M. Loïc Hervé. Les montagnes sont délaissées !
M. Gérard Cornu. Il faut aussi donner la priorité à l’embranchement avec les grands ports maritimes et à l’intermodalité ferroviaire-fluvial.
Je pense enfin qu’il faut changer les habitudes des donneurs d’ordre et des chargeurs. Après les accords de Paris et de la COP 21, personne ne peut être indifférent à l’idée de diminuer l’empreinte carbone et la pollution de l’air. Nous ne pouvons plus accepter avec passivité les prévisions de doublement du trafic poids lourds dans les dix prochaines années. Ce sera insupportable pour les automobilistes, qui reporteront leur colère sur l’impuissance des politiques à anticiper les problèmes à venir. Mais, il sera alors trop tard ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord d’excuser Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports, qui ne peut malheureusement pas être présente aujourd’hui, puisqu’elle est à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la réforme ferroviaire. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Permettez-moi ensuite de remercier le groupe Les Républicains de cette proposition de débat. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.). Cela me donne d’ailleurs l’occasion d’exposer devant vous les actions du Gouvernement en faveur – j’ai bien dit « en faveur » ! – du fret ferroviaire.
M. François Bonhomme. C’est bien parti !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Nous partageons cette priorité avec vous tous : le fret ferroviaire est indéniablement un secteur important de notre politique des transports. Mais c’est un secteur qui connaît aussi, et vous l’avez rappelé, monsieur Cornu, de réelles difficultés.
M. Charles Revet. C’est le moins qu’on puisse dire !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. C’est un sujet prioritaire pour le Gouvernement. À ce titre, je reprendrai les propos du ministre d’État Nicolas Hulot : « Voyons comment on peut remettre le ferroviaire au cœur de la mobilité durable sur deux priorités : le confort du transport quotidien et […] le transport du fret ferroviaire ».
D’abord, je tiens à partager avec vous un constat : la situation actuelle n’est tout simplement pas satisfaisante.
Confronté aux réalités économiques du pays, le fret ferroviaire est en difficulté depuis de nombreuses années ; c’est une réalité que l’on ne peut pas nier. Son poids dans l’ensemble des transports de marchandises a décliné, passant de plus de 16 % de part de marché en 2000 à 10 % en 2016, en connaissant un niveau plancher à moins de 9 % en 2010. Cette part modale s’est stabilisée autour de 10 % depuis 2011 ; vous en conviendrez, c’est trop faible. À titre de comparaison, la part modale du fret est de 40 % en Autriche et de 20 %, soit le double de la France, en Allemagne.
Trois facteurs doivent être pris en compte pour expliquer les difficultés que le fret ferroviaire rencontre en France.
Premier facteur : la faible densité industrielle dans notre pays – elle est, par exemple, trois fois moindre que celle de l’Allemagne – et la répartition inégale des sites industriels sur l’ensemble de notre territoire.
Deuxième facteur : la moins grande compétitivité des ports français par rapport à leurs concurrents européens et la desserte ferroviaire insuffisante de leur hinterland ; nous avons pris des mesures récentes pour changer cela.
Troisième facteur : la crise économique de 2008, qui a entraîné une contraction de la demande de transport de fret et accéléré la désindustrialisation dans beaucoup de secteurs, en particulier les secteurs qui utilisent fréquemment le mode ferroviaire.
Le niveau de l’ensemble des transports de marchandises en 2016 était ainsi encore inférieur de 20 % à celui de l’année 2007, année précédant la crise économique, dont les effets se font encore malheureusement sentir.
Depuis une dizaine d’années, l’activité de fret ferroviaire connaît une difficulté structurelle face à la concurrence féroce du mode routier. Ce dernier offre plus de souplesse et de réactivité que le mode ferroviaire. Il est aussi moins onéreux, depuis la baisse du prix du gasoil de 40 % en trois ans et la contraction des prix de main-d’œuvre en raison d’opérateurs des pays de l’Est extrêmement compétitifs. Mais je reviendrai sur la compétitivité du pavillon français dans la suite de mon intervention.
Il est par ailleurs indispensable de mener des actions coordonnées et ambitieuses pour contrer les tendances que je viens de décrire.
Le fret ferroviaire est pleinement pris en compte dans les travaux en cours depuis plusieurs mois au sein du ministère chargé des transports. Je pense d’abord à la stratégie des mobilités et à la future loi d’orientation sur les mobilités, qui comprendra un volet important fret. Je pense aussi au rapport du Conseil d’orientation des infrastructures qui intègre bien des investissements en faveur du fret ferroviaire à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros : liaisons Serqueux-Gisors, Dijon-Modane, désaturation des nœuds ferroviaires, etc. Permettez-moi à cette occasion de saluer devant vous l’engagement de certains de vos collègues, notamment Hervé Maurey, président de votre commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, Gérard Cornu et Michel Dagbert, dont les travaux nous ont beaucoup aidés et inspirés. Je pense enfin aux réflexions et discussions en cours avec le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.
Les actions en faveur du fret ferroviaire, qui, vous le voyez, sont essentielles aux yeux du gouvernement actuel, s’articulent autour de cinq priorités.
Première priorité : améliorer la qualité de service de SNCF Réseau et donner de la visibilité sur la tarification du réseau.
La relance du fret ferroviaire passe en premier lieu par la disponibilité et la qualité des sillons, préalables à l’amélioration de sa fiabilité.
La ministre Élisabeth Borne a donc souhaité l’organisation de la « Conférence nationale sillons fret », qui s’est tenue le 6 février dernier. Ce moment d’échanges a permis de confirmer une évolution positive de la qualité des sillons et une meilleure rencontre entre l’offre de SNCF Réseau et les demandes des entreprises ferroviaires. Ainsi, SNCF Réseau a pu indiquer le lancement de nouvelles actions concrètes visant à améliorer encore l’anticipation et la qualité de service, comme la mise en œuvre d’un réseau ferroviaire de fret de haute qualité de service, représentant près de 80 % du trafic fret en trains-kilomètres.
Le Gouvernement a en outre confié une mission au Conseil général de l’environnement et du développement durable, ou CGEDD, pour améliorer la qualité de service offerte aux entreprises de fret ferroviaire par le gestionnaire d’infrastructure, de façon à rendre le système plus compétitif et à déterminer la juste trajectoire des péages et des aides publiques visant à compenser les prix des sillons, dans le contexte de concurrence directe, avec le mode routier ; nous y reviendrons.
Deuxième priorité : garantir une bonne irrigation des territoires avec les lignes capillaires de fret.
L’irrigation ferroviaire des territoires est indispensable. Depuis trois ans, l’État a financé des aménagements de ces petites lignes à raison de 40 millions d’euros par an, ce qui a permis de traiter près de 800 kilomètres de lignes.
Dans le cadre du projet de loi d’orientation sur les mobilités, le Gouvernement propose de pérenniser ce dispositif. Un nouveau référentiel adapté à la maintenance des lignes capillaires a d’ailleurs été publié à l’automne 2016. Sur les lignes capillaires de fret, le Gouvernement devrait vous proposer d’aller plus loin que les préconisations du Conseil d’orientation des infrastructures. Je suis certaine que cela vous intéresse, messieurs les députés !
Plusieurs sénateurs. Ici, nous sommes au Sénat !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Excusez-moi : je voulais dire : messieurs les sénateurs ! Je vois que vous suivez ; c’est bien ! (Exclamations.)
M. Alain Fouché. Apparemment, nous ne comptons pas pour vous !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Mais si ! Vous comptez beaucoup ! Comme je l’ai souligné, vous contribuez à nos travaux, et je vous en remercie.
Dans le même esprit, le Gouvernement a obtenu auprès de la Commission européenne la possibilité de mettre en place un dispositif d’aides publiques à la création, à la réactivation, à la remise en état et à la modernisation des secondes parties d’installations terminales embranchées, les ITE, parties privées appartenant aux industriels.
Troisième priorité : améliorer la performance dans l’intermodalité.
Le développement du transport combiné est une priorité du Gouvernement. C’est un secteur en forte croissance, avec 9 milliards de trains-kilomètres en 2015 contre 7,2 milliards en 2010.
L’État a soutenu ce secteur par des aides à l’exploitation, entre 25 millions d’euros et 30 millions d’euros par an ces dernières années. Ces aides doivent être pérennisées et notifiées à la Commission européenne en 2018. Le Gouvernement a confié une mission au CGEDD, qui a confirmé l’utilité du dispositif, même si celui-ci peut être adapté pour devenir plus performant.
Un nouveau système d’aides à la pince sera donc notifié à la Commission européenne dans les prochains mois.
L’État est également mobilisé en faveur du développement du ferroutage sur les grands axes de trafic pour diversifier les solutions de transports massifiés, vers l’Italie ou l’Espagne.
Le Gouvernement a, par ailleurs, clarifié sa stratégie portuaire, lors des assises de l’économie maritime, au mois de novembre 2017 ; je suis sûre que cela ne vous aura pas échappé. Il s’agit de transformer leur modèle économique et de développer la compétitivité de nos grands ports ; c’est une priorité. Cela passe par des infrastructures, comme la ligne Serqueux-Gisors, ou des modernisations de plateformes multimodales, ou des investissements portuaires importants, comme au Havre, à Dunkerque ou à Fos, ou encore des ouvertures de services de transport combiné vers le centre du pays et même du continent européen, au départ de Dunkerque, du Havre ou de Fos.
Le Premier ministre a aussi ouvert une réflexion sur un plus grand rapprochement des ports de l’axe de la Seine, Paris, Rouen et Le Havre, et sur la possibilité d’une décentralisation des ports de la façade atlantique.
Quatrième priorité : accompagner les innovations technologiques adaptées au transport de marchandises.
Les actions de réduction du bruit ferroviaire sont menées par l’État avec les différents opérateurs, avec un programme pérenne de résorption des points noirs de bruit liés au transport ferroviaire, le trafic fret roulant essentiellement de nuit, en remplaçant les semelles de freins en fonte par des semelles de freins composites.
La massification, avec des convois de fret plus longs et plus lourds, est un facteur de progrès pour le fret ferroviaire. La France peut être considérée comme à l’avant-garde à l’échelon européen sur le sujet, puisqu’une partie des axes majeurs de fret est d’ores et déjà apte à la circulation de trains de 850 mètres. Ces grands convois nécessitent des développements technologiques poussés.
Enfin, cinquième priorité : mener une action énergique contre la concurrence déloyale dans le transport routier de marchandises qui fixe des prix de référence totalement insoutenables. Cette priorité est en fait peut-être la première en termes d’importance.
Dès son arrivée au pouvoir, ce gouvernement a engagé des négociations très ambitieuses sur la révision de la directive sur les travailleurs détachés, c’est-à-dire sur l’application des droits du pays de destination. Ces négociations – je suis certaine que vous les avez suivies – sont en passe d’être finalisées. Le Gouvernement a veillé à faire en sorte que les règles s’appliquent au transport routier.
C’est avec la même détermination qu’il est engagé dans les négociations sur le paquet mobilité à l’échelon européen. Aux côtés des États membres de l’Alliance du routier, nous travaillons à promouvoir les conditions d’une concurrence saine et équilibrée assurant la protection sociale nécessaire, luttant contre le dumping économique et social,…
Mme Cécile Cukierman. Mais bien sûr !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. … mais intégrant aussi pleinement les conséquences environnementales de ces modes de transport, afin de favoriser le report modal vers le ferroviaire. C’est cet objectif que nous partageons avec vous, messieurs les sénateurs. (Protestations.)
Plusieurs sénatrices. Et « mesdames les sénatrices » ?
Mme Cécile Cukierman. Même si c’est accessoire, merci de rappeler que nous sommes quand même là !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Je vous garantis que c’est bien moins qu’accessoire. J’aurais effectivement dû citer les sénatrices en premier. Il faut dire que certains réflexes sont particulièrement intégrés chez les femmes…
Mme Cécile Cukierman. C’est vrai !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. J’en suis désolée.
Mesdames les sénatrices (Sourires.), messieurs les sénateurs, comme vous avez pu le comprendre, améliorer la performance du fret ferroviaire est le défi que nous devons relever pour assurer son développement.
Les entreprises ferroviaires et le gestionnaire d’infrastructure se mobilisent pour permettre aux chargeurs d’orienter leurs choix vers ce mode de transport plus vertueux en matière environnementale, ce qui est une priorité de ce gouvernement.
L’État prend également toute sa part de responsabilité en confirmant son soutien au fret ferroviaire et en agissant pour lui redonner toute sa place dans l’ensemble du transport de marchandises et de la logistique.
La ministre Élisabeth Borne rassemblera l’ensemble des acteurs concernés dans le courant du mois pour poursuivre ce travail indispensable.
Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs (Sourires.), je vous remercie de votre attention, et je me réjouis du débat qui arrive. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
Débat interactif
M. le président. Je rappelle que les auteurs des questions disposent de deux minutes au maximum, y compris la réplique. Le Gouvernement a la possibilité d’y répondre pour une durée équivalente.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Dans les semaines qui viennent, la SNCF présentera un plan spécifique de relance du fret ferroviaire. Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures formule également plusieurs propositions. Compte tenu de la dette de SNCF Fret, de la part modale toujours faible du transport ferroviaire de marchandises et des obligations qui sont les nôtres en matière de développement durable, des évolutions seront les bienvenues.
Mais les plans de relance s’accumulent depuis quinze ans, alors que les problématiques structurelles demeurent. Les voies sur lesquelles ces trains circulent, voies qui structurent le territoire, ont pâti d’un manque cruel d’investissements pendant de nombreuses années, fléchés prioritairement vers la création de lignes à grande vitesse. Les voies structurantes sont ainsi vieillissantes et nécessitent la réalisation de travaux, travaux qui s’effectuent souvent la nuit. Or, nous le savons, les trains de marchandises circulent aussi fréquemment la nuit. Les entreprises de fret qui empruntent désormais des lignes ouvertes à la concurrence souffrent avant tout de l’état du réseau et des travaux importants d’entretien en cours.
Venant s’ajouter à des facteurs plus anciens, comme la désindustrialisation ou la faiblesse des ports, l’arrivée de travailleurs détachés et du cabotage dans le transport routier a aussi eu un impact négatif sur l’attractivité du fret ferroviaire. Des poids lourds arrivent chaque jour par milliers à la frontière française et déchargent leur marchandise dans une myriade de petits véhicules, conduits par des ressortissants étrangers, qui ne sont pas soumis à la réglementation du travail française.
Mais je ne vous apprends rien, madame la secrétaire d’État. Les conditions, ou plutôt l’absence de conditions et de loyauté du transport routier au sein de l’Union européenne nuisent bien évidemment aussi à l’essor du fret ferroviaire.
Compte tenu de tous ces éléments, le fret ferroviaire a-t-il encore un avenir comme vecteur d’aménagement du territoire et comme mode de transport durable des marchandises ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, ainsi que je le soulignais précédemment, deux phénomènes défavorables au transport par voie ferrée se sont conjugués ces dernières années : la désindustrialisation que la France a malheureusement connue et une massification des flux.
Mais vous avez raison : le fret a également souffert du manque d’investissements sur le réseau existant. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous présentera, dans le cadre du projet de loi de programmation des infrastructures, une réorientation des financements en faveur de ces dernières. Nous veillerons à ce que ces travaux pénalisent le moins possible l’exploitation.
Le Gouvernement veut aussi œuvrer en faveur de l’amélioration de la qualité de service, notamment sur la question cruciale de la ponctualité.
Avec SNCF Réseau, il se concentrera sur les principaux atouts du fret.
Je pense d’abord à sa faculté d’acheminer de grands volumes de marchandises, notamment par des trains complets.
Je pense également à une meilleure utilisation de ses capacités résiduelles : trains massifs, système d’acheminement par wagon isolé ou transport combiné…
Je pense enfin aux actions contre la concurrence déloyale que vous pointez du doigt. Le dumping économique et social que cela entraîne fragilise notre capacité à intensifier le report modal de la route vers le fret. Nous y travaillons à l’échelon européen très activement avec nos partenaires.
Le défi que posent des véhicules utilitaires légers, c’est-à-dire ceux de moins de 3,5 tonnes, fait l’objet d’une attention particulière de la part du Gouvernement. Nous suivons ce dossier de près, notamment à l’échelle européenne.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Élisabeth Lamure. En 2016, le Premier ministre a lancé des missions parlementaires sur les enjeux portuaires. Pour ma part, j’étais missionnée sur Fos-Marseille et sur l’axe Rhône-Saône. Le long de cet axe rhodanien, nous avons un boulevard pour le transport du fret : le fleuve, la voie ferrée, l’autoroute.
Pourtant, vous connaissez le constat, mes chers collègues : 82 % du fret est transporté par la route. Le nombre de trains qui quittent le port de Marseille Fos quotidiennement est de l’ordre d’une vingtaine. Savez-vous combien de trains quittent chaque jour le port de Hambourg ? Cent cinquante !
Pourtant, en France, on continue de laisser la part belle au transport routier, qui est responsable de 60 % des émissions de gaz à effet de serre, alors qu’un train transporte l’équivalent de centaines de camions.
Pour ce qui concerne l’axe que j’ai étudié, mon rapport insistait sur le rôle majeur du nœud ferroviaire lyonnais, car sa congestion freine le développement du transport de fret.
La commission Mobilité 21 a classé en première priorité les travaux sur le réseau existant, et 421 millions d’euros ont été inscrits au contrat de plan État-région 2015-2020 pour une première tranche.
Madame la secrétaire d’État, nous sommes en 2018 : quel est l’état d’avancement de cette tranche et, surtout, des suivantes ?
Et quid du contournement ferroviaire lyonnais, sur lequel il y aurait, semble-t-il, un report ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Lamure, le port de Marseille Fos entend faire de Lyon son port avancé pour renforcer son hinterland.
Assurant 55 % des exportations maritimes de la région lyonnaise, il compte s’appuyer sur la densité de ses connexions routières, ferroviaires et fluviales avec Lyon pour augmenter sa part de marché sur la métropole ; il faut un mélange des trois.
Pour mettre en œuvre cette stratégie, ce port s’appuie sur l’association Medlink Ports, qui en a considérablement développé l’offre multimodale et massifiée, grâce notamment au ferroviaire sur le couloir rhodanien. Aujourd’hui, sept entreprises ferroviaires et sept opérateurs de transport combiné opèrent sur et à partir du port de Marseille Fos. Je mentionne également la réalisation du terminal de transport combiné de Mourepiane, dont l’objectif est de dynamiser le trafic de conteneurs grâce à une connexion plus rapide au réseau ferré national.
En 2016, vous appeliez de vos vœux la nomination d’un délégué interministériel sur l’axe Rhône-Saône. Votre proposition a été entendue. À la suite du rapport que vous avez remis conjointement avec le député François-Michel Lambert sur la compétitivité de cet axe, le Premier ministre a confié au délégué interministériel Jean-Christophe Baudouin le soin de mener une réflexion sur une nouvelle stratégie portuaire sur la façade et le long de l’axe précité. Celle-ci aboutira dans quelques mois, à l’été 2018.
Les résultats de cette stratégie portent aujourd’hui leurs fruits.
D’abord, l’offre commerciale ferroviaire à partir et vers le port de Marseille Fos compte quarante-cinq services ferroviaires par semaine.
Ensuite, cette offre continue de s’étoffer avec le lancement d’une nouvelle navette ferroviaire qui va permettre de relier, via Lyon, trois fois par semaine les ports de Marseille Fos et du Havre au terminal de Chavornay en Suisse ; le marché suisse dispose d’un potentiel de conteneurs entre 350 000 et 400 000 équivalents vingt pieds par an, alors qu’une part marginale transite aujourd’hui par les ports français.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour la réplique.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la secrétaire d’État, le problème en France, notamment dans ce domaine, c’est la lenteur !
J’évoquais voilà un instant le port de Hambourg. Lors des travaux préparatoires au projet de loi pour un État au service d’une société de confiance, l’un de nos interlocuteurs nous a fourni un exemple très concret : un industriel qui veut s’installer dans une zone portuaire en France met environ dix-huit mois, contre quarante-cinq jours à Hambourg !
Comme le disait l’un de mes collègues la semaine dernière à l’occasion de la Journée des entreprises au Sénat : le monde n’attend pas la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand.
M. Frédéric Marchand. Depuis plusieurs années – cela a été souligné par Gérard Cornu –, les actions des gouvernements successifs en matière de report modal ont échoué ou n’ont pas été à la hauteur. Les infrastructures ferroviaires et fluviales sont loin de pleinement utiliser leurs capacités en matière de fret.
Ainsi, le secteur du fret a perdu un tiers de son trafic en quinze ans. Et, en 2016, le train captait moins de 10 % du transport de marchandises, contre 88 % pour la route.
Par ailleurs, malgré la libéralisation du marché du fret ferroviaire en 2006, seul un tiers des transports sont aujourd’hui réalisés par des transporteurs privés. À côté de cela, l’activité de transport de marchandises de la SCNF est en grave déficit, et un nouveau plan spécifique de relance devrait être annoncé au printemps, selon Guillaume Pepy.
Au mois de septembre dernier, la Cour des comptes s’inquiétait de cette situation générale, soulignant l’absence d’une politique cohérente et efficace menée par l’État en matière de fret ferroviaire, malgré souvent de bonnes intentions affichées : amélioration de l’état du réseau, mesures en faveur du fret, stabilité des sillons, etc.
En effet, comme nous le savons, ce moyen de transport est aujourd’hui le plus pertinent pour des transports de longue distance : celui de matières dangereuses et en grande quantité. Il évite le bruit, la congestion et la dégradation des chaussées.
Le développement du fret ferroviaire est un enjeu d’avenir. C’est une solution plus sûre, plus écologique et plus respectueuse de la santé de nos concitoyens que la route. Pourtant, elle reste largement moins privilégiée.
L’organisation logistique et la mobilité des marchandises doivent contribuer à la performance économique de notre pays, même si le monde n’attend pas la France… Il est donc indispensable d’améliorer les dessertes pour leur permettre de se hisser au niveau des premiers ports européens. La France ne peut pas se passer de grands corridors de fret ferroviaire de qualité ; vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État.
La Cour des comptes, le rapport Spinetta et le Conseil d’orientation des infrastructures formulent plusieurs recommandations. Ainsi, madame la secrétaire d’État, sans nous dévoiler tout ce qui va suivre, pourriez-vous nous donner quelques pistes pour redonner enfin vie au fret ferroviaire ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Marchand, comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer, je partage votre opinion : la situation actuelle du fret n’est pas satisfaisante.
Les nombreux plans de relance auraient pu, il est vrai, avoir un impact plus grand, mais, comme je l’ai déjà expliqué, le contexte français était particulièrement compliqué. On ne peut pas dire que ces plans n’ont servi à rien, même s’ils n’ont pas atteint tous les objectifs qui leur étaient assignés. De fait, nous sommes parvenus à stopper la dégringolade.
Dans le rapport Spinetta que vous évoquez, plusieurs mesures sont préconisées. Tout d’abord, en l’absence d’une tarification kilométrique pour les poids lourds à un niveau suffisant pour couvrir les coûts externes dans les zones les plus polluées et congestionnées, les péages de fret devraient être maintenus à un niveau inférieur au coût marginal, ajusté à la sous-tarification des autres modes, comme le permet d’ailleurs la directive européenne 2012/34/UE.
L’auteur du rapport préconise aussi de créer une filiale de SNCF Réseau dédiée aux lignes capillaires de fret et aux installations de service.
M. Spinetta recommande de recapitaliser Fret SNCF – dont la dette accumulée s’élève, je le rappelle, à 4,3 milliards d’euros en 2016 - et de le filialiser lorsque la restructuration de l’activité aura été achevée et aura permis un retour à l’équilibre opérationnel.
Le Gouvernement examine actuellement ces propositions, qui feront l’objet de débats dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire.