M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour la réplique.
M. Daniel Chasseing. La solidarité familiale doit bien sûr être encouragée et soutenue ; cela fait partie des devoirs moraux que nous devons amplifier.
Sur le plan de l’avenir de la formation et de l’emploi, madame la secrétaire d’État, je rejoins vos propos : il faut encourager les associations qui, aux côtés des centres de formation des apprentis et des lycées professionnels, portent l’ambition de valoriser les métiers manuels, trop souvent considérés comme des filières de second choix, et d’en faire une voie d’excellence et un puissant levier de transmission des savoirs, d’insertion professionnelle et d’intégration des jeunes.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.
Mme Dominique Estrosi Sassone. Sur l’initiative du Sénat, la loi ÉLAN a fait progresser la solidarité intergénérationnelle en matière d’habitat, au travers de la création du régime juridique de la cohabitation intergénérationnelle solidaire, qui permet désormais aux personnes âgées de louer une partie de leur logement à un jeune de moins de trente ans.
Cette mesure de bon sens offre enfin un cadre à une disposition dont l’origine remonte au plan national Bien vieillir de 2007, qui posait les jalons de l’offre d’un logement par une personne âgée, en contrepartie d’une aide bénévole et d’une attention de solidarité, à un occupant jeune et généralement étudiant.
Douze ans plus tard, cette tendance s’est généralisée dans toute la France, alors que les résidences universitaires des CROUS se trouvent rapidement saturées et que les jeunes éprouvent des difficultés à trouver une solution de logement dans le parc privé.
Cependant, les mesures adoptées dans le cadre de la loi ÉLAN ne sont qu’un levier. En 2015, la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement prévoyait la remise au Parlement d’un rapport du Gouvernement sur le logement intergénérationnel, afin de sécuriser les pratiques.
Compte tenu des apports de la loi ÉLAN, qui sécurisent le contrat de bail et précisent la « contrepartie modeste » du service rendu par l’hébergé à l’hébergeant, le Gouvernement donnera-t-il des consignes afin que l’administration fiscale et les URSSAF appliquent avec souplesse ce cas particulier de droit du travail, qui ne doit pas être confondu avec le travail dissimulé au risque de freiner son développement ?
Le rapport devait également évaluer la pertinence d’exonérer de taxe d’habitation, ou encore d’allocations sociales, l’hébergeant et/ou l’hébergé. Le Gouvernement entend-il donc moduler la taxe d’habitation, si elle devait être maintenue pour 20 % des Français, ou bien le montant des aides personnalisées au logement, dont la contemporanéité s’applique dès cette année ? Ce cas sera-t-il bien pris en compte ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez évoqué la loi ÉLAN. Je voudrais ici saluer le travail conclusif de la commission mixte paritaire qui a rassemblé, autour de ce texte, des représentants du Sénat et de l’Assemblée nationale.
La cohabitation intergénérationnelle est un exemple concret de ce que nous pouvons faire pour renforcer les solidarités intergénérationnelles. Cette formule de logement solidaire représente, comme vous l’avez souligné, une offre permettant de répondre aux besoins de logement de certains jeunes, qu’ils soient étudiants, apprentis ou actifs, pour un coût modéré, en échange d’une entraide solidaire sous forme de menus services ou de modalités de présence auprès des aînés.
Nous avons inscrit dans la loi une définition bien particulière de ces « menus services », de manière à éviter leur requalification en contrat de travail. Concrètement, il s’agit, pour les jeunes qui le souhaitent, d’être logés chez des personnes âgées d’au moins soixante ans, en échange d’un engagement relatif à une durée de présence ou à des services. Des associations assurent un rôle de mise en relation et de suivi tant du jeune que de la personne âgée et de leurs familles. Elles peuvent même assurer des fonctions de conseil spécifique et de conciliation lorsque, malheureusement, des difficultés se font jour pour l’une ou l’autre partie.
Toutefois, le développement et l’essaimage sur les territoires de cette offre innovante ont rencontré jusqu’à présent plusieurs freins, essentiellement d’ordre financier et juridique, tels que le risque de requalification en bail ou en contrat de travail. Par ailleurs, cette offre innovante et solidaire reste peu connue et peu utilisée.
Les travaux menés dans le cadre de la loi ÉLAN ont permis, notamment par le biais de son article 117, de poser une charte constituant un cadre sécurisé et souple. On a pu ainsi définir la cohabitation intergénérationnelle solidaire. Cet article permet notamment le développement de cette relation dans le respect du jeune comme de la personne âgée, en inscrivant sa définition dans le code de l’action sociale et des familles, en créant un contrat dédié spécifiquement à cette relation et distinct d’un contrat de bail classique, et en élaborant une charte nationale.
Cette mesure, consensuelle lors de son examen au Parlement, a été saluée par les principaux réseaux nationaux de la cohabitation intergénérationnelle solidaire, car elle constitue un véritable progrès et est très utile au développement de cette offre peu connue. Des perspectives d’évolution de la cohabitation intergénérationnelle sont également abordées dans la concertation nationale pour le grand âge et l’autonomie afin d’amplifier la dynamique déjà lancée.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Ma question abordera le même sujet que celle de ma collègue Dominique Estrosi Sassone.
Je souhaite évoquer la solidarité intergénérationnelle à travers la question du logement et, plus particulièrement, vous interroger, madame la secrétaire d’État, sur le développement de la cohabitation intergénérationnelle.
Ce système est aujourd’hui de plus en plus utilisé en France, en particulier dans les grandes villes, où les difficultés de logement des jeunes sont plus fortes, compte tenu du montant des loyers.
Cette cohabitation permet à la fois à un jeune salarié ou étudiant de résoudre une difficulté de logement pour une contrepartie modeste, voire gratuitement, et à la personne âgée de rompre un éventuel isolement, de conserver un logement devenu trop grand, et de partager certains frais grâce à la contribution financière du jeune.
Quand il est bien préparé, ce projet est synonyme de partage et de compréhension, et débouche sur une belle aventure humaine.
Lors de la discussion de la loi ÉLAN, nous avons franchi une étape importante en donnant un cadre juridique sécurisé à cette pratique, avec le nouveau contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire qui figure désormais à l’article L. 631-17 du code de la construction et de l’habitation.
Madame la secrétaire d’État, je souhaiterais connaître les mesures que le Gouvernement envisage pour populariser la pratique de la cohabitation solidaire et soutenir les associations, les collectivités publiques et les bailleurs sociaux qui agissent en tant qu’intermédiaires auprès des jeunes et des personnes âgées ? Je pense notamment à des campagnes de sensibilisation, à des outils pour mettre en confiance et convaincre, voire à des incitations fiscales et à des aides pour les jeunes.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je veux faire le lien avec la réponse spécifique que je viens d’apporter à Mme Dominique Estrosi Sassone sur la colocation intergénérationnelle.
Il s’agit ici d’un contrat de mise à disposition d’une chambre meublée dans le cadre de menus services liés à une présence auprès d’une personne âgée ; ce ne sont pas du tout les mêmes critères qui s’appliquent. La colocation est en effet désormais ouverte à tous les publics, et même dans le parc public, ce qui était impossible avant l’adoption de la loi ÉLAN.
La colocation permet à une personne, âgée ou non – cela peut concerner quelqu’un de trente ou quarante ans, ou encore une personne handicapée, disposant d’un grand logement –, de proposer une colocation avec un bail spécifique qui ouvre droit à des aides au logement.
La loi favorise également dans ce cadre une colocation souple et sécurisée, qui permettra de développer ce mode de logement original et de diversifier l’offre.
Concrètement, comment l’État peut-il accompagner les collectivités ? C’est tout le travail qui est fait avec les bailleurs sociaux et les bailleurs privés. Ce dispositif, qui est désormais accessible tant dans le parc privé que dans le parc social, est aussi ouvert aux personnes de plus de soixante ans.
L’objectif de la colocation est de permettre aux personnes qui souhaitent adopter ce nouveau mode de vie de partager dans le parc social un logement. Elles bénéficient ainsi d’un logement plus grand et moins cher, mais aussi de nouvelles solidarités entre colocataires.
Pour les personnes âgées, l’habitat intergénérationnel est un moyen de rompre l’isolement ; pour les jeunes, il facilite leur accès au logement à un coût modéré. Une charte à venir en précisera le cadre général et les modalités pratiques. Elle fera l’objet d’un travail avec l’ensemble des acteurs : bailleurs sociaux et privés, ainsi qu’associations représentant les locataires.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective a le mérite d’interroger nos systèmes de solidarité face aux mutations économiques et sociales en cours, au premier rang desquels la solidarité intergénérationnelle autour de notre système de retraite.
La transformation de notre système de retraite en un régime à points et avec des cotisations définies, annoncée par le Gouvernement, va affaiblir la solidarité intergénérationnelle, car elle va casser le lien existant entre les actifs, qui cotisent pour leur avenir et financent la retraite des générations précédentes.
M. Pierre-Yves Collombat. Eh oui !
Mme Laurence Cohen. Avec ce système, les cotisations sont définies et les pensions s’adaptent aux sommes collectées, alors que, dans le système actuel, le niveau des retraites est garanti. Sous couvert de simplification et d’égalité, le principe « 1 euro cotisé donne les mêmes droits » va remettre en cause les mécanismes de redistribution et de solidarité.
Dans un régime par points, on accumule des points en cotisant tout au long de sa vie active et, au moment de la retraite, les points sont convertis en pension. Pour les femmes, dont la situation actuelle se caractérise par des carrières en moyenne plus courtes, assorties de salaires plus faibles et de temps partiels imposés fréquents, les inégalités de pension avec les hommes, déjà importantes, ne pourront que s’aggraver. Les solidarités de demain vont donc considérablement se dégrader avec le projet gouvernemental de réforme des retraites.
Aussi, madame la secrétaire d’État, je souhaite connaître votre avis sur notre proposition de mise à contribution des revenus financiers au financement des retraites, bon moyen pour préserver les mécanismes de solidarité intergénérationnelle de notre système actuel par l’introduction d’une solidarité contributive. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Plutôt qu’à une « réforme » des retraites, terme qui peut faire peur aux Français au regard des importantes réformes précédentes qui sont intervenues, nous travaillons à une refondation de l’architecture globale de notre système de retraite, en vue de le rendre plus juste et plus lisible pour les assurés.
M. Pierre-Yves Collombat. On est rassuré !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Il s’agit de créer un système universel dans lequel, comme vous l’avez précisé, chaque euro cotisé donnera des droits identiques, quel que soit le statut.
C’est parce que nous avons un système trop complexe, avec quarante-deux régimes aux règles différentes, qu’il faut lui préférer un système universel avec des règles communes à tous. Cela suppose de remettre en débat le système actuel, ses objectifs, ses paramètres et son pilotage.
Le système de retraite que nous connaissons correspondait à une société où, pour une majorité de Français, les carrières se déroulaient au sein d’une même entreprise. Depuis plus de quinze ans, les salariés connaissent des parcours professionnels plus différenciés – temps partiels, pauses liées aux enfants… –, ce qui fait qu’aujourd’hui deux salariés ayant travaillé selon des modalités différentes n’ont pas droit à la même retraite, en fonction des régimes auxquels ils sont affiliés, alors qu’ils ont pareillement cotisé.
Il s’agit donc d’envisager un système de solidarité plus juste au regard de l’activité professionnelle des Français et de transformer les systèmes de retraite en un nouveau système universel.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Si je vous entends bien, madame la secrétaire d’État, tout est une question de langage et de pédagogie…
En fait, on ne comprend pas ce que fait le Gouvernement. Ce qui me rassure, c’est que nous ne sommes pas les seuls dans cet hémicycle : il n’y a qu’à entendre ce qui se dit aujourd’hui dans les rues !
Parmi les « gilets jaunes » se trouvent nombre de retraités, femmes et hommes, qui protestent, parce que leur pouvoir d’achat est en berne et que leurs pensions sont insuffisantes. Ce que vous venez de nous annoncer ne nous rassure absolument pas !
Encore une question, madame la secrétaire d’État : pourquoi la revalorisation des retraites ne fait-elle pas partie des questions abordées dans le cadre du grand débat national ? On le voit bien, tout est formaté pour que seules les questions que se posait le Gouvernement soient examinées. Malheureusement, il y répond de mauvaise façon, sans que cela corresponde aux besoins des gens.
M. le président. La parole est à Mme Nadine Grelet-Certenais.
Mme Nadine Grelet-Certenais. Le rapport sénatorial qui nous est soumis s’interroge sur la fragilité et l’iniquité du pacte intergénérationnel que représente notre système de retraite. Ce dernier favoriserait les tensions entre, d’un côté, les générations « choyées » et, de l’autre, les générations « malchanceuses ».
Je vois bien l’intérêt idéologique d’attiser un conflit intergénérationnel, mais cette thèse est très discutable, car foncièrement politique. C’est en effet une question de choix de société qui nous est posée collectivement. Elle touche à la vision que nous voulons avoir de la solidarité, de l’entraide, de la citoyenneté même. Je crois d’ailleurs que les mouvements sociaux que nous connaissons aujourd’hui ne sont pas étrangers à cette inquiétude sur la pérennité du système par répartition et sur le flou entretenu par le Gouvernement sur la réforme des retraites. Comme cela a été rappelé, des pétitions circulent pour préserver le pouvoir d’achat des retraités.
Toucher au revenu des retraités, c’est remettre en cause les équilibres de toute une famille, c’est déstabiliser l’entraide familiale, c’est affaiblir les ressources des aidants, qui assurent un rôle majeur dans la prise en charge de la dépendance – question d’une brûlante actualité. Ainsi, la désindexation des retraites, entérinée par le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, malgré l’opposition sénatoriale, contribue à aggraver les inquiétudes légitimes des Français. En effet, à compter de cette année, la revalorisation des pensions ne suivra plus l’inflation.
Mme Fabienne Keller, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. C’est vrai !
Mme Nadine Grelet-Certenais. Alors que l’indexation sur les prix, et non sur les salaires, participe déjà de la paupérisation de nos aînés, cette désindexation alourdit une nouvelle fois la charge que vous avez décidé de faire porter sur les retraités, surtout les plus fragiles d’entre eux. Elle annule même quasiment le gain de l’exonération de la CSG pour les plus pauvres. Cette décision hautement politique est d’autant plus injuste que l’inflation est repartie très à la hausse cette année.
Madame la secrétaire d’État, allez-vous continuer à leurrer les Français sur la hausse de leur pouvoir d’achat ou profiterez-vous du grand débat national pour enfin écouter et renoncer à cette désindexation des pensions ? Par ailleurs, en saura-t-on plus sur la réforme des retraites à l’occasion de ce débat, sujet d’inquiétude majeure pour les Français ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La refonte de l’architecture globale de notre système de retraite vise à créer un système universel. La concertation est en cours avec l’ensemble des partenaires sociaux sur ses grands principes. Dans un second temps seront examinées les questions relatives à la gouvernance, au pilotage et à l’organisation du système universel : conditions de départ, examen des situations particulières, modalités de transmission entre l’ancien et le nouveau système. Un projet de loi sera ensuite discuté au Parlement.
La réforme doit aussi tenir compte des différentes générations – sans adaptation, les grands régimes de notre protection sociale ne peuvent pas survivre. Elle doit être propice à l’évolution de notre société.
J’en viens à la question des prestations sociales, dont vous avez parlé.
Nous voulons combattre la pauvreté. C’est pourquoi ces prestations seront non seulement maintenues, mais augmentées. Je pense à l’allocation aux adultes handicapés ou au minimum vieillesse, dont nous augmentons le montant de façon importante. Cependant, cela ne suffira pas à sortir les publics de la pauvreté. C’est la raison pour laquelle nous mettons en œuvre des réformes et des stratégies importantes.
La concertation « grand âge et autonomie » sera l’occasion d’aborder les questions relatives à la prise en charge de la dépendance, à son coût financier, à l’assurantiel, à la protection sociale de l’État, à la solidarité nationale. Ce sera également l’occasion de réfléchir à l’adaptation de notre système de prestations sociales, qui fonctionne mal, et à la façon de le rendre lisible et compréhensible pour chacun des Français.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. L’allongement de l’espérance de vie constitue l’une des plus grandes avancées de notre époque. Il implique une évolution profonde de l’organisation sociale et des mentalités. Le maintien, voire le renforcement des liens entre les différentes générations qui cohabitent, ou sont censées cohabiter, est un défi d’envergure.
Selon une étude de la SOFRES, une majorité de Français jugent essentielle l’aide en nature apportée à ses parents, grands-parents ou enfants, la transmission des savoir-faire et le soutien scolaire. Pour autant, allons-nous échapper à la lutte des âges ou allons-nous plutôt vers une lutte des classes ? Certains l’affirment.
Depuis le débat sur la réforme des retraites en 2010, une partie de la population a tendance à dénoncer certains avantages dont bénéficieraient nos seniors. D’autres affirment plutôt qu’ils sont condamnés à s’éloigner sous l’effet des nouvelles technologies. Quoi qu’il en soit, l’opposition générationnelle serait inévitable. Dans les faits, pourtant, les choses paraissent bien différentes. Selon Serge Guérin, coauteur de La Guerre des générations n’aura pas lieu, « les coopérations existent, dans tous les domaines, et les initiatives intergénérationnelles n’ont jamais été aussi florissantes ».
C’est en ce sens qu’une silver économie s’est constituée. Toutefois, à côté de ce marché, il existe une réalité bien plus riche humainement et, surtout, respectueuse des personnes âgées pour une société inclusive.
Malgré un engagement fort des différents gouvernements pour lutter contre l’isolement, plusieurs études récentes montrent que la coupure entre les générations reste importante en France, plus forte que la moyenne européenne. Sans sous-estimer l’importance du phénomène en milieu urbain, force est de constater que l’isolement augmente dans nos territoires un peu plus éloignés. Quand un médecin cesse son activité ou que des services de proximité ferment, ce sont des sentinelles pour nos aînés qui disparaissent, c’est un lien social qui se brise.
Madame la secrétaire d’État, puisque des travaux sont en cours, peut-on envisager qu’une réflexion soit menée pour mettre en place un véritable réseau de sentinelles visant à rompre l’isolement de nos aînés, par le biais d’une plateforme intergénérationnelle pour une société plus inclusive ? (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La lutte contre l’isolement social des personnes âgées est un enjeu important que le Gouvernement prend à bras-le-corps. En effet, l’isolement est un facteur de perte d’autonomie important.
Dans ce cadre, nous soutenons le programme MONALISA, qui réunit plus de 460 organisations : associations, caisses de retraite, collectivités territoriales… Des bénévoles constitués en équipes citoyennes mènent dans leur quartier des actions en faveur des personnes isolées : visites à domicile ou en établissement, initiation au numérique, aide aux démarches administratives, sorties culturelles… Nous soutenons également le bénévolat. Il faut savoir que trois bénévoles sur dix ont plus de soixante-cinq ans. Dans le cadre de la concertation « grand âge et autonomie », qui prévoit un volet spécifique sur l’isolement, nous souhaitons permettre le développement du bénévolat.
Par ailleurs, Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, et Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, ont installé, au mois de février dernier, une commission de promotion de la bientraitance et de lutte contre la maltraitance des personnes vulnérables, dont les personnes âgées font partie.
Je tiens également à souligner l’engagement des collectivités territoriales dans les territoires ruraux, mais également en ville. Lors des plans Canicule et Grand Froid, qui permettent de déployer des moyens supplémentaires pendant ces périodes bien spécifiques, elles s’assurent que les personnes isolées disposent bien de l’ingénierie nécessaire pour se protéger du risque lié à ces événements climatiques.
Les associations de bénévoles, souvent soutenues par les CCAS, jouent aussi un rôle très important, qu’il s’agisse d’accompagner les personnes âgées à domicile, d’aller les chercher, de leur faire la lecture à la bibliothèque, etc. Les collectivités peuvent s’appuyer sur ces structures.
L’aménagement du territoire est important : construire un EHPAD à côté d’une crèche facilite les projets intergénérationnels.
Lorsque les acteurs travaillent ensemble, notamment dans le cadre des CCAS, qui réunissent l’ensemble des collèges et des représentants – familles, personnes âgées, personnes handicapées –, les échanges et les rencontres sont favorisés et permettent de lutter contre l’isolement des personnes âgées.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.
M. Stéphane Artano. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de votre réponse.
Vous avez évoqué MONALISA et tout ce qui se fait dans les quartiers. Pour ma part, j’appelais l’attention du Gouvernement sur ce qui se passe dans la ruralité : le maillage territorial est beaucoup plus compliqué dans ces zones. Quand bien même des réseaux sont mis en place, cela mérite une véritable réflexion de la part d’un État stratège, réflexion qui pourrait être confiée au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge.
M. le président. La parole est à Mme Nassimah Dindar.
Mme Nassimah Dindar. L’excellent rapport rendu par nos collègues met en avant la nécessité de trouver de nouveaux modes d’expression des solidarités intergénérationnelles. Ce constat est juste.
À nous, élus, il appartient bien de répondre à la question : dans les politiques publiques, comment éviter le cloisonnement des générations ?
La « guerre des âges », que craignent à juste titre mes collègues, ne doit pas avoir lieu. À La Réunion, nous avons ainsi créé deux structures originales destinées aux personnes âgées, qui répondent, modestement, à cette volonté.
Je pense en premier lieu à la maison des accueillants familiaux, qui permet à des assistants familiaux d’accueillir de quatre à onze personnes. Elle offre une solution d’hébergement accompagné, de manière bien moins onéreuse qu’en EHPAD et de manière plus familiale et identitaire, donc mieux ressentie par le résident. Nous permettons ainsi l’intégration des « nouveaux âges de la vie », pour reprendre l’expression du rapport de nos collègues, c’est-à-dire des personnes âgées qui ne sont plus en totale autonomie, mais qui ne sont pas totalement dépendantes. En parallèle, elle permet l’octroi d’un revenu décent à ces accueillants familiaux. On a là l’expression d’une forme de solidarité intergénérationnelle et aussi d’une forme de solidarité sociale au service de la solidarité économique. Il s’agit bien d’une communauté de travail inspiré.
Je pense en second lieu à la résidence pour personnes âgées Tournesols, développée par le CCAS de Saint-Pierre – ma collègue Viviane Malet y a participé –, autour d’un triangle vertueux : premièrement, des logements ; deuxièmement, des espaces de vie communs, dont un jardin partagé de plantes médicinales et aromatiques servant aussi de lieu intergénérationnel de transmission de savoirs ; troisièmement, une intégration de tous grâce à un restaurant dont la gestion a été confiée à un établissement recevant des personnes porteuses d’un handicap.
Madame la secrétaire d’État, « faire société », c’est être capable de vivre ensemble, avec un sentiment d’appartenance qui passe par la transmission de savoirs des aînés – en d’autres termes, c’est « donner des racines pour s’envoler et des ailes pour s’enraciner », comme disait Pablo Neruda. « Faire société », c’est donner à lire la vision sociétale de la famille, où chaque génération a son rôle, sa place et se complète.
Ces exemples montrent que la prévention de la dépendance est possible et nécessaire, car la prise en charge en établissement peut aussi casser les solidarités intergénérationnelles. Il est donc nécessaire d’impulser de nouvelles dynamiques de solidarité en matière d’accompagnement de nos aînés.
Madame la secrétaire d’État, quelle souplesse sera laissée aux acteurs des territoires pour innover dans le renforcement de ce lien intergénérationnel et comment pourra-t-on capitaliser sur des expérimentations réussies ? (Applaudissements au banc de la délégation.)