui est source de crise non seulement économique, mais aussi sociale, sécuritaire et identitaire, reste ce Moloch européiste qui dévore ses enfants européens.
Comme le disait Philippe Séguin, « rien n’est plus dangereux qu’une nation trop longtemps frustrée de la souveraineté par laquelle s’exprime sa liberté, c’est-à-dire son droit imprescriptible à choisir son destin. » Si charbonnier est maître chez soi, les nations, la nôtre en particulier, doivent retrouver la liberté de choisir leur destin. Nous devons travailler à établir une nouvelle confiance entre les peuples et une autre Europe, une Europe européenne, une Europe où les nations sont libres et souveraines pour mieux coopérer entre elles au service des peuples, et non plus d’un marché anonyme et déraciné. (M. Jean-Marc Gabouty et quelques sénateurs du groupe Les Républicains frappent sur leur pupitre en signe d’impatience.)
M. le président. Veuillez conclure !
M. le président. C’est la seule fois de l’après-midi où je tolérerai 25 secondes de dépassement du temps de parole.
M. Stéphane Ravier. Merci de votre mansuétude, monsieur le président !
M. le président. Si un tel dépassement de temps a eu lieu, c’est juste parce que je ne suis pas encore très alerte.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je n’ai pas vraiment entendu de question, donc je me contenterai d’une réaction.
Vous considérez que l’élection de M. Donald Trump et le vote en faveur du Brexit étaient un seul et même signal de rejet du monde financier et du rôle de la finance. Je vous laisse cette appréciation, que je ne comprends pas. Pour ma part, comme mes collègues du Gouvernement, je suis convaincue que la finance est à la fois un outil et un acteur qui doit être au service du pays, des entreprises et de l’ensemble de nos concitoyens, pour assurer la prospérité de tous. Le rôle du Gouvernement en matière financière est d’assurer une réglementation solide, juste, qui protège nos concitoyens. (M. Olivier Cadic applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collèges, il existe en économie une théorie des cycles, qui peut effectivement faire craindre que, selon la judicieuse expression de Pierre-Yves Collombat, « l’histoire bégaie ». Après la longue crise, ou plutôt la succession de crises qui ont miné l’économie mondiale depuis 2007, nous entrons actuellement dans une phase d’embellie. Nous le savons, la croissance de l’Union européenne devrait atteindre 2,3 % en 2018. Depuis l’année dernière, tous les indicateurs économiques mondiaux passent au vert.
Pour autant, la vigilance doit continuer de s’imposer, en particulier s’agissant de la possible formation de bulles ou de l’utilisation abusive de certains outils financiers.
Depuis 2007–2008, les banques centrales ont mis en œuvre des politiques exceptionnelles qui se sont traduites par des taux d’intérêt exceptionnellement bas et une liquidité surabondante. Or, selon le prix Nobel Jean Tirole – un Toulousain –, une bulle peut émerger quand le taux d’intérêt est inférieur au taux de croissance. Par ailleurs, quand il y a trop de liquidités, les financiers sont en quête d’actifs rentables. Le FMI s’en est inquiété à l’automne, à propos d’actifs non traditionnels comme le fameux bitcoin, qui est souvent évoqué, mais il n’est pas le seul.
Je voulais évoquer également les LBO, ces rachats d’entreprises par endettement, dont les entreprises françaises sont très friandes. Je sais que le Haut Conseil de stabilité financière ainsi que la BCE ont alerté sur la hausse des emprunts bancaires et des financements par LBO, qui pourraient faire peser des risques sur la stabilité financière. La hausse des taux d’intérêt pourrait en effet fragiliser les sociétés trop endettées.
Madame la secrétaire d’État, quel est votre sentiment sur ces LBO, et quelles actions préventives pourraient être envisagées pour que ces opérations soient non seulement sans danger pour les entreprises qui les mènent, mais également sans risque pour la stabilité financière dans son ensemble ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez noté, la reprise de l’activité économique est là. C’est une bonne nouvelle. Elle s’accompagne d’une accélération du cycle financier, ce qui créé potentiellement des risques, lesquels doivent être maîtrisés.
Les autorités de surveillance – la Banque de France, la BCE et le CERS, ou comité européen du risque systémique – pointent deux risques principaux sur la stabilité financière en France : l’endettement des entreprises privées et une réévaluation au niveau mondial des primes de risque.
Monsieur Requier, vous avez en particulier soulevé le sujet des bulles spéculatives. Il ne nous semble pas qu’il y ait aujourd’hui un risque prégnant et urgent à cet égard. Il peut y avoir des doutes sur l’immobilier dans certains pays, mais ces phénomènes font l’objet d’une grande vigilance et ne nous paraissent pas appeler de mesures de restriction.
Nous exerçons une vigilance approfondie, par l’intermédiaire du Haut Conseil de stabilité financière et des pouvoirs macroprudentiels dont il dispose, sur la stabilité des marchés financiers et la valorisation des prix des actifs. Cet organisme a d’ailleurs exprimé à la fin de l’année dernière son inquiétude sur le dynamisme de l’endettement des entreprises et a prôné des mesures visant à limiter l’exposition des banques en France aux dettes des principales entreprises. Ce problème nous semble aujourd’hui bien maîtrisé.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour le groupe Les Républicains.
M. François Bonhomme. Madame la secrétaire d’État, un peu plus de dix ans après le début de la crise financière mondiale, qui s’est transformée en une crise économique planétaire, toutes les leçons ont-elles été tirées, en particulier par les banques ? On peut en douter, car il semble que le risque se soit déplacé sur de nouveaux terrains.
Les acteurs traditionnels de la finance, en particulier les grandes banques systémiques, ont subi à l’époque plusieurs tours de vis réglementaires. Sous la pression des autorités de l’époque, elles ont largement renforcé leurs fonds propres et réduit les risques à leur bilan. Entre 2007 et 2015, elles ont doublé leur capitalisation rapportée à leurs actifs financiers. En parallèle, ces banques ont dû revoir leurs modèles pour se concentrer sur des activités compatibles avec la nouvelle donne réglementaire.
Les grandes banques américaines ont mené, les premières, de lourdes restructurations qui leur ont permis de renforcer leur domination mondiale. Elles sont désormais plus grandes qu’en 2007, certes toujours un peu moins rentables, mais nettement plus que les banques européennes. Ces dernières avancent encore en ordre dispersé.
La vague de publications des résultats trimestriels a confirmé que l’écart se creusait entre celles qui doivent encore achever leur restructuration, qui n’en finissent pas de payer la facture des litiges passés, et celles qui ont taillé dans le vif. L’Europe compte encore beaucoup de banques convalescentes, au bilan fragilisé par des créances douteuses. C’est notamment le cas en Italie.
Dès lors, madame la secrétaire d’État, pouvez-vous assurer que les produits toxiques ont été éradiqués ? Plus généralement, comment comptez-vous garantir, dans le cadre du mécanisme européen de supervision unique désormais en place, que la France puisse assurer une prégnance forte sur la gestion de ces acteurs bancaires ? (Applaudissements sur la plupart des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous soulignez à raison qu’il existe des situations relativement variées au sein de la zone euro s’agissant des résultats des banques, de la situation de leur bilan, de leur modèle d’affaires.
Heureusement, nous avons aujourd’hui des mécanismes communs de supervision et de résolution, obéissant aux mêmes règles, qui sont plus matures. Nous disposons d’une feuille de route commune qui s’applique à l’ensemble des banques de la zone euro pour renforcer leurs fonds propres et gérer les créances douteuses qui pourraient rester à leur bilan. J’ai mentionné voilà quelques instants une initiative et un plan d’action au niveau européen, que nous continuons à pousser afin que ces situations de créances douteuses soient peu à peu apurées.
Je vous confirme que la France participe et que les autorités de la zone euro prennent toute leur part à ce travail de nettoyage qui se poursuit.
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Madame la secrétaire d’État, j’aimerais partager votre optimisme, mais nous avons des nouvelles qui sont quand même assez inquiétantes.
Aux États-Unis, les retards s’accumulent pour le paiement des crédits subprimes automobiles et des prêts étudiants. Par ailleurs, les crédits aux ménages très peu solvables, les deep subprimes, ont explosé ces derniers mois. Enfin, les titrisations synthétiques, qui consistent à ne transférer que le risque, se multiplient, comme en 2008.
S’agissant de la Chine, je rappelle simplement que les banques recourent à des montages de titrisation de plus en plus complexes pour se délester d’actifs toxiques.
Tout cela devrait nous inciter à encore plus de prudence, car je crois que le risque n’est pas derrière nous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. D’abord, je salue à mon tour le travail sérieux et minutieux de M. le rapporteur, sans pour autant partager à 100 % ses conclusions. Je tiens aussi à saluer le travail de la délégation à la prospective, que je viens de rejoindre, et dont je vois tout l’intérêt et l’utilité.
Madame la secrétaire d’État, j’aimerais rebondir sur un aspect évoqué dans la quatrième partie du rapport, à savoir le niveau d’investissement public dans un cadre réglementaire contraint.
Il s’agit notamment des règles négociées au niveau européen – je dis bien « négociées » parce qu’elles ne sont pas imposées à la France, comme l’on veut trop souvent nous le faire croire –, qu’il s’agisse du pacte de stabilité et de croissance, du six pack et du two pack, ou du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’UEM de 2012, encadrant fortement les finances publiques.
Je crois d’ailleurs que les Français se réjouissent que la période où tel ou tel gouvernement laissait filer les déficits soit terminée. Ils saluent le Gouvernement de s’être engagé à réduire le déficit et la dette sur le quinquennat, tout en baissant les prélèvements obligatoires.
En même temps, nous le savons, l’investissement public a l’effet multiplicateur le plus élevé parmi les mesures budgétaires, et de nombreuses études ont montré la complémentarité qui existe avec l’investissement privé. Dit autrement, les effets sur la croissance de long terme de l’investissement public ne sont plus à démontrer.
Ma question est simple, madame la secrétaire d’État : comment pouvons-nous concilier les contraintes de finances publiques, utiles et nécessaires, par ailleurs, et le financement de l’investissement public ? J’ajoute une sous-question : comment pouvons-nous, nous, parlementaires, avoir la garantie que l’investissement public soit bien fléché, donc qu’il ait un bénéfice socioéconomique non discutable ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, en effet, tout le sujet est bien de trouver un équilibre entre l’assainissement des finances publiques, le respect de la trajectoire décidée par le Gouvernement – il n’y a pas le choix, elle doit être tenue ! –, et un bon niveau d’investissement public, qui est une autre priorité du Gouvernement.
Sur le plan de l’investissement, comme vous le savez, un programme de 57 milliards d’euros à l’horizon 2022 a été engagé. Il s’agit de mettre l’accent sur une amélioration de la qualité de la dépense publique et de l’évaluation de l’utilisation de ces crédits d’investissement. Il est ainsi prévu des actions pour sanctuariser les dépenses qui contribuent le plus au développement économique durable de notre pays.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Éric Bocquet. Mes chers collègues, Louis XVI écrivit un seul mot dans son journal personnel le matin du 14 juillet 1789 : « Rien » ; 219 ans plus tard, M. Alain Minc, grand expert économiste devant l’éternel, déclara, six mois avant la crise, en octobre 2008 : « Je pense que la crise est derrière nous et que notre système économique a bien tenu. »
À l’heure où moins de 2 %, 1,6 % pour être précis, des transactions financières dans le monde ont un lien avec l’économie réelle, c’est-à-dire la production de biens, de marchandises et de services pour l’humanité, il paraît que nous aurions tiré toutes les leçons de la crise de 2008. La finance serait maîtrisée, régulée, contrôlée, assainie, sécurisée.
Mme Couppey-Soubeyran, universitaire qui fut auditionnée par la délégation à la prospective, a dit : l’économie a souffert de la crise, le secteur bancaire pas du tout. La valeur des actifs des banques françaises est passée de 7 000 milliards d’euros en 2007 à 8 500 milliards d’euros en 2014, et sans doute plus aujourd’hui. Les activités de produits dérivés dans le monde ont atteint en 2012 quelque 625 000 milliards de dollars, et nous serions aujourd’hui à 800 000 milliards, soit dix fois le PIB du monde. Et je ne parle pas de la finance de l’ombre, déjà évoquée, qui ne subit aucune régulation. Le trading haute fréquence est par ailleurs économiquement inutile.
Bien sûr, il y a eu la loi bancaire de 2013, mais tout le monde s’en est moqué. Ainsi, M. Oudéa, P-DG de la deuxième banque française, a dit devant des députés médusés, lors de son audition par la commission des finances : « Votre loi va encadrer 1 % de mon activité bancaire. »
L’argent va donc beaucoup et surtout à la spéculation, et trop peu à l’investissement pour avoir une croissance économique durable. Le Gouvernement a fait le pari du ruissellement : est-ce bien raisonnable dans un contexte d’hyper-liquidités ? Madame la secrétaire d’État, envisagez-vous, au regard des risques d’un nouveau krach financier, de renforcer singulièrement les contraintes de la loi bancaire française ? L’attention et la vigilance ne suffiront pas : il faut des actes forts !
M. le président. Quelle est votre réponse, madame la secrétaire d’État ?
M. Bruno Sido. « Rien » ! (Sourires.)
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous évoquez des risques nouveaux qui s’amplifieraient depuis la crise de 2008.
En effet, il y a en permanence de la créativité dans le secteur financier, comme dans tous les secteurs, mais soyez assuré que nous observons cette créativité. Nous en parlons aussi au plan international avec nos partenaires. Nous avons par exemple proposé d’évoquer un certain nombre de sujets au G20, par exemple la titrisation, le bitcoin, ou la finance chinoise, qui fait l’objet de discussions.
Même si nous ne crions pas au loup, nous nous occupons et nous préoccupons bien de tout cela.
S’agissant des produits dérivés, qui semblent particulièrement vous préoccuper, nous pensons bien évidemment qu’ils doivent être correctement encadrés, mais nous considérons qu’ils constituent un élément utile pour contribuer au bon fonctionnement de l’économie, en particulier à la couverture des risques dans les entreprises qui y ont recours.
Enfin, nous voulons aussi que le trading haute fréquence soit encadré, mais nous pensons également qu’il a un impact positif sur la liquidité des marchés.
Sur tous ces instruments, en fait, nous sommes obligés de considérer les apports et points positifs, les risques et l’encadrement nécessaire. Telle est la tâche à laquelle s’attellent l’ensemble des autorités, avec l’appui des administrations françaises.
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Union Centriste.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport de Pierre-Yves Collombat fait dans le cadre de notre délégation à la prospective est un travail important. Je le remercie de nous permettre d’en débattre aujourd’hui.
Dix ans après, la crise de 2008 est-elle vraiment terminée ? Selon le rapport, pas du tout ; j’apporterais pour ma part une réponse plus nuancée.
La crise de 2008 n’est pas terminée, mais la situation économique s’est un peu améliorée en France.
Depuis 2014, la croissance du PIB est remontée pour se stabiliser aujourd’hui autour de 1 %. Certes, c’est faible, mais c’est un début de redémarrage.
Beaucoup plus inquiétant est le constat que les fondamentaux du système financier n’ont pas été réformés depuis 2008.
La législation européenne n’a pas évolué. La loi bancaire de François Hollande, dont la finance était pourtant l’ennemie, n’impacterait que 0,75 % des revenus des grandes banques.
Dans ces conditions, une nouvelle crise est inéluctable. Le système financier mondial actuel est naturellement générateur de bulles spéculatives. Tous les experts le disent : il y aura de nouveaux krachs. La seule chose que l’on ignore, c’est quand et de quel type d’actifs cela viendra.
Pourtant, les mesures d’assainissement du système sont connues : séparer les activités spéculatives et celles de financement de l’économie ; interdire les activités trop spéculatives.
Ce dispositif n’a rien de révolutionnaire, les États-Unis l’ayant déjà mis en place avec le Dodd-Frank Act de 2010.
Madame la secrétaire d’État, le gouvernement auquel vous appartenez entend-il sécuriser le système financier à l’échelon tant national qu’européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. J’ai déjà eu l’occasion voilà quelques instants d’évoquer la séparation des activités au sein des banques, mais je reviens un peu sur ce sujet pour vous répondre, monsieur le sénateur. Aux États-Unis, il a existé dans le passé un régime dans lequel les banques d’investissement et les banques de dépôt n’avaient pas le droit de coexister dans la même entité. En revanche, dans la situation actuelle, ce sont les activités pour compte propre des banques, considérées comme spéculatives, qui sont isolées du reste du bilan des banques.
La loi bancaire française, qui date de 2013, adopte une approche relativement similaire pour limiter les risques : les activités spéculatives sont cantonnées dans des filiales dédiées, afin qu’elles ne puissent pas avoir d’impact sur la valeur du reste de la banque. C’est donc bien cette solution qui a été retenue en France.
M. le président. La parole est à M. Franck Montaugé, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Franck Montaugé. Merci à Pierre-Yves Collombat pour la grande qualité de ce travail !
La crise de 2008 a révélé l’incapacité de la pensée économique à analyser les dysfonctionnements de la sphère financière et, par conséquent, à recommander les politiques préventives et curatives nécessaires.
Aujourd’hui, les voix de Paul Romer, actuellement économiste en chef de la Banque mondiale, ou encore d’Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, plaident pour un renouveau de la pensée économique et, notamment, de la macroéconomie.
En 2009, le rapport de la commission sur la mesure des performances économiques et du progrès social, dite « commission Stiglitz-Sen-Fitoussi », indiquait : « Si nous avions été plus conscients des limites des mesures classiques comme le PIB, l’euphorie liée aux performances économiques des années d’avant la crise aurait été moindre. Des outils de mesure intégrant des évaluations de soutenabilité – endettement privé croissant, par exemple – nous auraient donné une vision plus prudente de ces performances. »
En France, des efforts ont été faits en ce sens. Je pense notamment au rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse issu de la loi du 13 avril 2015, loi adoptée sur la proposition de Mme Eva Sas. L’un de ces indicateurs porte précisément sur l’évaluation de l’endettement privé.
À ce propos, le rapport de 2017, qui devait paraître en octobre dernier, n’est toujours pas disponible. Pouvez-vous nous dire, madame la secrétaire d’État, si vous le publierez comme il se doit ?
Pierre-Yves Collombat indique dans son rapport que 12 % des hedge funds britanniques sont logés dans des paradis fiscaux et pratiquent des effets de levier supérieurs à 50. Madame la secrétaire d’État, le gouvernement entend-il s’engager avec ses partenaires européens dans la mise en œuvre d’un « cadastre financier » ? Ce mécanisme, proposé par Gabriel Zucman, professeur français à l’université de Berkeley, permettrait de suivre l’intégralité des mouvements et de localiser tous les dépôts.
Enfin, le Gouvernement a-t-il la volonté politique d’aller au-delà des mesures prises dans la loi du 27 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous exprimez votre intérêt pour certains indicateurs qui permettraient de mesurer la richesse nationale avec une vision plus large du bien-être et de la richesse que celle que permet le PIB. Nous sommes en ligne avec cette idée et nous travaillons donc sur ce genre d’indicateurs.
En revanche, quant au rapport que vous mentionnez, je ne peux pas vous répondre, car je ne dispose pas d’informations relatives à sa publication.
Vous évoquez l’idée d’un cadastre mondial des actifs financiers. Dans cet esprit, une institution existe déjà : la Banque des règlements internationaux, ou BRI, suit l’ensemble des flux financiers à l’échelle mondiale. Une partie de ce traçage des flux est bien suivie.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Marc Gabouty. À l’échelle de la planète, l’endettement représente 230 % du PIB mondial. Plus que le niveau de cet endettement, c’est peut-être plutôt sa nature qui suscite quelques inquiétudes. Cette estimation globale recouvre en effet non seulement l’endettement des États et des opérateurs publics, qui vise principalement à couvrir leur déficit de fonctionnement, mais aussi l’endettement du secteur privé et, notamment, celui des grandes entreprises, qui leur sert plus à financer des achats d’actifs qu’à développer leur capacité de production et d’intervention.
Ce constat met en lumière l’écart grandissant entre les approches macroéconomiques et microéconomiques. En effet, cet endettement et les liquidités qu’il engendre ne semblent pas, en tout cas dans notre pays, submerger le tissu des PME. Ces dernières rencontrent toujours des difficultés pour financer leur fonctionnement et leur développement. Les règles prudentielles mises en place au niveau européen paraissent même accentuer de manière discriminatoire leurs difficultés d’accès au crédit et l’appréhension même du risque.
Ce phénomène, qui concerne aussi bien les crédits d’investissements que le renforcement des fonds propres ou les facilités de trésorerie, obère à mon sens la montée en puissance de notre économie productive et nos capacités à faire évoluer les PME, les TPE et les start-up afin de permettre l’émergence tant attendue d’un réseau plus fourni d’entreprises de taille intermédiaire.
Madame la secrétaire d’État, quels infléchissements pourraient être apportés, à l’échelon européen, à des règles prudentielles trop strictes lorsqu’elles se répercutent sur le financement des PME ? Quels autres dispositifs pourraient être envisagés à l’échelon national pour favoriser le renforcement des fonds propres et le financement des projets des entreprises ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez exprimé des préoccupations sur le niveau d’endettement à l’échelon mondial, qu’il s’agisse des dettes publiques ou des dettes privées. On ne peut pas se passer de dette ; s’endetter est une façon de donner du carburant à l’économie. En revanche, il est clair que, pour certains pays ou certaines entreprises, cet endettement peut atteindre des seuils au-delà desquels il n’est plus soutenable.
Pour ce qui concerne la France, comme vous le savez, nous souhaitons réduire l’endettement public et nous avons fixé des objectifs clairs et ambitieux dans ce sens.
Quant aux entreprises, il est vrai qu’aujourd’hui, en France, l’accès à l’endettement, en particulier pour les PME, est plutôt bon. C’est donc plutôt du côté du capital qu’il y aurait des choses à améliorer. C’est dans ce sens que nous allons avec le PACTE. Ce plan vise à offrir aux PME un accès accru au marché boursier ; l’épargne des Français serait orientée vers des supports d’épargne longue qui puissent comprendre et porter le risque des entreprises et, en particulier, des PME.
Comme vous le savez, monsieur le sénateur, les mesures fiscales de la loi de finances pour 2018 vont aussi et déjà dans ce sens : il s’agit de réorienter et d’accélérer l’intérêt des ménages vers des supports qui viennent financer le bilan des entreprises et leur capital, singulièrement leurs fonds propres.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour la réplique.
M. Jean-Marc Gabouty. Le système de crédit aux PME ne fonctionne, aujourd’hui, que parce qu’il existe des systèmes de garantie et de contre-garantie. De fait, les banques ne sont plus que des trésoreries. Je crois donc qu’il y a une perversion du dispositif dans son ensemble.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary, pour le groupe Les Républicains.
M. Serge Babary. Je souhaite saluer le travail considérable réalisé par notre collègue Pierre-Yves Collombat.
J’adhère pleinement à l’alerte qu’il lance quant au risque d’explosion d’un système financier virtuel. La conclusion de son rapport le constate très justement : « Après dix ans de crise, la probabilité de réédition d’un krach du système financier d’ampleur équivalente n’a pas diminué. »
La plus grande crise financière de ce début de XXIe siècle a en réalité commencé le 9 août 2007 en France. Ce jour-là, BNP Paribas gelait les retraits de ses clients dans trois de ses fonds d’investissement. Elle admettait ne plus pouvoir valoriser les actifs détenus dans ces fonds, car ils n’étaient plus échangeables sur les marchés. Cela démontre que cette crise était prévisible.
On sait d’ailleurs qu’aux États-Unis certains experts avaient, dès 2005, anticipé la crise des subprimes et spéculé sur l’effondrement des marchés financiers. On sait aussi que cette crise n’a atteint l’ampleur mondiale qu’on lui connaît qu’en raison de l’irresponsabilité de certaines banques et agences de notation, mais aussi à cause d’une prise de conscience internationale tardive.
Il y a néanmoins toujours des signaux indicateurs de crise. Depuis cinq ans, le monde n’a connu aucune crise financière majeure, et la France va beaucoup mieux. Toutefois, les perspectives économiques de l’OFCE, dévoilées en octobre dernier, confirment ce que la presse décrit depuis plus de six mois, à savoir les potentielles causes d’une nouvelle crise : boom immobilier en Chine et en Suède, bitcoin, crise de la dette publique.
La politique menée par les banques centrales a conduit les taux d’intérêt au plus bas, ce qui permet à la France de s’endetter à bas coût sans en sentir immédiatement les conséquences budgétaires.
La France empruntera en 2018 un montant record sur les marchés : 195 milliards d’euros ! Inévitablement, les taux d’intérêt vont finir par remonter.
Le 29 décembre dernier, Standard & Poor’s envisageait un scénario catastrophe au cas où la France n’entreprendrait pas des réformes radicales. La dette atteindrait, en 2050, 166,4 % du PIB, contre 97,6 % aujourd’hui.
En juillet dernier, le gouverneur de la Banque de France avait déjà donné l’alerte et insisté sur la nécessité d’une réforme des services publics. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous préciser aujourd’hui si des mesures d’anticipation et de protection face à une remontée des taux d’intérêt sont prises par le Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez relevé, dans le cadre de leur réponse à la crise, les banques centrales sont massivement intervenues pour permettre de financer l’économie et donc de limiter l’impact de ces crises sur la situation des populations. Elles ont abaissé leurs taux directeurs en territoire légèrement négatif afin de soutenir l’économie.
Ensuite, parce que cette expansion monétaire n’a pu être suffisante, elles ont mis en œuvre une nouvelle stratégie non conventionnelle, à savoir l’assouplissement quantitatif. Ces achats d’actifs ont permis d’influencer plus directement les taux de long terme, qui guident les décisions d’investissement.
Dans le contexte actuel, les grandes banques centrales devront trouver le bon équilibre pour soutenir la reprise économique et éviter les excès financiers. Même si la reprise économique se poursuit, l’inflation reste faible, ce qui amènera probablement les banques centrales à ne durcir que très graduellement leur politique. Toutefois, elles seront également attentives aux prises de risque croissantes des acteurs financiers et pourraient chercher, conjointement avec les autorités prudentielles, à éviter des excès qui pourraient être source de crises futures.
S’agissant de la façon dont nous anticipons leurs changements de politique ou l’évolution graduelle de leur politique, ce point a bien été pris en compte dans la trajectoire des finances publiques. Vous pourrez noter que le Gouvernement a d’ores et déjà anticipé une augmentation graduelle des taux d’intérêt et son impact sur nos charges financières.
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. Madame la secrétaire d’État, les analyses d’économistes le montrent et la presse spécialisée s’en fait l’écho régulièrement : la réglementation et la supervision du secteur bancaire n’épousent pas totalement les contours des différents canaux du financement de l’économie.
Ainsi, le secteur bancaire parallèle échappe à ces réglementations : j’ai en tête le shadow banking, qui regroupe hedge funds, fonds communs de créances et autres véhicules de titrisation. Le rôle de ces fonds a été mis en lumière lors de la crise de 2007 ; nous en parlions ce matin, en commission des finances, à l’occasion de l’audition du gouverneur de la Banque de France. Leur rôle dans la crise a été d’autant plus important que ces fonds sont d’importants acheteurs de risque sur les marchés de produits financiers dérivés.
Sans jeu de mots, le shadow banking continue de poser des risques pour la stabilité financière. Les moyens mis en œuvre pour les contrer semblent bien faibles : je pense par exemple à la directive européenne de 2010 sur les hedge funds, qui n’affecte pas l’ensemble de ces fonds.
Je voudrais aussi rappeler que, selon le Conseil de stabilité financière, les sommes gérées par le shadow banking représentaient en 2015, à l’échelle mondiale, environ 92 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de la moitié du système bancaire traditionnel.
Je crois que le danger du secteur bancaire parallèle est bien réel. Madame la secrétaire d’État, ma question est simple : comment peut-on limiter le risque que fait peser le shadow banking sur la stabilité financière ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez noté, depuis la crise, le système bancaire parallèle joue un rôle croissant dans le financement de l’économie réelle, en particulier en apportant de nouveaux outils de financement aux entreprises.
Compte tenu de ces risques, il convient d’observer l’évolution de ce secteur avec une attention toute particulière. C’est ce que nous faisons, essentiellement à l’échelle internationale, puisque c’est là que se situe le bon niveau d’action compte tenu des flux et des acteurs en jeu. Le G20 et le Conseil de stabilité financière s’en sont saisis. La France joue un rôle moteur pour pousser ces discussions dans les instances internationales : nous participons aux groupes de travail sur ce sujet et nous proposons des mesures concrètes pour permettre de mieux comprendre et de mieux réguler ces activités.
À l’échelon européen, les textes adoptés à la fin du mois d’octobre 2017 définissent un cadre pour la titrisation, à savoir la titrisation dite « STS » : simple, transparente et standardisée. Ce cadre renforce la transparence des marchés et offre ainsi aux investisseurs une protection plus efficace et une meilleure gestion des risques systémiques.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pascal Savoldelli. Je voudrais d’abord exprimer mon accord total avec les propos qu’a tenus M. Sueur sur les modalités de ce débat. Cela dit, ce rapport a un mérite : il nous fait tous admettre que nous apprécions ces analyses et il lance une nouvelle alerte sur la financiarisation de l’économie. C’est cela qui nous importe, mais aussi d’avoir un débat politique, madame la secrétaire d’État, sur cette question.
En effet, en 2008, c’est tout de même à partir d’un segment étroit – les crédits immobiliers aux particuliers – que s’est propagée une véritable thrombose des marchés financiers, mal qui a touché, par ricochet, l’ensemble des secteurs financiers. Il nous faut détricoter le problème, dans notre diversité.
On sait quelles mesures durent être prises pour redonner un peu de liquidité à des activités bancaires frappées par la méfiance réciproque et la chute libre des cours de bourse.
Ces derniers mois, malgré la politique bienveillante de la BCE en termes de création monétaire, la France connaît une situation paradoxale.
Les taux d’intérêt sont historiquement bas. Pour ma part, je pense que la dette privée des ménages et des entreprises n’y est pas pour rien, puisqu’elle connaît une ascension constante, atteignant désormais 130 % du PIB. Concernant les ménages, la croissance de l’endettement atteint près de 6 % en glissement annuel, avec une augmentation marquée des crédits à la consommation et des crédits liés à l’habitat.
De notre point de vue, cet endettement des ménages, s’il a permis de porter une partie de l’activité économique en 2017, est aussi porteur de risques pour la solidité du secteur financier dans les années à venir. En effet, les taux d’intérêt réels associés aux emprunts sont sans commune mesure avec la progression du pouvoir d’achat.
Quelles mesures, madame la secrétaire d’État, comptez-vous prendre pour pallier ce risque systémique ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
M. Pascal Savoldelli. S’il n’y en a pas, il n’y en a pas ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Pas de révolution !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je ne reviendrai pas sur mon constat initial : nous ne rejoignons pas vos vues sur le rôle de la finance dans l’économie. Il faut savoir faire en sorte que la finance contribue à l’économie et soit un facteur de croissance et de prospérité.
M. Pierre-Yves Collombat. Incantation !
M. Pierre-Yves Collombat. Oh ! Diaboliser des gens aussi utiles !
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État. Selon vous, monsieur Savoldelli, l’endettement des ménages est un sujet évolutif et préoccupant. Pourtant, des outils existent : nous avons en particulier pris des mesures sur le surendettement. Ce problème nous semble donc plutôt connaître une trajectoire de légère amélioration au cours des dernières années, et non pas, de ce point de vue, une forte aggravation. Il n’en reste pas moins que nous disposons d’un plan d’action pour répondre à ces situations de surendettement et que nous restons vigilants quant à leur évolution.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Janssens, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Marie Janssens. Comme celles et ceux qui m’ont précédé, je tiens à souligner le travail remarquable de notre collègue Pierre-Yves Collombat. Son rapport aussi documenté qu’accessible est un document majeur sur la crise mondiale de 2008.
En 2008, justement, l’année même où la finance mondiale entrait dans une crise d’une ampleur exceptionnelle, naissait une technologie qui semble capable, à terme, de transformer le monde de la finance et de l’argent. Je veux parler du bitcoin.
Le bitcoin est ce que l’on appelle une crypto-monnaie : une monnaie numérique qui a pour particularité de ne pas être soumise au contrôle des États ou d’un quelconque tiers.
L’Histoire avance. Hier, l’or, les billets ; aujourd’hui, les chèques, les cartes bleues ; demain, le bitcoin ? On voit que nos paiements quotidiens sont de plus en plus dématérialisés. Ce n’est peut-être qu’un début. Le bitcoin, en effet, va beaucoup plus loin en n’existant que sur le réseau informatique et en se passant d’intermédiaire. Certains y voient une bulle ; d’autres, une révolution comparable à l’imprimerie, à la micro-informatique ou à l’Internet.
Le passionnant rapport de la délégation sénatoriale à la prospective sur les perspectives de la finance mondiale n’intègre ni l’émergence du bitcoin et des autres crypto-monnaies ni leur influence potentielle sur le système financier mondial.
En outre, ces nouvelles monnaies peuvent également révolutionner le rapport entre politique et finance. Nous devons le prendre en compte et l’anticiper.
En complément à ce passionnant rapport, le Gouvernement peut-il nous apporter son point de vue et son éclairage sur le phénomène du bitcoin et des crypto-monnaies, phénomène qui va peut-être changer l’Histoire ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le sujet des crypto-actifs est d’actualité. En effet, ils ont connu un essor spectaculaire, en particulier quant à leur valorisation, au cours de l’année 2017. Comme vous le savez, leur développement est lié à la maîtrise de la technologie de la blockchain, qui permet l’apparition de nouveaux types d’actifs. Cela dit, aujourd’hui, la capitalisation totale de ces actifs, qu’on appelle, pour la plupart, des « crypto-monnaies », représente environ 700 milliards de dollars. De fait, il s’agit bien d’une évolution spectaculaire, puisque cette capitalisation était inférieure à 20 milliards de dollars au début de 2017.
Ces actifs posent plusieurs enjeux de régulation. En matière de stabilité financière, nous considérons que le risque reste aujourd’hui limité au vu des volumes en jeu. En revanche, pour ce qui est de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, des problématiques spécifiques doivent évidemment être traitées. Il en est de même pour l’information et les risques qui se manifestent pour les investisseurs non professionnels : la volatilité de ce type d’actifs est en effet très forte et il existe donc des risques pour les investisseurs non avertis ou mal avertis qui voudraient placer leurs économies dans ce genre de produits.
Nous avons proposé d’étudier ces sujets au sein du G20 et nous avons été soutenus dans cette initiative par l’Italie et l’Allemagne. Nous avons également demandé à Jean-Pierre Landau, ancien sous-gouverneur de la Banque de France, de nous remettre un rapport permettant d’alimenter les travaux du G20 sur ces sujets.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Yannick Vaugrenard. Voilà un peu plus d’un an, Pierre-Yves Collombat nous présentait son rapport sur l’avenir et les risques du système bancaire et financier international.
Je retiendrai une de ses conclusions, celle qui m’apparaît comme la plus préoccupante : « la probabilité d’un nouveau crash du système financier comparable à 2007–2008 ». La question n’est donc plus de savoir si ce crash aura lieu, mais quand il aura lieu.
Ainsi, les fonds publics déversés au moment de la crise n’auront pas suffi à faire prendre conscience des indispensables mesures à prendre pour nous prémunir des errances et des inconséquences du monde de la finance.
Le constat fou que seulement 10 % des échanges boursiers sont en rapport avec l’économie réelle est la démonstration que ce système, sans contrôle, sans régulation imposée, peut nous mener au désastre. La technocratie financière a pris le pouvoir depuis trop longtemps ;…
M. Charles Revet. C’est une certitude !
M. Yannick Vaugrenard. … c’est au pouvoir politique de lui reprendre. Pour cela, profitons de ce qui a commencé à faire ses preuves, certes avec des imperfections : je veux parler des conférences mondiales sur l’environnement, les COP.
Il est indispensable que les pays qui se sont retrouvés pour échanger, proposer et décider dans les COP environnementales fassent de même sur les questions financières et fiscales. C’était une proposition d’Éric Bocquet et d’autres ; je m’y rallie volontiers.
En effet, nous n’imaginons pas que la France ait les capacités d’agir seule, tant il est vrai que la finance n’a pas de frontières. Nous ne pouvons pas, pour paraphraser le général de Gaulle, faire notre petite soupe, à petit feu, dans notre petit coin !
Portons cette initiative de COP financière et fiscale internationale ! Sinon, c’est l’égoïsme habituel qui risque de prévaloir et de nous conduire, une fois encore, à une errance financière majeure et à la catastrophe économique et sociale qui, malheureusement, risquerait d’en découler. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je ne vous dirai pas qu’il n’y aura plus de crise. On ne peut pas exclure de nouvelles crises. Ce qui est sûr, c’est que, progressivement, nous avons appris des événements qui ont eu lieu et nous avons mis en place des systèmes qui visent à développer notre résilience face aux crises, qu’elles affectent le secteur financier, la trajectoire de nos finances publiques ou encore l’environnement, puisque vous avez évoqué le développement des instances internationales dans ce domaine.
Sur le sujet particulier des crises financières, l’action et la concertation se sont très tôt placées à l’échelon international, puisque, dès avril 2009, le G20 a mis en place le FSB, le Financial Stability Board, dans la perspective d’apporter une impulsion politique pour répondre au défaut de normes.
C’est aussi au sein du Comité de Bâle que se discutent les outils de surveillance prudentielle. C’est à l’échelon européen que les paquets bancaires traduisent ces outils et ces concepts dans le droit. Depuis la crise, il me semble que nous avons pris conscience que c’est bien à un niveau international et européen que doivent se prendre les bonnes décisions.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Raison. Ma question rejoint celle de mon collègue. Nous sommes unanimes : la régulation en matière bancaire – et au-delà ! – est indispensable.
Bel exemple que le financement du crédit immobilier « à la française », dont la remise en cause serait très préjudiciable. Il repose sur trois spécificités : des taux majoritairement fixes, une analyse sérieuse de la solvabilité de l’emprunteur et une garantie reposant souvent sur le cautionnement plutôt que sur l’hypothèque.
Si ce modèle français avait prévalu aux États-Unis en 2007, la crise des subprimes et les terribles images des emprunteurs expropriés n’auraient certainement pas existé. Soyons un peu chauvins ! Les épargnants et les emprunteurs français sont plutôt bien protégés aujourd’hui.
Ces caractéristiques doivent donc être préservées. Or les travaux internationaux menés par le Comité de Bâle pourraient remettre en cause le crédit immobilier « à la française ».
Le Sénat, dans sa grande sagesse, a adopté à l’unanimité en 2016 une résolution de notre excellent collègue Didier Guillaume visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle. Nous lancions alors une alerte sur les risques que pourraient engendrer ces nouvelles règles.
Depuis, l’accord de Bâle a été signé et il doit être transcrit en droit européen.
Madame la secrétaire d’État, ma question portera donc sur l’avenir de cet accord, dont une partie des recommandations a mené l’économie mondiale presque dans l’impasse.
J’espère fermement que vous ne laisserez pas ces règles s’imposer à nous et que vous affirmerez, comme le Sénat a su le faire en 2016, que la régulation financière doit s’imposer pour protéger les Français.
Le courage politique, ce n’est pas que des décisions imposées aux Français en politique intérieure ; c’est aussi à l’extérieur ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – MM. Pierre-Yves Collombat, Olivier Cigolotti, Jean-Claude Luche et Pierre Médevielle applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Ce qui est ici en jeu, c’est bien de savoir comment est traité le système français de crédit immobilier dans le cadre prudentiel international de Bâle qui va être transposé en droit européen.
En effet, il existe des spécificités françaises, en particulier la pratique du taux fixe, en vertu de laquelle les banques gardent les risques de taux. C’est la façon dont cette spécificité va se retrouver dans les exigences prudentielles qui est en jeu.
Cette réglementation européenne est en cours de discussion ; nous militons afin que la spécificité de la pratique des banques françaises soit bien prise en compte. Nous sommes relativement confiants ; en tout cas, cette exigence est bien comprise au plan européen. Nous avons donc intégré ce sujet.
M. Michel Raison. C’est une bonne chose !
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je dois tout d’abord remercier mon collègue Pierre-Yves Collombat de ce rapport. Il décrit très bien – cela a été dit – le fonctionnement du capitalisme financier transnational et les difficultés systémiques passées et, hélas, certainement à venir.
Je voudrais revenir sur le financement de l’économie réelle par les banques. Je devrais plutôt parler de non-financement, tant la part consacrée à ce financement est faible par rapport à l’ensemble des transactions financières réalisées par les opérateurs financiers.
Le rapport pose bien la question : « À quoi sert réellement le marché financier ? » Alors même que le système financier a été la cause de la grande crise dont nous sortons à peine, on ne peut que regretter que l’écart entre son implication dans l’économie réelle et son activité sur les marchés spéculatifs s’accroisse, via la poursuite de pratiques risquées. Risquées pour qui ? Pour nos États et pour nos populations, car aujourd’hui, au vu des mesures qui sont prises, nous sommes toujours, en cas de crise grave, dans une situation où les risques pris seront couverts par la puissance publique.
Quelle est donc l’utilité de ce marché financier ? Le rapport cite, à titre d’exemple, la somme de 32 000 milliards de dollars d’échanges de titres à Wall Street sur un an, alors que le besoin annuel de financement des entreprises n’est que de 250 milliards de dollars par an, soit moins de 1 % du total précédent.
Autre chiffre : la part du crédit destinée aux PME ne représente que 5 % du bilan des banques françaises.
C’est dans un tel contexte, madame la secrétaire d’État, que vous avez notamment en grande partie supprimé l’ISF, l’impôt de solidarité sur la fortune, en nous assurant que cela permettrait de « financer » l’économie réelle ! Je crains pour ma part, et nous sommes nombreux à le craindre, que cette mesure ne contribue à perpétuer cette sorte de finance « casino », alors que l’argent dont nous parlons aurait pu être si positivement utilisé en faveur d’investissements publics.
Comment pouvez-vous nous garantir, madame la secrétaire d’État, que cet argent, qui eût été si utile à l’investissement public, n’alimente pas les marchés spéculatifs, mais revienne vraiment dans l’économie réelle ? Ce que vous avez dit sur le PACTE n’est guère convaincant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Le Gouvernement met en œuvre une politique d’incitation et d’orientation de l’épargne vers les entreprises, en particulier les petites et moyennes entreprises. Toutes les dispositions prévues ne sont pas encore prises. Une première série a été engagée dans le cadre du budget pour 2018 ; un nouveau paquet de mesures est proposé dans le cadre du PACTE. Il est un peu difficile, aujourd’hui, de dire quel sera le point final de tout cela. Je pense néanmoins que, en agissant sur l’ensemble des leviers qui nous paraissent actionnables, nous faisons déjà pas mal !
Madame la sénatrice, je ne saurais vous garantir que, par exemple, la part du financement des PME dans le bilan des banques va évoluer de telle ou telle façon. C’est bien pour cette raison que nous avons accepté que soit menée, après deux ans, me semble-t-il, en tout cas dans le courant du quinquennat, une évaluation de l’impact de ces mesures gouvernementales sur l’économie réelle.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton, pour le groupe Les Républicains.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, je salue tout d’abord l’excellent rapport de mon collègue Pierre-Yves Collombat.
L’histoire peut-elle bégayer indéfiniment ? Je ne le crois pas. Le politique peut-il, dans ce cas, jouer le rôle de l’orthophoniste ? Je le crois profondément.
En 2007-2008, notre monde a connu la pire crise financière de son histoire depuis celle de 1929. Malgré tout, un certain nombre d’acteurs du système financier continuent à considérer que le marché est le seul et unique instrument de régulation.
Personnellement, je crois dans le libéralisme économique, dans la possibilité pour chacun de réussir, pour chaque entreprise de se développer sans entrave ; je crois dans un marché libre et créateur de richesses.
Mais je ne crois pas à l’effacement du monde politique face à l’économie. Je ne crois pas que notre rôle soit de ramasser les débris après une crise ni que nous soyons élus pour nous ranger aux prédictions et aux recommandations d’un système imbriqué auquel on ne peut pas toujours faire confiance.
Notre rôle n’est-il pas au contraire d’imaginer l’économie de demain, une économie respectueuse de l’environnement, consciente de l’enjeu social, libre mais régulée, une économie, surtout, au service de l’économie réelle ?
J’ai été consternée, à la lecture de ce rapport, par un chiffre : 5 % seulement de l’activité bancaire servent au financement des entreprises ; 5 %, mes chers collègues ! Qu’avons-nous tous collectivement raté pour constater de tels chiffres aujourd’hui ?
Le laisser-aller en matière économique a engendré une défiance profonde à l’égard des États, des entreprises, de l’économie, à l’égard d’un système qui donne le sentiment de se liguer contre les intérêts des citoyens.
Les discours populistes prospèrent sur l’incapacité des décideurs publics à faire changer les choses.
Promenez-vous, mes chers collègues, dans les rues de chacune de nos villes. Vous entendrez sûrement l’un de nos concitoyens vous dire que, en votre qualité d’élu, vous n’avez aucun pouvoir en matière économique. Et peut-on le blâmer pour cela ? Je ne le crois pas.
C’est collectivement l’image que nous renvoyons depuis des décennies : une classe politique atone face au monstre spéculatif, impuissante face à la destruction de l’économie de notre pays, résignée face à l’étiolement de son pouvoir.
Madame la secrétaire d’État, votre gouvernement a-t-il pris la mesure de la situation et envisage-t-il des initiatives, à l’échelle européenne ou mondiale, …
M. le président. Ma chère collègue, vous dépassez de beaucoup le temps de parole qui vous est imparti. Veuillez conclure !
Mme Nicole Duranton. … pour prévenir d’autres crises et ainsi éviter au monde un nouveau choc aux conséquences sociales violentes ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. S’agissant des actions que le Gouvernement compte engager au plan européen, elles revêtent bien sûr une dimension technique et économique, de réponse à la crise, mais aussi une dimension politique : il s’agit de créer un bloc de la zone euro dont le niveau d’intégration serait bien supérieur à celui qui prévaut aujourd’hui. Ce projet a une dimension éminemment politique, même s’il passe par des actions extrêmement précises et techniques relatives aux instruments.
Nous pensons que le contexte actuel est favorable à l’accélération de l’intégration de la zone euro : la croissance est forte, ce qui crée une dynamique propice aux réformes tout en évitant que nous ne fassions que réagir à des crises.
Les discussions sont engagées avec l’Allemagne. Elles sont cruciales : on n’avancera que si l’Allemagne et la France unissent leurs forces dans le même sens. Tel est le souhait exprimé par le Président de la République, annonçant, main dans la main avec la Chancelière allemande, une position commune de nos deux pays sur le sujet crucial de la zone euro d’ici à mars prochain. Tout cela, comme je l’ai dit, revêt donc une dimension éminemment politique.
Par ailleurs, à ce dossier politique s’ajoutent des sujets concrets : l’union bancaire, l’union des marchés de capitaux, la convergence fiscale. Sur ces points concrets, nous voulons enregistrer des progrès à très court terme, en 2018.
Au-delà, la France œuvrera pour défendre une transformation en profondeur et ambitieuse de la zone euro, en particulier par la mise en place d’une capacité budgétaire de la zone sur l’ensemble des pays membres. Cette vision, là encore, a été définie par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne.
Sur tous ces sujets, le sommet européen de la zone euro qui se tiendra en mars prochain sera un point de passage important.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, merci à Pierre-Yves Collombat et aux membres de la délégation à la prospective pour ce travail de fond et de grande qualité qui pose les problèmes essentiels liés tant à la crise économique et financière qu’à celle du monde agricole, au plan national et mondial. Je signale également le niveau d’endettement de notre pays, lequel a été rappelé.
Le 5 janvier dernier, madame la secrétaire d’État, avec M. le ministre de l’économie et des finances, vous visitiez, dans les Ardennes, à Vrigne-aux-Bois, l’entreprise La Fonte Ardennaise. Vous avez pu rencontrer des chefs d’entreprise qui se battent pour maintenir l’emploi et dialoguer avec l’ensemble des salariés.
La priorité est donc le soutien à nos entreprises industrielles, agricoles, du bâtiment et des travaux publics, de l’artisanat, du commerce, autrement dit le soutien à l’emploi. Les chefs d’entreprise se heurtent à différents obstacles, malgré une volonté de simplification fiscale et administrative, s’agissant du code du travail notamment.
Mes questions sont les suivantes : comment restaurer la confiance, afin que les banques puissent de nouveau accompagner les entreprises dans leur effort d’investissement ?
Comment promouvoir l’attachement au « produire français », alors qu’il existe dans tous nos départements des entreprises de grande qualité ?
Comment, par ailleurs, favoriser l’embauche ? Les chefs d’entreprise se heurtent à des difficultés pour recruter, d’où la nécessité, dans le cadre de la formation professionnelle, d’encourager le recours à l’apprentissage – on sait que la tâche, là aussi, reste immense. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, merci de m’avoir rappelé ma visite dans les Ardennes : un bon moment d’échange, en effet, avec une entreprise et ses salariés.
Concernant le financement des PME, il est lié à toute une batterie de sujets dont j’ai déjà parlé.
S’agissant de la formation, il est bien évident que ce point figure parmi les priorités du Gouvernement pour le premier semestre 2018. Il est défendu par le ministère du travail, mais l’ensemble du Gouvernement est extrêmement mobilisé. Nous parlons de formation professionnelle, d’apprentissage, de réforme des lycées professionnels, également, avec Jean-Michel Blanquer.
L’accès à une main-d’œuvre qualifiée, à un encadrement de qualité, partout sur le territoire et surtout pour tous les métiers, est extrêmement important. Certains métiers sont aujourd’hui en tension ; il est un petit peu dommage que la reprise ne profite pas à l’emploi autant qu’elle le pourrait. Si des personnes, des jeunes notamment, étaient formées à ces métiers en tension, le cas échéant, l’effet de levier sur l’emploi serait bien supérieur. Il s’agit donc en effet d’un enjeu crucial.
D’autres inégalités, d’autres fractures territoriales peuvent également être évoquées. Je pense notamment à la fracture numérique. Ce matin, en conseil des ministres, nous avons parlé de ce qui a été annoncé en matière de couverture mobile des territoires et d’accès au très haut débit partout en France. De telles mesures vont bénéficier non seulement à nos concitoyens dans leur vie quotidienne, mais aussi aux entreprises, qui ont besoin de cette connectivité, de ces outils, de ces compétences pour se développer.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.
M. Marc Laménie. Merci, madame la secrétaire d’État. L’enjeu me semble particulièrement important. Nous avons, dans notre pays, des entreprises et des chefs d’entreprise spécialement motivés. Leurs attentes sont fortes.
Votre combat, madame la secrétaire d’État, est un combat collectif : il s’agit de soutenir ces entreprises, de les aider à recruter et à former des jeunes, notamment dans les métiers d’avenir, en particulier les métiers manuels, et de favoriser le partenariat avec les financeurs que sont les banques.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour le groupe Les Républicains.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1637 éclatait le premier krach boursier, celui des tulipes, aux Pays-Bas. Au plus fort de la bulle spéculative, le prix d’un bulbe de tulipe équivalait à quinze fois le salaire annuel d’un artisan. Et puis, brutalement, les cours se sont effondrés.
Cette histoire de la spéculation, nous la connaissons : elle s’est répétée, comme l’a rappelé mon collègue Collombat dans son rapport d’information, à travers de nombreuses crises financières mondiales. Elle se répète encore aujourd’hui, avec une fréquence d’ailleurs accentuée ces dernières années. Une bulle d’un tout autre ordre a récemment éclaté.
S’il y a une bulle aujourd’hui, c’est dans le bitcoin, titrait le Wall Street Journal le 19 novembre 2017. La poussée fulgurante de cette monnaie virtuelle, créée à l’issue de la crise des subprimes en 2009, a connu des records en décembre. Objet de toutes les spéculations et de tous les fantasmes, mais aussi phénomène de mode, le bitcoin a vu son cours augmenter de 1 000 % en un an, atteignant les 11 500 dollars l’unité, avant de violemment rechuter. Quelle volatilité !
La non-traçabilité des opérations, sa valorisation irrationnelle, sa nature même, qui est dématérialisée, font du bitcoin une valeur insaisissable, et donc dangereuse : dangereuse pour les épargnants qui achètent cet actif, dangereuse parce qu’il peut facilement être utilisé pour financer des activités illicites – fraude fiscale, blanchiment, terrorisme, trafics en tous genres.
Le bitcoin nous donne des sueurs froides, non pas tant parce qu’il menace directement l’équilibre du système financier mondial, mais parce qu’il échappe au contrôle des États, des banques centrales et des institutions financières.
La spéculation sur le bitcoin est symptomatique des dérives du fonctionnement de notre économie.
La mise en place d’un cadre réglementaire efficace relatif au bitcoin, et plus largement aux crypto-monnaies, ne pourra se faire que via une vaste coopération internationale.
À raison, M. le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, prend ce sujet au sérieux et a souhaité que le G20 s’en saisisse lors de son prochain sommet. Pas plus tard qu’hier, il a confié à l’ancien sous-gouverneur de la Banque de France, Jean-Pierre Landau, une mission sur les crypto-monnaies.
Ma question est donc la suivante : quelles sont les différentes pistes de réflexion avancées pour faire évoluer la réglementation et ainsi protéger nos concitoyens face au bitcoin ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous l’avez dit, ce type de monnaies, les crypto-monnaies, représente des sommes certes significatives, mais il n’est pas en soi cause d’inquiétude s’agissant de la stabilité du système financier dans son ensemble : il correspond vraiment à une fraction relativement petite de l’ensemble des liquidités en circulation dans le monde.
C’est donc plutôt sous l’angle de leur opacité, du manque de contrôle dont elles font l’objet, de leur volatilité et des risques qu’elles représentent pour les investisseurs que nous abordons ces monnaies.
D’ores et déjà, la France a soumis ces crypto-monnaies aux obligations de droit commun en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, afin qu’elles ne restent pas dans une zone de non-droit. Nous allons engager au plan européen des mesures similaires dans le cadre de la révision de la quatrième directive anti-blanchiment.
Cela étant, vous avez parlé, monsieur le sénateur, des travaux que nous lançons dans le cadre du G20, pour lesquels nous avons mandaté Jean-Pierre Landau, chargé d’une analyse approfondie. Des réflexions sont donc menées sur le statut de ces monnaies et sur la protection des consommateurs.
Mais la technologie qui sous-tend ces crypto-monnaies représente également des opportunités. En France existe un tissu prometteur de start-up et de fintech. Il faut donc aussi travailler à sécuriser et à promouvoir les innovations dans ce domaine, en se gardant d’adopter une position complètement fermée par principe. Tel est l’équilibre sur lequel nous avons proposé à Jean-Pierre Landau de travailler.
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective Une crise en quête de fin – Quand l’histoire bégaie.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Prise en charge des mineurs isolés
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la prise en charge des mineurs isolés, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’orateur du groupe qui a demandé ce débat disposera d’un temps de parole de dix minutes, y compris la réplique, puis le Gouvernement répondra pour une durée équivalente.
Dans le débat, la parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. « Le visage de Moussa est très marqué. Une panique constante dans le regard. Ses pupilles jonglent dans tous les sens. Tout dans l’environnement de notre bureau semble lui susciter une crainte. […] Il a beaucoup de mal à décrire sa vie dans son pays. À chaque fois, le voyage jusqu’en Europe arrive en trombe dans son esprit. […]
« Tout se mélange : les rebelles sur la route au Nord-Mali ; la traversée du désert du Sahara, dans un pick-up surchargé ; les travaux d’esclaves dans le bâtiment, dans chaque ville-étape, pour trouver l’argent nécessaire à la poursuite de la route […].
« Et surtout, Moussa se souvient des sept mois à Gourougou. Tous les migrants la connaissent, cette […] forêt, juchée sur la montagne qui surplombe l’enclave espagnole de Melilla au Maroc. […] Sept mois à vivre dans des tentes de fortune, à se faire déloger par les policiers marocains, à tenter de survivre. Et surtout, sept mois à attendre le bon moment pour […] tenter d’escalader la triple barrière de six mètres de haut pour mettre un pied sur le sol européen. […]
« Moussa a échoué six fois, avant de réussir. […] six fois les barbelés qui mordent, six fois les matraques, six fois le refoulement à la frontière algérienne. Six fois l’espoir qui explose au sol en tombant. Au moment où il le raconte, il touche machinalement le haut de sa main gauche, marquée d’une cicatrice. La barrière a sorti les griffes et mangé la chair. Sur le haut de son crâne aussi. […]
« Le parcours migratoire de Moussa n’est pas singulier. […] Ces jours et ces nuits sur le chemin de l’Europe sèment des traumatismes au creux de l’esprit de chaque voyageur. »
Voilà, monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, quelques lignes de ce qu’a écrit Rozenn Le Berre, alors éducatrice auprès des mineurs isolés étrangers, dans son livre De rêves et de papiers, témoignage de 547 jours passés avec les mineurs isolés étrangers. Je vous invite à prendre connaissance des dizaines d’autres récits poignants de ces vies en sursis, de ces jeunes femmes et de ces jeunes hommes qu’on évalue et pour lesquels on décide : mineur ou majeur, protégé ou expulsé, un toit ou la rue, la vie ou l’exil.
Avant de traiter du sujet sous l’angle des chiffres et de la loi, il est aujourd’hui plus que nécessaire de se confronter à ces réalités, à ces histoires personnelles qui font notre histoire commune. La vague de cynisme qui surplombe le sommet de l’État ces dernières semaines n’en est pas digne. Non, il n’est pas question de « bons sentiments », mais il est question de sentiments tout court, et pour ainsi dire d’humanité, de solidarité, de fraternité.
En outre, il est nécessaire de repenser aux causes à l’origine de ces migrations : aujourd’hui les guerres, les crises économiques dans lesquelles notre responsabilité n’est pas exempte ; demain les sinistres liés au réchauffement climatique et la nouvelle vague de réfugiés qu’il faudra bien prendre en compte.
Pour l’heure, et pour en venir aux chiffres, que se passe-t-il réellement ? Sur le million de personnes très vulnérables identifiées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, seules 200 000 ont été prises en charge.
La France est le quinzième pays d’accueil des réfugiés, derrière de nombreux pays qui sont loin d’avoir notre puissance économique. Ces chiffres nous amènent à relativiser la réalité de la situation : l’Europe est loin d’être la première destination des réfugiés, les migrations s’établissant davantage entre pays du Sud et, au sein de l’Europe, la France est loin de prendre sa part.
Hélas, notre pays ne joue pas pleinement son rôle pour protéger et accueillir les réfugiés, à commencer par les plus vulnérables d’entre eux : les enfants.
Dans ce cadre, la politique migratoire envisagée par M. Macron et le Gouvernement apparaît plus qu’inquiétante ; en témoignent les circulaires Collomb du 20 novembre et du 12 décembre derniers visant à organiser un tri entre migrants et dans les centres d’hébergement d’urgence.
Ces circulaires, vous le savez, ont suscité un tollé dans le monde associatif, mais pas seulement, comme l’illustrent les nombreuses voix qui se sont exprimées ces derniers jours ; et nous sommes solidaires du recours contre la circulaire Collomb porté devant le Conseil d’État par une vingtaine d’associations de défense des étrangers et de lutte contre l’exclusion.
Cette approche de la politique migratoire de notre pays, qui porte atteinte aux droits humains, est plus que préoccupante, et dans ce cadre nous pensons aux plus vulnérables qui viennent nous demander refuge, aux mineurs isolés – nous les appellerons ainsi et non pas « mineurs non accompagnés », termes repris de l’usage des institutions européennes par nos politiques pour, semble-t-il, édulcorer le sens des mots, cette expression étant bien plus proche de la réalité.
Contrairement à ce que laissent entendre certains cris d’orfraie poussés à droite, il n’existe pas de statut juridique propre aux mineurs isolés étrangers. Ces derniers se trouvent donc à un croisement, relevant à la fois du droit des étrangers et, au titre de l’enfance en danger, du dispositif français de protection de l’enfance qui ne pose aucune condition de nationalité. C’est le statut d’enfant qui devrait prévaloir, conformément aux engagements de la France au titre de la convention internationale relative aux droits de l’enfant.
Pourtant, à l’issue du dernier congrès des départements de France, Édouard Philippe a annoncé qu’il entendait, entre autres, transférer la prérogative d’accueil des mineurs isolés étrangers à l’État, remettre en cause la présomption de minorité et la présomption d’authenticité des actes lors de l’orientation des mineurs vers l’aide sociale à l’enfance, l’ASE.
Si les départements sont à juste titre préoccupés, c’est que de 19 200 fin 2016, le nombre de mineurs isolés étrangers devait atteindre 25 000 fin 2017, leur prise en charge représentant selon l’Assemblée des départements de France, l’ADF, un coût d’un milliard d’euros par an.
Toutefois, rappelons que les mineurs isolés étrangers ne représentent qu’une faible part de l’ensemble des mineurs et jeunes majeurs accueillis dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance, soit environ 18 000 sur 325 000. Ceux que reçoivent notamment les associations telles que Médecins du Monde renvoient incontestablement à des profils d’enfants souvent très abimés, physiquement ou psychiquement.
Rappelons également que la mise à l’abri n’est pas systématique. Lorsqu’elle a lieu, elle se fait dans des conditions très contestables, parfois dans des hôtels insalubres, sans accompagnement ni suivi par un éducateur.
Enfin, le premier accueil est uniquement dédié à l’évaluation de l’âge et à l’isolement de jeunes qui ne sont pas en mesure d’être évalués.
Voilà pour le cadre ! Mais comme souvent dans cet hémicycle, madame la garde des sceaux, mon groupe vous soumet plusieurs solutions pour une prise en charge sérieuse et humaine des mineurs étrangers isolés et dont la mise en œuvre est urgente.
D’abord, il est nécessaire de mettre fin immédiatement à l’enfermement, sous quelque forme que ce soit, de tous les mineurs étrangers, aux frontières comme sur le reste du territoire, et au contraire de mettre en œuvre une mise à l’abri inconditionnelle pour les personnes se déclarant mineurs isolés étrangers, comme le prévoit la loi au nom du respect de la présomption de minorité.
Ensuite, il est urgent de mettre fin aux tests osseux, et plus globalement aux ingérences du ministère de l’intérieur dans le dispositif d’évaluation médicale, et de restaurer la tutelle du ministère chargé de la santé.
Sur ce point, rappelons, comme s’accorde à le dire l’ensemble de la communauté scientifique, qu’il n’existe aucune méthode objective et fiable pour évaluer la minorité d’une personne. En cas de persistance d’un doute, celui-ci doit profiter au jeune. Tout examen médico-légal doit être interdit. La santé qui soigne n’a pas vocation à être un outil à expulsion.
Enfin, à l’opposé des solutions envisagées par le Premier ministre, nous pensons, comme le suggèrent plusieurs syndicats, dont le Syndicat de la magistrature, qu’il est temps d’instaurer un dispositif de prise en charge des mineurs isolés étrangers juridiquement contraignant pour les conseils départementaux et de sanctionner les départements récalcitrants, notamment pour que le nombre de places d’hébergement en foyer éducatif et en famille d’accueil soit augmenté, accompagné des postes de travailleurs sociaux afférents, le tout sans discrimination en matière de financement entre enfants français et étrangers.
Il est primordial de revenir au droit commun de la protection de l’enfance impliquant l’abrogation du dispositif dérogatoire de la loi du 14 mars 2016 pour prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.
Bien entendu, ce retour au droit commun devrait s’accompagner d’un financement important de l’État pour abonder les budgets gérés par les départements et du développement d’outils opérationnels de soutien aux professionnels chargés des mineurs étrangers isolés.
Dans cette logique, il semblerait cohérent que l’État abonde le Fonds national de financement de la protection de l’enfance créé par la loi du 5 mars 2007.
Enfin, comme le Défenseur des droits, M. Jacques Toubon, nous mettons en garde le Gouvernement « sur les risques que pourrait comporter une telle réforme, notamment au regard des engagements internationaux de la France, au premier rang desquels la Convention internationale des droits de l’enfant. »
Ratifiée par la France en 1990, celle-ci s’applique à tous les enfants, sans considération de nationalité ni d’origine ethnique ou sociale. Relevant du droit international, ce texte prévaut sur les législations nationales, donc sur le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou CESEDA. En son article 20, la convention précise : « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial […] a droit à une protection et une aide spéciales de l’État. »
En conclusion, la prise en charge des mineurs isolés étrangers en France est insuffisante, et ne répond pas à leurs besoins fondamentaux et à la protection qui leur est due. Or les propositions faites ces derniers mois, que ce soit par le biais du rapport d’information sénatorial publié en juin dernier ou par l’Assemblée des départements de France, soutenue par le Premier ministre, ne feront qu’aggraver la situation.
Il est notamment absolument nécessaire d’abandonner l’idée d’un dispositif dérogatoire au droit commun qui tendrait à considérer ces jeunes mineurs isolés d’abord comme des étrangers avant d’être des enfants à protéger. C’est là un angle primordial du débat ; j’espère qu’il guidera vos questions, mes chers collègues, et vos réponses, madame la garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Assassi, je vous remercie d’avoir sollicité ce débat, mais également d’en avoir présenté, dans votre propos introductif, le caractère à la fois douloureux et profondément, nécessairement fraternel et humain, ces deux aspects n’étant pas, en l’occurrence, incompatibles.
Je serai, si vous me le permettez, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, plus prosaïque dans les éléments que je vous présenterai pour traduire la réalité de cette question des mineurs isolés, comme vous avez choisi de les appeler, madame la sénatrice, mais pour lesquels je reprendrai la terminologie plus habituelle de « mineurs non accompagnés », ou MNA.
Le contexte, de ce point de vue, a changé en quelques années. En 2013, le nombre de personnes qui se présentaient comme mineurs non accompagnés ne dépassait pas quelques milliers.
Or c’est devenu aujourd’hui une question majeure, qui exacerbe les attentes, légitimement fortes, de nombreux acteurs, notamment des départements, vis-à-vis du Gouvernement.
Les MNA relèvent de la protection de l’enfance. La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant constitue le texte le plus important et le plus abouti sur le sujet. Surtout, elle donne un fondement légal à un dispositif, sur lequel je reviendrai dans quelques instants, de répartition des mineurs non accompagnés entre les différents départements de notre pays. C’est également une loi, je tiens à le réaffirmer au regard de vos propos, madame la sénatrice, qui vise à garantir à ces mineurs isolés, ou non accompagnés, les mêmes droits qu’à tout autre enfant présent sur le territoire. C’est bien le statut d’enfant qui prime toute autre considération en l’espèce, la difficulté tenant évidemment à la manière de déterminer la minorité de l’enfant.
Je citerai quelques chiffres, dans un premier temps, expliquant en partie les tensions que nous connaissons sur ce dispositif et qui sont ressenties sur l’ensemble du territoire.
L’augmentation du nombre d’arrivées a été extrêmement importante jusqu’à la fin de l’année dernière, avec une hausse très rapide à partir du mois de juin 2017. Ce fait a engendré de réelles difficultés pour répondre au besoin de mise à l’abri durant l’été ; il a également été à l’origine d’attentes plus longues pour la mise en œuvre du dispositif d’évaluation, ou encore pour les prises en charge effectuées à l’issue du dispositif d’orientation.
Du 1er janvier au 31 décembre 2017, le nombre de mineurs confiés aux départements par décision judiciaire s’est élevé à 14 908, soit 85 % d’augmentation par rapport à l’année 2016. Il s’agit à 95 % de garçons. Ces chiffres sont, évidemment, tout à fait importants. Ces mineurs étaient au nombre de 8 054, je le rappelle, durant l’année 2016.
Par ailleurs, 13 000 mineurs non accompagnés étaient pris en charge dans les services de l’aide sociale à l’enfance au 31 décembre 2016. À titre de comparaison, ils étaient 10 000 l’année précédente.
Je veux également insister sur un autre point : les chiffres que je viens de vous communiquer ne reflètent pas la réalité des mises à l’abri, du premier accueil en urgence des personnes qui se déclarent mineurs non accompagnés. En croisant les données des derniers rapports, notamment de Mme la sénatrice Doineau et de M. le sénateur Godefroy, de Mme la députée Bagarry, ainsi que les données de l’Agence de services et de paiement gérée par le ministère des solidarités et de la santé, le nombre de personnes se déclarant mineurs non accompagnés et devant être mis à l’abri, puis évalués par les départements a atteint, cette année, 25 000.
Les chiffres sont donc extrêmement élevés.
Or si cet afflux massif de jeunes concerne désormais quasiment tout le territoire, certains départements sont cependant plus touchés que d’autres. Je pense aux départements du Nord et du Pas-de-Calais, où le Président de la République et moi-même étions hier et où la question a été soulevée de manière extrêmement aiguë, aux départements de l’Île-de-France, à ceux qui ont une zone portuaire à l’instar des Bouches-du-Rhône et, depuis quelques mois, à l’ensemble des départements de la zone alpine.
J’en viens au dispositif légal, dont je vous rappelle très simplement comment il fonctionne. Dès qu’un mineur non accompagné arrive sur notre territoire, il est mis à l’abri…
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas vrai !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. … et évalué. À la suite de cette évaluation, c’est la deuxième phase, une décision de minorité ou de majorité est prise. Si la personne est déclarée mineure, et c’est la troisième phase, elle est prise en charge par les mécanismes de l’aide sociale à l’enfance. La gestion de ce dispositif relève actuellement de la compétence des départements.
Pour la troisième phase, la loi du 14 mars 2016 a conféré une base législative au mécanisme de répartition géographique des mineurs non accompagnés, afin que chaque département ait une charge équitable ou, en tout cas, des obligations équitables par rapport à ces mineurs. Malgré les difficultés que cela pose, je pense que nous pouvons nous féliciter de ce système.
Le code civil impose aux magistrats du parquet et aux juges des enfants de saisir la cellule nationale gérée par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse qui va formuler une proposition d’orientation vers un autre département ou de maintien sur place en fonction de l’application d’une clé de répartition et, bien sûr, de la situation individuelle résultant des renseignements qui lui sont communiqués sur ce mineur. Le procureur de la République ou le juge des enfants prendra ensuite sa décision en stricte considération de l’intérêt de l’enfant.
Cette clé de répartition est calculée en fonction des données démographiques et tient compte pour partie du nombre de mineurs non accompagnés accueillis au 31 décembre de l’année précédente dans le département considéré.
En raison des difficultés actuelles, elle ne donne manifestement pas satisfaction à tous les présidents de département. Le président du département du Pas-de-Calais, où je me trouvais hier, nous a expressément demandé d’en revoir les critères pour tenir compte des singularités locales. En l’occurrence, pour le Pas-de-Calais, il s’agit évidemment de la présence de Calais et du nombre important de jeunes qui arrivent pour passer en Grande-Bretagne.
Quelles sont les difficultés rencontrées sur l’ensemble de ce dispositif ? À l’occasion du dernier comité de suivi, qui s’est tenu le 15 septembre dernier et que j’ai présidé avec ma collègue Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, nous avons pris acte d’un certain nombre de problèmes et formulé des propositions.
Les difficultés tournent autour des points suivants, que j’énumère devant vous brièvement : la très forte augmentation du nombre de personnes qui se déclarent mineures ; la saturation totale des dispositifs de protection de l’enfance dont les départements ont la charge ; l’absence de mise à l’abri de plus en plus fréquente – je vous rejoins, madame la sénatrice – d’un certain nombre de personnes se déclarant mineurs non accompagnés ; l’absence d’harmonisation des pratiques en matière d’évaluations de la minorité réalisées sur le territoire national – nous relevons des disparités dans les pratiques mises en œuvre par les différentes associations intervenant pour opérer ces évaluations et, par la suite, des disparités de prises en charge.
Face à ces difficultés réelles, les enjeux sont cruciaux. Il s’agit de fiabiliser et d’harmoniser les procédures d’évaluation, et surtout d’éviter les réévaluations de jeunes. En effet, un jeune évalué majeur dans un département va immédiatement se rendre dans un autre département pour tenter, ce que l’on peut humainement parfaitement comprendre, d’être réévalué comme mineur.
M. le président. Veuillez conclure, madame la garde des sceaux !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je vous prie de m’excuser, monsieur le président. J’en viens directement à ma conclusion.
Il est manifestement des difficultés auxquelles il nous faut porter remède. Le Président de la République s’est engagé, lors du conseil des ministres du 12 juillet dernier, à ce que la situation des mineurs non accompagnés soit de nouveau envisagée dans sa globalité. À la suite de cela, le Premier ministre a signé avec Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des départements de France, une lettre de mission destinée aux corps d’inspection de l’administration de la justice et des affaires sanitaires et sociales pour que soit engagée une réflexion, notamment sur la phase d’évaluation, qui s’étend actuellement dans la durée, accroissant la charge des départements. Cette mission doit nous rendre ses conclusions dans quelques jours.
Sur la base des éléments qui nous seront proposés, sur lesquels je reviendrai dans quelques instants, nous devrons de nouveau établir un plan de prise en charge des mineurs non accompagnés. Je vous remercie, monsieur le président, et je vous présente mes excuses pour le dépassement de mon temps de parole. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Je vous remercie, madame la garde des sceaux. Vous aurez d’ailleurs l’occasion de vous rattraper en répondant plus rapidement au cours du débat. (Sourires.)
Débat interactif
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que chaque orateur dispose au maximum de deux minutes, y compris la réplique, avec une réponse du Gouvernement pour un maximum de deux minutes.
Je vous demande de respecter strictement les temps de parole, afin que nous puissions nous rendre à la cérémonie des vœux du président du Sénat, à l’issue de la séance.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, mes chers collègues, ce lundi, dans un communiqué de presse, l’Assemblée des départements de France exprimait, une nouvelle fois, son inquiétude quant à l’absence de réponse de l’État sur la prise en charge des mineurs non accompagnés, et ce malgré les engagements du Premier ministre du mois d’octobre dernier.
En effet, l’État s’était engagé à prendre en charge l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineures entrant dans le dispositif jusqu’à ce que la minorité soit confirmée.
Il est temps que l’État prenne ses responsabilités et opte pour une attitude humaniste à l’égard des migrants mineurs qui traversent les mers, bien souvent à leur corps défendant. En vertu de l’article 20 de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, ces enfants exilés ont « droit à une protection et une aide spéciales de l’État. » Le phénomène des mineurs qui deviennent majeurs au cours de la procédure d’évaluation entache profondément notre rôle d’assistance.
Alors que le ministère des solidarités et de la santé souhaite promouvoir une « logique d’investissement social » dans le cadre d’un plan de lutte contre la pauvreté des jeunes, il me paraît nécessaire d’élargir cette idée à la question des mineurs isolés, dont le sort ne peut être abandonné aux seules collectivités locales ou aux associations.
Dans la Sarthe, par exemple, leur prise en charge est en constante augmentation. Le département consacre près de 4 millions d’euros à la prise en charge des 171 mineurs recensés, et l’on assiste à la saturation des structures d’accueil disponibles, comme partout en France.
Au-delà de la question financière, primordiale, à l’appui de l’excellent rapport de mes collègues Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy, je souhaite aborder la problématique spécifique, mais essentielle, de la formation de ces mineurs après seize ans. De sérieux dysfonctionnements ont été constatés quant à la délivrance d’autorisations provisoires de travail nécessaires au suivi de formations professionnelles généralement dispensées par un centre de formation d’apprentis, ou CFA.
Ainsi, ma question porte sur les mesures envisagées par le Gouvernement pour réaffirmer le droit inconditionnel des mineurs non accompagnés à obtenir une autorisation provisoire de travail et pour faciliter l’accès de ces jeunes à la formation professionnelle, qui est une des conditions sine qua non d’un parcours d’intégration réussi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Ma chère collègue, permettez-moi de vous souhaiter un bon anniversaire !
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je vous souhaite également un très bon anniversaire !
Si le Premier ministre a demandé la création d’une mission d’expertise, composée notamment de corps d’inspection de l’État, c’est bien parce que l’État entend reprendre à sa charge toute la phase d’évaluation et de mise à l’abri. Actuellement, il verse à ce titre aux départements une somme équivalant à 250 euros par jour, et ce dans la limite de cinq jours, soit un financement de 1 250 euros.
La mission d’inspection nous a remis un rapport d’étape. Une fois le rapport définitif publié, des mesures devront être prises. La réponse que vous attendez est donc imminente.
Puisque vous évoquez la question de la formation des mineurs non accompagnés, je mentionnerai la circulaire du 25 janvier 2016, qui rappelle le droit de chaque enfant vivant sur notre territoire à l’éducation jusqu’à l’âge de seize ans. Sa mise en œuvre a permis de limiter un certain nombre de situations de blocage, notamment pour les enfants qui ne pouvaient accéder à des formations professionnalisantes du fait d’un défaut de documents d’identité. Elle a clarifié les autorisations provisoires dont ceux-ci peuvent avoir besoin pour effectuer ce type de formations.
En principe, la circulaire devrait avoir levé les difficultés concrètes susceptibles d’apparaître. Je le répète, ces enfants, dès lors qu’ils sont déclarés mineurs, ont sur le territoire les mêmes droits que les enfants français.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, les MNA, parce qu’ils sont âgés de moins de dix-huit ans et arrivent en France sans leurs parents, relèvent de la protection de l’enfance, compétence des départements.
Selon les estimations de l’ADF, leur nombre serait passé de 4 000 en 2010 à 25 000 en 2017 et attendrait plus de 40 000 en 2018. Cela pose un problème important, que le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a choisi de mettre en avant aujourd’hui. Tous les départements sont désormais concernés et voient leurs capacités d’accueil et de financement arriver à saturation. Cette situation a un coût, qui s’est élevé pour eux à un milliard d’euros en 2016.
Les MNA sont, à 70 %, originaires d’Afrique. Certains migrent pour des raisons économiques, souvent dans le cadre de filières organisées, d’autres pour fuir des zones de conflit armé. Dans une maison d’enfants à caractère social – une MECS – que je connais bien, sur 72 pensionnaires, 44 sont africains, dont 27 arrivés en 2017, et les demandes explosent.
Toujours selon l’ADF, les départements ont dépensé 155 000 euros pour l’évaluation de l’âge, dont 10 % sont couverts par l’État. Vous l’avez rappelé, madame la garde des sceaux, le Gouvernement a décidé d’ouvrir une enveloppe supplémentaire.
Dans ce contexte, nous formulons quatre propositions.
Il importe, premièrement, d’établir des règles juridiques claires s’agissant de la détermination de l’état civil de ces jeunes par l’État.
Il convient, deuxièmement, de prévoir, au sein de chaque MECS et sans augmentation de la capacité d’accueil, la création d’une unité isolée de dix lits, pour prendre en charge non seulement les MNA présentant des troubles comportementaux consécutifs à leur parcours, souvent très éprouvant, sur le plan tant physique que psychique, mais aussi les mineurs difficiles. Y interviendraient des éducateurs volontaires spécialisés dans le cadre d’un environnement paramédical approprié. C’est à l’État qu’il reviendrait de prendre en charge le surcoût de telles unités, faute de quoi certaines MECS deviendraient ingérables.
Il s’agit, troisièmement, de revoir le financement de la formation professionnelle des MNA. Une fois devenu majeur, le jeune ne relève plus de la compétence du département, qui n’a plus au demeurant les finances nécessaires pour assurer sa prise en charge. Or il serait souhaitable que ce jeune puisse achever son année de formation. Dans ce cas, l’État devrait se substituer au département, ainsi que la région, qui en a la compétence.
Il faudrait, quatrièmement, simplifier l’obtention des titres de séjour pour les mineurs réfugiés, afin que ceux-ci puissent travailler dès leur majorité lorsqu’ils sont diplômés.
Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de l’intérêt que vous voudrez bien porter à l’examen de nos propositions.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, Agnès Buzyn et moi-même sommes particulièrement attentives à ces problématiques de prise en charge, notamment médicale et psychologique, des MNA, compte tenu, dirais-je, de leur valence émotionnelle.
Mme Assassi l’a fort justement rappelé, nombre de ces enfants ont subi, au travers de leurs pérégrinations pour parvenir jusqu’à notre territoire, des traumatismes bien réels, qui méritent d’être pris en charge. Je le répète, l’accès aux soins est inconditionnel, il n’y a aucun doute à ce sujet, surtout pour ces enfants. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies souligne ainsi que les enfants non accompagnés ou séparés bénéficient du même accès aux soins, aux services médicaux et de rééducation que les ressortissants français de leur âge.
Vous avez en outre évoqué les ruptures brutales qui pourraient intervenir parfois à de bien mauvais moments, citant l’exemple d’un jeune en cours de formation professionnelle qui, atteignant l’âge de dix-huit ans, en serait exclu. Nous sommes actuellement en train de travailler avec les départements sur un dispositif progressif qui sera intégré au futur plan que nous préparons. L’objectif est de permettre la continuité de la prise en charge de ces jeunes, au-delà de l’âge de dix-huit ans. D’ores et déjà, un certain nombre de départements ont mis en place un contrat jeune majeur, qui a cette finalité.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous le savons, la politique, c’est d’abord un combat sémantique. Et ce combat prend ici toute son ampleur lorsque le politiquement correct évoque des MNA, des mineurs non accompagnés, alors que la réalité voudrait qu’on les nomme des EMC, des étrangers mineurs clandestins. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Entre 2010 et la fin de 2016, leur nombre est passé de 4 000 à 13 000, pour dépasser les 25 000 à la fin de 2017 et atteindre, cela a été dit, 40 000 en 2018. Sans compter que ces chiffres restent largement sous-évalués puisqu’ils ne comptabilisent pas les jeunes dont les démarches sont en cours.
Le véritable scandale réside dans le fait que 70 % de ces jeunes clandestins sont en réalité majeurs.
Mme Éliane Assassi. Prouvez-le !
M. Stéphane Ravier. Les entretiens censés déterminer si une personne est mineure relèvent de la fumisterie. Or les mineurs, non soumis aux règles de séjour des étrangers, ne sont pas expulsables. Dont acte.
Une simple déclaration de leur part les rend éligibles à l’aide sociale à l’enfance et ce sont donc les conseils départementaux qui en assument la charge ; une charge qui aura représenté un milliard d’euros en 2016, 2 milliards en 2017. La prise en charge annuelle d’un mineur isolé étranger représente 60 000 euros par an.
Pour le département des Bouches-du-Rhône, le coût est de 20 millions d’euros pour les contribuables. Les clandestins peuvent, eux aussi, dire : « Merci Martine ! » (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. C’est honteux !
M. Stéphane Ravier. Pour un certain nombre de présidents de droite de conseil départemental, ce coût doit être supporté non plus par les départements, mais par l’État. Autrement dit, plutôt que de faire payer le contribuable, on fera payer… le contribuable. Voilà une belle idée, comme dirait Laurent Wauquiez.
Et c’est le Conseil de l’Europe qui nous met le coup de grâce, je le cite : « Les jeunes migrants ne doivent pas être soumis contre leur gré à des examens médicaux visant à déterminer leur âge, et doivent, en cas de doute, être considérés comme des mineurs. »
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Stéphane Ravier. Cette présomption d’innocence constitue, de toute évidence, un nouvel appel d’air à l’immigration clandestine.
Nous devons rétablir les frontières, démanteler les filières de passeurs, utiliser tous les moyens adéquats pour savoir si ces clandestins sont mineurs ou pas, et enfin expulser les clandestins adultes.
Le problème est identifié et les mesures efficaces existent. La seule question, madame la ministre, est de savoir si vous aurez le courage de les appliquer.
M. Fabien Gay. Nous, nous avons eu le courage de vous écouter !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures, entré en vigueur le 13 novembre 2015, a été prolongé par le Gouvernement jusqu’au 30 avril prochain.
Dans ce contexte, la frontière franco-italienne revêt une attention toute particulière. En 2017, 56 000 migrants y ont été interpellés, dont 47 000 dans les Alpes-Maritimes. Le quart de ces migrants sont des Soudanais et des ressortissants d’Afrique francophone : Ivoiriens, Maliens, Guinéens. Un nombre important d’entre eux a été repris par les autorités italiennes, dans le cadre de notre coopération bilatérale. Le récent déplacement du Président de la République a encore montré combien celle-ci est tout à fait déterminante pour faire respecter le cadre légal du rétablissement du contrôle aux frontières intérieures.
Nous faisons en outre un effort tout particulier, notamment avec les services de police et de justice, pour lutter contre les filières de passeurs et le trafic illégal d’êtres humains. Les juridictions interrégionales spécialisées, très actives en la matière, ont toute leur pertinence.
Je rappellerai pour conclure que notre arsenal juridique se veut absolument respectueux de la convention internationale relative aux droits de l’enfant. Aucune expulsion n’est possible une fois que l’enfant mineur est entré sur notre territoire. L’accueil est inconditionnel dans le cadre de la protection de l’enfance, sans considération de l’origine ni de la nationalité. Il est prévu un encadrement strict du recours aux tests osseux, assorti d’une présomption de minorité. Nous soutenons l’élaboration d’un référentiel pour harmoniser les pratiques d’évaluation de l’âge en garantissant à la fois un regard bienveillant et pluridisciplinaire.
Nous sommes donc à la fois très stricts et très vigilants sur les obligations légales et sur la coopération franco- italienne, tout en étant extrêmement attentifs à rester dans le cadre des conventions internationales auxquelles nous avons adhéré. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. Madame la ministre, il était convenu que vous rendiez du temps de parole, pas que vous en preniez davantage. (Sourires.)
La parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’accueil des étrangers en France fera prochainement l’objet de débats approfondis. Au sein de cette vaste question, les solutions à apporter aux limites du système actuel d’accueil des mineurs non accompagnés pourraient en particulier, me semble-t-il, faire l’objet d’un consensus minimal.
Au-delà des critiques externes qui se multiplient aujourd’hui, au sein de la Cour européenne des droits de l’homme, du Comité des droits de l’enfant de l’ONU ou de la part d’associations comme l’UNICEF, la situation sur notre sol d’errance administrative de ces jeunes, parfois encore des enfants, est contraire à plusieurs principes de notre droit : l’irresponsabilité des mineurs, leur droit à la scolarisation, à un hébergement et à l’accès aux soins.
En octobre dernier, le Premier ministre a déclaré que « l’État assumera l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineurs entrants […] jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée ».
Or, dans un récent rapport d’information sénatorial, Élisabeth Doineau et notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy soulignent que le dispositif de l’ASE n’est pas dimensionné pour répondre à ces demandes de nouvelle nature et de nouvelle ampleur. Entre 2010 et 2015, le nombre de personnes demandant à bénéficier de l’ASE a été multiplié par 2,5.
Les cinq jours d’hébergement d’urgence remboursés pour l’évaluation de la minorité représentent une durée bien inférieure aux délais réels observés dans différents départements. Malgré la bonne volonté des conseils départementaux, certains jeunes se trouvent sans solution d’hébergement dans ce laps de temps, ce qui les expose à un risque d’exploitation par des réseaux de traite.
Madame la garde des sceaux, quelles sont, à ce stade, les pistes envisagées par le Gouvernement ? Ne serait-il pas possible de mettre en place des plateformes interterritoriales, financées par l’État, rassemblant des personnels dûment formés à ces problématiques particulières, permettant une meilleure prise en charge de ces personnes le temps de l’évaluation de minorité et avant la phase de répartition entre les départements ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, vous insistez sur l’afflux de mineurs non accompagnés auquel sont confrontés les départements, qui ne parviennent plus à prendre ces jeunes en charge. L’ensemble du Gouvernement s’est donc engagé à adopter des mesures financières en leur faveur.
D’ores et déjà est prévu un abondement du Fonds national de financement de la protection de l’enfance, à hauteur de 6,5 millions d’euros, pour le remboursement de l’évaluation et de la mise à l’abri assumées par les départements. Nous avons également veillé à ce que les engagements pris par l’État en décembre 2016 soient tenus, c’est-à-dire qu’il rembourse aux départements 30 % du coût correspondant à la prise en charge, par les services de l’aide sociale à l’enfance, des MNA supplémentaires au 31 décembre 2017 par rapport au 31 décembre 2016. Voilà pour ce qui concerne les quelques aspects financiers, dont je sais bien qu’ils ne couvrent pas la réalité de la totalité des dépenses.
C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du prochain plan d’action en cours d’élaboration, nous réfléchissons à un certain nombre de dispositifs. En fonction de ce qui résultera des conclusions du rapport de la mission d’inspection que j’évoquais précédemment, la prise en charge promise par l’État du dispositif d’évaluation sera soit simplement assumée, soit totalement assurée ; rien n’est encore décidé.
Nous réfléchissons également à de nouveaux critères de répartition entre les départements et souhaitons nous pencher sur la participation financière de l’État à l’ensemble du dispositif, qu’il s’agisse d’accentuer le suivi médical, psychologique et éducatif du mineur, d’améliorer les dispositifs de sortie de l’ASE et, en parallèle, de continuer à lutter contre le trafic des migrants, même si cette dernière action relève plutôt du budget justice-police. Tout dépendra, bien sûr, des arbitrages qui seront rendus par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne, pour le groupe Les Républicains.
M. Bernard Bonne. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à être d’ex-présidents de département ou d’ex-vice-présidents d’exécutif départemental chargés des affaires sociales. La prise en charge des mineurs isolés est effectivement un problème récurrent. L’aspect financier ayant déjà été largement abordé, j’insisterai sur les modalités d’accueil, qui sont d’une grande complexité.
Le département de la Loire, pour prendre cet exemple, a pris en charge 210 MNA en 2016 et 275 en 2017. Surtout, il en a accueilli 358 au total entre les mois de janvier et d’octobre de l’année dernière. Parmi ces mineurs, 44 sont hébergés dans des hôtels, 20 dans des MECS. Il est parfois arrivé d’en placer dans des foyers de l’enfance. Force est de constater la saturation et l’inadaptation totale des lieux d’accueil pour ces mineurs étrangers arrivant en France. Ces derniers déstabilisent souvent les établissements dans lesquels ils sont accueillis, qui ne sont pas adaptés.
Les difficultés rencontrées par les départements doivent être résolues. Elles dépassent le seul cadre financier. Pour pouvoir accueillir ces jeunes durablement, il convient notamment de préciser les modalités d’évaluation de l’âge osseux et de la minorité, car les règles actuelles ne sont pas toujours appliquées et acceptées. Il faudrait également revoir les clés de répartition entre les départements et éviter que les ordonnances de placement provisoires pour poursuite d’évaluation quant à la minorité ou l’isolement ne soient prises en charge que par les départements, en attendant que la minorité ou la majorité soit déterminée. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, dans le cadre de la mission d’inspection qui a été diligentée, c’est bien la question de la reprise par l’État, sur le plan financier, mais peut-être aussi matériel, de la phase initiale de mise à l’abri et d’évaluation qui est concernée.
Dès lors que le jeune serait effectivement déclaré mineur, le département conserverait la totalité de ses compétences, avec, comme c’est le cas actuellement, une participation financière de l’État qui pourrait être réévaluée. Il est important de le rappeler, nous resterions bien dans le cadre d’une compétence départementale.
Mme Assassi l’a rappelé, nous manquons parfois de lieux d’accueil permettant la mise à l’abri des mineurs non accompagnés. Vous l’avez dit vous-même, cela conduit à des situations extrêmement délicates, certains mineurs étant hébergés dans des hôtels où il n’y a pas les structures éducatives ou de prise en charge adéquates.
De ce point de vue, des efforts de réflexion sont à conduire pour assurer, ensemble, la mise à l’abri de ces jeunes durant la phase d’évaluation. Ce serait d’ailleurs une avancée indiscutable que de parvenir à réduire la durée de cette phase. À l’heure actuelle, nombre de jeunes demandent sans cesse une réévaluation de leur minorité, ce qui prend de plus en plus de temps ; les départements sont asphyxiés. Une harmonisation des processus d’évaluation permettrait d’éviter ces réévaluations successives, de diminuer le temps consacré à l’évaluation et à la mise à l’abri initiale, et de fluidifier nos dispositifs en la matière.
M. le président. Madame la garde des sceaux, vous avez dépassé votre temps de parole de six secondes. Mais je ne vous en tiens pas rigueur. (Sourires.)
La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe La République En Marche.
M. Michel Amiel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le Président de la République s’est rendu hier à Calais, que les discussions sur le futur projet de loi sur le droit d’asile prennent de l’ampleur, je veux à mon tour, à l’occasion de ce débat, aborder la question de l’articulation des responsabilités entre le département et l’État.
Concernant un problème aussi spécifique et relevant de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, que la France a signée, il ne me paraît pas souhaitable qu’il fasse l’objet d’une simple annexe au prochain projet de loi.
En effet, pour les mineurs isolés, c’est au niveau du département que s’effectue la prise en charge, au travers de l’aide sociale à l’enfance. Ces services sont déjà sous haute tension budgétaire et pâtissent d’un manque de places. La situation est à ce point critique que certains syndicats ont donné l’alerte.
Il est difficile pour ces collectivités locales de faire face à une présence accrue de mineurs isolés. Dans mon département, les Bouches-du-Rhône, 577 sont recensés, chiffre qui a plus que doublé.
Les services de l’ASE ne sont pas égaux face à la situation en fonction de leurs difficultés propres et du nombre de mineurs isolés à prendre en charge, qui varie d’un département à l’autre, et ce malgré les mécanismes de péréquation.
Outre la question du nombre de places disponibles, il reste essentiel, comme notre assemblée l’avait rappelé, de bien penser le parcours de soins de ces jeunes. Plusieurs propositions ont ainsi été faites en ce sens par les coordinateurs PASS de la région PACA, parmi lesquelles je citerai la nécessité d’assurer les soins psychiques et de revoir la question de l’âge osseux.
Aussi, madame la ministre, je souhaite savoir où en est la réflexion entre l’État et les départements pour une meilleure articulation, voire une meilleure répartition de la prise en charge de ces mineurs isolés. En effet, M. le Premier ministre avait donné quelques assurances à ce sujet lors de son déplacement à Marseille pour le congrès de l’Assemblée des départements de France. Ne pourrions-nous pas maintenir l’expertise des départements en la matière, dans leur rôle de protection de l’enfance, et convenir simplement d’une participation financière de l’État ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, c’est l’une des hypothèses envisagées par la mission d’inspection dont j’ai déjà fait plusieurs fois état au cours de ce débat. Cette mission travaille uniquement sur la phase de l’évaluation et ne traite absolument pas la compétence de la prise en charge du mineur lorsqu’il est déclaré mineur. Je sais combien votre département, les Bouches-du-Rhône, est particulièrement concerné par les difficultés posées par l’évaluation et la mise à l’abri.
À l’échelon national, pour ce qui concerne cette phase dite d’évaluation, l’État rembourse au département l’équivalent de cinq jours à 250 euros, soit 1 250 euros. Selon l’Assemblée des départements de France, la dépense pour 2016 et pour l’ensemble des départements se serait élevée à 155 millions d’euros, alors que l’Agence de services et de paiement n’a remboursé aux conseils départementaux que 65 millions d’euros. Cette différence permet de mesurer la difficulté évidente que soulève la prise en charge pour les départements.
Le travail de la mission d’inspection consiste donc à édicter un certain nombre de nouvelles règles liées à l’harmonisation des procédures d’évaluation, et ce afin d’éviter, par exemple, que le département de Vaucluse ne remette en cause l’évaluation faite dans celui des Bouches-du-Rhône. D’autres pistes pourraient être envisagées.
Il faut en outre, bien sûr, accompagner les mises à l’abri. La mission d’inspection a rendu son rapport d’étape à la mi-décembre et devrait remettre son rapport définitif dans quelques jours ; la date du 22 janvier est évoquée. Sur cette base, les décisions interviendront rapidement.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 21 décembre dernier, je me suis rendue au centre pour mineurs non accompagnés ouvert par Médecins sans frontières à Pantin. J’y ai passé la matinée à dialoguer avec l’équipe de professionnels qui les accueille, les informe et les oriente, et à observer ces jeunes hommes épuisés par l’exil et la vie dans la rue depuis leur arrivée sur notre territoire.
La sérénité qui règne là est frappante, mais laisse peu à peu place à la révolte. Révolte de constater la faillite totale de l’État dans son devoir de protection de l’enfance. Révolte à l’écoute des récits de ces jeunes et face à la maltraitance des institutions à leur égard.
Un garçon de quatorze ans s’est présenté ce matin-là au centre. Il dormait dans la rue depuis plusieurs jours. Il s’était soumis au dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers pour être pris en charge. Or, dès le guichet, il lui avait été notifié qu’il n’était pas mineur et ne pouvait entrer dans aucun dispositif, ce, à l’évidence, en violation de notre droit et de nos engagements internationaux.
En octobre dernier, lors d’un déplacement dans la vallée de la Roya, j’ai assisté, à la gare de Menton-Garavan, à une tentative de renvoi en Italie d’une jeune fille de seize ans. Les forces de l’ordre, supposées la protéger, l’escortaient pour s’assurer qu’elle reprenne le train.
Madame la garde des sceaux, ma question est simple : que compte faire le Gouvernement pour que soient enfin respectés, sur notre territoire, les lois françaises, le droit international et le plus élémentaire des devoirs, celui de protéger tous les mineurs ?
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, votre question est à la fois juridiquement pertinente et humainement très sensible. Elle est liée à la minorité ou à la majorité de la personne qui se présente sur notre territoire. C’est bien dans cette reconnaissance de minorité ou dans cette déclaration de majorité que va se trouver la ligne de partition des droits susceptibles d’être demandés par cette personne.
Je le redis, nous parlons de mineurs. Le Premier ministre a été extrêmement clair à leur sujet. Voici un extrait du discours qu’il a prononcé devant les présidents de conseil départemental lors du congrès de l’Assemblée des départements de France : « C’est le rôle de l’État d’accueillir dignement une personne étrangère sur notre territoire, de lui assurer la protection correspondant à son statut, de s’assurer que les titres qu’elle présente sont authentiques, de déterminer enfin son âge. Il nous faut donc mettre en place des dispositifs d’accueil et un processus de prise en charge spécifique ; adapter les dispositions législatives ; clarifier la question des coûts. »
De ces mots du Premier ministre ressort à la fois l’exigence éthique que nous devons avoir, et à laquelle nous avons souscrit par l’adhésion aux conventions internationales, et le réalisme lié à la réalité des coûts supportés par les départements. C’est dans cet équilibre que nous pouvons trouver les bonnes réponses.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe Union Centriste.
Mme Élisabeth Doineau. Je remercie tout d’abord vivement Mme Assassi d’avoir proposé un débat sur cette question, laquelle nous a également occupés quelques semaines, Jean-Pierre Godefroy et moi-même, au printemps dernier.
Avec les administrateurs qui nous accompagnaient, nous avons essayé d’aborder ce sujet avec méthode. Nous avons évidemment dialogué avec des conseillers départementaux, mais aussi avec les représentants de toutes les associations qui étaient en mesure de nous communiquer des éléments d’information. Nous avons aussi rencontré certains de ces jeunes : nous avons vu leurs regards, entendu leurs histoires bien particulières.
Le rapport que nous avons présenté à la commission des affaires sociales nous a permis de démontrer que nous pouvions, tous ensemble, trouver un chemin pour donner du sens à la politique d’accueil des jeunes mineurs non accompagnés.
Les difficultés tiennent surtout au nombre de mineurs à prendre en charge. Chaque jour, 50 jeunes arrivent sur notre territoire et se déploient sur l’ensemble de nos départements, qui rencontrent aujourd’hui des difficultés. Les services sont saturés et les personnels sont à bout, car ils ont du mal à trouver les moyens nécessaires pour accompagner au mieux ces jeunes.
Afin que notre rapport ne finisse pas dans un tiroir, j’ai essayé d’alerter les pouvoirs publics. J’ai posé une question à Mme la garde des sceaux en octobre et j’ai rencontré la ministre Jacqueline Gourault, qui a bien compris les enjeux de cette politique. J’ai également travaillé avec un réseau associatif, l’URIOPSS.
Aujourd’hui, nous nous orientons vers une formation ou un diplôme qualifiant pour ces personnels des conseils départementaux qui rencontrent des difficultés, non seulement dans l’accompagnement de ces jeunes, mais aussi, et surtout, pour remplir leur fonction d’expertise sur l’état de minorité de ces derniers.
M. le président. Vous avez profité d’un moment d’inattention de ma part… (Sourires.) Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Élisabeth Doineau. Je vous renvoie à notre rapport, que je continue à porter pour faire avancer ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Ma réponse sera extrêmement brève, monsieur le président.
J’ai lu votre rapport, madame la sénatrice, mais j’aimerais beaucoup en discuter de vive voix avec vous pour mesurer l’écart entre vos propositions et la pratique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Laurence Rossignol. Effectivement, madame la garde des sceaux, il faut toujours rappeler que les mineurs non accompagnés constituent l’un des volets de la politique de protection de l’enfance. Il s’agit avant tout d’enfants qui, conformément aux conventions internationales, en particulier celle qui est relative aux droits de l’enfant, doivent être accueillis dans les mêmes conditions que les autres enfants.
Je précise que la loi du 14 mars 2016 a rendu plus juste et plus efficace la procédure de détermination de la minorité. Madame Assassi, les tests osseux sont aujourd’hui tellement encadrés qu’ils sont rares. Il faut à la fois une décision du juge et l’accord de l’intéressé. En cas de doute, celui-ci profite toujours à celui qui déclare être mineur. Il me semble donc que la question des tests osseux ne se pose plus de la même manière que par le passé.
Pour autant, disons les choses clairement : les mineurs accueillis bénéficient certes de la splendeur de la protection de l’enfance, à savoir cette capacité d’accueil égale pour tous, mais ils sont aussi confrontés à sa misère, c’est-à-dire à tous ses dysfonctionnements, en particulier s’agissant du droit à suivre des études.
Il n’est pas rare que les mineurs isolés, qui, en plus de s’adapter facilement à nos structures de protection, sont fréquemment de bons élèves – ils ont eu des parcours extrêmement exigeants et sont souvent très déterminés – soient confrontés au couperet de la cessation des études. Ça me fend le cœur ! Quelle injustice quand on leur refuse l’accès à une première ou une terminale S ! Il faut que les professeurs aillent supplier les départements de prévoir des dérogations. Sinon, ces jeunes sont orientés vers des contrats d’apprentissage.
Madame la garde des sceaux, l’accueil des mineurs non accompagnés fragilise tout le système de protection de l’enfance. Vous le savez comme moi : le temps qui s’écoule entre une décision de placement et le placement effectif est bien trop long pour protéger les enfants.
Pour avoir contribué à élaborer les dispositifs actuellement en vigueur, et que vous allez probablement améliorer, il est temps, me semble-t-il, que l’État assume en la matière une politique régalienne.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Laurence Rossignol. C’est notre choix républicain d’accueillir tous les enfants dans les mêmes conditions. C’est donc à l’État de prendre en charge les mineurs non accompagnés, de sorte que les départements puissent se consacrer aux autres enfants, qui ne sont pas moins nombreux que par le passé à devoir bénéficier des systèmes de protection. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Mes chers collègues, certains orateurs, appartenant à différents groupes, ont dépassé leur temps de parole. Afin que nous puissions nous rendre à la cérémonie des vœux du président du Sénat, je ferai désormais preuve d’une fermeté absolue.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je partage pleinement votre point de vue, madame la sénatrice. J’ai apprécié votre référence à la splendeur et à la misère de la protection de l’enfance, l’image est très juste. J’ai apprécié également votre conclusion : l’entrée sur le territoire est par essence une politique régalienne. Il s’agit donc bien, pour l’État, d’exercer une compétence qui lui revient naturellement. C’est ce que souhaite le Président de la République et ce que le Premier ministre a traduit dans sa lettre de mission. Il faut que l’État reprenne à sa charge la phase d’évaluation, au cours de laquelle on va déterminer si l’enfant est mineur ou majeur. Il s’agit bien de l’exercice même d’une compétence régalienne.
Mme Laurence Rossignol. C’est vrai aussi de la prise en charge !
M. René-Paul Savary. En effet !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. L’État est responsable de l’accueil sur le territoire. Il n’y a donc guère de doute sur son rôle en matière d’évaluation. Et c’est lui qui doit également assurer la mise à l’abri pendant cette phase d’évaluation.
Ensuite, il y a sans doute des interventions qui relèvent aussi d’une compétence décentralisée dont les conseils départementaux ne souhaitent d’ailleurs pas nécessairement se dessaisir. Il faut voir dans quelle mesure l’État doit les accompagner, mais je pense que le système est ainsi bien équilibré. Nous pourrons toutefois éventuellement rediscuter de ce point.
Enfin, sur le droit à suivre des études, je comprends parfaitement vos propos, madame la sénatrice. Je me suis moi-même rendue dans un lieu d’accueil de mineurs étrangers, à Pessac en Gironde, et j’ai pu effectivement constater la difficulté du couperet des dix-huit ans pour ces jeunes. Il faut, si possible, accompagner de manière transitoire et progressive ces jeunes.
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la prise en charge des mineurs non accompagnés relève de situations complexes, d’un point de vue à la fois humain, sanitaire, juridique, organisationnel et financier.
Face à cette situation, le Premier ministre a annoncé que l’État assumerait, à la place des départements, l’évaluation et l’hébergement d’urgence des personnes se déclarant mineures, et ce jusqu’à ce que leur minorité soit confirmée.
Cependant, et comme plusieurs orateurs avant moi l’ont rappelé, une grosse partie du financement revient toujours aux conseils départementaux, via la protection de l’enfance. En effet, comme vous le savez, la prise en charge peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années.
Ainsi, plusieurs problèmes se posent, notamment la saturation des structures d’accueil, l’impossibilité d’anticiper la progression des dépenses budgétaires, ou encore l’urgence de situations particulières et complexes.
L’accueil de ces jeunes non accompagnés n’est pas remis en question, mais certains départements semblent plus concernés que d’autres. Et c’est précisément parce que ces jeunes doivent être pris en charge dans de bonnes conditions que les départements demandent plus de garanties à l’État, pour des personnes qui se présentent de plus en plus sans document d’identité, ce qui complexifie l’évaluation de la minorité.
Dans leur rapport de juin 2017, les sénateurs Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy soulignaient déjà la nécessité de revoir le processus d’évaluation.
Si les agents de l’aide sociale à l’enfance, chargés de l’accueil et de l’accompagnement des mineurs isolés, font de plus en plus preuve de compétences spécifiques – linguistiques, géopolitiques ou sociologiques… –, le juge des enfants semble rarement tenir compte de ces évaluations initiales, qui sont systématiquement remises en cause lorsqu’un jeune déclaré majeur engage un recours via les associations.
Au-delà de l’aspect financier, c’est bien une amélioration du dispositif que les départements sont en droit d’attendre. Ne pensez-vous pas qu’une formation partagée, cohérente et adaptée de l’ensemble des acteurs permettrait des décisions mieux comprises et un accueil plus serein des mineurs isolés ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je pourrais vous parler d’indépendance de la justice, monsieur le sénateur. Toutefois, au-delà de ce renvoi à nos principes fondateurs, je suis évidemment parfaitement au courant de ce que vous soulignez.
Un certain nombre de décisions d’évaluation de majorité peuvent en effet être remises en cause par le juge et donner lieu à des réévaluations, dans le département qui a procédé à la première évaluation ou dans un autre département.
Il me semble extrêmement difficile d’envisager de remettre en cause la conception même de ce système, qui fait partie intégrante des droits des enfants.
En revanche, il me semble que nous pouvons travailler à l’harmonisation des processus d’évaluation, de sorte que tous les acteurs aient davantage confiance dans les procédures et les pratiques.
Nous le savons tous peu ou prou : ces pratiques sont extrêmement pluridisciplinaires, le jeune étant pris en charge par plusieurs intervenants. Une meilleure harmonisation des processus d’évaluation permettrait sans doute au juge d’être plus confiant à l’égard du résultat des procédures lorsqu’il est appelé à statuer.
Nous voulons donc en quelque sorte sécuriser le processus d’évaluation.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour le groupe Les Républicains.
Mme Laure Darcos. Madame la garde des sceaux, je suis consciente d’être redondante par rapport aux précédentes interventions de certains de mes collègues, mais cela montre la gravité de la situation de part et d’autre.
Notre pays accueille chaque année toujours plus de mineurs étrangers privés de la protection de leur famille. C’est une réalité qu’il faut appréhender avec objectivité, sans esprit partisan ni volonté polémique.
Oui, nous devons protection à ces mineurs, comme nous y engage la convention internationale relative aux droits de l’enfant, dont la France est signataire.
Oui, nous devons mettre en œuvre toutes les mesures qui s’imposent pour faciliter leur parcours migratoire et leur insertion future, et les aider à devenir des citoyens éclairés et responsables.
En revanche, nous devons lutter avec une extrême fermeté contre les filières migratoires faisant venir sur notre territoire des adolescents ou des jeunes adultes à des fins strictement économiques, voire d’exploitation s’apparentant à une traite des êtres humains.
Dans mon département, l’Essonne, la situation devient particulièrement préoccupante, avec l’arrivée non régulée et difficilement maîtrisée d’un très grand nombre de mineurs non accompagnés, plus de 600 en 2017.
Les établissements dédiés à la protection de l’enfance sont débordés, les travailleurs sociaux, formés avant tout pour apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique à l’enfance en danger, sont contraints de mettre en œuvre des actions d’accompagnement social et éducatif qui ne relèvent pas de leur compétence première.
Le conseil départemental assume néanmoins toutes ses responsabilités, y compris financières – plus de 30 millions d’euros de dépenses budgétaires en 2017 – et vient en appui des associations, qui font un travail de terrain tout à fait remarquable.
L’actuelle organisation fait cependant courir aux départements et à leurs présidents des risques juridiques majeurs, notamment de nature pénale. Ces derniers ne disposent pas, en particulier, du pouvoir de réquisitionner les logements nécessaires à la mise à l’abri des mineurs concernés, contrairement à l’État, qui se refuse certaines fois à exercer cette compétence.
J’en appelle donc au bon sens pour traiter ce problème critique et souhaite, madame la ministre, des mesures fortes de la part de l’État, qui doit agir sans tarder pour mieux contrôler les évaluations et permettre aux départements de recentrer leur action sur les jeunes les plus vulnérables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je suis d’accord avec votre conclusion, madame la sénatrice : nous voulons un État davantage présent dans la phase d’évaluation, ce qui permettra aux départements de se recentrer sur la prise en charge post-évaluation, une fois la déclaration de minorité établie.
Le département de l’Essonne doit en effet faire face à un afflux tout à fait considérable de mineurs non accompagnés. On me dit que ces mineurs sont pris en charge dans des foyers, mais qu’un appel à projets était en cours début 2017 pour la création d’une résidence sociale permettant d’accueillir 100 mineurs non accompagnés, notamment dans des appartements partagés, et qu’une association est chargée de ce dispositif.
Au-delà de l’afflux de jeunes que vous avez relevé, madame la sénatrice, votre département présente une autre singularité, puisqu’il abrite le centre des jeunes détenus de Fleury-Mérogis, que j’ai également visité. Ces jeunes détenus doivent aussi faire l’objet d’une prise en charge un peu particulière, dont l’État a bien évidemment la responsabilité pleine et entière.
En toute hypothèse, je rappelle notre ligne directrice : la scission entre l’évaluation et la mise à l’abri initiale d’une part, l’appui au département sur les politiques éducatives, d’autre part.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans notre pays, cela a été dit, on dénombre plus de 25 000 mineurs isolés étrangers, concentrés principalement à Paris, dans le Nord-Pas-de-Calais et la Seine-Saint-Denis.
S’il est devenu habituel d’occulter la question ultramarine, je me suis donné comme mission de la rappeler systématiquement au bon souvenir de notre assemblée et des différents gouvernements qui se succèdent.
À Mayotte et en Guyane, la problématique des mineurs étrangers isolés dépasse largement la politique d’aide sociale à l’enfance relevant des conseils départementaux, par ailleurs fragiles financièrement.
Le contexte géographique de ces deux départements les soumet à une pression migratoire intense, qui intéresse les ministères de la justice, de l’intérieur et des affaires étrangères, et qui rend irréalisable une quelconque péréquation.
Mayotte compte, à elle seule, plus de 3 000 mineurs isolés, dont 500 en grande fragilité, absolument livrés à eux-mêmes, et parfois à la prostitution. Parmi eux, 87 % proviennent des Comores : ils ont été abandonnés sur le territoire après que leurs parents ont été reconduits à la frontière.
Le rapport d’information du 28 juin 2017 d’Élisabeth Doineau et de Jean-Pierre Godefroy relevait également que « la question des MNA dans ces territoires […] mériterait une étude approfondie. »
Aussi, madame la garde des sceaux, je souhaite tout d’abord savoir quand les départements d’outre-mer, notamment la Guyane et Mayotte, pourront au minimum se voir appliquer les dernières dispositions législatives, particulièrement le dispositif national de mise à l’abri et, mieux encore, pour compenser l’absence de péréquation, bénéficier d’un prolongement de la prise en charge financière au-delà des cinq jours.
Ensuite, est-ce que le Gouvernement envisage de mettre en place une solution pérenne en engageant une véritable coopération avec les pays avoisinants et en développant une réflexion interministérielle sur ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur.
Effectivement, les départements d’outre-mer ne bénéficient pas, pour le traitement des mineurs non accompagnés, d’un certain nombre de dispositions de la loi du 14 mars 2016, notamment du système de répartition des mineurs. Cela pose évidemment des difficultés.
Un soutien leur est toutefois apporté. La loi précitée et le décret du 24 juin 2016 ont prévu que les cinq collectivités qui relèvent de l’article 73 de la Constitution bénéficieront du remboursement des dépenses engagées dans la phase de mise à l’abri et d’évaluation de ces jeunes, sur la base du montant forfaitaire que vous connaissez.
J’ai parfaitement conscience du nombre de jeunes qui arrivent en Guyane et à Mayotte et de la difficulté singulière de leur prise en charge. Vous avez soulevé des points absolument essentiels en matière de sécurité sanitaire, de traitement éducatif et de délinquance pénale. Ces questions m’ont été rapportées à plusieurs reprises.
Il semblerait toutefois qu’une application stricto sensu de la loi de 2016 soit difficile à envisager. C’est la raison pour laquelle c’est aussi un sujet dont j’aimerais pouvoir parler avec vous de manière spécifique, afin que nous puissions avancer sur ce dossier. C’est donc une seconde proposition de rendez-vous que je formule ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Dominique Watrin. Madame la ministre, j’étais lundi à Calais avec les principales associations d’aide aux migrants pour faire le point sur la question des mineurs isolés qui échouent dans cette ville dans l’espoir d’un passage clandestin au Royaume-Uni.
Selon ces associations, ces mineurs représentent entre 40 % et 60 % des 700 migrants actuellement présents dans le Calaisis, soit entre 300 et 400 jeunes. La plupart seraient admissibles au droit d’asile ou au rapprochement familial s’ils avaient accès au sol britannique. Mais le déplacement de la frontière anglaise de Douvres à Calais du fait des accords du Touquet les en empêche.
Lors de la fermeture de la jungle de Calais, plus de 700 personnes, dont nombre de mineurs isolés, avaient été admises en Grande-Bretagne, et cela en 24 heures, alors que beaucoup d’entre eux étaient préalablement bloqués à Calais depuis des semaines, vivant dans la lande une expérience souvent traumatisante.
Je veux aussi adresser un démenti à tous ceux qui instrumentalisent ces situations pour en rendre responsables les associations, lesquelles apportent pourtant aide et réconfort à ces mineurs et sauvent heureusement l’honneur de notre pays.
Madame la ministre, le président Emmanuel Macron va rencontrer demain Mme Theresa May. Quels moyens va-t-il enclencher pour obtenir l’admission en urgence des mineurs isolés qui vivent dangereusement à Calais ? Je vous rappelle que quatre d’entre eux ont perdu la vie en un mois sur la rocade. Je pense aussi à ces jeunes qui sont dans les griffes des réseaux de passeurs, victimes parfois des pires trafics d’êtres humains.
Quelles mesures prendre pour obtenir l’examen rapide des dossiers des autres demandeurs d’asile et pour gérer, de façon efficace et humaine, sur le long terme, le passage légal vers la Grande-Bretagne, dans le respect des accords internationaux dont nos deux pays sont signataires ?
Le renforcement des mesures sécuritaires a montré ses limites ; on peut rajouter des kilomètres de grillage, cela ne changera pas beaucoup la situation. Il faut renégocier les accords du Touquet, en remettant la frontière là où elle était.
Plus généralement, c’est un autre partenariat qu’il faut établir, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, pour mettre fin à la situation inhumaine que vivent ces jeunes, tout au long d’un périple souvent traumatisant, mais aussi une fois qu’ils sont bloqués à Calais, dans notre propre pays. Nous en sommes tous responsables !
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous soulevez une réalité, monsieur le sénateur. Un nombre important de mineurs se trouvent en effet sur le territoire du Calaisis et veulent passer en Grande-Bretagne. Vous avez raison d’indiquer que, après l’évacuation de la jungle de Calais en 2016, des jeunes ont eu la possibilité de passer en Grande-Bretagne.
Le Président de la République souhaite que le protocole additionnel aux accords du Touquet dont il va demander la négociation contienne des éléments très précis sur les mineurs. Il désirerait notamment que le Royaume-Uni puisse accueillir, d’une part, tous les mineurs qui ont un parent en Grande-Bretagne, d’autre part, un certain nombre de mineurs qui ne disposent pas de liens familiaux dans ce pays. Une double disposition figurerait donc dans le protocole additionnel.
Comme vous l’avez souligné, la difficulté est encore accrue par le fait que ces jeunes refusent généralement le dispositif de mise à l’abri qui leur est proposé, parce que leur seul objectif est de passer en Grande-Bretagne et qu’ils ne souhaitent absolument pas rester en France. Les associations qui effectuent des maraudes jouent à cet égard un rôle extrêmement important pour essayer de les convaincre.
Il faut ajouter à cela une difficulté annexe : beaucoup de ces jeunes viennent d’Érythrée et nous avons du mal à trouver des interprètes qui comprennent certains des dialectes qu’ils emploient.
Au final, la situation est donc assez complexe à gérer. J’espère que le protocole additionnel permettra de résoudre une partie de la difficulté.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar, pour le groupe Union Centriste.
Mme Nassimah Dindar. Madame la garde des sceaux, je veux revenir sur la situation de Mayotte : ce département est confronté à une problématique bien spécifique, comme vous l’avez rappelé en réponse à l’intervention de mon collègue Thani Mohamed Soilihi.
Je souhaite vous interpeller sur trois points et vous faire deux propositions pour ce qui concerne Mayotte.
Tout d’abord, l’amélioration de l’attribution des délégations d’autorité parentale aux proches peut faciliter le tutorat par les familles des enfants en vue de leur scolarisation, ce qui n’est pas encore le cas à Mayotte. J’aimerais avoir votre sentiment sur cette mesure.
Ensuite, les problèmes de santé des mineurs reçus au centre hospitalier de Mayotte – on leur demande d’ailleurs de payer 10 euros, je le souligne en passant – demeurent préoccupants. L’application de l’ordonnance sur les mineurs et les femmes enceintes reste complexe et insuffisante. Les associations de terrain rencontrent des difficultés et cet aspect mériterait des précisions de votre part, madame la ministre.
Enfin, quels sont les moyens financiers que l’État pourrait accorder de manière exceptionnelle au conseil départemental de Mayotte pour une mise en place rapide des prérogatives de la collectivité au titre de l’ASE, Mayotte n’ayant pas encore de foyer de l’enfance, en raison du coût et du temps requis ?
Il reste encore beaucoup à faire sur les politiques publiques de l’enfance et de la jeunesse. Je rappelle que la moitié de la population a moins de dix-huit ans et que Mayotte est le département le plus pauvre et le plus inégalitaire de France. L’île compte plus de 40 % d’étrangers, dont une moitié de mineurs. Mais 39 % des personnes étrangères à Mayotte y sont nées.
Le conseil départemental de Mayotte rencontre des difficultés financières et il reste aussi beaucoup à faire au titre de l’ASE.
Vous l’aurez compris, madame la ministre, à Mayotte, beaucoup d’enfants sont sans papiers, sans parents… Pour autant, je ne crois pas que tout le monde s’en fout ! Après avoir entendu le président Emmanuel Macron en visite à Calais, j’espère que vous allez me confirmer, madame la ministre, que le Gouvernement ne compte pas laisser notre politique migratoire contaminer le champ de la protection de l’enfance. Car, entre Mayotte et les Comores, la politique migratoire est bel et bien concernée.
Je souhaite pour terminer vous soumettre deux pistes de réflexion, madame la ministre.
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Nassimah Dindar. Premièrement, ne pouvons-nous pas nous appuyer sur le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 relatif à l’expérimentation territoriale qui s’applique à Mayotte, ainsi qu’aux régions Pays de la Loire et Bourgogne-Franche-Comté ?
Deuxièmement, comment pourrait-on faciliter la conclusion d’accords bilatéraux entre les Comores et Mayotte, sur le modèle signé avec la Roumanie en 2003 ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Je crains fort toutefois de ne pas être en capacité d’y répondre dans toutes ses subtilités. Il est très difficile pour moi, sur un sujet certes d’importance, mais très singulier, de vous apporter une réponse parfaitement précise.
Nous partageons manifestement le même constat, mais il faudrait que je puisse étudier chacune des hypothèses que vous formulez.
Selon l’association Solidarité Mayotte, il y aurait en effet entre 3 000 et 6 000 mineurs non accompagnés dans ce département, ce qui est évidemment très important. L’aide sociale à l’enfance n’en prendrait en charge qu’une infime partie et les évaluations ne seraient évidemment pas menées.
La protection de l’enfance est un enjeu majeur à Mayotte, dans un contexte spécifique, avec une démographie dynamique et un nombre très important de mineurs qui sont nés dans la République des Comores et qui vivent donc sans référent adulte à Mayotte.
Il faut aussi souligner le déficit, voire l’absence de structures d’accueil pour ces mineurs.
La situation est également complexe en matière sanitaire et de cohésion sociale, comme je le précisais tout à l’heure en réponse à l’un de vos collègues.
Il me semble toutefois qu’une application stricto sensu de la loi relative à la protection de l’enfant serait très difficilement réalisable. Il faut plutôt envisager un traitement singulier de ce sujet.
La délinquance pénale est aussi extrêmement importante et très souvent associée aux mineurs isolés. Nous avons prévu en 2018 l’ouverture d’un centre éducatif renforcé, mais cela ne suffira pas à faire une politique d’accueil pour les mineurs isolés. Vos deux interventions, madame Dindar, monsieur Mohamed Soilihi, m’incitent vraiment à retravailler ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Yves Leconte. Nous sommes nombreux ici à avoir ou à avoir eu des enfants âgés de dix-huit ans. Pensons-nous que leur besoin d’accompagnement dans la société est différent selon qu’ils ont dix-huit ans moins deux jours ou dix-huit ans plus deux jours ? Pas vraiment ! Pourtant, concernant les mineurs non accompagnés, la réponse est binaire : soit ils ont moins de dix-huit ans, soit ils ont plus de dix-huit ans et, donc, plus de droits. Pour les étrangers qui ne maîtrisent ni la langue ni les codes de notre pays la situation est encore plus grave. Rappelons que 25 % des SDF dans notre pays ont été pris en charge auparavant par l’ASE.
Madame la garde des sceaux, je veux saluer la volonté de l’État de mieux encadrer et harmoniser l’évaluation de la minorité. Certaines méthodes sont aujourd’hui inacceptables, comme les tests osseux. En outre, quand je lis ce texte indiquant à un mineur non accompagné qu’il a fait preuve d’une autonomie et d’une maturité importantes en décidant lui-même de quitter son pays et en voyageant seul, que son parcours migratoire était court et que sa posture durant l’entretien ne correspondait pas à celle d’un adolescent, et donc qu’il est majeur, je me dis que ce n’est pas une façon d’évaluer une majorité ou une minorité.
Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Jean-Yves Leconte. Je veux vous poser deux questions.
En premier lieu, est-il digne de procéder à des reconduites à la frontière sauvages vers l’Italie de personnes notoirement mineures non accompagnées ? Ne faudrait-il pas changer notre politique à la frontière franco-italienne ?
En second lieu, compte tenu de ce que je viens d’indiquer, comment accompagner le passage à la majorité d’un jeune qui a été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance et a besoin d’un accompagnement spécifique, en particulier pour le droit au séjour et l’intégration dans notre société ? (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. À votre première question, monsieur le sénateur, la reconduite à la frontière, j’ai déjà répondu, à l’invitation de l’un de vos collègues, en évoquant spécifiquement nos relations avec l’Italie. Je n’y reviens donc pas.
Sur votre seconde question, à savoir l’accompagnement du passage à la majorité, j’ai également déjà eu l’occasion de donner quelques éléments. Idéalement, il faudrait que ces jeunes puissent bénéficier d’un contrat d’accompagnement jeune majeur, c’est-à-dire qu’un accompagnement soit possible au-delà de dix-huit ans. Les contrats jeune majeur, il faut le reconnaître, ont parfois été considérés comme une variable d’ajustement compte tenu de la situation financière complexe des départements, car ce sont eux qui, la plupart du temps, prennent en charge ces contrats.
Pour ma part, je souhaite que le plan que nous allons élaborer à la suite de la mission d’évaluation dont j’ai évoqué la mise en œuvre nous permette de mettre réellement en place ces contrats jeune majeur de manière plus incitative et de donner aux jeunes susceptibles d’en bénéficier une carte de séjour avec la mention « salarié » ou « travailleur temporaire » lorsqu’ils doivent poursuivre une formation ou des études. Cela pourrait être une solution transitoire intéressante.
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré, pour le groupe Les Républicains.
M. Benoît Huré. Nous débattons aujourd’hui des mineurs non accompagnés. Au-delà d’enjeux organisationnels, financiers et diplomatiques, ce sont pour la plupart des enfants et des adolescents seuls dont il est question. Leur périple pour arriver en France a été douloureux, dangereux, violent. Il est des témoignages qui sont insupportables à entendre. Ce phénomène, qui s’est considérablement accéléré ces derniers temps, est dramatique et humainement insupportable. Il laisse souvent désemparés tous les acteurs institutionnels.
Ce phénomène migratoire semble s’installer dans la durée ; nous ne pourrons donc plus nous contenter de réponse au coup par coup et dans l’urgence. Aujourd’hui, ils sont près de 50 000 à être attendus dans notre pays. Leur nombre a plus que doublé en deux ans. Le coût de leur prise en charge par les conseils départementaux a été l’an dernier de plus de 1 milliard d’euros. Dans le département des Ardennes, leur nombre a été multiplié par trois au cours de l’année passée.
Si les départements ont des compétences et des responsabilités bien précises en matière d’aide sociale à l’enfance, il n’en va pas de même pour les mineurs non accompagnés, dont la mise à l’abri et la prise en charge relèvent de la politique migratoire de l’État. Toutefois, dans l’urgence, les départements ont dû se substituer à l’État. Or, aujourd’hui, ceux-ci n’ont plus les moyens en personnel, en locaux et tout simplement financiers pour faire face.
Concernant ces mineurs, l’État a désormais pris conscience de la situation, et il y a un souhait de la part de tous les acteurs institutionnels de bien faire. Il importe donc désormais qu’une répartition équitable de la charge financière entre l’État et les départements devienne réalité. Il faut aussi mettre en place une gestion partagée par l’État et les départements d’un dispositif permettant d’assurer un accompagnement adapté aux situations spécifiques des requérants.
Au pays des droits de l’homme, cette dramatique question des mineurs migrants – osons le mot ! – doit être abordée avec la plus grande fermeté à l’égard des passeurs, odieux raquetteurs sans scrupules, et avec la plus grande dignité et humanité envers ces jeunes enfants et adolescents.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est bien une politique migratoire d’ensemble qu’il faut construire en France et coordonner au niveau de l’Union européenne. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je partage votre opinion : c’est bien une politique migratoire d’ensemble qu’il faut construire. Ce que vous avez dit est tout à fait juste : nous sommes face à un phénomène qui s’installe dans la durée, sans doute à l’échelle de plusieurs générations, eu égard aux situations de conflits dans différents États du monde ou aux difficultés liées au développement économique.
La réponse ne réside pas seulement dans la qualité de l’accueil que l’on peut fournir sur le territoire européen ; elle repose aussi sur l’aide qui pourra être apportée aux pays d’origine. C’est un axe de travail – je ne suis pas la première à le dire – que poursuit le Gouvernement, après d’autres, avec une vigueur, je le crois, renouvelée.
Pour le reste, je ne peux que rejoindre vos propos sur le fait que l’État doit pleinement assumer sa mission régalienne d’accueil sur le territoire dans les conditions déjà évoquées et lutter très fermement contre les filières de passeurs. Je puis vous assurer, pour en avoir discuté avec elles, que les juridictions qui sont très impliquées dans ce domaine partagent la volonté du ministre de la justice et du ministre de l’intérieur.
J’espère ainsi que l’aspect régalien de la politique de l’État sera pleinement assumé et que les départements pourront également intervenir dans le domaine de compétence qui est le leur.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste.
M. Olivier Cigolotti. Les départements doivent faire face à l’accueil et à la prise en charge des mineurs isolés. Dans mon département, la Haute-Loire, le nombre de ces jeunes mineurs est évalué à 110, dont 86 ont été pris en charge en 2017.
Le dispositif actuel de l’aide sociale à l’enfance, qui place ces jeunes sous la responsabilité du président du conseil départemental, permet de répondre à leurs besoins vitaux, mais ne favorise pas toujours un accompagnement social à visée d’intégration et d’insertion professionnelle. En effet, ces jeunes mineurs sont malheureusement souvent accueillis dans des structures hôtelières, à défaut d’autres solutions plus adaptées.
À travers mon expérience professionnelle de directeur d’établissement accueillant ces jeunes mineurs isolés, j’ai pu constater à la fois la motivation et le souhait de ces derniers d’être rapidement autonome grâce à un parcours de formation assez court ou en alternance de type apprentissage. Ces jeunes sont en général très mobilisés, et le récit de leur parcours en témoigne. Ils disposent, pour un certain nombre d’entre eux, de réelles capacités d’adaptation dans des métiers tels que l’industrie, le bâtiment ou l’hôtellerie, secteurs d’activité qui aujourd’hui rencontrent de véritables difficultés de recrutement.
De très bons résultats sont aujourd’hui constatés à travers certaines expériences apportant une réponse plus adaptée, notamment à partir de la transposition du dispositif HOPE – hébergement, orientation, parcours vers l’emploi – mis en œuvre par l’AFPA. Il s’agit en effet de travailler prioritairement sur la qualification et les compétences de ces jeunes sur certains types d’emploi.
Madame la garde des sceaux, certes le dispositif ASE permet de répondre partiellement à l’accueil de ces mineurs non accompagnés, mais n’est-il pas urgent de réfléchir, dans le cadre d’une véritable politique migratoire, et compte tenu du fait que ces flux ne vont qu’augmenter à l’avenir, à la mise en œuvre généralisée d’un dispositif spécifique plus adapté à la prise en charge des mineurs non accompagnés ? Cela permettrait à la fois à l’État de procéder à la phase d’évaluation – cela a déjà été évoqué – et aux départements, en lien avec les partenaires locaux de leur choix, de développer un accompagnement principalement axé sur l’insertion et la formation professionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. L’école est un droit pour tous les enfants qui résident sur le territoire national, quels que soient leur nationalité, leur statut migratoire, leur parcours antérieur. L’éducation nationale a le devoir, pour ces enfants comme pour tous les autres, à la fois de leur enseigner les fondamentaux du système éducatif, comme le français, et de les insérer le plus rapidement possible dans une scolarité classique.
Cela étant, vous l’avez souligné à juste titre, monsieur le sénateur, ce n’est pas toujours une scolarité classique qui répond le mieux aux attentes de ces enfants. Il est donc nécessaire à la fois de procéder à une évaluation de leur niveau de compétences scolaires ou d’apprentissage et de mettre en place un dispositif éducatif ou de formation qui leur soit adapté.
Je suis très attentive à votre observation concernant la singularité des dispositifs adaptés qui peuvent être mis en place, notamment celui dont vous avez parlé – HOPE – et qui est mis en œuvre par l’AFPA. Il me semble essentiel que nous travaillions, Muriel Pénicaud, Jean-Michel Blanquer et moi-même, avec l’Assemblée des départements de France en vue de proposer ce type de dispositifs, qui seraient mieux à même de répondre aux difficultés rencontrées par ces jeunes. Ce sont ces formations souvent courtes, vous l’avez indiqué à juste titre, et très professionnalisantes qui pourraient leur être le plus utile, avec évidemment l’apprentissage de la langue. Cette idée est extrêmement pertinente.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Didier Marie. Je veux d’abord remercier nos collègues du groupe CRCE d’avoir provoqué ce débat, qui, quelles que soient nos convictions politiques, doit nous rassembler, car il touche à une valeur chère à la France : l’humanisme.
En Seine-Maritime, ce sont 420 mineurs non accompagnés qui ont été recensés en 2016, un nombre qui ne cesse de croître et qui devrait être largement dépassé en 2017. Ces mineurs sont très fragilisés physiquement et psychologiquement après une errance souvent longue et douloureuse. Les inquiétudes sur les conditions dans lesquelles nous les accueillons sont multiples. L’évaluation de leur situation et de leur minorité est trop brutale sans qu’ils aient été préalablement mis à l’abri pour un temps de répit. Elle est incertaine, comme cela a été souligné précédemment. Le nombre de solutions adaptées reste faible ; ils sont trop nombreux à l’hôtel où ils demeurent pour l’essentiel livrés à eux-mêmes, la plupart d’entre eux n’ont même pas accès aux soins.
Une fois accueillis, beaucoup sont privés de scolarisation. Ainsi, en Seine-Maritime, sur un groupe de 80 mineurs suivis, seule une quarantaine étaient scolarisés, 25 restaient en attente de place et une quinzaine étaient laissés sans solution. Il n’y a aujourd’hui qu’un seul agent au rectorat pour répondre à leur situation, et rien n’est prévu pour ceux qui sont illettrés et les non-francophones.
Le Premier ministre a annoncé que l’État assumerait désormais l’évaluation et l’hébergement d’urgence de ces mineurs. Certes, ce geste peut être perçu comme bienvenu pour aider des départements saturés. Toutefois, il appelle à la vigilance, car il serait dangereux que l’accueil des mineurs non accompagnés soit organisé dans le cadre des politiques migratoires. Ces jeunes doivent être considérés comme des enfants et non comme des étrangers ; ils ne peuvent être accueillis dans les mêmes dispositifs que les adultes et doivent bénéficier de notre système de protection de l’enfance sans discrimination.
Madame la garde des sceaux, ce sujet est extrêmement sensible compte tenu de l’état de l’opinion – de nombreuses confusions sont sciemment entretenues sur les migrants. Les flux ne vont pas se tarir, le nombre de mineurs non accompagnés restera élevé, et il faut mobiliser tous les moyens pour répondre à leurs inquiétudes et leurs angoisses.
Le discours peut être volontariste, mais la situation actuelle n’est pas digne des valeurs de la France. Pouvez-vous nous indiquer quels moyens le Gouvernement entend mettre en œuvre pour assurer une réponse humaniste, apporter un soutien significatif aux départements et favoriser l’inclusion scolaire de ces jeunes ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vos observations sont sévères, mais je les prends bien entendu en compte.
Le constat, nous le partageons, qu’il s’agisse à la fois de l’augmentation du flux – plus de 85 % en un an – et de la hausse des délais d’évaluation, qui, selon une étude de l’ADF, étaient de 40 jours en moyenne en 2017, avec des pics à 180 jours dans certains départements, alors que seules 5 journées sont remboursées aux départements. C’est pourquoi, lorsque le Premier ministre propose que l’État reprenne à sa charge la période d’évaluation, c’est plus qu’un « geste », si je peux me permettre de reprendre votre expression : c’est à la fois une volonté d’assumer de nouveau sa mission régalienne et une charge financière importante.
Le Premier ministre l’a aussi clairement dit, l’État ne fait pas de l’accueil des enfants une politique migratoire. Nous parlons bien des enfants mineurs, pour lesquels, je le redis ici devant vous, la situation est singulière, car ils disposent de droits spécifiques, qui seront bien évidemment respectés par l’État.
Je le rappelle, lorsque l’État affirme, par la voix du Premier ministre, vouloir reprendre en charge l’évaluation et la mise à l’abri, il n’a pas encore décidé si le coût financier de cette évaluation resterait pris en charge par des associations au nom des départements, comme c’est souvent le cas, ou s’il l’assurerait lui-même par des structures qui lui seraient propres. Le plus simple serait malgré tout, sur la base d’une harmonisation des procédures, de laisser les associations continuer leur travail habituel. Voilà mon propre sentiment, mais, je le répète, c’est vraiment plus qu’un geste.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains.
Mme Corinne Imbert. La situation des mineurs non accompagnés est un sujet de préoccupation quotidienne pour les départements. Pour la seule Charente-Maritime, on note que, en 2013, 21 jeunes ont demandé à être reconnus mineurs isolés étrangers et que 17 ont obtenu gain de cause. En 2017, le nombre d’arrivées a explosé, vous l’avez rappelé dans votre propos introductif, madame la garde des sceaux : ce sont 525 jeunes qui sont arrivés dans notre département, dont 106 ont été déclarés mineurs. Au total, à ce jour, plus de 250 mineurs non accompagnés sont confiés au département.
Or, après une décision de majorité, nous observons aujourd’hui des jeunes qui déposent parfois un recours contre les conseils départementaux et des jeunes déclarés majeurs qui se déplacent dans différents départements afin d’essayer d’obtenir le statut de mineur. On assiste alors également à un phénomène de changement d’identité. Ce nomadisme a un coût financier important, puisqu’il mobilise les services départementaux les uns après les autres, ainsi que la police aux frontières. Sur la seule année 2017, le budget consacré par le département de la Charente-Maritime était de 5 millions d’euros. Le budget prévisionnel pour 2018 affiche 6 millions d’euros.
En dépit de ces chiffres, la Charente-Maritime n’est pas dans le peloton de tête des départements les plus touchés par ce phénomène – vous les avez rappelés tout à l’heure. Vous n’ignorez pas que cette situation inquiétante intervient bien sûr dans un contexte de baisse de dotations aux collectivités territoriales.
Bien sûr, la convention internationale relative aux droits de l’enfant existe, de même que les droits de l’homme et l’humanité, mais la politique migratoire de la France ne peut être la même que celle qui a été pratiquée par le passé et doit se discuter au niveau européen ; vous en avez convenu tout à l’heure. Le contexte a changé, et nous devons prendre acte de ces mutations.
Sur la question des mineurs non accompagnés, il faut effectivement agir en adulte responsable. Avons-nous les moyens de l’exigence éthique exprimée par le Premier ministre et que vous venez de rappeler, madame la garde des sceaux ?
En attendant, le Gouvernement entend-il mener une action dans le but de permettre la mise en place d’un fichier biométrique, afin de mettre fin aux phénomènes de fraude à l’état civil, de changements d’identité et d’assurer un véritable suivi de ces jeunes qui sont entrés dans notre pays ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, je répondrai directement à votre dernière question : la mission d’inspection demandée par le Premier ministre réfléchit à cette question. La demande de réévaluation pose en effet des difficultés, puisqu’elle va allonger le temps de l’évaluation.
Trois outils sont envisagés.
Le premier est un recensement biométrique des personnes évaluées, afin d’éviter un « nomadisme protectionnel » – pardonnez cette expression horrible. Cet outil est souhaité par un certain nombre de départements et sans doute également par les parquets afin de pouvoir savoir où vont ces jeunes. Comme vous l’imaginez, il fait l’objet d’une opposition beaucoup plus forte non seulement du Défenseur des droits, mais aussi d’un certain nombre d’associations. Il nous appartiendra de trancher en toute connaissance de cause pour ce qui concerne la mise en œuvre de ce dispositif.
Le deuxième élément de réponse est qu’il faut tendre à une harmonisation des évaluations. J’ai déjà avancé cette proposition, et il nous faudra la concrétiser.
La troisième possibilité serait de rendre l’évaluation opposable dès lors qu’elle a été réalisée.
Nous réfléchissons sur ces différents points, en nous appuyant chaque fois sur la police aux frontières pour les questions d’identité, car elles sont aussi importantes.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour le groupe Les Républicains.
Mme Brigitte Lherbier. Je souhaite revenir sur les départements du Nord et du Pas-de-Calais, qui sont, vous l’avez dit, madame la garde des sceaux, arrivés à saturation.
Je vous ai entendue parler de la bienveillance qu’il faudrait avoir à l’égard de tout enfant en souffrance sur le sol français. Je suis bien évidemment d’accord avec vous. Je suis d’ailleurs entrée en politique à l’origine essentiellement dans cette optique, comme nombre d’anciens conseillers départementaux. L’enfant est une personne vulnérable qu’il faut bien sûr encadrer, soigner et protéger dès lors qu’il souffre. Cette philosophie est la mienne et celle de nombre d’entre nous.
Toutefois, dans le Nord, la situation est différente vu le nombre de migrants – hommes seuls pour la plupart – qui arrivent dans ces départements. Les jeunes qui demandent la prise en charge sont âgés et saturent le dispositif. S’ils sont vraiment majeurs, il faut les épauler en mettant en place d’autres dispositifs. Mais il ne faut pas faire reposer ce problème uniquement sur les épaules de l’aide sociale à l’enfance.
L’augmentation exponentielle des jeunes supposés mineurs dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, comme dans tous les autres départements, entraîne une explosion des coûts d’accueil d’urgence. Le prix de l’aide sociale à l’enfance est de 166 euros par jour en France, ce qui correspond à 60 000 euros par enfant et par an. C’est un lourd problème financier qui fragilise toute la protection.
Les services du département du Nord évaluent à 30 % le nombre de jeunes adultes parmi les demandes d’accueil des mineurs non accompagnés. Les juges, faute de moyens et de preuves, se rangent à la présomption de minorité et condamnent les départements à payer des astreintes pour les loger. Les départements sont donc obligés de les accueillir au sein de maisons d’enfants, afin de ne pas payer ces astreintes.
Dans le même temps, des enfants sont en danger au sein de leur famille – j’insiste sur ce point. Faute de place, ils sont contraints de courir le risque de maltraitance au sein de leur famille. C’est le cas dans mon département du Nord, où 200 mineurs en danger ne peuvent être admis dans les centres d’accueil. Madame la garde des sceaux, ces chiffres sont aussi dramatiques que les autres ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice, j’entends parfaitement votre observation. L’idée n’est pas de préférer les uns aux autres ; il s’agit de construire une politique équilibrée.
Quand je dis que l’État veut reprendre l’évaluation, c’est non seulement pour prendre acte de la partie régalienne de ce dispositif, mais aussi pour soulager financièrement les départements et donc leur permettre réellement, dans le cadre de l’ASE, de prendre en charge l’ensemble des enfants dont ils doivent assurer la protection, soit parce qu’un juge le leur a demandé, soit parce qu’il s’agit de mineurs.
Cette politique plus équilibrée, nous souhaitons la réinscrire dans la durée. C’est vraiment cette recherche qui permettra aux départements de réinvestir pleinement la mission qui est la leur.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour le groupe Les Républicains.
M. René-Paul Savary. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de toutes ces explications. Comme vous l’avez vu, les situations sont totalement différentes d’un département à l’autre. Lorsque j’étais président du conseil départemental de la Marne, j’avais plus de 240 mineurs étrangers isolés, pour un coût de 4,5 millions d’euros ; le budget passera à 5 millions d’euros en 2018 avec, en parallèle, une recette de l’État – merci, madame la garde des sceaux ! – de 300 000 euros…
Le département des Hautes-Alpes, qui est un département d’accueil – on a vu les reportages concernant le passage des migrants sur des cols enneigés avec toutes les difficultés que cela comporte –, a 1 238 jeunes à évaluer. Le coût pour ce département de 140 000 habitants, rien que pour l’évaluation, est de 2 millions d’euros, compensé à peine à 40 % !
C’est pourquoi, madame la garde des sceaux, nous attendons avec impatience les mesures annoncées par le Premier ministre devant l’Assemblée des départements de France. Quelle est l’esquisse de ce qui va être proposé dans quelques jours ?
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, je sais le travail qui est effectué dans le département dont vous assuriez auparavant la présidence.
Je ne vais pas répéter ce que j’ai dit depuis le début de ce débat. Dans le dispositif qui serait prévu par l’État, comme je l’ai dit à Mme la sénatrice Lherbier, il me semble que le rééquilibrage permettra à tous les départements de mieux assumer l’ensemble de leurs missions.
Quant à l’esquisse de la décision, je ne saurais vous dire exactement ce qu’elle est. Je pourrais en revanche vous parler de l’esquisse du rapport de la mission d’inspection.
M. René-Paul Savary. Allez-y !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Elle est ce que j’en ai dit : une reprise en charge par l’État de l’évaluation et de la mise à l’abri, avec un État qui assure ou un État qui assume ce qui est actuellement réalisé par les départements. Je le redis, car ils sont très attachés à ce rôle, les départements resteraient pleinement investis de leurs compétences, par le biais de l’aide sociale à l’enfance, concernant les personnes déclarées mineures.
Ce rééquilibrage est évoqué dans le rapport préliminaire de la mission d’inspection, mais il n’est, à ce stade, pas définitif. Tout rapport suppose ensuite une prise de décision…
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.
M. René-Paul Savary. Madame la garde des sceaux, ce n’est pas équilibré : 155 millions d’euros, selon vos chiffres, pour l’évaluation et 1 milliard d’euros pour la prise en charge par les départements. Les départements n’en peuvent plus, de même que les personnels, qui sont aussi soumis à des phénomènes de contagion - on n’a pas évoqué les problèmes sanitaires, mais ils doivent être pris en compte.
Les contrats jeune majeur, quant à eux, pourraient – pourquoi pas ? – relever des départements, qui ont le savoir-faire. Mais cela suppose, derrière, un coût, car cela n’entre pas dans leurs compétences obligatoires.
En conclusion, je tiens à dire que les départements sont prêts à assumer leurs responsabilités, mais ils n’ont plus les possibilités financières et vont être soumis à la double peine en 2019. En effet, compte tenu de l’augmentation de plus de 2 % de leurs dépenses de fonctionnement, Bercy va les épingler. Ce problème interministériel devient de plus en plus grave et risque d’avoir des conséquences dramatiques pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la prise en charge des mineurs isolés.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 23 janvier 2018 :
À quatorze heures trente :
Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social (n° 119 rectifié, 2017-2018) ;
Rapport de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 194, 2017-2018).
Texte de la commission (n° 195, 2017-2018).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq et le soir : suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures trente.)
nomination de membres d’organismes extraparlementaires
La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires. Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 9 du règlement, ces candidatures sont ratifiées :
- M. François Bonhomme est membre titulaire et M. Didier Marie membre suppléant du Comité des finances locales ;
- Mme Nathalie Delattre et M. Jacques Bigot sont membres titulaires de la Commission nationale chargée de la vidéoprotection ;
- M. Thani Mohamed Soilihi est membre titulaire et MM. Patrick Kanner et Pierre Frogier membres suppléants de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer ;
- Mme Éliane Assassi est membre titulaire du conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
- M. Jean-Luc Fichet est membre suppléant du conseil d’administration du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres ;
- Mme Françoise Gatel est membre titulaire et M. Arnaud de Belenet membre suppléant du Conseil national d’évaluation des normes ;
- Mme Laurence Harribey est membre titulaire et Mme Sophie Joissains membre suppléant du Conseil national de la mer et des littoraux ;
- M. Loïc Hervé est membre titulaire du Conseil supérieur des archives ;
- M. Sébastien Leroux est membre titulaire du Conseil national de l’aménagement et du développement du territoire.
nomination de membres d’une commission d’enquête
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure (21 membres)
Mme Éliane Assassi, MM. Arnaud de Belenet, Michel Boutant, Vincent Capo-Canellas, Alain Cazabonne, Philippe Dallier, Mme Nathalie Delattre, MM. Gilbert-Luc Devinaz, Philippe Dominati, Jordi Ginesta, Mme Samia Ghali, M. François Grosdidier, Mme Gisèle Jourda, MM. Patrick Kanner, Henri Leroy, Mmes Brigitte Lherbier, Anne-Catherine Loisier, M. Alain Marc, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. André Reichardt, Jean Sol.
nomination de membres d’un groupe de travail
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu par l’article 8 du règlement, la liste des candidatures préalablement publiée est ratifiée.
Groupe de travail préfigurant la commission spéciale sur le projet de loi pour un État au service d’une société de confiance
MM. Serge Babary, Julien Bargeton, Éric Bocquet, François Bonhomme, Henri Cabanel, Emmanuel Capus, Pierre-Yves Collombat, Mmes Josiane Costes, Nathalie Delattre, Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi-Sassone, M. Michel Forissier, Mme Pascale Gruny, MM. Jean-Raymond Hugonet, Jean-François Husson, Mmes Élisabeth Lamure, Christine Lavarde, MM. Pierre Louault, Jean-Claude Luche, Victorin Lurel, Didier Mandelli, Rachel Mazuir, Mme Michelle Meunier, MM. Philippe Mouiller, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Angèle Préville, M. Alain Richard, Mme Sophie Taillé-Polian, M. Michel Vaspart, Mmes Dominique Vérien, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD