M. François Patriat. Très bien !
Mme Marlène Schiappa, secrétaire d’État. Quand un voisin est en train de frapper son épouse, chez lui, dans son appartement, à l’abri derrière ses murs, ce n’est pas une affaire privée, c’est une question de société, et il faut le dénoncer. Nous devons arriver à construire cette société de la vigilance, que le Président de la République a appelée de ses vœux quand il a lancé la grande cause nationale du quinquennat. Lorsqu’une femme est suivie, invectivée, entravée dans sa liberté, menacée dans la rue, dans l’espace public, il faut que les témoins interviennent. Quand on est témoin d’agressions sexuelles, de viols, d’agressions physiques, d’agressions sexistes, d’injures publiques envers les femmes, il faut aller déposer des plaintes, des mains courantes, et témoigner. C’est uniquement grâce à l’intervention des témoins que nous pourrons faire en sorte que la loi qui va être adoptée soit une loi efficace et appliquée.
Tel est l’objectif de la campagne de communication que nous lançons et qui vise ce changement culturel et un abaissement du seuil de tolérance de notre société face aux violences sexistes et sexuelles pour sortir de cette fatalité. Et l’investissement financier est très important, puisque 3 millions à 4 millions d’euros seront engagés.
Il s’agit là du premier axe de la grande cause du quinquennat, mais il nous faut également avoir à l’esprit que notre vie professionnelle est, elle aussi, perturbée par ces inégalités. Nous tiendrons donc également nos engagements en matière d’égalité salariale avec le projet de loi que j’évoquais précédemment.
Enfin, la question de l’articulation entre la vie professionnelle et la vie personnelle, autre enjeu majeur, viendra s’adosser à la question de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles qui reste bien évidemment une priorité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement œuvre à renforcer la protection des victimes, à mieux sanctionner les agresseurs. Lutter contre les violences sexistes et sexuelles, qui ont trop souvent été tues ou « invisibilisées », est l’engagement du Président de la République que l’action de l’ensemble du Gouvernement traduit en actes, et que votre assemblée inscrit aujourd’hui dans la loi.
Je connais votre engagement, sur l’ensemble de ces travées, en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes. Je ne doute pas de votre implication. Je crois que, partout dans vos territoires, vous êtes les véritables garants, en tant qu’élus de la République, de cette égalité.
J’espère que vous relaierez avec fierté auprès des citoyens ces avancées majeures que nous avons construites ensemble, en réponse aux attentes fortes exprimées par les femmes et par les hommes. Soyez en tout cas assurés de mon plein engagement à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, nous sommes fiers et heureux de voir aboutir, après une commission mixte paritaire conclusive, ce texte que Mme la secrétaire d’État a défendu avec beaucoup d’énergie, de détermination, de talent.
Le présent projet de loi aborde un enjeu profondément humain : le respect de l’intégrité et de la dignité de chacun, des femmes et plus particulièrement des enfants.
Le constat est partagé par tous : il est nécessaire de renforcer la protection des mineurs contre les infractions sexuelles et de réprimer le harcèlement de rue.
L’actualité nous le rappelle régulièrement. Il y a eu l’affaire de Pontoise, ou encore l’agression dont a été victime Mme Marie Laguerre vendredi dernier : chaque jour charrie son lot de drames contre lesquels nous devons lutter.
Au cours de l’examen de ce texte en première lecture, la majorité sénatoriale est revenue sur deux dispositions phares : la réécriture de la définition du viol et la suppression du caractère contraventionnel de l’outrage sexiste au profit du caractère délictuel. Mon groupe s’est alors opposé à ces modifications et se réjouit de l’accord trouvé en commission mixte paritaire qui permet de revenir aux aspirations du texte initialement proposé par le Gouvernement.
Cet accord symbolise une volonté commune forte en faveur du renforcement de l’arsenal juridique et de la fixation d’interdits sociaux clairs dans la loi. À cet égard, je tiens à saluer le travail des rapporteurs des deux chambres, des députés et des sénateurs qui a permis, malgré les divergences initiales, d’aboutir à un texte équilibré.
Tout d’abord, la réécriture de l’article 2 facilite la caractérisation de la contrainte morale et de la surprise lorsqu’un acte de pénétration est commis par un majeur sur un mineur.
Par ailleurs, dans l’hypothèse où la qualification de viol serait contestée, le président de la cour d’assises devra systématiquement poser une question subsidiaire sur la qualification d’atteinte sexuelle. Ainsi, l’auteur d’une infraction sexuelle ne restera pas impuni.
Nous nous réjouissons aussi du rétablissement du caractère contraventionnel de l’outrage sexiste. Les forces de police pourront verbaliser immédiatement des comportements facilement identifiables, qui n’ont rien de la drague ou du compliment, par une amende qui pourra aller de 90 à 750 euros. Cette nouvelle rédaction permet d’assurer une répression immédiate des comportements abusifs.
L’actualité nous ramène au harcèlement de rue que subissent régulièrement les femmes dans notre pays. Vendredi dernier, Mme Marie Laguerre a été victime d’un homme qui a incontestablement porté atteinte à sa dignité avant de la violenter. Elle a porté plainte contre cet homme, dont les actes seront certainement punis, conformément au dispositif juridique actuel.
Alors, à quoi bon créer une amende pour outrage sexiste, me direz-vous ? À apporter une réponse immédiate si l’agresseur est pris en flagrant délit. On ne peut plus considérer comme dérisoires ces faits, qui sont malheureusement trop courants.
Je tiens aussi, madame la secrétaire d’État, à saluer l’avancée proposée par le Sénat qui fait de l’orientation sexuelle de la victime une circonstance aggravante de l’outrage sexiste.
Je me félicite également des dispositions qui ont été conservées : l’allongement du délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes commis sur mineurs ; la création d’une circonstance aggravante lorsqu’une infraction sexuelle est commise sur une personne vulnérable en raison de sa situation économique ou lorsqu’elle a entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours ; la création d’une nouvelle circonstance aggravante lorsque les victimes d’infractions sexuelles se sont vu administrer des substances nuisant à leur intégrité physique ou psychique ; la création d’un délit de captation d’images impudiques pour sanctionner les personnes filmant les femmes à leur insu dans les transports en commun ou ailleurs.
La définition du harcèlement sexuel a également été enrichie par la réintégration de la notion de propos sexistes, et nous nous en félicitons.
Le texte final, fruit d’un accord transpartisan, jouera un rôle majeur pour une meilleure protection de nos enfants et contribuera à reconnaître et à réprimer le fléau qu’est le harcèlement de rue.
Pour ces raisons, madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe La République En Marche votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voici donc au terme d’un débat ô combien médiatique, dont nous avons été saisis plusieurs fois ces derniers mois : d’abord à l’occasion de l’examen de la proposition de loi de M. Bas, à la suite de la mission d’information conduite par Mme Mercier, puis par le Gouvernement, qui nous a présenté le mois dernier un projet de loi largement revu après l’avis du Conseil d’État.
Réunie au Sénat lundi dernier, la commission mixte paritaire est parvenue à un accord, en reprenant largement les dispositions adoptées par la Haute Assemblée. Pour ce qui est du contenu du texte, nous sommes plutôt satisfaits, celui-ci ayant été, selon nous, amélioré par le Sénat.
En effet, même si le texte final ne retient pas la promesse initiale du Gouvernement qui établissait un seuil de non-consentement à un acte sexuel pour les mineurs de moins de quinze ans, il ne reprend pas non plus le très polémique délit d’atteinte sexuelle avec pénétration qui pouvait laisser craindre que l’on ne minore les faits de viol. Cette disposition a été supprimée dès la discussion générale au Sénat par Mme la secrétaire d’État.
La commission des lois et la majorité sénatoriale ont cependant clarifié la définition du viol en ajoutant une notion de présomption de contrainte qui tient compte de la différence d’âge entre le mineur et le majeur, ainsi que de la vulnérabilité et du discernement du mineur. Cette mesure a été préférée à la création d’un crime de violence sexuelle sur enfant soutenue par la délégation aux droits des femmes du Sénat et plusieurs sénatrices du groupe CRCE.
Si l’ensemble de mon groupe ne partageait pas forcément toutes les demandes des associations sur le sujet, en particulier l’aggravation des peines, nous sommes unanimes sur un point : ce texte amélioré par le Sénat reste bien en deçà de ce que la lutte contre ce fléau exige.
Alors que le Gouvernement a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause nationale de cette année, cette cause recouvrant la lutte contre violences faites aux femmes, il a pour le moins manqué d’ambition – n’est-ce pas Mme la secrétaire d’État ? – en présentant au Parlement un tel projet de loi, qui n’aborde le sujet que sous le seul angle répressif.
De manière générale, le Gouvernement, comme la majorité des parlementaires, s’est employé à aggraver les peines en matière de délits et crimes sur mineurs, ne portant que très peu d’intérêt à la prévention et à l’éducation.
Or le sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes, tout comme celui de la protection des mineurs, ne saurait être circonscrit au seul angle répressif. Les volets préventif et éducatif doivent être exploités bien davantage. Ils sont la clé du mieux vivre ensemble et de l’évolution des mœurs.
En ce sens, nous nous félicitons de l’adoption de quelques-uns de nos amendements. Je pense en particulier à celui qui tendait à renforcer l’article L. 312-16 du code de l’éducation, lequel dispose que trois séances d’éducation à la sexualité doivent être dispensées chaque année dans les écoles, les collèges et les lycées.
L’éducation à la sexualité constitue un levier de lutte contre les discriminations. Elle doit être non pas réduite aux seules dimensions physiques et biologiques, mais appréhendée de manière globale.
L’éducation doit contribuer, dès le plus jeune âge, à détruire stéréotypes et préjugés, mais nous sommes aujourd’hui encore loin du compte. Aussi, s’il est besoin de légiférer, c’est selon nous essentiellement en ce sens.
Toujours plus de répression ne réglera rien au fléau des violences faites aux femmes ou aux enfants si le problème n’est pas pris dans son ensemble. Or cela ne pourra prendre forme qu’avec la discussion d’un projet de loi-cadre sur le sujet, dessein que nous soutenons depuis un certain nombre d’années avec les associations féministes, notamment le Conseil national pour le droit des femmes.
Enfin, alors qu’une importante réforme de la justice sera discutée – en tout cas nous l’espérons – dès cet automne, j’alerte l’ensemble de nos concitoyens sur cette conception du droit pénal, qu’il s’agirait de modifier sans cesse au gré des faits divers pour aggraver les sanctions, sans tenir compte ni du sens ni de l’échelle des peines. C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’abstiendront sur ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, depuis maintenant un an, à l’échelon tant international que national, le tabou des violences sexuelles faites aux femmes est tombé, permettant une prise de conscience de l’ensemble de notre société.
Cette prise de conscience est d’ailleurs remontée jusqu’au sommet de l’État, puisque le Président de la République a fait de ce combat une grande cause nationale du quinquennat.
Je me réjouis que la CMP sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ait été conclusive. J’aimerais plus particulièrement souligner l’engagement de Mme la rapporteur, Marie Mercier, et du président Philippe Bas, qui avait déjà impulsé ce débat grâce à une proposition de loi adoptée par notre assemblée, à une large majorité, au début de l’année.
Je souhaite également souligner le travail important engagé par la délégation aux droits des femmes, sous l’égide de sa présidente, Annick Billon, et, enfin, saluer votre implication, madame la secrétaire d’État, sur un sujet, qui, je le sais, vous tient à cœur.
Quels sont, après cette commission mixte paritaire, les points importants à retenir ?
À titre personnel, je regrette que la proposition faite par la délégation aux droits des femmes concernant la création d’un crime de pénétration sexuelle sur mineur de moins de treize ans par un adulte n’ait pas été retenue. De même, il est regrettable que l’inversion de la charge de la preuve, proposée par la commission des lois du Sénat, ait été rejetée. Le texte se limite, pour les mineurs de moins de quinze ans, à préciser que la contrainte et la surprise seront caractérisées par l’abus de vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. C’est déjà ça !
Pour autant, il nous faudra continuer à travailler sur les questions de présomption et de consentement des mineurs dans le cadre des crimes sexuels, afin de parvenir à une protection totale de nos enfants, comme ont pu le faire certains de nos voisins européens.
Cependant, ce texte comporte de réelles avancées, comme l’allongement de la prescription des crimes sexuels à trente ans à compter de la majorité de la victime. Cette mesure était d’ailleurs l’un de vos engagements, madame la secrétaire d’État. Grâce à elle, des actes de violence sexuelle ne resteront pas impunis. En effet, nous le savons, les victimes ont besoin de temps pour saisir la justice en raison du traumatisme causé par ces agissements, d’autant plus lorsque les faits ont lieu durant l’enfance.
De plus, toujours en matière de prescription, j’ai bien noté l’engagement pris par Mme la ministre de la justice de publier une circulaire pour que, sur l’ensemble du territoire, les procureurs puissent ouvrir une enquête, malgré la prescription des faits. Ce dispositif permettra de vérifier que l’auteur présumé n’a pas commis d’autres infractions sexuelles, qui, elles, ne seraient pas prescrites. Ainsi, ces actes ne resteraient pas impunis.
Autre point important : l’abandon de la création d’un délit d’atteinte sexuelle avec pénétration qui risquait de favoriser la correctionnalisation des viols relevant normalement de la cour d’assises. En effet, ce point avait suscité une grande inquiétude chez les associations et les représentants des victimes, qui craignaient que ce dispositif ne soit utilisé à mauvais escient, rendant plus complexe la caractérisation d’un viol.
Soulignons aussi la pénalisation de l’administration de substances afin d’altérer le discernement et le contrôle d’une personne, pratique malheureusement répandue chez les prédateurs sexuels, ou encore la prise en compte de la situation de détresse économique comme circonstance aggravante, introduite par notre collègue Laure Darcos. Cette mesure permettra de renforcer la protection des femmes sans domicile fixe, ces dernières étant la cible d’agressions sexuelles multiples en raison de leur vulnérabilité.
Le texte permet également de définir un cadre juridique précis en matière de harcèlement sexuel et moral, en tenant compte, notamment, des nouvelles formes de violences numériques, qui, nous le savons, sont particulièrement répandues chez les plus jeunes.
Relevons encore l’ajout des violences intrafamiliales en circonstance aggravante pour un certain nombre d’infractions, ainsi que la sensibilisation des enfants à ces violences, par le biais de l’éducation nationale, car il faut un lieu où l’on puisse apprendre que parfois, ce que font papa et maman à la maison n’est pas toujours une pratique normale.
La création d’une infraction pour outrage sexiste afin de punir également les comportements que subissent les femmes quotidiennement, notamment les diverses formes de voyeurisme, est une avancée majeure. À partir de ce jour, il est illégal d’aller regarder sous les jupes des filles.
Enfin, notons l’inscription dans la loi de la lutte contre les mutilations sexuelles, suivant les recommandations du rapport réalisé par Maryvonne Blondin et Marta de Cidrac. Il est en effet intolérable qu’encore aujourd’hui une femme soit excisée toutes les quinze secondes dans le monde, et que cette pratique ait aussi lieu sur notre territoire.
En conclusion, un regret, des satisfactions, mais vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, permettez-moi de saluer la présence en tribune, sur l’invitation de Mme Jocelyne Guidez, d’une délégation du service militaire volontaire de Brétigny-sur-Orge.
Au nom du Sénat, je vous souhaite la bienvenue. (Applaudissements.)
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, en première lecture, nous nous étions interrogés sur l’ambition réelle du Président de la République concernant la lutte contre les violences faites aux femmes, mais surtout s’agissant de l’égalité entre les femmes et les hommes, d’autant que nous étions dans une période très troublée à cet égard : affaire Weinstein ; mouvement #MeToo ; séquences judiciaires qui avaient d’ailleurs suscité, sur l’initiative du groupe socialiste et républicain et du président de la commission des lois, six mois de travail très riche sur la question de la lutte contre les violences sexuelles sur les femmes et les enfants.
Quelle était donc l’ambition du chef de l’État, à la suite de son discours, qui se voulait fondateur, au mois de novembre dernier, dans lequel il avait indiqué qu’il fallait fixer un âge minimal de consentement pour une relation sexuelle entre un mineur et un adulte, retenant l’hypothèse, que vous partagiez, madame la secrétaire d’État, de l’âge de quinze ans ?
Les travaux ont commencé, et, comme nous avons eu l’occasion de le dire en première lecture, le texte que vous présentez comme une avancée de civilisation s’avère finalement assez décevant, car il ne porte pas l’ambition que nous attendions.
Il avait et il a toujours des points positifs, comme l’allongement du délai de prescription concernant ces infractions ou la création de l’outrage sexiste. Cette question a été remise dans l’actualité – j’ai envie de dire « tant mieux ! » pour ceux qui n’ont pas encore compris de quoi nous parlions – avec ce fait divers du week-end qui a permis à chacun de voir en vidéo ce qu’était le sort des femmes dans la rue lorsqu’elles s’avisaient de se rebeller contre une forme de provocation masculine. Nous espérons que l’instauration de cette infraction, même si certains sont sceptiques, aura des résultats positifs.
Je salue également la modification, puis le retrait par vos soins, au début du débat au Sénat, du fameux article 2, qui avait beaucoup ému, car d’aucuns craignaient, sans doute à juste titre, que l’infraction de viol ne soit finalement poursuivie par le biais d’une procédure non plus criminelle, mais correctionnelle.
Par ailleurs, le travail de la commission mixte paritaire a montré, aux yeux du groupe socialiste et républicain, quelques qualités et quelques défauts.
La CMP a eu la bonne idée de retirer la notion, qui était extrêmement dangereuse, de maturité sexuelle suffisante. Cette notion nous paraissait très problématique. La commission mixte paritaire a maintenu un certain nombre d’avancées, tous les groupes ayant travaillé pour enrichir le texte. Tout le monde partageait sur ces travées le souhait d’améliorer les dispositifs. Ont été retenues, notamment, les propositions socialistes concernant le cyberharcèlement.
En revanche, certaines dispositions, qui nous semblaient importantes, et qui avaient été adoptées par le Sénat, ont finalement été retirées. C’est, par exemple, le cas de l’obligation de signalement de mauvais traitements sur enfants, au-delà de ce qui existe déjà. Il s’agit pour nous d’un vrai recul. C’est dommage, parce que je reste persuadée, même si je ne suis pas médecin, au contraire de Mme la rapporteur, que c’est par ce biais que nous pourrons lutter de manière efficace contre les mauvais traitements sur les enfants.
Enfin, le groupe socialiste et républicain regrette que la CMP – en toute logique, puisque ni le Sénat ni l’Assemblée nationale ne l’avaient voté – n’ait pas suivi la proposition d’incrimination des relations sexuelles d’un adulte avec un mineur de treize ans avec pénétration, ce qui nous semblait être le moyen à la fois de respecter l’engagement du Président de la République et de poser définitivement un interdit sur la relation sexuelle avec un enfant.
Vous l’avez compris, nous avons un regard mitigé, déçu, et nous pourrions dire que ce texte, au fond, ne mérite ni l’excès d’honneur que le Gouvernement lui accorde ni l’excès d’indignité qui nous dissuaderait de le voter. Le groupe socialiste et républicain, comme en première lecture, s’abstiendra sur ce projet de loi.
Nous espérons que votre ambition incontestable, madame la secrétaire d’État, se concrétisera lors de textes à venir. Nous ne mettons pas en doute votre volonté de lutter contre des comportements qui portent préjudice de manière dramatique et aux enfants et aux femmes. Nous serons à vos côtés si vous avancez, mais nous serons aussi des aiguillons, des stimulants si nous constatons que votre volonté politique fait défaut.
Avant d’en terminer, je veux saluer une instance du Sénat qui a fait un travail formidable. Je veux parler de la délégation aux droits des femmes, qui a, de façon transpartisane, comme notre groupe de travail de la commission des lois, contribué à sa manière, avec un succès inégal, à notre action. Madame la secrétaire d’État, soyez assurée que vous avez, de ce côté-là, un point d’appui robuste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame le rapporteur, mes chers collègues, le Président de la République a fait de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes une cause nationale – c’est un engagement fort et nécessaire de la République – pour laquelle, nous le savons, vous vous impliquez particulièrement, madame la secrétaire d’État.
Au sein de notre assemblée, la commission des lois a apporté une contribution décisive au débat relatif au projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes au travers, d’une part, d’un rapport d’information intitulé Protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles, présenté en février dernier par notre collègue Marie Mercier, aujourd’hui rapporteur, et, d’autre part, de la proposition de loi d’orientation et de programmation pour une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles. Ces deux contributions furent le fruit d’un groupe de travail pluraliste, dont je tiens à saluer la qualité des réflexions.
Réunie le 23 juillet dernier, la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du présent projet de loi est parvenue à un accord, ce dont je me réjouis d’autant que le texte résultant de cette CMP reprend largement les dispositions adoptées par le Sénat lors de ses travaux – j’adresse mes félicitations à Mme la rapporteur, aux membres de la commission des lois et à Mme la secrétaire d’État. Je pense en particulier à l’exigence de protection de tous les enfants, quel que soit leur âge, contre le viol, mais également à la plupart des propositions issues du groupe de travail, telles que l’allongement à trente ans du délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs et le renforcement des peines encourues pour atteinte sexuelle. Je me félicite que de tels apports du Sénat aient été retenus.
Concernant la lutte contre le cyberharcèlement plus précisément, l’article 3 adapte opportunément notre droit pénal aux évolutions technologiques, en complétant la définition du harcèlement pour prendre en compte les « raids numériques », c’est-à-dire la publication par plusieurs auteurs de propos sexistes et violents proférés une seule fois à l’encontre d’une même cible.
Des faits récents ont montré que la lutte contre le cyberharcèlement constitue un véritable enjeu en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. Ces agressions ne sont en rien virtuelles. Bien au contraire, elles se révèlent tout aussi graves que des violences physiques et présentent des spécificités qui les rendent encore plus nuisibles pour les victimes, comme la difficulté à identifier des agresseurs protégés par leur anonymat et le potentiel de diffusion élargi des contenus.
Or la définition actuelle du harcèlement, qui suppose la répétition, ne permet pas de réprimer de tels agissements, puisque les auteurs des « raids » réitèrent rarement les mêmes propos, mais se coordonnent afin de cibler, de manière collective, la même personne.
Il était donc important de combler ce vide juridique pour sanctionner des agissements pouvant se révéler d’une extrême violence. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires souscrit pleinement aux objectifs poursuivis, dont personne ne peut contester la légitimité. Nous sommes tous convaincus, au sein de cet hémicycle, de la nécessité de donner un coup d’arrêt à un certain nombre de violences, confinant parfois à l’inhumain, et qui continuent à se produire.
Qu’elles concernent les mineurs ou les majeurs, qu’elles se déroulent sur internet, au travail, en public ou dans la rue, toutes les violences sexuelles et sexistes doivent être dénoncées et combattues avec fermeté. Aussi, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, vous l’avez rappelé, mes chers collègues, l’actualité nous a démontré l’importance des violences sexuelles et sexistes et plus précisément du harcèlement de rue.
Si le témoignage de Marie, agressée pour avoir osé répondre à un comportement inqualifiable, doit nous révolter, nous inquiéter, il doit surtout nous alerter sur toutes ces femmes, victimes chaque jour de ces agressions et qui se taisent, par honte, par dégoût et, parfois même, par crainte de ne pas être prises au sérieux.
À l’heure où 80 % des victimes des violences sexuelles sont des femmes, le projet de loi qui nous est présenté nous oblige à la gravité et nous conduit à réfléchir aux solutions à trouver pour mettre fin à ces agissements.
L’ensemble des membres de cet hémicycle a partagé avec vous, madame la secrétaire d’État, le même objectif : mieux protéger les victimes et condamner plus fermement les auteurs d’infractions sexuelles et sexistes.
Je me réjouis d’abord que nous soyons tombés d’accord sur l’allongement du délai de prescription de l’action publique pour les crimes et délits d’agressions sexuelles qui passe de vingt à trente ans. Cette mesure est, à mes yeux, la principale avancée de ce projet de loi, sûrement la plus significative.
Il est aujourd’hui nécessaire de prendre en compte la difficulté que peuvent rencontrer les victimes à parler tout de suite, car nombre d’entre elles enfouissent leur traumatisme durant des années.
Je formulerai deux regrets.
Mon premier regret concerne la suppression de la présomption de contrainte conduisant à qualifier une relation sexuelle de viol dans deux cas : lorsqu’il y a un manque de discernement de l’éventuelle victime et dans le cas d’une différence d’âge significative entre l’auteur majeur et le mineur. Si cette mesure risquait certes d’être frappée d’inconstitutionnalité, elle prouvait, me semble-t-il, la gravité de ces crimes.
Mon second regret a trait à la suppression de l’article 1er A annexant au projet de loi le rapport sur les orientations de la politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Cette disposition que l’on devait à notre rapporteur, Marie Mercier, enrichie par la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, donnait, à mon sens, davantage de corps et de profondeur au présent texte, notamment parce que le rapport posait un cadre pour la prévention et une meilleure prise en compte de l’accueil des victimes.
Le choix qui a été fait de définir plus précisément les circonstances aggravantes, notamment par la prise en considération, comme le souhaitait le Sénat, de la différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur, est sans doute le bon, mais son application devra être surveillée.
Concernant l’article 2, je me réjouis que vous nous ayez entendus, madame la secrétaire d’État. La création d’un délit d’atteinte sexuelle avec pénétration, si elle partait d’une bonne intention, laissait planer le risque de la correctionnalisation. À ce titre, nous ne devions prendre aucun risque.
Quant à l’article 2 bis C, nous restons pleinement en phase avec les dispositions tendant à alourdir les peines en cas de non-assistance et de non-dénonciation des crimes et délits commis contre l’intégrité corporelle des mineurs de quinze ans. Ces mesures reprennent là aussi nos travaux réalisés en mars dernier.
Une partie des membres de mon groupe regrette toutefois la suppression de l’obligation pour les médecins de signaler les violences sexuelles. Aujourd’hui encore, on sous-estime le rôle de ces derniers dans la dénonciation de ces infractions, alors même qu’ils sont des professionnels de confiance et des interlocuteurs privilégiés.
S’agissant des dispositions relatives au harcèlement sexuel et au harcèlement moral, je tiens à rappeler notre soutien aux mesures visant à condamner les raids numériques. Sera désormais réprimé le comportement de plusieurs individus harcelant de manière unique, mais collective, une victime. C’est, par exemple, souvent le cas sur les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter.
Concernant la définition du harcèlement sexuel, si certains d’entre nous sont favorables à l’élargissement proposé par l’Assemblée nationale, d’autres continuent de craindre que cette extension ne vienne créer la confusion avec le délit d’outrage sexiste prévu par l’article 4.
Par ailleurs, s’agissant de l’outrage sexiste, si nous sommes totalement d’accord avec l’objectif de faire cesser ces comportements intolérables, nous sommes plus partagés quant aux réponses à donner à ces agissements. La réponse législative que nous apportons paraît difficilement applicable, car elle repose en grande partie sur le flagrant délit. L’essentiel est, à mon sens, ailleurs : dans l’éducation et la sensibilisation, et ce dès le plus jeune âge. Cette prévention est d’autant plus primordiale dans un contexte où la moitié des infractions sexuelles sur mineurs sont commises par des mineurs.
Il faut également lutter de toutes nos forces contre la pédophilie et la pédopornographie. Si des initiatives existent à l’échelle mondiale – je pense à la base de données internationale sur l’exploitation sexuelle des enfants d’Interpol –, l’idée de créer une structure française ad hoc de prévention et de lutte contre la pédophilie – elle a fait l’objet d’une question au gouvernement de ma collègue Françoise Laborde – mériterait d’être étudiée avec plus d’intérêt.
Pour ce qui concerne le viol enfin, il faut insister sur l’accompagnement des victimes, et ce dès le départ, avec la généralisation des salles Mélanie, davantage de moyens et de publicité pour les associations spécialisées.
Il faut également aller plus loin dans la libération de la parole ! Si le nombre de signalements est en augmentation, nous ne pouvons nous en réjouir. Ces chiffres nous donnent le nombre d’auteurs, mais ne nous informeront jamais sur le nombre de victimes, car, aujourd’hui encore, beaucoup d’entre elles se taisent.
Vous l’aurez compris, il nous reste encore beaucoup à faire pour que cessent les violences sexuelles et sexistes. L’adoption de ce projet de loi, à la suite de la réussite de la commission mixte paritaire, doit être considérée non pas comme une fin, mais comme un moyen, une arme supplémentaire dans l’arsenal législatif pour lutter contre ces comportements.
Dans sa grande majorité, le groupe du RDSE votera ce texte, qui constitue un progrès pour ce qui concerne la protection des victimes de violences sexuelles et sexistes, même s’il regrette qu’il ait été quelque peu affaibli au gré des deux lectures. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions. – MM. François Patriat et Daniel Chasseing applaudissent également.)