M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Oui !
M. Éric Bocquet. Le problème, c’est que cette fiscalité n’a souvent d’écologique que le nom ou le support et que son affectation est pour le moins sujette à caution.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est vrai !
M. Éric Bocquet. Je le sais pertinemment depuis que je participe aux travaux de cette assemblée, les recettes fiscales de l’État ont un caractère d’universalité qui ne souffre aucune contestation.
Sauf que l’affectation demeure possible, dans des conditions précises, et que cela arrive notamment avec les taxes sur la consommation énergétique.
Ainsi avons-nous un compte d’affectation spéciale « Transition énergétique » à l’intitulé séduisant et dont plus de 7 milliards d’euros de recettes, l’essentiel pour tout dire, est constitué d’un prélèvement de 39,75 % sur les recettes des taxes sur l’essence. Cela devrait réjouir quelques « gilets jaunes » ! (Sourires.)
Problème, voilà trois ans que ce compte d’affectation spéciale sert de « compte réservoir » – si je puis me permettre l’expression –, ce qui s’est traduit par le reversement cumulé de 1,8 milliard d’euros au budget général. La transition écologique s’est, une fois encore, inclinée devant les urgences de la petite cuisine budgétaire !
Chacun doit ici avoir en tête les données du problème. L’impôt sur les sociétés va rapporter, si tout va bien, environ 31,5 milliards d’euros en 2019, ce qui représente approximativement 1,3 % du PIB, pourcentage qu’on ne doit pas croiser très souvent chez nos partenaires européens.
Cette réalité fait litière du faux débat mené pendant des années sur le taux de l’impôt sur les sociétés, qui a surtout besoin d’une sacrée réparation d’assiette pour que les PME à vocation locale, régionale ou même nationale n’aient pas l’impression de payer plus que les grands groupes familiarisés avec les prix de transfert, le shadow banking – pardonnez-moi l’anglicisme – la finance de l’ombre, le « double irlandais » ou le roboratif « sandwich hollandais ».
De son côté, la TICPE, dont nous avons quelque peine à suivre les destinées maintenant qu’elle est affectée à des missions différentes, va dégager 37,7 milliards d’euros de recettes, hors taxes.
Si on ajoute la TVA induite, on se retrouve avec une recette fiscale de 45 milliards d’euros, c’est-à-dire une fois et demie l’impôt sur les sociétés, qui connaît tout de même un certain nombre d’exceptions stupéfiantes.
Certaines se comprennent, mais je dois dire que les plus récentes évolutions du tarif de la taxe posent question, notamment avec la fameuse contribution climat-énergie.
Sous l’analyse de l’article 9 de la loi de finances initiale pour 2018, notre rapporteur général indiquait : « Eu égard au caractère contraint de leur consommation énergétique et à leur faible capacité d’investissement en rénovation énergétique des logements ou en véhicules économes en énergie, les ménages ayant les revenus les plus faibles seront naturellement davantage impactés par une hausse de la fiscalité énergétique. »
C’est, du reste, la conclusion tirée par l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, dans une récente étude évaluant le programme présidentiel du Président de la République. L’OFCE a estimé l’impact selon les déciles de la composante carbone, en prenant pour hypothèse un prix de la tonne de carbone de 73 euros, soit un montant inférieur à la valeur de la tonne de carbone proposée par le Gouvernement pour 2021.
Selon lui, « l’impact selon les déciles de ménages varie d’un facteur 4 entre le premier – 1,8 % du revenu – et le dernier décile – 0,4 %. Les dépenses d’énergie de chauffage, considérées dans cette estimation comme incompressibles, contribuent fortement à ces disparités ».
On peut effectivement décider de continuer sans se poser de questions, mais il est évident que nous irions alors au-devant de graves difficultés.
Il y a de moins en moins de logique, mes chers collègues, à consacrer la TICPE à compenser aux collectivités locales, ce qui revient à leur faire payer une partie de la facture des fractures sociales, dans des conditions insatisfaisantes, le coût du revenu de solidarité active ou de la prise en charge de l’autonomie et de la dépendance.
Là où nous devrions solliciter la sécurité sociale, la solidarité et la mutualisation, nous sommes en situation d’accabler de taxes l’automobiliste ou le locataire.
La contribution climat-énergie n’est absolument pas consacrée à la moindre transition énergétique et son produit a, selon toute vraisemblance, alimenté quelques entreprises énergivores en allégements de cotisations sociales.
Et demain, plus elle augmentera, plus elle servira à maintenir des milliers de salariés au SMIC, puisque ce niveau de rémunération est désormais libéré de toute contribution dite « patronale » au financement de la sécurité sociale.
Nous avons pourtant bien d’autres choses à faire avec nos produits fiscaux, mais pas seulement.
Dans un rapport qui vient de sortir sur le projet de loi d’orientation des mobilités, le Conseil économique, social et environnemental recommande d’utiliser de manière exclusive et fléchée le produit des taxes sur la consommation énergétique en faveur de la mobilité.
Une telle idée ne nous semble pas dénuée d’un certain bon sens, même si elle nécessite de sérieuses adaptations de notre droit à la situation.
Une démarche budgétaire plus audacieuse et plus en phase avec les attentes du temps aurait dû conduire à renoncer au transfert de 36 milliards d’euros de TVA vers la sécurité sociale pour compenser l’attrition de ses ressources et s’attaquer aux 17 milliards d’euros restants de la TICPE afin de renforcer les politiques de transition.
N’en avons-nous pas besoin pour financer des plans climat-air-énergie territoriaux assortis d’objectifs précis en termes de réduction des déchets, de rationalisation de leur usage, d’investissement dans des véhicules non ou moins polluants ?
N’en avons-nous pas besoin pour financer des plans de déplacements doux, des réseaux de transport collectif dignes de ce nom, évitant les effets de centralité, source de rupture de charges et de baisse de la qualité ?
N’en avons-nous pas besoin pour promouvoir les circuits alimentaires courts, susceptibles de favoriser l’apprentissage du goût et de la qualité dès l’enfance, à l’école ?
N’en avons-nous pas besoin pour promouvoir un renforcement des réseaux ferrés, même à vocation locale ou régionale, source d’un aménagement du territoire plus équilibré, permettant le moindre recours au transport automobile ?
Aucun de ces enjeux, pas plus que les puissantes attentes sociales en matière d’emploi, d’action sociale, de logement, ne trouve grâce et place dans le projet de budget qui nous est soumis par le Gouvernement.
Cet attachement aux choix opérés en 2017, cette continuité affirmée et affichée, nous ne pouvons, eu égard à la situation profonde du pays, que vous inviter, mes chers collègues, à les rejeter en adoptant cette question préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Ne me tentez pas ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Ne cédez pas à la facilité !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Certains ont peut-être envie de leur week-end !
Je n’ai pas résisté au plaisir de lire l’objet de la motion : « Face aux attentes sociales et l’exaspération grandissante de la population devant la situation économique du pays, face aux enjeux fondamentaux que doit affronter notre pays, de par sa place en Europe et dans le monde, face aux questions de développement international équilibré, de transition énergétique et écologique, le projet de loi de finances 2019 n’apporte pas de réponses satisfaisantes, ni en termes de choix fiscaux, ni en matière d’affectation et d’utilisation de l’argent public. »
Je suis tenté de dire que je souscris assez largement à ces motivations. Nous n’avons cependant pas, vous vous en doutez, chers collègues, tout à fait la même conclusion.
Mme Éliane Assassi. Cela nous rassure !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous partageons avec vous un certain nombre d’appréciations sur ce projet de loi de finances et souhaitons donc très largement l’amender, comme nous l’avons fait l’année dernière. Or voter la motion tendant à opposer la question préalable nous priverait de la possibilité qui nous est offerte d’améliorer sensiblement le pouvoir d’achat des Français et la compétitivité du pays. Nous serions malheureusement empêchés de voter les amendements que vous proposent la commission des finances et différents groupes.
M. Roger Karoutchi. Ce serait dommage !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il serait dommage, en effet, de nous priver de cette possibilité d’expression. Nous souhaitons, comme nous l’avons fait l’année dernière, la saisir et proposer des économies crédibles.
À son grand regret, la commission des finances, qui souhaite la poursuite du débat, a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. On peut se passer de budget !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Non, monsieur le président de la commission des finances, le Gouvernement ne pense pas qu’on puisse se passer de budget ! J’ai écouté avec intérêt M. le sénateur Bocquet, qui est assez clair et cohérent avec la ligne qu’il a suivie l’année dernière et avec celle qu’ont défendue les députés communistes à l’Assemblée nationale.
En dehors du fait que nous ne partageons pas la plupart de vos analyses, même s’il nous arrive de nous rejoindre sur quelques constats ou conclusions – je pense, par exemple, à la fraude –, je crois, moi aussi, préférable que le Sénat puisse discuter, amendement par amendement et article par article, du projet défendu par le Gouvernement.
Je me permets d’inviter la majorité des sénateurs à entrer dans la discussion, qui portera sur plus de mille amendements. J’imagine qu’ils feront l’objet d’un long débat, intéressant et passionné, sur lequel le Sénat donnera un avis article par article, sujet par sujet.
M. Claude Raynal. Nous pouvons être d’accord sur ce point, monsieur le ministre !
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix la motion n° I-658, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2019.
Je rappelle également que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 24 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 16 |
Contre | 327 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. Didier Rambaud. Madame la présidente, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues : « C’est une maxime constante et reconnue dans tous les États du monde que les finances en sont la plus importante et la plus essentielle partie. C’est une manière qui entre en toutes les affaires, soit qu’elle regarde la subsistance de l’État en son dedans, soit qu’elle regarde son accroissement et sa puissance au dehors. »
Ces mots de Jean-Baptiste Colbert peuvent nous guider dans l’examen de ce projet de loi de finances. Ils doivent nous guider lors de nos débats, qui ne sauraient céder aux faiblesses susceptibles de surgir du besoin que nous aurions de nous faire des partisans en sacrifiant l’avenir au présent et les intérêts généraux aux requêtes particulières.
L’intérêt général de la France, c’est celui de la prospérité de tous les Français et de tous les territoires. Tel était déjà l’objet central du projet de loi de finances pour 2018, il est encore le cœur de ce projet de loi de finances pour 2019.
Les premiers textes financiers du Gouvernement mettent aussi en lumière la constance et la clarté des choix. Et nous pouvons, je le crois, y adhérer : les Françaises et les Français, les salariés comme les entrepreneurs, ont besoin de la visibilité et de la stabilité qui ont pu manquer par le passé. Cela nécessite une trajectoire fiscale claire.
Cette trajectoire est simple : elle passe par la baisse du taux de prélèvements obligatoires de un point et le financement des investissements productifs. Ces engagements sont concrets pour les Françaises et les Français, ainsi que pour les entreprises.
S’agissant des ménages, les impôts baissent en 2019 de 6 milliards d’euros, principalement grâce à la suppression progressive de la taxe d’habitation et à la suppression des cotisations chômage et maladie. Nous sommes tous ici élus locaux, nous savons que la suppression de la taxe d’habitation représentera pour les Français, plus de 22 milliards d’euros de baisse d’impôts, dont l’évolution sera entièrement compensée par l’État pour les communes.
M. Philippe Dallier. On ne sait pas trop comment !
M. Didier Rambaud. Il y a aussi un engagement concret en faveur des entreprises, avec la baisse à 25 % du taux de l’impôt sur les sociétés, pour remettre la France dans la moyenne européenne : il fallait le rappeler, nous étions leader en Europe du taux d’imposition des sociétés.
Il y a un choix, oui, celui d’alléger la fiscalité, avec des mesures fortes pour soutenir l’activité et l’emploi. La philosophie de notre groupe, La République En Marche, est assumée : elle vise l’inclusion de tous dans l’économie, car, la meilleure réponse à la pauvreté, c’est l’emploi.
Nous voulons qu’en France le travail paie, qu’il permette d’accroître la production de richesses et qu’il finance, autrement que par l’impôt et par la dette, les protections que nous devons à tous nos compatriotes, en particulier aux plus fragiles.
Je suis, comme vous tous, élu local. Les choix faits par le Gouvernement de clarté et de cohérence à destination des collectivités résonnent avec mon vécu. Cette année encore, la dotation globale de fonctionnement, la DGF, est sanctuarisée à 27 milliards d’euros. La dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL, est maintenue à son niveau de 2017, soit 570 millions d’euros. Cette dotation est pérennisée par le Gouvernement, alors qu’elle présentait à sa création un caractère exceptionnel, ne l’oublions pas. Le soutien à l’investissement sous toutes ses formes est maintenu à un niveau élevé. Il se déploie par la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR, la dotation politique de la ville, DPV, la DSIL. Les collectivités ont une visibilité sur leurs recettes et l’assurance de pouvoir gérer leurs budgets. Après cinq années de coupes sans discrimination entre communes pauvres et communes riches, c’est une nouveauté bienvenue.
Mes chers collègues, l’intérêt général de la France, c’est aussi changer notre modèle. Ce dernier repose sur la dépense publique financée par une dette qui frôle les 100 % du PIB. Le recul historique nous l’apprend avec clarté, quand il y a hausse des dépenses publiques, il y a hausse des impôts, hausse de la dette et baisse de la croissance.
Ainsi, la période marque la plus grande baisse des dépenses publiques depuis cinq quinquennats : cette année, les dépenses publiques stagnent à 0 % en volume. Le déficit public pour 2019 est de 1,9 % du PIB, en retranchant la bascule du CICE ; 1,9 % contre 3,4 % voilà vingt mois, quand l’exécutif, dont vous faites partie, messieurs les ministres, a commencé son travail. C’est un fait, votre action a permis à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif.
Conformément à la trajectoire votée par le Parlement, la dépense publique diminuera de trois points sur le quinquennat. Au regard des études économiques disponibles, ce rythme de consolidation budgétaire est le bon pour ne pas faire chuter la consommation privée et contraindre les ménages et les entreprises.
En d’autres termes, nous arrivons à un moment où nous devons nous interroger sur des choix collectifs et budgétaires : malgré une dépense publique la plus élevée d’Europe, peut-on estimer que nos services publics sont les meilleurs ? Qu’en pensent les enseignants, les juges, les policiers et gendarmes ?
L’État peut mieux faire, l’État doit mieux faire ! Mieux faire peut vouloir dire transformer les missions de l’État pour faire des économies, recentrer les actions, transformer le service public grâce au numérique. Mieux faire, c’est aussi répondre à l’enjeu de protection des Français. Le budget des armées connaît la plus forte augmentation de crédits depuis la guerre froide : l’effort pour nos armées sera porté à 2 % du PIB. C’était un engagement du Président de la République ; il est à présent concrétisé.
Protéger les Français signifie aussi renforcer nos forces de police et de gendarmerie. Cela commence par rattraper les 13 000 postes supprimés entre 2007 et 2012, mais cela signifie aussi repenser l’action de l’État pour la sécurité.
Prendre conscience de la responsabilité qui nous incombe au moment de discuter le budget de la Nation, c’est aussi ne pas sacrifier l’avenir au présent.
Nous pouvons nous imaginer Cyrus Smith, l’ingénieur né de l’esprit de Jules Verne, qui détourne un fleuve et maîtrise la nature, mais nous pouvons aussi imaginer, comme Simak, auteur de science-fiction, que, demain, l’Humanité ne sera qu’une légende dont parleront les chiens.
Nous avons un grand devoir à l’égard des générations futures. Nous autres parlementaires avons également deux choix : prétendre que la planète n’évoluera pas ou accompagner ce changement.
Ces changements sont concrets, tangibles. Ainsi, dans l’un de ses scénarios sur le monde en 2040 récemment dévoilé, l’Agence internationale de l’énergie prévoit qu’un véhicule sur deux dans le monde sera électrique.
Mes chers collègues, la sagesse du Sénat doit être au service de l’intérêt général et de la Nation. Notre groupe sera, en conséquence, attentif sur les propositions qui pourraient sacrifier l’avenir, qu’il s’agisse d’aggraver le déficit public par des mesures sectorielles, de flatter ou satisfaire l’ego de quelques secteurs au détriment de tous les Français qui devront payer,…
Mme Éliane Assassi. Ils paient déjà !
M. Didier Rambaud. … qu’il s’agisse, par exemple, de faire croire aux Français que l’environnement n’est pas un sujet,…
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. C’est un sujet !
M. Didier Rambaud. … lorsque 50 000 personnes par an meurent en raison de la pollution de l’air.
M. Jean-François Husson. Il s’agit de morts prématurées, c’est différent !
M. Didier Rambaud. Cette responsabilité est collective, le groupe La République En Marche l’assumera ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, selon les simulations menées à l’aide du modèle Ines, le revenu disponible moyen par ménage, en euros constants, serait, en 2016, inférieur de 1,2 % à son niveau de 2008.
Les réformes fiscales visant le redressement structurel des comptes publics engagé à la suite de la crise économique, la hausse du chômage et du temps partiel et les évolutions démocratiques sont sûrement des facteurs qui peuvent expliquer cette diminution.
Sans les réformes fiscales intervenues entre 2008 et 2016, le revenu disponible moyen des ménages aurait été supérieur de 1,4 % en 2016. Les effets de ces réformes diffèrent selon la place des ménages dans la distribution des niveaux de vie.
Les ménages les plus aisés – mais c’est bien le minimum – ont été les plus mis à contribution : les 5 % du haut de la distribution ont vu leur revenu disponible annuel diminuer de 5 640 euros sous l’effet des mesures nouvelles concernant les prélèvements – hausse des cotisations sociales, création d’une tranche d’impôt sur le revenu à 45 %, imposition au barème de l’impôt sur le revenu des revenus du capital, etc.
Les ménages les plus modestes ont bénéficié de la politique sociale et des amortisseurs sociaux encore existants : les 5 % les plus modestes ont vu leur revenu disponible annuel s’accroître de plus de 450 euros et les 5 % de la tranche au-dessus l’ont vu s’accroître de 890 euros du fait des réformes des prestations – revalorisation des minima sociaux, création de la prime d’activité, etc.
Messieurs les ministres, les réformes des prestations et prélèvements mises en œuvre en 2017 ont, à nos yeux, un impact quasi nul sur les inégalités de niveau de vie.
Ce que je viens de citer ici, mes chers collègues, ne pouvait figurer dans le document de présentation du budget pour 2019, puisque ces lignes sont issues d’une fort instructive note d’actualité de l’INSEE, publiée avant-hier.
Si elle ne réhabilite pas – loin de là ! – les politiques du précédent quinquennat, elle témoigne, en revanche, que les quelques garde-fous encore préservés pour freiner l’aggravation des inégalités sociales ont sauté en 2017, avec ce que nous appelons l’avènement d’une course folle vers un ultralibéralisme sans limites.
Oui, c’est bien un nouveau projet de société qui est à l’œuvre, encore plus violent pour les salariés, pour les familles populaires et les classes moyennes, un projet toujours plus protecteur pour les actionnaires des grandes entreprises et pour les marchés financiers.
Ainsi, si l’on compare la première année du précédent quinquennat, largement rejeté par les milieux populaires, et la première année du quinquennat en cours, c’est-à-dire les lois de finances initiales pour 2013 et 2019, il semble bien que quelques données ont évolué et qu’elles n’ont certainement pas contribué à améliorer la situation de la grande majorité de nos compatriotes.
Dans la loi de finances pour 2013, on avait ainsi prévu, entre autres, de percevoir les recettes suivantes : pour l’impôt sur le revenu, 72,8 milliards d’euros ; pour l’impôt sur les sociétés, 52,3 milliards d’euros, malgré le CICE ; pour la TVA, 141,8 milliards d’euros ; pour la TICPE, 13,8 milliards d’euros. Et nous avions une prévision de 85,2 milliards d’euros en remboursements et dégrèvements d’impôts d’État et de 10,9 milliards d’euros pour les impositions locales.
Devenu sénateur et rapporteur de la mission « Remboursements et dégrèvements », je me devais de le souligner.
La part de la fiscalité indirecte était déjà importante dans l’ensemble des recettes, mais il n’en demeure pas moins que la situation n’était pas celle d’aujourd’hui.
Dans le projet de loi de finances pour 2019, nous avons une prévision ainsi fixée : pour l’impôt sur le revenu, 70,5 milliards d’euros ; pour l’impôt sur les sociétés, 31,5 milliards d’euros ; pour la TVA nette, 166,9 milliards d’euros, très fortement impactée par le transfert de plus de 36 milliards euros pour compenser les allégements sociaux ; pour la TICPE, 17 milliards d’euros. Par ailleurs, le montant des remboursements et dégrèvements continue son ascension.
Ainsi, les correctifs sur impôts d’État vont atteindre 116 milliards d’euros et il est possible que les allégements divers frappant les impositions locales atteignent les 20 milliards d’euros.
Sur les crédits très approximatifs ainsi ouverts, on peut cependant noter, ce qui est un signal clair quant au projet de société vers lequel on nous propose d’aller, que 100 milliards d’euros sont fléchés vers les entreprises, 17,5 milliards vers les ménages et environ 13,5 milliards vers les collectivités locales.
Quand on regarde l’évolution des recettes fiscales, on constate l’effondrement du produit de l’impôt sur les sociétés, celui-ci se situant à environ 1,3 % du produit intérieur brut. Pour dire les choses simplement, cela représente quatre jours et demi de production, c’est-à-dire de travail des salariés. C’est un peu comme si les entreprises de notre pays commençaient l’année 2019 en se disant que, dès le 6 janvier, elles auraient fini de payer l’impôt sur les sociétés !
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. Pascal Savoldelli. En revanche, nous constatons la persistance de la fiscalité indirecte, avec un niveau exceptionnellement élevé de recettes de TVA et de fiscalité énergétique. Arrêtons-nous un instant sur la TVA, qui est l’impôt le plus injuste – il faut regarder les gens modestes et les pauvres en face lorsque l’on parle de la TVA –, et sur les 53,5 milliards d’euros de remboursement aux entreprises et les 36,3 milliards d’euros qui viendront combler le trou béant laissé par la pérennisation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Ce ne sont ni plus ni moins que 90 milliards d’euros de TVA brute « ristournée ». Et l’on nous parle de panne d’argent et de dette publique !
Les ménages salariés, retraités et autres de notre pays vont donc, mes chers collègues, laisser 60 milliards à 65 milliards d’euros en 2019 en ristourne aux actionnaires des entreprises. C’est l’équivalent d’un impôt invisible de 1 500 euros par ménage et par an !
Messieurs les ministres, ce que vous allez offrir aux Français, c’est une forme d’enfer fiscal, où les bases d’imposition vont, contre toute logique économique, s’éloigner de la sphère de la production pour se concentrer sur les revenus, inégalitaires, et la consommation sous toutes ses formes.
En lieu et place d’un impôt sur le revenu plus progressif, comme nous le demandons, avec une augmentation du nombre de tranches et une modification des taux, nous aurons, demain, un impôt sur le revenu rendu moins progressif par le traitement de faveur accordé aux revenus du capital et du patrimoine, dont la CSG, transformée en impôt de base, sera l’élément le plus dynamique.
N’allez-vous pas, messieurs les ministres, consolider la dette sociale au sein de la CADES pour en confier le règlement aux salariés et aux retraités, qui sont, eux, soumis à la CSG et à la CRDS, cette contribution dont on parle si peu ?
Qui plus est, nous aurons, à n’en pas douter, de nouveaux droits de consommation sur les alcools, le tabac, les boissons gazeuses, les boissons avec édulcorants, la consommation en général, l’utilisation de l’air (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste), le recours à l’énergie et aux carburants, etc.
Voilà cinq ans, mon ami Éric Bocquet, évoquant ici même notre opposition à la mise en place de la contribution climat-énergie, soulignait : « Derrière l’article 20 se cache un nouvel alourdissement de la fiscalité indirecte pour les ménages à hauteur de 230 millions d’euros dès 2014, et de 2,7 milliards d’euros en 2016.
« Le prix du plein d’essence ou de gazole, la facture de chauffage au gaz ou au fioul vont augmenter sans que les intéressés puissent y faire grand-chose.
« La grande remise à plat de notre système fiscal ne pourra ignorer la situation des familles contraintes d’utiliser leur véhicule personnel pour aller travailler ou dont les logements collectifs sont chauffés grâce au fioul ou au gaz.
« L’article 20 nous éclaire sur le sens de certaines réformes fiscales : avant deux ans, compte tenu de la montée en charge de sa composante carbone et des pleins effets du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, la TICPE va se transformer en recette fiscale plus importante que l’impôt sur les sociétés. Une telle logique nous déroute quelque peu.
« En effet, le produit de cette hausse sera affecté non pas à la transition écologique, mais à la réduction des cotisations sociales des entreprises dans le cadre du trop fameux CICE.
« Les rôles sont donc clairement partagés : d’un côté, les entreprises collectent l’impôt et le facturent en dernier ressort au consommateur avant de percevoir le produit du CICE, de l’autre, les consommateurs ont le droit de payer le tout directement ou indirectement, sans espérer autre chose qu’un hypothétique mouvement d’embauche dans le secteur privé.
« Nous ne pouvons évidemment que proposer la suppression de cet article, qui pervertit totalement le bien-fondé de la fiscalité écologique et témoigne, une fois encore, du fait que l’approche fiscale des problèmes environnementaux n’est pas la bonne. »
Ces propos ont été tenus en 2014 et ils sont encore d’actualité ! Si j’ai jugé utile ce rappel, c’est que nous sommes en des temps où les amalgames faciles nourrissent l’antiparlementarisme le plus éculé…