Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est évidemment défavorable à cette motion, mais je voudrais quand même rappeler deux choses.
D’abord, je fais totalement confiance au Conseil d’État, auquel ce texte a été soumis en amont : en autorisant sa présentation au Parlement, il a estimé qu’il respectait la hiérarchie des normes.
Ensuite, si vous lisez la loi qui est actuellement en vigueur, vous noterez qu’elle prévoit une procédure de préinscription nationale informatisée de nature à informer les lycéens et à leur permettre d’émettre leurs vœux. Or la plateforme Parcoursup, telle qu’elle fonctionne actuellement, est bien une plateforme de préinscription nationale automatisée donnant de l’information aux lycéens et leur permettant d’émettre des vœux.
J’ai eu l’occasion de le dire à la commission, et je le répète ici aujourd’hui : vous imaginez bien que je n’aurais pas pris le risque d’avoir 850 000 dossiers papier à traiter à la main. Comme vous l’avez rappelé, au moment où je m’exprimais devant l’Assemblée nationale, nous ne savions pas encore que la circulaire sur le tirage au sort serait déclarée illégale, donc nous pensions encore avoir cette possibilité. Aujourd’hui, nous ne l’avons plus ; la seule autre solution serait donc de revenir aux dossiers papier, comme à l’époque où je m’inscrivais à l’université. Évidemment, je ne souhaite pas en arriver là, donc j’ai fait en sorte que l’arrêté soit parfaitement conforme au droit en vigueur.
J’en profite pour revenir sur un point qui a été longuement discuté, sans pour autant relancer un débat sur les mots. Il a été rappelé que 54 % des formations en France sélectionnent : ces formations répondent « oui » ou « non » aux candidats. Je souhaite pour ma part que les formations non sélectives continuent à accueillir l’ensemble des étudiants en leur répondant « oui » tout simplement, ou « oui, si vous acceptez que nous vous accompagnions vers la réussite ». Je n’appelle pas cela de la sélection ; si vous souhaitez le faire, je n’entrerai pas dans ce débat. L’important, c’est que vous vous rendiez compte qu’il nous faut des jeunes formés, diplômés, avec des compétences, parce que l’économie de notre pays en a besoin.
Mme Françoise Gatel. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je pense que notre propos n’a pas été compris. Nous étions sur un débat juridique et nous avons glissé sur les moyens, ce qui est intéressant.
J’ai entendu Mme la ministre prendre l’engagement solennel, devant la représentation nationale, que tous les bacheliers auraient une place à l’université.
M. Pierre Ouzoulias. Or M. Grosperrin nous dit que, si on ne vote pas la loi, il n’y aura pas de places. Il y a donc une contradiction, de laquelle je tire le constat que M. Grosperrin ne croit absolument pas que Mme la ministre pourra mettre tous les moyens en œuvre pour accueillir tous les bacheliers. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui ? C’est parce que nous avons tous constaté, en tant qu’élus, parents ou enseignants, que le système en vigueur ne fonctionne pas, ou fonctionne mal ; M. le rapporteur l’a bien expliqué.
M. Fabien Gay a quant à lui insisté sur des points juridiques tout à fait exacts. Le débat est cornélien ; il est quelque peu juridique, il est peut-être aussi quelque peu hypocrite. La loi doit avant tout être assise sur le bon sens. Nous sommes dans un État de droit et, pour ma part, j’aurais tendance à répondre à M. Gay que, même si j’ai été, comme tous les parlementaires, quelque peu vexé par la procédure un tant soit peu hâtive retenue par le Gouvernement, néanmoins, comme le dit le proverbe, « nécessité fait loi ».
On ne peut pas conserver en l’état le système APB, dont nous avons tous constaté qu’il est une catastrophe. Dès lors, monsieur Gay, même si je partage votre gêne concernant la forme, en revanche, sur le fond, j’estime que nous devons aujourd’hui corriger ces erreurs. Tel est bien l’objet du texte dont nous débattons ; c’est pourquoi je voterai contre votre motion, quand bien même ce que vous avez dit, sur la forme ou sur le fond, serait juste.
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 193, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 57 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 268 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 243 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Antoine Karam. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, le plan Étudiants, dont ce projet de loi est la pierre angulaire, relève enfin le défi de l’accompagnement vers la réussite de tous les jeunes, dans leur diversité.
Nous sommes dans une situation unique. En effet, le droit en vigueur n’est plus applicable en l’état, et nous devons donc définir, de toute urgence, un nouveau cadre légal. Je pense que nous mesurons tous ici l’ampleur de la tâche qui nous incombe.
Les difficultés rencontrées lors de la campagne 2017 d’APB ont révélé le caractère injuste, non seulement du recours au tirage au sort, mais aussi de ce système dans son ensemble. La plus grande injustice réside dans cette honteuse sélection par l’échec.
Alors, n’ayons pas peur de dire que ce texte apporte une réponse équilibrée et pragmatique à une situation, devenue insupportable, dont nous sommes collectivement responsables.
La première ambition de ce projet de loi est de replacer de l’humain et de la justice au bon endroit, par un accompagnement personnalisé vers la réussite.
En maintenant le principe de liberté de choix du candidat, nous ne fermons aucune porte à notre jeunesse à ce moment charnière qu’est le passage de l’enseignement secondaire à l’enseignement supérieur. Mesurons bien la complexité de ce moment : c’est aussi le passage de l’adolescence à l’âge adulte, celui où nos enfants se construisent et où chacun d’entre eux affirme son identité et ses choix. Il nous faut donc aider chaque lycéen en le considérant comme une personne qui va réussir.
Par ailleurs, l’introduction d’attendus consultables sur la nouvelle plateforme Parcoursup offrira des garanties supplémentaires quant à la prise de conscience par les candidats des difficultés de telle ou telle filière. Il s’agit d’une logique de personnalisation des parcours et de responsabilisation des candidats, qui seront désormais davantage acteurs de leur réussite. Les futurs étudiants seront informés aussi bien sur le contenu de la formation que sur ses débouchés.
Un autre axe primordial de ce texte est la continuité du processus d’accompagnement des jeunes, qui doit être garantie par une meilleure coordination entre le lycée et l’enseignement supérieur.
Les dispositifs d’accompagnement de Parcoursup ne peuvent être hors sol, mais doivent s’inscrire au plus près des étudiants, dans une logique de parcours et d’élaboration d’un projet. L’orientation est un processus long que nous devrons enclencher dès l’entrée au lycée. À cet égard, l’introduction de « semaines de l’orientation » est une bonne chose. Le projet de loi prévoit qu’elles soient organisées en concertation avec les universités. Nous nous en félicitons, car le renforcement de la cohérence entre le lycée et l’enseignement supérieur est, de notre point de vue, essentiel.
En raison de leur éloignement et de leur isolement, les territoires ultramarins devront faire l’objet d’une attention particulière. En matière d’orientation, il nous faut y promouvoir les formations relatives aux filières d’avenir. Je pense à l’économie bleue, au bois, à la biodiversité, mais aussi aux ressources halieutiques et minières. Nous devons offrir une voie à ceux qui cherchent des débouchés sur leur territoire d’origine. Nous proposerons également de faciliter la poursuite des études de nos bacheliers ultramarins dans l’Hexagone, en particulier pour ceux dont la filière est en tension dans leur académie d’origine.
La seconde grande ambition de ce texte est d’améliorer les conditions de vie de nos étudiants.
Cela concerne d’abord – et c’est un vrai progrès – la santé étudiante. Nous ne pouvons que nous féliciter de la volonté de mettre fin aux dérives récurrentes de la sécurité sociale étudiante.
Le texte prévoit ensuite la création d’une contribution unique « vie étudiante » qui rendra le système plus lisible et plus cohérent. Du reste, l’Assemblée nationale a souhaité que cette contribution soit également destinée à l’accueil des étudiants et, en particulier, de ceux qui viennent d’outre-mer ou de l’étranger. Il s’agit là d’un point important, car les jeunes Ultramarins sont souvent en proie à de grandes difficultés d’adaptation et d’installation. Cette contribution suscite toutefois quelques interrogations autour de son fléchage, qui sera opéré d’abord par le CROUS, puis par chaque établissement. La programmation des actions financées devra donc faire l’objet d’une grande transparence.
Je souhaite aussi saluer le travail effectué, dans un esprit constructif, par notre commission et son rapporteur sur l’ensemble de ce texte.
Les avancées apportées, aussi bien au profit des bacheliers technologiques et professionnels que sur la plateforme Parcoursup, montrent bien l’importance du Sénat dans l’élaboration de la loi.
Notre groupe reste toutefois attaché à ce que ce projet de loi demeure fidèle à l’esprit du plan Étudiants.
Aussi, si certains considèrent le dispositif prévu trop sélectif, l’enseignant que je suis ne peut que leur faire part du désarroi de ces étudiants mal orientés qui se retrouvent en échec dès leur entrée à l’université.
Laisser ces jeunes perdre une année, voire deux, dans une filière qui ne leur correspond pas, ce n’est pas garantir leur liberté d’étudier, c’est négliger la responsabilité que nous avons de mieux les accompagner vers la réussite.
À l’inverse, ouvrir la voie à une sélection accrue pilotée par les établissements de l’enseignement supérieur, et ce au nom de leur autonomie, c’est prendre le risque d’entamer un mouvement vers une université à deux vitesses, une université qui discrimine alors qu’elle doit proposer à tous les étudiants une voie vers la réussite.
Nous pouvons ménager l’autonomie des établissements sans pour autant bloquer les procédures, en respectant le droit des élèves à être affectés dans l’université de leur choix en fonction de leurs compétences. Il s’agit là d’un point d’équilibre essentiel pour faire de ce texte une réforme juste et efficace. Les mouvements étudiants de 1986, qui ont vu la mort tragique de Malik Oussekine, cet étudiant comme tous les autres, dénonçaient déjà ces mêmes dérives.
Alors, profitons de ce débat, mes chers collègues, pour dire aux étudiants que non seulement nous les entendons, mais nous les écoutons. Plutôt que d’agiter des épouvantails, mettons-nous humblement à leur école, à l’école de leur vie, donc de leur avenir.
Vous l’aurez compris, notre groupe est favorable à ce texte indispensable. Nous le souhaitons aussi juste qu’efficace ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, pour introduire notre débat, j’aimerais vous citer plusieurs passages du discours prononcé par notre ancien collègue Edgar Faure, en 1968, à l’occasion de la présentation de sa loi de refondation de l’université, qui allait être adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale comme par le Sénat.
Dans les circonstances que vous connaissez, et alors que l’université devait affronter le défi, bien plus grand qu’aujourd’hui, de l’accueil de 80 000 étudiants supplémentaires, Edgar Faure avait réaffirmé les principes républicains de notre enseignement, que vous reniez aujourd’hui, et engagé des moyens matériels considérables au service de cette ambition politique qui vous fait tant défaut.
Il faisait le rappel suivant : « L’État est débiteur de l’enseignement envers la jeunesse et, plus généralement, il est débiteur de l’éducation envers la nation. » C’est en vertu de cette exigence morale et quasi philosophique qu’il excluait le recours à la sélection pour écarter de l’université les cohortes supplémentaires qu’elle n’arrivait plus à recevoir.
À celles et ceux qui le pressaient d’établir « un filtrage supplémentaire selon les possibilités d’accueil », il répondait justement : « Que deviendront les bacheliers éliminés des facultés les plus exigeantes ? Ils iront encombrer celles qui n’auront pas pratiqué la sélection. Il en résultera donc un transfert d’une faculté à une autre. » Il ajoutait, pour expliquer son refus de la sélection : « La dernière raison, la plus profonde et la plus déterminante, touche le fond de l’enseignement : que faire des hommes ? Si ces bacheliers se sont apprêtés à s’inscrire dans des facultés et si nous les en empêchons, où iront-ils ? Que vont-ils faire ? »
Mes chers collègues, alors que nous commençons l’examen de ce texte, qui est loin d’être technique, puisqu’il touche aux fondements du pacte républicain en matière d’enseignement, alors que vous vous apprêtez, sans doute, à donner aux universités les moyens pratiques de rejeter les candidats qu’elles ne veulent ou qu’elles ne peuvent accueillir, gardez à l’esprit cette question pour bien prendre conscience du poids de vos responsabilités : que vont-ils faire ?
En 1968, sous la pression d’un mouvement étudiant que vous ne connaissez pas encore, madame la ministre, le gouvernement de la République avait engagé un plan d’investissement d’urgence très ambitieux, dont l’objectif était de ne laisser aucun bachelier sans affectation. Ainsi, en quelques mois, il avait transformé l’immeuble laissé vacant par le départ de l’OTAN à Paris, porte Dauphine, en une université qui put accueillir près de 6 000 étudiants à l’automne de la même année. Aujourd’hui, l’université de Paris-Dauphine est un établissement d’enseignement qui sélectionne ses étudiants et fixe librement le coût de ses formations, une université pour l’élite. Vous me permettrez de voir dans cette reconversion radicale un symbole de la dérive lente et continue de notre système universitaire.
Depuis plus de vingt ans, à l’exception de quelques rares périodes de rémission, les gouvernements successifs ont abandonné l’ambition d’apporter aux universités les moyens dont elles ont besoin pour donner aux bacheliers les mêmes droits à poursuivre leur formation dans le cycle supérieur. Leur unique dessein comptable fut de gérer la pénurie.
Notre système d’enseignement pâtit durement de cet abandon accepté. Depuis dix ans, le budget moyen par étudiant n’a cessé de baisser, jusqu’à un niveau bien inférieur à celui de nos partenaires européens. Pis, la proportion de titulaires d’un doctorat a diminué.
Les inégalités sociales et géographiques d’accès aux formations supérieures se sont quant à elles accrues. Ainsi, 34 % des bacheliers de l’académie de Rouen accèdent à l’université, contre 49 % dans l’académie de Paris. Dans cette dernière académie, 20 % ont intégré une classe préparatoire aux grandes écoles, contre 7 % dans l’académie d’Amiens et 5 % en Guyane. Les disparités sociales sont, elles, devenues abyssales.
L’arrivée prévisible de 40 000 bacheliers supplémentaires aurait pu être mise à profit pour tenter de corriger ce déclassement global de notre enseignement supérieur. Las ! elle a été gérée comme un nouveau fardeau. Fuyant ses responsabilités, le précédent gouvernement a reporté sur les établissements la responsabilité de l’inique décision d’écarter cet « excédent » par un tirage au sort illégal. Quant à votre gouvernement, madame la ministre, en refusant d’augmenter votre budget pour satisfaire pleinement cette demande croissante d’accès aux savoirs, il vous oblige finalement au même exercice mécanique : éloigner les indésirables.
Avec plus d’adresse, ce recours à la sélection, vous ne l’assumez ni politiquement ni matériellement, et vous en rejetez la responsabilité et la charge sur les universités. Ce faisant, vous mettez à bas les fondements républicains de notre éducation nationale.
M. Gérard Longuet. Il ne faut pas exagérer !
M. Pierre Ouzoulias. Jusqu’à présent, ce sont les étudiants qui choisissaient leur université ; suivant votre projet, ce sont les universités qui sélectionneront leurs étudiants.
M. Gérard Longuet. Enfin !
M. Pierre Ouzoulias. En rompant le lien qui les unit à la Nation, vous instaurez la concurrence générale entre les établissements, les étudiants et les formations. C’est l’objectif libéral de votre réforme.
Nous nous y opposerons, en républicains, par la promotion d’un autre idéal, celui qu’exposait Condorcet, le 20 avril 1792, devant l’Assemblée législative : « Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaître et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs ; assurer à chacun d’eux la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé, de développer toute l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature et, par là, établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi. Tel doit être le premier but d’une instruction nationale. » C’est celui que nous défendrons ici ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste – M. Patrice Joly et Mme Marie-Pierre Monier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Laurent Lafon. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, madame la rapporteur pour avis, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’orientation et à la réussite des étudiants a pour objet, avant tout, de mettre fin au système de tirage au sort qui a prévalu l’année dernière pour l’inscription des étudiants à l’université.
Même si les délais d’élaboration de la loi et de mise en œuvre de la nouvelle procédure peuvent sembler courts, nous partageons la préoccupation du Gouvernement : il importe de mettre en place un système opérationnel pour assurer la prochaine rentrée universitaire en tenant compte des impératifs de calendrier que constituent, d’une part, les épreuves du baccalauréat en mai et juin prochains et, d’autre part, le début des cours dans l’enseignement supérieur en septembre et en octobre. La mise en demeure de la CNIL et l’arrêt rendu par le Conseil d’État en 2017 rendaient de toute façon inéluctable une nouvelle organisation pour la rentrée 2018.
Autant le dire tout de suite, nous partageons les grandes orientations qui sous-tendent ce texte.
Il s’agit, en premier lieu, de mettre en place un processus de sélection dans les filières en tension, pour éviter que des bacheliers ne se trouvent affectés dans des filières où ils seront en difficulté et que nombre d’entre eux abandonneront quelques semaines ou quelques mois après leur entrée à l’université. Je tiens d’ailleurs dès à présent à saluer, comme l’a fait notre rapporteur il y a quelques minutes, le travail de notre ancien collègue Jean-Léonce Dupont qui, il y a plusieurs mois, avait déjà travaillé, dans ce même hémicycle, dans la même direction.
En second lieu, ce texte maintient le principe de l’accès à l’enseignement supérieur pour chaque bachelier qui le souhaite ; c’est le corollaire de la mise en place de la sélection, ou cela l’équilibre.
Par ailleurs, le projet de loi instaure un principe d’accompagnement pour les étudiants dont le niveau est insuffisant pour réussir leur première année.
Enfin, il crée des liens entre les lycées et les établissements d’enseignement supérieur en impliquant les professeurs principaux et les conseils de classe dans la procédure d’orientation et en transmettant les notes obtenues en première et en terminale aux établissements d’enseignement supérieur.
Deux dispositions d’une autre nature nous semblent, elles aussi, aller dans la bonne direction.
Il s’agit, d’une part, de la suppression du régime de sécurité sociale spécifique aux étudiants et de son rattachement au régime général. Force est de reconnaître que cette spécificité ne se justifiait plus et n’était pas efficiente en termes de délais de remboursement ou de coûts de gestion.
Il s’agit, d’autre part, de la possibilité offerte à tout étudiant qui le demande d’effectuer une année de césure sans que cela pénalise son parcours étudiant.
Si les grandes orientations du texte vont dans le bon sens, il nous paraît néanmoins insuffisant sur plusieurs aspects. Il serait selon nous erroné de penser que la réforme de l’enseignement supérieur et celle de l’orientation devraient s’arrêter à ce texte. En quelque sorte, ce projet de loi ouvre des pistes qu’il conviendra d’approfondir à travers d’autres textes législatifs.
C’est notamment le cas de la question, centrale à nos yeux, de l’orientation. Le chômage frappe en France près d’un jeune sur quatre, et le taux d’échec dans les premières années d’université est énorme : 60 % des étudiants inscrits en première année n’auront pas leur licence. Ces deux chiffres illustrent bien les défauts de notre système d’orientation. C’est un sujet qui préoccupe depuis plusieurs années la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. La question reste malheureusement d’actualité ; il serait bon que le Gouvernement s’inspire du rapport de notre collègue Guy-Dominique Kennel sur ce sujet essentiel.
Autant le dire, nous ne pensons pas que le présent projet de loi améliorera significativement la situation dans ce domaine. Peut-être permettra-t-il aux quatre filières en tension d’afficher des taux de réussite plus satisfaisants en première année et durant le cycle de la licence, mais cela ne sera pas suffisant au regard de l’ampleur des difficultés.
La question de l’orientation nécessite d’être repensée au prisme d’une triple idée.
Nous devons, d’abord, aider le jeune à trouver les filières qui correspondent le mieux à ses aptitudes, bien entendu, mais aussi aux perspectives d’emploi dans le marché du travail.
Il faudrait, ensuite, mettre en place un système d’orientation qui commence dès la fin de la troisième et continue jusqu’à la fin de la licence ; cela donnerait au jeune, en fonction de sa maturité et de sa capacité à se projeter dans l’avenir, la possibilité d’avoir différents temps d’orientation.
Enfin, nous voudrions accorder au jeune un droit à l’erreur en lui permettant de changer d’orientation non seulement au cours de ses années de lycée, mais aussi au cours de son premier cycle d’enseignement supérieur.
De ce point de vue, le présent projet de loi n’aborde que faiblement la question de l’orientation. C’est pourquoi, malgré son titre, il ne peut s’agir pour nous d’une vraie réforme de l’orientation des jeunes.
Le deuxième sujet sur lequel ce projet de loi nous paraît insuffisant est l’organisation du premier cycle de l’université. La licence est encore très marquée par des schémas anciens, pour lesquels des évolutions devront intervenir.
De ce point de vue, plusieurs idées nous semblent devoir être approfondies.
Il faudrait organiser le premier cycle de manière plus souple, en permettant à l’étudiant de changer de filière sans qu’il doive recommencer au point de départ, avec le sentiment d’avoir perdu plusieurs mois. C’est pourquoi nous privilégions un système modulaire, capitalisable et semestriel, qui serait plus souple et donnerait plus de facilité pour s’orienter en cours de cycle. Cette organisation permettrait également à des étudiants d’adapter leur scolarité en passant leur licence en quatre ans, pour ceux qui en ont besoin, voire en deux ans, pour ceux qui le peuvent.
Il faut par ailleurs renforcer le lien avec le marché du travail. Le premier cycle est certes la voie d’accès aux masters, mais il peut aussi être, pour certains étudiants, une voie directe d’accès au marché du travail à l’issue de la licence. Le succès des formations courtes – BTS et, surtout, IUT – montre l’attrait de formations directement professionnalisantes. L’université aussi devrait pouvoir permettre, à travers des licences adaptées, d’accéder au marché du travail au bout de trois ans d’étude.
Le présent projet de loi introduit l’idée d’un accompagnement individualisé et d’une remise à niveau pour les étudiants dont le niveau semble insuffisant pour réussir leur première année.
Cela va, à nos yeux, dans le bon sens ; néanmoins, la rédaction actuelle et les moyens mis en œuvre nous paraissent notoirement insuffisants. Si l’on veut lutter contre les taux d’échec en première année et, au-delà, en licence, l’instauration d’une année propédeutique, qui permettrait à la fois de remettre à niveau le jeune et de mieux l’orienter sans le mettre dans une situation d’échec, nous semble devoir être étudiée sérieusement. Sur ces divers points, nous défendrons des amendements.
Le troisième et dernier sujet qui nous semble être insuffisamment traité dans ce projet de loi est celui de l’accès à l’enseignement supérieur des bacheliers professionnels et technologiques.
Nous partageons la crainte de ceux qui pensent qu’un processus de sélection met sur le côté les élèves les plus fragiles. Certes, il n’est pas non plus souhaitable de les laisser s’inscrire à l’université, comme c’était le cas jusqu’à présent. En effet, nous savons qu’ils s’y retrouvent souvent en situation d’échec.
Nous avons bien pris note de la mesure prise par le Gouvernement consistant à leur réserver un minimum de places dans les IUT et les sections de techniciens supérieurs, ou STS. Si cette initiative va dans le bon sens, elle sera néanmoins insuffisante pour affecter de nombreux bacheliers professionnels et technologiques de manière pertinente et sans les mettre dans des situations d’échec. Avec Parcoursup, le risque est réel qu’ils se retrouvent affectés à l’université dans des filières qui ne sont pas en tension, mais dans lesquelles ils connaîtront probablement les mêmes difficultés pour réussir.
Les difficultés de la rentrée de 2017 ont souvent été présentées comme l’échec de l’algorithme APB. Nous savons qu’il n’en est rien : c’est d’abord l’échec des gouvernements successifs qui n’ont pas anticipé le double phénomène de l’accroissement du taux de réussite au baccalauréat et du baby-boom de l’an 2000, aboutissant de manière inéluctable à l’augmentation significative du nombre d’entrants dans l’enseignement supérieur.
La nouvelle procédure mise en place par ce projet de loi apporte des solutions pour les filières en tension. Elle ne restaure pas, en revanche, la capacité de notre système d’enseignement supérieur à faire face au pic démographique pour les prochaines années.
Le Gouvernement a annoncé une augmentation des crédits, à hauteur de 1 milliard d’euros sur l’ensemble du quinquennat. Ces crédits seront affectés à l’aménagement et à la création de locaux, mais aussi au recrutement de personnel pour la mise en place de la réforme. Nous serons évidemment attentifs à la question des moyens. Bien qu’elle ne soit pas l’alpha et l’oméga des maux de l’université, il s’agit néanmoins d’un aspect important des mesures à prendre pour faire face aux difficultés actuelles.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe de l’Union Centriste est plutôt favorable au présent projet de loi. Nous considérons que ce texte constitue une première étape, qui a le mérite de débloquer une situation qui n’était plus tenable. C’est donc dans un esprit de responsabilité que nous le voterons. Mais nous restons aussi conscients que, si nous voulons mieux former et préparer nos jeunes à leur vie future, il faut aller plus loin et être plus ambitieux dans la réforme. Tel sera le sens des amendements que nous défendrons. Telle sera aussi, je l’espère, l’ambition du Gouvernement dans la réponse qu’il leur apportera. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)