M. Gérard Longuet. Tout à fait !
Mme Élisabeth Borne, ministre. J’ai eu l’occasion de discuter avec des chauffeurs VTC dans le cadre de mes précédentes fonctions. Lorsque je leur proposais de venir travailler à la RATP, c’est-à-dire d’avoir un emploi à vie et un régime social formidable, ils répondaient par la négative !
Il nous faut accepter que, aujourd’hui, des jeunes puissent, par ce biais, entrer sur le marché du travail, ce qui me semble évidemment une bonne chose, sans vouloir plaquer les modèles auxquels nous étions habitués jusqu’à présent. C’est le sens de cet article.
M. Gérard Longuet. Très bien !
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 161 est présenté par Mme Assassi, M. Gontard et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 232 rectifié est présenté par Mme de Cidrac, MM. Retailleau et Forissier, Mmes Deromedi et Puissat, MM. Bazin, Schmitz, Panunzi, Charon, Sido et Magras, Mmes Duranton et Lassarade, MM. Laménie, Regnard, Danesi et Babary et Mme C. Fournier.
L’amendement n° 574 rectifié bis est présenté par M. Jacquin, Mmes Lubin et Grelet-Certenais, MM. Bérit-Débat et Dagbert, Mme M. Filleul, MM. Houllegatte et J. Bigot, Mme Bonnefoy, M. Madrelle, Mmes Préville, Tocqueville, Taillé-Polian et Harribey, MM. Kanner, Cabanel, Courteau, Devinaz et Féraud, Mmes Guillemot et Jasmin, MM. Lalande et Lurel, Mme Monier, MM. Montaugé, Raynal, Tissot et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Céline Brulin, pour présenter l’amendement n° 161.
Mme Céline Brulin. Comme nos collègues l’ont proposé en commission, nous souhaitons la suppression de cet article, qui reprend l’article 66 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, introduit en séance publique par le rapporteur de l’Assemblée nationale, puis censuré par le Conseil constitutionnel, qui l’a considéré comme un cavalier législatif.
Cet article prévoyait que les plateformes pouvaient établir une charte déterminant les conditions et les modalités d’exercice de leur responsabilité sociale définissant leurs droits et obligations ainsi que ceux des travailleurs avec lesquels elles sont en relation.
Or nous considérons qu’une telle charte, qui, rappelons-le, ne serait que facultative, est évidemment largement insuffisante pour garantir pleinement les droits des travailleurs ultraprécaires qui sont surexploités par ces plateformes.
Madame la ministre, vous venez de nous peindre un paysage idyllique, dans lequel des jeunes rêveraient de ne plus être salariés et de recourir au travail via ces plateformes. Il s’agit là plus d’un mirage que d’autre chose, puisqu’un certain nombre d’entre eux ont recours à la justice pour faire requalifier leur contrat !
Je pense à la décision de la Cour de cassation, qui, au mois de novembre 2018, a estimé que les livreurs à vélo de Take Eat Easy devaient être salariés, car ils sont dans un lien de subordination par rapport à la plateforme, ou, plus récemment encore, à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 janvier 2019, qui a requalifié le contrat liant un ancien chauffeur VTC à la société Uber en contrat de travail, jugeant là aussi qu’il existait un faisceau d’indices suffisant caractérisant le lien de subordination et renvoyant donc l’affaire devant le conseil des prud’hommes.
Si nous adoptions cet article en l’état aujourd’hui, nous empêcherions ces salariés de faire entendre justice, comme les deux exemples que je viens de citer. Nous proposons donc la suppression de cet article. La seule façon de reconnaître les droits de ces travailleurs, c’est évidemment le salariat qui n’a absolument rien de déshonorant, mais qui constitue la meilleure manière de protéger les travailleurs dans ce pays. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour présenter l’amendement n° 232 rectifié.
Mme Marta de Cidrac. L’article 20 permet l’établissement à titre facultatif d’une charte précisant les contours de la responsabilité sociale des plateformes.
Il ne semble pas opportun de légiférer sur un dispositif facultatif qui, en l’état, semble avant tout sécuriser les plateformes. De surcroît, le contenu des chartes sera rédigé par ces dernières, qui sauront utiliser, le cas échéant, les subtilités rédactionnelles au détriment des chauffeurs. Au surplus, les plateformes s’appuient déjà sur un règlement intérieur que les chauffeurs doivent accepter et respecter.
Dès lors, il est préférable de ne pas alourdir inutilement le texte avec un dispositif facultatif et de supprimer cet article. C’est ce que je vous invite à faire en votant cet amendement, mes chers collègues.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Dagbert, pour présenter l’amendement n° 574 rectifié bis.
M. Michel Dagbert. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, inutile de vous dire que mon propos sera identique à que nous venons d’entendre : nous demandons nous aussi la suppression de l’article 20, qui reprend le principe d’une charte facultative.
Selon vous, madame la ministre, celle-ci peut être considérée comme un premier pas. Pour notre part, nous redoutons fortement que ce soit le seul pas qui soit concédé en la matière. En effet, face aux risques attestés de requalification des prestations des travailleurs indépendants de ces plateformes en salariat, comme c’est le cas actuellement devant différents tribunaux, en France et à l’étranger, du fait du lien de subordination qui lie les livreurs ou les VTC à ces plateformes de mise en relation avec leurs clients, cette mesure non contraignante de sécurisation est tout à fait relative juridiquement, puisqu’un travailleur indépendant peut toujours tenter une action individuelle devant les prud’hommes.
Elle aboutit surtout à un dévoiement du code du travail par l’instauration d’un dispositif ad hoc pour les plateformes, en quelque sorte facultatif. Il s’agit là d’un dispositif de protection que je qualifierais de Canada Dry : certains ont droit au code du travail, alors qu’eux auront droit à cette charte facultative.
Par conséquent, même s’il faut considérer que c’est un premier pas, nous ne sommes pas prêts à le franchir. Les plateformes ont détourné le statut d’autoentrepreneur pour échapper au salariat.
Or ce qui détermine le salariat, ce sont les conditions dans lesquelles la prestation de travail est fournie, et, même si, selon vous, madame la ministre, on ne peut pas imposer le salariat à des gens qui ne souhaitent pas ce statut – ce que j’entends –, il nous faut être inventifs pour les protéger d’un certain nombre de risques qui ont été énumérés par mes collègues, même s’ils ne les ont pas forcément identifiés au moment où nous parlons. (M. Olivier Jacquin applaudit.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Didier Mandelli, rapporteur. Sur cet article, entre le mois de novembre 2018, date à laquelle nous avons reçu le projet de loi, et aujourd’hui, ma position et celle de la commission ont évolué.
Dans un premier temps, lorsque nous avons découvert qu’il s’agissait de mettre en place une charte facultative, notre premier réflexe a été de considérer que celle n’aurait pas de valeur normative, puisqu’une charte obligatoire en a déjà peu ! Nous avons donc été plutôt enclins à émettre un avis défavorable sur cet article et à le supprimer.
Après avoir examiné les deux autres volets de cet article, à savoir le principe de l’abondement par la plateforme du compte personnel de formation du travailleur et l’extension du droit d’accès à la formation professionnelle continue, à la prise en charge de la contribution à la formation professionnelle par la plateforme et à la validation des acquis d’expérience à tous les travailleurs concernés sans condition de chiffre d’affaires, nous avions considéré que cet article constituait un progrès et un pas vers une organisation plus cohérente pour protéger les travailleurs.
En réalité, cet article n’est ni suffisant ni de nature à régler la véritable difficulté que posent la jurisprudence récente de la Cour de cassation ou l’arrêt de la cour d’appel de Paris, en requalifiant en contrat de travail la relation qui lie les travailleurs aux plateformes. En effet, certains travaillent estampillés, identifiés, avec un blouson qui porte le logo de la marque de l’entreprise.
En résumé, la commission souhaite une réforme plus globale, qui relève d’ailleurs du droit social, visant à définir un statut spécifique et des droits spécifiques pour ces travailleurs, afin de sortir du flou juridique insécurisant pour tous les acteurs, y compris les clients. C’est d’ailleurs ce que montrent les amendements de repli nos 619 rectifié bis, 622 rectifié bis et 621 rectifié bis de notre collègue Olivier Jacquin.
Des négociations sont en cours avec le secteur. Nous l’avons vu dans le cadre de l’examen de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel en 2018, avec la tentative d’introduire cette charte par voie d’amendement.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur ces trois amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. S’il faut prendre acte du fait que certains travailleurs de ces plateformes ont souhaité une requalification, je puis vous assurer que je passe un certain temps avec ces travailleurs, notamment dans le domaine des VTC ou dans d’autres domaines, et que, de façon vraiment très majoritaire, les travailleurs de ces plateformes ne souhaitent pas le salariat. Ils veulent avoir la liberté d’organiser leur temps !
Mme Éliane Assassi. Non !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Toutefois, ce n’est pas parce qu’ils ne veulent pas un statut de salarié qu’il faut les priver des droits prévus à l’article 20, notamment en termes de formation. Il nous faut inventer des droits pour des travailleurs de plateformes qui ne veulent pas être des salariés. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) C’était aussi un modèle qu’il faut accepter. Sinon, on les prive tout simplement de tout droit.
Mme Éliane Assassi. Parce que les salariés n’ont pas de droits ?
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je répète que certains ne veulent pas être salariés. Ils ne veulent même pas du statut de salarié que l’on peut avoir à la RATP. (Mme Éliane Assassi manifeste son scepticisme.)
M. François Bonhomme. C’est la liberté !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Ces gens ont le droit de travailler. Notre devoir est de leur proposer des règles pour leur donner un droit à la formation et aux garanties qui sont prévues dans cette charte.
Mme Éliane Assassi. Cessez de dire des choses contradictoires !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je ne puis laisser dire que l’on irait à l’encontre des décisions de la Cour de cassation. Cet article précise que, pour ses plateformes, le fait de s’engager à donner des droits pour les travailleurs des plateformes ne vaut pas reconnaissance d’un lien de salariat, dont, je le rappelle – je regrette d’avoir à vous le redire, mais vous ne voulez pas l’entendre –, la plupart des travailleurs de ces plateformes ne veulent pas.
Le Gouvernement émet donc bien évidemment un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Pour ma part, je défends l’article 20. Je trouve extrêmement judicieuse la position de Mme la ministre, mais souhaite la compléter.
Certains veulent rester libres pour des raisons personnelles. En outre, il faut distinguer ceux qui choisissent le statut et ceux qui choisissent le travail.
Lorsque le débat sur la création du statut d’autoentrepreneur a agité cet hémicycle, c’était exactement le cœur du sujet : certaines activités, en raison de leur souplesse, de la diversité des situations, de leur caractère non récurrent et imprévisible, demandent une adaptation du travailleur au service du client.
Interviennent les plateformes, qui permettent à des clients, dans leur diversité, d’obtenir un service – en l’espèce, la livraison à domicile – dans une égale diversité de conditions.
De deux choses l’une : ou nous optons pour un statut, dans le cadre duquel tout est prévu, auquel cas ces nouveaux métiers ne pourront tout simplement pas exister ; ou nous nous efforçons de trouver un compromis, afin d’allier la complexité des prestations offertes par les plateformes numériques, lesquelles requièrent une grande liberté, pour mettre en relation l’offre et la demande, et la souplesse de l’autoentrepreneur ou du travailleur indépendant, qui accepte, lui, pour des raisons qui lui sont propres, des contraintes qui ne sont en général pas imaginées pour des activités à statut, ces dernières se pratiquant dans le cadre d’horaires fixes.
Madame la ministre, vous savez très bien que, à la RATP, on commence et on termine à une certaine heure ; les horaires y sont prévisibles. Tel n’est pas le cas dans ces nouveaux métiers.
Je demande à mes collègues de la majorité sénatoriale de bien réfléchir à cette évidence : il faut choisir le travail…
M. Claude Bérit-Débat. L’exploitation !
M. Gérard Longuet. … plutôt que le statut.
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Madame la ministre, je vous ai écoutée avec beaucoup d’attention. Sachez qu’il n’y a pas, d’un côté, des dogmatiques, et, de l’autre, des pragmatiques.
Mon collègue Pascal Savoldelli et moi-même, nous avons entamé un tour de France des livreurs à vélo. Nous étions ainsi à Nantes la semaine dernière. Vous avez raison, ils bousculent nos certitudes. Certes, ils nous disent qu’ils sont séduits, par exemple, par l’indépendance, comme vous le dites, mais très vite, ils ajoutent : « On se rend compte que, en vérité, on n’est pas véritablement indépendants. »
En effet, pour atteindre un salaire correct, de 1 800 ou 2 000 euros, il faut travailler 70 heures par semaine, c’est-à-dire sept jours sur sept, soit dix heures de run, comme ils disent, par jour. Vous le voyez, ils se rendent compte qu’être indépendant, c’est bien plus complexe que ce que leur ont vendu les plateformes numériques…
À cela s’ajoute le fait qu’ils n’ont pas de protection sociale. S’ils ont un accident, ils doivent y faire face tout seuls. Ils réclament donc une protection sociale. C’est la raison pour laquelle un certain nombre d’entre eux, et ils sont bien plus nombreux que vous ne le dites, revendiquent un statut de salarié.
Par ailleurs, comme l’a dit M. Jacquin, ces plateformes, on le voit, détournent le statut d’autoentrepreneur et favorisent le travail déguisé, notamment pour les mineurs et les sans-papiers. C’est une nouvelle forme d’esclavage moderne ! Certains autoentrepreneurs sous-louent en effet leur compte à des travailleurs sans-papiers ou à des mineurs, à qui ils prélèvent ensuite 40 % ou 50 % des gains. Finalement, il ne reste pas grand-chose à ces derniers !
Mes chers collègues, je vous invite à mener une réflexion bien plus large sur cette question. Lors de notre tour de France des vélos, nous rencontrons aussi des commerçants. Eux aussi nous disent avoir un véritable problème : ils sont obligés de passer par ces plateformes, qui représentent 40 %, 50 %, parfois 60 % ou 70 % de leur chiffre d’affaires. En réalité, ils sont dépossédés de leur propre restaurant.
Lorsqu’ils sollicitent un prêt auprès d’une banque, on leur rétorque que leur chiffre d’affaires est non pas de 100, mais de 30, car 70 vont à Uber, Deliveroo ou d’autres. Ils sont fortement dépendants de ces plateformes et peuvent perdre une part importante de leur chiffre d’affaires s’ils rencontrent un problème, car ils peuvent être déconnectés.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Fabien Gay. En vérité, madame la ministre, comme l’a dit ma collègue Céline Brulin, avec cet amendement, dit « Aurélien Taché », vous essayez de trouver très vite une issue, sous la pression des plateformes, sachant que, à la suite de l’arrêt Take Eat Easy, la justice va requalifier des contrats passés avec les plateformes en contrats salariés.
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !
M. Fabien Gay. Je conclus, madame la présidente. Nous devons supprimer cet article et effectuer un véritable travail de fond concernant ces plateformes numériques. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour explication de vote.
M. Jean-Michel Houllegatte. Je rejoins l’intervention précédente. On l’a vu tout au long de notre histoire industrielle, les innovations technologiques ou organisationnelles nécessitent toujours une intervention de la puissance publique pour en réguler les conséquences sur les travailleurs.
À l’heure du numérique, même si tout le monde n’aspire pas au salariat – c’est tant mieux –, on assiste au retour de ce que l’on appelle le tâcheronnage, ou le travail à façon. L’histoire du XIXe siècle est pleine d’exemples de travail à façon. L’épisode qui me paraît le plus caractéristique, c’est celui des Canuts, en 1830. Les Lyonnais s’en souviennent, car cette histoire leur tient à cœur.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas comparable !
M. Jean-Michel Houllegatte. Les Canuts étaient, d’une certaine façon – mais oui, monsieur Karoutchi –, étranglés par les négociants. Ils ne se sont pas simplement révoltés contre les métiers à tisser : ils ont exigé un salaire garanti.
Que se passe-t-il aujourd’hui ? Contrairement à l’autoentrepreneur, qui est souvent engagé dans une négociation contractuelle entre clients et fournisseurs, les plateformes agissent, pour employer un langage moderne, sur des places de marché, lesquelles tentent d’optimiser au maximum leurs profits, au détriment des autres intervenants.
Il est urgent d’engager des négociations, via les branches notamment, afin d’apporter le maximum de garanties à ces personnes qui ne souhaitent pas toutes – je suis tout à fait d’accord – être des salariées. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour explication de vote.
Mme Marta de Cidrac. Madame la ministre, nous avons bien entendu vos arguments, dont nous pouvons comprendre certains.
Néanmoins, tel qu’il est rédigé, l’article 20 prévoit un dispositif facultatif, ce qui signifie que les plateformes auront le choix de le mettre en œuvre ou non. Or, aujourd’hui, les plateformes ont déjà des règlements intérieurs. La suppression de l’article 20 n’empêchera donc pas celles qui le souhaitent de mettre en place une charte.
Le problème est donc non pas véritablement le statut des personnes travaillant pour ces plateformes, mais le contenu même de l’article 20. (Très bien ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Je plaide donc pour sa suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Forissier, pour explication de vote.
M. Michel Forissier. Je suis évidemment d’accord avec certains des propos de Mme la ministre et de notre collègue Gérard Longuet.
Aujourd’hui, l’évolution de la société nécessite une adaptation du code du travail. Pour ma part, pour avoir été le rapporteur de quelques textes assez importants, je déplore que, dans notre système législatif, on adopte des amendements isolément, sans réflexion globale sur un sujet.
Comme je l’ai dit lors de ma précédente intervention, nous sommes en train de masquer d’un rideau de fumée une situation obscure, qui donne lieu à un rapport de force inégal. Lorsqu’il était ministre du travail, le président Larcher n’avait de cesse de dire – je m’en souviendrai toujours – que, avant de toucher au code du travail, il fallait négocier avec les partenaires sociaux et tous les intéressés. Sa loi reste un exemple.
Je propose donc que nous supprimions aujourd’hui l’article 20, puis que nous nous mettions très sérieusement au travail, afin de trouver une codification qui permette une exploitation des procédés modernes, nouveaux. On parle d’informatique et de numérique, mais la société ne va pas s’arrêter là ; elle va continuer d’évoluer. Il faut un cadre général qui permette des rapports équilibrés. Voter l’article 20 aujourd’hui, c’est créer un déséquilibre.
Telles sont les raisons pour lesquelles je souhaite la suppression de cet article. Je ne défends là non pas une position personnelle, mais celle que la commission des affaires sociales a toujours défendue. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.
M. Ronan Dantec. Ce débat est extrêmement important. Je partage le rappel historique qui a été fait sur les travailleurs en chambre, qui ont existé non seulement au cours de la première moitié du XIXe siècle, mais également à la fin de cette période. Cette réalité se caractérisait également par des écarts de revenus très importants dans la société.
On peut faire aujourd’hui deux lectures de la situation. Il est juste, comme vous le dites, madame la ministre, de dire qu’il y a aujourd’hui des travailleurs qui, culturellement, ne veulent pas être salariés. Mais une autre lecture sociale est également possible : on peut considérer que ce type de travail se développe dans une société dans laquelle les écarts de revenus augmentent de nouveau. Une part de la société est aujourd’hui en situation d’acheter du temps à des travailleurs précaires. Ces deux lectures témoignent de la réalité de notre société.
Votre article, madame la ministre, pourrait être une occasion quasi historique de commencer à définir les cadres collectifs de régulation sociale de l’évolution particulière que nous connaissons. Cette évolution culturelle est également, par certains côtés, une régression sociale. Les deux coexistent.
En revanche, l’expression « peut établir une charte », dans l’article, n’est pas défendable. Si vous aviez prévu un contrat collectif obligatoire et repris la liste des points sur lesquels il conviendrait d’avancer, on serait certainement dans la réalité du débat.
Nous avons d’ailleurs peut-être fait une erreur collectivement en demandant la suppression de l’article, suppression que, du reste, je vais voter, comme mes camarades. Peut-être aurions-nous dû essayer de l’amender et d’aller dans le sens d’un contrat obligatoire et collectif ? C’est sur cette question, je pense, qu’il nous faut travailler.
J’espère que la navette nous permettra de revenir sur ce sujet et d’instaurer un tel contrat, qui permette de réguler une nouvelle situation sociale.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.
M. Jean-Marc Gabouty. J’ai l’impression d’être revenu quatre ans en arrière, au moment de l’examen de la loi Travail de Myriam El Khomri.
Nous avions introduit, au sein de dispositions sur les VTC, quelques petites avancées concernant ces collaborateurs salariés indépendants, en émettant toutefois de nombreuses réserves dans cet hémicycle. Nous avions eu beaucoup de mal à les définir ; nous en avons tout autant aujourd’hui. Nous avions également introduit quelques droits en matière de formation et en termes d’assurance, mais tout à fait à la marge.
Nous nous étions dit à l’époque, et Myriam El Khomri était d’accord sur ce point, qu’il conviendrait de réfléchir à la définition d’un nouveau statut, à mi-chemin entre celui du travailleur indépendant et du salarié, car il ne faut pas aller contre les évolutions et refuser toute souplesse et adaptation à la société, mais qu’il ne fallait pas le faire par petites touches n’ayant pas vraiment de sens.
Je pense que cet article, malgré les bonnes intentions qu’il traduit, n’est pas adapté dans ce projet de loi, contrairement à ce qu’a dit mon collègue. Alors que le texte que nous examinons porte sur les mobilités, cet article aurait davantage sa place dans un texte sur le droit du travail. Nous pourrions le reprendre dans un tel contexte, en étudiant bien tout ce qu’il peut recouvrir, pas uniquement les livreurs ou le secteur des transports. Sa portée est bien plus large.
Il serait relativement dangereux et insatisfaisant de traiter ce sujet de manière sectorielle, sachant que l’on doit se poser des questions de base : qu’est-ce qu’un travailleur indépendant ? Un travailleur indépendant ne travaillant qu’avec un seul client n’est pas, par définition, indépendant ; il est dépendant. Il nous faut donc définir la nature de la relation.
Si nous avancions dans cette direction sans précaution, les employeurs auraient la tentation d’avoir recours à des prestataires à la demande, à des tâcherons, au motif que les charges pesant sur le travail sont bien trop élevées, ce qui est tout à fait exact. J’ai encore les deux pieds dans le monde du travail : pour ma part, je serais tenté de travailler au maximum de cette manière. Cette problématique ne se pose pas que dans les transports. On ne peut s’engager dans cette voie sans avoir au préalable mis en place un cadrage général en droit du travail.
Telles sont les raisons pour lesquelles, je le répète, je pense que cet article n’est pas adapté dans ce projet de loi. En revanche, il mérite réflexion dans le cadre d’un autre texte, afin de permettre à ceux qui veulent travailler de manière indépendante de le faire.
Je pense que nombre de ces travailleurs sont plus en recherche d’activité et qu’ils ont temporairement envie de cette liberté,…
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Marc Gabouty. … mais pas nécessairement de manière durable, en tout cas dans beaucoup de secteurs d’activité.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour explication de vote.
M. Olivier Jacquin. Tout d’abord, je salue la position du rapporteur et l’explication qu’il a donnée sur l’état de la réflexion entre le mois de novembre et aujourd’hui.
Madame la ministre, le jeune Kévin Durand, dont j’ai parlé, fait partie de ces personnes qui ne souhaitent pas être salariées. En travaillant sur cette question, j’ai rencontré un certain nombre de jeunes comme lui.
Toutefois, lorsque je lui ai demandé s’il considérait qu’il était un esclave de l’algorithme, il m’a répondu qu’il ne l’était pas, qu’il l’était devenu, mais qu’il ne souhaitait pas l’être, et qu’il voulait se battre contre cette logique du moins-disant. Je lui ai expliqué ce que pourrait lui apporter un nouveau statut, telle une coopérative d’activités et d’emplois. Je le répète : on peut être entrepreneur salarié à temps partiel, en CDI, et peser collectivement face aux plateformes. Sinon, on est atomisé, explosé, ubérisé, puis, un jour, déconnecté.
Le problème de fond de certaines plateformes est que leur modèle économique ne permet pas une juste rémunération du travail. J’ai mis en garde mes propres enfants, à qui je parle de mes activités et à qui je livre mes réflexions. Je leur ai dit : « Si vous commandez une pizza chez Deliveroo, vous optez pour un système qui ne peut pas rémunérer le temps de travail. Si vous montez dans un taxi Uber, vous cassez le modèle social, vous entretenez une profonde distorsion de concurrence au détriment des travailleurs dûment enregistrés et régulés. »
Je pense que l’on peut faire beaucoup mieux que cette course au moins-disant, laquelle est en fait un véritable cheval de Troie dans notre modèle social.
J’ai vu ce matin à la gare de l’Est d’immenses publicités pour une plateforme dénommée Kapten, laquelle a relancé la guerre des prix dans les VTC. Elle propose la course minimale au prix de 6 euros.
Dans ces conditions, quatre jeunes qui sortent le soir ne prennent pas le métro, car cela leur coûte plus cher ! Ceux qui vont à Roissy le savent, un forfait de 50 euros a été instauré pour s’y rendre. Or certains VTC proposent désormais cette course à 25 euros. Ce modèle n’a pas de fin… Il va toujours vers le moins-disant. Il est un cheval de Troie dans notre modèle social, il fabrique du travail pauvre et entame la cohésion sociale.
Il faut donc refuser cet article et le supprimer