M. Roger Karoutchi. Heureusement que nous étions là !
Mme Éliane Assassi. … le concept de conditions pour exercer le droit d’amendement rappelé dans l’article 44 de la Constitution.
L’article 45 rappelle, quant à lui, la possibilité, en première lecture, de déposer des amendements ayant un lien, certes, mais même indirect – j’insiste sur ces termes –, avec le texte en discussion.
Sur le site internet du Sénat, on trouve le rappel de l’alinéa 1er de l’article 45 de la Constitution au sujet des cavaliers législatifs : « Tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. » Le site précise aussi que, pour apprécier l’existence d’un lien direct ou indirect, il convient, comme l’a fait le Conseil constitutionnel, de recourir à la technique du faisceau d’indices. Les indices ou les références sont au nombre de trois : l’intitulé, l’exposé des motifs et l’objet du texte.
Mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des affaires sociales, pouvez-vous maintenir que proposer de débattre des modalités de financement, sans créer de dépenses supplémentaires, bien entendu pour respecter l’article 40 de la Constitution que nous combattons par ailleurs, n’a pas de lien indirect et ne répond pas au faisceau d’indices évoqués ? Tout cela n’est pas sérieux !
Nous assistons à un coup de force. Nous ne pouvons croire que « la trêve des confiseurs » serait la justification d’une violation de la Constitution. Vous ne voulez, ni au Gouvernement ni à la droite de l’hémicycle, de ce débat, car il touche au fondement de votre politique : imposer, maintenir coûte que coûte l’injustice fiscale et sociale. Vous concédez quelques mesurettes qui, pour ceux qui n’ont rien, apporteraient évidemment un très maigre réconfort pour mieux préserver l’austérité.
Solennellement, je vous appelle, en cette fin de journée, à la responsabilité. Un vent se lève dans notre pays, et ne croyez pas qu’il va perdre de sa force dans les jours à venir. Votre responsabilité, notre responsabilité est grande pour ouvrir nos institutions au débat, aux citoyens, pour répondre à cette attente formidable. Si vous décevez cette attente par des mesures de cadenassage comme aujourd’hui, vous devrez répondre demain d’un discrédit définitif de notre Parlement.
Monsieur le président du Sénat, levez les irrecevabilités décidées, il y va de la crédibilité et de la dignité de notre assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je veux souligner le travail absolument remarquable effectué par Mme Assassi et les membres du groupe CRCE pour reprendre l’ensemble des articles de notre règlement et les interpréter. Pour ma part, je citerai l’article 48, qui dispose, en son alinéa 3, que « les amendements sont recevables s’ils s’appliquent effectivement au texte ». Or vos amendements, madame Assassi, ne s’appliquent pas effectivement au texte. Ils vont bien au-delà. Voilà pourquoi j’ai parlé d’irrecevabilité en commission.
Pour ce qui concerne la motion, la commission a émis un avis défavorable en s’appuyant sur un argument que vous aviez vous-même développé lorsque, nous, nous avions déposé une question préalable dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Vous nous disiez : nous devons débattre. Comme vous, madame Assassi, nous souhaitons débattre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Le Gouvernement émet un avis défavorable pour la même raison : le débat doit avoir lieu.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je vous remercie de m’avoir cité, madame Assassi. Cela fait toujours bien de figurer dans le compte rendu. (Sourires.)
Remettons les pendules à l’heure.
Premièrement, les articles 40 et 41 de la Constitution s’appliquent à tous : groupe communiste, groupe Les Républicains ou groupe Union Centriste.
Deuxièmement, en 2008, vous l’avez rappelé, est intervenue une réforme de la Constitution. Je vous le dis, cette réforme a accru les pouvoirs du Sénat. Je pense au droit d’amendement, notamment pour les groupes minoritaires et les groupes d’opposition, ou au travail des commissions. Elle a aussi prévu, comme nous en avons fait usage lors de la crise financière et bancaire, l’extrême urgence. D’ailleurs, en 2008, on a pu sauver le système financier français précisément en recourant à cette extrême urgence. Il y a eu une réunion à l’Élysée avec le Président Sarkozy – le fameux Président Sarkozy –…
Mme Éliane Assassi. Sarkozy, le retour !
M. Roger Karoutchi. … et tous les groupes du Sénat et de l’Assemblée nationale, groupes communistes compris. Le président du groupe communiste à l’Assemblée nationale et le président du groupe communiste au Sénat ont été d’accord, tout en décidant de ne pas voter le texte, pour reconnaître l’extrême urgence.
Le Parlement représente l’ensemble des citoyens. Il lui faut du temps pour bien faire la loi,…
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas le cas ici !
M. Roger Karoutchi. … comme le souhaite régulièrement le président Larcher, mais, quand il y a urgence, quand des décisions doivent être appliquées au 1er janvier, personne en France ne comprendrait que le Parlement bloque, personne en France ne comprendrait que nous fassions de la politique politicienne pour empêcher ces mesures de s’appliquer.
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas le sujet !
M. Roger Karoutchi. Nous pourrons discuter lors du collectif budgétaire. Nous-mêmes, nous ne sommes pas forcément d’accord sur tout, et nous aurions souhaité d’autres mesures. Mais, pour l’heure, les Français, que vous défendez, que nous défendons, attendent.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas le sujet de la motion !
M. Roger Karoutchi. Nous ne pouvons pas leur dire : « Attendez janvier quand on rentrera. »
Les Français ont des droits. Nous aussi, mais nos droits sont parfaitement respectés. L’extrême urgence est une donnée que doit prendre en compte le Parlement. Si nous n’agissions que dans les temps réglementaires, nous serions très critiqués pour être décalés par rapport aux attentes de nos concitoyens. Les Français valent bien ça ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Alain Fouché applaudit également.)
Mme Éliane Assassi. Nous vous avons connu plus brillant !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Les explications de M. Karoutchi ne valent pas arguments contre ce qu’a développé Éliane Assassi, puisque cela n’a pas de rapport.
Quand on nous dit que le texte du Sénat doit être conforme à celui de l’Assemblée nationale, où est notre rôle ?
M. Jean Bizet. Dans la responsabilité !
Mme Laurence Cohen. Les sénateurs et les sénatrices devraient suivre ce qui a été décidé à l’Assemblée nationale, où une majorité de députés vote sans broncher tout ce que propose le Gouvernement, parce qu’il y a urgence ? Ce serait une remise en cause du droit des parlementaires que nous sommes et, surtout, du travail que nous avons effectué, mes chers collègues.
Si ces mesures d’urgence n’apparaissent pas dans un ciel serein – des mouvements comme celui des « gilets jaunes » le montrent –, il faut rappeler le travail que nous avons réalisé ici, dans l’hémicycle, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances. À ce moment-là, mesdames les ministres, nous vous avions alertées – du moins les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste l’avaient fait – sur la nécessité de modifier vos orientations politiques. Vous ne nous aviez pas écoutés. Maintenant, vous venez nous parler de mesures d’urgence qui, on l’a vu et on le constatera, ne font pas le compte par rapport aux attentes. Voilà la problématique !
Notre motion d’irrecevabilité est un geste fort pour dire au Gouvernement que les parlementaires ne sont pas aux ordres ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 15, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Je rappelle également que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. Madame la présidente Assassi, nous avons en commun un profond attachement au droit d’amendement – je pense l’avoir prouvé.
Mme Éliane Assassi. Pas ici !
M. le président. Pour autant, force est de constater que, concernant les irrecevabilités constitutionnelles, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est de plus en plus sévère. Le texte ÉGALIM nous l’a montré.
En 2015, le groupe de travail, dont les rapporteurs étaient Roger Karoutchi – encore lui ! (Rires.) – et Alain Richard, avait appelé à une application plus stricte des irrecevabilités constitutionnelles, ce qui n’exclut pas de faire preuve de discernement. Si le texte portant réforme constitutionnelle vient en discussion, madame Assassi, nous pourrons reprendre une partie de vos arguments pour converger ensemble dans la défense absolue du Parlement. En effet, ce qui est aussi en cause aujourd’hui, globalement, c’est le Parlement, la démocratie représentative, ce qui n’exclut pas l’écoute des citoyens. C’est ce dont nous aurons à débattre ultérieurement.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a bien peu de doute sur l’issue de nos travaux de ce jour. Ainsi que l’a d’emblée annoncé le président Gérard Larcher, le Sénat devrait adopter le projet de loi qui nous est soumis, comme l’a adopté, ce matin, la commission des affaires sociales.
Nous avons la volonté, très ferme et très claire, de l’apaisement. Ces dernières semaines ont été difficiles et, dans ce déferlement de colère qui a secoué le pays, n’en déplaise aux apôtres de la violence politique, je lis plus d’autodestruction que d’élan créateur.
M. Roger Karoutchi. Eh oui, malheureusement !
M. Alain Milon. La France, que nos voisins jugent arrogante et moquent gentiment comme la « grande nation », est rongée par le doute et, pour emprunter le mot du poète Pessoa, par « l’intranquillité ».
M. Bruno Retailleau. Tout à fait !
M. Alain Milon. L’élan collectif semble brisé, la fierté d’un certain modèle, envolée, la possibilité d’un avenir meilleur, évanouie.
Nous connaissons bien, tous, ce paradoxe qui fait voisiner dans notre pays une relative satisfaction individuelle et la déprime collective. Nous l’entendons souvent, cette idée que le pays se perd, que la situation ne pourrait être pire, qu’il faudrait alors précipiter les choses et tout jeter aux orties. Tout cela, dont rien n’est, malheureusement, très nouveau, s’exprime souvent dans nos départements.
Quelque chose, pourtant, s’est déclenché ces dernières semaines.
Tout en étant humble dans les explications avancées, tant le mouvement à l’origine de nos travaux est hétérogène et composite, je voudrais évoquer trois éléments.
Le premier, c’est l’extrême sensibilité fiscale à laquelle nous sommes parvenus : le poids des prélèvements et leur raffinement de complexité alimentent la méfiance et le sentiment d’injustice. Dans ce contexte, le bouleversement auquel s’est livré le Gouvernement avec l’augmentation de la CSG a nourri une exaspération bien présente.
Le deuxième élément, c’est la délicate promesse, associée à ces changements fiscaux, du pouvoir d’achat. Le pouvoir d’achat dépend, vous le savez, de multiples facteurs : la durée du travail, la taille de la famille ou encore le lieu d’habitation. Durant la période récente, nous savons par exemple que le pouvoir d’achat a augmenté, mais, la taille des familles ayant diminué, cette augmentation ne se traduit pas concrètement pour tous.
Le pouvoir d’achat – faut-il le rappeler ? – dépend avant tout de l’emploi et l’emploi de la croissance, qui nous fait si cruellement défaut depuis dix ans. Au vu de l’état de nos finances publiques, le pouvoir d’achat distribué par l’État, ce sont, mes chers collègues, des impôts ou de la dette, c’est-à-dire, à terme, la même chose.
Avoir mis le doigt dans cet engrenage par des promesses inconsidérées était donc, pour le Gouvernement, à tout le moins hasardeux et le restera, sans doute, encore plus dans les mois à venir, car si nous avons vécu les « gilets jaunes », un peu les « habits bleus », nous vivrons peut-être, par la suite, les « gilets blancs » ou autres. Nous devons être très attentifs à tout cela.
Le troisième élément que je voudrais souligner, c’est le style et certains propos de l’exécutif, dont les effets ravageurs ont été sous-estimés, mais que nous payons aujourd’hui au prix fort. René Char, poète qui m’est cher, évoquait « l’hémophilie politique de gens qui se pensent émancipés. Combien sont épris de l’humanité et non de l’homme ! Pour élever la première, ils abaissent le second ». Certains de nos concitoyens se sont sentis abaissés, et ce sentiment, bien plus que l’insuffisance de revenus, est difficile à réparer.
Alors, oui, nous voterons ce texte s’il peut contribuer à l’apaisement, sans enthousiasme cependant. Certes, les mesures que le Gouvernement propose – la défiscalisation des heures supplémentaires, la CSG des retraités – ont, pour certaines, été proposées, voire adoptées par notre assemblée, mais elles l’ont été dans le cadre cohérent des textes financiers, avec le souci d’en respecter les équilibres et la vision d’ensemble.
Le Parlement vient de voter un projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont l’équilibre proclamé était inédit depuis deux décennies.
À la différence de ce que vous avez dit en commission des affaires sociales, mesdames les ministres, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un débat technocratique. Ce que l’on appelle familièrement le « trou de la sécu » parle à nos concitoyens. Le fait que, depuis vingt ans, en dépit des hausses d’impôt et de cotisations, notamment de retraite, l’équilibre ne soit pas atteint alimente la méfiance et la crise de confiance dans l’action publique. C’est pourquoi la commission des affaires sociales s’est élevée contre la ponction anticipée des excédents à venir de la sécurité sociale et c’est pourquoi elle demande que la règle de compensation s’applique aux mesures que l’on pourrait qualifier de nouvelles niches fiscales et sociales qui nous sont proposées. Je rappelle au passage que les exonérations de TEPA étaient compensées.
La commission s’est également opposée à la sous-indexation des prestations sociales, mesure de bouclage budgétaire, qui est pour nous un dysfonctionnement. Nous aurions souhaité être entendus.
Les annonces présidentielles ont été entourées d’une certaine confusion. Tout en comprenant le choix de la prime d’activité dans un contexte où la lutte contre le chômage, lequel est encore beaucoup trop élevé, doit rester notre premier combat et où les entreprises n’ont pas restauré leur situation financière d’avant la crise, les annonces de montants nets risquent de susciter bien des déceptions.
Alors, oui, nous adopterons ce projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales. Avons-nous, mes chers collègues, réellement le choix après ce qui vient de se passer ? Cela étant, à nos concitoyens, à nos mandants, nous devons non seulement l’écoute et l’empathie, mais aussi le respect et la vérité. La confiance dans l’avenir ne viendra pas de ce panier de mesures, mais de l’investissement dans la santé, l’éducation et la formation, conditions sine qua non de l’émancipation sociale. Pour restaurer la confiance, le travail sera long et il exige les efforts de tous. Je forme le vœu que l’environnement international, bien incertain en ce moment, nous en laisse le temps et les marges d’action. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe La République En Marche. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 1985, il y a plus de trente-quatre ans, Coluche lançait les Restos du cœur pour apporter aux personnes démunies des repas gratuits. En 1995, il y a plus de vingt-quatre ans, le candidat à la présidence de la République, M. Jacques Chirac, nous parlait de la fracture sociale de notre société. Aujourd’hui, des hommes et des femmes démunies, victimes de cette fracture sociale, se mobilisent.
Des Françaises et des Français, des femmes et des hommes en colère, en souffrance, revêtent une chasuble haute visibilité pour être vus, mais, surtout, pour être entendus. Ce mouvement regroupe des milliers de travailleurs et de retraités, modestes, qui ne s’y retrouvent plus. Ce sont les « gilets jaunes ». Des décennies de politiques ont cherché à soigner. Elles n’ont pas guéri pour autant. Aujourd’hui, les plaies sont béantes. Il nous appartient de les soigner.
À cet égard, il n’est plus l’heure de se rejeter la faute. Il n’est plus l’heure de se dédouaner sur tel ou tel parti, sur tel ou tel gouvernement. Les « gilets jaunes » méritent mieux. L’heure est venue d’assumer, d’assumer en dépassant toutes les sensibilités politiques, quelles qu’elles soient. L’heure est venue de reconnaître que le désespoir et la détresse de ces Français modestes ne datent pas d’aujourd’hui, ni d’hier, mais d’avant-hier, et que tous les gouvernements, le nôtre y compris, qui se sont succédé ces quarante dernières années n’y ont pas fait suffisamment face.
Aujourd’hui, mes chers collègues, le projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales, que nous nous apprêtons à examiner, apporte des réponses concrètes, visibles, à celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Il s’agit là de premières réponses. Elles devront être suivies par d’autres, en particulier grâce au grand débat national qui sera lancé en janvier 2019. Bien que ce deuxième temps soit essentiel et incontournable, il nous faut, au préalable, répondre à l’urgence sociale, que le mouvement des « gilets jaunes » a mise en pleine lumière.
Il nous appartient d’apaiser pour mieux soigner. Il nous appartient d’apaiser pour mieux panser. Si nous échouons, nous ne pourrons éloigner le tumulte et la fureur qui ont vu le jour en marge de ce mouvement et qui s’échinent à le disloquer et à le dévoyer.
Ce projet de loi reprend les mesures annoncées par notre Président de la République, M. Emmanuel Macron. Il comporte quatre mesures substantielles, dont les deux premières sont d’ordre social.
La première mesure sociale figure à l’article 4 du projet de loi, dont je précise qu’il prévoit un rapport relatif à la prime d’activité : cette prime sera augmentée pour les travailleurs les plus modestes. À ce titre, l’État assume pleinement son rôle social, en choisissant d’instaurer une hausse immédiate de 90 euros au travers de la revalorisation réglementaire de la prime d’activité. En tenant compte de la hausse du SMIC, nous arrivons à 100 euros nets. Concrètement, grâce à cette mesure, le nombre de foyers pouvant bénéficier de la prime d’activité passera de 3,8 millions à 5 millions, et ce dès le 5 février 2019.
Par exemple, un salarié célibataire sans enfant recevra 100 euros de plus jusqu’à 1 560 euros nets de revenus mensuels. Une mère célibataire avec un enfant, touchant jusqu’à 2 000 euros nets par mois, percevra, elle aussi, 100 euros de plus.
En procédant ainsi, le Gouvernement ne cible pas seulement les bénéficiaires du SMIC : il répond à un panel beaucoup plus large de personnes modestes. Il s’agit bien là d’une réponse sociale et éthique donnée aux travailleurs les plus modestes. Elle doit engendrer la confiance.
J’en viens à la seconde mesure sociale. L’effort que nous avions demandé aux retraités par le biais de la CSG était trop important.
M. Martin Lévrier. Nous nous sommes trompés, nous l’assumons.
Mme Laurence Rossignol. « J’assume », c’est le nouveau credo…
M. Martin Lévrier. L’article 3 permet un retour au taux de 6,6 % jusqu’à 2 000 euros nets de pension pour un retraité célibataire. Ainsi, 70 % des foyers de retraités ne seront plus concernés par le taux maximal de la CSG.
Les deux autres mesures répondent à une urgence économique. À cet égard, il est essentiel que l’entreprise prenne, elle aussi, sa part de responsabilité.
Durant les dix-huit derniers mois, nous avons permis aux entreprises de se stabiliser, de reconstituer leurs marges et de redevenir compétitives sur la scène internationale. Elles ont sauvegardé les emplois, réinvesti ; mais les embauches balbutient et les augmentations de salaire tardent. À l’évidence, le mouvement est lent et ne répond pas à l’urgence sociale du moment : on constate un vrai décalage.
Cependant, nous demeurons convaincus qu’une nation ayant un tissu d’entreprises qui se porte bien permet à tous de mieux vivre ensemble. En 2019, l’État maintient ce cap : le CICE sera supprimé et remplacé par l’allégement des cotisations. Cette mesure représente, pour le budget de l’État, un coût supplémentaire de 21 milliards d’euros.
M. Fabien Gay. Qui va payer ?
M. Martin Lévrier. L’ensemble de ces mesures doit permettre de faire partager une nouvelle responsabilité sociale aux entreprises.
M. Fabien Gay. Ah !
M. Martin Lévrier. C’est le sens des articles 1er et 2 du présent texte.
Ainsi, au travers de l’article 1er, qui traduit ce nouvel état d’esprit, nous invitons les entreprises à verser une prime exceptionnelle défiscalisée à leurs salariés. Plus concrètement, cet article prévoit le versement d’une prime de fin d’année pouvant aller jusqu’à 1 000 euros, pour les salariés gagnant jusqu’à 3 600 euros par mois, sans charges ni impôt sur le revenu,…
M. Fabien Gay. Allez les pauvres !
M. Martin Lévrier. … ce qui est inédit.
En outre, par son article 2, le projet de loi exonère de charges salariales et d’imposition sur le revenu les heures supplémentaires, plafonnées à 5 000 euros nets par an. Le gain de pouvoir d’achat sera d’environ 500 euros nets pour une personne rémunérée 1 500 euros nets et faisant deux heures supplémentaires par semaine.
Mes chers collègues, ce projet de loi permet aujourd’hui à l’État de remplir son rôle social (M. Fabien Gay s’esclaffe.), en redonnant aux travailleurs et aux retraités modestes la capacité d’aller de l’avant : tel est l’objet de ses articles 3 et 4.
Dans le même temps, le Gouvernement aurait pu renoncer à ses promesses qui permettent aux entreprises de retrouver le chemin de la croissance, en supprimant provisoirement la bascule du CICE vers la réduction des charges. Dès lors, le déficit de l’État aurait été bien en deçà des 3 %. Il ne le fait pas, car les entreprises doivent s’emparer de leur rôle social, et non uniquement de leur rôle capitalistique. (Exclamations sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
C’est le sens de la responsabilité sociale des entreprises, la RSE, dans le cadre du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises, ou projet de loi PACTE ; c’est le sens des incitations que garantissent, dès à présent, les articles 1er et 2 du présent texte, lesquels donnent immédiatement du pouvoir d’achat supplémentaire aux salariés modestes.
Ce sont les entreprises, et elles seules, qui sont en capacité de définir la juste rémunération du travail et de relancer, avec nous, l’ascenseur social. C’est pourquoi, dans cette confiance renouvelée, nous voterons ce projet de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, mesdames, monsieur les ministres, mes chers collègues, lors de son allocution du 16 octobre dernier, le Président de la République avait annoncé qu’il refusait de se soumettre et de changer de politique. Or, deux mois plus tard, et après une très large mobilisation populaire dans l’ensemble du pays, M. Emmanuel Macron a dû, pour la première fois depuis son élection, reculer sur les mesures fiscales de taxation de l’énergie et accepter de faire quelques concessions sociales.
Alors que les nombreuses luttes sectorielles menées dans les hôpitaux ou les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, celles des mal-logés, des retraités, des étudiants ou encore des collectivités se heurtaient toutes à une fin de non-recevoir, le mouvement des « gilets jaunes » a su, pour une part, fédérer les luttes. Il a démontré qu’il était possible d’ouvrir une brèche dans la politique jupitérienne.
On aurait pu espérer que le Gouvernement sorte davantage et plus tôt de sa bulle dorée pour se rendre compte de la réalité du sentiment d’injustice, qui, à juste titre, traverse notre pays. Malheureusement, il n’en est rien.
Le cahier de doléances des « gilets jaunes » était pourtant très clairement articulé autour de mesures en faveur du pouvoir d’achat – hausse des salaires, SMIC à 1 300 euros nets par mois, augmentation des pensions de retraite – et de mesures en faveur de la justice fiscale, en particulier le rétablissement de l’ISF et la suppression du CICE, pour faire en sorte « que les gros payent gros et que les petits payent petit ».
M. Macron, le président de la finance, a refusé de revenir sur sa politique de cadeaux fiscaux sans contrepartie aux plus fortunés et aux grosses entreprises. Il a maintenu la flat tax et la suppression de l’ISF, alors que la majorité des Françaises et des Français y est opposée.
Pourtant, mesdames, monsieur les ministres, les injustices sont flagrantes dans notre pays et elles ne sont plus supportables. Il n’est plus supportable que le PDG de LVMH gagne en une journée ce qu’un salarié moyen de son entreprise gagne en plus d’un an ou que le PDG de Carrefour gagne 553 fois le SMIC.
M. Jean Bizet. Ce n’est pas la même compétence !
Mme Laurence Cohen. Les richesses produites dans notre pays sont gigantesques. Pourtant, elles ne profitent qu’à une extrême minorité : les actionnaires du CAC 40.
Le Gouvernement a refusé de s’y attaquer. Il a préféré les pseudo-solutions que sont la défiscalisation des heures supplémentaires, la fausse hausse du SMIC, financée par les contribuables, la prime exceptionnelle sans impôt ni contribution jusqu’à 1 000 euros et le rétablissement du taux de CSG antérieur en 2019.
La majorité des groupes du Sénat était opposée à la hausse de la CSG infligée aux retraités modestes. Mais il aura fallu attendre le 10 décembre dernier pour que le Président de la République reconnaisse lui-même que la mesure était injuste ; et la prise de conscience de M. Macron est restée bien relative, puisque la hausse de la CSG est simplement annulée pour une partie des retraités, et uniquement pour 2019 !
La droite sénatoriale avait fait voter le recul de l’âge de départ à la retraite pour compenser cette hausse. Notre groupe, lui, s’y était opposé. Il avait fait d’autres propositions de financement, notamment en mettant à contribution les revenus financiers des grandes entreprises.
Pour ce qui concerne le SMIC, les annonces qui ont été faites sont une véritable escroquerie. Le Gouvernement a finalement décidé d’augmenter la prime d’activité de 90 euros. Cette mesure a été présentée comme une hausse de salaire par le Président de la République. Mais, alors qu’une hausse du SMIC bénéficierait à tous les salariés, la prime d’activité concerne seulement les salariés gagnant moins de 1 500 euros nets par mois, pour une personne seule, et 2 200 euros nets, pour un couple.
En outre, afin d’en bénéficier, il faudra se rendre dans les agences de la CAF pour accomplir diverses démarches et réactualiser sa situation tous les trois mois !
Enfin, cette prime est limitée, puisqu’elle ne concernera pas les fonctionnaires. Or 40 % d’agents publics sont au niveau du SMIC ; dans la fonction publique territoriale, ce taux approche même les 75 %.
La défiscalisation et la désocialisation des heures supplémentaires, présentées comme un gain annuel de 155 euros, constituent, elles aussi, un leurre. En réalité, en incitant les salariées et les salariés à effectuer plus d’heures supplémentaires, l’on provoquera une augmentation de la durée du temps de travail au détriment de l’emploi. L’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, estime ainsi que 19 000 emplois seront supprimés d’ici à 2020, et que le taux de chômage s’en trouvera augmenté de 0,1 point.
En outre, madame la ministre des solidarités et de la santé, comment cette mesure va-t-elle bénéficier aux personnels soignants et non soignants des hôpitaux et des EHPAD, alors qu’ils voient leurs heures supplémentaires exploser sans contrepartie financière et sans possibilité de récupération ?
J’ajoute que vous taisez un point essentiel : les heures supplémentaires désocialisées et défiscalisées en vertu de la dernière loi de financement de la sécurité sociale et de ces mesures d’urgence vont mettre en péril les recettes de la sécurité sociale et de notre système de retraites.
Je le disais déjà lors du débat consacré au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, et je persiste : « En utilisant le budget de la sécurité sociale pour réduire le déficit de l’État, votre gouvernement se livre au plus grand hold-up du siècle. » Vous pourrez utiliser à loisir les ressources de la sécurité sociale, payées par les assurés sociaux, pour renflouer les caisses de l’État.
Enfin, il est regrettable que la prime exceptionnelle ne soit pas une obligation pour les grandes entreprises qui réalisent des profits colossaux.
Mesdames, monsieur les ministres, ces mesures ne font pas le compte. Les femmes en sont particulièrement exclues ; or elles sont souvent parmi les plus précaires.
Les Françaises et les Français ne sont pas dupes. Malgré l’écran de fumée que vous répandez afin de masquer vos choix profondément inégalitaires, ils voient bien que les plus fortunés ont droit à toutes vos largesses.
Vos largesses, ce sont 40 milliards d’euros pour les grandes entreprises et les actionnaires, sans aucune contrepartie, via le remboursement du CICE pour l’année 2018 et la baisse des cotisations patronales, voire leur suppression, décidée pour 2019 ; il s’agit là d’une mesure inique adoptée, ici même, avec la droite sénatoriale.
Vos largesses, c’est aussi le maintien de la suppression de l’ISF, soit 4,2 milliards d’euros offerts au détriment d’une politique de justice sociale pour toutes et tous.
D’un côté, de somptueux cadeaux de Noël ; de l’autre, des miettes : mais la brèche est ouverte, car vous venez de démontrer que la sacro-sainte loi des 3 % de déficit du pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne n’est pas indépassable. La prise de conscience gagne du terrain : c’est une bonne nouvelle, et vos premiers reculs en appellent d’autres. L’argent existe pour répondre aux besoins des populations, non pour être détourné vers la finance, au détriment de l’humain et de notre planète ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mmes Michelle Meunier et Sophie Taillé-Polian applaudissent également.)