Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
MM. Joël Guerriau, Michel Raison.
2. Intervention des forces armées françaises en Syrie. – Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères
M. Jean-Yves Le Drian, ministre
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Joël Guerriau,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 11 avril 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Intervention des forces armées françaises en Syrie
Déclaration du Gouvernement suivie d’un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur l’intervention des forces armées françaises en Syrie, en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément à l’article 35, alinéa 2, de notre Constitution, j’ai l’honneur de vous informer des décisions prises pour l’intervention de nos forces armées à l’étranger. Compte tenu de l’importance de ces opérations, nous avons voulu que cette information soit suivie d’un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Le 7 avril dernier, plusieurs attaques chimiques ont été menées sur la ville de Douma, en Syrie, y compris contre les infrastructures médicales de la ville. Plus de quarante-cinq personnes y ont laissé la vie et de très nombreuses autres ont été blessées.
Dans la nuit du 13 au 14 avril derniers, sur ordre du Président de la République, les forces aériennes et navales françaises, en étroite coordination avec les forces armées des États-Unis et du Royaume-Uni, ont frappé le territoire syrien. Cette opération a été un succès. Nous avons détruit les trois sites visés : un site de recherche dans la banlieue de Damas, un site d’assemblage et un site de stockage chimique.
Sans attendre notre débat de ce jour, et conformément à l’esprit de nos institutions, le Gouvernement a veillé à ce que le Parlement soit constamment informé de la situation.
Dans la soirée qui a précédé l’action de nos forces, le Premier ministre a personnellement informé les présidents des deux assemblées des décisions prises par le Président de la République.
Hier matin, le Premier ministre a reçu les présidents des assemblées, des commissions compétentes et des groupes parlementaires. Ces échanges ont été d’une grande qualité et d’une grande dignité, qualité et dignité que la situation impose.
Cet après-midi, il nous revient de débattre de la situation en Syrie et de l’action de la France.
Je voudrais d’abord rappeler le cadre dans lequel se déploie notre politique en Syrie.
D’abord, nos objectifs généraux : ils sont clairs et n’ont pas varié.
Notre ennemi n’est pas la Syrie. Nous ne sommes pas entrés en guerre contre la Syrie ou contre le régime de Bachar al-Assad.
Notre ennemi, c’est Daech. Nous voulons venir à bout du mouvement terroriste qui a organisé sur notre sol les attentats meurtriers qui ont frappé dans leur chair tant de familles françaises et, au-delà d’eux, tous les esprits.
Mais notre action politique ou militaire au Levant serait parfaitement vaine, notre politique étrangère tout entière serait sans objet, si une arme de terreur, bannie par la communauté internationale depuis près d’un siècle, entretenait la barbarie contre les populations civiles, promouvait la haine, minait toute possibilité de règlement politique, en un mot, contredisait toutes les règles que se donnent les humains.
Trouver une solution politique à un conflit, faire que la guerre débouche sur la paix, c’est possible. Mais aucune solution politique ne sera trouvée tant que l’utilisation de l’arme chimique restera impunie. Les populations civiles paient le coût de l’inaction. Notre sécurité elle-même, en France et en Europe, est mise en cause.
C’est bien la raison pour laquelle le Président de la République avait fixé clairement une ligne rouge, dès le début de son mandat.
L’arme chimique est interdite dans les opérations de guerre depuis 1925, il y a près d’un siècle. La Syrie a ratifié ce protocole en 1968, il y a cinquante ans.
La France a toujours été à la pointe du combat contre les armes chimiques, depuis la bataille d’Ypres, en 1915. Après le protocole de 1925, c’est la France qui a relancé la négociation, en 1989, sur l’initiative du Président François Mitterrand. La convention qui interdit la possession d’armes chimiques a finalement été signée, à Paris, en 1993. Elle est aujourd’hui la loi commune de 192 États.
La communauté des États s’est accordée pour bannir les armes chimiques, puisqu’elles sont, systématiquement, l’instrument d’un crime de guerre. Sous forme gazeuse ou liquide, elles se répandent au-delà de la zone des combats, persistent après le temps des combats et touchent indistinctement les combattants et les civils.
Il s’agit non plus uniquement d’une guerre sale, d’une guerre déloyale, mais de scènes apocalyptiques que le régime syrien a réactivées. Avec les armes chimiques, c’est la raison et la civilisation qui vacillent durablement.
L’utilisation de l’arme chimique dit quelque chose de celui qui y a recours. Mesdames, messieurs les sénateurs, notre réaction à cette utilisation dit aussi quelque chose de nous.
En mai 2017, le Président de la République avait très précisément défini cette ligne rouge : une attaque chimique avérée, attribuable aux forces armées syriennes, avec des conséquences létales, entraînerait une riposte immédiate. Cela avait été dit clairement, en présence d’ailleurs du président de la Fédération de Russie, qui avait ensuite approuvé la formulation du Président de la République.
Le 7 avril, cette ligne rouge a été franchie.
Les renseignements rassemblés par la France et ses alliés attestent de la réalité de cette attaque chimique, que vient également de confirmer l’Organisation mondiale de la santé. Ces renseignements, collectés par nos services et par nos alliés, analysés par nos équipes médicales, font en outre état des nombreuses victimes. Ils démontrent la responsabilité des forces armées syriennes dans cette opération.
C’est malheureusement une tactique déjà éprouvée qui s’est exercée à Douma. Le schéma appliqué est très similaire à celui qui avait été déployé à Alep. La stratégie opérationnelle répond à un objectif clair : semer la terreur dans les populations civiles et accélérer les dernières étapes du combat en délogeant par tous les moyens les groupes armés. Il s’agit donc d’une stratégie de terreur délibérée et d’une stratégie de terreur répétée.
En effet, le régime n’en est pas à sa première utilisation des armes chimiques. En 2013 et en 2017, la France a déclassifié des renseignements qui démontrent la responsabilité de Damas dans plusieurs attaques chimiques avérées. Lors de l’attaque de Khan Cheikhoun, le 4 avril 2017, nous avons publié une évaluation nationale qui prouve la responsabilité du régime. Les mécanismes internationaux, sous l’égide de l’Organisation des Nations unies et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, l’OIAC, ont confirmé, à plusieurs reprises, nos éléments. Dans un rapport publié le 6 septembre 2017, le comité d’enquête de l’ONU a également établi la responsabilité des forces gouvernementales syriennes dans les attaques de Khan Cheikhoun.
Avant d’avoir recours à la force, nous sommes allés au bout de la démarche politique et diplomatique pour faire entendre raison à Damas.
La France est profondément attachée au multilatéralisme, parce que la voie collective – l’Histoire nous en a convaincus – est la seule manière de maintenir une paix durable. Ces dernières années, la France et ses partenaires ont multiplié les initiatives diplomatiques au Conseil de sécurité, à l’assemblée générale des Nations unies, au Conseil des droits de l’homme, à l’OIAC.
Mais la France veut un multilatéralisme efficace. Or, en l’espèce, l’attitude d’obstruction d’un État n’a pas permis à cette démarche collective d’aboutir. La Russie a posé douze veto sur le dossier syrien, dont six sur le seul aspect chimique, le plus récent, mardi dernier, pour s’opposer à un projet prévoyant le rétablissement du mécanisme indépendant d’enquête et d’attribution des responsabilités en cas d’attaque chimique en Syrie.
Le Conseil de sécurité s’était déjà engagé à adopter des mesures coercitives, notamment militaires, en vertu du chapitre VII de la Charte, qui autorise l’emploi de la force si nécessaire, et cela face aux violations multiples et répétées, par le régime, du droit international et de ses propres engagements.
Je voudrais rappeler les termes de l’article 21 de la résolution 2118, votée à l’unanimité le 27 septembre 2013, à la suite, déjà, des attaques chimiques syriennes du mois précédent : le Conseil de sécurité « décide, qu’en cas de non-respect de la présente résolution, y compris de transfert non autorisé ou d’emploi d’armes chimiques par quiconque en République arabe syrienne, il imposera des mesures en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies ».
Nous avons donc pris nos responsabilités et, pour le futur, pour les jours, les semaines et les mois qui viennent, notre ligne politique reste claire et ne change pas.
Notre riposte était amplement justifiée dans ses causes. Dans ses modalités, elle a été soigneusement proportionnée : des objectifs exclusivement liés au programme chimique, des objectifs exclusivement syriens. Elle a été ciblée pour éviter les dommages aux civils et conçue de façon à éviter toute escalade.
Nous avons ainsi envoyé un message ferme, un message clair, un message fort.
Nous voulons dissuader le régime de recourir à l’arme chimique, alors que des combats se poursuivent et que le régime en place ne montre aucun signe d’une disposition à rechercher une voie de sortie politique.
Nous voulons dire qu’aucune victoire militaire ne peut impunément être remportée au moyen d’armes chimiques.
Notre action, coordonnée avec celle de nos alliés, vise à rendre prohibitif le coût d’utilisation de ces armes. L’avantage militaire que les Syriens ont cru retirer de leurs frappes chimiques sera largement compensé par les pertes que nous avons infligées à leurs capacités. Nous avons par ailleurs nettement amoindri leur capacité à recourir de nouveau à de telles armes, en atteignant leurs installations de production, d’assemblage et de stockage.
Je tiens ici à rendre hommage aux femmes et aux hommes de nos armées, qui ont conduit cette opération avec un sang-froid et un professionnalisme remarquables. Par sa force et sa profondeur de frappe, la France a confirmé son statut de puissance politique et militaire. Ses armées, avec nos alliés, sont intervenues avec rapidité, avec efficacité, tout en assurant et s’assurant des garanties nécessaires pour protéger les populations civiles.
Pour autant, mesdames, messieurs les sénateurs, cette intervention n’est pas le prélude à une guerre. Nous n’entrons pas dans une logique d’escalade. Nous avons frappé les capacités chimiques du régime, et non les alliés du régime, malgré nos divergences de vues, qui sont claires. Le Président de la République continue à dialoguer avec ses homologues, car nous ne voulons pas renoncer à la seule option qui soit porteuse d’avenir, la solution politique.
Notre action a recueilli un très large soutien international tant de la part de nos alliés, en particulier l’Allemagne, qui a souligné son caractère nécessaire et proportionné, que de la part des grandes organisations internationales. L’Union européenne, le Conseil de coopération des États arabes du Golfe se sont en particulier très clairement et très favorablement exprimés par la voix de leurs représentants.
Samedi dernier, le Conseil de sécurité a massivement rejeté le projet présenté par la Russie pour condamner l’intervention. La très grande majorité des membres du Conseil ne souscrit donc pas à l’affirmation selon laquelle notre action serait contraire à la légalité internationale. Aux yeux de tous, elle témoigne en outre de notre autonomie de décision.
Au-delà de cette opération militaire, nous allons désormais poursuivre nos efforts pour relancer activement un processus de règlement aujourd’hui à l’arrêt.
Le Conseil de sécurité des Nations unies en a fixé le cadre par trois résolutions différentes.
Outre la résolution 2118, que j’ai citée, la résolution 2401, adoptée également par la Russie, prévoit une trêve immédiate qui doit permettre la reprise de l’aide humanitaire. Treize millions de Syriens, dont six millions d’enfants, doivent recevoir une aide urgente et vitale. Plus de la moitié de la population syrienne a dû quitter son foyer. Le Président de la République va annoncer une initiative qui passe par une montée en puissance des financements français et européens et l’élaboration d’un plan d’ensemble dans lequel s’inscriront l’ensemble des projets, en coordination avec nos principaux partenaires, l’ONU, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Comité international de la Croix-Rouge et les ONG.
La résolution 2254 prévoit quant à elle l’adoption d’une nouvelle constitution et des élections libres en Syrie.
Nous devons renforcer le consensus international en faveur d’une solution politique inclusive.
Ainsi, l’instance de concertation réunissant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Arabie saoudite, la Jordanie et la France doit ouvrir une négociation avec l’Iran, la Russie et la Turquie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la force n’est jamais une fin en soi, mais l’Histoire nous a appris qu’en différer l’usage face à l’inacceptable achète souvent un repos illusoire, qu’il faut payer plus tard au prix fort.
Avoir recours à la force est un acte lourd, un acte grave. Tous ceux qui ici, sur vos travées, ont eu à prendre ou à accompagner de telles décisions le savent. L’action comporte un risque. L’action a un coût, un coût humain, un coût politique.
En l’espèce, je voudrais vous faire partager la conviction que le risque et le coût de l’inaction sont encore plus grands : plus grands pour notre avenir, plus grands, aussi, pour notre conscience et pour la trace que nous laisserons dans l’Histoire et dans le regard de nos enfants.
Bien sûr, la décision prise par le Président de la République en son âme et conscience – décision difficile, décision légitime, décision nécessaire – sera débattue. C’est l’honneur de notre démocratie que de permettre ce débat.
Je ne mésestime nullement la complexité de la situation au Levant. Elle impose nuance, prudence et réflexion, mais elle ne condamne ni à l’inaction ni à l’impuissance face à une violation aussi flagrante des principes qui fondent notre vie en commun.
Agir, prendre nos responsabilités, porter haut la voix de la France, montrer ce sur quoi nous resterons inflexibles, utiliser s’il le faut, quand il le faut, nos forces armées pour dire sans relâche ce que nous sommes, ce à quoi nous croyons, sans prétendre régler à nous seuls tous les problèmes du monde, mais ne jamais, jamais détourner les yeux lorsque nous pouvons y contribuer : tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, le sens de l’action du Président de la République et du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. Acte est donné de la déclaration du Gouvernement.
Nous allons procéder au débat.
J’indique au Sénat qu’il a été décidé d’attribuer, à raison d’un orateur par groupe, un temps de parole de dix minutes aux porte-parole des groupes et de trois minutes à la réunion des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
Dans le débat, la parole M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, le 7 avril dernier, à Douma, une troisième attaque chimique d’ampleur - et meurtrière - a été perpétrée sur le territoire syrien. Elle succède à celle qui avait déjà été menée dans la Ghouta orientale en 2013 et à celle, tout aussi meurtrière, de Khan Cheikhoun, en 2017. Ces attaques majeures ne sont que les épisodes les plus dramatiques d’une réalité composée de plusieurs dizaines de faits chimiques recensés depuis 2014.
Vous l’avez dit, monsieur le ministre : une « ligne rouge » a été franchie. Le régime de Damas savait lui aussi très bien à quoi il s’exposait par ses agissements.
La décision d’intervenir nous réunit aujourd’hui pour en débattre, et en débattre seulement, puisque la Constitution est ainsi faite : le Président de la République, en tant que chef des armées, a toute légitimité pour décider avant de nous consulter.
Cependant, nous savons dans ces circonstances que l’unité républicaine revêt toute son importance : importance envers nos concitoyens, bien sûr, importance aussi pour faire la preuve de notre crédibilité sur la scène internationale.
Faire intervenir nos forces armées est une décision grave, qui emporte des conséquences. Il est donc nécessaire que la représentation nationale puisse s’exprimer sur la décision d’intervenir elle-même comme sur ce qu’il adviendra ensuite.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, le RDSE a soutenu chacune des dernières interventions militaires françaises à l’extérieur, que ce soit au Mali, en 2013, ou en Syrie, en 2015, avec l’engagement de nos forces au sein de la Coalition.
Aujourd’hui, c’est dans ce même état d’esprit que nous vous soutenons dans cette initiative, et ce pour trois raisons.
La première raison est humanitaire. La France, fidèle à ses valeurs, ne peut pas rester inerte face à l’utilisation d’armes chimiques, des armes barbares dont les effets heurtent la conscience collective et notre sentiment d’humanité.
Comment en effet ne pas réagir face à ces images insoutenables d’enfants, de femmes et d’hommes aux visages et aux corps boursouflés, vraisemblablement par le chlore ? Cette dernière attaque aurait fait près de quarante victimes innocentes au mépris des règles du droit international.
La deuxième raison tient au fait que la communauté internationale a progressivement construit un droit lié aux conflits pour des raisons humanitaires. En l’espèce, le protocole de 1925 et des conventions interdisent l’utilisation des armes chimiques ; il y a bien sûr aussi la résolution 2118 du Conseil de sécurité des Nations unies votée en 2013 et destinée à encadrer la destruction de l’arsenal chimique syrien. La Syrie est entrée dans l’OIAC en 2013 et n’a depuis nullement respecté ses engagements. Elle a franchi la limite posée par le Conseil de sécurité.
Enfin, troisième raison, soutenir ces frappes, ce n’est pas seulement céder à l’émotion, c’est aussi en apprécier tout l’intérêt stratégique.
D’une part, c’est envoyer un message de fermeté à tous les acteurs engagés dans la région, en particulier à la Russie, soutien de Damas, afin de démontrer que nous sommes en capacité de poser concrètement des limites à l’inacceptable.
D’autre part, le régime syrien a érigé l’utilisation des armes chimiques en véritable outil tactique pour déloger les populations des dernières poches de résistance, obtenir des accords de reddition négociée avec les différents groupes. À cet égard, la dernière attaque chimique à Douma résulterait de l’échec partiel des négociations avec Jaych al-Islam, dont une partie des combattants n’avait pas accepté de quitter Douma. Par conséquent, détruire l’arsenal chimique du régime de Damas, c’est gripper sa stratégie mortifère en zone urbaine.
Aussi, je le répète, mes chers collègues, la décision de frapper les sites syriens de production d’armes chimiques et de recherche semblait inéluctable depuis quelques jours.
Bien entendu, on entend ici et là des critiques sur la légalité internationale. Monsieur le ministre, vous y avez répondu. Pour ma part, je pèse mes mots, mais je me contenterai de rappeler que, lorsque trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité prennent une décision, celle-ci revêt un poids certain, surtout lorsqu’elle répond à des principes fixés antérieurement par des résolutions. En toute logique, l’ONU n’a d’ailleurs pas condamné ces frappes.
Mme Éliane Assassi. Elle a appelé à la retenue !
M. Jean-Claude Requier. J’ajouterai que personne n’est dupe quant à la préparation de l’opération, dont la durée plutôt longue a permis de « soigner » la Russie, si je puis dire, et d’éviter ainsi une escalade. Nous en sommes tous bien conscients.
Ces précisions apportées, le RDSE est attaché à ce que la suite se déroule dans le cadre des préconisations de l’ONU et nous nous réjouissons de l’initiative française pour remettre au premier plan une action diplomatique en faveur de la paix.
Du processus de Genève aux négociations d’Astana, force est de reconnaître que les différents pourparlers sont en panne.
Or les centaines de morts liés aux attaques chimiques ne doivent pas occulter le chiffre plus effrayant encore de 350 000 victimes du conflit syrien recensées depuis 2011, dont plus de 100 000 civils.
Il y a donc urgence à demander un cessez-le-feu, car nous savons que la ville d’Idlib pourrait être la prochaine cible.
Il y a tout autant urgence à relancer les discussions dans un cadre qui prenne en compte toutes les nouvelles dimensions du conflit.
Tout d’abord, il apparaît clairement que le départ de Bachar al-Assad, qui a pendant longtemps constitué une condition des négociations avec l’opposition, ne peut plus en être une. C’est une ligne que la France a longtemps défendue, mais cela n’est plus possible depuis la reconquête de la Syrie utile par Damas avec l’appui des Russes. Pour autant, nous devons contraindre Bachar al-Assad à accepter des concessions.
Il conviendrait notamment de reprendre les idées du Small Group : l’élaboration d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections à travers le prisme de la réconciliation nationale, ce qui, bien évidemment, ne sera pas aisé. Reste que, sans cette réconciliation permise par une Constitution adaptée aux enjeux ethniques et confessionnels du territoire, ce sera la porte ouverte à une partition, ce qui n’est jamais souhaitable, justement à cause de cette diversité.
Le processus de paix passe aussi par l’apaisement des tensions entre puissances extérieures. Nous avons par exemple de nombreux points de convergence avec la Turquie, mais son inquiétude quant au risque d’une entité autonome kurde dans le nord-est du pays ne doit pas perturber le processus diplomatique, de même que la présence iranienne sur le territoire syrien ne doit pas non plus compliquer la donne.
Aussi, monsieur le ministre, nous attendons beaucoup des initiatives que pourraient prendre la France et ses partenaires dans le cadre des Nations unies.
Si les frappes que nos forces armées ont menées dans la nuit de vendredi à samedi ne visaient pas à démontrer notre puissance, même si l’on se doit de saluer au passage l’efficacité de notre armée, il n’en demeure pas moins que la France a toujours un rôle à jouer autour de la table des négociations.
Dans cette perspective, monsieur le ministre, vous avez notre soutien, sous réserve que les objectifs soient clairs et couverts de la légalité internationale. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, madame, monsieur les secrétaires d’État, monsieur le président de la commission – cher Christian Cambon –, mes chers collègues, le débat de ce jour relève, je crois, d’une double exigence.
La première est, bien sûr, une exigence formelle, constitutionnelle. Mais ce n’est pas la plus importante. La plus importante, pour nous, c’est l’exigence politique, l’exigence démocratique, car on n’engage pas les forces armées de la France sans en répondre devant la représentation nationale.
Je voudrais, avant d’entrer dans le vif de mon propos, formuler deux remarques.
La première pour dire le soutien le plus total que nous apportons tous à nos soldats, dont la mission est extrêmement difficile, ici comme là-bas.
La seconde pour citer Gilbert K. Chesterton dans le texte : « My country, right or wrong ». J’entends par là que le dissensus, le débat dans la démocratie, est non seulement naturel mais également indispensable, surtout lorsqu’il s’agit de choses aussi graves que celles dont nous avons à débattre aujourd’hui.
Que ce soit dans l’approbation ou dans les réserves, parce qu’il s’agit de l’engagement de la France, nous devons faire preuve d’un très grand sens des responsabilités. C’est ce que je vais tenter de faire, et ce d’autant plus que mon groupe n’est pas d’un seul tenant et qu’un certain nombre de sensibilités s’y expriment vis-à-vis des uns et vis-à-vis des autres.
De quoi devons-nous débattre, monsieur le ministre ? Certainement pas du régime de Bachar al-Assad ! J’espère en effet que, sur l’ensemble de ces travées, chacun est convaincu du caractère sanguinaire et dictatorial du régime de Damas.
Devons-nous débattre de l’usage des armes chimiques ? Pas plus ! Il est tout aussi évident, pour nous, que leur banalisation est extrêmement dangereuse.
Nous allons débattre des moyens de lutter contre cette banalisation et je vous ferai remarquer, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ce débat autour du recours à la force n’est en rien nouveau.
C’est un débat ancien, qui a traversé, dans les démocraties occidentales, plusieurs moments – des moments parfois paroxystiques, comme en 2003. C’est un débat redoutable. C’est un débat complexe, et l’on ne saurait réduire cette complexité à une forme d’opposition simplifiée entre, d’un côté, les pro-Bachar et, de l’autre, les anti-Bachar ; entre, d’un côté, les bonnes consciences, et, de l’autre, les mauvaises ; entre, d’un côté, les sans-peur, et, de l’autre, les sans-cœur.
C’est au creux de cette complexité, à l’intérieur même de cette complexité que je veux m’exprimer, monsieur le ministre, pour vous faire part d’un certain nombre de réserves, qui sont avant tout, bien sûr, des doutes.
La première réserve a trait à la situation contextuelle de la Syrie.
Vous le savez sans doute mieux que quiconque ici, ce pays fait face à un enchevêtrement de guerres : la guerre civile, la guerre contre Daech, la guerre entre la Turquie et les Kurdes, la guerre entre le monde chiite et le monde sunnite, la guerre pour la restauration de la puissance régionale de la Russie. L’inquiétude, l’interrogation qui est la nôtre, et que j’exprime ici devant le Sénat, est la suivante : pensez-vous qu’ajouter la guerre à la guerre puisse faire avancer la paix ?
La deuxième réserve concerne l’efficacité de ce genre de frappes punitives.
Hasard de l’Histoire, s’il s’avère que l’attaque du 7 avril est bien chimique, cette date marque aussi un triste anniversaire : celui de la nuit du 7 avril 2017, où M. Trump lançait des frappes punitives contre la Syrie, en représailles, déjà, d’une utilisation présumée d’armes chimiques. Un an après, qu’advient-il ? À nouveau, le régime utilise des armes chimiques !
Là encore, on peut émettre des doutes, car il y a déjà eu des frappes, et pour quel résultat ? À l’époque, les États-Unis d’Amérique s’étaient appuyés sur le point 21 de la résolution 2118 des Nations unies, que vous avez fidèlement cité, monsieur le ministre. Mais ce paragraphe conclut à la nécessité d’un arbitrage du Conseil de sécurité sur l’usage de la force. Or, je le fais remarquer, cela n’a pas été le cas !
Nous sommes donc dubitatifs quant aux effets – seul l’avenir nous le dira –, mais aussi dubitatifs quant aux possibles contre-effets ou effets contre-productifs.
En effet, on le sait, une dictature attaquée de l’extérieur a souvent le réflexe de galvaniser ses troupes, ses alliances, tout son camp. La Turquie a-t-elle été séparée de l’axe avec Moscou après la déclaration du porte-parole du gouvernement turc ce matin ? J’en doute ! L’axe entre l’Iran et la Russie a-t-il été affaibli ? Je ne le sais pas.
Un autre effet pervers pourrait se faire sentir au regard du terrorisme. La mère de toutes les batailles, pour nous, c’est la lutte contre Daech et contre le totalitarisme islamiste. Sur ce plan, nous ne devons rien céder. Mais, là encore, surgit une interrogation : ces frappes de puissances occidentales, dont notre pays, vont-elles oui ou non nourrir la rhétorique, souvent utilisée par les terroristes, d’un Occident qui serait, décidément et définitivement, en guerre contre le monde arabo-musulman ?
Ces inquiétudes que je tente de formuler, en respectant les avis des uns et des autres, ne portent pas sur de petites choses, comprenez-le. Elles méritent à tout le moins d’être entendues, et aussi de recevoir une réponse de votre part, monsieur le ministre.
La troisième réserve, la troisième inquiétude, peut-être la plus fondamentale, porte sur le rôle de la France.
Il y a effectivement ce risque que le rôle de la France s’efface et que la voix de la France se dilue dans le fracas des tweets déconcertants de M. Trump. Ce n’est pas non plus une petite chose !
La voix de la France n’est forte que lorsqu’elle est singulière, mes chers collègues. La voix de la France n’est utile que lorsque notre pays est dans son rôle traditionnel, historique, de médiation et qu’il diffuse un message de paix. C’est cette vision, cette singularité que Dominique de Villepin avait exprimée en 2003.
Si nous ne le faisons pas, qui fera entendre, demain, la voix de la prudence, de l’indépendance, de la paix ? Qui, en Occident, sera capable de parler au monde arabe ?
Loin du Royaume-Uni, qui s’inscrit dans une tradition totalement différente, faisant sa marque du pont constant avec les États-Unis, nous avons à défendre une note profondément singulière.
Pour conclure, je citerai cette phrase d’un grand poète polonais : « Terribles sont les points faibles de la force ».
Dans votre intervention, monsieur le ministre, vous avez reconnu que la force n’est pas tout. Jusqu’à présent, ces points de fragilité ne nous ont pas conduits jusqu’à un point de non-retour, et c’est heureux.
Désormais, puisque vous êtes le ministre des affaires étrangères de la France, un chantier immense vous attend, immense pour construire la paix, immense pour bâtir une transition pacifique et inclusive. Vous ne pourrez pas le faire si nous ne sommes pas capables de parler avec les grandes puissances régionales, en particulier, vous le savez bien, avec la Russie.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, pour la Syrie, pour l’Orient en général, que nous aimons autant que, parfois, il nous inquiète, faisons à nouveau retentir la voix singulière de la France, cette voix que tant de générations de diplomates ont su construire, avec le général de Gaulle.
C’est que la France n’est pas trop petite pour porter ce message original. Sa marque est précisément née de la disproportion entre ce qu’elle est et ce message universel que nous avons porté dans l’Histoire, partout dans le monde, et que nous pouvons continuer à porter, pour peu que nous y croyions et que nous conservions le caractère libre et indépendant de cette voix.
Monsieur le ministre, je vous fais confiance, à vous et au Gouvernement, pour le faire, car il y va, non pas de la réussite de notre pays, mais de la paix dans ces pays.
Je me souviens d’être allé en Irak en août 2014 et d’y avoir rencontré des réfugiés yézidis, shabaks, nabatéens, chrétiens. Quand mon traducteur leur expliquait que j’étais français, je voyais dans leur regard, eux qui n’auraient jamais été capables de situer la France sur une mappemonde, s’allumer une petite lumière… Preuve que la France signifiait quelque chose pour eux ! Preuve que la France était encore, à leurs yeux, un pays sur lequel ils pouvaient compter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe La République En Marche.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, l’ordre international reste imparfait et quand le désordre devient insupportable, la légitimité fondée sur les droits élémentaires et universels doit l’emporter.
J’ai écouté avec attention les propos qui viennent d’être tenus. Nous mesurons, nous aussi, l’extrême complexité et l’enchevêtrement du dossier syrien.
La décision du chef de l’État et de nos alliés nous apparaît justifiée. Elle témoigne d’une constance de notre position dans la région.
Dans la nuit du 6 au 7 avril, dans le but de reconquérir le dernier bastion rebelle dans la Ghouta orientale, l’armée syrienne a lancé une terrible offensive sur la ville de Douma, provoquant la mort d’une centaine de civils selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme.
Comme l’horreur n’était pas encore à son comble, les secouristes comprirent à leur arrivée que de nouvelles attaques chimiques venaient d’avoir lieu. Les premiers signes apparents sur les victimes – des images insoutenables – étaient effectivement symptomatiques d’une telle attaque. Avec les premières analyses, le doute n’était plus permis.
C’est ainsi qu’à nouveau, le samedi 7 avril, à Douma, des dizaines d’enfants, de femmes et d’hommes ont été tués à l’arme chimique, tandis que des centaines d’autres étaient grièvement blessés.
De même que la survenance d’une attaque chimique est avérée, la responsabilité du régime syrien ne fait pas de doute, eu égard aux faits et à l’évaluation internationale publiée le 14 avril par la France.
Au cours des sept dernières années, en utilisant du gaz sarin contre son peuple, le régime de Bachar al-Assad a transgressé un interdit du XXIe siècle. Il a enfreint des normes internationales. Il n’a eu de cesse, surtout, de mépriser l’humanité.
L’emploi d’armes chimiques par Damas constituait pourtant une ligne rouge, cette ligne rouge qui, maintes fois bafouée, mais réaffirmée par nos soins en mai dernier, avait été posée dès 2012 par l’ancien président Barack Obama, avant d’être reprise par la France et le Royaume-Uni.
La fabrication et l’utilisation d’armes chimiques constituent un danger réel pour le peuple syrien et pour notre sécurité collective, mais aussi une menace pour la paix et la sécurité internationale.
La fabrication et l’utilisation d’armes chimiques s’inscrivent en totale violation du droit international, que ce soit la non-prolifération ou le droit international humanitaire, mais aussi en totale violation des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.
Dès 1925, un premier protocole prohibait l’usage d’armes chimiques lors de guerres. Une convention internationale d’interdiction des armes chimiques suivra en 1993, signée à Paris et à laquelle Damas est partie prenante depuis 2013.
Cette année-là, le régime syrien avait même pris l’engagement devant la communauté internationale de démanteler intégralement son arsenal. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le Conseil de sécurité en avait pris acte en septembre 2013, dans sa résolution 2118.
Dans cette résolution est ainsi clairement établi que, si la Syrie violait cet engagement, elle encourrait l’application de mesures découlant du chapitre VII de la Charte des Nations unies, lequel porte sur l’emploi de la force armée en cas de menace contre la paix.
Le régime de Damas savait donc à quoi il s’exposait, ce qui ne l’a pas empêché de prendre ces décisions délibérées.
Le fait qu’il emploie contre son peuple des armes chimiques barbares, et ce de manière répétée, ne pouvait plus perdurer. Par notre silence et notre inaction, nous n’étions certes pas complices de ces atrocités, mais nous en devenions des acteurs passifs.
Que fallait-il faire d’autre ?
Au nom de la défense de l’humanité, les dernières attaques imposaient donc une réaction urgente, proportionnée, ciblée et ponctuelle de notre part.
C’est la raison pour laquelle, dans la nuit de vendredi à samedi, la France, les États-Unis, le Royaume-Uni ont tenté de détruire – je ne sais pas s’ils y sont parvenus – l’arsenal chimique clandestin syrien se trouvant dans la banlieue de Damas et sur deux autres sites.
Nous tenons, nous aussi, à rendre hommage à nos soldats et à nos armées, dont le professionnalisme est un exemple pour tous. Les opérations menées par la France ont été parfaitement conduites, avec une efficacité dont peu de pays sont aujourd’hui capables. Au dire des autorités syriennes et russes, aucune victime civile ou militaire n’est à déplorer.
Monsieur le ministre, nous entendons vos propos quant aux objectifs concis de cette opération. Nous les soutenons et estimons que cette réaction était légitime. Il y allait de notre responsabilité, mais aussi de notre devoir moral, compte tenu du dernier blocage de la Russie, empêchant toute réaction possible du Conseil de sécurité.
À ceux qui ont pu reprocher un alignement français sur la politique américaine, nous répondons qu’ils ont tort. La France est une puissance mondiale faisant preuve d’une constance extrême sur le sujet et disposant d’une autonomie stratégique, qu’elle tente par ailleurs d’ancrer dans un cadre européen. Enfin, la France fait surtout de la défense de la paix et de la sécurité internationale un impératif permanent.
À ceux qui ont pu dénoncer l’absence de mandat onusien, nous posons cette question : qui viole aujourd’hui le droit international en massacrant en toute impunité sa population, sous les yeux de la communauté internationale ?
À ceux qui nous accusent d’entraîner la France dans une guerre aux objectifs flous, nous répondons qu’en aucun cas nous ne déclarons la guerre au régime de Damas, vous l’avez répété encore à l’instant, monsieur le ministre. Nous rappelons simplement Damas à ses engagements concernant la destruction de son arsenal chimique.
Monsieur le ministre, la légitimité de cette frappe ne nous exonère pas d’un autre devoir, celui de consacrer tous nos efforts politiques et diplomatiques à trouver une issue la plus rapide possible à ce conflit, qui ne s’est que trop envenimé.
Nous devons le faire avec tous nos partenaires et, surtout, dans le cadre des Nations unies, qui reste et restera l’enceinte garante de la paix et de la sécurité internationale, celle dans laquelle l’humanisme doit primer.
Nous savons que vous en avez pleinement conscience, puisque notre pays n’a évidemment pas attendu ces derniers rebondissements pour s’atteler ardemment à cette rude tâche.
En sept ans de guerre civile, nous comptons aujourd’hui 350 000 morts, dont plus de 100 000 civils - parmi eux, 20 000 enfants -, et 12 millions de déplacés, soit les deux tiers de la population. Ces chiffres nous ôtent parfois tout pouvoir de réflexion et nous n’agissons pas.
De son côté, l’UNICEF a déploré une « violence aveugle et extrême » qui a entraîné une augmentation de 50 % du nombre d’enfants tués en 2017, par rapport à l’année précédente. Comme l’a justement dit son directeur au Moyen-Orient, M. Geert Cappelaere, chacune de ces morts « constitue des rappels criants que la guerre en Syrie doit s’arrêter et doit s’arrêter maintenant ».
Ce carnage n’a que trop perduré. Nous demandons donc au Gouvernement de poursuivre ses efforts, afin de permettre, sur le terrain, l’application d’un cessez-le-feu et l’accès humanitaire aux populations civiles, comme l’exigent les résolutions du Conseil de sécurité restées lettre morte.
Il faut aussi soutenir l’action des organisations non gouvernementales, dont le courage et l’engagement sont remarquables, terminer la lutte contre les terroristes de Daech – les mêmes qui ont organisé une série d’attentats sanglants sur notre territoire –, rétablir la paix et la stabilité en Syrie et dans la région, en enclenchant une dynamique collective pour parvenir à une solution politique inclusive, et, enfin, faire en sorte que la Syrie respecte ses engagements et se débarrasse de ses stocks d’armes chimiques.
Nous saluons donc le fait que la France et ses deux partenaires aient, sitôt ces frappes ponctuelles terminées, présenté un projet de résolution sur la Syrie dans le cadre du Conseil de sécurité.
Ce projet, visant à relancer les négociations, se décline en un volet chimique, avec un mécanisme international d’enquête et d’établissement des responsabilités ; un volet humanitaire, avec un « cessez-le-feu durable » ; un volet politique qui « exige des autorités syriennes qu’elles s’engagent dans des négociations intersyriennes de bonne foi, de manière constructive et sans préconditions ». On peut rêver, mes chers collègues, mais essayons tout de même !
Nous espérons donc que chaque membre du Conseil de sécurité, surtout la Russie, saura prendre ses responsabilités.
Nous saluons les déclarations de la Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Federica Mogherini, rappelant, au nom des États membres, ce samedi, que l’utilisation de substances chimiques en tant qu’armes est « un crime de guerre et un crime contre l’humanité ».
De même, nous saluons les conclusions du conseil Affaires étrangères de ce matin.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe La République En Marche se félicite de la tenue de ce débat parlementaire, conforme à l’article 35 de la Constitution. Il soutient le Gouvernement dans son action car, quand la barbarie gifle l’humanité, l’humanité doit gifler la barbarie ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, dans la nuit de vendredi à samedi, Emmanuel Macron a pris, seul, une décision d’une grande gravité : engager nos forces armées dans une action de guerre en dehors de toute légalité internationale.
Je le dis d’emblée, je n’accepterai pas l’argument d’autorité consistant à dire que, si l’on n’approuve pas cette intervention, on soutient ipso facto le dictateur Assad et ses principaux soutiens, la Russie et l’Iran.
L’utilisation d’armes chimiques est intolérable. Tous les efforts de la communauté internationale doivent converger pour que de tels actes soient rendus impossibles, par la destruction systématique, organisée et menée par des experts, et non par des tirs de missile.
Et si cette utilisation d’armes chimiques est avérée, elle doit être sanctionnée par la même communauté internationale.
Monsieur le ministre, il est inadmissible que vous esquiviez le rappel à l’ordre démocratique auquel vous êtes soumis, en érigeant quasiment en complices ceux – et ils sont nombreux, ici comme dans le monde entier – qui souhaitent faire le pari de la paix plutôt que celui de la guerre, ceux qui refusent les aventures militaires mises au service d’intérêts géopolitiques de tel ou tel pays. Je pense, en l’occurrence, à ceux des États-Unis, qui, depuis la chute de l’Union soviétique, se voient comme le gendarme du monde.
Nous avons pu constater le résultat du conflit mené en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001 et, surtout, de la guerre menée en Irak en 2003, non seulement en absence de toute preuve, mais, pire, sur le fondement de preuves truquées, présentées par M. Colin Powell, alors secrétaire d’État américain à la défense.
Nous avons pu constater, encore, les conséquences désastreuses de l’opération libyenne, sur les plans tant humanitaire que militaire.
Durant des années, la France s’est refusée à suivre les faucons américains, à l’image de Dominique de Villepin devant le Conseil de sécurité, voilà quinze ans.
La construction de cette voix de la France, forte, indépendante, facteur de paix, déjà gravement abîmée, en particulier par l’intervention aventureuse en Libye, s’effondre aujourd’hui avec l’alignement sur la politique américaine.
Le bombardement de la Syrie par 103 missiles, dont 12 Français, est un acte de guerre, n’en déplaise au Président de la République qui, hier soir encore, lors de sa longue intervention télévisée, le qualifiait d’« acte de représailles ».
Quelle est, monsieur le ministre, la différence entre un acte de guerre et une déclaration de guerre ? Comment considérerions-nous une telle frappe sur notre territoire ?
Vous le savez bien, ce débat sémantique est de première importance, car c’est en fonction de la nature de l’action menée que le Parlement est amené, ou non, à se prononcer au préalable sur une intervention militaire à l’extérieur de nos frontières.
Le Président de la République n’a pas dit la vérité aux téléspectateurs : il a affirmé que l’article 35 de la Constitution, qui organise la consultation du Parlement, avait été approuvé par référendum, comme l’ensemble de la Constitution, en 1958. C’est faux ! L’article 35 a été fortement modifié en 2008, lors de la révision constitutionnelle proposée par Nicolas Sarkozy, révision constitutionnelle qui, il faut le rappeler, a été adoptée à une voix de différence. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) À l’époque, nombreux sont ceux qui protestaient contre l’abaissement du Parlement, privé par cette réforme du droit de vote pour autoriser ou non une intervention.
Je ne peux résister d’ailleurs au plaisir de citer M. François de Rugy, actuel président de l’Assemblée nationale et pilier du dispositif macronien, défendant un amendement en ces termes : « Nous souhaitons revenir sur cette conception française du “ domaine réservé ” du Président de la République en matière de politique étrangère et de défense. […] Mieux vaudrait dire clairement, et c’est le sens de notre amendement, que “ toute intervention des forces armées à l’extérieur du territoire de la République est autorisée par le Parlement”. »
La question n’est pas secondaire ; il s’agit d’une question démocratique de première importance !
Bombarder un État qui, même si nous condamnons son dirigeant, est un État souverain, est un acte potentiellement lourd de conséquences, susceptible d’embraser la région, voire le monde.
Même dans le respect de la légalité, les représentants du peuple doivent être codécideurs, et c’est d’autant plus vrai si la légalité internationale n’est pas respectée !
Sur ce point, ce n’est pas la démonstration quelque peu hasardeuse d’un mandat conféré, de fait, par une résolution de 2013 non respectée, qui nous convaincra.
La Charte des Nations unies est claire. Une intervention peut être décidée dans trois cas : vote du Conseil de sécurité, demande de l’État concerné ou légitime défense. Nous n’étions dans aucun de ces trois cas ; nous sommes sortis de la légalité internationale !
L’absence de consultation préalable du Parlement et de vote de ce dernier, a priori ou a posteriori, n’est pas acceptable au regard de la responsabilité engagée.
Comment ne pas constater que cette mise à l’écart de nos assemblées, de la représentation du peuple, intervient alors qu’un projet de révision constitutionnelle, actuellement entre les mains du Conseil d’État, porte de nombreuses atteintes aux prérogatives du Parlement ? M. Macron doit prendre garde à la tentation autoritaire qui s’affirme de jour en jour !
Si la situation évolue – on peut effectivement s’interroger sur la réalité des preuves, que vous peinez tant à nous présenter, et pour cause : les enquêteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, l’OIAC, diligentés par les Nations unies, sont arrivés en Syrie samedi, le jour même des frappes –, cette évolution pourra justifier que l’Assemblée nationale et le Sénat se prononcent par un vote dans de brefs délais sur l’action décidée ce week-end et sur la politique de la France en Syrie.
Un moyen existe, l’article 50-1 de la Constitution, qui permet au Gouvernement d’organiser, sur un thème donné, un débat éventuellement soumis à un vote. Ce débat peut être demandé par un groupe parlementaire, ce que nous ne manquerons pas de faire si les circonstances l’exigent.
Cette procédure aurait pu et dû être utilisée aujourd’hui pour restaurer quelque peu les droits du Parlement dans cette affaire. C’est d’ailleurs ce que j’ai proposé hier matin à Matignon.
Cette question des preuves de la responsabilité du régime syrien est donc centrale.
Le document que vous avez présenté samedi, élaboré par vos services de renseignement, ne constitue pas un fondement suffisant. De plus, pouvez-vous nous garantir que la source n’émane pas d’autres services de renseignement ? Si cela était le cas, la prudence, vu le passif de 2003 que je rappelais, est de mise.
Cette intervention est-elle un succès du point de vue de ses propres objectifs ? Nul ne le sait et les preuves, là encore, seront difficiles à fournir.
Ce qui est certain, c’est qu’à la suite des attaques de samedi les défis et les craintes sont nombreux devant nous.
Bachar al-Assad sort indéniablement renforcé ; il a quasiment gagné cette terrible guerre civile aux 350 000 morts. Et Daech est toujours là. Recep Tayyip Erdogan profite de l’agitation alentour pour mener, dans l’indifférence générale, sa guerre contre les Kurdes et sa politique d’occupation d’une partie du territoire syrien. Hassan Rohani, renforcé par ailleurs par les déclarations irresponsables de Donald Trump, apparaît constructif dans le dossier nucléaire face au dirigeant américain, ce qui pourrait paraître un comble.
Qui peut croire, mis à part le Président de la République, que les attaques de samedi remettront tous les acteurs autour de la table ?
Cette intervention s’inscrit dans la course à l’échalote des grandes puissances mondiales et régionales, pour servir au mieux les intérêts dans la région, pétrole et gaz obligent.
Sortir du droit international, comme Emmanuel Macron l’a fait, c’est conforter la tentation hégémoniste d’Erdogan dans la région.
Sortir du droit international, c’est conforter la droite et l’extrême droite israéliennes dans l’oppression et la répression du peuple palestinien, malgré de multiples résolutions onusiennes, et laisser faire des tueries comme celle de ce vendredi.
Sortir du droit international, c’est laisser libre cours au conflit opposant l’Iran et l’Arabie saoudite pour le leadership régional.
Sortir du droit international, c’est laisser l’Arabie saoudite mener cette sale guerre au Yémen, sans réaction, ou presque, de la communauté internationale, surtout pas de notre pays.
Pourquoi donc ? Parce que l’Arabie saoudite est le deuxième client de la France marchande d’armes, avec des contrats qui se chiffrent depuis 2013 en milliards d’euros.
Nous n’avons pas accepté la visite d’affaire du sulfureux prince héritier à Paris. Rien ne justifie, et surtout pas le commerce, d’accueillir ainsi l’héritier d’un pouvoir féodal, violent et antidémocratique. Monsieur le ministre, allez-vous agir pour que cesse la livraison d’armes aux groupes terroristes – parfois nos armes ?
De toute évidence, l’émotion n’est pas la même à Paris selon le lieu où les victimes tombent. L’utilisation de l’arme chimique est inacceptable et tombe sous le coup de lois internationales spécifiques. Elle mérite un combat international collectif implacable. Mais les civils qui meurent au Yémen ou à Gaza méritent aussi l’intervention de notre pays, et cette intervention se fait attendre !
Le temps politique est venu, avancez-vous. Croyez-vous que lancer des missiles, comme vous l’avez fait, favorisera la paix ? Nous ne le croyons guère !
Pourtant, il faut coûte que coûte avancer vers un règlement pacifique.
Notre pays doit soutenir tous les efforts pour repousser la guerre et faire converger les conférences d’Atlanta et de Genève. La participation des différents acteurs de ces conflits est un préalable incontournable, qui ne préjuge pas de la nécessaire évolution politique en Syrie.
J’espère que l’action de samedi dernier sera à répertorier comme un faux pas, un faux pas risqué, mais qui peut être réparé si vous décidez de soustraire la France à l’influence américaine, marquée par notre pleine intégration à l’OTAN, et à replacer notre pays au centre des discussions.
Cette action, enfin, a montré que l’Europe de la paix, permettant de rétablir un dialogue, vigilant, avec la Russie et d’agir avec force pour redresser le Proche-Orient et le Moyen-Orient, reste à construire.
Quelle cohérence à débattre sans prise de décision sur un sujet aussi sérieux que la guerre ?
« La guerre ! C’est une chose trop grave pour la confier à des militaires », avait dit Georges Clemenceau. Je dirai aujourd’hui qu’elle est par ailleurs trop sérieuse pour en éloigner les citoyennes, les citoyens, leurs représentantes et leurs représentants.
Désaccord sur l’opportunité, désaccord sur le fond, désaccord sur la forme de l’opération… Notre opposition aux attaques de samedi est donc totale, et nous veillerons à stopper l’engrenage dangereux qui s’est ainsi enclenché. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. - M. Vincent Éblé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le ministre, cher président Cambon, mes chers collègues, après sept ans d’une guerre qui a déjà fait plus de 500 000 morts, plus de 1 million de blessés, provoqué le départ hors de Syrie de plus 5 millions de réfugiés et le déplacement intérieur de 6 millions de personnes, il ne semble faire aucun doute que le régime de Bachar al-Assad s’est livré, le 7 avril dernier, à plusieurs attaques chimiques létales sur le quartier de Douma, faisant plusieurs dizaines de victimes, après des centaines d’autres dans le passé, dans d’atroces et insoutenables conditions.
La ligne rouge fixée par la France en mai 2017 a ainsi été franchie. Le droit international comme les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ont été bafoués.
Monsieur le ministre, disons-le d’emblée : le groupe Union Centriste, pour lequel je m’exprime à la demande de notre président Hervé Marseille, soutient l’initiative et l’action mesurées et proportionnées qui furent celles, dans la nuit de vendredi à samedi, du chef de l’État et de nos armées, même si un certain nombre d’interrogations ont été exprimées par plusieurs de nos collègues.
Nous voulons à cette occasion rendre hommage à nos militaires, qui combattent sur tous les fronts pour défendre notre liberté et notre sécurité. Leur professionnalisme, leur courage et leur excellence font notre fierté et notre admiration. Ils font également notre réputation internationale. Nous saluons d’ailleurs les soldats français qui ont été attaqués à Tombouctou par des djihadistes, l’ennemi commun là encore.
Ne nous y trompons pas : l’attaque chimique de Douma n’était que la dernière d’une bien longue série de crimes de guerre attribués au régime syrien, le plus souvent par des enquêtes internationales.
Dans un monde qui n’a jamais été aussi instable et imprévisible, l’usage de ces armes prohibées par le droit international représente un véritable défi adressé à l’humanité et réveille, en particulier chez nous Français, le traumatisme de l’utilisation des armes chimiques pour la première fois durant la Grande Guerre. Un siècle après, ce fléau n’a pas été annihilé.
Les frappes de la nuit de vendredi à samedi nous obligent à établir un parallèle avec août 2013. Beaucoup d’entre nous, rappelez-vous, étions à l’époque partagés sur l’opportunité d’une intervention : il y avait, d’un côté, l’abomination et l’horreur de l’utilisation de l’arme chimique – je me souviens d’avoir été à l’époque, comme rapporteur pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans un camp de réfugiés syriens près de Gaziantep, en Turquie, et j’ai vu dans le regard de nos interlocuteurs, qui m’ont d’ailleurs appris cette action terrible, ce qu’ils pouvaient attendre de la France – ; il y avait, de l’autre côté, la crainte d’un renversement du régime d’Assad et, conséquemment, d’une victoire islamiste. C’était présent dans tous les esprits.
De même, les déboires en Afghanistan, en Irak et en Libye accentuaient les hésitations.
Or tout autre est la situation aujourd’hui. Le régime syrien est parvenu, avec le soutien de l’Iran et plus encore de la Russie, à reconquérir une grande partie du territoire et ne semble plus menacé à court terme.
Nos frappes ne constituent donc pas la manifestation d’une entrée en guerre contre un pays ou un régime avec la volonté de le voir chuter, mais elles constituent une action punitive. Il est question ici de frappes ciblées et calibrées, fondées sur un faisceau concordant d’indices et de preuves. Avec, en toile de fond, le légitime souci de ne pas ajouter une nouvelle crise à celles, déjà existantes, qui se superposent dans cette région du monde sous l’effet d’acteurs et d’interactions multiples : ainsi de l’Arabie saoudite au Yémen, du conflit israélo-palestinien ou turco-kurde, de l’instabilité croissante au Liban comme de la présence toujours effective de l’État islamique et d’Al-Qaïda.
De l’intervention des forces armées françaises dépendait aussi la crédibilité de notre diplomatie. On peut entendre l’argument selon lequel notre crédibilité, c’était de ne pas être dans ce conflit. C’est un débat digne et responsable. On peut dire également que notre crédibilité, notre spécificité, notre parole particulière, c’est aussi d’être présent lorsqu’il faut l’être. En frappant un centre de recherche et des sites de production reliés au programme chimique clandestin syrien, la France a contribué, avec ses alliés, à faire respecter une « ligne rouge » plusieurs fois rappelée par elle et ses alliés.
Encore une fois, l’enjeu n’est pas de bouleverser le rapport de force en Syrie ni même de provoquer la Russie, contre qui ces frappes n’étaient certes pas destinées, mais qui devraient néanmoins l’inciter à modérer son allié syrien. L’enjeu, par ces frappes exclusivement punitives et dissuasives, c’était de faire respecter les règles de juste conduite, les unes juridiques, les autres morales et humanitaires.
Pour autant, nous n’oublions pas les minorités, principalement chrétiennes, qui, en Syrie comme ailleurs, ont à juste titre peur d’un avenir incertain.
Mes chers collègues, défions-nous des réactions convenues dès qu’il s’agit de la Syrie et de la Russie. Le dialogue politique avec la Russie doit se poursuivre. Nul n’en disconvient. L’avenir de la région dépendra maintenant des relations que nous réussirons à établir avec le principal allié du régime syrien.
Parmi les Occidentaux, qui mieux que la France pourra mener à bien ce dialogue avec la Russie de Vladimir Poutine ?
Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, notre ennemi commun, c’est Daech. Le Président de la République a appelé l’ONU à reprendre sans tarder l’initiative sur les plans politique, sécuritaire, sur la question chimique et sur le plan humanitaire pour avancer, dans la plus large unité possible, vers un règlement de la crise syrienne. Nous l’approuvons.
L’intervention en Syrie, pour légitime qu’elle apparaisse à nombre d’entre nous, doit en effet s’inscrire dans un cadre onusien. Certes, comme l’atteste le Proche-Orient déchiré depuis plus d’un siècle, les Nations unies ne mettront pas un terme au conflit. Mais l’ONU n’en demeure pas moins le seul cadre institutionnel existant au niveau international.
Reste une question : comment, monsieur le ministre, sortir de l’impasse et surmonter le blocage persistant de la Russie à l’application de la résolution 2118 des Nations unies ? Cela pose d’ailleurs la question, plusieurs fois évoquée par les présidents français et par d’autres, du fonctionnement du Conseil de sécurité : la liste de ses membres permanents l’atteste, il date du monde d’hier, d’une géopolitique qui a profondément évolué, et cette question est plus que jamais sur la table. On parle de cette réforme du Conseil de sécurité, et un jour il faudra parvenir à la faire.
Et puis, alors qu’il est question de relancer l’Europe de la défense, que penser du fait qu’aucun autre État membre de l’Union européenne n’ait participé, même symboliquement, à la coalition ? Même si – que mon propos ne soit pas mal compris – on doit saluer le partenariat avec la Grande-Bretagne, dans l’esprit de Lancaster House. Cela compte, c’est important, car ce sont nos voisins. Mais on ne peut pas dire que l’Europe de la défense était présente. C’est regrettable.
Si nécessaires fussent-elles pour faire respecter le droit et la morale humanitaire la plus élémentaire, les frappes ne régleront pas le conflit. Car, ne soyons pas naïfs, le sort de la Syrie n’est pas entre les mains des seuls Occidentaux : il dépend d’abord de la Turquie, de l’Iran et de la Russie. Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelle est, à moyen et à plus long terme, la stratégie proche-orientale de la France ?
Pour notre part, et sans faire du départ de Bachar al-Assad le préalable, nous considérons que la France doit pouvoir parler avec l’ensemble des protagonistes, sans exclusive. Elle doit aussi pouvoir remettre au cœur des discussions la question d’une future Constitution et l’organisation – le moment venu, quand les conditions seront réunies – d’élections en Syrie.
« Ce que chacun peut apporter de meilleur au monde, c’est lui-même », écrivait Paul Claudel. Or, mes chers collègues, c’est bien en étant fidèle à sa propre histoire et à son héritage, celui de la défense de la liberté des individus et des peuples à travers le monde, que la France peut apporter quelque chose.
Sachez, monsieur le ministre, que le groupe Union Centriste n’esquivera pas ses responsabilités et adoptera à chaque fois une position responsable lorsque seront en jeu l’intérêt de la France et la dignité de la personne humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en avril 2011, il y a sept ans maintenant, commençait ce qu’on appelle le conflit syrien. Déjà, Bachar al-Assad employait la force contre son propre peuple, en tuant des civils lors de manifestations.
En sept ans, au gré de la multiplication des fronts, notamment contre Daech, au gré du secours des alliés russes et iraniens du dictateur syrien, la guerre syrienne a connu de nombreuses époques et évolutions. Mais un élément n’a jamais changé dans ce conflit : Bachar al-Assad continue, mois après mois, massacre après massacre, d’user de la force contre son peuple, contre des civils.
Les chiffres ont été rappelés : en sept ans de conflit, tous les observateurs dénombrent plus de 340 000 morts, dont au moins 100 000 civils et 19 000 enfants – 19 000 enfants ! Le nombre de déplacés est colossal puisque 12 millions de Syriens ont quitté leur lieu de vie habituel, dont près de 5 millions, leur pays. Vous connaissez les conséquences en termes migratoires.
Mais, plus que les chiffres, c’est l’inhumanité de ce conflit qui nous interpelle. L’emploi d’armes chimiques, cette attaque n’ayant pour but que de tuer des civils, des non-combattants, des innocents, a retiré à tout jamais tout honneur à Bachar al-Assad. Comment pourrions-nous accepter de voir mourir, au comble de la souffrance, ces innocents ? Comment ne pas réagir face à ces méthodes de terreur aux portes de l’Europe ?
La France a pris part très tôt, en 2012 et en 2013, aux discussions diplomatiques pour régler ce conflit, mais aussi pour protéger les populations. Les frappes qui ont touché l’arsenal et les moyens de production chimique du régime syrien le 14 avril s’inscrivent pour nous dans la continuité de la position de la France depuis toutes ces années.
La priorité de notre pays reste double : régler le conflit de manière diplomatique et tout mettre en œuvre pour protéger les populations.
En 2013 déjà, en août, après le massacre et l’usage avéré d’armes chimiques par Bachar contre des civils de la Ghouta, le président François Hollande avait exhorté ses alliés à intervenir. À l’époque, malheureusement, le Parlement britannique d’abord, puis le président américain avaient reculé, nous empêchant de frapper, l’unilatéralisme n’ayant jamais été une voie défendue par notre pays. L’Histoire, mes chers collègues, en aurait certainement été modifiée.
La répétition des massacres depuis lors, avec ou sans armes chimiques, notamment en 2017 et ces derniers mois, ont cette fois amené la coalition à intervenir, mettant fin à l’impunité meurtrière du dictateur syrien.
Ces frappes étaient un devoir pour la coalition, un devoir humanitaire, un devoir eu égard au droit international contre l’utilisation d’armes chimiques, un devoir de notre pays, celui des droits de l’homme, d’arrêter un tyran qui extermine son peuple.
En dépit de la protection indéfectible de la Russie et de ses douze veto, les preuves de l’usage de ces armes existent et sont connues du monde entier. Par ces veto répétés, la Russie a mis à bas la résolution 2118 du 27 septembre 2013 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée à l’unanimité, et qui qualifiait déjà à l’époque l’arsenal chimique syrien de « menace contre la paix et la sécurité internationales ».
Le rejet, samedi, par le Conseil de sécurité de l’ONU, de la résolution russe visant à condamner les frappes est d’ailleurs significatif : malgré le blocage russe à l’ONU, la communauté internationale soutient la coalition et son action.
À ceux qui craignaient un isolement français en tenant tête aux Russes ces dernières années ou en frappant la Syrie dans la nuit de vendredi à samedi, le rejet de cette résolution est une réponse : non, mes chers collègues, la France n’est pas isolée, elle dispose d’alliés et de soutiens.
C’est au contraire la Russie qui s’est peu à peu isolée. Oui, c’est elle qui s’est isolée en soutenant coûte que coûte Bachar al-Assad. Notre pays devra donc continuer à tenir une position ferme face aux Russes ces prochains mois pour que le conflit syrien trouve un débouché, avec eux.
Nous soutiendrons le Gouvernement, monsieur le ministre, sur cette ligne de fermeté face aux attaques chimiques. Mais nous considérons que ces frappes ne sont pas la solution définitive, loin de là.
Alors, monsieur le ministre, quelles initiatives permettant le dialogue et la négociation politique allez-vous engager, notamment en coordination avec nos partenaires européens ? Force est de constater que ces frappes montrent une nouvelle fois la nécessité d’une coordination européenne aux niveaux diplomatique et militaire. En l’occurrence, le compte n’y est toujours pas.
Ces frappes sont aussi un message envoyé à ceux qui furent nos alliés dans la lutte contre Daech. Le peuple syrien et certains rebelles syriens ont fait partie de nos alliés contre le terrorisme islamiste ces dernières années. Il y va donc de l’honneur de notre pays, et de ses alliés, de défendre un peuple qui a combattu Daech.
Abandonner ses alliés ne saurait être une position de notre pays. Il en est ainsi du peuple syrien.
Mais je voudrais évoquer solennellement une autre situation.
Notre soutien aux peuples alliés doit s’appliquer également aux Kurdes syriens du Rojava attaqués par la Turquie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Hervé Marseille applaudit également.) La prise d’Afrine a déjà particulièrement abîmé l’image de notre pays, qui n’a rien fait pour protéger les Kurdes, notamment des attaques aériennes turques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Loïc Hervé applaudissent également.)
Ce silence a des conséquences puisque les Kurdes disent maintenant vouloir libérer unilatéralement les djihadistes français. Je vous enjoins, monsieur le ministre, de faire en sorte que notre pays réoriente sa position sur le dossier kurde avant que nous ne perdions totalement la confiance et les liens avec ce peuple allié de la France.
Mes chers collègues, les frappes en Syrie étaient donc légitimes, au nom des droits de l’homme, au nom du droit international, au nom du respect de nos alliances. Mais ces frappes ne peuvent pas être une fin. Doit débuter maintenant un processus diplomatique.
Notre pays a écrit, avec ses alliés britanniques et américains, une proposition de résolution qui sera débattue prochainement à l’ONU. Il est en effet indispensable de reprendre la main dans le jeu diplomatique, alors que les Russes ont montré leur isolement.
Il faut aller au bout de ce processus diplomatique pour d’abord désarmer l’arsenal chimique syrien qui aurait résisté aux bombardements. Il faudra aussi poursuivre ce processus pour trouver une issue pacifique au conflit syrien.
Ce processus ne sera pas facile compte tenu des positions ambiguës des États-Unis quant à l’avenir de leur présence dans les dossiers de cette région. Il est donc nécessaire d’investir pleinement le champ diplomatique.
Notre groupe, monsieur le ministre, soutiendra donc également vos initiatives en ce sens. Nous aurons cependant une question majeure : quelle sera la position de notre pays si la voie diplomatique continuait à être bouchée dans les prochains mois du fait des veto russes ? Nous ne demandons pas aujourd’hui une réponse à cette question complexe, mais nous voulons dès maintenant la poser, car le risque d’escalade militaire existe dans cette région poudrière.
En attendant qu’une solution diplomatique soit trouvée, je veux redire ici qu’il est tout à l’honneur de notre pays d’être intervenu contre l’usage répété des armes chimiques en Syrie.
Je veux aussi saluer le soutien des différents partis et groupes politiques qui se sont exprimés ce week-end et encore aujourd’hui. La classe politique se grandit toujours à montrer son unité lorsque notre pays intervient sur la scène internationale, comme lorsqu’il est attaqué.
Nous avons entendu les inquiétudes de certains et les critiques des autres. Je veux leur dire que soutenir l’intervention n’est pas synonyme de béatitude. (M. Bruno Retailleau sourit.) Nous sommes aussi vigilants quant à la suite des événements, nous sommes aussi soucieux qu’aucune surenchère ne naisse de la situation, nous sommes aussi déterminés à ce qu’une solution diplomatique et globale soit trouvée.
Mais cette vigilance n’empêche pas la responsabilité face aux événements et face à l’Histoire, dans laquelle cette guerre syrienne est entrée. La recherche des voies politiques ne doit pas non plus empêcher l’urgence humanitaire de la protection de civils massacrés. Le souci du règlement pacifique ne doit pas pétrifier face aux atrocités inhumaines d’un dictateur. L’indignation ne peut pas se réduire à l’inaction.
Mes chers collègues, un dernier mot, enfin, pour saluer nos forces armées, qui ont encore une fois démontré, par la qualité de leur intervention, la place incontournable de la France dans le concert des nations. Que nos soldats, ceux de la République, soient salués pour leur engagement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Josiane Costes applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – MM. Éric Gold et Arnaud de Belenet applaudissent également.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, jeudi dernier, lors des questions d’actualité au Gouvernement, j’interrogeais le Premier ministre sur la réaction de la France au massacre de Douma. Depuis samedi, nous avons la réponse, et en ce qui me concerne, je crois qu’elle est la bonne.
Menée avec un grand professionnalisme et beaucoup de discernement, elle a démontré la capacité des armées françaises à frapper rapidement, précisément et avec efficacité à près de 4 000 kilomètres de notre territoire.
Rapidité, précision, efficacité, mais le mot le plus important est peut-être « autonomie ». Seuls deux pays européens, la France et le Royaume-Uni, sont aujourd’hui capables d’une telle intervention et il est vital, même si nous savons que c’est coûteux, que ces capacités soient maintenues dans l’avenir.
J’entends depuis samedi certaines critiques, en France même, sur l’opportunité de cette intervention. Nous étions habitués à un consensus très général en matière de politique étrangère et de défense. Pas de la part, bien sûr, de l’extrême droite et de l’extrême gauche, unies depuis toujours dans leur amour des dictatures (Oh ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.),…
M. Gérard Longuet. C’est bien vrai !
M. Claude Malhuret. … mais de la part des démocrates. Ce n’est pas tout à fait le cas aujourd’hui et c’est un peu étonnant. Beaucoup de ceux qui critiquent cette intervention applaudissaient bruyamment en 2011 l’intervention en Libye, et certains d’entre eux critiquaient en 2013 la non-intervention de Hollande et d’Obama en Syrie.
M. Julien Bargeton. Tout à fait !
M. Claude Malhuret. « Il faut souvent changer d’opinion pour être toujours de son parti », disait le cardinal de Retz… (Sourires. – Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe Union Centriste.)
Je voudrais d’abord répondre aux critiques par une question : quelle était l’alternative ? Ne rien faire, jouer les Ponce Pilate ? Présenter une énième résolution de l’ONU qui se heurterait à un énième veto russe ? Intervenant parmi les derniers, j’ai écouté notre débat avec beaucoup d’attention : j’aurais aimé que ceux qui critiquent ne se bornent pas à condamner, mais nous disent ce qu’il aurait fallu faire, ce qu’ils auraient fait.
Mme Éliane Assassi. Vous n’avez pas bien entendu !
M. Claude Malhuret. Je ne l’ai pas entendu !
On nous dit que nous sommes intervenus sans mandat de l’ONU. Mais les Russes interviennent massivement en Syrie depuis 2015, les Iraniens depuis 2011, les Turcs depuis quelques mois, tous sans aucun mandat. Où était alors la voix de ceux qui nous rappellent aujourd’hui au respect du droit international ?
Et d’abord, qui viole le droit international ? La France et ses alliés, qui se réclament de la résolution 2118 des Nations unies interdisant l’usage des armes chimiques en Syrie, rappelée tout à l’heure par le ministre de l’Europe et des affaires étrangères ? Ou ceux qui mettent veto sur veto à son application, piétinant le papier qu’ils ont signé voilà cinq ans et ne trouvant pour le faire que le piètre mensonge selon lequel l’usage d’armes chimiques n’est pas prouvé ? Les mêmes mensonges qui étaient avancés pour nier l’attentat de Londres il y a un mois.
On nous dit aussi que ces frappes vont affaiblir notre diplomatie et le respect qu’on accorde à la France dans le monde. La meilleure réponse à cet argument est la réunion en urgence samedi du Conseil de sécurité de l’ONU, où la résolution russe condamnant ces frappes n’a trouvé le soutien que de deux pays, deux pays dont chacun connaît le degré de démocratie : la Chine et la Bolivie.
Nous soutenons donc la décision du gouvernement français et de ses alliés.
On me dira que ces frappes ne règlent pas la question de fond de la guerre civile syrienne. C’est une évidence, et ce n’était pas leur but. Mais à défaut de solution, elles délivrent, pour la première fois depuis longtemps, un message. Et ce message est clair : nous défendrons en Syrie nos principes, nos objectifs et nos intérêts.
Nous défendrons d’abord nos principes : l’impunité pour les utilisateurs d’armes chimiques est terminée. Pour les criminels contre l’humanité, le prix à payer va s’élever. Et il pourrait bien devenir un jour un risque personnel, comme pour Ali le chimique en Irak, célèbre pour le gazage des Kurdes en 1988, condamné et exécuté en 2010, ou pour tous les criminels traduits devant la Cour pénale internationale.
Nous défendrons ensuite nos objectifs. Et notre premier objectif, c’est la disparition sans retour du califat, en voie d’extinction en Irak et en Syrie.
Je suis étonné d’entendre certains dire que ces frappes sont une gesticulation sans lendemain. Ils oublient que non seulement il y aura un lendemain, mais qu’il y a un hier.
Ils oublient que nous ne sommes pas présents sur ce terrain depuis samedi, mais que nous y sommes depuis plusieurs années au sein d’une coalition. Que le premier objectif de cette coalition est de vaincre Daech dans ses bases historiques et que cet objectif est en passe d’être atteint. Les frappes de ce week-end ne peuvent que renforcer le sentiment que nous irons jusqu’au bout dans ce combat.
Nous défendrons enfin nos intérêts, et ce n’est pas un gros mot. C’est en ne les défendant pas que nous serions critiquables.
Quels sont ces intérêts ?
Ils consistent à faire comprendre aux alliés d’al-Assad que désormais les lignes rouges ne seront plus virtuelles.
Qu’une menace iranienne ou du Hezbollah sur Israël ou un autre de nos alliés dans la région ne sera pas acceptée.
Qu’une déstabilisation des voisins de la Syrie, Irak ou Jordanie par exemple, ne sera pas tolérée.
Qu’enfin, nous ne voulons plus de massacres des populations civiles qui jettent chaque fois des milliers de nouveaux réfugiés sur les routes au Liban, en Turquie en Jordanie et jusqu’en Europe.
Voilà les trois messages qui ont été envoyés samedi à Bachar al-Assad et à ses alliés.
Il y en a un dernier, plus spécifique, à l’égard de Vladimir Poutine : c’est que malgré tous ses efforts pour les diviser, et peut-être même du fait de ses efforts, les alliés sont restés unis. Ils sont restés unis devant ce crime comme après le scandale du Novitchok à Londres.
Et le prix à payer pour la Russie est désormais très lourd avec, pour la première fois depuis longtemps, la chute du rouble et de la bourse de Moscou.
Enfin, il y a l’essentiel, et l’essentiel, c’est ce sur quoi jusqu’à ce jour nous avons tous échoué. Tous, nos alliés comme nos adversaires. C’est bien sûr du règlement politique de la guerre civile en Syrie que je veux parler.
Je ne parlerai pas des échecs des Syriens eux-mêmes ni de ceux de nos adversaires, nous avons bien assez des nôtres. Les échecs des démocraties dans cette guerre proviennent notamment de leurs erreurs d’analyse.
Ballottées par le flot des images télévisées, noyées sous la tempête permanente des réseaux sociaux, naviguant au gré des émotions de l’opinion, les démocraties ne décident plus sous l’angle de la raison, mais sous la passion des sentiments. Une vidéo peut aujourd’hui déclencher une guerre. Il est normal, consubstantiel même aux démocraties, que le sentiment humanitaire soit une part importante de leurs décisions, et ce fut le cas dans les frappes récentes. Mais il est anormal que dans tant d’autres occasions il soit devenu la seule.
Ces paroles peuvent vous paraître étonnantes de la part d’un ancien président de Médecins sans frontières, mais elles sont au contraire logiques. Après avoir passé des années sur les terrains de conflit, les humanitaires ont compris que la confusion des genres entre humanitaire et politique est néfaste pour les deux.
M. Alain Richard. Très bien !
M. Claude Malhuret. Le politique prend des risques lorsqu’il fait ce que lui enjoint l’humanitaire – ou le philosophe, comme en Libye. Le politique se trompe, à l’inverse, lorsqu’il ne prend pas ses responsabilités et s’en décharge sur les humanitaires : c’est ce qu’on a vu pendant plusieurs années dans les Balkans avant que Clinton n’envoie ses avions et ne convoque à Dayton les protagonistes pour siffler la fin de ce que je n’oserai pas appeler une récréation.
Le politique des pays démocratiques se trompe encore, et ce fut le cas en Syrie, lorsqu’il raisonne en moraliste : le bien d’un côté, le mal de l’autre. Qui peut nous dire aujourd’hui avec le recul que le mal en Syrie n’était que du côté de l’État et le bien du côté de ses adversaires, hélas ! majoritairement djihadistes ?
Enfin, le politique des pays démocratiques se trompe lorsqu’il pense que sa propre histoire est la matrice de l’histoire des autres peuples : le roi tout-puissant ou le dictateur d’un côté, le peuple de l’autre, et que la chute du monarque ou du dictateur va ouvrir l’ère du progrès et de la liberté. Cette erreur explique les espoirs insensés mis dans les printemps arabes et les déceptions tragiques qui en ont résulté. L’histoire de la Syrie, de la Libye, de l’Irak, de l’Égypte et de bien d’autres n’est pas l’histoire de la France de 1789, des États-Unis de 1778 ou de l’Angleterre de la Grande Charte. Ceux qui l’ont cru ont fait payer aux peuples de ces pays un prix très lourd. Et eux-mêmes l’ont payé de lourds revers diplomatiques.
C’est dans ce contexte qu’il va falloir tenter de régler la question essentielle, celle de la transition en Syrie, conformément aux résolutions unanimes de l’ONU.
À ce titre, je salue la déclaration par laquelle le Président de la République a annoncé, dès le lendemain des frappes, que l’urgence est là, et que la France en fera une priorité.
En outre – je le salue également à cet égard –, le Président de la République l’a clairement compris et exprimé : il n’y a pas, en Syrie comme dans tout le Moyen-Orient, le mal d’un côté et le bien de l’autre ; il va donc falloir discuter et négocier en oubliant les préalables et les préconditions. Il est grand temps !
Ce règlement, s’il peut avoir lieu, cette discussion, cette négociation, nous les abordons, d’une certaine manière, en situation de faiblesse, du fait des successions d’erreurs diplomatiques commises en Syrie depuis des années.
Toutefois, nous pouvons également avoir l’espoir que nos interlocuteurs, à la suite de la démonstration des capacités militaires de la coalition, et à condition que cette détermination perdure, comprennent qu’aucune solution n’existera sans un accord général auquel la France et ses alliés doivent être parties prenantes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier,…
M. David Assouline. Le porte-parole de Bachar al-Assad !
M. le président. … pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos frappes contre le régime syrien constituent une faute majeure (Exclamations sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.), comme si nous ne tenions en aucune façon compte des enseignements de l’histoire pourtant récente.
Que nous dit-elle ?
Que les interventions en Irak et en Libye ont été de véritables catastrophes ; qu’elles ont plongé ces pays dans le chaos, favorisant le développement et l’armement de l’hydre islamiste et provoquant des vagues de submersion migratoires sans précédent, par lesquelles nombre de terroristes ont pu pénétrer en Europe et frapper la France.
En matière de politique étrangère, le pragmatisme doit guider notre action, avec pour objectif unique l’intérêt de la France.
Force est de constater que, si le régime autoritaire de Bachar al-Assad peut avoir des politiques contestables, voire critiquables,…
M. David Assouline. Ah !
Mme Éliane Assassi. Plus que cela !
M. Stéphane Ravier. … il est, en Syrie et au Moyen-Orient, la seule force capable de s’opposer aux groupes islamistes qui pullulent dans la région.
Il est curieux que le régime de Bachar al-Assad soit le seul à être sévèrement critiqué et puni pour son autoritarisme. (M. David Assouline s’exclame.) L’Élysée est moins regardant du côté des régimes du Qatar, du Koweït, des régimes égyptien et saoudien, ou encore du Soudan…
M. François Grosdidier. Parlez-nous du gazage des civils !
M. Stéphane Ravier. Que dire aussi de l’invraisemblable mépris du droit international exprimé par Emmanuel Macron ? Le Président de la République invoque une certaine « légitimité internationale », alors même que Paris, Washington et Londres ont agi en dehors du cadre de l’ONU.
Si « l’exigence morale » est désormais brandie au-dessus du droit international,…
M. François Grosdidier. C’est nouveau chez vous, l’exigence morale !
M. Patrick Kanner. Il y avait bien l’Anschluss… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Stéphane Ravier. … ce précédent pourra servir de modèle, de « légitimité » à d’autres pays qui n’hésiteront pas à transformer le Moyen-Orient d’abord, le monde ensuite, en un vaste cimetière.
La France doit avoir une voix indépendante.
Elle a un autre rôle à jouer, loin de celui de valet des États-Unis : le rôle de protecteur des chrétiens d’Orient, auquel Damas contribue.
En l’état, nous n’avons aucune preuve irréfutable quant à cette attaque. Rien ne prouve seulement que le régime syrien en serait l’auteur !
Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur le fait que, au début de la guerre civile, 95 % des stocks d’armes chimiques ont été saisis par les groupes rebelles.
Les rebelles eux-mêmes pourraient être à l’origine de cette attaque : leur but serait de retourner l’opinion internationale en leur faveur et de provoquer une répression contre le régime de Damas (Protestations sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. François Grosdidier s’exclame.),…
M. Alain Richard. Propagande de Moscou !
M. Stéphane Ravier. … ce qui les renforcerait ipso facto !
À l’évidence, la prudence s’impose, car en réalité rien n’a été démontré.
Mme Éliane Assassi. Alors, ce n’est pas la peine de délirer !
M. Stéphane Ravier. Il est tout à fait inconséquent de s’engager tête baissée dans des représailles dont les répercussions pourraient être dramatiques, alors même que l’enquête n’a pas encore débuté – d’ailleurs, cette enquête a été refusée par Emmanuel Macron.
M. David Assouline. C’est incroyable d’entendre des choses pareilles !
M. Stéphane Ravier. Il faut choisir notre camp et lutter coûte que coûte, à temps et à contretemps contre les terroristes islamistes.
Or, derrière les opposants au régime de Bachar al-Assad, ces soi-disant « combattants de la liberté », ce sont les islamistes qui sont à la manœuvre. Leur prise du pouvoir à Damas exposerait la France et les Français à de graves dangers.
Au Front national, nous dénonçons cette politique incohérente, et même totalement schizophrène. Nous devons considérer où est la vraie menace : selon toute vraisemblance, elle est plus du côté des rebelles islamistes qu’au sein du régime de Damas ! (M. François Grosdidier s’exclame.)
M. Bernard Cazeau. Ouh !
Un sénateur du groupe socialiste et républicain. C’est honteux ! (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Loïc Hervé, Jean-Claude Requier et François Patriat, ainsi que Mme Josiane Costes applaudissent également.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le drame que viennent de subir les populations de Douma et la crise internationale que nous vivons sont d’une telle intensité qu’il était nécessaire et urgent d’entendre la voix du Parlement. À ce titre, je remercie nos nombreux collègues, qui, malgré un calendrier constitutionnel étroit, sont présents cet après-midi.
L’utilisation des armes chimiques à l’encontre des populations civiles ne peut en effet rester impunie. Nos armées ont certes brillamment réussi ces frappes, mais rien n’est réglé en Syrie et, pour sa part, l’Europe de la défense ne sort pas indemne de cette opération.
Voilà quelques points que je souhaite développer devant vous, au nom de notre commission.
Fallait-il intervenir ?
Cette question cruciale, c’est celle des preuves. Est-ce bien le régime de Bachar al-Assad qui a commis ces atrocités ?
M. Stéphane Ravier. Bonne question !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Certes, nous savons depuis Alep et Khan Cheikhoun que ce monstrueux personnage n’a jamais hésité à utiliser des armes chimiques contre son peuple, violant ainsi tous ses engagements internationaux.
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Nous savons aussi que, dans cet Orient compliqué, toutes les manipulations sont possibles, les ennemis du matin pouvant devenir les adversaires du soir.
M. Stéphane Ravier. Absolument !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Ce qui importe donc, monsieur le ministre, c’est de savoir que ce sont nos services de renseignement et nos experts qui attestent de ces preuves.
Hier, devant nous, et encore tout à l’heure, devant la représentation nationale, vous avez confirmé solennellement votre certitude quant à l’origine de ces massacres et quant à leurs auteurs.
Dès lors, il convenait de réagir.
Tout d’abord, il fallait porter un coup d’arrêt à ces pratiques ignobles et rappeler que l’on ne peut gazer sa population pour mater une rébellion.
Si nos sources sont exactes, les objectifs détruits il y a quatre jours étaient vraisemblablement les mêmes que ceux qui avaient été identifiés en août 2013. Rien n’aurait donc changé depuis, à ceci près que cinq ans ont été perdus (M. David Assouline s’exclame.) et que des milliers d’innocents ont payé le prix de notre indécision d’alors !
Mme Esther Benbassa. C’est vrai.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Or, en cinq ans, le visage des rebelles a évolué, hélas ! vers l’islamisme radical.
Mme Sylvie Goy-Chavent. Tout à fait !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Ainsi, quand on parle de ligne rouge, mieux vaut sanctionner, et vite, sinon, l’on risque fort de brandir des sabres de bois…
En outre, il fallait intervenir pour envoyer un message clair aux alliés de la Syrie, et particulièrement à la Russie.
Ce grand pays, auquel tant de liens nous unissent, doit comprendre que le rôle de grande puissance est incompatible avec le non-respect du droit international. (Marque d’approbation au banc des commissions.) Nous l’avons du reste rappelé à nos collègues russes dans le dialogue serein, mais sans concession, que nous avons eu la semaine passée avec les représentants du Conseil de la Fédération de Russie.
Les frappes étaient-elles fondées en droit international ?
Le respect du droit international s’applique bien sûr d’abord à nous. Or c’est idéalement sur la base d’une résolution votée par le Conseil de sécurité, sous le régime du chapitre VII de la Charte des Nations unies, autorisant le recours à la force, que ce genre d’opérations militaires trouve sa légitimité incontestable.
Toutefois, force est de constater qu’en utilisant son droit de veto à douze reprises sur le dossier syrien, dont six fois au sujet des armes chimiques, la Russie a paralysé l’action du Conseil de sécurité, y compris pour ce qui concerne le volet humanitaire.
Là encore, nous pouvons regretter que les membres permanents du Conseil de sécurité n’aient pas tous accepté la proposition française de s’abstenir d’utiliser ce droit de veto en cas de crime de masse.
Le Gouvernement se fonde sur la résolution 2118 de septembre 2013, relative au démantèlement du programme chimique syrien. Le paragraphe 21 de ce texte, que vous avez rappelé, monsieur le ministre, mentionne la possibilité de recourir à la force.
Bien sûr, en toute rigueur, une résolution ultérieure aurait été nécessaire. Mais, face au blocage sciemment organisé du Conseil de sécurité, il n’y avait pas d’autre solution pour agir. Nous le déplorons. À l’avenir, il faudra bien que les Nations unies trouvent le moyen de rompre la paralysie engendrée par certains membres du Conseil de sécurité.
Nos armées ont-elles bien accompli la mission que leur a confiée le Président de la République ?
Oui, certainement ! Dans ce contexte très tendu, où toute erreur d’exécution pouvait ouvrir la voie à une escalade d’une gravité exceptionnelle, nos forces armées ont accompli un sans-faute que nous devons saluer.
En moins d’une heure, tous les objectifs fixés ont été atteints et détruits, sans aucune perte de vie humaine. Conjuguant des heures de transit et la tension extrême de l’action, nos forces aériennes et navales ont démontré une fois de plus leur parfaite maîtrise et leur capacité de projection à des milliers de kilomètres, dont elles disposent grâce à l’appui des services de renseignement, qui avaient parfaitement préparé cette opération.
M. Robert del Picchia, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Les procédures de déconfliction, entendez « le téléphone rouge », ont parfaitement fonctionné, évitant tout contact avec les forces aériennes russes, dont près de vingt avions, à la même heure, étaient en vol d’observation dans ce secteur.
Au nom de notre commission, je souhaite rendre ici un hommage solennel au travail de nos militaires, de ces femmes et de ces hommes qui, par leur dévouement, par leur courage et par leur compétence, permettent à la France d’avoir l’une des meilleures armées du monde. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
Le Sénat, j’en suis sûr, aura à cœur, lors de l’examen du prochain projet de loi de programmation militaire, d’assurer à nos soldats les conditions de vie, d’entraînement et d’équipement dont ils ont besoin…
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. … pour accomplir leurs exigeantes missions.
Cette action militaire ouvre-t-elle une solution politique en Syrie ? Évidemment non !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Si un coup décisif a été porté à la fabrication et au stockage d’armes chimiques en Syrie, rien n’indique que ces dernières ont été détruites à 100 %, bien au contraire : on peut même imaginer que l’on aura profité de cette étrange semaine de tweets pour transférer nombre d’entre elles dans d’autres sites…
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Nous le savons bien, aucune solution militaire ne viendra à bout de ce conflit.
Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé : notre ennemi, ce n’est pas la Syrie, c’est Daech, et ce sont, plus largement, tous les groupes liés à l’islamisme radical. (Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit.) Leur éradication doit donc être assurée à tout prix.
Malheureusement, cet objectif se mêle à des confrontations complexes internes à cette région du monde, dont certaines durent depuis des décennies.
Conflit israélo-palestinien, confrontation des sunnites et des chiites entre l’Arabie saoudite et l’Iran, revendications kurdes inlassablement réprimées par les Turcs – ces derniers emploient maintenant la force contre des alliés qui, face à Daech, ont pourtant fait preuve de leur courage–, persécutions des chrétiens d’Orient : tout concourt à des explosions en chaîne qui menacent le monde entier d’instabilité et de terrorisme.
Dans ces conditions, monsieur le ministre, il vous reste à repartir au combat ; mais ce combat, c’est celui de la paix.
Bien sûr, nous éprouvons souvent le sentiment de l’impuissance, mais nous avons aussi la chance de pouvoir dialoguer avec le monde entier ; et, à cet effort, le Sénat prend résolument sa part. Notre commission va du reste assurer un suivi actif et vigilant de cette crise.
Il faut en effet maintenir le dialogue avec la Russie, naturellement – et nous le faisons –, avec l’Iran et avec la Turquie – même si ce n’est pas si facile. Ce sont les acteurs présents sur le terrain. Mais, bien au-delà, il faut dialoguer avec les organisations africaines, avec les partenaires régionaux, avec l’Arabie saoudite, avec Israël…
Certes, les difficultés sont grandes, et, une fois de plus, l’Europe aura montré son impuissance et ses divisions.
La Grande-Bretagne a assumé ses responsabilités. Mais nos grands voisins nous auront laissés bien seuls, sans même contribuer symboliquement à cette opération. Je pense notamment à nos amis allemands. Nous connaissons les règles d’engagement de leurs forces armées, lesquelles sont bien différentes des nôtres. Toutefois, un soutien plus appuyé, une déclaration nous auraient sans doute rassurés. (M. Bruno Sido est dubitatif.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Bien des interrogations auraient été dissipées quant à nos perspectives de coopération en matière de défense. (M. Alain Joyandet s’exclame.)
Avec les Britanniques, qui disposent de forces armées efficaces, il sera important pour nous, malgré le Brexit, de préserver une coopération de défense étroite, qui pourra prendre la forme d’un traité spécifique avec l’Union européenne.
M. Jean Bizet. Tout à fait !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. La commission des affaires européennes, présidée par mon collègue Jean Bizet, ainsi que notre commission seront pleinement mobilisées à ce titre.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le ministre, nous allons suivre et appuyer vos efforts pour une diplomatie de la paix, pour une diplomatie du dialogue.
Le projet de résolution que la France a fait circuler samedi est une première étape. Il montre les efforts inlassables de notre diplomatie pour replacer les Nations unies au centre du jeu diplomatique et appeler les autres nations à assumer leurs responsabilités.
La visite en Russie, en mai prochain, du Président Macron, laquelle semble être confirmée, sera très importante à cet égard. Elle devra permettre au chef de l’État de faire comprendre aux Russes qu’ils ne retrouveront leur rôle sur la scène internationale que s’ils respectent le droit international : cette visite devra servir la paix.
Mais il est un rôle particulier que la France doit assumer. Je pense à la dimension humanitaire de ce drame.
Derrière ce choc des grandes puissances, qui se mesurent à l’aune de ces violences, il y a des hommes, il y a des femmes, il y a des enfants qui ne demandaient qu’à vivre en paix, qui ne comprennent rien à des enjeux qui les dépassent et qui sont devenus, au fil de sept années de guerre, les victimes des pires atrocités.
Alors, monsieur le ministre, travaillez pour que la Syrie retrouve la concorde civile ; travaillez pour que la Syrie soit libérée de l’islamisme radical (M. le ministre s’exclame.) ; pour une Syrie où toutes les communautés, même les plus minoritaires, aient leur place ; pour une Syrie où les exilés reviennent. Œuvrez pour les couloirs humanitaires, œuvrez pour des zones de protection en faveur de ces malheureux qui ont déjà tout perdu. Faites en sorte que ces zones les protègent de ces armes inhumaines.
Peut-être, et même sûrement, n’aurez-vous pas gain de cause auprès des États. Mais vous aurez fait porter la voix de la France auprès de ces victimes qui méritent qu’on les sauve de l’enfer et de la barbarie des hommes ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean Bizet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’abord de m’incliner devant la qualité du débat que nous venons d’avoir. Il y a eu des nuances, il y a quelques oppositions, parfois intempestives, mais l’importance de l’enjeu n’a échappé à personne, pas plus que l’importance de ce débat – c’est un bon point, je crois, pour la démocratie et notre fonctionnement démocratique.
J’ai déjà répondu en partie, me semble-t-il, à certaines observations lors de mon propos initial, mais j’ajouterai quelques éléments d’information ou des explications complémentaires.
Pour que les choses soient très claires, je le redis : nous n’avons pas déclaré la guerre ; nous n’avons pas ajouté la guerre à la guerre. Nous avons mené une opération armée destinée à réprimer l’usage des armes chimiques, à prévenir sa répétition, sa banalisation, une opération armée pour enrayer la prolifération chimique. Je serais tenté de dire au président Retailleau que c’est Bachar al-Assad qui a ajouté la barbarie à la guerre. Notre rôle est d’éviter cette barbarie, et la voix de la France, puisque vous l’invoquiez, est précisément d’être celle qui refuse la barbarie, la généralisation et l’impunité de l’usage de l’arme chimique.
Si vous suivez bien l’évolution des forces armées syriennes, après Douma, Deraa, puis Idlib auraient pu être les prochaines cibles, car la reconquête du territoire par ces forces n’est pas achevée ? Et nous resterions là, à constater l’usage répété impuni de l’arme chimique sans que personne se lève et dise que c’est contraire aux règles historiques de la communauté internationale depuis la fin de la guerre de 14-18 ?
Il fallait agir, mais en se fondant sur les trois critères que j’ai indiqués dans mon propos liminaire : une attaque chimique avérée, une attaque chimique létale et une attaque chimique identifiée dans ses responsabilités, un point sur lequel je reviendrai.
L’argument juridique majeur est la référence à la résolution 2118 du Conseil de sécurité des Nations unies, qui a été actée après les événements d’août 2013.
Certes, il n’y a pas de résolution engageant la force au titre du chapitre VII de la Charte par une décision du Conseil de sécurité. Mais, depuis 2013, a été constatée une série de violations de la résolution 2118 par le régime de Bachar al-Assad, violation des engagements qu’il devait normalement tenir. C’est d’autant plus vrai que, je vous le rappelle – on a tendance à l’oublier ! –, a été institué en 2015 un mécanisme d’enquête réunissant des experts à la fois de l’OIAC et de l’ONU.
Ce groupe d’experts, mandaté par les deux instances et validé par le Conseil de sécurité, le JIM – Joint Investigative Mechanism –, un mécanisme conjoint d’investigation, est allé sur place non seulement pour constater l’usage de l’arme chimique, mais aussi pour identifier les auteurs, ce qu’il a fait à plusieurs reprises – au moins à quatre reprises –, désignant à chaque fois le régime de Bachar al-Assad. Cette situation a conduit le Conseil de sécurité à prendre des résolutions, qui, malgré ses observations, se sont vu opposer le veto russe, à six reprises, la dernière en date fut – Mme Assassi devrait s’y attacher – mardi dernier, avant l’intervention. (Mme Éliane Assassi s’exclame.)
Dans cette résolution, nous avons souhaité que ce mécanisme d’enquête soit réinstauré parce qu’il avait été supprimé en raison d’un nouveau veto russe, afin que l’on puisse immédiatement constater qu’une attaque chimique a eu lieu et en identifier le responsable. Mais la résolution de mardi dernier n’a pas non plus été mise en œuvre en raison d’un nouveau veto russe.
Dès lors, on peut considérer que l’ensemble du dispositif multilatéral relatif à l’usage des armes chimiques était bloqué depuis plusieurs années par la succession de veto russes. Aussi serais-je tenté de dire que le veto est certes un droit, mais qu’il ne fait pas le droit international. Telle est la réalité à laquelle il fallait répondre et c’est la raison pour laquelle nous sommes intervenus.
On m’a objecté qu’il aurait fallu attendre l’arrivée des inspecteurs de l’OIAC. Or la mission de cette dernière consiste non pas à identifier le responsable de l’action chimique, mais à prouver au moyen de différentes analyses, y compris en se rendant sur place, qu’il y a bien eu attaques chimiques. Des enquêteurs de l’OIAC sont aujourd’hui, il est vrai, à Damas, mais, à l’heure où je vous parle, ceux-ci n’ont toujours pas eu l’autorisation par le régime d’aller à Douma. Pourquoi les inspecteurs viennent-ils si tard ? Pourquoi d’ailleurs ne pas avoir validé dès mardi dernier une résolution du Conseil de sécurité qui pouvait mandater immédiatement des experts ? Voilà la réalité.
C’est pourquoi notre action s’inscrit en pleine conformité avec les objectifs et les valeurs proclamés dès ses premières lignes par la Charte des Nations unies.
Notre intervention est justifiée, car il n’était pas tolérable de voir un régime syrien continuer impunément à tuer sa population. Elle est nécessaire, car nous ne pouvions continuer à assister impuissants à la succession des blocages opérés par la Russie, avec la répétition de son droit de veto. Et, tout le monde l’a reconnu, elle est proportionnée, car n’avons visé que les sites chimiques clandestins syriens, sans victime collatérale, comme je l’ai déjà indiqué précédemment.
Il fallait envoyer un message clair au régime syrien et à ceux qui le couvrent : il fallait leur dire très clairement que, en matière de prolifération chimique, il n’y aura ni banalisation ni impunité.
Permettez-moi de revenir sur deux autres points qui ont été abordés, de manière plus ou moins importante, par les uns et par les autres.
Concernant les preuves, les sources – certains s’en sont émus ou sont interrogatifs –, je voudrais vous rappeler que, dès la nuit du 7 au 8 avril, nous avons disposé d’une masse de plus en plus importante – quand je dis « nous », je parle de la France – de témoignages, de photos, de vidéos qui, toutes, ont été analysées et jugées authentiques par nos propres spécialistes.
Dans le même temps, les organisations médicales non gouvernementales, qui sont actives depuis plusieurs années dans la Ghouta orientale et disposent de personnels médicaux, ont porté à notre connaissance un nombre massif de patients ou de corps présentant des symptômes d’exposition à un agent chimique. Nous avons aussi pu constater à partir de l’analyse des photos et des vidéos qui nous sont parvenues l’ampleur du drame : les symptômes, qui étaient bien identifiés, correspondaient à l’action de gaz.
Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé, elle-même, a estimé que, « au cours du bombardement de Douma samedi, 500 patients se sont présentés dans les établissements de santé avec des signes et symptômes correspondant à une exposition à des produits chimiques toxiques ».
L’ensemble de ces informations a été analysé par nos propres services – nous avons l’autonomie de décision – et nos laboratoires : ceux-ci ont tous confirmé que tous les symptômes et tous les éléments constitutifs d’une attaque chimique avec des agents destinés à tuer étaient réunis. Il s’agit donc bien d’une attaque chimique.
Quant à la responsabilité de cette attaque, elle ne fait pas davantage de doute.
Nous disposons d’abord de renseignements confirmant que ce sont des officiers des forces syriennes qui coordonnaient l’emploi de ces armes. L’attaque a eu lieu pendant l’offensive généralisée pour reprendre le dernier bastion tenu par Jaych al-Islam dans la Ghouta orientale. C’était une manière d’accélérer la prise de contrôle de ce secteur. Ce n’est malheureusement pas la première fois : lors de chaque opération de ce type, les forces armées syriennes ont utilisé les mêmes méthodes, qui ont permis d’accélérer leur progression par le gazage des poches de résistance, pour soumettre par la terreur des populations civiles. Rappelez-vous Alep ! Rappelez-vous l’attaque d’août 2013 ! Rappelez-vous Khan Cheikhoun ! Rappelez-vous les quatre attaques confirmées par le JIM, dont je parlais voilà quelques instants, qui ont eu lieu en vue de la reprise de territoires.
J’ai entendu, comme vous, des manipulations lourdes. On nous a d’abord dit qu’il n’y avait pas eu d’attaques chimiques. Ensuite, ce sont les mêmes qui ont empêché mardi dernier une enquête indépendante, comme je l’ai expliqué précédemment. Le mercredi, ce sont toujours les mêmes qui ont expliqué – je l’ai même entendu, me semble-t-il, dans cet hémicycle ! –…
M. François Grosdidier. Oui, ce sont leurs agents !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. … que ce sont les habitants de Douma qui se seraient gazés eux-mêmes ! Les groupes armés auraient organisé en interne leur propre sacrifice pour mettre en difficulté le régime. J’ai même entendu par les mêmes manipulateurs que ce sont les services secrets occidentaux qui ont tout organisé. À force de manipuler, on finit par être victime soi-même de ces manipulations. Il faut donc être très vigilant sur ces cycles de manipulation, qui ne répondent qu’à un seul objectif : instiller le doute et diviser nos concitoyens.
Je terminerai mon propos en évoquant la question centrale du moment parce que beaucoup l’ont abordée : et maintenant que faire ?
Je crois l’avoir dit dans mon propos initial, nous avons un socle d’actions possibles puisque trois résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ont toutes été adoptées à l’unanimité : une concerne l’utilisation des armes chimiques, une autre, l’humanitaire et la troisième, plus ancienne, la résolution 2254, le règlement politique.
Sur les armes chimiques, la résolution 2118 comprend tous les éléments pour mettre en œuvre le démantèlement définitif de la présence d’outils chimiques sur le territoire de la Syrie. Il convient de mettre en œuvre ce dispositif, et l’outil capable de le faire, c’est l’OIAC : mandatons-la pour cela !
Concernant l’humanitaire, il y a un peu plus d’un mois, une résolution a été adoptée à l’unanimité pour réclamer le cessez-le-feu immédiat et pour permettre l’accès de l’aide humanitaire à l’ensemble des populations, quelle que soit leur origine. Elle a été adoptée, mais elle n’a pas été mise en œuvre par ceux-là mêmes qui l’avaient adoptée : il faut la mettre en œuvre !
Enfin, la résolution 2254 concerne la manière de régler le problème politique, en prévoyant un agenda possible, une feuille de route qui permettrait à la fois une transition ainsi qu’un retour à la paix et à la sérénité dans un pays qui a tant souffert.
Il est aujourd’hui possible de mettre en œuvre cette résolution en réactivant le processus de Genève. Certains ont tenté – plusieurs d’entre vous l’ont relevé – de trouver une autre solution, avec le processus d’Astana, puis le processus de Sotchi. Mais même ce dernier processus, engagé par le président Poutine avec le président Rohani et le président Erdogan, n’a pas abouti parce que le comité constitutionnel qu’ils voulaient instaurer pour faire en sorte qu’il y ait une sortie politique sur le territoire syrien a même été refusé par Bachar al-Assad.
Il nous faut maintenant regrouper les trois résolutions qui constituent le socle de ce qui peut être demain la sortie digne, humaine d’une situation dramatique. C’est pourquoi la France a déposé hier devant le Conseil de sécurité une nouvelle résolution qui regroupe l’ensemble de ces résolutions antérieures, faisant constater aux uns et aux autres que ces dernières avaient été adoptées à l’unanimité et proposant que ce soit le point de départ d’une nouvelle étape, qui permettrait d’aboutir à un règlement pacifique de la situation.
La France assume donc ses responsabilités : elle intervient en refusant l’impunité de l’utilisation des armes chimiques et en faisant en sorte que l’aide humanitaire puisse reprendre, afin que le cessez-le-feu soit un fait et que le processus politique puisse se mettre en œuvre. C’est l’honneur de la France, la voix de la France, monsieur le président Retailleau, que de dire cela et de le dire au Sénat et à l’Assemblée nationale, dans nos assemblées démocratiques. Nous avons voulu mettre un terme à l’horreur chimique qui frappe depuis trop longtemps la population syrienne. Nous avons en mémoire les massacres chimiques intervenus sur des champs de bataille antérieurs, ce qui renforce encore notre responsabilité.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons fait notre devoir pour que le droit international cesse d’être bafoué et pour ne plus revoir les images insoutenables de Douma le 7 avril dernier. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’intervention des forces armées françaises en Syrie, consécutif à une déclaration du Gouvernement.
3
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 17 avril 2018, à quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes (n° 260, 2017–2018) ;
Rapport de M. François Bonhomme, fait au nom de la commission des lois (n° 421, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 422, 2017–2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD