M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 52 est présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 244 est présenté par M. Jacquin, Mme Lienemann, MM. Bérit-Débat et J. Bigot, Mmes Bonnefoy et Cartron, M. Dagbert, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte et Madrelle, Mmes Préville et Tocqueville, MM. Daudigny, Tissot et M. Bourquin, Mme de la Gontrie, MM. Cabanel, Montaugé, Durain et Kerrouche, Mmes Meunier et Lubin, MM. Courteau, Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guillaume Gontard, pour présenter l’amendement n° 52.
M. Guillaume Gontard. Cet amendement tend à supprimer l’article 2, qui, depuis la lecture à l’Assemblée nationale, n’a rien gagné en qualité, bien au contraire !
Cet article vise à faire en sorte, une fois de plus, que le Parlement soit dessaisi de ses prérogatives naturelles et constitutionnelles, en l’occurrence via la transposition de deux directives relatives à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire.
Posons la question comme elle doit l’être : transposer ces directives, produits d’une politique qui est à l’origine de la crise que connaît le secteur depuis une vingtaine d’années, est-ce une fatalité ? Surtout, est-ce une bonne idée, au moment où le gouvernement de Mme Theresa May, pourtant peu enclin à trouver quelque intérêt à la gestion publique, semble de plus en plus favorable à la renationalisation de certaines parties du réseau britannique dont les exploitants sont en grande difficulté financière ? Est-ce vraiment une bonne idée, sachant que c’est précisément la logique d’ouverture à la concurrence qui, voilà vingt ans, a conduit à la création de Réseau ferré de France, première mouture de SNCF Réseau, produit juridique de la séparation entre infrastructures et exploitation, devenu réceptacle d’une dette ferroviaire progressant de manière inexorable ?
Il faudra bien, un jour, que les technocrates européens comprennent que la logique de marché n’a pas véritablement sa place dans un secteur ferroviaire où l’intensité capitalistique et la faiblesse des rendements attendus limitent, par principe, le nombre des tickets d’entrée dans le grand bal de la concurrence libre et non faussée !
D’ailleurs, la SNCF doit être le premier opérateur non britannique sur le marché ferroviaire outre-Manche, suivie à brève distance par Transdev, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, et l’on se souviendra que c’est la Deutsche Bahn qui est venue concurrencer, par filiale interposée, la SNCF en France pour le transport du fret.
Cette situation d’oligopole obligé, si l’on peut dire, n’exclut évidemment pas de recourir à l’argent public quand il s’agit d’équilibrer les comptes.
Ni le contribuable ni l’usager des transports n’ont donc grand-chose à attendre de cette ouverture à la concurrence. Quant à ceux qui en attendent des effets bénéfiques pour l’aménagement du territoire, ils seront sans doute quelque peu déçus, puisque le syndrome de réduction des dessertes frappant les Länder de l’ex-République démocratique allemande, par exemple, risque fort de trouver sa traduction hexagonale.
Ensuite, bien entendu, on pourra continuer à faire l’Europe, ou plutôt une certaine Europe, contre la volonté des peuples !
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour présenter l’amendement n° 244.
M. Olivier Jacquin. Cet amendement a été défendu au travers de la précédente intervention. Nous tenons notre ligne : un tel sujet ne mérite pas d’être traité par voie d’ordonnance. Un débat positif, progressiste permettrait de parvenir à un bien meilleur résultat. Pour cette raison, nous proposons de refuser au Gouvernement cette autorisation à légiférer par ordonnance.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Cornu, rapporteur. Comme je l’ai dit hier, aucun parlementaire ne peut se satisfaire d’autoriser le Gouvernement à légiférer par ordonnance et je me suis attaché, en tant que rapporteur, à faire supprimer le plus grand nombre possible d’ordonnances. Nous verrons par la suite que, sur de vrais sujets tels que l’aménagement du territoire ou le marqueur social que le Sénat a tenu à introduire, nous avons tout inscrit dans la loi.
En l’espèce, cependant, il s’agit d’ordonnances très techniques, et il me semble que l’on ne peut pas être dogmatique. Ma position est pragmatique : s’agissant de textes vraiment très techniques, on peut tout de même faire confiance au Gouvernement !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Le débat a lieu au Sénat, monsieur le sénateur Jacquin, tout comme il a eu lieu à l’Assemblée nationale. Comme vient de l’indiquer M. le rapporteur, les ordonnances porteront uniquement sur des mesures techniques ou des mesures d’application.
Ces deux amendements visent, en définitive, à s’opposer à l’ouverture à la concurrence prévue par le quatrième paquet ferroviaire. Vous aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement est en désaccord avec cette proposition.
Je voudrais dire à Mme Lienemann qu’il me semble important que les gouvernements, en particulier le précédent, assument leurs choix !
M. Philippe Dallier. C’est vrai !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Il est inexact d’affirmer que le texte négocié par le précédent gouvernement prévoit de larges possibilités de dérogations.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si, c’est le cas !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Il est inexact de prétendre que la portée de ces dérogations permettrait d’éviter l’ouverture à la concurrence.
M. Roger Karoutchi. C’est impossible !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Ces dérogations sont en effet très spécifiques et portent sur des complexités techniques.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ce n’est pas vrai, on a le texte !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je ne sais pas ce que le précédent gouvernement raconte à propos de ce qu’il a négocié à Bruxelles, mais parler de larges dérogations est inexact. Il est important que les gouvernements, plutôt que de toujours se cacher derrière des directives européennes, assument leurs choix.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Absolument !
Mme Élisabeth Borne, ministre. C’est ce que fait le présent gouvernement ! (M. Frédéric Marchand applaudit.)
Enfin, madame Lienemann, les entreprises ferroviaires représentées au sein de l’Union des transports publics et ferroviaires, l’UTP, ont bien compris que leur première richesse, ce sont les femmes et les hommes qui travaillent en leur sein.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est ça…
Mme Élisabeth Borne, ministre. C’est pour cela qu’elles se sont engagées à négocier une convention collective de haut niveau.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il fallait le faire avant !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je suis très confiante quant à l’aboutissement de cette convention collective de haut niveau ; j’y veillerai personnellement.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je ne crois que ce que je vois !
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, pour explication de vote.
M. Claude Bérit-Débat. La négociation menée par le précédent gouvernement a permis, madame la ministre, d’établir un certain nombre d’exceptions, dans un cadre donné. On ne peut pas tout refuser, mais un certain nombre d’exceptions sont prévues. Je me plais donc à souligner que l’action du précédent gouvernement a permis d’adopter de bonnes dispositions pour l’ouverture à la concurrence.
Je voudrais également rappeler avec force que le groupe socialiste est favorable à l’ouverture à la concurrence, même si un certain nombre d’entre nous expriment une opposition à titre personnel.
Concernant le débat que nous avons eu hier sur la fin du statut des cheminots, nous ne sommes pas opposés à cette évolution. Au travers de nos amendements, qui ont été repoussés, nous proposions simplement d’attendre l’aboutissement des négociations sur la convention collective. Vous vous êtes engagée au nom du Gouvernement, madame la ministre, à ce qu’elles aboutissent dans les délais prévus dans le présent texte. Nous espérons qu’il en sera bien ainsi.
Je rappelle enfin que nous sommes favorables au dialogue social. Nous sommes des sociaux-démocrates de l’ancien monde, une famille politique à laquelle, pour ma part, je suis fier d’appartenir. Le dialogue social, c’est précisément notre marqueur !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je ne suis pas un partisan acharné des ordonnances, c’est le moins que l’on puisse dire, et nous aurons l’occasion de voir ce que sont les pouvoirs du Parlement lors de la prochaine réforme constitutionnelle.
Dieu sait que je n’ai pas toujours une confiance absolue dans les cabinets ministériels ou les technostructures, mais quand il s’agit de mesures extrêmement techniques, ce n’est pas dans cette enceinte, mes chers collègues, que nous allons les rédiger. Pas plus vous que moi n’en avons la compétence ! Faisons donc un peu confiance au Gouvernement quand il est question d’éléments très techniques, d’ordonnances d’application, et non d’ordonnances susceptibles d’élargir des pouvoirs. Si tel était le cas, cela relèverait du Parlement, mais, s’agissant d’éléments très techniques, franchement, il vaut mieux que les personnes compétentes s’en chargent…
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Nous ne serions pas compétents ?
M. Roger Karoutchi. Vous êtes sans doute le seul d’entre nous, monsieur le président, à être compétent pour rédiger des ordonnances en matière ferroviaire ! (Sourires.)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je n’ai pas dit cela !
M. Roger Karoutchi. Quant au reste, je suis souvent d’accord avec Mme Lienemann. J’ai même parfois cosigné des amendements avec elle, et j’en suis fier ! Cependant, j’ai tout de même gardé quelques souvenirs du débat sur le quatrième paquet ferroviaire dans cet hémicycle. À l’époque, j’étais déjà favorable à l’ouverture à la concurrence et inquiet de voir que l’on retardait encore cette évolution. Je me rappelle les déclarations de M. Vidalies selon lesquelles les exceptions introduites dans le quatrième paquet ferroviaire étaient extrêmement réduites.
M. Claude Bérit-Débat. Elles existent !
M. Roger Karoutchi. Ne prenons pas argument de ces exceptions pour laisser croire, aujourd’hui, que l’on peut faire ce que l’on veut. Ce n’est pas vrai !
M. Claude Bérit-Débat. On ne l’a pas dit !
M. Roger Karoutchi. Je dis les choses comme elles sont ! Je ne veux pas la mort du petit cheval, mais il est normal de recourir aux ordonnances sur des sujets très techniques et il est faux de prétendre que l’on pourrait remettre en cause le quatrième paquet ferroviaire.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Pour avoir discuté avec M. Vidalies en tête-à-tête et avoir compris la logique des dérogations, je ne crois pas que celles-ci aient été conçues dans une logique purement libérale, contrairement à la proposition de loi Maurey-Nègre, qui était sous-tendue par un refus de toute exception et une volonté d’ouverture à la concurrence extrêmement rapide.
D’ailleurs, un certain nombre de régions ont déjà décidé de différer l’ouverture à la concurrence – je dis bien « différer », et non « empêcher », seuls six petits pays ayant le droit de ne pas ouvrir leur secteur ferroviaire à la concurrence.
J’ai apprécié l’intervention de M. Karoutchi, que je considère être un artiste en politique. (Sourires.) Il prépare déjà son amendement de l’après-midi, que vous découvrirez tout à l’heure…
M. Roger Karoutchi. Quel amendement ? Je n’ai pas d’amendement !
M. Olivier Jacquin. Pour en revenir au recours aux ordonnances et au dialogue social, si ce dossier important de la réforme ferroviaire connaît des évolutions, c’est bien parce qu’il y a des grèves à répétition et que les syndicats exercent une énorme pression sur le Gouvernement. Ne me regardez pas d’une manière aussi sévère, madame la ministre, vous me faites peur ! (Exclamations amusées.)
M. Frédéric Marchand. Il est impressionnable !
M. Olivier Jacquin. Nous confronterons les déclarations faites par le Premier ministre au moment de la remise du rapport Spinetta, marquées par une tentation autoritaire d’agir avec une fulgurance jupitérienne, et le texte tel qu’il sera à l’issue de nos débats, après la CMP. Nous verrons alors, je l’espère, quels progrès aura permis cette très forte mobilisation.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 52 et 244.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 2 bis
Après l’article L. 1241-7 du code des transports, il est inséré un article L. 1241-7-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1241-7-1. – I. – Pour les services de transport ferroviaire de voyageurs mentionnés à l’article L. 1241-1 créés entre le 3 décembre 2019 et le 24 décembre 2023, le Syndicat des transports d’Île-de-France peut, par dérogation à l’article L. 2141-1 :
« 1° Fournir lui-même ces services ou attribuer des contrats de service public relatifs à ces services dans les conditions prévues au 2 de l’article 5 du règlement (CE) n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) n° 1191/69 et (CEE) n° 1107/70 du Conseil ;
« 2° Attribuer des contrats de service public relatifs à ces services après publicité et mise en concurrence.
« Toute convention conclue entre le Syndicat des transports d’Île-de-France et SNCF Mobilités avant le 25 décembre 2023 en application de l’article L. 2141-1 se poursuit jusqu’au terme qu’elle a fixé, sa durée ne pouvant excéder dix ans.
« III. – L’exécution des services de transport ferroviaire de voyageurs mentionnés à l’article L. 1241-1 créés avant le 3 décembre 2019 se poursuit dans le cadre des conventions en cours et conformément aux règles applicables à cette date.
« Elle se termine :
« 1° Pour les services de transport ferroviaire qui ne font pas partie du réseau express régional, à une date fixée par décision du Syndicat des transports d’Île-de-France, comprise entre le 1er janvier 2023 et le 31 décembre 2032 ;
« 2° Pour les services de transport ferroviaire qui font partie du réseau express régional, à l’exception des services de transport ferroviaire empruntant pour une partie de leur parcours les mêmes lignes que les services de transport guidé mentionnés au 3° du II de l’article L. 1241-6, à une date fixée par décision du Syndicat des transports d’Île-de-France, comprise entre le 1er janvier 2033 et la date mentionnée au même 3° ;
« 2° bis (nouveau) Par dérogation au 2°, pour les services mentionnés au 2° opérés sur des lignes dont l’infrastructure est récente ou a fait l’objet d’une extension mise en service à compter du 1er janvier 2018, à une date fixée par décision du Syndicat des transports d’Île-de-France, comprise entre le 1er janvier 2025 et la date mentionnée au même 3° ;
« 3° Pour les services de transport ferroviaire qui font partie du réseau express régional empruntant pour une partie de leur parcours les mêmes lignes que les services de transport guidé mentionnés au 3° du II de l’article L. 1241-6, à la date mentionnée au même 3°.
« IV. – (Supprimé)
« V. – L’application des dispositions prévues aux I à III relatives aux conditions de poursuite et d’extinction des droits exclusifs attribués à SNCF Mobilités ne donne lieu au versement d’aucune indemnité.
« Sauf stipulation contraire prévue par la convention, dans l’hypothèse où le Syndicat des transports d’Île-de-France souhaite en remettre en cause soit la durée, soit le périmètre, SNCF Mobilités est indemnisé de plein droit pour la résiliation de tout ou partie de cette convention. »
M. le président. L’amendement n° 53, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. L’article 2 bis prévoit des modalités spécifiques d’ouverture à la concurrence en Île-de-France, sur une période large courant de 2023 à 2039. Est-il utile de préciser que nous ne sommes pas favorables à cet objectif, que ce soit à l’horizon de 2023 ou à celui de 2039 ?
Cet article vient aussi confirmer nos craintes d’une ouverture à la concurrence pour l’ensemble du réseau ferroviaire national.
Il est vrai que le réseau francilien est spécifique, très dense, différencié entre les lignes du Transilien, le RER et les autres services, exploité par plusieurs opérateurs, dont la SNCF et la RATP.
Cependant, nous avons un désaccord de fond : une délégation de service public à un opérateur privé, ce n’est pas la même chose qu’une délégation de service public à un opérateur public national, voire à deux opérateurs nationaux aux missions complémentaires, comme la RATP et la SNCF.
Je vais prendre un exemple précis. Île-de-France Mobilités, autorité organisatrice de transport en Île-de-France, souhaite confier à une filiale privée de la RATP la mise en exploitation de la future ligne du tramway T9, qui reliera la porte de Choisy à Orly et remplacera la ligne de bus 183, la plus chargée de la région parisienne. L’enjeu est d’importance pour les 44 000 salariés : une partie d’entre eux se trouveraient hors statut, avec toutes les conséquences négatives que cela implique – nous les avons soulignées hier et je n’y reviendrai pas –, y compris pour les passagers, notamment une baisse de la qualité de service.
Cette ouverture à la concurrence se traduira par l’intervention d’une multitude de sociétés privées, dont le principal souci sera non pas le service rendu à égalité à chacune et à chacun, mais la recherche de la rentabilité maximale. Ce n’est pas la conception que nous nous faisons des transports, en Île-de-France comme sur le plan national. D’ailleurs, en 2011, nous avions mené bataille contre la privatisation du T Zen 3. L’action conjuguée de notre groupe à la région et des syndicalistes avait amené le STIF à renoncer.
Pourquoi ne pas laisser la RATP exploiter le T9 ? C’est le combat que nous continuons à mener à l’échelon du Val-de-Marne. L’article 2 bis visant à élargir la démarche de Mme Pécresse, nous en demandons la suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard Cornu, rapporteur. Il est bien sûr défavorable.
Selon M. Jacquin, M. Karoutchi ne serait présent en séance publique que pour défendre un amendement… qu’il n’a pas déposé !
M. Olivier Jacquin. Je n’ai rien dit de tel !
M. Gérard Cornu, rapporteur. M. Karoutchi est effectivement un sénateur très avisé : son amendement était tellement bon qu’il a été intégré au texte de la commission.
M. Roger Karoutchi. Merci ! J’ai un peu de métier, c’est l’ancien monde ! (Sourires.)
Mme Éliane Assassi. Et ce qu’a dit Mme Cohen, cela ne vous intéresse pas ?...
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Cet amendement vise à s’opposer à l’ouverture à la concurrence en Île-de-France. Il ne vous surprendra pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que l’avis du Gouvernement soit défavorable, d’autant que les spécificités de l’Île-de-France ont été prises en compte au travers d’un calendrier adapté.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je vais tâcher, monsieur Jacquin, d’être un peu moins artiste… Mais peut-être était-ce, de votre part, un compliment !
M. Olivier Jacquin. C’en était un !
M. Roger Karoutchi. Les Franciliens le savent : voilà des années que nous nous battons, et moi depuis peut-être un peu plus longtemps que d’autres, au sein du syndicat des transports parisiens puis du STIF, le Syndicat des transports d’Île-de-France.
Franchement, qui peut soutenir que les transports publics en Île-de-France marchent bien ? Cela fait vingt ans que l’on se bat pour qu’il n’y ait plus de « petits gris » en Seine-et-Marne ! Cela fait vingt ans que l’on dit que le service est sursaturé ! Cela fait vingt ans que l’on essaie de faire en sorte que la ligne 13 fonctionne ! Cela fait vingt ans que l’on souligne que le système des RER a été fait de manière folle, avec des interconnexions qui n’en sont pas ! Cela fait vingt ans que l’on dit que les autorités publiques n’assument pas ! Et cela fait vingt ans que l’on nous répond : « Oui, mais que faire ? »
Sur ce, drame absolu : la région demande s’il serait possible, éventuellement, d’expérimenter l’ouverture à la concurrence sur une ligne un peu avant la date prévue. Aussitôt fusent les cris d’orfraie…
Si nous étions tous béats d’admiration devant le fonctionnement du réseau public des transports franciliens, s’il n’y avait jamais de problèmes entre la RATP et la SNCF au sujet des interconnexions ou des changements de conducteurs en gare du Nord, si tous les acteurs – État, région, syndicat des transports – jouaient merveilleusement leur rôle, alors je dirais volontiers : « Pourquoi changer ? » Mais en réalité, des millions d’usagers se plaignent et disent ne plus en pouvoir, même quand il n’y a pas grève…
Par pitié, mes chers collègues, laissez une expérimentation se faire sur la ligne E ! Cela ne remettra pas en cause l’ensemble du dispositif. Et si, par miracle, cela marche, imaginez les horizons qui, d’un coup, s’ouvriront ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Il est vrai, monsieur le rapporteur, que je ne suis pas une artiste. Vous n’avez donc pas répondu à ma question, mais je remercie Mme la ministre et M. Karoutchi d’avoir bien voulu dialoguer avec nous sur la proposition que nous avons faite.
Monsieur Karoutchi, j’entends vos arguments. Nous avons tous deux siégé au STIF, et si nous nous sommes opposés…
M. Roger Karoutchi. Pas toujours !
Mme Laurence Cohen. … sur un certain nombre de politiques, mais nous nous sommes aussi parfois rejoints,…
M. Roger Karoutchi. Oui !
Mme Laurence Cohen. … dans l’intérêt des Franciliennes et des Franciliens. Il y a un respect mutuel entre nous.
Je pourrais partager vos propos, la chute exceptée. Il n’existe aucun exemple montrant que déléguer un service public à des filiales privées permet d’améliorer la situation.
M. Roger Karoutchi. On n’a pas essayé !
Mme Laurence Cohen. Le problème que vous dénoncez avec raison tient à un sous-investissement chronique qui dure depuis des années.
M. Roger Karoutchi. Oui ! Depuis vingt ans !
Mme Laurence Cohen. Il est le fait de gouvernements de tous bords,…
M. Roger Karoutchi. De gauche et de droite !
M. Antoine Lefèvre. C’est la réalité !
Mme Laurence Cohen. … qui ont complètement négligé le secteur des transports. La solution réside dans une intervention de l’État, sous-tendue par la volonté de remettre les transports à flot et d’y consacrer des moyens importants. Ce n’est pas seulement l’affaire d’une région ou d’une autre ! Là est notre désaccord.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur Karoutchi, je partage complètement le bilan que vous avez dressé, mais, encore une fois, je ne vois pas par quel miracle l’ouverture à la concurrence ferait d’un seul coup descendre du ciel 3 milliards d’euros pour régler le problème fondamental du doublement du tunnel du RER entre les stations Châtelet et Gare du Nord.
M. Olivier Jacquin. Eh oui !
M. Pierre Ouzoulias. Comme ma collègue vous l’a dit, cela fait vingt ans que le réseau souffre de sous-investissement. Le problème tient à une rupture entre le moment où l’État a cessé d’investir dans les transports parisiens et celui où la région a repris le flambeau et essayé de rattraper le retard, imputable à l’État.
Aujourd’hui, vous le savez comme moi, tous les moyens vont aux quelques lignes dont la réalisation a été jugée prioritaire pour que les jeux Olympiques ne soient pas un désastre.
M. Philippe Dallier. C’est formidable, les jeux Olympiques !
M. Pierre Ouzoulias. Pour les autres lignes, on attendra la fin des jeux Olympiques pour peut-être investir afin de régler les problèmes. Je viens encore de recevoir un courrier de Mme Pécresse sur ce sujet.
Je suis désolé, monsieur Karoutchi, mais je ne vois pas en quoi l’ouverture à la concurrence améliorera mon quotidien d’usager énervé d’un service public qui ne fonctionne plus…
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 53.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 267 |
Pour l’adoption | 15 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 42, présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. L’ouverture anticipée à la concurrence pour le RER E nous interpelle.
Outre l’opposition de notre groupe à l’ouverture du rail à la concurrence, dont on voit bien que même les Britanniques reviennent, l’idée même d’un échéancier pour les mises en concurrence nous interroge.
Le Gouvernement nous explique que l’enjeu de cette réforme est de réunifier un réseau éclaté, à des fins de meilleure gestion et de meilleure lisibilité. Pourtant, décider une mise en concurrence anticipée pour une ligne du RER va à l’encontre de cette logique.
Un autre écueil tient au choix même de la ligne E. L’argument avancé en commission a été que le matériel y est plus récent – c’est vrai –, ce qui permet des taux de ponctualité et de régularité supérieurs. Cela souligne d’ailleurs la nécessité de réinvestir massivement dans les infrastructures pour améliorer la qualité du service rendu aux usagers. Pour autant, si le taux de ponctualité est supérieur sur la ligne E, tout n’y est pas parfait. Pis, la mise en concurrence risque d’aggraver la situation.
Il est proposé de permettre l’ouverture à la concurrence dès 2025 pour une ligne qui sera probablement en pleins travaux à cette date. De fait, si l’extension vers Nanterre-La Folie et Mantes-la-Jolie est censée être terminée en 2024, il nous semble qu’il faut savoir raison garder, tant les retards de travaux sont devenus une norme dès qu’il s’agit de transports.
Par ailleurs, il faut rappeler que le trafic des trains sur la branche menant à Tournan connaît déjà des difficultés après Nogent-Le Perreux, en raison d’une saturation due au passage de quatre à deux voies et à la circulation des trains Paris-Mulhouse, des trains de la ligne P du Transilien vers Provins et Coulommiers et des TER Champagne-Ardenne. En toute logique, l’ouverture à la concurrence risque de surcharger des voies déjà saturées, au mépris de la qualité du service, mais aussi de la sécurité des passagers.
Dernier problème, et non des moindres : l’extension vers l’Ouest parisien est une nécessité. En effet, la station Haussmann-Saint-Lazare n’a pas la capacité d’être un terminus, ce qui explique son engorgement actuel. Si le retournement à la gare de Magenta est possible, il n’empêche que les limites techniques, en termes de nombre de trains en circulation, sont atteintes.
C’est pour l’ensemble de ces raisons que nous demandons la suppression de cette anticipation de l’ouverture à la concurrence.
Pour finir, un peu de poésie pour faire plaisir à M. le rapporteur : si l’on ne veut rien reconnaître comme inconnu et nouveau, on a une pensée dogmatique, mais si l’on ne veut rien tenir pour connu et acquis, on ne peut avoir qu’une pensée inconsistante. (Sourires. – M. Pierre Ouzoulias applaudit.)