M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, pour la réplique.
Mme Colette Mélot. J’espère que le programme que vous venez d’évoquer impliquant la communauté scientifique afin de permettre l’émergence de nouveaux techniciens et chercheurs pourra être rapidement mis en place. Le soutien de la Commission est un élément positif. Je souhaite que vous puissiez peser de tout votre poids pour que le lancement de ce programme puisse être couronné de succès.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison.
M. Michel Raison. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a moins d’un mois, la presse nous apprenait le souhait de Google de mobiliser l’intelligence artificielle pour améliorer la productivité agricole. Son laboratoire de recherche étudie en effet la façon dont l’intelligence artificielle peut permettre d’épauler les agriculteurs afin, par exemple, de minimiser les pertes et d’augmenter les rendements de leurs exploitations.
Le numérique et les GPS apportent déjà beaucoup à l’agriculture. L’intelligence artificielle pourra certainement aider à la décision sur de nombreux sujets, comme le choix des implantations, la fourniture d’une meilleure irrigation, tout en apportant des améliorations en matière environnementale. Outre-Atlantique, les agriculteurs disposent d’ailleurs déjà d’un certain nombre d’outils d’intelligence augmentée.
L’Europe dispose d’importants atouts à faire valoir dans ce domaine, mais je crains qu’elle ne soit déjà quelque peu dépassée par les GAFA. Ma question porte donc sur les moyens mis en œuvre par l’Union européenne pour saisir ces nouvelles perspectives en matière d’agriculture. Dans ce domaine, nous avons le droit de temps en temps de parler un peu de modernité et pas que de passéisme !
La Commission européenne envisage-t-elle, par exemple, une application de l’intelligence artificielle à la définition des zones à contraintes spécifiques ? Je veux parler plus particulièrement des zones défavorisées. Des discussions entre le Gouvernement et l’Union européenne sur l’ensemble de ces sujets ont-elles eu lieu ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez souligné l’importance de l’évolution technologique dans le monde agricole. Celui-ci a connu de nombreux changements, mais il est vrai qu’il est aujourd’hui appelé à faire face à des défis de plus en plus importants, afin de garantir au plus grand nombre une alimentation saine, abordable et respectueuse de l’environnement.
Les états généraux de l’alimentation ont montré la sensibilité des consommateurs et des citoyens à ces questions. L’intelligence artificielle peut apporter des solutions au double défi de la compétitivité et du respect de l’environnement. Les outils numériques permettant d’assister l’agriculture dite « de précision » sont déjà largement utilisés et de nombreuses start-up françaises réinventent les services aux agriculteurs : Naïo Technologies et ses robots agricoles autonomes, Airinov et ses capteurs connectés, Carbon Bee AgTech et ses caméras intelligentes pour détecter les maladies, et j’en passe…
Cet écosystème est donc foisonnant, et l’enjeu est désormais de le transformer en une véritable filière. Les défis de court terme que nous voyons sont aujourd’hui de deux types.
Il s’agit, d’abord, de la construction des infrastructures essentielles, avec la couverture réseau des exploitations, le soutien à la recherche et à l’innovation en matière de robotique et d’objets connectés et les enjeux liés aux données – leur interopérabilité, leur propriété et la loyauté de leur utilisation.
Le deuxième enjeu est de former les agriculteurs et de les préparer, ainsi que l’ensemble de leur écosystème, à ce nouveau paradigme. Les métiers se transforment profondément, avec une demande renforcée en matière de transparence, de traçabilité et de circuits courts. Cela ouvre des perspectives importantes.
Je note également votre suggestion relative à l’utilisation de l’intelligence artificielle en matière de zonage, que je transmettrai à mon collègue Stéphane Travert.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour la réplique.
M. Michel Raison. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse complète. J’en profite simplement pour souligner, puisque vous avez parlé de la loi Alimentation, que, année après année, depuis des siècles – mais parlons seulement des dernières décennies –, l’agriculture n’a jamais attendu une quelconque loi pour s’améliorer, que ce soit en matière de respect de l’environnement ou de fabrication de produits de plus en plus qualitatifs. C’est aussi pour cela que l’espérance de vie a énormément augmenté ces dernières décennies dans notre pays.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le rapport rédigé par Cédric Villani dresse le constat que l’intelligence artificielle, dont les applications en entreprises progressent de plus de 50 % par an, est porteuse de transformations extrêmement profondes dans toutes les dimensions de la société. Ce même rapport pointe le risque pour la France de se faire distancer rapidement par les entreprises américaines et asiatiques. C’est malheureusement déjà le cas !
Si le président Emmanuel Macron a déclaré vouloir faire de la France une « start-up nation », force est de reconnaître qu’aujourd’hui les moyens ne suivent pas.
Devant les investissements massifs de nos concurrents, le modeste fonds pour le financement de l’innovation, lancé à grands renforts médiatiques par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, ne pèsera pas bien lourd avec ses 200 millions d’euros de dotation annuelle.
Même réalité navrante, lorsque l’on constate que l’État, incapable de respecter financièrement les délais initiaux, décale à 2027 la livraison de la ligne 18 du Grand Paris Express, pourtant indispensable à la déserte du plateau de Saclay. Je rappelle au passage que l’ambition de départ était de créer « la » Silicon Valley européenne… Je crains qu’elle ne le devienne à la fumée des cierges !
Dans ces conditions, mes chers collègues, comment la France peut-elle devenir une start-up nation, un exemple pour l’Union européenne ? Quel récit européen sur l’innovation la France propose-t-elle à l’Europe pour attirer les jeunes générations ?
Les entrepreneurs de la French Tech ont démontré leur savoir-faire et leur dynamisme. L’État doit maintenant faire sa part en accompagnant efficacement ceux qui sont prêts à prendre des risques. L’Europe aussi doit voir ces nouvelles technologies comme une chance pour l’avenir. Par exemple, à quand un MIT européen, emblématique d’une politique commune ?
L’Europe doit être conquérante ! Le risque est de voir l’avenir s’écrire sans elle, et donc sans nous. La France peut, et doit, être une locomotive européenne. Quels moyens, madame la secrétaire d’État, entendez-vous réellement y consacrer ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. On constate en effet qu’un duopole Chine-États-Unis est en train d’émerger au niveau mondial.
Au niveau européen, la France est au coude à coude avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suisse en matière de force de frappe de recherche et d’expertise. S’agissant des publications de recherche, notre pays se situe dans le peloton de tête au niveau mondial, au coude à coude avec le Canada, mais toujours derrière le duopole Chine-États-Unis.
En ce qui concerne l’innovation, la France occupe un rang moyen. L’investissement dans les start-up d’intelligence artificielle est deux fois moindre qu’au Royaume-Uni. La Chine, dans ce domaine, est en train de dépasser les États-Unis. Ainsi, 48 % des 15 milliards de dollars investis dans les start-up de l’intelligence artificielle dans le monde en 2017 sont allés à la Chine et 38 % aux entreprises américaines.
Plus globalement, on observe un réel retard de l’investissement européen dans le domaine de l’intelligence artificielle. D’après la Commission, l’investissement privé en 2016 était de 2,4 milliards à 3,2 milliards d’euros en Europe, contre 6,5 milliards à 9,7 milliards d’euros en Asie et 12,1 milliards à 18,6 milliards d’euros en Amérique du Nord.
Il faut donc compter sur nos atouts, que j’ai déjà eu l’occasion d’énumérer. Je les rappelle, il s’agit du cadre précurseur et exigeant que nous avons en matière de protection des données personnelles, qui constitue un véritable avantage compétitif pour nos entreprises si elles s’en emparent, du gisement des données, en particulier des données structurées qui peuvent avoir une grande valeur pour l’intelligence artificielle, et du marché unique numérique.
Par ailleurs, nous investissons fortement dans l’innovation de rupture, et une partie de cet investissement ira à l’intelligence artificielle. Nous avons annoncé un montant de 100 millions d’euros sur trois ans pour l’intelligence artificielle par l’intermédiaire du fonds pour l’innovation de rupture.
Je reviens à cette occasion sur la question de Mme Mélot concernant les supercalculateurs, car je ne suis pas allée au bout de ma réponse. Nous avons une ambition dans ce domaine. Aujourd’hui, le moindre joujou de ce type coûte de l’ordre du milliard de dollars ou d’euros ; c’est donc bien au niveau européen que tout doit se passer. La Commission européenne a proposé un projet de règlement visant à créer l’entreprise commune qui portera l’ambition européenne en la matière, avec la volonté d’investir dans des machines exaflopiques, qui peuvent réaliser un milliard de milliards d’opérations par seconde, à l’horizon de 2022-2023. Il s’agit en effet d’être entièrement dans la course.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Madame la secrétaire d’État, je ne doute pas de votre volonté, et c’est avec grand respect que je vous dis cela. En tant que sénateur de l’Essonne, je peux vous dire que, un grand calculateur, nous en avons déjà un. Nous avons tout sous la main ! La liste à la Prévert que vous venez de dresser est loin de la réalité.
J’y insiste, nous avons tout sous la main dans ce pays. Il faut une réelle impulsion, qui viendra également avec les moyens. Ce que l’on constate aujourd’hui sur place, ce n’est que du bricolage, ce qui, pour notre pays, est véritablement préjudiciable.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, l’Union européenne que le Président de la République et le Gouvernement souhaitent construire est un espace intégré qui permet de développer des politiques qui sont mieux traitées à cet échelon qu’à celui des États. Cette volonté de redéfinir finalement la subsidiarité, nous la partageons. Il convient de définir les matières retenues et d’afficher des ambitions fortes. En cela, la politique de développement et d’aménagement numériques nous semble incontournable dans un monde qui évolue vite, sans cesse et qui est soumis à une concurrence effrénée.
En matière de politique numérique et de télécommunications, chaque État a développé aujourd’hui ses propres règles juridiques. Certains règlements européens sont les bienvenus ; néanmoins, une plus grande intégration peut et doit avoir lieu. Ainsi, pourriez-vous nous dire si les négociations sur une forme de code européen des communications électroniques avancent ? Si oui, à quelle échéance ? Comme en matière fiscale, il ne faudrait pas de dumping entre nous, qui créerait une concurrence qui affaiblirait chacun. Une autre question importante concerne les outils de régulation.
Ensuite, en matière d’aménagement, qu’en est-il du déploiement de la 5G dans notre pays ? Le monde s’y prépare, comme une nouvelle révolution numérique. Cependant, les degrés actuels d’engagement des pays varient énormément, ce qui aura des conséquences fondamentales sur le développement économique, en particulier avec l’essor de la notion d’internet des objets. Les États vont devoir choisir entre les rentrées d’argent liées à l’attribution de fréquences à des tarifs élevés et l’aménagement du territoire. Or, à ce jour, l’Europe et ses États membres sont très en retard, en comparaison avec la Chine, les États-Unis ou encore la Corée du Sud et le Japon.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur le code des communications électroniques et sur la couverture 5G en Europe. Il s’agit en effet d’éléments de capacité qui sont extrêmement importants pour que notre continent soit en pointe en matière d’innovation et de numérique.
S’agissant de la régulation de l’accès aux réseaux de communications électroniques, la négociation est aujourd’hui bloquée entre le Conseil et le Parlement. Le trilogue du 25 avril dernier a été un échec sur ce point. Les termes du débat n’ont pas sensiblement évolué par rapport à la présentation faite dans la note. Nous tentons de préserver l’équilibre actuel du cadre réglementaire de la fibre et les marges de manœuvre du régulateur.
En ce qui concerne la réglementation des services de communications électroniques, la négociation a permis de conserver le principe de l’extension du champ du paquet télécom aux services OTT, over the top, c’est-à-dire les services de type WhatsApp, qui se superposent au réseau.
Quant à la 5G, c’est une nouvelle technologie pour les réseaux mobiles au service de la numérisation de notre industrie et de notre économie. Elle apportera plus de capacité avec moins de latence et davantage de sécurité en consommant moins d’énergie. C’est donc un enjeu stratégique pour l’industrie, la compétitivité, l’innovation et les services publics rénovés. Elle facilitera, voire permettra, le développement des transports autonomes, de la télémédecine, de la ville intelligente, de l’usine du futur et de la réalité augmentée.
Au niveau européen, la Commission a détaillé, dans une communication de septembre 2016, un premier plan d’action et demande à chaque État membre d’en élaborer un au niveau national. Les États membres sont encouragés à établir une feuille de route en vue d’une introduction de la 5G d’ici à la fin de 2018 et d’un déploiement commercial en 2020.
Sur ce point, nous travaillons avec l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, pour lancer les expérimentations qui permettront à la fois de tester les technologies, mais aussi de voir grandeur nature comment développer des modèles d’affaires autour de cette nouvelle technologie sur notre territoire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la secrétaire d’État, j’ai entendu vos propos sur l’avantage compétitif que le RGPD apporte à nos entreprises. Je veux y croire, car je suis également préoccupé par la défense de nos données personnelles. Toutefois, nous devons aussi être méfiants.
Je reviens de Chine, et je constate qu’il est probable qu’un certain nombre d’innovations technologiques majeures, en particulier dans le domaine de l’intelligence artificielle, se feront sur la base de données qui n’auront pas nécessairement été collectées dans le respect de nos principes éthiques. Il est aussi probable que ce type de pratiques conduise à apporter à certains pays n’ayant ni nos préoccupations ni nos valeurs démocratiques des avantages technologiques qui peuvent être dangereux pour l’ensemble de nos sociétés.
Comment faire en sorte que, au niveau de l’Union européenne, nous puissions, en faisant preuve de vigilance, nous protéger de ce danger qui risque de menacer, à terme, la manière dont nous pourrons maîtriser l’évolution des technologies, nos données et les capacités de nos entreprises à être au meilleur niveau technologique ?
Nous devons nous inquiéter de la protection des données personnelles, nous devons respecter le RGPD, mais nous ne pouvons pas accepter sans réagir que, dans d’autres parties du monde, des entreprises développent des technologies plus avancées en n’ayant aucune préoccupation éthique. Cette question est très importante !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous l’avez noté, les données constituent un point central pour conserver une avance dans le domaine de l’innovation, en particulier en matière d’intelligence artificielle. Elles sont un carburant indispensable. Le cadre européen a des spécificités sur la base desquelles nous devons travailler en bonne intelligence pour faire valoir notre éthique et nos valeurs tout en permettant l’innovation et le développement des groupes européens.
C’est d’une certaine façon ce que nous recherchons avec l’approche française, qui, si je puis m’exprimer ainsi, a permis de défricher le terrain. Nous souhaitons faciliter l’accès aux données pour des motifs de recherche et d’innovation dans trois directions : du public vers le privé, du privé vers le public et entre acteurs privés.
D’abord, il s’agit d’ouvrir un débat sur l’accès aux bases de données des monopoles de fait que constituent les grandes plateformes.
Ensuite, il s’agit de lancer des appels à manifestation d’intérêts pour la création de plateformes de partage de données entre acteurs, par secteur ou intersecteurs, ce qui permettrait d’associer des données en provenance du secteur public et du secteur privé.
Enfin, il s’agit d’étendre le service public de la donnée, avec un nombre accru de bases de données auxquelles les acteurs pourraient avoir accès pour se développer.
L’idée est de créer de la fluidité. Il ne faut pas contingenter la donnée de façon excessive, afin d’éviter que cela ne pèse sur la capacité d’innovation des acteurs européens. En revanche, il faut organiser, favoriser et encadrer le partage de cette donnée.
M. le président. La parole est à Mme Christine Lavarde.
Mme Christine Lavarde. Madame la secrétaire d’État, depuis septembre 2015, l’Union européenne investit pour relancer l’industrie. Initialement prévu jusqu’en 2018, ce plan d’investissement, ou plan Juncker, a été conforté jusqu’à l’horizon 2020 avec un objectif de financement porté à 500 milliards d’euros grâce à l’effet de levier. Par l’intermédiaire du Fonds européen pour les investissements stratégiques, les projets les plus prometteurs, mais aussi les plus risqués, trouvent une source de financement.
Pour être financé par ce fonds, un projet doit s’inscrire dans un des sept secteurs prioritaires, parmi lesquels figurent « le développement et le déploiement des technologies de l’information et de la communication » ou encore « la promotion du capital humain, de la culture et de la santé ».
Depuis plusieurs années déjà, avec l’organisation de la semaine européenne des compétences numériques en mars 2012, la Commission européenne a conscience que les technologies numériques sont stratégiques, voire vitales, pour les économies du XXIe siècle. Depuis 2013 existe une semaine européenne du code, dont la prochaine édition aura lieu du 6 au 21 octobre 2018. Lors de la dernière édition en 2016, près de 970 000 participants issus de cinquante pays ont pris part à plus de 23 000 événements.
En décembre 2016, la Commission lançait la coalition en faveur des compétences et des emplois dans le secteur du numérique pour aider les Européens dans leur parcours professionnel et leur quotidien. À cette occasion, Günther Oettinger, à l’époque commissaire européen à l’économie et à la société numériques, a fait valoir que « le manque de compétences numériques constitue déjà un frein à l’innovation et à la croissance en Europe. Pas seulement pour les entreprises du secteur des TIC, mais aussi pour les organisations dans tous les secteurs – tant privé que public. »
Dans le domaine du numérique, les investissements concernent aujourd’hui essentiellement le déploiement du très haut débit, à l’exemple du projet porté par la région Grand Est. Pour autant, dans un rapport de France Stratégie sur les prospectives des métiers en 2022, cinq métiers concernant le numérique figurent dans le top 20 des métiers les plus recherchés. Comment aujourd’hui mieux orienter les crédits du Fonds européen pour les investissements stratégiques vers des actions immatérielles, notamment le développement des compétences numériques comme le codage, qui préparent la compétitivité future des économies européennes ? Comment redonner la main aux États membres alors que, dès 2014, des grandes entreprises comme Microsoft ou Facebook ont lancé une initiative européenne pour le codage ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Madame la sénatrice, on se rend en effet compte qu’il y a déjà, et cela va s’accentuer, une tension très forte sur les compétences numériques. Cet élément est pris en compte par la Commission européenne. Sans doute y aura-t-il des points à discuter dans le dispositif qui remplacera les investissements Juncker dans les prochaines perspectives financières. En tout cas, il est clair que ces thèmes devront y apparaître.
Au niveau français, comme vous le savez, un effort sensible est mené dans le programme pour l’intelligence artificielle, qui prévoit un doublement du nombre de formations en la matière. Une action sur les compétences numériques est également menée dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences, doté de 15 milliards d’euros sur le quinquennat. Un certain nombre d’actions ont déjà été lancées pour accélérer la formation numérique des jeunes ou des personnes éloignées de l’emploi, afin de mettre les choses en place extrêmement rapidement.
Je suis d’accord avec vous, la formation et la constitution de compétences sont des sujets-clés, qui devront également trouver leur place au plan européen dans le cadre des 9 milliards d’euros qui sont prévus pour le programme numérique dans les nouvelles perspectives financières.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a bien conscience que la sécurité en matière numérique doit devenir une priorité. En effet, dans son discours sur l’état de l’Union en septembre 2017, il affirmait que « les cyberattaques sont parfois plus dangereuses pour la stabilité des démocraties et des économies que les fusils et les chars ».
L’année 2017 a été marquée par la succession de cyberattaques de plus en plus professionnelles et sophistiquées, qui ont ébranlé la sécurité des citoyens, des entreprises et parfois même des États. Par exemple, le rançongiciel NotPetya aurait attaqué plus de 2 000 entreprises. En France, on a dénombré plusieurs victimes, notamment de grands groupes : la banque BNP Paribas, Auchan ou encore l’industriel Saint-Gobain, qui estime que les pertes financières sur ses ventes s’élèvent à des millions d’euros.
Le numérique est incontestablement un vecteur d’innovation et de croissance, mais il crée des poches de vulnérabilité. La cybermenace s’intensifie au rythme de la numérisation du monde, et toute entreprise est une cible potentielle. Ainsi, en 2016, 80 % des entreprises européennes, y compris, naturellement, des TPE et des PME, auraient été victimes de piratage : espionnage informatique, pillage d’un savoir-faire, veille concurrentielle, vol ou encore destruction de données. Une attaque peut paralyser, voire ruiner une entreprise…
Il est ainsi urgent de constituer un front commun pour protéger le savoir-faire industriel européen des cyberattaques internationales et investir massivement dans la sécurité, sous peine d’une perte totale de confiance dans l’outil numérique.
Afin d’intensifier la coopération entre les États membres, une première directive européenne a été adoptée en 2016, la directive sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information, ou SRI, transposée dans le droit français le 15 février 2018. La Commission européenne a par ailleurs proposé en septembre 2017 un paquet cybersécurité, qui vise à instaurer un système européen de certification du niveau de cybersécurité des produits technologiques, à réformer l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information, l’ENISA, et à transformer celle-ci en une agence européenne pour la cybersécurité. Cette agence serait alors le certificateur unique.
M. le président. Il faut conclure !
M. Guillaume Chevrollier. Il existe entre les États membres des disparités en matière de cybersécurité ; certains sont plus avancés, comme la France et l’Allemagne.
Dans ce contexte, madame la secrétaire d’État, la cybersécurité est-elle, selon vous, une question de souveraineté nationale ou européenne et comment faire de la sécurité en matière numérique un facteur de compétitivité pour l’Europe et un avantage concurrentiel pour les entreprises françaises ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances. Monsieur le sénateur, vous avez bien rappelé le contexte et les initiatives qui ont été lancées : cette directive, dont la date limite de transposition était aujourd’hui, et le paquet cybersécurité de septembre 2017, qui apportera des éléments importants sur la révision du mandat de l’ENISA, sur la création d’un centre européen de compétences et de recherche et sur l’élaboration d’une réponse coordonnée aux incidents et aux crises de cybersécurité de grande échelle.
Cette collaboration européenne est, de notre point de vue, une collaboration-clé ; il y a donc bien, à l’échelon européen, un sujet de souveraineté et de sécurité, qui s’articule avec une vigilance sur la souveraineté nationale. En effet, il y a, dans les technologies de cybersécurité et dans les données que celles-ci protègent, des éléments de souveraineté nationale. C’est pourquoi il faut bien articuler les deux échelons et travailler au niveau européen afin d’accroître les compétences globales de l’ensemble des pays et la sécurité aux frontières de l’Europe.
Nous sommes mobilisés pour cela.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, tous les observateurs sont d’accord sur au moins un point : depuis quelques années, l’intelligence artificielle est entrée dans une nouvelle ère. Elle est devenue l’une des technologies les plus stratégiques, et elle est susceptible d’initier une véritable révolution industrielle et technologique – nous avons tous en tête ces mots de Vladimir Poutine, selon lequel « celui qui deviendra leader dans ce domaine maîtrisera le monde », et il s’y connaît…
Aux côtés des États-Unis et de la Chine, incontestablement très en avance, le Canada, le Royaume-Uni et Israël sont également fortement mobilisés pour développer de nouvelles applications, notamment dans les secteurs de la santé et de l’automobile. Il est grand temps que l’Europe prenne toute sa place dans ce défi majeur et, compte tenu du Brexit, la France doit jouer, aux côtés de l’Allemagne, un rôle moteur dans l’élaboration d’une stratégie européenne.
Dans ce contexte, je me réjouis de l’ambition affichée par le président Emmanuel Macron le 29 mars dernier et corroborée par le gouvernement allemand, qui prévoit notamment la création d’un centre commun d’intelligence artificielle avec la France. Toutefois, pour ne pas rater ce virage, les investissements publics doivent être à la hauteur des enjeux. Or l’annonce du déblocage de 1,5 milliard d’euros sur l’ensemble du quinquennat – vous l’avez rappelé précédemment, madame la secrétaire d’État –, d’ailleurs essentiellement issu de redéploiements budgétaires, reflète un effort nettement insuffisant et relève davantage du saupoudrage que d’une véritable ambition.
De même, la mise en place de chaires individuelles et la modification de la réglementation concernant la recherche vont incontestablement dans le bon sens. Cela dit, la préconisation du rapport Villani visant à revaloriser de manière très significative le salaire des chercheurs, notamment en tout début de carrière, est un paramètre essentiel dont le Président de la République n’a visiblement pas voulu tenir compte. C’est très regrettable, et je ne peux me satisfaire de constater que nos talents quittent massivement et irrémédiablement la France et, plus largement, l’Europe, pour rejoindre la Silicon Valley.
Nous devons avoir les moyens de nos ambitions. C’est le moment d’oser et de nous engager vraiment. Madame la secrétaire d’État, quelles garanties le Gouvernement peut-il nous apporter en la matière ?