M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, à la faveur de l’examen de la proposition de loi de Mme Éliane Assassi et des autres membres du groupe CRCE, le Sénat est conduit à se prononcer sur un sujet qui, depuis quelques semaines, divise dans le débat public : l’usage des lanceurs de balles de défense dans les opérations de maintien de l’ordre.
Notre débat s’inscrit dans un contexte de fortes tensions, que nous ne saurions ignorer dans le cadre de nos échanges. En effet, voilà maintenant seize semaines que nous assistons, sur l’ensemble du territoire, à des manifestations hebdomadaires qui s’accompagnent d’actes de violence et de dégradations sans précédent. Outre des dégâts matériels d’une ampleur inédite, un nombre malheureusement important de blessés est à déplorer, du côté des manifestants comme des forces de l’ordre.
Dans ce contexte pour le moins inédit, beaucoup s’interrogent, légitimement, sur l’adéquation de la doctrine française de maintien de l’ordre.
Il est certain que les événements récents appelleront des évolutions. C’est d’ailleurs dans cette optique que le Sénat a adopté, dès le mois d’octobre dernier, une proposition de loi visant à prévenir et sanctionner les violences lors des manifestations, proposition qui reviendra en discussion dans notre hémicycle la semaine prochaine.
La proposition de loi soumise à notre examen s’inscrit assurément dans ce débat, mais elle adopte un angle précis, en mettant l’accent uniquement sur la réduction de l’usage de la force par les forces de l’ordre. Comme vient de l’expliquer Mme Assassi, l’objet de ce texte est triple.
Il s’agit d’abord d’interdire l’utilisation des lanceurs de balles de défense dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre.
La proposition de loi vise ensuite à renforcer la transparence sur l’usage des armes par les forces de l’ordre, en ouvrant au public le traitement relatif à l’usage des armes, qui recense l’ensemble des cas d’usage par les agents de police.
Enfin, elle prévoit la remise d’un rapport au Parlement sur les avantages et les inconvénients de chaque type de doctrine au niveau européen et sur les alternatives à mettre en œuvre dans notre pays pour pacifier le maintien de l’ordre dans le cadre des manifestations.
S’il soulève un débat essentiel, ce texte n’en présente pas moins d’importantes limites, qui ont conduit la commission des lois à ne pas l’adopter. Avant même de se pencher sur l’opportunité des dispositifs proposés, notre commission a relevé que le texte soulevait des difficultés d’ordre juridique. En effet, la plupart de ses dispositions ne relèvent pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire. Ainsi en est-il de la liste des armes susceptibles d’être utilisées dans le cadre du maintien de l’ordre, ainsi que des conditions d’accès au fichier relatif à l’usage des armes. Surtout, il est apparu à notre commission que les dispositifs proposés présentaient des difficultés importantes sur le fond.
Avant tout, il me semble nécessaire de s’attarder quelques instants sur le cadre juridique d’usage du LBD, qui fait trop souvent l’objet d’approximations.
Le LBD ne constitue pas, contrairement aux idées reçues, une arme en libre-service, utilisée à la légère. Bien au contraire, comme l’a rappelé récemment le Conseil d’État, son emploi dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre est strictement encadré.
M. David Assouline. Plus de 13 400 tirs : vous parlez d’un encadrement…
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. De fait, deux usages précis sont prévus par le code de la sécurité intérieure.
Le premier, dit collectif, est spécifique aux opérations de maintien de l’ordre : le recours au LBD est autorisé lorsque, à l’occasion d’un attroupement sur la voie publique, des voies de fait ou des violences sont commises à l’encontre des forces de l’ordre, ou lorsque celles-ci ne sont pas en mesure de protéger le terrain qu’elles occupent. Le LBD est alors utilisé en groupe, par l’ensemble de l’unité, sur décision du commandement.
Le second usage, dit individuel, repose sur le régime général d’usage des armes par les forces de sécurité intérieure : le LBD peut alors être utilisé, y compris dans le cadre d’une manifestation, lorsque l’usage de l’arme létale est légitime. Il s’agit, par exemple, des cas de légitime défense, d’état de nécessité et de périple meurtrier.
En revanche, le LBD ne peut pas être utilisé – j’y insiste – par les unités de maintien de l’ordre en vue de disperser un attroupement après sommations. Son usage est purement défensif.
Outre ce cadre légal et réglementaire, une instruction fixe de manière claire et précise la doctrine d’emploi du LBD. Elle prohibe notamment le tir à la tête, ainsi que le tir contre des personnes présentant des signes de vulnérabilité.
On ne peut nier que l’usage du LBD, jusque-là assez réduit, a beaucoup progressé au cours des dernières semaines, entraînant parfois des blessures importantes. Selon les informations communiquées à la commission, alors que 6 284 tirs de LBD ont été recensés au sein de la police nationale en 2017, 13 460 tirs ont été dénombrés entre le 17 novembre 2018 et le 5 février 2019. Depuis le début des manifestations des « gilets jaunes », un millier de tirs de LBD ont été effectués par les escadrons de gendarmerie mobile, contre une cinquantaine seulement en 2017.
Pour autant, cet usage massif et, disons-le, principalement conjoncturel ne justifie pas que le recours à cette arme soit interdit. Il est essentiel de ne pas confondre l’usage légitime et légal d’une arme, qui est toujours susceptible de blesser, avec le mésusage de la force. Constater des blessures, aussi graves soient-elles, ne suffit pas à établir que l’emploi de l’arme était illégitime. L’existence d’éventuelles dérives personnelles dans l’usage des LBD, qu’il appartient à la justice de condamner fermement, ne justifie pas davantage d’interdire l’emploi de cette arme.
Si l’on ne peut que regretter que l’usage du LBD puisse, dans certaines circonstances, provoquer des blessures parfois d’une gravité certaine, force est de constater que le nombre de blessures liées à des lanceurs de balles de défense demeure réduit par rapport au nombre de tirs effectués.
M. David Assouline. Évidemment, vu le nombre de tirs !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. Sur les 13 460 munitions utilisées dans le cadre des manifestations sur la voie publique entre novembre 2018 et février 2019, l’Inspection générale de la police nationale n’aurait été saisie que de cinquante-six cas de graves blessures. Surtout, la plupart des personnes que j’ai auditionnées s’accordent à dire – je pense que M. le secrétaire d’État abondera en ce sens – que l’interdiction pure et simple des lanceurs de balles de défense, sans aucune alternative, risquerait de déstabiliser l’organisation des opérations de maintien de l’ordre.
M. François Grosdidier. Absolument !
Mme Éliane Assassi. Que le Gouvernement propose des alternatives !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteur. Le lanceur de balles de défense est une arme de force intermédiaire nécessaire à la mise en œuvre d’une réponse graduée et d’un usage proportionné de la force. En interdire l’usage reviendrait à supprimer un échelon dans l’arsenal des moyens à la disposition de nos forces de l’ordre, avec deux risques : inciter au contact direct entre manifestants et forces de l’ordre, qui n’est pas de nature à réduire le nombre de blessés, et induire un recours plus fréquent à l’arme létale.
Pour ces mêmes raisons, la Cour européenne des droits de l’homme exige la mise en œuvre d’une réponse graduée et d’un usage proportionné de la force dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre. Dans un arrêt de 1998, elle a ainsi condamné la Turquie pour n’avoir pas doté ses forces de police d’autres armes que les armes à feu et, ainsi, ne pas leur avoir laissé d’autre choix que d’utiliser leurs armes létales à l’occasion d’une manifestation.
Si ces arguments plaident pour le maintien de l’usage du LBD, il demeure toutefois essentiel de s’assurer de la bonne utilisation de celui-ci et du strict respect du cadre juridique. À cet égard, je tire de mes auditions le constat de quelques marges d’amélioration possibles pour perfectionner l’usage du LBD.
Tout d’abord, nombreux sont ceux qui appellent à une amélioration de la formation à l’usage de cette arme : l’obligation d’entraînement tous les trois ans est jugée insuffisante par de nombreux policiers et gendarmes.
Par ailleurs, si la mise en place de caméras mobiles pour documenter l’usage de cette arme constitue une avancée importante, il m’a été indiqué que des améliorations techniques mériteraient d’y être apportées pour les rendre complètement opérationnelles.
Monsieur le secrétaire d’État, ces éléments nous paraissent essentiels : nous sommes intéressés de vous entendre sur les réflexions envisagées par vos services sur le sujet.
Pour finir, je résumerai en quelques mots la position de notre commission sur les deux autres articles du texte.
Comme l’interdiction du LBD, l’ouverture au public du traitement relatif à l’usage des armes est porteuse de risques pour les forces de l’ordre. Outre les difficultés qu’elle soulève en termes de protection des données personnelles, elle pourrait conduire à rendre publiques des données relatives aux conditions d’intervention des forces de l’ordre, ce qui risquerait de fragiliser leur action. De plus, ouvrir ce traitement ne donnerait qu’une vision partielle de l’usage des armes, car il ne concerne que la police nationale.
Enfin, par le biais d’une demande de rapport au Parlement, les auteurs de la proposition de loi invitent à repenser la doctrine française du maintien de l’ordre, en s’inspirant des modèles mis en œuvre dans d’autres pays européens. Le débat mérite d’être posé. Toutefois, les pistes esquissées par la proposition de loi ne paraissent pas de nature à répondre aux défis auxquels le dispositif français de maintien de l’ordre est aujourd’hui confronté. Contrairement à la conception communément admise, les doctrines fondées sur le principe de désescalade ne sont pas, en pratique, exemptes de tensions avec les forces de l’ordre. Un rapport de 2014 des inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales révèle ainsi que la doctrine allemande, souvent citée en exemple, est en réalité fondée sur une entrée en contact rapide avec les manifestants et s’accompagne d’un nombre élevé de blessés.
Pour l’ensemble de ces raisons, je vous invite, au nom de la commission des lois, à ne pas adopter cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis quelques semaines, le débat sur le maintien de l’ordre public se concentre sur une arme non létale employée par nos policiers et gendarmes : le lanceur de balles de défense, plus communément appelé le LBD.
Depuis des semaines, l’ordre public connaît des troubles majeurs. Ces troubles illustrent l’évolution à l’œuvre dans les manifestations de voie publique.
De plus en plus, la violence s’infiltre dans les manifestations, qui sont un mode d’expression démocratique, légitime et encadré. De plus en plus, à côté des manifestants pacifiques, les forces de l’ordre voient surgir des groupes ultraviolents, dont le seul objectif est de casser et de violenter. Matériel urbain, vitrines de magasins, symboles de la République, bâtiments et monuments, parfois permanences parlementaires : tout y passe ! Il s’agit aussi de s’en prendre aux forces de l’ordre, en leur qualité de représentantes de nos institutions, par tous les moyens : jets de projectiles, jets d’engins incendiaires ! Nous avons en tête ces terribles images, vues une première fois lors du mouvement de rue qui contestait la loi El Khomri. Nous avons aussi en tête ces terribles images d’un fonctionnaire de police transformé, le 1er mai 2017, en torche humaine, alors qu’il était là uniquement pour faire respecter la loi. Je pourrais également citer des événements plus récents, qui ont trait au mouvement dit des « gilets jaunes » : ces motards de la préfecture de police de Paris pris à partie sur les Champs-Élysées, le 22 décembre dernier, ou la scène ahurissante qui s’est déroulée sur la passerelle Senghor, début janvier.
Depuis le 17 novembre, il y a eu près de 1 500 blessés parmi les forces de l’ordre, qu’il s’agisse de policiers, de gendarmes ou même de pompiers. Depuis le 17 novembre, on a compté près de 80 dégradations majeures sur des bâtiments publics.
Nous ne parlons pas de manifestations pacifiques, déclarées, de gens qui expriment des revendications. Sur le terrain, nous sommes confrontés, policiers, gendarmes, à des individus extrêmement violents qui veulent en découdre et dont c’est apparemment la seule motivation. Ces violences, qui sont inqualifiables, inacceptables, transforment les manifestations en émeutes.
Il faut dire les choses clairement : les forces de l’ordre engagées sur ces manifestations savent que, presque systématiquement, elles seront confrontées à ce phénomène. Cela change tout : aux techniques de dispersion classique des cortèges, il faut substituer des techniques destinées à lutter contre des violences urbaines, contre des émeutes.
C’est dans ce contexte très particulier que doit se poser la question de l’armement mis à disposition des forces de l’ordre. Or la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, si elle était adoptée, priverait ces forces de l’ordre d’un moyen devenu nécessaire pour dissiper les violences et contenir les débordements.
Cela étant, je veux le dire clairement, comme Mme la rapporteure l’a rappelé, le LBD n’est pas une arme anodine. Nous avons tous à l’esprit quelques images dures de blessures parfois très graves. C’est pourquoi son emploi est strictement encadré. Les forces de l’ordre agissent, en effet, dans un cadre légal précis et sont guidées par deux principes fondamentaux : l’absolue nécessité et la stricte proportionnalité, qu’elles interviennent en légitime défense ou pour disperser un attroupement. Il s’agit toujours de contenir les individus les plus agressifs et de les disperser, en évitant d’attiser la violence et en préservant ainsi ceux qui veulent, eux, porter leurs revendications pacifiquement.
Jamais ce gouvernement n’a dissuadé de manifester ! La preuve, tous les samedis, nous encadrons des manifestations et des mouvements.
M. David Assouline. Avec la loi anticasseurs ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. L’utilisation du lanceur de balles de défense constitue une réponse graduée et proportionnée à la multiplication des situations de danger. Ainsi, lors d’opérations de maintien de l’ordre, il ne peut être fait usage du LBD que si des voies de fait ou des violences sont commises contre les forces de l’ordre ou pour leur permettre de protéger une position. Comme je vous l’ai dit en débutant mon propos, cette situation devient malheureusement courante.
J’ajoute que les fonctionnaires dotés de ce matériel sont formés et habilités. Ils doivent respecter un protocole précis, en termes de distance et de visée. Si ce protocole n’est pas respecté, c’est qu’un manquement est commis. Dès lors, il y a une enquête et le manquement doit être sanctionné.
Puisque j’en viens à la question des fautes, j’aimerais dire deux choses.
D’abord, tout soupçon de manquement entraîne une enquête et une sanction si une faute est établie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Avec quel résultat ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. C’est vrai pour l’emploi des LBD comme pour toutes les actions de nos forces de l’ordre. Ces forces de l’ordre sont systématiquement soumises au contrôle des différentes inspections générales et, le cas échéant, de la justice.
En la matière, un certain nombre d’enquêtes ont été ouvertes ces dernières semaines auprès de l’Inspection générale de la police nationale et de l’Inspection générale de la gendarmerie nationale, notamment pour des faits allégués de mauvais usage de LBD. Au total, depuis le début du mouvement dit des « gilets jaunes », on compte environ 2 200 blessés parmi les manifestants et 83 enquêtes en cours à I’IGPN et à l’IGGN impliquant des faits qui ont fait intervenir des tirs de LBD.
Mme Éliane Assassi. Et ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Chaque tir étant précisément enregistré, nous savons qu’il y a eu 13 095 tirs de LBD depuis le début du mouvement.
Cependant, comme je vous le disais, cette arme n’est pas anodine et la sécurité de tous est notre priorité. C’est pourquoi nous avons pris des mesures. Ainsi, le ministre de l’intérieur a notamment exigé que tous les policiers et les gendarmes munis de LBD soient dotés de caméras-piétons pour pouvoir vérifier systématiquement le bon usage de l’arme et, surtout, contextualiser cet usage pour s’assurer qu’il a été effectué dans des conditions réglementaires.
Certains posent néanmoins encore une question : pourquoi le choix du LBD ?
D’abord, j’ai beaucoup entendu que le LBD était une forme d’exception française, une arme qui ne serait utilisée que dans notre pays : c’est faux ! D’autres polices l’utilisent. En Espagne, en Croatie, en Bulgarie ou encore en Slovénie, les forces de sécurité intérieures sont dotées de LBD. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Ensuite, nous avons fait le choix en France, dans notre doctrine de maintien de l’ordre, de la distance quand il n’y a pas d’exactions et de violences. Dans un premier temps, les forces de l’ordre ne vont pas au contact et cherchent, au contraire, à ne pas exciter les violences en évitant autant que possible le corps à corps et en dissipant les violences à distance.
Enfin, le LBD ne peut être pris en compte séparément des autres matériels. C’est un ensemble d’outils, d’armes qui sont mis à disposition : gaz lacrymogènes, canons à eau, dispositifs de désencerclement. Chacun est destiné à répondre à une situation particulière, dans des circonstances précises que les retours d’expériences ont permis d’identifier. Le LBD répond, dans ce cadre, à cet ancrage dans la violence de certains groupes d’émeutiers, à la multiplication des situations dans lesquelles les policiers ou les gendarmes se trouvent aux limites de la légitime défense.
Si nous supprimions les LBD, il ne resterait, dans bien des cas, que le corps à corps ou l’usage des armes de service. Je ne crois pas que nous souhaitions de telles alternatives.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aimerais que l’on ne se méprenne pas. S’il n’y avait pas de violences, il n’y aurait de blessés ni chez les manifestants ni chez les forces de l’ordre.
Mme Éliane Assassi. Et pourquoi pas, pas de manifestation !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. S’il n’y avait pas de casseurs, s’il n’y avait pas d’agresseurs, il n’y aurait aucun tir de LBD.
M. François Grosdidier. Très juste !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je serai le premier à être rassuré lorsque les forces de l’ordre n’auront plus à utiliser les LBD. Cela voudra dire que les manifestations ont retrouvé leur calme et que les casseurs ont perdu. Mais tant qu’il y aura des individus ultraviolents pour se glisser dans les cortèges, nous devrons assurer la sécurité des Français et garantir la protection des manifestants et des biens. Nous devons être vigilants et exigeants. Nous devons sans cesse vérifier que les règles d’emploi des LBD sont respectées, mais nous ne pouvons pas nous permettre de retirer à nos policiers et à nos gendarmes un moyen utile et nécessaire pour le maintien du bon ordre républicain.
Cette proposition de loi, si elle était adoptée, pourrait avoir des conséquences dangereuses pour la sécurité des Français et, en premier lieu, la sécurité des manifestants. Vous comprendrez donc que le Gouvernement s’y oppose.
Avant de conclure, j’évoquerai la possibilité d’accéder au système qui enregistre chacun des tirs de LBD. La police nationale dispose en effet d’un système informatique qui enregistre les tirs de LBD. Il s’agit d’une application purement interne, réservée à l’Inspection générale de la police nationale, à la hiérarchie des policiers. Elle comporte un certain nombre de données personnelles, qui sont protégées ; il n’est bien évidemment pas possible de les rendre publiques.
Je voudrais également évoquer la doctrine de la désescalade dont on entend souvent parler. À titre personnel, je ne sais pas ce que c’est. Il est impossible d’engager une procédure de désescalade quand on a affaire à des manifestations violentes, à des casseurs.
La désescalade existe dans notre droit : cela s’appelle la déclaration de manifestation. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.) Cela suppose de se rendre en préfecture, d’y expliquer l’itinéraire choisi et d’exposer le service d’ordre qui sera respecté.
La désescalade, ce sont les contrôles préventifs que nous mettons en place en amont pour éviter que des casseurs et des individus violents n’arrivent avec des armes par destination dans les manifestations. Ça, c’est de la désescalade et cela existe en droit français ! C’est ce que nous mettons en place tous les samedis lors de chacune des manifestations des « gilets jaunes ». Nous arrivons à détecter des armes par destination grâce aux contrôles préventifs. Les interpellations faites en amont pour empêcher ces individus de se rendre à ces manifestations pour y commettre des violences relèvent de la désescalade.
Concernant la doctrine de maintien de l’ordre, elle est établie. Oui, cette doctrine a évolué depuis le 1er décembre, date à partir de laquelle nous avons été systématiquement confrontés à des individus violents qui commettent des exactions ! Les forces de l’ordre savent qu’elles ne doivent en tolérer aucune. Dès qu’il y a des violences, elles interviennent pour y mettre un terme. C’est ce qu’on attend d’une police et d’une gendarmerie républicaines, que vous appelez de vos vœux, madame Assassi. Et je peux vous confirmer que notre police et notre gendarmerie sont bien républicaines ! Elles interviennent pour mettre un terme à des violences qui sont inacceptables dans notre pays, des violences bien éloignées du droit de manifester auquel nous sommes très attachés et que nous protégeons par ailleurs.
Vous comprendrez donc que le Gouvernement émettra sur cette proposition de loi un avis défavorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Gatel, ainsi que MM. Jean-Claude Requier et Alain Richard applaudissent également.)
M. François Grosdidier. Bravo, monsieur le secrétaire d’État !
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui poursuit un objectif en partie légitime, celui de faire la lumière sur les conditions réelles d’utilisation des lanceurs de balles de défense dans le contexte des manifestations et les risques liés à cette pratique. Tel est l’objet de son article 2. Cet article fait directement écho aux objections que l’on a vu se multiplier ici et là, suite aux violences et aux dégradations qui ont été constatées lors des manifestations de « gilets jaunes ». Les préoccupations relayées par des institutions et des observateurs, comme le Défenseur des droits ou la Ligue des droits de l’homme, sont celles de nombreux de nos concitoyens désireux d’exercer leur droit de manifestation en toute sécurité. Elles doivent donc être entendues et prises en compte par les autorités chargées de maintenir l’ordre.
Après un lent mouvement de pacification des cortèges, qui a participé à leur légitimation et leur a permis de peser dans l’histoire sociale de notre pays, nous observons, depuis quelques décennies, une recrudescence des violences liées aux manifestations, qui sont le fait de petits groupuscules violents. Il y a quelques années encore, le climat pacifique des mobilisations populaires était tel que l’on pouvait y apercevoir des familles, des enfants. Les bilans étaient plus au décompte des manifestants que des infractions constatées.
Ce qu’on appelait hier les « ligues » sont devenues les « Black Blocs » aujourd’hui. Il s’agit d’individus bien entraînés, cagoulés et équipés d’objets susceptibles d’être utilisés comme des armes. Ils sévissent au milieu de manifestants pacifiques et provoquent nos forces républicaines. À ces comportements s’y agrègent d’autres plus erratiques, opportunistes, de casseurs et de pilleurs qui s’attaquent au bien public, au mobilier urbain et aux commerces.
Pour qui n’a pas à endosser l’uniforme chaque samedi et à mettre en balance la protection de son intégrité physique, celle de ses collègues et l’utilisation d’armes engageant sa responsabilité personnelle et celle de l’institution policière, l’équation peut sembler simple. Nous tenons, au contraire, à réaffirmer notre confiance en nos forces de maintien de l’ordre et en leur sincérité à vouloir exercer leur mission dans l’intérêt de tous les Français, sans servir telle ou telle intention obscure.
Il serait dangereux de laisser croire, comme le déclarait ironiquement Louis-Philippe, que « La République a de la chance, elle peut tirer sur le peuple ». Si la République n’a pas vocation à le faire, la désarmer pourrait la faire vaciller ! D’ailleurs, force est de constater que l’utilisation d’armes non létales est aujourd’hui plus polémique que celle d’armes létales. L’armement de forces de sécurités privées qui s’est renforcé sous le précédent quinquennat a suscité peu de réactions. Aujourd’hui, les alternatives ne sont malheureusement pas pléthoriques. Du fait de cette contrainte, nous ne sommes pas favorables à une interdiction pure et simple des lanceurs de balles de défense, comme le dispose l’article 1er de la proposition de loi.
Pour autant, le débat sur l’adaptation du maintien de l’ordre doit se poursuivre. Il devient urgent de retisser le lien entre les autorités et les services d’ordre des organisateurs de manifestations, lorsqu’ils existent, de même que les agents sur le terrain et les manifestants. La fragilisation des syndicats n’est pas un phénomène totalement étranger à la montée des violences que l’on observe dans les cortèges.
Plusieurs de nos voisins européens ont expérimenté de nouvelles techniques ou outils de maintien de l’ordre visant à renforcer l’information des personnes manifestant pacifiquement, afin de permettre une interpellation plus efficace des individus violents. On pense, par exemple, au recours à des panneaux permettant de diffuser des messages de dispersion.
Par ailleurs, l’entraînement au maniement de ces armes, si leur utilisation était pérennisée, devrait à l’évidence être renforcé pour tous les agents susceptibles de manipuler les lanceurs de balles de défense, pas seulement les compagnies républicaines de sécurité. Les règles d’utilisation ont considérablement été renforcées par les instructions des 27 juillet et 2 août 2017 du ministre de l’intérieur, comme l’a noté le Conseil d’État dans son ordonnance du 1er février 2019. Depuis celle du 23 janvier 2019, s’y ajoute également l’obligation de filmer l’utilisation des LBD, obligation qui, sur le terrain, apparaît difficile à mettre en œuvre.
La création d’une commission d’enquête pour examiner ces questions aurait peut-être été plus pertinente. Le groupe du RDSE avait d’ailleurs déposé, en 2008, une proposition de résolution en ce sens s’agissant des Taser. C’est la raison pour laquelle le groupe du RDSE votera en majorité contre cette proposition de loi. Certains s’abstiendront ou voteront pour, comme nos deux collègues écologistes. (MM. Jean-Claude Requier et Alain Richard applaudissent.)