M. Victorin Lurel. C’est un échec !
Mme Agnès Buzyn, ministre. … et les études épidémiologiques en cours de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale et de Santé publique France.
La question du chlordécone est bien différente de celle qui est au centre de la proposition de loi, l’exposition actuelle aux produits phytosanitaires autorisés. Je rappelle que le chlordécone est interdit en Europe depuis 2007. Si nous incluons dans le dispositif un lien entre utilisation des produits phytopharmaceutiques et une pollution, et non plus un lien entre une exposition et une indemnisation (M. Victorin Lurel s’exclame.), nous ferons perdre au fonds sa vocation essentielle d’indemniser des personnes. (M. Victorin Lurel s’exclame de nouveau.)
Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que mon ministère fera face à cet enjeu, fort des conclusions du comité de pilotage ad hoc de décembre dernier.
J’attends également de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, qu’elle précise la position qu’elle a rendue, à la suite de son rapport du 15 décembre dernier.
Pour autant, c’est au plan chlordécone de traiter les questions relatives au chlordécone. J’ai toute confiance dans les vertus de ce plan, dont le principal mérite est de passer d’une logique de gestion de court terme des effets collatéraux de la pollution à une véritable logique de long terme de développement durable des territoires (M. Victorin Lurel s’exclame.), intégrant la problématique du chlordécone.
L’inspection générale de l’administration souligne elle-même l’efficacité du dispositif : sa grande souplesse permet de réagir avec diligence pour répondre aux besoins de terrain.
En tout état de cause, je m’attacherai à ce que mes services répondent sur le fond et très précisément à l’ensemble des questions techniques qui m’ont été posées sur le risque chlordécone, dont certaines ont été fort justement relayées par des parlementaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’actualité des enjeux liés aux produits phytosanitaires exige de nous de la résolution, mais aussi de la préparation. À la remise du rapport inter-inspections doit dorénavant succéder une analyse interministérielle de fond, animée par la patience de la réflexion.
Par ailleurs, la concertation sur une feuille de route relative à ces sujets vient tout juste d’être lancée : laissons-lui le temps de mettre en place les actions qui conviennent. (M. Victorin Lurel s’exclame.)
Les Français exigent certes de la résolution, mais aussi de la lisibilité. C’est pourquoi les travaux à venir doivent s’inscrire dans un cadre déjà défini, celui de la feuille de route sur les produits phytosanitaires et du plan Écophyto. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui autour d’un sujet de première importance : la protection de la santé des Français face à la dangerosité de certains produits phytopharmaceutiques.
En 2012, une mission sénatoriale, présidée par notre collègue Sophie Primas et dont vous avez été, madame Bonnefoy, la rapporteur, avait alerté notre hémicycle sur l’urgence de ces sujets et proposé une centaine de recommandations pour lutter contre les pesticides cancérigènes. Ses travaux trouvent aujourd’hui une expression concrète au travers de cette proposition de loi.
Le rapport Pesticides : vers le risque zéro, publié en octobre 2012, avait été, je crois que cela mérite d’être rappelé, voté à l’unanimité. La question dépasse en effet les clivages partisans. Après sept mois d’auditions, la mission avait conclu à une sous-évaluation des dangers relatifs aux pesticides, à une insuffisante prise en compte du suivi des produits après leur mise sur le marché et à un manque de prise en compte des problématiques de santé dans les pratiques industrielles, agricoles et commerciales actuelles.
Ce rapport avait été un véritable signal d’alarme pour le précédent gouvernement : l’Institut national de la santé et de la recherche médicale s’était saisi du sujet, publiant lui-même un rapport en juin 2013, et la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt d’octobre 2014 avait mis en place un dispositif de phytopharmacovigilance. Cette loi avait aussi marqué un tournant important de notre approche de ce sujet, en reconnaissant les hémopathies en lien avec l’exposition professionnelle aux pesticides comme des maladies professionnelles.
Les auteurs de la présente proposition de loi entendent aller plus loin. En complétant ce dispositif avec une prise en charge de la réparation intégrale des préjudices des personnes atteintes de maladies liées à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, ils souhaitent que soient reconnus les dangers de ces produits et la réalité de ces pathologies.
Comme cela fut le cas en leur temps pour les victimes de l’amiante ou les vétérans des essais nucléaires, la création d’un fonds d’indemnisation permettra de reconnaître la réalité de la maladie et de sensibiliser la population à ce problème récurrent. Aujourd’hui encore, devant les tribunaux, de nombreux salariés agricoles plaident pour faire reconnaître leurs pathologies comme des maladies professionnelles. Il faut à mon avis les accompagner dans ce combat de tous les jours.
C’est le cas de deux ex-salariés de la coopérative agricole Nutréa-Triskalia, atteints d’hypersensibilité aux produits chimiques à la suite de leur surexposition, déclarés inaptes au travail et finalement congédiés. En septembre 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc avait jugé la coopérative coupable d’une faute inexcusable pour l’intoxication de ses employés en 2010. La décision avait fait grand bruit.
En décembre 2017, encore, le conseil des prud’hommes de Lorient a déclaré leur licenciement sans cause réelle et sérieuse. En réaction, le commissaire européen chargé de la santé et de la sécurité alimentaire, Vytenis Andriukaitis, a demandé la tenue d’un audit sur les pratiques des entreprises agroalimentaires bretonnes au printemps 2018. L’adoption de la proposition de loi, mes chers collègues, devrait nous permettre de répondre à ce genre de situation.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants attire votre attention sur l’importance de cette proposition de loi dans la reconnaissance de l’un des fléaux modernes du monde agricole : la dangerosité des produits utilisés. Elle recueille son soutien.
Elle répond à une inquiétude de terrain, dont de nombreux agriculteurs ont fait la désagréable expérience, et elle a, jusqu’à présent, fait l’objet d’une relative unanimité dans nos débats.
Madame la ministre, j’ai bien entendu les remarques que vous venez de formuler et qui, bien évidemment, doivent être prises en compte. J’en retiendrai trois.
En premier lieu, vous évoquez l’incertitude qui pèse sur le lien de causalité actuel de telle ou telle molécule. Je comprends le problème de la charge de la preuve qui peut s’y attacher. Néanmoins, le débat actuel me rappelle celui sur l’amiante et sur les radiations nucléaires, et j’estime que c’est au travers de ce genre d’arguments que le temps du constat est différé.
On peut compter, je dois le dire, sur les industriels et sur les lobbies pour faire en sorte que les preuves de toxicité reculent et que tout cela prenne autant de temps que pour l’amiante ou les radiations nucléaires. (Mme Nicole Bonnefoy opine.)
Mme Michelle Meunier. C’est exact !
M. Victorin Lurel. Tout à fait !
M. Claude Malhuret. Tant que le législateur et le Gouvernement n’envoient pas, un jour ou l’autre, un signal pour accélérer le processus, on sait comment cela se passe en général, en matière d’amiante, de phytopharmaceutique ou de pharmaceutique tout court ; je passe sous silence un certain nombre de scandales récents sur des médicaments.
En deuxième lieu, vous soutenez que l’adoption de la proposition de loi serait propre à déresponsabiliser les industriels.
M. Victorin Lurel. C’est une provocation !
M. Claude Malhuret. Or, dans le cadre des fonds d’indemnisation, il est sans doute prévu la possibilité, pour l’État, de se retourner contre les responsables, contre les producteurs. (M. Victorin Lurel s’exclame.) Par conséquent, il n’y a aucune raison de présumer une telle déresponsabilisation. Au contraire, sachant qu’au travers d’un fonds d’indemnisation l’État va se montrer particulièrement concerné et susceptible de les poursuivre, ceux-ci pourraient prendre plus de précautions.
En troisième lieu, vous vous interrogez sur le sort de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale. Après vous avoir écoutée, madame la ministre, j’ai peur qu’elle ne parvienne pas à passer, en tout cas entièrement, l’épreuve de l’Assemblée. Si tel est le cas, notre débat, ici, au Sénat, n’aura pas été inutile. Il aura constitué une étape de plus dans la lutte contre le scandale de l’exposition aux pesticides, au côté duquel celui du Mediator ou du Vioxx risque d’apparaître, demain, une fois que la lumière sera faite entièrement, comme de petites vaguelettes annonciatrices. Au moins ce débat nous aura-t-il permis d’insister sur l’importance de ce qui est déjà considéré par certains aujourd’hui et le sera demain par tout le monde comme l’immense scandale des produits phytopharmaceutiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – MM. Guillaume Arnell et Ronan Dantec applaudissent également.)
Mme Nicole Bonnefoy. Bravo !
M. Victorin Lurel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, utilisés pour protéger les cultures, limiter la propagation de parasites et améliorer la qualité de la production alimentaire, les pesticides sont au cœur du développement agricole des cinquante dernières années. Cependant, comme le rappelle notre collègue Nicole Bonnefoy dans son rapport Pesticides : vers le risque zéro, « Le formidable succès des pesticides et la banalisation progressive de leur emploi ne doit pas faire perdre de vue leur raison même d’exister : les pesticides sont conçus pour tuer. »
Les rapports dénonçant les dangers des produits phytosanitaires sur l’environnement et la biodiversité sont bien connus. La France, premier pays européen et troisième mondial pour l’utilisation de pesticides, a engagé des mesures de prévention dans ce domaine, notamment avec la mise en place, en 2014, d’un système de pharmacovigilance. C’est une bonne chose. Mais cela ne règle pas la question des personnes déjà malades, ni de celles qui le seront demain.
Car les rapports scientifiques montrant les liens entre certaines pathologies et l’exposition aux pesticides se multiplient également. Nous avons aujourd’hui la certitude que ces produits, via une contamination par l’air, l’eau, le sol et l’alimentation, ont des effets sur le développement du fœtus, de maladies aiguës et chroniques, ou encore sur le développement neurologique. Lors d’une audition à l’Assemblée nationale en novembre 2017, des représentants de la mutualité sociale agricole ont reconnu que 2 % des maladies professionnelles des agriculteurs étaient liées à des produits phytosanitaires. En 2016, 61 assurés se sont vu reconnaître une maladie professionnelle provoquée par l’utilisation de pesticides : 25 hémopathies malignes et 36 maladies de Parkinson. Il s’agit bien d’un enjeu sanitaire majeur.
Comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi, ce texte « vise en premier lieu à protéger et défendre les malades des pesticides, au premier rang desquels les agriculteurs, trop souvent montrés du doigt pour l’utilisation de produits dont ils sont les plus nombreux à souffrir des effets nocifs ».
Si deux pathologies sont actuellement inscrites dans le tableau des maladies professionnelles agricoles, les associations ne dénombrent pas moins de 180 cas de pathologies déclarées dues à ces produits.
Les agriculteurs ne sont toutefois pas les seules victimes des pesticides. Les familles et les riverains sont également exposés. Bien qu’un arrêté de 2006 oblige les agriculteurs à mettre en œuvre les moyens appropriés pour éviter que les produits phytopharmaceutiques ne soient entraînés en dehors de la parcelle ou de la zone traitée, force est de constater que les riverains d’exploitations agricoles sont aussi en première ligne.
Aujourd’hui, 14 millions de Français vivent en zone rurale et nombre d’entre eux à proximité immédiate de ces exploitations. Si l’ampleur réelle de leur exposition aux produits phytosanitaires est encore méconnue, l’INSERM, dans le cadre d’une expertise collective menée en 2013, évoque une augmentation du risque de malformations congénitales, de tumeurs cérébrales et de leucémies chez les enfants des femmes vivant au voisinage d’une zone agricole.
Le Gouvernement vient de présenter un projet de plan d’action pour interdire le plus rapidement possible les substances les plus préoccupantes et réduire le recours aux produits phytopharmaceutiques. Il faudra également que la France puisse faire évoluer le droit européen pour inciter chaque État à retirer ces substances dès que des alternatives seront trouvées.
Dans cette attente, les victimes ne peuvent plus être ignorées : nous devons leur proposer des mesures d’accompagnement et d’indemnisation, une meilleure reconnaissance des conséquences, sur la santé, de produits jusqu’à présent autorisés par l’État. Comme l’a très justement exprimé le rapporteur, Bernard Jomier : « [La] nécessité de renforcer la prévention, dont chacun partage le constat, n’épuise pas le sujet de la réparation lorsque des dommages ont été subis. »
Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sensible à ces arguments et favorable à la création d’un fonds d’indemnisation, votera donc en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Claude Malhuret applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’utilisation des produits phytopharmaceutiques constitue aujourd’hui un enjeu majeur de santé publique.
En effet, il ressort de différentes études publiées ces dernières années des augmentations de risques significatives pour plusieurs pathologies, en lien avec l’exposition des travailleurs et de leurs familles.
Le Sénat s’est saisi, dès 2012, de cette problématique et a créé une mission d’information, présidée par Sophie Primas et rapportée par Nicole Bonnefoy. La mission a dressé plusieurs constats : les dangers et les risques des pesticides pour la santé sont sous-évalués ; le suivi des produits après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré au regard de leurs impacts sanitaires réels ; les protections contre les pesticides ne sont pas à la hauteur des dangers et des risques ; ou encore, le fait, mais c’était il y a plus de cinq ans, que les pratiques industrielles, agricoles et commerciales n’intègrent pas suffisamment ces préoccupations.
Actuellement, notre législation rend possible l’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques en cas de reconnaissance d’une maladie contractée dans le cadre professionnel. Les exploitants et les salariés agricoles disposent de tableaux de maladies professionnelles spécifiques au régime agricole. Une dizaine de tableaux concernent l’exposition aux produits phytosanitaires.
L’ensemble du système repose sur une présomption d’imputabilité pour les personnes ayant travaillé au contact de certains risques répertoriés et constatant l’apparition d’une pathologie dans un délai déterminé.
Cependant, il est vrai que le dispositif de réparation paraît aujourd’hui insuffisant et inéquitable.
Partant de ce constat, la proposition de loi dont nous débattons cet après-midi instaure un dispositif de réparation intégrale. Pour ce faire, ses auteurs proposent la création d’un fonds d’indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques.
Le texte prévoit que ce fonds soit géré par la caisse centrale de la mutualité sociale agricole et financé par l’attribution d’une fraction de la taxe prévue à l’article L. 253-8-2 du code rural et de la pêche maritime.
Je rappelle que la loi de finances rectificative pour 2014 a en effet introduit une nouvelle taxe sur les produits phytopharmaceutiques perçue au profit de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, afin de financer le dispositif de phytopharmacovigilance, qui vise à identifier les effets indésirables des produits phytopharmaceutiques.
Un arrêté du 27 mars 2015 fixant le taux de la taxe sur les ventes de produits phytopharmaceutiques a prévu un taux à 0,2 % du chiffre d’affaires, réduit à 0,1 % pour les produits de biocontrôle.
Cependant, et c’est mon premier point, je m’interroge sur ce financement, qui me semble bien insuffisant. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué un besoin de 10 millions d’euros pour financer ce fonds. La taxe actuellement affectée à l’ANSES rapporte 4 millions d’euros par an. Une fraction de cette taxe ne peut suffire à financer le dispositif.
Par ailleurs, la MSA a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas gérer ce fonds, pas plus que la CNAM. Sans oublier que les syndicats agricoles craignent qu’une hausse de la taxe ne soit répercutée sur le prix de vente.
Deuxième point, le texte définit un champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation plutôt large : tout d’abord, en effet, les professionnels du secteur agricole, qui sont les premiers concernés par l’exposition aux produits ; mais l’article 1er inclut également les victimes exposées en dehors du cadre professionnel.
Certes, monsieur le rapporteur, la commission a adopté un amendement qui visait à renvoyer à un arrêté ministériel le soin d’établir la liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation pour les victimes non professionnelles. Mais le champ reste large. Comment estimer le nombre de victimes potentiellement concernées ?
Troisième point, enfin, le texte dispose que le demandeur justifie d’un lien direct entre son exposition aux pesticides et la pathologie.
Monsieur le rapporteur, vous avez proposé de transformer la charge de la preuve reposant sur le demandeur en présomption de causalité et souhaitez renvoyer à une commission médicale indépendante la mission d’examiner les circonstances des expositions et de statuer sur leur lien avec la pathologie. Il s’agit d’un dispositif qui s’inspirerait des dispositions en vigueur pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA. Si cette comparaison avec le FIVA est intéressante, elle ne peut être totale. Le lien entre amiante et pathologie – plaques pleurales ou mésothéliome – est facile à établir. Je rappellerai que le FIVA est financé par la branche AT-MP, donc par les entreprises, et que le financement par l’État est réduit chaque année, ce que nous déplorons à chaque PLF.
Sur ce sujet important, une mission conjointe de l’IGAS, du CGEDD et du CGAAER a rendu un rapport à la fin de l’année 2017. Elle recommande d’actionner nombre de leviers, que je ne vais pas détailler, pour réduire de façon pérenne la dépendance aux produits phytopharmaceutiques.
Le modèle de production agricole qui s’est développé après-guerre reposait en effet sur cette dépendance. Nos exploitants agricoles ont pris conscience des dangers liés à l’utilisation de ces produits et s’acheminent vers leur moindre utilisation. Nous devons les accompagner dans cette démarche.
Les entreprises du secteur des produits phytosanitaires orientent leurs recherches en vue de changer les molécules. La recherche agronomique se mobilise pour trouver des alternatives.
La MSA s’investit dans la prévention, la formation et entame une évolution du tableau des maladies professionnelles.
Cette proposition de loi, comme l’a dit notre collègue Claude Malhuret, permet d’appeler le débat au Sénat sur un sujet majeur. J’en remercie l’auteur et le rapporteur. Bien entendu, la question de l’indemnisation se pose et doit trouver un mode de réparation adapté. Néanmoins, pour les raisons que je viens d’évoquer, notre groupe, dans sa grande majorité, s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Jean-Claude Luche, Jean-Marie Mizzon et Jean-Claude Requier, ainsi que Mme Dominique Vérien applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour le groupe La République En Marche. (M. Martin Lévrier applaudit.)
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les effets sur la santé de l’exposition aux pesticides suscitent de fortes et légitimes inquiétudes dans l’opinion. Cette question de santé publique est inscrite depuis plusieurs années à l’agenda politique national et européen. Ainsi, le rapport d’information de notre collègue Nicole Bonnefoy a permis de formuler des recommandations pour renforcer la sécurité de l’utilisation de ces produits et les connaissances de leurs effets.
Sur le plan européen, l’actualité récente a mis sur le devant de la scène la question de l’interdiction des perturbateurs endocriniens et la reconduction de l’autorisation du glyphosate.
À cet égard, je me permets de vous signaler les travaux de la commission des affaires européennes de notre assemblée, que j’ai eu l’honneur de conduire avec notre ancien collègue Alain Vasselle. Les risques sont encore plus forts chez les exploitants agricoles et tous les professionnels amenés à manipuler, parfois massivement, de nombreuses substances tout au long de leur carrière.
Dans un rapport de 2016, l’ANSES a rappelé l’ampleur de la population concernée : « En 2010, plus d’un million de personnes avaient une activité régulière en agriculture, auxquelles doivent être ajoutées plusieurs centaines de milliers de travailleurs non permanents, ainsi que plusieurs dizaines de milliers de stagiaires. Au-delà, ces expositions peuvent aussi concerner les familles des professionnels concernés, ainsi que les riverains des zones d’utilisation des pesticides. »
La France est en effet le deuxième consommateur de produits phytopharmaceutiques de l’Union européenne, avec 75 000 tonnes de pesticides vendues en 2014. L’INSERM a retenu, rapportée à la surface agricole utile, la densité moyenne d’usage de pesticides en France à 2,9 kilogrammes de substance active à l’hectare, nous plaçant ainsi dans la moyenne européenne.
Cette expertise collective de l’INSERM en 2013 a conclu que de nombreuses études épidémiologiques mettaient en évidence une association entre les expositions aux pesticides et certaines pathologies chroniques, notamment certains cancers, certaines maladies neurologiques et certains troubles de la reproduction et du développement. Selon les cas, les niveaux de présomption peuvent aller de faible à fort. Par ailleurs, des travaux de recherche ont attiré l’attention sur les effets éventuels d’une exposition, même à faible intensité, lors de périodes sensibles du développement, in utero et pendant l’enfance.
Devant de tels constats, nous sommes tous conscients qu’il faut appliquer avec la plus grande détermination des mesures de prévention, y compris par l’interdiction si nécessaire. Plus généralement, il nous faut réduire dès maintenant la dépendance de notre agriculture aux produits phytosanitaires.
Le Gouvernement agit concrètement en ce sens : le projet de loi Agriculture, présenté hier en conseil des ministres, contient deux articles qui, d’une part, encadrent plus strictement la commercialisation de produits phytosanitaires, d’autre part, séparent les activités de vente et de conseil en la matière, qui conduisent à une ambiguïté et des compensations entre les deux métiers.
Si tout doit être fait pour éviter l’exposition aux pesticides, il faut déployer la même détermination s’agissant de la réparation des victimes.
L’objectif de cette proposition de loi est de compléter le dispositif actuel de réparation, fondé sur la reconnaissance des maladies professionnelles.
Il faut reconnaître que le système actuel n’est pas en mesure de répondre aux enjeux. On ne peut en effet se satisfaire du très faible taux de reconnaissance des maladies professionnelles liées aux pesticides, de la longueur des procédures induites, surtout lorsqu’elles s’accompagnent d’une phase judiciaire. Ajoutons que la réparation, quand elle est finalement obtenue, ne couvre pas le préjudice économique subi par les victimes.
Le texte prévoit donc de créer un fonds d’indemnisation, alimenté par la taxe sur les produits phytosanitaires, qui assurerait une réparation intégrale du préjudice subi après l’avis d’une commission médicale.
Le groupe La République En Marche s’associe à la volonté de l’auteur de la proposition de loi de rechercher plus de rapidité dans la procédure et plus de générosité dans l’indemnisation. Les amendements adoptés en commission ont permis de préciser des points importants du dispositif. Notre groupe s’était abstenu au stade de l’examen en commission, considérant qu’avant de créer un tel fonds il convenait de réformer le dispositif existant et d’améliorer et de compléter les tableaux de maladies professionnelles.
Nous partageons les problématiques que soulève le texte aujourd’hui. C’est un texte d’appel, madame la ministre, pour qu’ensemble, avec le Gouvernement, les caisses concernées et les industriels, nous trouvions une solution durable et effective pour les victimes des pesticides.
Madame la ministre, nous avons entendu vos arguments, qui tiennent compte de l’importance de ce dossier. Cette proposition de loi étant incomplète, en particulier dans le système d’indemnisation, notre groupe vous fait confiance pour trouver les solutions les plus adaptées aux victimes. C’est pourquoi, en l’état du texte, nous nous abstiendrons. (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux saluer le travail de Nicole Bonnefoy et Bernard Jomier, qui se concrétise au travers de cette proposition de loi.
Les pesticides et leurs effets sur la santé sont devenus, à juste titre, un sujet de préoccupation pour nos concitoyennes et nos concitoyens, une véritable question de santé publique.
Pendant des décennies, les fabricants de produits phytosanitaires ont promis aux agriculteurs que l’emploi de ces produits leur permettrait d’obtenir des rendements des plus intéressants sans prise de risque particulière sur la santé. Pendant longtemps, rien n’indiquait, sur les bidons utilisés, la dangerosité des produits. Pendant longtemps, les agriculteurs ont versé à mains nues des pesticides dans leur cuve, ont déambulé en plein épandage sans masque ni combinaison.
L’Union des industries de la protection des plantes, le lobby des fabricants de pesticides, renvoyait même les agriculteurs victimes aux précautions qu’il fallait prendre pour manipuler ces produits.
Des dizaines d’études épidémiologiques menées sur toute la planète ont fait la démonstration que les utilisateurs de pesticides sont plus souvent atteints par certains cancers que la population générale.
Je rappellerai que, d’après l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, les expositions aux pesticides au cours de la période prénatale, in utero, et périnatale, ainsi que pendant la petite enfance, présentent des risques pour le développement de l’enfant.
Alors que l’interdiction du glyphosate a cristallisé les tensions, un article du Monde diplomatique, paru au mois de septembre 2017 et intitulé Pratiques criminelles dans l’agroalimentaire, a relaté les pratiques graves dans ce secteur. Je n’ai pas le temps de m’y arrêter plus longuement.
Les alternatives techniques aux pesticides existent. Pour sortir de l’utilisation en masse de ces produits phytosanitaires, il faut avant tout oser affronter la logique de compétition sur les prix à laquelle les paysans doivent faire face pour obtenir un revenu.
Dans le cadre d’une question écrite du 21 décembre dernier, ma collègue Christine Prunaud vous a interpellée, madame la ministre, concernant l’interdiction de l’utilisation de pesticides et d’insecticides dans les filières de l’agroalimentaire. En attendant cette interdiction, nous pensons que les victimes doivent être prises en charge.
La proposition de loi de nos collègues socialistes et républicains s’insère dans la continuité de la création, en 2014, d’un système de pharmacovigilance. Elle prévoit de compléter ce dispositif en créant un fonds d’indemnisation pour les victimes des pesticides, comme cela a été fait pour les victimes de l’amiante ou des essais nucléaires. Elle va dans le sens d’une juste réparation des dommages des victimes au même titre que les maladies professionnelles.
Il faut le rappeler, si les agriculteurs et les salariés agricoles sont les premières victimes de pesticides, l’exposition concerne aussi les salariés de l’agroalimentaire, ceux qui œuvrent dans les usines de traitement du bois ou encore des milliers de travailleurs qui ouvrent au quotidien des conteneurs et y pénètrent pour des contrôles ou de la manutention.
Toutefois, il paraît indispensable que l’exposition aux pesticides soit étendue au-delà des seuls professionnels, car, en réalité, l’ensemble des citoyens sont concernés à des degrés divers. C’est d’ailleurs ce que vous avez souligné, madame la ministre. Je pense bien sûr non seulement au voisinage des champs traités, mais également aux produits alimentaires que nous consommons. Il est en outre primordial que le fonds soit ouvert aux enfants malades du fait de l’exposition de leurs parents.
Pour finir, nous sommes très attentifs aux critères et aux procédures d’accès au fonds d’indemnisation : les premiers ne doivent pas s’avérer trop restrictifs, les secondes, trop complexes, sous peine de créer un droit inapplicable.
Et si le nombre de demandes est trop important, comme vous semblez le craindre, madame la ministre, il sera toujours temps de revoir la contribution des entreprises de produits phytopharmaceutiques en taxant leurs profits.
En attendant, la réparation des préjudices liés à l’utilisation de ces produits s’inscrit dans la lutte pour la reconnaissance des nouvelles maladies professionnelles et leur indemnisation.
Je ne partage pas votre prudence, madame la ministre. Bien sûr, chaque jour, les progrès des sciences nous permettent de nouvelles découvertes. Mais attendre est une prise de risques aux conséquences graves, voire mortelles. Ne laissons pas les lobbies des fabricants de pesticides continuer à répandre leur poison. D’autant que nous n’en sommes pas à l’année zéro, des avancées ont déjà été faites dans ce domaine. Vous avez ainsi mandaté un certain nombre de commissions de réflexion, c’est une bonne chose. Mais pourquoi ne pas prendre en compte la présente proposition de loi ? Pourquoi vouloir finalement ériger un certain barrage ?
Il faut, ensemble, nous rappeler les victimes, notamment de l’amiante. À un moment donné, il devient trop tard pour réparer les préjudices subis par certaines d’entre elles. Entendons ce qui s’est exprimé, me semble-t-il, sur toutes les travées, même si les conclusions tirées n’ont pas été identiques, ce que les parlementaires, ici, au Sénat, vous disent, et ce dans un certain unanimisme.
Cette proposition de loi, bien que perfectible, va dans le bon sens. C’est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera en sa faveur, sans aucune retenue. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – MM. Guillaume Arnell et Ronan Dantec applaudissent également.)