PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons l’examen de ce projet de loi de programmation militaire dans un contexte géopolitique mondial où les conflits n’ont jamais été aussi nombreux. Nous faisons face à des guerres par procuration, des résolutions de l’ONU bafouées, des ingérences militaires multiples, des milliers de morts.
Nos forces armées n’ont jamais été aussi mobilisées que ces dernières années. Toutes les opérations menées ont certes montré la puissance militaire de la France, mais aussi ses limites et ses insuffisances.
Répondre aux difficultés du maintien en condition opérationnelle du matériel ainsi qu’à la dégradation des conditions d’exercice de leur métier par les militaires est le premier défi de cette loi de programmation militaire.
Le texte prévoit une augmentation du budget à hauteur de 2 % du PIB. Cet objectif, décidé lors du sommet de l’OTAN de 2014, m’interroge. Sera-t-il suffisant ou insuffisant, alors même que le Gouvernement entend rogner partout ailleurs le budget de l’État ?
Cela nous interpelle d’autant plus qu’une part non négligeable de ces moyens est mise en œuvre dans le cadre du plan de modernisation nucléaire : 25 milliards d’euros jusqu’en 2023 ; ajoutés aux 12 milliards d’euros de dotations déjà prévues entre 2023 et 2025, soit un total de 37 milliards d’euros sur six ans. Mes chers collègues, c’est démesuré ! Nous sommes loin de la lutte contre la prolifération et pour la diminution des armes nucléaires, ambition pourtant inscrite dans le traité de non-prolifération.
Madame la ministre, il paraît difficile de parler de « modifications à puissance constante » lorsque l’on généralise des missiles de nouvelles générations. La puissance de notre arsenal nucléaire actuel est déjà égale à mille fois celle qui a été déployée sur Hiroshima. Pour ma part, et au nom de mon groupe, je refuse de voir la dissuasion nucléaire devenir une arme de destruction à l’échelle mondiale – nous avons le sentiment que c’est bien là ce qui est en train d’arriver.
Madame la ministre, je connais et j’apprécie votre préoccupation concernant la sécurité de nos militaires – vous l’avez de nouveau exprimée devant nous. Avec mon collègue Jean-Marie Bockel, nous vous avions déjà alertée, lors des discussions budgétaires, sur ce sujet.
Nous le savons : la capacité des troupes françaises à entrer les premières sur un terrain d’opérations extérieures et la sécurité des soldats reposent sur le service de santé des armées, le SSA. Or, depuis le début de l’application de l’actuelle LPM, le SSA a perdu 8 % de ses effectifs. C’est énorme ! J’espère que nos débats permettront de les augmenter, comme vous l’avez souhaité, afin de tenir compte de l’usure qu’a subie ce service ces dernières années.
S’agissant de l’OTAN, le texte prévoit une nouvelle extension des accords signés pour renforcer la présence de la France dans l’Organisation. Madame la ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que nous rejetions ces dispositions.
Je m’explique : d’un côté, un premier groupe d’États souhaite agir dans le cadre de l’ONU ; de l’autre côté, un second groupe d’États, actant des blocages réels des Nations unies, préférera s’affranchir de l’Organisation plutôt que de mener la réforme de celle-ci.
Certes, le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité contraint trop souvent de nombreux pays à outrepasser les décisions de l’ONU – nous l’avons constaté. Mais l’alignement de plus en plus fort de la France sur les États-Unis par le biais de l’OTAN pousse notre pays dans le second groupe d’États, ce que nous condamnons vivement.
Face à l’OTAN, nous est proposée dans cette LPM la réalisation d’une défense au niveau européen. Mais cette Europe de la défense se construira-t-elle en parallèle de l’OTAN ou en remplacement de celle-ci ? Cette question nous semble très importante.
Je ne peux omettre, par ailleurs, la question du développement toujours plus grand du commerce des armes, qui représente déjà 30 % de la production.
Malheureusement, cette LPM s’inscrit dans la continuité d’une politique visant à rechercher l’équilibre de la balance commerciale par l’exportation d’armes. Permettez-moi de citer quelqu’un que vous admirez tous, ici, à savoir Ban Ki-moon, qui alertait sur la nécessité que « les États parties prenantes du traité sur le commerce des armes montrent l’exemple en contrôlant l’approvisionnement en armes d’acteurs qui pourraient les utiliser en infraction au droit international humanitaire. »
Madame la ministre, je vous invite à suivre, avec autant de célérité que sur d’autres sujets, la position du Parlement européen, qui consiste à refuser l’exportation s’il existe un risque manifeste que la vente d’armes serve à commettre des violations graves du droit humain. Exemple édifiant : celui du Yémen, où des armes françaises ont été utilisées, et sont peut-être toujours utilisées, contre la population civile depuis des années.
N’oublions jamais que les armes causent des souffrances immenses et multiplient les risques d’un embrasement général.
Mes chers collègues, le tableau n’est toutefois pas totalement sombre. Ainsi, je me félicite des efforts faits en matière de recrutements sous statut. La prise en charge des réservistes reste perfectible, mais va dans le bon sens, tout comme le renforcement du maintien en condition opérationnelle et des garanties en termes de matériels individuels et de zones d’entraînement.
Malgré ces améliorations, que nous avions souhaitées et qui étaient attendues par nos forces armées, nous déplorons le renforcement de l’arme nucléaire, qui va bien au-delà, selon nous, de la simple dissuasion, ainsi que les nouveaux accords avec l’OTAN. C’est, entre autres éléments, à cause de ces derniers points que la majorité de mon groupe émet de très grandes réserves sur cette loi de programmation militaire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Richard Yung applaudit également.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord avoir une pensée pour les femmes et les hommes engagés dans les missions qui leur sont confiées en France et dans le monde pour assurer notre sécurité, saluer l’ensemble de nos forces armées, rendre hommage aux blessés et à ceux qui ont perdu la vie au service de notre pays. J’ai une pensée particulière pour toutes les femmes qui font de notre armée la plus féminisée d’Europe après l’armée norvégienne.
Cette LPM s’inscrit malheureusement dans un contexte sécuritaire sous tensions : tensions internes, puisque la France reste sous une menace terroriste constante – les événements du 12 mai dernier dans le quartier de l’Opéra, à Paris, l’ont une nouvelle fois montré ; tensions externes liées à cette menace terroriste, mais également à beaucoup d’autres : la piraterie, le retour des États-puissances, l’effondrement de certains États, les conséquences du réchauffement climatique.
Devant ces menaces, les moyens des forces armées doivent non seulement être consolidés, mais également relevés. Les différentes opérations militaires en cours appellent une progression du budget, afin de permettre à nos soldats de réaliser leurs missions dans les meilleures conditions de sécurité possible.
Ainsi, il faut renforcer et moderniser les équipements et les installations de nos armées. Cela sera réalisable grâce à la présence sur nos territoires d’un tissu de dix grands groupes industriels et de près de 4 000 PME.
Cette industrie de défense est un fleuron national qui tire l’ensemble de notre économie vers le haut, notamment par les emplois créés qui ne sont pas délocalisables. Maintenir notre puissance et nos capacités d’action, c’est aussi garantir que notre industrie de défense continue d’être un secteur clé de notre économie.
Le volontarisme affiché par le Gouvernement devrait permettre aux industriels de la défense de produire davantage. Mais il ne faudrait pas que la planification 2019–2025, dont la part la plus importante des dépenses interviendra après 2022, reste modeste en début de programmation et nous mette en position d’infériorité dans le paysage de la Base industrielle et technologique de défense en cours de composition.
La Direction générale de l’armement pourrait être tentée d’être précautionneuse lors de la phase transitoire de relèvement du niveau des autorisations d’engagement, grippant ainsi le système, et notamment les carnets de commandes des industriels.
Cette LPM présente des perspectives positives pour les forces armées, avec la confirmation d’une hausse des crédits et la volonté d’accélérer certains programmes pour chacune des trois armées : Scorpion pour l’armée de terre, MRTT pour l’armée de l’air, le renouvellement des patrouilleurs pour la Marine nationale, programmes qui ont déjà connu, malheureusement, quelques reports.
L’enjeu essentiel de ce projet de loi réside aussi dans la confirmation de l’intention politique de consolider notre autonomie stratégique tout en renforçant nos partenariats au sein du continent européen. C’est un des fils rouges du rapport annexé. Si l’intention est louable, il nous faudra demeurer prudents et réalistes sur la capacité collective des Européens à cheminer ensemble. Nos cultures militaires sont différentes et les analyses stratégiques, souvent divergentes, ce qui n’exclut évidemment pas des convergences.
La prise de conscience est là – la coopération structurée permanente et la mise en place du Fonds européen en témoignent –, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, en matière de réalisations.
Passé les annonces et l’excellente communication qui les entoure, je souhaite revenir sur un certain nombre de points qui sont, à ce stade, autant d’interrogations.
Le premier est un constat : cette loi de programmation militaire est la treizième, et ses orientations s’inscrivent dans une forme de continuité avec ce qui a été décidé par le président Hollande en 2015, quand avait été annoncée une remontée en puissance de notre défense par le gel de la baisse des effectifs et par la stabilisation des crédits.
Le deuxième point concerne la trajectoire financière. Lors des nombreuses auditions menées au sein de notre commission, les militaires et les industriels ont unanimement salué l’augmentation des budgets et des effectifs inscrite dans la LPM 2019–2025.
Cependant, derrière cette augmentation, les premiers doutes se font jour. Comme pour les ressources financières – cela a été dit avant moi –, sur les 6 000 emplois promis, trois sur quatre sont envisagés pour le prochain quinquennat. Et si leur fléchage vers les secteurs du renseignement et de la cyberdéfense ou vers la protection des points sensibles nous semble pertinent, ceux qui sont dédiés aux exportations nous interpellent.
Par exemple, nous nous interrogeons sur les 400 postes fléchés prioritairement sur les exportations, alors que les moyens consacrés au recrutement, à la formation, à la santé, ne sont pas suffisants et mériteraient d’être renforcés.
En outre, madame la ministre, il serait utile que vous nous précisiez le reste des affectations prévues, et que vous nous disiez pourquoi la montée en puissance de ces effectifs ne se fait pas de manière continue à partir de l’an prochain – nous proposons d’ailleurs que tel soit le cas.
Nous comptons sur vous pour la mise en œuvre d’une gestion exemplaire des ressources humaines de nos armées.
Troisième point d’inquiétude : cette LPM abrite en son sein de réelles fragilités, liées à une trajectoire budgétaire surprenante.
Pour répondre aux ambitions affichées par le Gouvernement, l’effort reposera sur une trajectoire budgétaire dont la moitié sera réalisée après les élections de 2022. Or le budget alloué dépendra de la croissance future et de la situation des finances publiques. Néanmoins, les investissements militaires ne peuvent se faire au détriment d’autres domaines régaliens.
Autre lacune : les infrastructures sont fragilisées par une répartition des crédits peu opportune. Il aurait fallu, là aussi, un effort plus régulier ; en l’état, comme l’a rappelé le président Cambon, à l’horizon 2025, 60 % des infrastructures de la défense seront dégradées, voire inutilisables.
Concernant les équipements, les lacunes capacitaires ne seront pas résorbées d’ici à la fin de la programmation, et nombre d’entre eux n’auront pas pu être rénovés.
Cette loi de programmation militaire, au budget important, contient donc plusieurs faiblesses que nous ne pouvons occulter et auxquelles nous serons attentifs chaque année lors du vote du budget.
La commission a adopté la LPM en raison de la remontée en puissance des moyens annoncés pour sécuriser les ressources de nos armées. L’enjeu, pour nous, parlementaires, sera de nous assurer de la réalité de ces moyens et de contrôler la bonne application des dispositions de ce texte.
Grâce aux nombreux amendements portés notamment par les commissaires de la commission des affaires étrangères et par mes collègues du groupe socialiste et républicain, nous avons sanctuarisé les crédits de la LPM, affirmé le rôle du Parlement, renforcé le volet immobilier, simplifié les processus d’acquisition, préservé les droits des pensionnés et invalides de guerre, précisé les dispositions relatives aux incompatibilités liées à l’éligibilité des militaires en activité.
La triste réalité est qu’aujourd’hui seule la moitié du matériel militaire est utilisable. De nombreux parcs d’équipements souffrent d’une faible disponibilité – je pense aux hélicoptères de type Gazelle ou aux véhicules terrestres de type VAB – en raison d’une maintenance déficiente, d’une usure accélérée engendrée par la multiplicité des engagements, ou, simplement, parce qu’ils sont trop vieux.
En conséquence, nous avons adopté en commission des amendements visant à la modernisation des équipements de nos forces.
Concernant l’innovation, la commission a permis un assouplissement du cadre juridique des achats d’équipements, pour permettre une diffusion plus rapide et moins coûteuse de l’innovation.
Dans le domaine du renseignement, le texte issu de la commission nous semble garantir une meilleure association du Parlement dans son rôle de contrôle, pour un partage efficace des informations.
Parallèlement, pour ce qui est de la cyberdéfense, la commission a adopté à l’unanimité des amendements relatifs au contrôle parlementaire des communications électroniques et au durcissement des amendes en cas de non-transmission des données à l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, par les opérateurs.
Nous avons aussi obtenu que soit garantie la constitutionnalité des mesures de la LPM en matière de cyberdéfense.
Autre sujet d’importance : la question de l’immobilier. Les commissaires socialistes ont fait adopter un amendement tendant à garantir un effort financier important en faveur de la politique immobilière jusqu’en 2023. Cela permettra l’amélioration des conditions d’exercice du métier, via celle du logement des militaires et de leurs familles.
Nous souhaitons désormais, dans le cadre du débat en séance publique, renforcer encore la priorité affichée par votre gouvernement, madame la ministre, à savoir faire de cette LPM une loi à hauteur de femmes et d’hommes pour maintenir un modèle d’armée complet.
Enfin, je défendrai à titre personnel, avec certaines et certains de mes collègues, des amendements en faveur de la lutte contre les discriminations et pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans nos armées. Je présenterai également des amendements visant à consolider le service militaire volontaire et son ouverture à l’ensemble des jeunes Français, y compris ceux qui résident à l’étranger, ainsi que des amendements visant à accompagner nos PME.
Nous avons abordé la LPM non pas comme un exercice purement comptable, mais comme un texte ayant vocation à protéger les Françaises et les Français. Embrassant les défis stratégiques et technologiques qui s’imposent à nous, les effets induits par les progrès technologiques qui y sont dessinés pourront se traduire par des applications civiles – il est ici important de le rappeler, dans la mesure où l’effort financier de cette programmation militaire repose sur les contribuables.
Contrairement à ce qui s’était passé pour la revue stratégique, nous sommes associés à l’élaboration de ce texte, ce qui nous permettra de jouer notre rôle de parlementaires.
Nous soutenons l’augmentation des crédits et des effectifs contenue dans cette LPM.
Nous saluons également l’ambition européenne de ce texte. Nous restons favorables à une réelle coopération militaire européenne jetant les bases d’une véritable autonomie stratégique.
Nous serons donc à vos côtés, madame la ministre, pour faire en sorte que cette trajectoire budgétaire soit respectée et que les avancées européennes se concrétisent. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – MM. Richard Yung et Pierre Louault applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté par le Gouvernement formalise un engagement pour la défense de notre nation sur les sept prochaines années. Cet engagement est ambitieux – cela a été rappelé –, mais il est également nécessaire.
Il est nécessaire pour faire face au spectre des menaces identifiées par la revue stratégique de 2017 : la lutte contre le terrorisme, bien sûr, mais aussi le retour de la compétition stratégique, la complexité croissante des armements et l’émergence de nouveaux espaces de conflictualité, comme le cyberespace et l’espace exoatmosphérique.
Il est nécessaire pour réparer les dégâts d’une décennie de déflation, qui a mis en péril notre modèle d’armée.
Il est nécessaire pour que nous assumions notre responsabilité de modernisation de la dissuasion nucléaire et de défense de nos intérêts nationaux en tous lieux.
Cette loi de programmation militaire doit faire converger enfin l’ambition et les moyens destinés à nos armées.
Mais la question de sa soutenabilité se pose inévitablement : il faudra de la vigilance et de la ténacité politique pour la faire appliquer.
L’exécution des précédentes lois de programmation militaire a montré que de bonnes intentions peinent parfois à se traduire dans les faits. Pour vous aider à réussir une telle traduction, madame la ministre, sous l’impulsion du président Christian Cambon, notre commission a voté des amendements pour sécuriser le financement des dispositions de cette loi et exclure l’encadrement du service national universel de son périmètre.
Je souhaite évoquer maintenant la partie normative de la loi sous le prisme du programme 212, composante essentielle de cette loi de programmation militaire.
En matière de politique immobilière, d’abord, vous avez fait un pas vers davantage de sincérité.
Mais nous devons aller plus loin : il faut sécuriser le retour au ministère des armées de l’intégralité de ses produits immobiliers et aménager enfin la décote « Duflot », qui est une catastrophe financière pour ledit ministère, dont le patrimoine est un véritable atout pour notre effort de défense. C’est une ressource essentielle. Il est temps de cesser de la brader.
J’en viens aux ressources humaines. Le projet de loi prévoit une augmentation nette de 6 000 équivalents temps plein sur la durée de la programmation. C’est très en deçà des 50 000 emplois supprimés depuis 2008, mais les priorités des affectations, la cyberdéfense et le renseignement notamment, sont cohérentes.
Le lancement d’un plan Famille a également été une heureuse décision. Nos soldats et leurs familles méritent un tel plan, alors que depuis dix ans ils subissent la dégradation de leurs conditions de vie, de travail et de sécurité, couplée à un engagement opérationnel toujours croissant.
Pour faire face à cette situation, vous avez voulu, madame la ministre, mettre cette loi de programmation militaire « à hauteur d’homme ». L’accent a été mis sur les petits équipements, les infrastructures et le maintien en condition opérationnelle. La reconversion des militaires dans la fonction publique est facilitée ; les contraintes pesant sur l’éligibilité des militaires sont allégées.
Je souhaite par ailleurs évoquer la reconnaissance due à nos vétérans et aux soldats morts en opération.
S’agissant des premiers, la réforme du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre est une nécessité désormais reconnue, qui doit préserver la singularité du droit à réparation prévue par le code actuel.
Concernant les seconds, nous souhaitons que le Gouvernement se penche enfin sérieusement sur la possibilité d’attribuer la mention « Mort pour la France » aux militaires déployés dans le cadre des opérations intérieures comme l’opération Sentinelle. Mon groupe déposera une proposition de loi en ce sens.
Mes chers collègues, cette loi de programmation militaire était celle de la dernière chance pour un modèle d’armée au bord de la rupture.
Plus encore, cette loi de programmation militaire est une composante du redressement national, tant il existe un pacte séculaire entre la grandeur de la France et la grandeur de ses armées.
Sans méconnaître le chemin qu’il reste à parcourir, le groupe Les Indépendants votera en faveur de cette cinquième loi de programmation militaire, probablement la meilleure dont nous ayons eu à connaître depuis au moins vingt ans.
Pour conclure, je souhaite féliciter et remercier chaleureusement l’équipe des collaborateurs de la commission des affaires étrangères, pour l’excellence de son travail de préparation de nos débats. (Très bien ! sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Sa compétence est essentielle…
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. Jean-Louis Lagourgue. … dans un moment où nous avons tous collectivement le privilège et la responsabilité de préparer notre pays à relever les défis de l’avenir et à affronter les tumultes du monde. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Éric Gold applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Allizard.
M. Pascal Allizard. Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, la loi de programmation militaire 2019–2025 intervient dans un contexte international tendu, tant aux pourtours de l’Union européenne qu’au Moyen-Orient ou en Asie. Nous sommes loin de la « fin de l’Histoire » annoncée par certains analystes il y a trente ans.
Ces crises mal anticipées ont amené les armées à être engagées très au-delà de leurs contrats opérationnels, accélérant l’usure des matériels et des hommes, obérant les temps de repos ou de formation des personnels. Il apparaît peu probable qu’il en soit autrement demain, tant les foyers ardents de crise sont nombreux, les acteurs divers et imprévisibles. Se maintenir à ce niveau d’engagement me semble difficile ; aller au-delà serait hasardeux, voire dangereux. Personne ne peut dire de quoi demain sera fait ; c’est bien là la difficulté posée par cette LPM, qui renvoie l’essentiel de l’effort à des échéances plus lointaines.
J’aborderai d’abord le programme 144, à propos duquel je m’attacherai au point, essentiel, des études amont. Mon appréciation, en la matière, est nuancée : le projet de loi – il faut le souligner – comporte un élément positif, à savoir l’augmentation des crédits d’études amont, mais celle-ci s’inscrit dans un contexte très flou.
Cette hausse prévue de 37 % est bel et bien significative et correspond aux attentes de notre commission, exprimées l’année dernière, bien qu’on puisse toujours se demander si l’accélération des efforts de recherche des autres pays n’est pas plus forte encore.
La vitalité de notre base industrielle et technologique de défense repose de façon importante sur ces crédits d’études amont. Ainsi, dans le cas de grands acteurs industriels présents dans le monde entier, ces crédits contribuent de façon importante à l’attractivité de notre pays comme lieu de localisation des centres de recherche.
À l’autre extrémité de l’échelle industrielle, la question de l’accès des PME et des ETI, ou entreprises de taille intermédiaire, à ces crédits d’études amont est tout aussi cruciale, compte tenu, d’une part, du rôle qu’elles jouent dans l’innovation et, d’autre part, des difficultés d’accès aux financements bancaires, notamment liées aux règles de « compliance ». Madame la ministre, les banques préfèrent financer des applications pour mobiles que les PME de la défense ; c’est un problème sur lequel nous devrons nous pencher.
Au chapitre des études amont, j’ouvre une parenthèse pour rappeler l’importance de celles qui portent sur le projet du futur porte-avions. Je ne m’appesantirai pas sur l’opportunité de se doter d’un nouvel outil de projection de puissance – le déploiement du groupe aéronaval au Levant en a démontré toute la plus-value opérationnelle. Cela étant, compte tenu des délais, les études doivent être lancées au plus vite pour permettre au Président de la République de trancher à l’horizon 2020–2021.
Je ne débattrai pas ici de l’opportunité d’un éventuel service national universel, ou SNU, mais j’insiste – cela a été fait précédemment – pour que sa mise en œuvre ne soit pas réalisée, ni en crédits ni en personnels, sur les ressources de cette LPM.
Par ailleurs, dans un monde où la prolifération progresse de manière inquiétante, notre dissuasion, dans ses deux composantes, doit rester la garantie ultime de notre sécurité. Tout ajustement budgétaire inconsidéré entraînerait une perte de nos capacités opérationnelles, sur laquelle il serait quasi impossible de revenir ultérieurement.
Sur les grands équipements, cette LPM prévoit des commandes permettant un renouvellement des moyens et un rattrapage, parfois lent, de certaines des lacunes capacitaires, comme pour les avions ravitailleurs, mais ne laisse guère de marge et renvoie à des échéances éloignées. Encore faut-il aussi espérer qu’il n’y ait pas de difficultés après l’entrée en service des équipements, comme ce fut le cas pour l’A400M ou certains véhicules des forces spéciales.
Par ailleurs, je ne voudrais pas que, à trop vouloir montrer le principal, on en oublie l’accessoire, tout aussi indispensable. Ce renouvellement ne doit pas occulter la problématique des munitions, en particulier des munitions « complexes », pour lesquelles les dotations devront être suffisantes pour couvrir les opérations et l’entraînement. De même, si la LPM prévoit bien la modernisation des avions de patrouille maritime, il conviendra d’éviter les tensions sur les bouées acoustiques, essentielles dans la lutte anti-sous-marine, notamment pour la surveillance de nos approches.
Depuis plusieurs années, assurer pleinement notre souveraineté sur notre zone économique exclusive, ou ZEE, est devenu un défi. Les évolutions du parc de patrouilleurs étaient plus que nécessaires. Au regard des espaces considérables de ZEE à surveiller, les mailles du filet resteront larges. Imagine-t-on un seul camion de pompiers pour couvrir la superficie d’une région comme la Bretagne ou ma Normandie ?
Madame la ministre, nous devons préserver nos intérêts économiques, lutter contre les prédations sur la ressource halieutique, le sable et les autres richesses du sous-sol, et peut-être également demain défendre de vive force nos territoires lointains.
Les ressources humaines constituent un autre point favorable abordé par la loi de programmation. Beaucoup a été demandé aux personnels de la défense, dans un contexte de déflations massives et de recrudescence des engagements. Nous saluons tous ici leur dévouement. Ne plus avoir à acheter eux-mêmes certains de leurs effets, pouvoir prendre leurs congés ou réussir leur reconversion, ce sont autant d’attentes légitimes des militaires. En outre, ces derniers ne sont pas des citoyens de seconde zone. Par conséquent, il me semble nécessaire de ne pas poser d’incompatibilités trop restrictives entre leurs fonctions et certains mandats locaux.
Dans cet avenir incertain, beaucoup d’espoirs sont placés dans la coopération européenne, qui permet mutualisation et économies, au moment où la sophistication des équipements tire les coûts vers le haut. Gardons-nous toutefois de tomber dans l’excès de confiance. Il faudra plus que des déclarations d’intention et des moyens comptés pour contrer les mastodontes de la défense que sont les entreprises américaines et la montée en puissance des pays émergents.
Ce nouveau « paradigme » ne doit dissimuler ni les écueils ni les résultats parfois mitigés en matière de coopération européenne. La convergence des doctrines, l’harmonisation des expressions de besoins et l’alignement des calendriers opérationnels sont des conditions du succès des coopérations, mais se révèlent difficiles à obtenir. Il faudra aussi s’entendre jusque sur les mots, car, en matière d’industrie de défense, la France pense « défense », alors que l’Allemagne pense « industrie ». Dans un partenariat industriel, ces divergences d’appréciation peuvent conduire à de graves désillusions. Pour simplifier, l’Allemagne produit et vend, tandis que la France tire et paye ! (M. Jean-Marc Gabouty sourit.) Cette asymétrie n’est pas viable durablement. Au final, si les coopérations sont mal conduites, elles aboutissent à des retards et des surcoûts.
Au-delà des rapprochements, de la coopération, c’est aussi vers davantage de solidarité entre Européens qu’il faudra tendre.
Pour conclure, dans une époque marquée par une multiplication des tensions et du terrorisme, alors que les vastes espaces de plus en plus contestés sont à surveiller, nous avons besoin d’un outil militaire moderne et dimensionné pour assurer notre sécurité.
Cette loi de programmation est une étape, certes, positive, mais de nombreuses incertitudes persistent. Il en faudra sans doute davantage pour aborder l’avenir plus sereinement. Au final, madame la ministre, j’espère que vous saurez entendre les observations du Sénat et retenir ses propositions, dans l’intérêt même du monde combattant. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)