Mme la présidente. La parole est à Mme Michèle Vullien, pour la réplique.
Mme Michèle Vullien. Je vous remercie de ces précisions, madame la ministre. Bien sûr, je n’imagine pas un instant que l’on ait recours au charbon ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Joël Bigot. Ce débat vient opportunément, après la parution de l’excellent rapport de nos collègues de la commission des affaires européennes, intitulé Véhicule sans chauffeur : le futur imminent, et l’audition récente de Mme Anne-Marie Idrac, haute responsable pour la stratégie nationale du développement des véhicules autonomes.
Cette nouvelle technologie représente un enjeu économique très important et nous attendons beaucoup de l’État en termes de structuration d’une filière industrielle qui, en Maine-et-Loire, est déjà bien implantée, avec l’équipementier Valeo ou Scania, très présent sur le segment des transports collectifs.
La montée en puissance de cette nouvelle technologie pose également de nombreuses questions en matière d’aménagement du territoire. Les véhicules autonomes sont en effet hyperconnectés et leur fonctionnement nécessitera un accès sans défaillance aux réseaux numériques fixes et mobiles.
Mes chers collègues, nous connaissons l’état de la couverture numérique du territoire. Nous savons qu’elle n’est pas optimale à ce jour et que certains territoires, notamment ruraux, demeurent peu ou mal couverts.
À l’instar des garanties à apporter en matière de cybersécurité, l’accès à la couverture numérique apparaît donc comme un préalable à la mise en place de cette nouvelle mobilité individuelle ou collective. Il ne faudrait pas que les territoires peu denses en soient exclus. Cela reviendrait à renforcer les fractures numérique et territoriale ressenties par nos concitoyens, alors que les bouleversements technologiques actuels contribuent précisément à désenclaver nos territoires en leur permettant de saisir de nouvelles opportunités de développement économique. La 5G, qui est encore loin d’être une réalité pour nos concitoyens, apparaît comme la « technologie clé » pour le développement à grande échelle des véhicules autonomes.
Par ailleurs, au-delà de l’accès au numérique, il est également nécessaire de se pencher sur la question des infrastructures routières, telles que des couloirs dédiés, qui permettront le fonctionnement sécurisé des véhicules autonomes.
Madame la ministre, pourriez-vous nous apporter des précisions sur les mesures envisagées par le Gouvernement pour favoriser un développement équilibré et sécurisé de cette nouvelle technologie ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je partage tout à fait votre point de vue ; monsieur le sénateur. Il est essentiel que tous les territoires, notamment les zones rurales et périurbaines, bénéficient du nouveau service de mobilité que constituera le véhicule autonome, dans un premier temps sur des axes dédiés et pré-équipés.
Les orientations nationales sur les cas d’usage et les impacts à évaluer prioritairement donnent toute leur place au milieu rural.
Plus globalement, cela renvoie à l’écosystème dans lequel les véhicules autonomes évolueront. Compte tenu de la diversité des cas d’usage, la première exigence est que le véhicule reconnaisse lui-même s’il est dans son domaine d’emploi et adapte en conséquence ses modes de délégation de conduite. Il importe donc que le véhicule autonome puisse lire la signalisation. C’est par une combinaison adéquate de la signalisation, de la connectivité et de la cartographie numérique que l’on pourra optimiser les cas d’usage du véhicule autonome. Nous avons engagé avec les acteurs concernés un travail d’identification des « amers » prioritaires.
Par ailleurs, l’accord construit par le Gouvernement avec les opérateurs mobiles est crucial. Il nous faut absolument supprimer les zones blanches. Cet accord permettra d’apporter une réponse en termes de connectivité.
Enfin, les travaux entre les gestionnaires routiers et les constructeurs automobiles sont lancés et ils se poursuivront.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Alain Fouché. Au 1er janvier 2016, le parc français de véhicules en circulation était estimé à près de 39 millions d’unités. Si une quarantaine d’expérimentations sont déjà en cours, il faudra vingt et un ans pour renouveler entièrement le parc automobile. Cela ouvre, à long terme, des perspectives intéressantes en matière de sécurité routière et d’environnement, mais suscite aussi des inquiétudes en termes de sécurité et d’accessibilité.
Le véhicule autonome est présenté comme un moyen radical de réduire la mortalité sur les routes et de limiter la consommation d’énergie. Dès lors que 90 % des accidents sont dus à une erreur humaine, seul le remplacement de l’ensemble du parc automobile permettra une diminution de la mortalité routière.
Si, à brève échéance, la mise en service de ce type de véhicules sera réalisable sur les autoroutes, déjà dotées d’infrastructures, il n’en va pas de même pour le réseau secondaire, où se concentre l’essentiel des accidents : il faut non seulement pouvoir garantir que le véhicule saura s’adapter aux différents aléas de la circulation sur le réseau secondaire, mais aussi assurer une couverture du réseau internet suffisante. À défaut, on circulera dans des véhicules sans chauffeur sur les autoroutes et dans les grandes villes, alors que les habitants de la ruralité seront bloqués chez eux, n’ayant plus de points sur leur permis…
Les ruraux, condamnés à rouler à 80 kilomètres à l’heure, grâce au Premier ministre, sur des routes non entretenues faute de financement, risquent d’être les grands oubliés. Cela étant, pour vous avoir connue comme préfet de région, je sais, madame la ministre, votre attachement à la ruralité.
Enfin, la mise en service de ce type de véhicules « sans conducteur » pose de vraies questions en matière de responsabilité en cas d’accident, mais aussi et surtout de cybersécurité. Pourra-t-on garantir aux usagers qu’ils seront protégés du piratage de leurs données personnelles ou des attaques terroristes ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Toute notre stratégie nationale, je le répète, est construite pour que le véhicule autonome profite à l’ensemble des territoires.
Cette dimension sera prise en compte pour la détermination des cas d’usage à tester prioritairement, comme elle l’est dans les accords qui viennent d’être conclus avec les opérateurs de téléphonie mobile afin d’assurer une couverture de l’ensemble du territoire et de supprimer ainsi les zones blanches. Enfin, dans la même perspective, le véhicule autonome devra pouvoir adapter son mode de délégation de conduite à son environnement en fonction des informations dont il dispose grâce à la lecture de la signalisation, à l’utilisation des cartographies embarquées et à une liaison numérique.
L’ensemble de ces technologies permettront au véhicule autonome de se déployer sur l’ensemble des territoires, avec des combinaisons sans doute variables selon les zones où il sera appelé à évoluer.
La plupart des tests réalisés à ce jour l’ont été dans de grands centres urbains, les acteurs souhaitant naturellement donner de la visibilité à leur démarche, mais nous considérons vraiment que le véhicule autonome permettra de développer de nouveaux services de mobilité dans les territoires ruraux et périurbains. J’aurai l’occasion d’y revenir lorsque je vous présenterai le projet de loi d’orientation des mobilités.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Joël Labbé. Madame la ministre, l’émergence des véhicules autonomes représente une véritable révolution. Je tiens à remercier nos collègues du groupe Union Centriste, en particulier Pierre Médevielle, d’avoir permis ce débat, qui est nécessaire.
Cette révolution interviendra rapidement. On prévoit en effet que les premiers véhicules autonomes circuleront sur les routes européennes au début des années 2020, avec une généralisation possible à l’orée des années 2030, ce qui nous laisse moins de dix ans pour préparer les politiques publiques qui permettront d’accompagner ce mouvement.
Les métiers de chauffeur et de transporteur seront les premiers à disparaître. Au-delà de ses conséquences directes très importantes en termes d’emplois, cette révolution aura un impact plus difficile à imaginer sur les constructeurs, dont l’activité va se transformer : on ne fabrique pas de la même manière un véhicule qui sera utilisé de 80 % à 90 % du temps et un véhicule utilisé en moyenne entre 5 % et 7 % du temps, comme c’est le cas aujourd’hui. Il ne sera même plus utile d’avoir la propriété du véhicule : il suffira d’acheter un service de mobilité, comme cela se pratique déjà avec les services d’autopartage.
Nous devons dès aujourd’hui définir des objectifs ambitieux afin de profiter de cette révolution, et non de la subir : réduire drastiquement le nombre de véhicules individuels, diminuer la place de la voiture dans l’espace public, améliorer la qualité environnementale et la qualité de l’air, tout cela en développant encore davantage notre tissu de transports en commun publics.
En effet, ces nouveaux services de mobilité doivent profiter en premier lieu aux périphéries urbaines mal desservies par les transports publics, et non venir concurrencer les réseaux existants.
Les enjeux sont nombreux. En termes de finances publiques, il sera nécessaire d’élaborer une fiscalité adaptée. Quant à l’intelligence améliorée de sensibilité de l’être humain, elle ne doit pas se trouver noyée dans un océan d’intelligence artificielle.
Madame la ministre, quels sont les objectifs du Gouvernement au regard de cette véritable révolution de la mobilité ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je vous le confirme, monsieur le sénateur, l’ensemble de ces enjeux doivent être pris en compte dans le cadre de la stratégie nationale en préparation. Ces nouvelles technologies vont bouleverser des filières économiques et notre appréhension des mobilités. Elles soulèvent des questions importantes en termes de sécurité routière.
La stratégie nationale doit viser à intégrer le véhicule autonome dans un système global de mobilités, prenant en compte les zones rurales et régulant mieux la place de l’automobile dans les zones urbaines. Nous aurons à en débattre lors de l’examen de la loi d’orientation des mobilités.
Il nous faut donc mettre en place un cadre législatif et réglementaire adapté, ainsi qu’accompagner l’évolution des compétences. À cet égard, le Conseil national de l’industrie a été chargé de réfléchir à l’adaptation des compétences. Il nous faut également aborder les multiples enjeux en termes de cybersécurité : attaques, prises de contrôle, logiciels pouvant perturber le comportement du véhicule.
Il s’agit vraiment d’une approche globale de ces enjeux, avec une dimension européenne, que nous aurons à promouvoir dans les prochains mois. La loi d’orientation des mobilités constituera une étape dans l’accompagnement des acteurs français dans cette révolution. Le pire serait de nier la réalité des bouleversements qui s’annoncent ou de vouloir retarder le mouvement. Il nous faut au contraire prendre de l’avance pour accompagner tous les changements que cette nouvelle technologie va apporter.
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains.
Mme Pascale Gruny. La conduite sans chauffeur soulève de nombreux enjeux juridiques, à commencer par le régime de responsabilité des robots en cas d’accident. Notre droit des assurances automobiles exclut aujourd’hui la responsabilité directe d’un objet, retenant exclusivement la responsabilité du conducteur.
Or l’essor attendu de la conduite sans chauffeur pourrait multiplier les parties prenantes et introduire de nouvelles causes d’accidents, dans des conditions que le droit actuel n’appréhende pas. Qui sera responsable d’un accident mortel survenu à un croisement par temps clair, avec des feux de signalisation ayant émis de façon accidentelle à destination des véhicules connectés des signaux radio incohérents avec la signalisation visuelle ? En cas d’erreur du pilotage automatique d’un véhicule sans chauffeur, comment déterminer les responsabilités respectives du fabricant du logiciel, du constructeur, voire du propriétaire ? Comment assurera-t-on demain les cyberrisques liés à la possibilité de pirater des véhicules à distance ?
Dans tous ces domaines, le vide juridique est total.
Dans sa résolution législative du 16 février 2017, le Parlement européen propose de créer un statut juridique sui generis applicable à « tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de façon indépendante avec des tiers ». Ce robot serait alors tenu de « réparer tout dommage causé à un tiers ». Faut-il plutôt retenir la responsabilité de la personne ayant programmé le robot ?
Le choix sera d’autant plus complexe que de nouveaux systèmes d’intelligence artificielle élaborent désormais eux-mêmes des simulations leur permettant d’apprendre dans la phase initiale, ce qui écarte le recours à un « maître d’apprentissage » et rend ainsi le critère en question obsolète avant même son adoption.
Comment le Gouvernement entend-il anticiper la dimension juridique du mouvement entamé avec le véhicule sans chauffeur ? Comment permettre l’évolution de cette nouvelle économie tout en protégeant les victimes à venir ?
M. Charles Revet. Très bonne question !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Il s’agit effectivement d’un enjeu important. Il convient de distinguer les questions de responsabilité civile, plus particulièrement celle de l’indemnisation des victimes, des questions de responsabilité pénale.
En matière de responsabilité civile, la loi Badinter de 1985 dispose que les victimes d’un accident de circulation sont indemnisées par l’assureur en responsabilité civile du véhicule. On peut penser que cette disposition peut être transposée au cas du véhicule autonome.
En revanche, en matière de responsabilité pénale, les choses sont plus complexes. Pendant la période d’expérimentation, j’ai l’intention de proposer d’inscrire dans la loi d’orientation des mobilités un cadre de responsabilité pénale, s’appuyant sur le fait qu’il y aura un responsable de l’expérimentation, titulaire d’une autorisation. Pour ce qui concerne le régime permanent, il faudra tenir compte des différents cas d’usage dans lesquels coexisteront un système d’automatisation impliquant lui-même plusieurs acteurs et, selon les situations de conduite, un conducteur.
Nous devons travailler avec les parties prenantes à mettre en place un cadre de responsabilité adapté, qui prenne également en compte les réflexions élaborées à l’échelon de la Commission européenne. Il devrait être présenté dans le cadre de la stratégie 2018-2020.
Par ailleurs, il nous faudra concilier le besoin d’un cadre général avec la nécessité de s’adapter aux différents cas d’usage. C’est vraiment tout l’intérêt des expérimentations à venir que de permettre un dialogue avec les parties prenantes sur ces différents sujets.
J’ajoute que le développement des enregistreurs d’événements embarqués, en particulier celui des enregistreurs spécifiques pour les véhicules autonomes, permettra aussi d’éclairer la détermination des responsabilités en cas d’accident.
Mme la présidente. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe La République En Marche.
M. Frédéric Marchand. Hasard du calendrier ou sens de l’à-propos de nos collègues du groupe Union Centriste, nous débattons des véhicules autonomes alors qu’un grand quotidien national d’information, dans son édition datée de demain, consacre une page complète à une expérience en cours à Pittsburgh, aux États-Unis.
Certes, un océan sépare Pittsburgh de notre pays… En France, les expérimentations sont aujourd’hui autorisées au cas par cas, par dérogation, après validation par cinq instances différentes : ministère des transports, ministère de l’intérieur, gestionnaire de la voirie, autorité de la police de la circulation, autorité organisatrice des transports. Cette procédure d’autorisation des expérimentations dure en moyenne quatre mois, ce qui reste un délai important au regard des temps d’innovation très courts dans le monde du véhicule autonome.
L’entreprise Valeo a ainsi été confrontée à de nombreuses difficultés pour faire rouler son véhicule autonome dans les rues de la capitale. Son objectif était de le tester sur la place de l’Étoile, réputée comme la section de la voirie la plus difficile de Paris. L’image a fait le tour du monde et renforcé la place de leader mondial de l’équipementier français. Il aura fallu que ce parcours du combattant se termine à l’Élysée !
Certes, notre pays a progressé en se dotant d’un cadre ouvert à tous les cas d’usage, responsabilisant pour les pétitionnaires et exigeant en termes de retour d’expérience. Ainsi, vingt-sept expérimentations ont été autorisées entre 2015 et avril 2017, avec vingt-deux retours reçus par l’administration, soit près de 100 000 kilomètres parcourus au total.
Ces expérimentations, nous le savons, joueront par la suite un rôle primordial lors de l’écriture de la réglementation européenne. Sans doute serait-il maintenant opportun de passer à la deuxième étape, en favorisant la réalisation de tests à grande échelle en conditions réelles.
Notre pays pourrait s’inspirer, par exemple, du modèle suédois Drive Me, qui consiste à faire tester cent véhicules autonomes pendant un an par des particuliers et sans ingénieur à bord. Ce vaste projet collaboratif peut compter sur un soutien financier important d’un fonds d’innovation et de recherche stratégique sur les véhicules réunissant les pouvoirs publics suédois et l’industrie automobile.
Ces tests permettront d’identifier les réactions de personnes lambda aux fonctions d’autonomie et, surtout, apporteront les premières réponses à la question majeure de la cohabitation, sur les routes, des véhicules autonomes et des véhicules classiques. Réaliser des tests à grande échelle en imposant aux usagers de produire des retours d’expérience complets devrait permettre de tirer les premières conclusions.
Ma question est donc simple, madame la ministre : la France est-elle prête à s’inscrire dans cette dynamique ?
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Comme vous le soulignez, monsieur le sénateur, la tendance actuelle est à l’élargissement des environnements de conduite et des cas d’usage.
Aujourd’hui, les différentes expérimentations conduites en France – une quarantaine environ – couvrent à peu près la quasi-totalité du réseau autoroutier et des rocades urbaines. Certaines expérimentations en cours ou en préparation concernent des transports publics et portent sur des trajets supérieurs aux quelques centaines de mètres sur lesquels ont eu lieu les premiers tests.
Ces expérimentations sont importantes en vue de répondre aux multiples questions qui se posent. Elles permettent d’accumuler des connaissances sur l’interaction entre le véhicule autonome et l’infrastructure ou avec d’autres véhicules, y compris d’autres véhicules autonomes. Toutefois, il faut maintenant passer à l’échelle supérieure, selon quatre axes.
Le premier axe, c’est la mutualisation entre acteurs. Il est assez frappant de constater que les expérimentations ont jusqu’à présent été menées à différents endroits du territoire avec des acteurs différents. Je crois possible de mieux capitaliser sur ces expérimentations : tel est le sens du programme national d’expérimentations en cours de préparation et du développement d’outils de validation, qui sera soutenu par le programme des investissements d’avenir.
Le deuxième axe est le passage à la phase des expérimentations avec des conducteurs inattentifs. Il sera proposé d’en inscrire le cadre dans la loi d’orientation des mobilités.
Le troisième axe est l’élargissement des expérimentations à de nouveaux cas d’usage et domaines d’emploi, notamment le transport public, la circulation en milieu périurbain ou rural – comme je l’ai dit, très peu d’expérimentations ont été conduites dans ces zones – et la logistique. C’est le sens de l’actualisation de la feuille de route qui est en cours.
Enfin, il importe que nous continuions à être en pointe sur les enjeux transfrontaliers. En effet, les questions d’interopérabilité, à la fois entre infrastructure et véhicule et entre véhicules, seront importantes pour le développement du véhicule autonome, notamment dans les zones transfrontalières.
Je vous confirme, monsieur le sénateur, que toutes nos filières sont mobilisées, de même que le Gouvernement, pour lancer les travaux à grande échelle que vous préconisez.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Guillaume Gontard. Je remercie le groupe Union Centriste de nous avoir donné l’occasion de ce vaste et riche débat.
Il y a dix ans, le véhicule autonome relevait de la science-fiction. Dans dix ans, il sera une réalité, ce qui impose à l’ensemble des responsables publics de se saisir immédiatement du sujet.
En effet, cette révolution technologique nous invite à repenser en profondeur les mobilités. Envisagé dans un cadre multimodal intelligemment conçu, le développement des véhicules autonomes est porteur de grandes promesses en matière de sécurité routière, de transition écologique et de confort de déplacement.
Cependant, les questionnements et les inquiétudes écologiques, économiques, éthiques et réglementaires ne manquent pas, comme en témoigne notre débat.
À dire vrai, nous n’avons à ce jour qu’une seule certitude : la disparition progressive, dans les deux ou trois décennies à venir, de la quasi-totalité des emplois de chauffeur et de conducteur de taxi, de VTC, de bus, de tram, de train et de camion. Il s’agit là de près d’un million de travailleurs ! La question de leur reconversion est primordiale.
Plus largement, tous secteurs confondus, ce sont de 50 % à 80 % des emplois existants qui auront disparu en 2050, selon les études qui se succèdent sur le sujet, par exemple celles de l’université d’Oxford ou de l’OCDE. Il est donc indispensable de réfléchir dès maintenant à la reconversion et à l’accompagnement de ces travailleurs. De la répartition et du temps de travail à l’architecture de la protection sociale, il faut repenser toute notre organisation du travail, que ce soit autour du revenu universel ou d’autres dispositifs.
L’explosion des gains de productivité nous offre une source de financement toute trouvée, que d’aucuns auraient appelée « taxe robot ». Ce n’est pas une coïncidence si ces solutions sont aujourd’hui envisagées par de grandes figures de l’économie numérique telles que Bill Gates, Mark Zuckerberg et Elon Musk, patron de Tesla, pionnier des véhicules autonomes.
À nous d’anticiper ces évolutions pour transformer cette innovation en amélioration de la qualité de vie pour tous. Madame la ministre, l’inventivité technologique nous pousse à être inventifs socialement. Comment le Gouvernement envisage-t-il d’accompagner ces bouleversements ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports. Je ne peux que confirmer, monsieur le sénateur, que nous sommes face à une révolution technologique, mais nous avons en France des acteurs suffisamment puissants pour que nous n’ayons pas à en avoir peur. Notre pays a su développer des lignes à grande vitesse, des métros automatiques, en créant des emplois dans l’industrie ferroviaire ou dans celle des systèmes de signalisation. De la même façon, la révolution qui se trouve devant nous peut être l’occasion, pour nos industriels et nos équipementiers, pour tout l’écosystème de l’intelligence artificielle, particulièrement puissant en France – le Gouvernement attend la remise d’un rapport sur ce sujet –, de montrer leurs compétences.
Je l’ai dit, le secteur automobile représente 500 000 emplois, celui du transport routier de marchandises et de voyageurs 700 000, mais nous sommes à la veille de la création de nombreux nouveaux emplois. C’est pourquoi le Gouvernement met l’accent sur la formation professionnelle et l’apprentissage, afin de renforcer notre capacité à adapter les compétences à cette révolution.
En outre, la phase qui s’ouvre verra l’émergence de nombreux nouveaux services de mobilité. Un Français sur quatre a refusé un emploi ou une formation faute de solution pour s’y rendre. Aussi l’apparition de nouvelles solutions de mobilité dans tous les territoires contribuera-t-elle à l’amélioration de l’accès à l’emploi et au développement des compétences dans notre pays.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour le groupe Union Centriste.
Mme Nadia Sollogoub. Le développement du véhicule autonome pose la question du devenir du permis de conduire.
La classification la plus utilisée des véhicules autonomes distingue cinq niveaux, du niveau 0, correspondant à l’absence d’automatisation, jusqu’au niveau 4, regroupant les véhicules à conduite totalement automatisée, même sans passagers.
Le permis de conduire est actuellement un sésame incontournable pour pouvoir se déplacer en véhicule individuel. S’en trouvent privés en particulier certains demandeurs d’emploi, ceux qui ne peuvent l’obtenir faute du financement nécessaire ou ceux qui attendent pendant des mois qu’une date d’examen soit fixée. Une récente enquête de l’UFC-Que Choisir faisait état d’un coût moyen de 1 800 euros et d’un délai de plusieurs semaines dans le meilleur des cas. Les jeunes sont particulièrement concernés, mais aussi les salariés en insertion, qui sont ainsi maintenus en situation de précarité et de fragilité.
Si, dans les métropoles, les transports urbains sont une solution alternative, comment faire, actuellement, pour vivre et travailler à la campagne sans permis de conduire ? En milieu rural, l’absence de permis de conduire interdit en général l’accès à l’emploi.
C’est l’un des enjeux liés au développement du véhicule autonome. Alors qu’on le présente souvent comme une menace pour l’emploi, ce qu’il est réellement pour les professionnels de la route, il pourrait aussi, paradoxalement, être un moyen d’accès à l’emploi pour des milliers de personnes, à condition que son développement s’accompagne d’une réforme du permis de conduire.
Madame la ministre, pouvons-nous espérer que les véhicules autonomes de niveaux 1 à 3 pourront être conduits avec des permis spécifiques et allégés ? Le cas échéant, les véhicules de niveau 4 seront-ils accessibles à tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)