M. Michel Amiel, rapporteur. Vous faites des émules ! (Sourires.)
M. Stéphane Artano. … ce qui me rassure quelque peu. En commission, nous avons assisté à certaines cabrioles sénatoriales ; l’exercice a été accompli. Il n’y a plus qu’à labelliser le terme ! (Nouveaux sourires.)
Au total, et pour l’essentiel, cette proposition de loi se résume actuellement à deux mesures : la communication aux assurés du taux de redistribution des contrats et une disposition introduite en commission des affaires sociales, sur l’initiative de notre collègue Daniel Chasseing, visant à proscrire les pratiques de remboursement différencié. Notre groupe salue l’adoption de cette mesure.
L’accès de tous les Français à des soins de qualité doit en effet être une priorité absolue. Permettre aux mutuelles d’opérer une différenciation dans le remboursement des prestations bouleverse les principes fondamentaux de notre modèle de santé, fondé sur la solidarité, la liberté et l’égalité dans la qualité de prise en charge. Le remboursement différencié remet en cause le principe « à cotisations égales, prestations égales », porte atteinte à la liberté de choix et de prescription et, enfin, accentue les inégalités territoriales.
Pour en revenir au dispositif central du texte, dont nous aurons à débattre à l’occasion de l’examen des amendements, j’entends les griefs avancés, notamment, par les fédérations des complémentaires santé, lesquelles dénoncent « une fausse bonne idée qui aura un impact négatif pour les assurés » et sera « porteuse de risques majeurs ». Nous avons été abreuvés de mails abondants nous alertant à ce sujet. Le risque me semble pourtant permis, pourvu qu’il soit objectivé.
Les conséquences de cette mesure ne me paraissent pas devoir être surestimées. Comme l’a rappelé notre rapporteur en commission, il serait exagéré de penser que tous les particuliers et toutes les entreprises vont se saisir de cette nouvelle faculté. Il suffit d’observer les effets de la loi Hamon sur le secteur des assurances automobile et habitation pour s’en convaincre : celle-ci n’a conduit qu’à une légère hausse, de moins d’un point, du taux de résiliation, lequel s’est stabilisé par la suite.
Gardons à l’esprit que ce texte n’offre qu’une souplesse dans l’exercice d’un droit qui existe déjà. Comme l’a rappelé le rapporteur de l’Assemblée nationale, « il s’agit d’une évolution et non d’une révolution ».
L’objectif de ce texte est simple : faciliter la vie des assurés en leur apportant davantage de liberté et rééquilibrer le rapport de force en leur faveur. C’est la raison pour laquelle, avec plusieurs sénateurs du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, nous avions déposé un amendement au projet de loi Pacte visant à introduire un peu plus de concurrence, dans un contexte d’inflation des tarifs des complémentaires santé.
Les chiffres communiqués par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la Drees, sont en effet édifiants : entre 2008 et 2017, les frais de gestion des complémentaires santé ont augmenté en moyenne de 4,2 % par an, soit deux fois plus vite que les dépenses de santé, pour atteindre 7,3 milliards d’euros. Cela représente 21 % du coût des cotisations, alors que le budget santé devient insupportable pour la plupart des ménages.
La cotisation moyenne à une complémentaire santé s’élevait ainsi en 2017 à 688 euros par an, soit une progression trois fois plus rapide que l’inflation dans la dernière décennie. Cette situation n’est pas acceptable ! Aujourd’hui encore, bon nombre de Français sont contraints de se priver de soins en raison d’un reste à charge trop élevé, parce que leur couverture santé est souvent insuffisante. Les élus de la République ne peuvent y être indifférents.
Je me félicite, enfin, que ce texte offre également l’occasion de simplifier les informations transmises aux assurés concernant le montant des frais de gestion, des prestations versées et des cotisations afférentes. Cette mesure, demandée à plusieurs reprises par des associations de défense des consommateurs, poursuit un objectif de transparence qui sera, j’en suis convaincu, bénéfique à l’ensemble des assurés.
Pour conclure, vous l’aurez compris, le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen est divisé sur ce texte, et chacun de ses membres déterminera son vote en fonction du sort qui sera réservé aux amendements déposés. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Michel Canevet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour notre rapporteur. Ce texte n’a pas été une sinécure, n’est-ce pas, monsieur le rapporteur ? (Sourires.) Je veux saluer votre travail, la conviction dont vous avez fait preuve, ainsi que votre modération et votre congruence.
Nous examinons aujourd’hui une proposition de loi visant à ouvrir le droit à résilier, sans frais ni pénalité, un contrat de complémentaire santé à tout moment, au-delà de la première année de souscription, et non plus seulement à la date d’échéance annuelle du contrat. Rien de plus !
Avant d’aborder le dispositif en discussion à proprement parler, je vais développer un point de vue plus général sur le système de prise en charge financière de la santé en France, qui repose sur un dispositif à deux, voire à trois niveaux.
Le premier est solidaire, porté par la sécurité sociale, en particulier par l’assurance maladie, et permet à chacun de bénéficier d’une prise en charge minimum. La solidarité ne doit et ne peut être incarnée qu’ainsi.
Le deuxième niveau repose sur les organismes complémentaires d’assurance maladie, ou OCAM, lesquels devraient permettre à chacun de renforcer judicieusement ses remboursements en fonction de ses besoins de santé. La complémentaire offre donc un renforcement adapté de la prise en charge solidaire assurée par le premier niveau.
Cependant, les salariés qui bénéficient obligatoirement d’une complémentaire négociée par leur employeur perdent ce renforcement adapté, puisque les garanties ne sont plus choisies en fonction de leurs besoins de santé. Or celles-ci ont un coût, direct pour l’employeur et indirect pour le salarié. Économiquement, c’est un peu baroque ! Je ne parle pas, bien sûr, de la CMU, la couverture maladie universelle.
Enfin, un troisième niveau vient en réparation de la situation vécue par les salariés, qui peuvent en effet opter pour une surcomplémentaire en souscrivant à des options au contrat de la complémentaire négocié par leur employeur ou auprès d’un OCAM de leur choix.
En bref, les contrats collectifs de santé semblent donner lieu à des dépenses d’assurance parfois inadaptées. J’ajoute que la logique assurantielle repose, par nature, sur une mutualisation des risques.
En créant deux types de contrats, les contrats collectifs et les contrats individuels, nous avons opéré par le passé une segmentation du marché, qui n’a pas pu se faire en faveur des retraités, tandis que les salariés voyaient leur couverture augmenter, sans que cela garantisse pour autant son adéquation à leurs besoins.
En conclusion, dans la mesure où le législateur a souhaité imposer un panier de soins minimum aux contrats collectifs de santé, nous pouvons considérer que l’État a ouvertement voulu augmenter le niveau de prise en charge d’une grande partie de la population. Cela revient à faire peser sur le secteur privé un objectif de santé publique qui, étant déconnecté des besoins des individus, ne devrait relever que de la solidarité nationale, donc de la sécurité sociale.
Dès lors, il aurait mieux, d’une part, valu revaloriser le niveau des remboursements de la sécurité sociale dans les domaines faisant partie du panier de soins minimal, et, d’autre part, rendre obligatoire pour tous les Français la souscription d’un contrat de complémentaire santé, tout en obligeant les OCAM à proposer un contrat d’entrée de gamme à très faible coût pour satisfaire ceux qui ne souhaitaient pas initialement en bénéficier.
Madame la ministre, vous en êtes déjà convaincue, rien n’est plus intime que la santé ; nous avons tous nos spécificités et nos risques.
Dès lors, puisque nous ne pouvons pas rendre la santé totalement gratuite, définissons clairement le niveau minimum de prise en charge qui devrait relever uniquement de la solidarité nationale et laissons à chacun la liberté d’adapter précisément sa couverture en fonction de ses besoins et de ses propres risques.
En l’état de notre dispositif, je perçois une confusion des genres qui me semble entraîner des dépenses inadaptées. Je souhaitais le souligner aujourd’hui. Je souhaite pouvoir débattre un jour de cette situation.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Moi aussi ! (Mme la ministre opine.)
M. Olivier Henno. En attendant, le groupe Union Centriste est majoritairement favorable à la possibilité de résilier sans frais ni pénalité un contrat de complémentaire santé à tout moment, au-delà de la première année de souscription.
À titre personnel, et avec plusieurs de mes collègues, je soutiendrai la réintroduction des articles supprimés en commission, d’abord parce que l’extension des dispositions de la loi Hamon, entrée en vigueur le 1er janvier 2015, aux contrats complémentaires santé n’a rien de choquant juridiquement. Il s’agit de faire preuve de cohérence : cela donne de la lisibilité aux assurés dans un monde assurantiel parfois trop complexe.
Ensuite, nous observons que le coût des complémentaires augmente plus rapidement que l’Ondam, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, ce qui laisse penser que les OCAM pourraient mettre en œuvre une politique tarifaire plus vertueuse. En effet, leurs frais de gestion représentent, d’après la Drees, 21 % des cotisations collectées en 2017, contre 19 % en 2011, sur un marché fortement réglementé et de plus en plus concurrentiel.
Enfin, la Cour des comptes elle-même déplorait que les OCAM aient dépensé 7,2 milliards d’euros en frais de gestion, dont près de 3 milliards d’euros en simples frais de publicité et de communication afin d’obtenir de nouveaux clients.
Malgré cette analyse, certains de nos collègues restent dubitatifs devant ce dispositif. Leur point de vue est tout à fait respectable, et la liberté de vote est une réalité. Je leur réponds tranquillement que l’on peut très bien porter un regard bienveillant sur les mutuelles et voter ce texte. Je refuse de tomber dans le piège du manichéisme, à savoir opposer les amis des mutuelles, qui seraient contre ce texte, à leurs affreux opposants, qui le voteraient.
Je vais même plus loin, mes chers collègues : les mutuelles, les OCAM, doivent faire plus d’efforts d’adaptation comme de gestion et doivent être plus près de leurs sociétaires. Dire cela, c’est selon moi les servir et les aider à pérenniser ce mode d’organisation.
En conséquence, ce texte, qui ne pose pas de problème de cohérence au regard de notre système et dont les effets indésirables ne semblent ni insurmontables ni vraiment problématiques peut avantageusement être adopté. Pour reprendre une expression du rapporteur, il ne mérite ni excès d’honneur ni indignité.
À titre personnel, comme une grande majorité des membres de notre groupe, je le voterai, par cohérence juridique en matière de résiliation d’assurances, mais également pour sa portée symbolique. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Arnaud de Belenet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’amélioration du pouvoir d’achat est une des premières préoccupations des Français. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui visait, dans sa version initiale, à permettre la résiliation sans frais et à tout moment d’un contrat de complémentaire santé, après un an de souscription, afin de prévenir le nomadisme.
Madame la ministre, il est prévu que tout changement de mutuelle soit bien notifié dans le dossier pharmaceutique du patient, afin de ne pas affecter le remboursement des pharmaciens qui pratiquent le tiers payant et dont les marges ont fortement diminué.
Actuellement, les conditions de changement de mutuelle sont très strictes : un assuré ne peut résilier son contrat qu’en cas de changement de régime de sécurité sociale ou chaque année, à la date anniversaire de la souscription.
Comme le souligne Michel Amiel dans son rapport, cette proposition de loi s’inscrivait dans une démarche globale de facilitation des conditions de résiliation des contrats d’assurance. Il s’agissait d’aligner le régime de résiliation des contrats de complémentaire santé sur les évolutions récentes issues de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, offrant la possibilité de résilier, après un an, les contrats d’assurance multirisque habitation, responsabilité civile et automobile.
Ces évolutions visent à rendre du pouvoir d’achat aux Français en favorisant la concurrence et la liberté des assurés de résilier et de souscrire le contrat de leur choix, correspondant au mieux à leur budget et à leurs besoins.
Nous connaissons tous le rôle crucial des mutuelles dans le système de soins français. Quelque 95 % des Français ont recours à ce deuxième régime assurantiel, qui représente à lui seul 26 milliards d’euros, soit 14 % des dépenses de santé globales.
Dans un contexte de vieillissement de la population et de forte augmentation de la prévalence des maladies chroniques, conjugué aux dépassements d’honoraires, en particulier dans les métropoles, l’accès aux complémentaires santé devient un élément incontournable pour garantir à chacun le meilleur niveau de soins possible et lutter contre le renoncement aux soins ou leur report, lequel concerne un quart de la population, qui éprouve encore des difficultés financières à se soigner. Les trois millions de Français qui ne disposent pas d’une assurance maladie complémentaire sont les plus vulnérables.
Nous le savons, dans une économie ouverte, les rigidités contractuelles sont susceptibles de freiner l’accès aux mutuelles des personnes les plus vulnérables économiquement. Notre groupe est donc favorable au rétablissement du texte.
À l’heure où les dépenses de sécurité sociale sont amenées à être rationalisées, entraînant un report vers la prise en charge par les complémentaires, il apparaît légitime de demander aux mutuelles davantage d’efforts en faveur du pouvoir d’achat, car celles-ci disposent encore de marges de manœuvre importantes pour normaliser leur fonctionnement. Les frais de gestion restent trop élevés, représentant 20 % des cotisations, les règles de remboursement sont complexes pour l’assuré et les coûts des cotisations ont augmenté de 47 % dans la dernière décennie.
Notre groupe avait déposé un amendement en commission visant à proscrire les pratiques de remboursement différencié au sein des réseaux de soin mis en place par les mutuelles. Nous saluons l’adoption de cette mesure, qui contribuera à garantir à chacun la liberté de choisir son professionnel de santé, en particulier dans les territoires ruraux sous-dotés en médecins.
Madame la ministre, mes chers collègues, au cours de l’examen de ce texte, la majorité de notre groupe votera en faveur de la liberté contractuelle, dans la mesure où cela n’impacte pas le remboursement des professionnels de santé qui pratiquent le tiers payant.
Nous en appelons également à la sagesse de la Haute Assemblée et du Gouvernement pour maintenir la disposition adoptée par notre commission visant à proscrire les pratiques de remboursements différenciés par les complémentaires santé, qui aggravent les inégalités d’accès aux soins dans les territoires, en particulier dans les déserts médicaux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, s’il nous fallait aujourd’hui construire un système d’assurance maladie, il ne fait pas de doute que nous procéderions autrement : nous ne ferions pas le choix de plusieurs traitements successifs d’un même acte, ce qui se traduit par des coûts de transaction élevés ; nous ne ferions pas le choix d’un système inégalitaire, dans lequel les mieux portants sont mieux couverts pour un coût moins élevé ; nous ne ferions pas le choix de la coexistence de quelque 500 organismes complémentaires en situation de concurrence.
Notre système actuel à deux étages est le fruit de l’histoire, et, comme le Gouvernement en fait l’expérience en matière de retraite, la refonte globale d’un système présente bien des écueils, qu’aucun gouvernement n’a souhaité affronter en matière de santé.
Les gouvernements successifs se sont pourtant essayés à la réforme, mais avec des objectifs peu clairs, des orientations pas toujours cohérentes et, sans surprise, des résultats mitigés.
La CMU complémentaire, ou CMU-C, puis l’aide au paiement d’une complémentaire santé, l’ACS, ont permis de couvrir les plus modestes, mais avec de forts effets de seuils et un taux de non-recours très élevé. L’accord national interprofessionnel de janvier 2013 a opéré une généralisation, au profit des seuls salariés. Les contrats responsables encadrent le contenu des garanties, avec l’objectif d’agir sur les prix, en laissant peu de marges sur le contenu. La fiscalité, levier fortement mobilisé, ponctionne une partie des profits réalisés, mais se retrouve dans les cotisations. Plus récemment, avec le reste à charge zéro, on tente une reconquête de pans entiers de la couverture sociale, délaissés par le régime de base : l’optique, le dentaire, l’auditif, en encadrant davantage encore les complémentaires.
Il résulte de ces différentes mesures un marché très administré, un corset réglementaire et fiscal sophistiqué, mais qui reste peu protecteur de ceux qui n’entrent dans aucun dispositif spécifique : les jeunes, les inactifs, les retraités.
Très complexe, le système comprend de larges poches d’inefficience, alors que les besoins en matière de santé vont croissant et nécessitent de valoriser chaque euro disponible pour les défis qui sont devant nous : le vieillissement de la population, la chronicisation des maladies ou encore les innovations coûteuses.
Avec cette proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale, le Gouvernement privilégie un autre levier, celui du renforcement de la concurrence entre les acteurs, en assouplissant les possibilités de résiliation des contrats au-delà de l’actuelle possibilité de résiliation annuelle à la date anniversaire du contrat.
L’évaluation de l’impact de cette mesure est difficile : baisse des coûts et hausse du pouvoir d’achat pour les uns, risque de nomadisme et de démutualisation pour les autres ; les débats ont été nourris, y compris au sein de la commission des affaires sociales.
Il me semble peu probable que cette disposition bouleverse l’économie des contrats collectifs des grandes entreprises. Celles-ci ont les moyens de sélectionner au mieux l’organisme qui leur convient et de gérer leur calendrier de résiliation, par ailleurs enserré dans un processus de négociation collective.
Pour les plus petites entreprises, comme pour les adhésions individuelles, le texte apporte une souplesse supplémentaire par rapport à la possibilité de résiliation annuelle. Comment les acteurs vont-ils s’en saisir et quelles vont en être les conséquences sur le marché ?
Si l’on en croit les précédents, en particulier celui de la loi Hamon, le marché ne devrait pas s’en trouver bouleversé à l’excès, moins, sans doute, que par les ratios de solvabilité imposés par les normes internationales ou par la mise en œuvre du reste à charge zéro. Les cotisations ne devraient pas non plus baisser drastiquement sous l’effet de cette seule possibilité de résilier à tout moment.
Au total, le texte soumis à notre examen me paraît renforcer les possibilités de choix de leur complémentaire santé pour les souscripteurs individuels, en particulier les retraités, et les petites entreprises. Il leur appartiendra de s’en saisir.
Pour le reste, ce texte ne répond pas, à lui seul, aux enjeux du secteur, qui restent considérables. À titre personnel, je tiens que la sécurité sociale doit se réapproprier l’ensemble des besoins de santé de base essentiels de nos concitoyens, conformément aux objectifs de ses fondateurs.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Alain Milon. Il faut donc opérer un décroisement des flux financiers au sein d’un ensemble devenu inextricable. La mise en place d’un payeur unique pour les professionnels et pour les établissements de santé est nécessaire pour mettre en œuvre un véritable tiers payant, mais c’est un autre débat, que nous aurons peut-être en d’autres occasions.
Dans l’immédiat, je voterai pour la possibilité, après douze mois d’affiliation, de résilier un contrat de complémentaire santé à tout moment. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Martin Lévrier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dire que cette proposition de loi a eu un parcours tumultueux est un doux euphémisme. À l’origine, la résiliation infra-annuelle des contrats de complémentaire santé devait être annoncée par le Président de la République dans le cadre des mesures d’urgence de décembre dernier, en réponse à la mobilisation des « gilets jaunes ».
Puis, elle devait être intégrée au projet de loi Pacte. De crainte d’une censure du Conseil constitutionnel, elle a été reculée une seconde fois.
C’est finalement le groupe La République En Marche, majoritaire à l’Assemblée nationale, qui a déposé ce projet de loi déguisé et l’a fait adopter, malgré les désaccords de plusieurs députés de son propre camp.
Au Sénat, la droite sénatoriale s’est livrée à une volte-face en quelques semaines. En effet, lors de la première réunion de la commission des affaires sociales, le groupe Les Républicains avait vertement critiqué cette possibilité de résiliation des contrats et avait voté la suppression des articles correspondants. Le texte avait alors été vidé de son contenu, donc de sa raison d’être. Nous ne pouvions que nous réjouir d’un tel positionnement, pour des raisons que je développerai ensuite.
Or, mardi dernier, nous avons assisté à un tout autre scénario : la droite sénatoriale a déposé des amendements réécrivant le texte dans sa version originale. Il faut croire que la suspension des travaux parlementaires a modifié la donne ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Pourquoi, dès lors, ne pas avoir voté les amendements du rapporteur, qui était en totale adéquation avec ce revirement ?
Sans commenter plus avant cet artifice, permettez-moi de vous indiquer, mes chers collègues, que vous offrez là un fort beau cadeau au Gouvernement ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Ce n’est pas la question !
Mme Laurence Cohen. Venons-en au fond du texte. Devant les députés, madame la ministre, vous avez indiqué que c’était l’une des premières fois que l’on définissait « l’absence de reste à charge comme le résultat de l’intervention combinée des deux étages de l’assurance santé, l’assurance maladie obligatoire et la complémentaire ». Vous ajoutiez : « C’est, pour tous les Français, un progrès pour l’accès aux soins. »
Nous ne partageons pas votre avis. Bien au contraire, nous estimons qu’il s’agit d’un important recul pour l’assurance maladie, qui ne peut prendre en charge à 100 % les soins, tant elle est fragilisée par les mauvais coups qui pleuvent sur ce système solidaire depuis des années. L’obstination du gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, à la priver du principe des cotisations est, à ce titre, un véritable coup de boutoir !
Il s’agit aussi d’un recul pour toutes les personnes qui renoncent aux soins à cause du coût des contrats. Selon le comparateur des assurances, le coût annuel d’une mutuelle santé atteint 1 732 euros par an, en moyenne, pour un retraité, 981 euros pour les personnes à la recherche d’un emploi et 482 euros pour les étudiants.
J’ajoute que la dernière publication de la Drees a chiffré à 4 millions le nombre de personnes non couvertes par une complémentaire santé, alors même que celles qui en sont dépourvues renoncent deux fois plus aux soins que les autres.
Vous voulez nous faire croire qu’accroître la concurrence sur le marché de l’assurance complémentaire santé, en permettant de résilier sans frais et à tout moment les contrats, va diminuer leurs tarifs, mais c’est faux.
Le marché – c’est dans sa nature ! – suit l’unique objectif de la rentabilité financière ; les effets bénéfiques en matière de baisse de tarifs sont donc rarement au rendez-vous, ou alors au prix d’une dégradation de la qualité des biens et des services. Nous avions d’ailleurs entendu le même discours lors de l’introduction d’un quatrième opérateur téléphonique. Finalement, les prix ont certes baissé, mais 10 000 emplois ont été détruits, et nous avons pris un retard considérable dans le déploiement du haut débit.
La concurrence accrue entre les opérateurs à tout moment de l’année pourrait même s’avérer contre-productive, puisque les frais de gestion vont mécaniquement augmenter à cause d’un plus grand turnover dans les contrats des adhérents et de l’augmentation des frais de publicité.
Cette offensive libérale va, de surcroît, affaiblir les principes mutualistes qui fondent notre protection sociale : la non-sélection du risque, l’égalité de traitement, la transparence, l’action sociale.
En imposant des règles identiques aux instituts de prévoyance, aux assurances santé et aux mutuelles, vous allez encore accélérer le processus de rapprochement du mode de gestion des mutuelles à but non lucratif de celui des sociétés d’assurances à but lucratif.
En ouvrant la possibilité de résilier un contrat au bout d’une année, vous remettez en cause le principe d’annualité des cotisations, un élément du modèle économique qui permet de ne sélectionner ni le risque couvert ni la personne.
Demain, avec des contrats plus courts, il faudra segmenter davantage les populations en fonction de leurs risques spécifiques face à la maladie, et les seniors seront alors les grands perdants de la réforme. Dans un secteur de plus en plus concentré, votre texte ne fera que renforcer les mastodontes de la « bancassurance » pour faire primer le fonctionnement assurantiel sur la logique de solidarité.
Madame la ministre, vous auriez pu consolider notre système de protection sociale et aller progressivement vers un remboursement à 100 % par la sécurité sociale. Ce n’est pourtant jamais le choix qui est fait dans les textes que vous nous proposez.
J’ai entendu l’intervention d’Alain Milon, et je partage nombre de ses propos, à l’exception de sa conclusion, qui tend à aller vers le libéralisme.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Bien entendu !