Mme la présidente. Pour votre parfaite information, monsieur Masson, sachez que le président de séance est une femme… (Sourires.)
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 47.
Mme Éliane Assassi. Merci, madame la présidente. (Sourires.)
Cet amendement vise à abaisser le seuil de suffrages exprimés à atteindre pour participer à la répartition des sièges dans le cadre de l’élection des représentants au Parlement européen.
Pourquoi déposer cet amendement avant même de discuter du fond du projet de loi ? Tout simplement parce que le pluralisme est une question centrale dans notre démocratie.
Or, depuis la loi de 1977 et les premières élections européennes de 1979, la barre des 5 % écarte, comme cela a été dit, des milliers de nos concitoyennes et de nos concitoyens d’une juste représentation et appauvrit notre vie démocratique.
Ce choix d’un seuil de 5 % place la France aux côtés d’une minorité d’États comme la Croatie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie et la Slovaquie. Vous remarquerez qu’aucun pays fondateur de l’Europe ne se trouve dans cette liste, hors la France : l’Allemagne, l’Espagne, les Pays-Bas, le Portugal ou le Royaume-Uni n’ont fixé aucune limite.
Par ailleurs, la France était le seul pays, depuis 2003, à cumuler circonscriptions régionales et seuil élevé de répartition. Tout a donc été fait pour désintéresser la population de cette élection.
Ce seuil de 5 % apparaît pleinement contraire à la volonté, que beaucoup ont exprimée aujourd’hui, de lutter contre l’abstention.
En écartant de fait 15 % à 20 % des suffrages exprimés de la répartition, le système en place renforce le phénomène d’abstention déjà très fort en raison du rejet d’une Europe aux centres de décision éloignés, d’une Europe au dogmatisme libéral étroit qui maintient les pays européens sous le poids de l’austérité.
Supprimer ce seuil serait une mesure de bon sens démocratique renforçant le pluralisme et le débat d’idées.
À l’heure où la question démocratique se pose dans le cadre du débat institutionnel, le Sénat s’honorerait de voter cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?
M. Alain Richard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. La commission a souhaité conserver le seuil de 5 % qui s’applique dans tous les scrutins à la proportionnelle du système français.
Les arguments exposés par la présidente Assassi sont tout à fait judicieux.
Toutefois, sur les 705 membres du Parlement européen, il en faut au moins 25 pour constituer un groupe. Il est donc assez cohérent que les représentants français, quel que soit leur parti, puissent être élus en nombre suffisant pour représenter une part significative des groupes auxquels ils participeront.
Si nous ouvrions la possibilité de répartir nos élus par 2 ou 3 au sein de chaque groupe, leur apport au sein du Parlement européen serait extrêmement mince – ils pourraient même n’appartenir à aucun groupe constitué, comme c’est déjà le cas d’une vingtaine de députés européens, lesquels, de fait, influent moins sur les débats parlementaires.
Pour ces raisons, la commission a choisi de maintenir le seuil de 5 % et a émis un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Le Gouvernement partage l’avis de la commission, pour les mêmes raisons.
Premièrement, en droit électoral, le seuil de 5 % s’applique à tous les scrutins de liste.
Deuxièmement, comme l’a souligné le rapporteur, le maintien de ce seuil permet d’éviter un émiettement excessif de la représentation française au Parlement européen.
Troisièmement, enfin, le Gouvernement a souhaité limiter son intervention sur la loi de 1977 à la seule mise en œuvre de la circonscription unique et aux conséquences qu’elle emporte, notamment – nous en reparlerons au cours de la discussion – sur les dispositions nouvelles répondant aux injonctions du Conseil constitutionnel relatives aux temps d’antenne de la campagne audiovisuelle.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Madame le président (Sourires.), je vous prie tout d’abord de bien vouloir m’excuser : quand je suis intervenu plus tôt, en séance publique, le président était un homme… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je suis quelque peu choqué par les propos du rapporteur, pour qui la fixation de ce seuil permet d’empêcher l’élection d’éventuels députés européens ne rejoignant aucun groupe. Va-t-on faire de même au Sénat pour m’empêcher de siéger comme sénateur non inscrit, alors que j’ai largement distancé les listes des autres partis, bien que je me sois heurté à tout un tas de malfaisants !
Sous prétexte qu’on est non-inscrit, on ne pourrait être élu ? Monsieur le rapporteur, voilà qui est un peu vexant pour tous ceux qui, comme moi, n’appartiennent à aucun groupe. Nous avons le droit d’exister, c’est aussi cela, la démocratie. Si les électeurs souhaitent élire telle ou telle personne, il n’y a pas de raison de s’y opposer.
Comme je l’ai souligné en commission, la vraie raison, c’est que les grands partis, de droite comme de gauche, tout comme ceux qui ne sont ni à droite ni à gauche et dont je ne sais plus quel est le nom, voient midi à leur porte. Ils veulent éliminer les petits partis et toute concurrence.
C’est la vraie raison et je peux la comprendre, encore faut-il avoir le courage de le dire et de l’afficher.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. J’ai bien entendu les arguments de M. le rapporteur et de Mme la ministre.
Toutefois, j’ose penser que des questions politiques appellent des réponses politiques et non simplement techniques. Il s’agit d’un grave sujet qui pose la question du pluralisme et de la démocratie.
Par ailleurs, comme je l’ai souligné en discussion générale, j’aimerais que l’on m’explique, monsieur le rapporteur, madame la ministre, les raisons de ce décalage entre le seuil des 3 % pour le remboursement des frais de campagne et celui de 5 % pour la répartition des sièges. L’un d’entre vous pourrait-il me donner une réponse politique à cette interrogation ?
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais profiter de ces amendements pour préciser la position du Front national sur ce texte.
Si nous sommes favorables à la circonscription unique, nous dénonçons que soit proposée en même temps la modification des règles de temps de parole lors de la campagne électorale, modification qui privilégie les seuls partis défendant une Europe fédérale.
La circonscription nationale revenue et retenue pour les prochaines élections européennes, qui est le point majeur de ce texte, a pour mérite de rappeler que les élus au Parlement européen sont les représentants non de territoires ou de régions, mais bel et bien de la France et des Français, peuple un et indivisible.
Je rappelle que les élections européennes sont les seules élections qui permettent, grâce au scrutin proportionnel, la représentation équitable et, pour le coup, réellement démocratique, de la diversité des courants politiques de notre pays.
Cette nationalisation du scrutin est un modèle retenu dans l’immense majorité des autres États membres. Nous sommes inspirés, pour une fois, de les rejoindre sur ce point.
Cette nationalisation a aussi le mérite de clarifier les positionnements des grands partis nationaux qui « surfent » sur une ambiguïté et qui trompent les électeurs. J’en veux pour exemple nos chers collègues du groupe Les Républicains qui nous disent vouloir marcher sur leurs deux jambes, l’une libérale et l’autre conservatrice – entendre, sur les questions européennes : l’une fédérale et l’autre souverainiste.
Mes chers collègues, sur un sujet aussi essentiel, ces deux jambes ne se complètent pas, ne se synchronisent pas : elles s’opposent et s’entrechoquent. Il vous faut donc choisir, à moins de manipuler, une fois encore, les électeurs.
Au Front national, nous avons toujours été très clairs : nous sommes pour une Europe des nations libres et souveraines, une Europe au service des peuples et des nations.
Contrairement aux fédéralistes, qui en appellent à une Europe de la trique, nous souhaitons une Europe qui cultive les relations bilatérales et multilatérales librement consenties entre les pays, des relations respectant libertés et souverainetés nationales.
Malheureusement, ce texte est entaché d’une réforme du temps de parole durant la campagne qui n’est pas acceptable. Dès que la démocratie repousse, vous sortez, mes chers collègues, votre lame législative pour la faucher !
Cette volonté de transformer le temps de parole attribué de façon inégalitaire pose un vrai problème démocratique.
Comble de l’ironie, vous proposez de répartir les temps de parole proportionnellement aux groupes politiques non de l’assemblée européenne, mais de l’Assemblée nationale. Encore un coup de Jarnac qui confirmera aux Français que votre Union européenne ressemble décidément à une Union soviétique européenne ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Vous n’êtes même pas européen !
M. Stéphane Ravier. Pour conclure, mes chers collègues, ne vous étonnez pas si, dans les mois à venir, et à l’image de ce qui s’est passé chez nos voisins Italiens, Polonais, Hongrois, Allemands, Néerlandais, ….
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Ravier.
M. Stéphane Ravier. … les rangs de ceux que vous appelez les « eurosceptiques », mais qui ne sont que des Français…
M. Jackie Pierre. C’est fini !
M. Stéphane Ravier. … qui croient en la France et qui ont soif de liberté, constituent à nouveau la première force politique de notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. C’est un débat important. Sans doute encore plus important si nous adoptons la circonscription unique : auparavant, avec 5 % des suffrages, on n’avait probablement aucun siège ; dans ce nouveau cadre, avec 5 %, on peut en avoir un.
Le règlement du Conseil, modifié en 2002, ne fait pas obligation aux pays membres de fixer un seuil. Il indique seulement que le seuil maximum est de 5 %.
Le débat sur le seuil est donc assez légitime : soit on utilise la marge de manœuvre qui nous est offerte par le règlement en considérant qu’il faut une représentation un peu plus large, soit on ne l’utilise pas.
Notre groupe n’a pas délibéré sur cette question, mais je pense que l’on peut considérer avec sympathie le fait d’abaisser le seuil à 3 %…
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 1 et 47.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Article 1er
(Non modifié)
L’article 4 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen est ainsi rédigé :
« Art. 4. – La République forme une circonscription unique. »
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Charon, sur l’article.
M. Pierre Charon. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président, monsieur le rapporteur, le souhait de restaurer une circonscription unique pour l’élection de nos députés européens n’augure rien de bon. Ce choix, caressé par certains, n’est pas le mien.
À une époque où l’on reproche aux élus de s’éloigner de leurs électeurs, je m’étonne que l’on prône une mesure qui conforte l’entre-soi.
Je préfère des députés élus dans des circonscriptions, fussent-elles imparfaites, à des élus désignés dans une circonscription nationale, sans aucun lien avec leurs électeurs.
À mes yeux, seul le Président de la République est légitime à être élu dans une circonscription aux dimensions de la France. Depuis 2004, l’élection des députés européens dans des circonscriptions a rapproché ces élus de leurs électeurs. Nos parlementaires européens ont bien « localisé » leurs actions.
Les campagnes électorales européennes sont l’occasion de contacts des candidats avec leurs électeurs. Serait-il démocratique de revenir au statu quo ante ? Souhaitons-nous des meetings désincarnés, purement centrés sur les problématiques d’un parti ? Le militant que je suis n’a guère de sympathie pour ces campagnes, dont l’enjeu était de savoir si l’on figurait sur la liste…
La création de circonscriptions pour les élections européennes a été un progrès dans le rapprochement avec nos électeurs. Sous couvert de modernité, certains songent pourtant à revenir sur cette décision.
Enfin, à ceux qui affirment que les élus européens sont désignés par leur parti, on peut répondre que plus il y a d’enracinement, plus il y a de légitimité. Et plus il y a de légitimité, plus il y a de liens avec les électeurs.
Un élu désigné dans un territoire, c’est aussi une garantie d’indépendance. Un élu dont la liste couvre la Nation entière sera dans une situation de faiblesse : il ne pourra guère s’appuyer sur les électeurs de son territoire ; il devra tout à son parti. Dans certains cas, il pourra même être dans les mains de l’exécutif. Il ne sera là que pour faire de la figuration. Il ne sera là que pour un sigle ou pour un logo, sans aucun lien avec son terroir. Son travail au Parlement européen ne fera l’objet d’aucun suivi.
Je m’étonne que l’on tourne le dos, avec autant de cynisme, à ce qui permet à une démocratie de vivre.
Dans le feuilleton de la rénovation des institutions, l’épisode proposé par le Gouvernement n’est pas l’avenir de la démocratie, mais le retour vers le passé.
Pour ces raisons, je voterai contre cet article, conformément à l’intime conviction de mes collègues du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, sur l’article.
M. Jean Louis Masson. Quelle que soit la couleur politique des gouvernements, leurs propositions sont pertinentes ou ne le sont pas. J’ai voté certains textes du temps de M. Sarkozy comme du temps de M. Hollande, notamment l’interdiction du cumul des mandats.
Revenir à une circonscription nationale me paraît relever non seulement du bon sens, mais aussi de l’intérêt de la France et de la clarté politique.
Comme je l’ai souligné voilà quelques instants, les partis ne songent qu’à régler leurs petits problèmes. Certains d’entre eux ne sont pas clairs et ne veulent surtout pas d’une grande circonscription nationale : l’existence de sous-circonscriptions permet à Dupont de dire blanc dans son coin et à Durand de dire noir dans le sien, et tout le monde est content : c’est l’auberge espagnole !
Certains partis se sont même spécialisés en auberge espagnole : on a vu ce que ça a donné au parti socialiste. Nous verrons prochainement – je l’espère – ce qu’il en sera pour d’autres partis.
Dans la vie, il faut être clair. Et le meilleur moyen de l’être, c’est avec un scrutin national : l’enjeu, c’est la France. Il ne s’agit pas des petites magouilles de tel ou tel parti qui ne sait pas se situer. L’enjeu est de savoir si l’on est pour une Europe des nations ou pour une Europe supranationale fédérale.
Ceux qui ont le derrière entre deux chaises – pour rester poli – voudraient esquiver le débat et continuer de parler, dans de petites circonscriptions, qui d’autoroute, qui de bout de chemin de fer, mais d’Europe surtout pas ! Quand on manque de clarté, on fuit le débat sur l’Europe. C’est la raison pour laquelle il faut mettre en place une grande circonscription nationale et tenir un grand débat.
Ceux qui nous disent que nous serions mieux avec de grandes circonscriptions régionales se moquent du monde. Lors des dernières élections européennes, qu’ont fait les grands partis ? Ils ont présenté Tartempion, qui était de Biarritz, dans le nord de la France et Durand, originaire du Midi, à Paris ! Et parfois, on a même vidé des gens qui étaient enracinés localement pour faire élire un parachuté qu’il fallait caser quelque part ! En matière d’enracinement, les grands partis n’ont vraiment pas de leçon à donner.
Mme la présidente. La parole est à M. Victorin Lurel, sur l’article.
M. Victorin Lurel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans les outre-mer, nous ne sommes pas contre l’adoption d’un mode de scrutin proportionnel dans une circonscription unique, l’engouement pour le scrutin proportionnel rejoignant d’ailleurs la culture de la gauche.
Pourtant, il me semble que scrutin proportionnel et circonscription ultramarine sont compatibles. Mme la ministre affirme que, si l’on maintient deux circonscriptions, l’une hexagonale et l’autre ultramarine, on court un risque d’inconstitutionnalité : je n’en crois rien ! (Mmes Viviane Malet et Nassimah Dindar, ainsi que M. Michel Magras, applaudissent.)
Tout d’abord, s’appuyer sur une base démographique serait parfaitement impossible. Ensuite, on conserverait un mode de scrutin proportionnel. La seule chose qui changerait, ce serait la circonscription géographique. Je ne vois pas en quoi les objectifs décidés par les partis nationaux, y compris le mien, ne pourraient pas, dans ces conditions, être atteints. Les deux choses sont compatibles, nous en avons déjà largement discuté.
Les partis ont décidé de faire un score aux élections européennes et, pour eux, la meilleure façon d’y parvenir, c’est la circonscription nationale. Tel est plus particulièrement le cas pour La République En Marche, parti virtuel et numérique. Quant aux autres partis, qui sont affaiblis – je pense en particulier au mien –, c’est grâce à une circonscription nationale qu’ils feront un score. Simplement, si, au sein des 74 députés, 3 d’entre eux sont élus dans une circonscription ultramarine, cela correspond aux possibilités d’adaptation reconnues par la Constitution pour tenir compte des contraintes particulières des outre-mer.
Moi-même, j’avais demandé à l’époque un mode de scrutin mixte, qui avait été examiné par le Conseil d’État, lequel avait répondu que c’était parfaitement possible, à condition de ne pas trop s’éloigner du standard national. Or, avec notre proposition, on ne s’éloignerait pas du standard national. Seule la géographie changerait ! Le risque d’inconstitutionnalité n’est donc pas fondé, mais on l’exagère, pour justifier les objectifs électoralistes du parti majoritaire au pouvoir.
Nous persistons donc à croire qu’il est parfaitement possible d’atteindre ces objectifs au niveau hexagonal, tout en conservant une circonscription ultramarine, qui ne gêne en rien.
Au demeurant, je reviendrai sur ces aspects au cours de la discussion de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, sur l’article.
M. François Grosdidier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il est vrai que l’actuel mode de scrutin, imparfait, n’est pas très satisfaisant. Nos députés européens ne sont pas assez identifiés, pas assez accessibles, ce qui contribue à creuser encore davantage la distance entre les citoyens et l’Union européenne.
Si tous s’accordent à considérer que ce scrutin est imparfait, le Gouvernement et quelques ultraminoritaires en tirent curieusement une conclusion exactement inverse à celle qui s’impose, en proposant un mode de scrutin qui ne fera que creuser la distance, parce qu’il consiste précisément à éloigner davantage les citoyens de leurs représentants. L’élection de candidats non enracinés, recasés, sera largement facilitée par la liste nationale.
On entend de plus en plus la même petite musique : nos députés nous expliquent qu’ils sont simplement les élus de la Nation et qu’ils n’ont pas à être présents sur le territoire. Quant au Sénat, il serait l’incarnation d’une nation quelque peu abstraite et ne représenterait plus les territoires.
Tout cela est très dangereux ! Le peuple français est uni dans sa diversité, il veut que toutes ses préoccupations soient portées, au niveau tant national qu’européen. Parmi les compétences dévolues à l’Union européenne, certaines problématiques relèvent davantage des régions centrales, d’autres des régions frontalières. Et c’est encore plus vrai pour les outre-mer ! Si toutes les réalités du territoire et du peuple français ne sont pas portées par les voix françaises, alors le rejet de l’Union européenne sera beaucoup plus fort.
Cela ne nous empêche nullement d’avoir un débat sur ce que doit être l’Europe. Ce n’est pas parce qu’on est élu député dans une circonscription législative ou sénateur dans une circonscription départementale qu’on fait abstraction des débats nationaux au cours des élections parlementaires. C’est même tout le contraire, comme l’ont démontré les dernières élections législatives.
Si l’on veut que les voix du peuple français soient portées dans l’Union européenne, il faut donc modifier le scrutin, mais en le territorialisant davantage, et certainement pas en le nationalisant ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. L’adoption du projet de loi présenté aujourd’hui constituerait un bouleversement, à la fois du découpage des circonscriptions électorales et de leurs modalités pratiques, concernant les prochaines élections européennes prévues en 2019.
Outre l’article 1er, qui conduit au remplacement des huit circonscriptions régionales actuelles, dont la circonscription de l’outre-mer, par une circonscription nationale unique, l’article 7 du texte prévoyait initialement que les circonscriptions nationales pourraient être remplacées par une circonscription européenne, avec des listes transnationales en fonction des dispositions prises par l’Union européenne.
La circonscription d’outre-mer permet à nos territoires d’être représentés en bénéficiant de trois sièges. Sa suppression constituerait donc une bien mauvaise nouvelle, puisque les candidats ultramarins auront toutes les difficultés du monde à obtenir une place en position éligible sur une liste nationale ou transnationale.
De même, il est à prévoir que les petits partis politiques seront écartés et devront renoncer à présenter des listes à cette élection, car les listes nationales ou transnationales favoriseront avant tout les grands partis, qui disposent déjà de moyens importants.
C’est pourquoi mes autres collègues ultramarins socialistes et moi-même avons déposé des amendements permettant la coexistence de deux circonscriptions, l’une hexagonale et l’autre ultramarine. Les Ultramarins dans leur ensemble, qui ont déjà le sentiment d’être les exclus de la République, sont hostiles à cette volonté de circonscription unique.
Il y a dès lors un risque véritable de déconnexion entre les territoires ultramarins et l’Hexagone. Le risque de voir se développer un sentiment de non-appartenance est également important, puisque les populations concernées se considéreront comme les grandes oubliées de la politique européenne. Les implications et les conséquences seraient catastrophiques pour la France et l’Europe, dans la mesure où nos territoires sont étendus sur près de 8 millions de kilomètres carrés dans trois océans. Ils cumulent à eux tous des atouts géopolitiques et géostratégiques, en plus de richesses naturelles et de l’existence d’une biodiversité exceptionnelle et sans égale.
Nous sommes donc très loin d’avoir été convaincus par l’argumentation de Mme la ministre. Mes chers collègues, pensez bien, lorsque nous étudierons les amendements proposés, à ce que je viens de dire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le présent article vise à revenir à la circonscription unique, qui était celle des scrutins européens de 1979 à 1999.
Quand, en 2004, l’UMP et le PS ont mis en place huit circonscriptions, leur objectif était d’avoir des députés européens plus proches de leurs concitoyens, afin de lutter contre le désintérêt progressif et la méfiance exprimés par les Français envers l’Union européenne, tant par l’abstention que par la montée électorale des mouvements populistes et europhobes.
Avec une abstention avoisinant les 54 % en 2014, et un Front national en tête, on peut légitimement estimer que cette stratégie a échoué. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet échec : des circonscriptions sans aucune cohérence géographique, culturelle ni historique, mais aussi une Union européenne toujours plus lointaine et technocratique.
Ainsi, voter le retour à une circonscription unique nous semble pertinent. Nous pourrions ainsi rendre plus claire et compréhensible la campagne électorale, tout en donnant une véritable dimension politique aux débats. Notre Union européenne, qui se meurt de son bureaucratisme et de son opacité, ne devrait en tirer que des bénéfices.
Par ailleurs, ce scrutin permettrait le respect d’une proportionnelle intégrale, seul système à même de rendre possible la plus juste représentation de toutes les sensibilités politiques et que j’appelle de mes vœux depuis fort longtemps, avec mon parti EELV et le groupe CRCE auquel je suis rattachée. Nous souhaitons d’ailleurs que, à l’avenir, ce mode de scrutin puisse être élargi à toutes les échéances électorales, y compris nationales.
Nous voterons donc contre l’amendement de suppression de l’article 1er, lequel, s’il devait être adopté, enlèverait au projet de loi qui nous réunit aujourd’hui tout intérêt démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin, sur l’article.
M. André Gattolin. Je voudrais une fois de plus plaider en faveur de la circonscription unique et répondre, par la même occasion, à mon collègue François Grosdidier, dont les arguments, à un moment donné, finissent par devenir contradictoires.
On dit qu’il faut rapprocher les eurodéputés des citoyens. On l’a fait, en créant huit eurocirconscriptions pendant trois mandats successifs. Le résultat, c’est une augmentation de 7 % de l’abstention. Vous essayez de nous faire croire qu’un découpage par région créera une proximité. Or nous savons, en tant que sénateurs, qu’il est déjà très difficile de couvrir l’ensemble d’un département. Alors, une région, laissez-moi rire ! Surtout, on institue ainsi une inégalité flagrante entre régions, fondée sur le volume de leur population et le nombre de personnes à élire.
Dans le système des eurocirconscriptions qui avait cours jusqu’à présent, il ne fallait pas moins de 16 % à 17 % des voix pour espérer avoir un siège dans la région Centre, alors que seulement 5 % des voix étaient nécessaires dans la région d’Île-de-France. Est-ce cela l’égalité des citoyens devant l’élection ?
Revenons-en aux fondamentaux qui ont présidé à la création de l’Union européenne. Je pense surtout à la décision, au travers de l’Acte européen du 20 septembre 1976, de procéder à l’élection au suffrage universel direct et proportionnel – c’est dans le texte – des représentants nationaux au sein du Parlement européen. Il s’agit de la meilleure représentativité possible des populations, avec un seuil, précisé dans la loi de 2002, oscillant entre 3 % et 5 %.
On a toléré, je dois le dire, un découpage parfois aberrant, parce que les Britanniques étaient totalement hostiles au système proportionnel. Car quelle est la réalité du corps électoral ? Nous avons 74, 75, peut-être 79 eurodéputés à répartir sur tout le territoire. Ne rêvons pas, ce n’est pas en surdécoupant les régions que nous y arriverons ! Cela relève de la responsabilité des partis politiques. Si vous trouvez que telle ou telle région n’est pas suffisamment représentée sur les prochaines listes, battez-vous à l’intérieur de votre parti politique pour qu’un authentique représentant de cette région figure sur la liste. Mais ne remettez pas en cause le système de circonscription unique, qui est maintenant adopté par la quasi-totalité des pays européens. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)