M. le président. Posez votre question, mon cher collègue !
M. Jean Louis Masson. En tant que Français, si demain l’Europe voulait nous imposer la création d’une frontière au sein même de notre territoire, je ne serais pas d’accord ! Sur ce point, les Britanniques ont raison.
Madame le ministre, comment pouvez-vous prétendre respecter la démocratie, ce mot dont vous avez plein la bouche, quand vous crachez sur le résultat d’un référendum ? (Mme Joëlle Garriaud-Maylam proteste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous rassurer : je répondrai sur un autre ton que celui qu’a employé l’auteur de la question.
Nous respectons tellement le résultat du référendum que cela fait dix-sept mois que nous négocions avec les Britanniques en vue de sa mise en œuvre. Cela fait dix-sept mois que, à titre personnel, je passe plus du tiers de mon temps à faire en sorte que soit respecté le résultat de ce vote, même si je le regrette. Notre objectif est qu’il puisse être mis en œuvre de façon ordonnée. Dans le projet d’accord de retrait qui a été conclu avec le Gouvernement britannique, la question de la frontière avec l’Irlande est traitée de la manière suggérée par celui-ci, et non selon la proposition initiale de l’Union européenne. Nous avons fait une concession majeure en acceptant que l’ensemble du Royaume-Uni reste dans une union douanière, comme solution de dernier recours.
C’est le Parlement britannique qui a refusé de ratifier ce projet d’accord. Là encore, nous respectons cette décision, même si cela met en danger nos compatriotes et nos entreprises. Le retard pris, cette incapacité à décider, cet esprit d’insularité ont un impact sur les Européens. Nous avons non seulement le droit, mais aussi le devoir de le dire.
Aujourd’hui, nous n’avons qu’une chose à dire aux Britanniques : dépêchez-vous, sachant qu’il n’y a que trois options possibles, à savoir un retrait ordonné tel que prévu par l’accord qui est sur la table, un retrait brutal sans accord ou pas de retrait. (Mme Fabienne Keller applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.
Mme Anne-Catherine Loisier. J’évoquerai tout d’abord l’approvisionnement en médicaments produits par des firmes britanniques. Certaines ont mis en place très tôt des plans d’urgence pour le cas d’une sortie sans accord afin de transférer les autorisations de mise sur le marché du Royaume-Uni vers l’Union européenne. Cependant, nous le savons, toutes les solutions nécessaires n’ont pas été trouvées, et un certain nombre de médicaments d’importance stratégique, destinés notamment au traitement des cancers de la prostate ou du sein, pourraient ne plus être acceptés par l’Union européenne, ce qui conduirait à une interruption de l’approvisionnement pour plus de 70 000 patients, dont 8 000 en France. Comment le Gouvernement prévoit-il de protéger ces patients après le Brexit ?
J’évoquerai ensuite l’application des réglementations d’urbanisme dans les zones frontalières en cas de no deal et les procédures d’urgence envisagées. Se posent dès aujourd’hui un certain nombre de questions en matière de dérogations à ces réglementations, s’agissant notamment des obligations environnementales et des mesures de compensation, dont la mise en œuvre est, on le sait, longue et complexe. Le Gouvernement envisage-t-il des dérogations dans ce domaine ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, il y a une forme de dissymétrie entre la situation du Royaume-Uni et celle de l’Union européenne en matière de médicaments.
En effet, s’il est facile, pour l’Union européenne, de s’approvisionner en médicaments, à la fois en son sein et dans le reste du monde, ce sera plus compliqué pour le Royaume-Uni, devenu État tiers. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle celui-ci a commencé à mettre en œuvre des plans d’urgence pour constituer des stocks assez importants de médicaments.
En réalité, la préoccupation majeure est d’assurer la fluidité du trafic transmanche. C’est pourquoi nous investissons dans des infrastructures et procédons au recrutement de personnels dédiés. J’espère que, du côté britannique, cette fluidité sera également assurée, même si quelques questions se posent quant au niveau de leurs investissements et de leur préparation.
En tout cas, l’Agence européenne des médicaments a fait son travail. De nombreuses certifications ont été délivrées de manière à permettre des transferts d’autorisations de mise sur le marché de médicaments entre différents pays de l’Union européenne. Il reste encore huit médicaments pour lesquels la procédure n’est pas complètement terminée, mais aucun d’entre eux n’est considéré comme critique. Le ministère des solidarités et de la santé est extrêmement vigilant. Il dialogue avec les industriels en vue que ceux-ci constituent des stocks s’agissant des médicaments pour lesquels il n’existerait pas à ce stade d’alternative.
Par ailleurs, le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne prévoit la possibilité d’ouvrir des dérogations à un certain nombre de réglementations, notamment en matière d’environnement et d’urbanisme, de manière à pouvoir construire des infrastructures temporaires destinées à l’exercice des contrôles nécessaires. Nous serons prêts.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier, pour la réplique.
Mme Anne-Catherine Loisier. La difficulté tient au fait que les mesures de compensation environnementale s’inscrivent dans la durée, même pour des constructions temporaires ! Cela posera problème aux entreprises qui devront assumer financièrement la mise en œuvre de ces mesures.
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Dans le contexte de grande incertitude que nous connaissons, on me permettra de penser tout d’abord, en tant que sénatrice des Français établis hors de France, mais surtout en tant que résidente française au Royaume-Uni, épouse d’un ressortissant britannique depuis près de trente-cinq ans, élue des Français du Royaume-Uni et d’Irlande depuis trente ans, à mes compatriotes vivant au Royaume-Uni, ainsi qu’aux quelque 300 000 Britanniques résidant en France, que le risque aujourd’hui avéré d’un Brexit « dur », sans accord, plonge dans une angoisse croissante.
Madame la ministre, vous avez rassuré les membres du groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l’Union européenne, créé sur l’initiative des présidents Jean Bizet et Christian Cambon, que je salue, en indiquant que, s’agissant des droits des ressortissants britanniques en France, notre pays appliquerait le principe de réciprocité.
Cependant, compte tenu du contexte actuel, je souhaiterais vraiment que la France accomplisse un geste fort envers ces Britanniques résidant en France qui apportent tant à notre pays ; je pense que la France s’en honorerait.
Par ailleurs, estimant qu’il est du devoir d’un parlementaire français d’être pragmatique et concret, j’ai proposé de constituer, en cas d’absence d’accord, un comité de suivi bilatéral, composé de représentants des gouvernements français et britannique, ainsi que de parlementaires et de représentants de la société civile des deux pays, pour traiter des droits des résidents britanniques en France et des résidents français au Royaume-Uni. En effet, il est bien évident que l’application du principe de réciprocité ne réglera pas tout ; des problèmes nombreux, complexes et lourds resteront à traiter : tel serait le rôle du comité de suivi que je propose d’instituer. Sa création dans une perspective de médiation rassurerait nos compatriotes et nos amis britanniques.
Je sais que vous n’avez pas, hélas, la possibilité d’influencer le Gouvernement britannique, mais j’aimerais connaître votre position sur cette proposition.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, je connais votre attachement aux Français résidant au Royaume-Uni et aux Britanniques vivant en France. Vous le savez, nous partageons cet attachement. Le projet de loi d’habilitation a justement pour objet de rassurer à la fois les Français qui devraient rentrer du Royaume-Uni et les Britanniques résidant en France, que nous souhaitons absolument garder.
Que faire pour, de manière pragmatique, améliorer encore les choses ? Commençons par laisser une chance à la ratification de l’accord de retrait, car c’est celui-ci qui apporte les meilleures assurances. Dans cette perspective, il faut laisser se poursuivre le débat entre le négociateur européen et les autorités britanniques. Depuis le début, les Vingt-Sept ont réussi à préserver leur unité, qui s’est construite notamment autour du sort de tous les ressortissants européens vivant au Royaume-Uni, dont 300 000 Français et 1 million de Polonais. Unis, nous sommes plus forts pour parler avec les Britanniques.
S’il s’avère finalement que l’on s’achemine, avec certitude, vers un Brexit sans accord, je recommanderai de commencer par travailler de façon unilatérale, en prenant des mesures nationales, sans négocier avec les Britanniques – c’est d’ailleurs l’objet du projet de loi d’habilitation. En effet, le but de la négociation avec les Britanniques, c’est la conclusion d’un accord de retrait : si nous leur donnons le sentiment qu’ils peuvent obtenir la même chose en négociant avec chacun des vingt-sept États membres, alors à quoi bon un accord de retrait ? Tout le château de cartes s’effondrerait, ce qui ne serait dans l’intérêt de personne.
C’est la raison pour laquelle nous prônons à ce jour une approche nationale unilatérale dans l’hypothèse d’une sortie sans accord du Royaume-Uni de l’Union européenne. Il conviendrait dans un deuxième temps d’instaurer un dialogue bilatéral pour traiter toutes les questions complexes qui seraient demeurées sans solution. Je serai alors heureuse que le dialogue entre les gouvernements s’élargisse à d’autres acteurs.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Ma question ira dans le même sens que la précédente.
Le vote du 15 janvier prolonge la période d’incertitude qui s’est ouverte il y a deux ans lorsque les Britanniques ont voté en faveur du Brexit.
Certes, la France se prépare à faire face aux situations les plus urgentes si aucune solution n’est trouvée d’ici au 29 mars prochain. La Commission européenne prépare de son côté quatorze mesures visant à atténuer les conséquences immédiates d’un Brexit sans accord.
En effet, le rejet par le Parlement britannique de l’accord passé entre le Gouvernement britannique et l’Union européenne remet en cause les dispositions négociées depuis septembre 2016. Cela aura notamment des conséquences sur le statut, les droits et la liberté de circuler des ressortissants français résidant au Royaume-Uni.
L’accord négocié prévoyait le maintien des droits des ressortissants européens jusqu’à la fin de la période de transition, fixée au 31 décembre 2020. Cela assurait à nos concitoyens résidant au Royaume-Uni la possibilité d’y vivre, d’y travailler ou d’y étudier dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui. Cet accord leur donnait le droit de continuer à résider au Royaume-Uni, à condition de faire la demande d’un statut de résident permanent avant le 30 juin 2021.
Le groupe de travail du Sénat sur le Brexit considérait pourtant, dans son rapport rendu en juillet dernier, qu’il restait encore de nombreuses questions non résolues, s’agissant notamment des garanties données par les autorités britanniques. Je pense par exemple à l’enregistrement obligatoire des citoyens européens résidents, à l’adoption par le Parlement britannique d’une loi qui sécurise les droits acquis et à l’extinction, en ce qui les concerne, de la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne au bout de huit ans.
Le Sénat avait alors également demandé qu’un protocole distinct de l’accord de retrait soit établi pour garantir les droits des ressortissants européens – dont français – en cas d’échec des négociations. À ce jour, il n’existe toujours pas.
La Commission européenne, tout comme le projet de loi français, prévoit la garantie d’un certain nombre de droits pour les ressortissants britanniques résidant sur le continent après le 29 mars, mais sous réserve de réciprocité.
Madame la ministre, quelles garanties avons-nous aujourd’hui de la part des autorités britanniques ? Entrevoyez-vous des avancées possibles, malgré l’épais brouillard qui enveloppe Londres ? Quels sont les différents scenarii sur lesquels vous travaillez ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, le scénario de l’accord de retrait est connu. S’il n’existe pas de protocole séparé relatif aux droits des ressortissants européens au Royaume-Uni, c’est parce que l’accord est un ensemble et que, dans la négociation, se mettre d’accord sur le point le plus facile aurait empêché d’aboutir sur le reste.
Quelles assurances avons-nous reçues à ce jour de la part du Gouvernement britannique concernant la situation des ressortissants européens en cas d’absence d’accord ?
Au mois de décembre, le Gouvernement britannique a publié un document sur les droits des ressortissants européens en cas d’absence d’accord. J’en retiens la garantie que les citoyens européens résidant au Royaume-Uni au 29 mars 2019 pourront rester et que le statut de résident permanent sera mis en œuvre, en cas d’absence d’accord, dans les mêmes conditions qu’en cas d’accord.
Les ressortissants européens présents sur le territoire du Royaume-Uni au 29 mars 2019 auront jusqu’au 31 décembre 2020 pour adresser leur demande. Il sera possible à ceux qui auront obtenu le statut de résident permanent de quitter le Royaume-Uni pendant cinq ans puis d’y revenir. Un statut de travailleur frontalier sera créé, et les citoyens résidant au Royaume-Uni au 29 mars 2019 pourront continuer à bénéficier des prestations sociales dans les mêmes conditions que les citoyens britanniques, tandis que leurs qualifications professionnelles continueront à être reconnues.
Certains éléments sont moins favorables que ceux qui sont contenus dans l’accord de retrait. Par exemple, les résidents au Royaume-Uni ne pourront faire venir des membres de leur famille que jusqu’au 29 mars 2022 et si la relation existait au 29 mars 2019. En outre, il n’y a pas de garantie qu’une carte d’identité européenne suffira, à terme, pour entrer au Royaume-Uni.
Je me rendrai au Royaume-Uni, probablement au mois de février, à la fois pour rencontrer la communauté française, comme je l’ai déjà fait en septembre, et pour obtenir des autorités britanniques confirmation de ces garanties.
M. le président. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Je vis au Royaume-Uni et, à j-71 de la date prévue pour le Brexit, je demeure convaincu que le bon sens prévaudra et que, en l’absence d’un accord minimal sur la sortie, les parlementaires britanniques révoqueront la mise en œuvre de l’article 50 afin d’interrompre le processus du Brexit : si le Brexit ne veut rien dire, alors le Brexit ne doit pas être.
Cependant, le Brexit sans accord reste une option sur la table. Les 5 millions de personnes intimement concernées par les conséquences du Brexit, à savoir les 3 millions d’Européens résidant au Royaume-Uni et les 2 millions de Britanniques installés en Europe, ressentent de plus en plus l’appel du vide.
Chaque jour, des associations de défense qui les représentent, comme The3million, In Limbo Project ou encore British in Europe, se font l’écho d’une grande désespérance, d’une xénophobie ambiante et de drames humains. Elles témoignent de la situation de ces familles qui risquent de voler en éclats, car certains de leurs membres ne seront plus les bienvenus au Royaume-Uni, du fait de l’application de nouveaux critères liés à la nationalité ou aux revenus. Ce Brexit a déjà un coût humain déplorable.
Je vous remercie, madame la ministre, des réponses que vous avez déjà apportées sur le statut des Britanniques en France : les garanties proposées font honneur à notre pays.
Notre groupe de suivi coprésidé par Jean Bizet et Christian Cambon a reçu ce matin Mme Gina Miller, figure de l’opposition au Brexit qui préside le mouvement Best for Britain. Elle nous a appris que les parlementaires britanniques discutent actuellement de l’établissement d’un nouvel accord potentiel, de type norvégien ? Madame la ministre, pensez-vous que cela puisse être encore envisageable ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Cadic, il est difficile de bâtir sur des hypothèses et de faire des prédictions alors que la situation politique britannique se caractérise par la division et la confusion. Pour autant, ce que l’on peut dire à ce jour, c’est que Mme May a obtenu la confiance de sa majorité et s’est engagée à présenter un nouveau projet lundi prochain.
Effectivement, les parlementaires britanniques réfléchissent à un certain nombre d’options. Vous vous souvenez sans doute du schéma qu’avait présenté Michel Barnier, avec cette espèce d’escalier matérialisant les différentes possibilités ouvertes en termes de relation entre un État tiers et l’Union européenne : on peut évoquer les modèles norvégien, norvégien +, ukrainien, turc, canadien, suisse… Ces diverses options sont bien sûr actuellement examinées. La semaine prochaine, une motion ou des amendements seront certainement présentés à la Chambre des communes, et il sera alors possible de savoir s’il existe une majorité, en son sein, en faveur de l’une ou l’autre de ces solutions. Dans cette hypothèse, si le Royaume-Uni revenait vers nous avec une proposition appuyée par la majorité des parlementaires, afin par exemple de solliciter un statut comparable à celui de la Norvège, nous reverrions naturellement la déclaration politique sur la relation future et serions amenés nous aussi à changer de position. Mais, dans tous les cas de figure, nous nous en tiendrons toujours à nos lignes directrices : l’intégrité du marché unique, l’indivisibilité des quatre libertés et la nécessité que la relation repose sur un équilibre entre droits et obligations.
M. le président. La parole est à M. Yves Bouloux.
M. Yves Bouloux. « Nous ne pouvons pas revenir en arrière et changer le début, mais nous pouvons commencer où nous sommes et changer la fin. » C’est par cette citation de l’écrivain britannique C.S. Lewis que le vice-président de la Commission européenne Frans Timmermans a conclu hier matin son intervention devant le Parlement européen.
Différents scénarios et analyses sont avancés depuis plusieurs mois, et les inquiétudes consécutives au vote intervenu hier à Londres s’inscrivent dans la suite de ce long débat ouvert depuis le référendum britannique du 23 juin 2016 et des préoccupations liées non seulement au retrait du Royaume-Uni, mais également à la fragilisation de l’Union européenne et à l’instabilité actuelle du monde.
Mais il est une réalité qu’aucun scénario ne peut changer : avec ou sans accord de sortie d’ici au 29 mars prochain, le Royaume-Uni ne sera jamais et ne pourra jamais être, de facto, considéré comme un pays tiers.
Le Royaume-Uni est la sixième puissance économique mondiale ; derrière l’Allemagne et la France, il est le troisième pays européen en termes de population, et il représente le premier excédent commercial de la France au sein de l’Union européenne.
L’accord de sortie comme la déclaration politique sur la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne portent sur le cadre juridique, réglementaire, institutionnel et financier, et il ne sera pas définitivement documenté, dans tous les cas, d’ici au printemps, en ce qui concerne les relations qui s’ouvriront après la période de transition, d’ici à 2020 ou à 2022.
La France et le Royaume-Uni ont ouvert une nouvelle ère dans leurs relations en matière de défense, depuis les traités de Lancaster House de 2010, puis le sommet d’Amiens de 2016. Dès lors, le retrait britannique de l’Union européenne investit la France d’une responsabilité particulière, à l’égard tant du Royaume-Uni que de l’Union européenne et du monde.
Madame la ministre, hors du cadre européen, quelles relations le Gouvernement projette-t-il d’entretenir avec le Royaume-Uni à moyen et long termes ?
J’ajoute que la France a une autre responsabilité particulière, et peut-être un atout : le français sera désormais, avec l’anglais, dont le statut devrait évoluer, la seule langue globale et répandue de l’Union européenne. Aussi, madame la ministre, le Gouvernement envisage-t-il la mise en place d’une stratégie claire de promotion et d’enseignement du français dans le cadre de l’Union européenne et de ses institutions, voire au-delà ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, vous avez raison, le Royaume-Uni peut bien sortir de l’Union européenne, il restera en Europe : son histoire et sa géographie sont européennes ! Même en cas de retrait sans accord, nous en viendrons à négocier un nouveau partenariat avec le Royaume-Uni, car nombre de liens, tant bilatéraux qu’entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, méritent d’être maintenus.
Il ne vous aura pas échappé que, l’année dernière, le Président de la République s’est rendu à Sandhurst pour participer à un sommet franco-britannique ayant pour objet de réaffirmer l’intensité de ces liens bilatéraux dans tous les domaines, en particulier celui de la défense depuis les accords de Lancaster House. Nous sommes, en Europe, les deux seuls pays capables de projeter significativement des troupes sur tous les types de fronts et de zones de combat. Nous avons ainsi mené l’année dernière, avec les États-Unis, une campagne de frappes en Syrie en réponse à l’usage d’armes chimiques.
Nous sommes déterminés à continuer à entretenir ces liens particuliers avec le Royaume-Uni, quel que soit le choix qui sera fait en vue du Brexit. Il en ira de même en matière de recherche et d’enseignement supérieur : nous savons combien les chercheurs, aussi bien français que britanniques, craignent les conséquences de la séparation en préparation.
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Le vote du Parlement britannique nous place dans une situation inédite et redoutée. Il ne doit pas nous empêcher de continuer à nous préparer à toutes les options, voire à saisir de nouvelles opportunités.
Je rentre d’une mission en Irlande. Mes interlocuteurs et notre ambassadeur m’ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’impact négatif du Brexit sur l’activité économique, mais ils ont aussi souligné l’occasion qu’il représente de renforcer notre relation bilatérale. Ils pensent notamment à l’ouverture de nouvelles routes maritimes entre l’Irlande et la France.
Or, comme l’indique la résolution adoptée par le Sénat en novembre dernier sur la question des corridors maritimes –je salue à cet égard le travail des corapporteurs, Didier Marie, Pascal Allizard et Jean-François Rapin –, la Commission européenne n’a pas pris en compte les conséquences d’un retrait du Royaume-Uni, notamment dans l’hypothèse d’une sortie sans accord, sur le fret maritime entre la République d’Irlande et le continent européen. Aucune étude solide n’a été réalisée sur une réorientation des flux de marchandises à destination de la République d’Irlande. Pourtant, ils transitent aujourd’hui à hauteur de 80 % par le Royaume-Uni, et les exportations irlandaises représentent 42 % du PIB.
Tout nous incite donc aujourd’hui à entamer des négociations avec la République d’Irlande afin d’ouvrir de nouvelles routes maritimes et éviter qu’elle ne soit victime du chaos annoncé en matière douanière.
À l’occasion des travaux d’aménagement en cours des ports français, nous pourrions ainsi envisager la mise en place de couloirs dédiés aux camions de fret en direction ou en provenance d’Irlande. Cette question de l’aménagement est aujourd’hui complexe et urgente ; il est nécessaire d’y dédier fonds et personnels supplémentaires.
Nous savons que vous avez déjà établi un premier dialogue avec le ministre irlandais des affaires étrangères et du commerce en octobre dernier. Qu’est-il ressorti de ces premiers échanges ? Soutiendrons-nous la demande d’une aide financière de l’Union européenne en cas de Brexit sans accord formulée par nos amis Irlandais ? Entendez-vous donner suite à notre résolution, qui vous invite à engager sans tarder une réflexion sur les flux commerciaux entre l’Irlande et le continent ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, vous l’avez dit, ce sujet est bien identifié. Je rencontre très régulièrement mon homologue irlandaise, ainsi que le vice-Premier ministre Simon Coveney, pour parler du Brexit de manière générale, mais aussi de ses conséquences.
Ayons à l’esprit que le risque de voir s’établir de nouveau une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande inspire une très forte inquiétude à nos amis Irlandais. Cette inquiétude est partagée par l’ensemble des États membres de l’Union européenne, avec une solidarité qui mérite d’être saluée.
Au demeurant, le Brexit pourrait présenter des opportunités pour l’Irlande. Ainsi, des entreprises qui étaient installées au Royaume-Uni font souvent le choix de s’implanter en France, et je m’en félicite, mais souvent aussi celui de s’implanter en Irlande. La situation actuelle ne présente donc pas que des aspects négatifs pour la République d’Irlande.
Pour ce qui est des corridors maritimes, la Commission européenne, mal inspirée, avait commencé par imaginer ne rien changer à sa position en matière de routes maritimes entre l’Irlande et le continent, et elle ne s’intéressait donc qu’aux ports belges et néerlandais, sans prendre en compte le fait que, à l’heure actuelle, l’essentiel du trafic de marchandises avec l’Irlande passe par le Royaume-Uni, donc par Douvres et Calais.
Nous avons protesté véhémentement. La ministre des transports s’est entretenue de ce sujet avec la commissaire européenne, et nous avons déjà la certitude que Calais, Dunkerque et Le Havre seront réintégrés au corridor mer du Nord-Méditerranée. De plus, le Parlement européen, je le disais précédemment, s’est engagé à ce que d’autres ports français puissent l’être également.
Par ailleurs, le vice-Premier ministre irlandais m’a fait part de sa préoccupation que les camions irlandais transitant par le Royaume-Uni puissent bénéficier de facilités à leur arrivée sur notre sol, puisqu’ils circulent entre un pays membre de l’Union européenne et d’autres États membres. Il souhaite notamment la mise en place d’une file spécifiquement destinée à ces camions. Cette demande est pleinement prise en compte, au moment où nous sommes en train de revoir nos infrastructures.