M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, sur l’article.
M. Bernard Buis. Au sein de ce chapitre Ier, consacré à libérer les entreprises des contraintes administratives qui pèsent sur elles comme une chape, cet article 6 est très important, car il a pour objet de simplifier les seuils applicables aux PME.
Quand on dénombre 199 seuils répartis sur 49 niveaux pour les PME, avec des méthodes de calcul multiples suivant qu’il s’agisse du code du travail, du code de commerce ou du code de la sécurité sociale, on mesure, non seulement la complexité du dispositif, mais également l’urgence à le réformer et le simplifier. Qui parmi nous n’a pas entendu, en tant qu’élu local, l’artisan ou le chef d’entreprise de son territoire se plaindre de cette complexité et des effets du passage d’une strate d’effectif à une autre ?
Je suis heureux de constater que, avec ce texte, le nombre de seuils fixés à 20 salariés est réduit, plusieurs seuils sont relevés de 20 à 50 salariés pour le taux réduit de la contribution au Fonds national d’aide au logement, ou FNAL, pour l’exonération de participation à l’effort de construction et pour l’absence d’obligation d’un règlement intérieur dans l’établissement, tandis que d’autres sont relevés de 200 à 250 salariés.
Depuis bien longtemps, nous avons entendu les remarques des acteurs économiques qui nous entourent. Il est enfin temps de leur offrir les souplesses nécessaires pour libérer les initiatives et les possibilités de développement et de supprimer un certain nombre de freins – la multitude des seuils en est un.
Cet article vise également à instaurer un délai de cinq ans pendant lequel le seuil devra être franchi pour déclencher les obligations liées à ce seuil. Cette mesure évitera les effets de yo-yo, qui font passer l’entreprise d’un seuil à l’autre pour, parfois, un changement d’effectif d’une unité ou un effectif non stabilisé.
J’espère que nos échanges dans cette assemblée auront pour unique objectif d’acter cette indispensable simplification, qui n’a que trop tardé.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. La réforme des seuils sociaux, mes chers collègues, c’est 10 000 emplois et un demi-millième de croissance à long terme ! Pour vous donner un ordre de grandeur, un demi-millième de PIB représente la somme de 1,25 milliard d’euros, soit la production nationale de notre pays pendant un peu plus de 4 heures. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Le Gouvernement reprend une vieille revendication du MEDEF portant sur les fameux effets de seuil sur l’emploi et la droite sénatoriale partage cette même vision, qui présente ces seuils comme un obstacle à l’embauche dans les TPE.
Mme Sophie Primas. Ils sont effectivement un obstacle à l’embauche !
M. Fabien Gay. L’argument, déjà avancé en 2014 par François Rebsamen, lequel avait prôné un gel des seuils sociaux pendant trois ans, revient aujourd’hui en force, tout comme celui, intimement lié, du coût excessif de la représentation du personnel en France.
Dans son rapport de mars 2011 sur les relations industrielles en Europe, la Commission européenne avait effectué une étude comparative des attributions des instances représentatives du personnel au sein des différents États membres, en fonction des pouvoirs qui leur sont attribués. Sur la base d’une notation de 1 à 10, la France, avec 7 points, figurait dans le quatrième groupe de pays, derrière les pays scandinaves – Danemark en tête –, le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche.
Dans une note de 2011, l’INSEE, montrait que les effets sur l’emploi seraient marginaux : « En l’absence de seuils dans la législation, la proportion d’entreprises entre 0 et 9 salariés diminuerait de 0,4 point, tandis qu’elle augmenterait de 0,2 point dans chacune des tranches de 10 à 19 salariés et de 20 à 249 salariés ».
Plutôt que de se précipiter à mener une réforme à l’efficacité assez « énigmatique », si je puis dire, il faudrait réfléchir à la notion même de seuil d’effectifs. À l’heure où une start-up de 8 salariés peut être dix, voire cent fois plus puissante qu’une PME de 60 salariés, est-il encore viable de calculer les seuils en se fondant sur les effectifs ? Cette question, d’après nous, mérite d’être débattue aujourd’hui.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 201 rectifié est présenté par M. Gay, Mmes Apourceau-Poly, Cohen, Gréaume, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 347 rectifié ter est présenté par Mme Taillé-Polian, MM. Antiste, M. Bourquin, Tissot et Kerrouche et Mme Lubin.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour présenter l’amendement n° 201 rectifié.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Avec cette affaire des seuils sociaux, nous sommes face à une sorte de serpent de mer, visant à nous faire croire que la présence syndicale, la représentation des salariés et un certain nombre de droits qui leur seraient concédés constitueraient un frein au dynamisme de nos entreprises et à l’emploi.
Par l’augmentation des seuils, monsieur le ministre, vous proposez une orientation très ferme dans cette direction et la commission spéciale pousse encore plus loin que le Gouvernement. En outre, vous prévoyez d’accorder un délai de cinq ans à une entreprise dépassant le seuil pour qu’elle se mette en conformité avec toutes les règles de représentation s’imposant à elle.
Permettez-moi de vous dire que votre vision de l’entreprise est d’un archaïsme terrible ! Dans le monde contemporain, ce dont nous avons besoin, c’est qu’un dialogue social s’opère avec les salariés, que leurs droits soient reconnus et que l’on puisse réfléchir collectivement à l’avenir de l’entreprise, avec une juste répartition des richesses, des emplois et des investissements.
Le choix qui est le vôtre, monsieur le ministre, n’a jamais fait ses preuves ! Chaque fois que l’on nous annonce que la flexibilité va créer de la croissance ou de l’emploi, le résultat n’est pas vérifié. Toutes les études – même les plus récentes, que ce soit pour la loi Macron, sous le précédent gouvernement, ou pour les ordonnances Travail, sous l’actuel – montrent l’absence de tout effet sur l’emploi.
Les patrons le demandent-ils ? Le MEDEF, bien sûr ! Mais il s’agit là d’une position idéologique.
En revanche, si l’on étudie la question – ce que l’INSEE a fait –, on constate que 47 % des chefs d’entreprise évoquent des freins à l’embauche et que, parmi eux, plus de 28 % citent la visibilité économique comme le premier d’entre eux. Autrement dit, les patrons ne veulent pas embaucher parce qu’ils ne savent pas quelle sera la conjoncture ! Une formation en adéquation avec leurs besoins figure au deuxième rang des problèmes, tandis que la question du code du travail ou de la représentation salariale n’arrive qu’en quatrième ou cinquième position.
La Commission européenne a, elle, dressé des comparaisons à l’échelle de l’Europe. Elle a montré que la France se situait dans la moyenne basse de l’Union pour ce qui est de la représentation des salariés, les pays les plus performants de la zone figurant, paradoxalement, plutôt dans la moyenne haute.
Dès lors, monsieur le ministre, il vous faut réfléchir à ce qu’il s’est passé avec les « gilets jaunes ». Soit vous estimez que, dans ce pays, les corps intermédiaires, les syndicats, les organisations représentatives – tout ce qui a été créé pour représenter le monde salarial – ne comptent pour rien…
M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. … et vous vous contentez de compter les milliards d’euros que vous parvenez à dégager toutes les x années, soit vous considérez que, pour le bien de notre construction, il faut associer les salariés à l’avenir des entreprises.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour présenter l’amendement n° 347 rectifié ter.
M. Maurice Antiste. L’article 6 vise à supprimer de prétendues barrières à l’activité, en réduisant les obligations sociales des employeurs en fonction de la taille de l’entreprise, certaines obligations ne s’appliquant qu’aux entreprises ayant dépassé un certain seuil d’effectif. Il retient donc les seuils de 11, 50 et 250 salariés.
De plus, il faudrait désormais que les seuils d’effectif soient franchis pendant cinq années consécutives pour que les obligations liées à ces seuils s’appliquent.
La suppression du seuil de 20 salariés aura des conséquences concrètes sur la politique du logement social. La participation à l’effort de construction via Action logement et le Fonds national d’aide au logement sera, par la suppression de ce seuil, uniquement due par les entreprises de plus de 50 salariés, ce qui constitue un manque à gagner pour le secteur du logement,…
Mme Sophie Primas. Ils ne sont plus à cela près !
M. Maurice Antiste. … avec des répercussions directes sur le coût des emprunts des ménages.
L’article 6 relève en outre l’obligation de mise à disposition d’un local syndical commun dans l’entreprise de 200 à 250 salariés. Il réduit donc les responsabilités de nombre d’entreprises, au motif de simplifier l’existant.
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons sa suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. On ne peut être favorable à la suppression de cet article, car celui-ci comporte trois avancées importantes. La commission spéciale en a d’ailleurs adopté le principe.
Je citerai l’harmonisation des modalités d’appréciation des seuils, qui simplifie les mesures disparates du droit en vigueur dans les différents codes – cette harmonisation concernerait un quart des 199 obligations recensées actuellement dans différentes réglementations ; l’instauration de la règle de franchissement du seuil des cinq ans, qui aura des conséquences positives à court terme en lissant les effets de seuil ; le relèvement de 20 à 50 salariés du seuil d’assujettissement à la participation employeur à l’effort de construction et au taux normal de la contribution au FNAL.
Combinée avec la nouvelle règle de franchissement des seuils, qui exonérera des contributions les entreprises concernées pendant cinq ans, cette mesure contribue à alléger de près de 600 millions d’euros le coût du travail pour les entreprises.
L’avis est donc défavorable sur cet amendement de suppression de l’article.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. J’ai le souvenir d’un maraîcher – je crois que c’était au Marché d’intérêt national de Nantes – qui employait 48 salariés, alors que son entreprise tournait remarquablement bien. Pourquoi n’embauchez-vous pas, lui avais-je demandé, puisque cela marche bien et que vous avez des commandes ? Qu’est-ce qui vous empêche d’embaucher 5 ou 6 salariés de plus ? L’intéressé m’avait répondu qu’il était maraîcher, et non comptable, et qu’il n’allait pas se mettre sur le dos les dizaines d’obligations attachées au seuil de 50 salariés !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Que va-t-il dire du prélèvement à la source ?
M. Bruno Le Maire, ministre. J’ai écouté avec beaucoup d’attention vos propos, madame la sénatrice ; laissez-moi m’exprimer !
Vous ne devez pas côtoyer les mêmes chefs d’entreprise ou dirigeants de PME que je rencontre depuis des années ! Tous – ils sont unanimes – me disent : « Simplifiez les seuils, et nous embaucherons ! »
M. Antoine Lefèvre. Eh oui !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de faire ce pari, qui va nous permettre, enfin, de dynamiser la création d’emplois dans notre pays (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.), et ce pas uniquement grâce aux grands groupes, mais par l’intermédiaire de ce tissu exceptionnel de PME dont la France dispose.
Et vous, madame Lienemann, vous voulez les cadenasser. (Mme Marie-Noëlle Lienemann hoche la tête en signe de dénégation.) Vous avez l’envie d’imposer des obligations, des règles, des contraintes qui empêcheront l’embauche dans notre pays. C’est à cause d’elles que, depuis trente ans, nous ne parvenons pas à aligner notre taux de chômage sur celui que connaissent tous les autres pays européens ! Systématiquement, nous faisons peser, sur les entrepreneurs, de nouvelles obligations qui les empêchent de faire ce qu’ils auraient envie de faire : embaucher !
Nous, nous sommes ici pour créer des emplois pour les Français ! La priorité absolue pour notre pays, ce qui permettra de créer la cohésion et l’unité nationale, c’est, je pense, que chaque Français puisse trouver un emploi dans une entreprise, si possible dans une PME ou une petite entreprise.
Vous allez me dire que les seuils ont peu d’importance : c’était le sens de votre raisonnement. Mais dans quel autre pays développé au monde un patron d’une PME de 10 salariés peut-il se trouver confronté à 3 modes de calcul différents pour un même seuil ?
Cela engendre obligatoirement des incertitudes. Est-ce le mode de calcul de la sécurité sociale ? Celui des URSSAF ? L’entreprise emploie-t-elle 9, 10 ou 11 salariés ? Le seuil est-il vraiment franchi ? Y a-t-il des obligations nouvelles, ou pas ?
Ne croyez-vous pas que le dirigeant d’une entreprise de 10 salariés n’a pas mieux à faire, dans sa journée, que d’essayer d’établir le nombre de ses salariés – 9 ? 10 ? 11 ? – en fonction des trois modes de calcul que la législation française lui a imposés ?
Si vous votez les dispositions du projet de loi PACTE, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’existera plus qu’un seul mode de calcul.
J’en viens au seuil de 20 salariés, un seuil un peu « baroque » mis en place, comme ça, parce qu’il fallait un seuil de déclenchement pour les cotisations relatives au 1 % Logement, à l’Association pour l’emploi des cadres – l’APEC – et au FNAL.
Nous avons décidé de supprimer ce seuil, en compensant, à l’euro près, Action logement et tous les acteurs concernés par ce choix.
D’ailleurs, je peux le dire, le sénateur Jacques Mézard, qui est présent dans cet hémicycle, a veillé au grain… Lorsqu’il occupait ses précédentes fonctions, il s’est présenté devant le ministre de l’économie et des finances et lui a expliqué qu’il ne pourrait accepter cette modification qu’avec l’assurance absolue d’une compensation d’Action logement à l’euro près. Je me suis exécuté devant Jacques Mézard (Exclamations amusées.), et j’ai accepté un remboursement à l’euro près !
M. Antoine Lefèvre. Mézard fait trembler Bercy !
M. Bruno Le Maire, ministre. C’est la réalité ! Jacques Mézard dirigeait Bercy ! (Nouvelles exclamations.)
Quand je vois tout ce que le ministère se prend dans la figure… En fait, Bercy, c’est Jacques Mézard ! (Sourires.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Un Auvergnat à Bercy !
M. Bruno Le Maire, ministre. Nous avons donc décidé de supprimer le seuil de 20 salariés et, effectivement, la facture pesant sur les PME sera allégée de près de 600 millions d’euros.
Mais vous avez tous conscience, mesdames, messieurs les sénateurs – en tant qu’élu des territoires, vous êtes autant que moi au contact des patrons de PME –, que ces derniers se plaignent tous d’être soumis à des charges excessives.
Si un sénateur ou une sénatrice, ici, a entendu un patron de PME lui dire que ses charges étaient très faibles et ne lui posaient aucun problème, et que tout allait très bien pour lui, qu’il ou elle me le présente ! Cela me fera plaisir, parce que, en général, ceux que je vois dans mon bureau ou sur le terrain m’expliquent plutôt ne plus en pouvoir des charges, qu’ils jugent excessives.
L’occasion vous est offerte, ici, d’alléger de 600 millions d’euros les charges pesant sur les patrons de PME. Peut-être viendront-ils moins se plaindre, ensuite, auprès de vous…
M. Michel Canevet. C’est vrai !
M. Bruno Le Maire, ministre. Enfin, à travers ce projet de loi, nous nous adressons aux entrepreneurs qui hésitent à embaucher, et nous en comprenons les raisons : une commande, je l’évoquais dans mon intervention liminaire, n’est pas la garantie d’un redressement spectaculaire de l’entreprise pendant plusieurs années et le dirigeant ayant besoin de quelques salariés supplémentaires préférera donc avoir recours à des intérimaires plutôt que d’embaucher du personnel en contrat à durée indéterminée. Il fera tout pour ne pas franchir le seuil de 50 salariés.
Nous avons donc prévu d’instaurer un délai de cinq ans à partir du franchissement du seuil. Si, dans ce laps de temps, l’entreprise revient en deçà du seuil, elle ne connaîtra aucune contrainte supplémentaire. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Nous attendrons qu’elle l’ait franchi durant cinq années consécutives, soit la durée d’un cycle économique, pour lui imposer des obligations.
Je crois profondément que cette mesure est de nature à déclencher une décision d’embauche au sein de nombreuses entreprises, qui, jusqu’à présent, hésitaient à embaucher au motif qu’elles craignaient de ne devoir s’acquitter de nouvelles obligations, trop lourdes pour elles.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les trois décisions majeures que nous vous proposons : plus de modes de calcul différents pour le seuil à 11 salariés ; la suppression du seuil de 20 salariés et le délai de cinq années consécutives pour être soumis à des obligations nouvelles au titre du franchissement des seuils. En France, il n’y aura désormais plus que trois seuils : 11, 50 et 250 salariés.
J’ai suivi avec attention vos débats – je m’adresse notamment au président Bruno Retailleau, avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger sur le sujet. Certains d’entre vous veulent aller plus loin s’agissant du seuil de 50 salariés. Je parle ici des obligations sociales et fiscales attachées à ce seuil, et non des questions de représentation du personnel. Je suis effectivement attaché au syndicalisme…
M. Fabien Gay. Lequel ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … – il est important de disposer d’organisations syndicales représentant correctement les salariés – et il est hors de question, pour moi, de toucher aux institutions représentatives du personnel.
M. Fabien Gay. On s’en est chargé avant !
M. Bruno Le Maire, ministre. Néanmoins, si certains sénateurs nous demandent de porter, dans un effort supplémentaire, le seuil de 50 salariés pour les obligations sociales et fiscales à 70 salariés, pourquoi pas !
Mme Sophie Primas. Oui !
M. Bruno Retailleau. Et même à 100 !
M. Marc Daunis. Qui dit mieux ? (Sourires.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Ne jouons pas au jeu du Qui dit mieux, cela peut nous emmener très loin ! (Nouveaux sourires.)
Mais ce que je vous dis est important, mesdames, messieurs les sénateurs. Le projet de loi PACTE est cohérent et le point fondamental sur lequel repose cette cohérence, c’est la volonté de croître pour créer des richesses et des emplois au bénéfice des Français.
Certains d’entre vous ont l’idée d’augmenter le seuil de 50 salariés – par exemple, de le porter à 70 – pour renforcer l’incitation à l’embauche, à la création d’emplois, sources de prospérité. Je trouve que c’est une bonne idée !
Nous devons examiner le coût de cette mesure pour les finances publiques, et son incidence, mais l’idée est bonne. Je crois effectivement que, lorsque notre nation aura retrouvé le plein emploi et la prospérité, elle aura aussi retrouvé son unité. (M. Jacques Mézard applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je suis toujours très admirative quand j’entends ses promesses récurrentes !
Nous sommes un certain nombre à siéger dans les institutions de la République depuis tout de même longtemps. On ne cesse de nous expliquer que nous allons régler le problème du chômage, en flexibilisant, en réduisant la représentation salariale, en supprimant des seuils et des cotisations sociales. À longueur de journée, c’est la grande révolution ! Enfin, on va résoudre le problème des Français et de l’emploi ! Bilan des courses : partout où l’on mène ce type de politique, les croissances sont terriblement faibles et le chômage, visible ou invisible grâce aux travailleurs pauvres dans certains secteurs, est là !
Assez de tromperie ! Aucune étude n’a prouvé un lien direct avec la transformation des seuils ou la flexibilité accrue du travail pour les embauches !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Vous me dites avoir rencontré un maraîcher, monsieur le ministre. Bien sûr ! Je vous ai indiqué que 47 % des dirigeants percevaient des freins à l’embauche – ce qui signifie que plus de la moitié des dirigeants, déjà, ne sont absolument pas dans ces sujets – et peut-être 10 % souffrent du problème que vous évoquez.
Mais ce maraîcher, qui ne sait pas compter parce qu’il est maraîcher – c’est ce que vous nous expliquez –, il doit se réjouir du prélèvement de l’impôt à la source… Il a dû apprendre spontanément à compter !
Les arguments de ce genre ne sont rien d’autre que de la démagogie, visant à mener une politique d’affaiblissement du monde salarial, en croyant, ainsi, redonner du souffle à notre économie !
Je pense strictement l’inverse ! Je pense qu’un pacte social, avec une juste représentation des salariés et leur association à un certain nombre de décisions d’avenir, est la seule façon de redresser l’économie nationale. (Mme Cathy Apourceau-Poly applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je vous ai écouté, monsieur le ministre. Vous nous avez beaucoup parlé des entreprises, à travers cette question des seuils, qui est l’objet de l’article 6 et fonde notre demande de suppression de cet article. Nous avons également beaucoup parlé, à travers les exemples mentionnés, des chefs d’entreprise, selon les différentes tailles d’entreprise.
Mais, indépendamment de sa taille, mes chers collègues, une entreprise se compose de dirigeants et de salariés, dont le nombre varie : 4, 5, 10, 11, 20, 50, 250, voire plus – mais nous entrerions là dans un autre type d’entreprises.
Dans votre discours, bien connu, il faudrait tout de même éviter un écueil : celui qui consiste à faire croire que l’effectif salarié serait un handicap au développement économique d’une entreprise. Au-delà de la question des seuils, c’est bien celle du nombre de salariés que l’on pose – salariés qui travaillent et produisent de la richesse.
D’ailleurs, dans la discussion générale, vous nous avez fait tout un laïus sur l’industrie et les façons de l’aider. L’industrie, c’est un coût, certes, mais c’est aussi une richesse pour notre pays !
Il est évident que nous avons besoin de développer nos entreprises, de toutes tailles. Ce sont elles qui agissent, qui créent des richesses, qui font vivre des femmes et des hommes sur nos territoires. Mais, dans la période actuelle, il faut éviter tout raccourci facile, éviter de faire croire que la question de l’emploi et du chômage, à défaut d’être réglée par ce biais, serait très fortement liée à la question des effectifs et des seuils d’effectifs.
Puisque chacun en est à donner des exemples, je signale que, en tant que présidente de la commission du développement économique de la deuxième région de France – fonction que j’ai occupée pendant six ans –, j’ai moi aussi rencontré de très nombreux chefs d’entreprise, qui dirigeaient des structures de toutes les tailles et dans différents secteurs d’activité.
Force est de constater qu’une question, aussi, revient très fortement : celle de l’accès au crédit bancaire, notamment pour certaines entreprises de petite taille, dans un certain nombre de secteurs d’activité où, si elles ne sont pas jugées performantes, on ne leur prête pas d’argent, les privant ainsi de toute possibilité d’accroître leurs performances dans le futur.
Or, dans ce « grand » projet de loi PACTE, censé créer l’entreprise de demain et les emplois de demain, rien n’est prévu pour faciliter l’accès au crédit bancaire !
Cela me laisse penser que cette question des seuils est une question de principes. Vous défendez les vôtres, monsieur le ministre ; nous défendons les nôtres. Dans ce cadre, veillons néanmoins à ne pas laisser croire que le problème dans notre pays, ce serait les salariés, qui freineraient la croissance de demain.
Mme Sophie Primas. Ce n’est pas ce qui a été dit !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
Un sénateur du groupe Les Républicains. Jamais deux sans trois !
M. Fabien Gay. J’ai bien écouté votre argumentaire, monsieur le ministre. Sur la question du syndicalisme, je vous rassure : le Gouvernement, par l’intermédiaire de Mme Muriel Pénicaud, a déjà fait le travail avec le comité social et économique !
S’agissant des seuils, il faut tout dire ! Nous allons tout de même rencontrer un problème, que personne, ici, ne pose sur la table.
Mon collègue Maurice Antiste a évoqué le 1 % Logement. Mais il n’y a pas que cela ! Qu’en sera-t-il du versement transport ? Des cotisations pour la formation professionnelle ? Des cotisations à la sécurité sociale ? Le bouleversement des seuils aura des incidences dans tous ces domaines et les chiffres manquent !
J’ai lu une étude selon laquelle les conséquences sur le financement de la sécurité sociale de ce bouleversement que nous nous apprêtons à voter seraient – dites-moi si je me trompe, monsieur le ministre – évaluées entre 650 millions et 1 milliard d’euros. Si c’est vrai, ce n’est pas une bagatelle !
Comment allons-nous compenser ce milliard d’euros ? Qui va payer ?
Enfin, vous parlez de charges… Mais, et nous reviendrons sur le sujet, ces charges n’en sont pas ! Il s’agit des cotisations qui abreuvent notre système de sécurité sociale, il s’agit de salaires différés. Il en va de même pour le travail : ce ne peut être un coût, puisque c’est le travailleur qui crée la richesse. Derrière tous ces mots, vous menez une guerre idéologique ! (Mme Annick Billon s’exclame.)
Il faut nous répondre sur cette question du financement de la sécurité sociale, monsieur le ministre. Parlons-nous bien, pour le changement que nous nous apprêtons à voter, d’un coût de 650 millions à 1 milliard d’euros pour la sécurité sociale ? J’aimerais beaucoup vous entendre sur le sujet, en particulier sur ce que vous comptez mettre en œuvre pour compenser ces pertes.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce qui a été dit sur les salariés est tout simplement faux – je parle non de votre remarque, monsieur Gay, mais de celle de l’oratrice précédente – ; je n’ai jamais rien dit de tel ! Je n’ai jamais mis en cause les salariés ! Ce sont eux qui font fonctionner les entreprises, qui créent leurs richesses, d’où, d’ailleurs, notre volonté de développer l’intéressement et la participation pour leur assurer une meilleure rémunération.