M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, sur l’initiative de sa présidente, Mme Catherine Morin-Desailly, le bureau de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a décidé de rendre un avis sur ce texte transmis au fond à la commission des lois, mais dont quelques dispositions intéressent tout particulièrement notre commission, dans ses compétences relatives à l’éducation, à la jeunesse, à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la culture.
Il s’agit de quatre articles du projet de loi tel qu’il nous avait été transmis par l’Assemblée nationale. L’article 20 est relatif au passeport talent, à la mobilité des chercheurs étrangers et à la concurrence entre les États à ce sujet. Dans le cadre de l’article 21, relatif à la mobilité des étudiants étrangers et à l’autorisation provisoire de séjour qui leur permet aujourd’hui de rester douze mois supplémentaires sur le territoire après l’obtention de leur diplôme pour chercher un emploi ou créer une entreprise, nous souhaitions clarifier la compétence de l’OFII en matière de visite médicale des étudiants étrangers. L’article 22 concerne la mobilité des jeunes au pair avec un engagement réciproque portant des droits, des devoirs et des obligations. Enfin, l’article 33 quater traite d’une question liée à la scolarisation obligatoire et confère aux préfets, plutôt qu’aux directeurs académiques des services de l’éducation nationale, ou DASEN, la responsabilité de l’exercice des prérogatives que leur confère la loi.
En 2015, lors de nos travaux sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, la commission de la culture avait marqué son attachement aux dispositifs d’immigration choisie, lesquels permettent d’attirer en France des talents étrangers qui contribuent ensuite à faire rayonner notre pays à l’international.
La France peut s’enorgueillir d’accueillir plus de 73 000 étudiants étrangers chaque année, ce qui la place au quatrième rang mondial et au premier rang des pays non anglophones. Nous sommes également bien placés en matière d’accueil des chercheurs étrangers hors Union européenne, avec près de 12 500 personnes accueillies dans ce cadre, ce qui nous situe au deuxième rang européen derrière le Royaume-Uni.
En 2015, nous avions toutefois émis une réserve. Nous craignions que les différents dispositifs d’immigration choisie ne constituent un aspirateur à talents qui viendrait encore appauvrir des pays pauvres et en développement. C’est un véritable risque, madame le ministre, et des mesures doivent être prises pour garantir un codéveloppement des talents internationaux.
Permettez-moi enfin d’attirer votre attention sur le fait que le développement des dispositifs d’immigration légale choisie doit se faire avec rigueur. En ces temps de pression migratoire forte sur les pays de l’Union européenne, les risques de détournement des dispositifs doivent être bien appréciés, et l’immigration légale doit être également contenue.
Il y a bientôt trois semaines, la commission de la culture a examiné le projet de loi et adopté huit amendements, qui ont tous été intégrés dans le texte de la commission des lois que nous examinons aujourd’hui. Je tiens à en remercier son rapporteur, M. François-Noël Buffet, et son président, M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous passons à la discussion des deux motions déposées sur ce texte.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 553, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la migration est un phénomène aussi ancien que l’humanité. Nous n’empêcherons pas les femmes et les hommes de migrer, d’autant moins que les conflits internationaux, l’ordre économique libéral établi et les bouleversements climatiques font de notre monde un monde de réfugiés. Renforcer les opérations de police aux frontières et la politique d’expulsion ne changera rien à cet état de fait. Ces femmes et ces hommes qui migrent ne le font sûrement pas pour bénéficier de telle ou telle aide sociale, qu’ils compareraient selon les pays.
M. Jean-François Rapin. Il n’y a donc rien à faire ! (Sourires.)
M. François Bonhomme. Il faut laisser faire, que voulez-vous !
Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, lorsque l’on essaie de fuir la violence, la torture, la guerre, la famine, les catastrophes écologiques, quitter son pays, ses amis, et sa famille parfois, représente une vraie souffrance. Pourtant, rien ne décourage ces femmes et ces hommes qui cherchent simplement à vivre ailleurs, car ils y sont contraints, rien, pas même la violence des frontières qui se ferment devant eux.
La fonte des neiges dans les Alpes nous l’a récemment rappelé, en révélant les dépouilles de corps de migrants contraints d’emprunter des détours en pleine montagne ; ces mêmes migrants que certains extrémistes nationalistes chassaient fièrement à bord d’hélicoptères il y a peu ; ces mêmes migrants que d’autres citoyens, plus fidèles aux valeurs de notre République, aident en toute fraternité, avant d’être traînés devant les tribunaux !
Votre conception de la politique migratoire s’inscrit dans un projet plus global : vous vous attaquez à la solidarité des Français envers les étrangers comme vous montez les Français les uns contre les autres, pour servir les intérêts d’une politique de libéralisation et de casse des valeurs républicaines, droit d’asile compris.
L’attitude de la France et de l’Europe met en danger les migrants et laisse les citoyens et les associations gérer l’urgence humanitaire. C’est ainsi que ces 629 femmes et hommes rescapés, repêchés en mer par l’Aquarius, n’ont trouvé d’accueil ni en Italie ni en France ; 629 femmes et hommes qui « ne sont rien » et qui méritent sans doute d’être « responsabilisés », mis au pas, comme le sont les Français sous le régime de La République En Marche.
De son côté, le Conseil européen devra, à la fin du mois, prendre acte une nouvelle fois de l’échec de sa politique migratoire et repenser ses orientations, qui ne sont pas suivies d’effets. Rappelons que la France s’était engagée en 2015 à accueillir 30 750 personnes jusqu’en 2017, alors que, aujourd’hui, seules 4 278 personnes ont été relocalisées.
Pour le moment, l’heure n’est pas à l’apaisement, comme l’a déclaré Emmanuel Macron, puisque, juste après sa rencontre avec le chef du gouvernement italien, Rome refusait une nouvelle fois l’accès de ses ports à des bateaux d’ONG.
Aujourd’hui, madame la ministre, l’émotion et la colère sont d’autant plus fortes et légitimes que votre texte enfreint un certain nombre de principes fondamentaux, à commencer par le droit d’asile, qui fait partie intégrante de l’histoire démocratique française.
La Constitution du 24 juin 1793 proclamait déjà que le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. - Il le refuse aux tyrans. » C’est l’acte fondateur du droit d’asile, élément constitutif des grands principes de la Révolution française et du siècle des Lumières.
M. Mathieu Darnaud. Quel tralala !
Mme Éliane Assassi. Faut-il rappeler ces mots de Voltaire dans son Traité de la tolérance ? « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! »
Le droit d’asile est désormais consacré par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, forgée par la Résistance : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »
C’est en se fondant sur ce texte que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, a qualifié le droit d’asile d’« exigence constitutionnelle ». Peu après cette décision, la révision constitutionnelle du 25 novembre 1993, nécessaire à la pleine application par la France de la convention de Schengen, a inscrit dans la Constitution un article 53-1 aux termes duquel « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. »
Loin des faux bons sentiments, la logique de pénalisation et de sanction des demandeurs d’asile que développe ce projet de loi enfreint cette tradition d’asile du droit français.
Il est porté atteinte au droit d’asile dans la phase administrative de la demande comme dans sa phase contentieuse.
Premièrement, le texte, en son article 5, entrave le dépôt de la demande d’asile dans un délai raisonnable et ne permet pas la bonne information des demandeurs d’asile quant au sort qui leur est réservé.
Deuxièmement, l’article 6 porte gravement atteinte au droit au recours effectif des demandeurs d’asile en réduisant le délai pour exercer un recours devant la CNDA, le Gouvernement souhaitant rétablir par voie d’amendement la réduction, supprimée par la commission des lois, de ce délai à quinze jours. Cette réduction excessive des délais conduit à une justice expéditive.
Pourtant, le 2 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt de condamnation à l’encontre de la France, considérant que la procédure prioritaire alors prévue pour l’examen de certaines demandes d’asile n’était pas conforme au droit au recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Troisièmement, l’article 8 du présent projet de loi met fin au caractère suspensif de certains recours devant la CNDA. Celui-ci était pourtant consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. »
Quatrièmement, il sera possible d’imposer au demandeur d’asile tout au long de la procédure une langue qui n’est pas la sienne, sans que soient respectés ni les garanties procédurales européennes ni le droit de tout justiciable à être entendu dans une langue maîtrisée.
Cinquièmement, en plus d’entraver davantage la procédure d’examen de la demande avec la fin de la notification des convocations et décisions par lettre recommandée, le texte prévoyant que cette notification puisse se faire « par tout moyen », le Gouvernement ne respecte pas le principe de confidentialité que le Conseil constitutionnel a érigé au rang de « garantie essentielle du droit d’asile », principe de valeur constitutionnelle.
Sixièmement, le projet de loi supprime le caractère facultatif de la visioconférence en l’imposant aux justiciables. Une telle généralisation est encore une fois parfaitement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Saisis notamment de la question du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention administrative, les sages ont jugé, dans une décision du 20 novembre 2003, qu’un tel recours était conforme à la Constitution à la condition qu’il soit subordonné au consentement de l’étranger. Or c’est exactement ce que le texte supprime.
Toutes ces dispositions anticonstitutionnelles illustrent la dangerosité d’un tel texte pour notre démocratie, d’autant plus qu’elles sont contraires aux normes supranationales, qu’il s’agisse de la convention de Genève ou de la convention internationale des droits de l’enfant.
En effet, sur ce dernier point, conformément aux obligations de la France relatives à l’intérêt supérieur des mineurs rappelées à plusieurs reprises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, la Cour européenne des droits de l’homme, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Comité consultatif national d’éthique et l’Académie nationale de médecine, ce projet de loi aurait dû supprimer toute possibilité de maintenir des mineurs en zone d’attente ou en centre de rétention administrative quelle que soit leur nationalité, afin qu’ils soient admis dignement sur notre territoire et mis sous la protection de l’aide sociale à l’enfance.
Je l’affirme avec force : un mineur, même étranger, n’est pas un migrant. C’est un enfant, et ce jusqu’à l’âge de sa majorité. Nous lui devons donc aide et protection, et le Sénat s’honorerait en supprimant l’article 15 quater relatif à la durée de placement en rétention pour cinq jours des familles, car qui dit famille dit enfants.
Les mesures d’enfermement pour les majeurs posent également question, comme la facilitation de la rétention administrative, notamment des « dublinés » qui n’ont commis aucun délit, alors même que la France a déjà été condamnée à six reprises par la Cour européenne des droits de l’homme à cause de ses conditions de rétention.
Autre atteinte excessive aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile, le droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence de toutes les personnes au regard du seul critère de la détresse, auquel contrevient l’article 9 du présent projet de loi qui légalise la circulaire Collomb de décembre 2017 tant décriée.
Hélas, la liste des principes fondamentaux remis en cause par ce projet de loi est encore longue – nous y reviendrons au cours du débat. Nous ne nous faisons pas d’illusions, mes chers collègues, quant au sort qui sera réservé à la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Elle sera rejetée, mais nous souhaitions attirer votre attention et celle du Conseil constitutionnel sur ces points.
Nous participerons au débat, en insistant notamment sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité qui ne saurait tolérer la moindre distinction entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. Madame la présidente Assasi, vous avez souhaité déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité en raison des graves difficultés constitutionnelles que comporterait le présent texte. Vous l’aurez compris, nous ne partageons pas votre analyse, et je vais m’en expliquer.
Mme Éliane Assassi. C’est étonnant !
M. Jean-François Rapin. La commission des lois du Sénat, après un examen minutieux du texte, propose un projet de loi amélioré, détaillé et argumenté qui, en tout état de cause, respecte le droit d’asile auquel nous sommes foncièrement attachés.
En effet, le rapporteur a trouvé un juste équilibre entre l’amélioration du traitement des demandes d’asile et les conditions réalistes du droit de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, dont l’activité ne cesse de croître ces dernières années.
Le Gouvernement – je souhaite le rappeler – a voulu réduire le délai de recours des demandeurs d’asile de trente à quinze jours. Notre rapporteur a décidé de supprimer cette diminution drastique jugée attentatoire aux droits des demandeurs d’asile, et qui plus est inefficace pour lutter contre l’immigration irrégulière. La réduction à quinze jours semble d’autant plus inenvisageable que l’organisation actuelle de la Cour nationale du droit d’asile n’est pas optimale et mérite d’évoluer.
Je souhaite également attirer votre attention sur un point particulier des apports de la commission qui me tient à cœur, celui des mineurs isolés. Je tiens à féliciter la commission pour sa prise de position sur ce sujet. L’interdiction de placement en rétention des mineurs isolés est une avancée majeure, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté l’avait d’ailleurs appelée de ses vœux.
L’encadrement du placement en rétention des mineurs accompagnant leurs familles, réduit à cinq jours alors que, aujourd’hui, ces familles peuvent être placées en rétention jusqu’à trente jours, est également une avancée majeure en termes d’humanité.
Ces décisions courageuses étaient nécessaires pour protéger les plus vulnérables, et je tiens à en féliciter notre rapporteur.
Pour ces différents motifs, mon groupe ne considère pas que ce texte soulève des difficultés constitutionnelles, et votera donc contre la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Plus largement, je veux revenir sur les nombreux débats qui ont eu lieu autour de ce texte, et plus généralement, concernant la réforme de notre politique migratoire. Les termes « dignité » et « respect des droits fondamentaux » sont souvent évoqués.
Pourtant, n’est-ce pas dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes que nous souhaitons mieux maîtriser les flux migratoires, afin de mieux intégrer ces femmes et ces hommes qui fuient leur pays ?
N’est-ce pas dans cette même optique que nous avons soutenu l’État lors du démantèlement de la lande de Calais qui a permis, je le rappelle, de mettre à l’abri des milliers de personnes dans des centres d’hébergement offrant des conditions d’accueil dignes ?
N’est-ce pas dans cette même optique encore que la petite commune de Merlimont – dont j’ai été maire –, située à quatre-vingts kilomètres de Calais, a accueilli à deux reprises, comme d’autres collectivités du territoire, des mineurs qui ont été extraits des camps de fortune où les conditions de vie étaient inacceptables ?
Je me suis rendu plusieurs fois sur le terrain, tout comme certains collègues ici présents – je salue d’ailleurs le travail de François-Noël Buffet, avec qui je suis allé à Calais et à Grande-Synthe. Ces visites nous ont permis de mieux appréhender la problématique migratoire sur le territoire : la situation humanitaire, la présence et le mode de fonctionnement des associations, les actions des activistes, tout comme l’organisation des passeurs.
Lors de ces déplacements, j’ai pu échanger avec les élus des communes concernées, souvent désemparés devant l’ampleur de la crise, avec les riverains, partagés entre incompréhension, sollicitude et résignation parfois, avec les services de l’État présents pour conseiller les migrants, avec les associations qui leur viennent en aide, avec les forces de l’ordre qui font un travail remarquable sur le terrain.
À chaque fois, j’en suis ressorti différent, bien évidemment marqué par la situation humanitaire et la détresse dans laquelle se trouvent ces personnes qui ont quitté leur pays, pour certaines leur famille, leurs attaches, la plupart pour rejoindre l’Angleterre à tout prix, parfois même au péril de leur vie.
Comment, madame Assassi, ne pas être bouleversé quand vous voyez ces femmes, ces hommes, pis, ces enfants attendre un passage inespéré vers l’Angleterre, ce pays dont on leur a tant vanté les mérites ?
En ce sens, la loi en vigueur sur laquelle nous, parlementaires, ne cessons de travailler pour la faire évoluer ne répond pas à la réalité actuelle du terrain. Le projet de loi présenté par le Gouvernement et le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale n’y répondent pas complètement non plus.
Notre pays doit avoir le courage de fixer clairement une politique migratoire crédible et cohérente, afin de mieux accueillir et de mieux intégrer les demandeurs d’asile, le tout, monsieur le rapporteur, madame la ministre, dans un cadre européen clarifié, apaisé et solidaire.
Je rejoins donc mes collègues de la commission des lois qui ont effectué un travail important en proposant un contre-projet fourni et argumenté. Le projet de loi proposé par le Gouvernement et voté par l’Assemblée nationale ne permet pas toutes les avancées dont notre pays a tant besoin, alors qu’un tel texte doit permettre à la France d’assumer une politique migratoire ambitieuse.
À ce titre, la commission des lois a adopté plusieurs mesures primordiales que je ne citerai pas en totalité – mes collègues les ont déjà développées pour la plupart, ou les développeront au cours du débat. Je pense, bien évidemment, à l’organisation au Parlement d’un débat annuel sur la gestion des flux migratoires, à la transformation de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence centrée sur les maladies graves, la grossesse, ainsi bien sûr que la médecine préventive.
Je pense aussi aux collectivités territoriales. Les élus locaux directement concernés me disent souvent se sentir démunis face à cette crise migratoire. Leur voix n’est malheureusement que trop peu entendue, alors que leur place dans les réflexions à mener est tout à fait légitime.
Les sanctions à l’encontre de ceux qui enfreignent nos règles doivent être renforcées, et les mesures d’éloignement envers les déboutés doivent être plus efficaces. En ce sens, toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile doit valoir obligation de quitter le territoire français.
Je salue également la décision de réduire le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs pour délivrer les laissez-passer consulaires indispensables à l’éloignement des personnes en situation irrégulière.
En tant que sénateur du Pas-de-Calais, je souhaite également revenir sur la situation particulière de mon département, point de chute de centaines, voire de milliers – il en fut – de personnes fuyant leur pays.
Depuis le démantèlement de la lande, la situation calaisienne a certes évolué. La preuve en est qu’il y a quelques jours a été inauguré le site naturel des Deux Mers en lieu et place de l’ancienne lande. Cette renaturation montre qu’une page s’est tournée sur ce site, qui a malheureusement attiré les yeux du monde entier.
Toutefois, ne nous leurrons pas, la problématique migratoire n’a pas totalement disparu pour autant : en témoignent la mobilisation des forces de l’ordre sur le terrain et les incidents récurrents.
J’ai, par exemple, été interpellé par les transporteurs routiers de marchandises qui effectuent du transport transmanche. Ces professionnels subissent toujours les conséquences de la présence migratoire à Calais. Les intrusions sur les sites des entreprises et la dégradation des matériels ou des marchandises transportées n’ont absolument pas cessé.
Cette situation crée un réel sentiment d’insécurité chez les chauffeurs routiers.
De plus, elle entraîne des coûts financiers importants pour les entreprises qui voient leur matériel ou leurs marchandises dégradés, sans compter les amendes infligées en cas de découverte d’un ou plusieurs migrants dans un camion contrôlé en France par les forces de l’ordre britanniques.
Enfin, les conséquences financières et économiques sur ce territoire continuent à se faire ressentir. L’État affirme œuvrer afin qu’aucun point de fixation ne se crée. Toutefois, je m’interroge, madame la ministre, sur la vision à long terme du Gouvernement pour le Calaisis.
Comme je l’ai affirmé il y a plus d’un an, si nous ne pouvons fermer la porte aux personnes demandant légitimement l’asile, il me semble primordial de redéfinir notre politique migratoire dans un cadre européen propice pour que cette zone géographique, territoire stratégique et économique, ne devienne pas le mur de la Manche après avoir porté une grande partie du mur de l’Atlantique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je ne serai pas plus long, si ce n’est pour rappeler que la commission a souhaité établir un contre-projet dans le respect à la fois des règles constitutionnelles – cela est évident – et de tous les accords internationaux et européens auxquels nous sommes partie.
Permettez-moi de rappeler, pour mémoire, quelques-uns des apports de la commission : le maintien du délai de recours devant la CNDA à trente jours, la protection des mineurs en rétention, ainsi que la nécessité dans les politiques de fermeté et d’éloignement de garantir à l’ensemble des justiciables les voies de recours nécessaires et de permettre éventuellement aux magistrats de revenir sur les dispositions que le Sénat a remises en place – je pense en particulier à la peine d’interdiction du territoire, qui est renforcée sous contrôle du juge.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le groupe CRCE critique le présent projet de loi au motif qu’il serait inconstitutionnel et contraire aux droits des personnes, en particulier des demandeurs d’asile. Ce n’est pas très sérieux.
Mme Éliane Assassi. Dites-le aux associations mobilisées contre ce texte, madame la ministre !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Conseil d’État, fréquemment invoqué pour critiquer le texte du Gouvernement, a validé la constitutionnalité et la conventionnalité du projet de loi. Chacune des mesures que vous évoquez a été soigneusement pesée pour s’assurer de sa pleine conformité avec l’ensemble des droits de la défense constitutionnellement et conventionnellement garantis.
Mme Éliane Assassi. Vous n’allez pas dire le contraire !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il est d’ailleurs frappant de constater que chacune des mesures dont vous contestez la conformité aux normes supérieures existe de façon équivalente chez bon nombre de nos voisins européens.
Vous critiquez par exemple, madame la sénatrice, une disposition qui instaurerait une justice expéditive. Or il ne faut pas confondre le délai pour saisir la justice, qui est de quinze jours dans une dizaine de pays européens, et le délai pour juger, qui est le seul sur la base duquel on pourrait critiquer une justice expéditive.
Mme Éliane Assassi. Voilà un raisonnement extraordinaire !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Quant à la prise en compte des vulnérabilités particulières des demandeurs d’asile, et plus largement des étrangers, je ne peux que rappeler la mobilisation du Gouvernement à ce sujet.
Ainsi, nous menons une action qui vise à la fois à concentrer nos efforts sur les publics les plus vulnérables et à prendre en compte la vulnérabilité des personnes à toutes les étapes de la procédure.
Pour ce qui concerne les publics les plus vulnérables, nous portons une attention particulière aux femmes, notamment aux femmes victimes de violences. Comme vous le savez, le texte contient plusieurs dispositions sur ce sujet, mais au-delà, nous allons développer des structures d’hébergement spécialisées pour leur prise en charge, particulièrement pour leur soutien psychologique. En 2018, sept structures seront ainsi créées. Par ailleurs, ces dispositifs seront également étendus aux membres de la communauté LGBT.
Notre action envers les personnes les plus vulnérables s’étend aussi au-delà de notre territoire à travers la réinstallation des réfugiés en fort besoin de protection. Vous savez que l’objectif est d’en accueillir 10 000 d’ici à 2019. Il s’agit, par exemple, de réfugiés soudanais du Darfour victimes de persécutions, mais aussi de personnes, notamment des femmes, victimes d’exactions en Libye.
Au-delà de ces différents dispositifs, je suis particulièrement attachée à ce que la vulnérabilité des personnes soit prise en compte à toutes les étapes de la procédure d’asile.
Ainsi, dès le premier accueil au moment de l’enregistrement de la demande d’asile, le repérage de la vulnérabilité est au cœur du dispositif des CAES que nous déployons sur le territoire. Ces informations sont précieuses pour l’enregistrement des demandes auprès du guichet unique pour demandeurs d’asile, ou GUDA.
Par ailleurs, l’orientation directive des demandeurs dans le dispositif national d’asile prendra en compte la vulnérabilité des personnes. Comme je l’indiquais précédemment, les publics les plus vulnérables seront en priorité orientés vers les structures assurant une prise en charge spécifique de leur vulnérabilité. En outre, nous allons prochainement lancer un appel à projets visant à développer la prise en charge psychologique et sanitaire des migrants.
Enfin, la vulnérabilité fait l’objet d’une prise en compte spécifique lors de l’instruction des demandes par l’OFPRA et la CNDA. Ainsi les personnels qui instruisent ces dossiers disposent de formations spécifiques pour déceler la vulnérabilité psychologique, et des groupes de travail thématiques ont été mis en place à l’OFPRA depuis 2013.
Comme vous le voyez, la mobilisation du Gouvernement est totale pour que la maîtrise de l’immigration se fasse dans un cadre respectueux de la dignité et des droits de chacun.