Mme Esther Benbassa. Oh, ça va !
Mme Chantal Deseyne. Si le cannabis thérapeutique venait à être libéralisé, comment les pouvoirs publics pourront-ils encadrer la production du cannabis et éviter que les marchés parallèles n’en profitent ?
La voie d’administration est aussi une variable qui a son importance. La fumée doit être exclue, car, lorsque celle-ci est inhalée, elle est plus dangereuse que celle du tabac. De plus, l’effet du cannabis est rapide et peu durable s’il est fumé. La vaporisation permet en outre de mieux maîtriser les doses.
En raison des nombreux effets délétères sur la santé que je viens de rappeler, j’estime que le cannabis ne devrait être prescrit qu’en dernier recours, après l’échec des traitements classiques, et selon un certain nombre d’indications précises.
Le traitement à base de cannabis doit par ailleurs être contre-indiqué chez les patients qui présentent des troubles psychiatriques et chez les femmes enceintes. Il doit être assorti d’une interdiction de conduire. En plus de ce suivi, il est nécessaire de mettre en place un dépistage régulier des comportements addictifs que pourraient développer certains patients.
Enfin, en ma qualité de rapporteur du budget de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la Mildeca, je souhaite que le Gouvernement s’engage à sensibiliser la population sur les effets délétères du cannabis et à établir un repérage précoce des adolescents susceptibles de développer un usage problématique ou addictif du cannabis.
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Chantal Deseyne. Je conclus, madame la présidente.
Le cannabis thérapeutique est bien un enjeu de santé publique dont nous devons nous préoccuper. C’est pourquoi j’appelle à la plus grande prudence quant à la mise en œuvre du cannabis dit thérapeutique.
Je ne manquerai jamais de rappeler que le cannabis est bien une drogue…
Mme Esther Benbassa. L’opium aussi !
Mme Chantal Deseyne. … qui peut soulager certaines douleurs, mais qu’il n’est en aucun cas un médicament naturel à même de guérir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Daniel Chasseing applaudit également. – Mme Laurence Rossignol fait la moue.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier ma collègue Esther Benbassa d’avoir lancé ce débat au nom de notre groupe.
Le cannabis déclenche des débats passionnés, parfois au gré des faits divers, ce qui nous éloigne le plus souvent d’une analyse sérieuse et fondée sur des données scientifiques objectives. Les progrès de la médecine et de la recherche conduisent pourtant à faire évoluer les mentalités et, donc, les législations un peu partout dans le monde.
Mais je veux le rappeler : le sujet dont nous discutons aujourd’hui est celui du cannabis thérapeutique, qui n’a rien à voir avec le cannabis dit récréatif.
Quelle est la situation dans notre pays ?
Le 10 septembre 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a mis en place un comité scientifique spécialisé temporaire, présidé par le professeur Nicolas Authier, pour juger de la pertinence et de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique.
Le 13 décembre 2018, ce comité a reconnu la pertinence médicale du cannabis thérapeutique et validé son utilisation dans plusieurs cas précis : douleurs réfractaires aux autres thérapies, médicamenteuses ou non – il ne s’agit pas de prescrire le cannabis n’importe comment –, formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, soins de support en oncologie, situations palliatives et spasticité douloureuse de la sclérose en plaques. Aussi, les troubles évoqués par Chantal Deseyne ne concernent absolument pas le cannabis thérapeutique.
Ce comité a également conclu qu’il était crucial de financer et de poursuivre la recherche, ainsi que de faire évoluer la législation en veillant au mode d’administration. Ce dernier point est extrêmement important.
Le 13 février 2019, le Parlement européen s’est lui aussi prononcé en faveur d’une proposition de résolution sur le cannabis thérapeutique, invitant à soutenir la recherche et à établir des normes dans l’intérêt des patients.
Le gouvernement français lui-même n’est pas resté étranger à ce débat. Les déclarations dans les médias de la ministre des solidarités et de la santé, Mme Agnès Buzyn, sont sans équivoque. Dès le mois de mai 2018, elle a ainsi affirmé sur Public Sénat que l’idée était de « ne pas fermer la porte à un produit qui pourrait aider certains de nos concitoyens pour des maladies sur lesquelles nous n’avons pas beaucoup de propositions de médicaments à faire. » Plus récemment, le Premier ministre, M. Édouard Philippe, a quant à lui trouvé « absurde de ne pas se poser la question » de la légalisation du cannabis thérapeutique.
Aujourd’hui, le cannabis thérapeutique est légal dans une trentaine de pays comme le Canada, les Pays-Bas, Israël, une partie des États-Unis, et vingt et un pays de l’Union européenne. Il est donc d’ores et déjà possible de tirer des conclusions sur son utilisation et de s’appuyer sur des données scientifiques pour prouver ses vertus.
Il me semble par conséquent très important, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement s’appuie, non seulement sur les avis et recommandations du comité scientifique et du Parlement européen, mais également sur les expériences menées à l’étranger, pour agir rapidement. Il importe notamment de déterminer les modalités d’usage du cannabis thérapeutique et la filière de production : importation ou constitution d’une filière nationale publique ?
Il est impératif d’avancer sur ces questions pour répondre de manière adéquate à la souffrance de nombreux patients pour lesquels l’auto-culture ou l’utilisation illégale de produits issus du marché noir, avec tous les risques que l’automédication peut comporter, est le seul recours.
Il faut se montrer plus audacieux en donnant des pouvoirs décisionnels aux fédérations d’addictologie, aux patients et aux différents experts. Il faudrait également oser poser la question du remboursement par la sécurité sociale.
Monsieur le secrétaire d’État, il semblerait que des expérimentations encadrées du cannabis puissent être menées d’ici à la fin de l’année : pouvez-vous nous le confirmer et nous en préciser les modalités ? En tout état de cause, il est fondamental que ces expérimentations soient larges, afin de prendre en considération plusieurs types de souffrance et de mieux répondre aux attentes des différentes personnes concernées.
Le 7 décembre 2018, une réunion du groupe CBD – cannabidiol – a eu lieu au Sénat sur l’initiative de l’association InterChanvre et de l’Union des transformateurs de chanvre. Deux enjeux majeurs ont été identifiés : d’une part, l’intérêt économique incontestable de la filière et, d’autre part, la sécurité alimentaire dans le cadre des compléments alimentaires, avec la volonté d’éviter toute promotion du cannabis illégal.
En effet, la France est le leader européen, le premier producteur de chanvre avec 17 000 hectares plantés, 1 400 producteurs et près de 1 800 emplois. Ce marché a donc un fort potentiel et trouvera des débouchés dans divers domaines, comme l’alimentation ou les cosmétiques. Notre pays pourrait par conséquent être pionnier dans ce domaine.
Les techniques de culture et d’extraction nécessitent des financements et une clarification de la réglementation, notamment pour ce qui concerne les méthodes visant à se débarrasser du THC. En effet, alors que la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la Mildeca, explique que le CBD n’est pas interdit en tant que molécule, il l’est de fait régulièrement. D’où l’importance de le produire de manière synthétique pour qu’il ne présente plus aucune trace de THC et, donc, ne puisse plus être soumis à cette interdiction.
Enfin, il manque une législation européenne claire et harmonisée à ce sujet : les réglementations varient d’un pays à l’autre, ce qui rend difficiles les importations et les exportations, ainsi que la constitution d’un véritable marché européen.
Le cadre juridique actuel, très contraint, en particulier en ce qui concerne l’interdiction de l’utilisation de la fleur et de la feuille, nécessiterait un assouplissement et, par conséquent, une intervention du Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État.
Face à tous ces enjeux médicaux, sociaux et économiques, il me paraît crucial, comme à ma collègue Esther Benbassa et à l’ensemble des membres de notre groupe, de légaliser le cannabis thérapeutique en France et d’en finir avec une certaine hypocrisie, voire une certaine frilosité ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai mon propos en vous contant l’histoire de deux amies proches qui ont été atteintes d’un cancer du sein et ont subi des chimiothérapies très lourdes.
L’une et l’autre – elles ne se connaissent pas d’ailleurs – m’ont confié que si elles n’avaient pas eu de quoi fumer un peu de cannabis tous les soirs, elles ne seraient pas parvenues à endurer la chimio. Ce qui leur a permis de supporter la douleur liée à la chimio – il n’y a pas que la douleur due à la maladie, il y a aussi la douleur provenant du traitement –, c’est de pouvoir fumer du cannabis.
Pour affronter leur cancer et les traitements, ces deux femmes d’une cinquantaine d’années, mères de famille, ont été obligées de devenir des délinquantes, mais aussi de transformer leurs enfants en délinquants. En effet, quand vous êtes une femme de cinquante ans vivant une vie « normale » et que vous apprenez que le cannabis peut vous soulager, vous savez que ce n’est pas à l’épicerie du coin que vous en trouverez.
Elles en ont donc parlé à leurs enfants parce que, comme tous les enfants de cet âge, ils connaissaient au moins une personne qui elle-même connaissait quelqu’un qui savait où se procurer du cannabis. Et ce sont leurs enfants qui sont allés leur chercher du cannabis.
La loi, telle qu’elle est aujourd’hui, transforme de bons citoyens voulant lutter contre la souffrance, ainsi que leurs familles, en délinquants. Il y a là quelque chose d’extrêmement choquant !
Mes amies m’ont raconté leur histoire alors que j’étais moi-même ministre. Elles m’ont demandé à l’époque si rien ne pouvait être fait pour elles. Je leur ai alors répondu : « Vous savez, en France, le débat sur le cannabis n’est pas simple ! »
Je sais que le Gouvernement n’est pas fermé sur cette question, qu’il est même ouvert. Je ne rappellerai pas les démarches qu’il a engagées et que mes collègues ont déjà rappelées. Je crois toutefois que le sujet mérite que nous nous intéressions quelques instants à notre rapport à la douleur, à cette histoire de la douleur dans notre culture et dans notre civilisation.
Sur le plan médical, la douleur a longtemps été considérée comme un signal utile, un signal d’alarme informant d’une agression contre l’organisme. Les médecins l’appréciaient, car elle faisait partie des signaux cliniques et aidait à progresser dans le diagnostic.
Ensuite, qu’on le veuille ou non, nous sommes le produit d’une histoire marquée par le stoïcisme : résister à la douleur est courageux. Ne pas y résister est beaucoup moins honorable.
Enfin, nous sommes le produit d’une civilisation dans laquelle il y a une sorte de fatalité à la douleur. On adresse même une injonction aux femmes : « tu enfanteras dans la douleur ! »
Mme Esther Benbassa. Tout à fait !
Mme Laurence Rossignol. Notre rapport à la douleur, et, donc, au traitement de la douleur, s’inscrit dans une culture et une histoire pesante, mais aussi morale. Ce rapport est en effet d’ordre non pas simplement sanitaire, mais aussi moral. Et la France a longtemps accusé un retard certain en matière de prise en charge de la souffrance. Nous avons récemment beaucoup progressé dans ce domaine grâce au lancement de plusieurs plans de lutte contre la douleur.
Toutefois, dans une enquête EPIC – European Pain In Cancer Survey – conduite en 2007 – ce n’est pas si lointain, et certains pays étaient déjà entrés dans la modernité à cette date ! –, environ 62 % des patients atteints d’un cancer en France déclaraient souffrir de douleurs quotidiennes, contre 24 % seulement des patients atteints des mêmes pathologies en Suisse !
Cet écart est significatif de la manière dont nous avons pris du retard dans le traitement de la douleur, à la fois par morale, par tradition médicale, dirais-je, et par peur de la drogue. Une collègue l’a d’ailleurs fort bien dit : n’oublions pas que le cannabis est une drogue. Mais, ma chère collègue, c’est le cas d’à peu près toutes les substances médicamenteuses ! (Mme Esther Benbassa rit et Mme Laurence Cohen opine.)
Qui oserait proposer dans cette enceinte de priver de morphine les patients atteints de maladies graves ou en fin de vie, ou même des patients souffrant de maladies moins graves, mais qui en auraient besoin à un moment donné ? La morphine est pourtant bien une drogue !
Mme Esther Benbassa. Oui, comme les opiacés !
Mme Laurence Rossignol. Je suis sûre que certains d’entre vous, mes chers collègues, ont déjà été contraints de prendre des opiacés à cause de douleurs de dos, pour pouvoir tenir le coup après avoir beaucoup manifesté et battu l’estrade ici et là. Cette approche par le biais de la notion de drogue ne me paraît donc ni pertinente ni utile pour soulager la souffrance.
Et puis je ne suis pas certaine que notre pays soit bien placé pour donner des leçons sur ce qu’est une drogue. Nous sommes le deuxième plus gros consommateur de benzodiazépine en Europe, traitement prescrit sans aucune retenue par de nombreux médecins. Nous sommes un pays dans lequel les somnifères, les tranquillisants et tout un tas de substances psychoactives sont très facilement accessibles, alors qu’ils produisent une accoutumance probablement encore plus grande que celle que provoque le cannabis.
Bien sûr, il y a des risques pour la santé. Mais si vous lisez la notice de n’importe lequel des médicaments que vous prenez régulièrement, vous vous apercevrez qu’aucun médicament n’est sans risque pour la santé. Le médicament neutre pour la santé n’existe pas ! C’est pourquoi cette approche sous l’angle du risque pour la santé ne me paraît pas non plus devoir être retenue. Ou alors, il faut l’appliquer à l’ensemble de la pharmacopée, ce qui montre bien la limite de notre réflexion.
Enfin, il faut bien entendu rappeler que la question du cannabis thérapeutique diffère de celle de l’usage du cannabis.
Cependant, la question du cannabis est aussi un sujet de santé publique. On ne peut pas s’en tenir à nos fondamentaux actuels en la matière sans évaluer le rapport exact entre l’efficacité de notre législation et le niveau de consommation de cannabis.
Aujourd’hui, notre pays a l’une des réglementations les plus répressives en matière d’usage du cannabis, mais aussi d’accès au cannabis thérapeutique, et pourtant la consommation la plus élevée.
J’ai la liste des pays qui l’ont légalisé : l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, l’Autriche, le Brésil, le Canada, le Chili, Chypre, la Colombie, la Croatie, le Danemark, l’Espagne, quatorze États des États-Unis, la Finlande, la Grèce, le Mexique, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, etc. Nous sommes désormais bien seuls à rester campés sur nos positions et à rester crispés sur cette question.
Mme Laurence Cohen. C’est vrai !
Mme Laurence Rossignol. Je ne connais aucune autre politique publique pénale qui soit autant mise en échec sans jamais être remise en question que celle de lutte contre l’usage du cannabis ou des « drogues douces », comme on les appelait à une époque.
Je ne prétends pas avoir la solution ou détenir la bonne réponse, mais je sais que ce débat devrait a minima cesser d’être tabou, ne serait-ce qu’au regard de nos exigences en matière d’évaluation des politiques pénales.
Pourquoi faut-il, à mon sens, que le Gouvernement poursuive et accélère la démarche qu’il a engagée en faveur du cannabis thérapeutique ? Parce que ce que les gens consomment quand ils se procurent du cannabis par eux-mêmes est vraiment toxique. Et c’est ainsi non pas uniquement parce que le produit est toxique, mais parce qu’il n’est pas contrôlé !
Quand la police opère une saisie et que les scientifiques analysent ce cannabis, on découvre des substances que l’on n’aurait même pas imaginées : du pneu, du cirage et mille autres matières toutes plus toxiques que le produit lui-même. Il y a donc également urgence à garantir à certains malades – pas à tous, probablement ! – qui ont besoin d’antidouleurs supplémentaires, que le cannabis peut leur procurer, de pouvoir compter sur des circuits contrôlés et sécurisés sur le plan sanitaire.
En conclusion, monsieur le secrétaire d’État, vous nous trouverez auprès de vous et nous vous soutiendrons dans la démarche que vous avez entreprise en faveur d’un accès facilité au cannabis thérapeutique et à un cannabis mieux contrôlé sur le plan sanitaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à saluer et remercier ma collègue et amie Esther Benbassa et le groupe CRCE d’avoir proposé ce débat.
Cette thématique m’a toujours intéressé et m’intéresse plus encore depuis quelque temps, puisque je travaille intensément sur la question des plantes médicinales depuis que j’ai été le rapporteur de la mission sénatoriale sur le sujet.
Le cannabis est une plante médicinale par excellence. Elle est très particulière, puisqu’elle a aussi des usages récréatifs illégaux – faut-il le rappeler ? – et est considérée aujourd’hui comme un stupéfiant. Mais le cannabis reste néanmoins une plante dont l’intérêt médical est de mieux en mieux connu et reconnu.
La mission sénatoriale sur le développement de l’herboristerie et des plantes médicinales a renforcé ma conviction sur le réel potentiel de la médecine par les plantes. J’ai découvert via ce travail la notion de « totum » : une plante ne peut pas être résumée à quelques principes actifs isolés.
C’est le cas pour le cannabis, qui n’est pas réductible au THC et au CBD, deux de ses principes actifs autorisés en France dans certains médicaments. Cette plante contient des dizaines de molécules qui agissent en synergie et qui en font l’intérêt thérapeutique. Il est donc très intéressant que des patients en souffrance puissent y avoir accès.
J’ai également été conforté dans ma conviction par le travail du député de la Creuse, Jean-Baptiste Moreau, qui m’a associé à l’organisation d’un colloque sur le sujet en décembre dernier à l’Assemblée nationale. Les témoignages des patients et des médecins présents sur l’intérêt de cette plante étaient édifiants : celle-ci permet de soulager les douleurs de personnes en grande souffrance, aujourd’hui contraintes de s’exposer à des poursuites pénales pour se procurer le traitement qui les soulage, et ce sans suivi et sans garantie en termes de qualité du produit, comme l’a rappelé ma collègue.
La légalisation d’une telle plante suppose bien sûr un contrôle et une organisation, notamment des circuits de distribution, ainsi qu’un suivi des patients, afin de mieux connaître les effets du cannabis, pour lesquels les données scientifiques doivent encore être complétées.
Si cette plante présente potentiellement des risques qu’il faudra surveiller et prendre en compte, ceux-ci sont à mettre en balance avec ceux d’antidouleurs dérivés de l’opium, comme la morphine qui peut rendre dépendant et être mal tolérée. Ainsi, à l’échelon national, le Comité éthique et cancer n’a pas identifié d’effets néfastes justifiant de s’opposer à la consommation du cannabis à usage thérapeutique.
S’il faudra être vigilant sur les dispositifs de contrôle et de suivi, il faudra aussi veiller à ce que le traitement soit réellement accessible pour tous les patients.
Pour moi, la légalisation du cannabis thérapeutique est également une opportunité économique : en effet, cette plante peut être cultivée localement, la France étant un leader de la filière chanvre. Le rapport de la mission sénatoriale sur les plantes médicinales, que j’ai déjà cité, recommande à cet égard de « lever les obstacles réglementaires au développement d’une filière de production française de chanvre à usage thérapeutique ».
Tout en étant attentif à ne pas déstabiliser la filière existante, il y a là une opportunité de créer une production locale, qui réponde à un enjeu de santé, en faisant vivre nos territoires.
Pour toutes ces raisons, il est essentiel que la France s’oriente, comme de plus en plus de pays, vers la légalisation du cannabis thérapeutique. Sur ce sujet qui semblait auparavant tabou, et qui l’est encore pour certaines et certains, les annonces de Mme la ministre des solidarités et de la santé sont très encourageantes.
Je voudrais élargir mon propos : si l’intérêt du cannabis thérapeutique est réel et si sa consommation doit se faire de manière contrôlée, la question se pose autrement pour le chanvre bien-être ; il s’agit de la plante sans le THC qui provoque l’effet psychotrope du cannabis, mais avec du CBD, autre principe actif du cannabis, qui présente un intérêt en termes de bien-être. Il ne faudrait pas que le cannabis thérapeutique crée de fait un monopole pharmaceutique sur le CBD.
En effet, si la France interdit aujourd’hui le CBD, parce qu’il est un dérivé du cannabis, cette molécule est classée par l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, comme n’étant pas addictogène ou dangereuse. De plus, un recours est exercé contre la France sur la question de la conformité de l’interdiction du CBD issu du chanvre avec le droit européen.
Je suis convaincu que nous devons nous montrer attentifs sur le sujet et considérer l’opportunité de faire évoluer notre législation. Il faudra bien sûr étudier la question en appréciant les enjeux de santé publique, mais le CBD pourrait aussi présenter un intérêt dans le secteur des cosmétiques ou des compléments alimentaires. Une mission d’information sur le sujet devrait d’ailleurs voir le jour à l’Assemblée nationale en septembre prochain.
En conclusion, je souhaite de nouveau revenir aux plantes médicinales. Si la France bouge sur le cannabis thérapeutique, cette plante au statut compliqué du fait de son usage récréatif et psychotrope, j’espère que cela pourra ouvrir la voie à une plus large place des plantes médicinales dans la santé en général.
Car de nombreuses autres plantes, qui ne sont pas des stupéfiants et sont sans risques, et qui sont donc bien moins complexes à gérer que le cannabis, ont un véritable intérêt. Elles sont demandées et attendues par les patients et les consommateurs, mais leur place dans le système de soins reste insuffisante du fait d’une réglementation encore inadaptée.
Il est temps que la France, pays historiquement producteur et consommateur de plantes médicinales, leur donne enfin la place qu’elles méritent dans son système de santé. Aussi, dans le cadre de la discussion du projet de loi Santé, je déposerai trois amendements d’appel visant à la prise en compte des plantes dans notre système de soins. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jocelyne Guidez.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous ne sommes pas ici pour parler de légalisation du cannabis. Je tiens à réaffirmer devant vous que, à titre personnel et au nom du groupe Union centriste, je suis défavorable à une telle mesure.
Au même titre que l’usage irraisonné de l’alcool ou de la consommation d’autres substances, le cannabis est une drogue, source d’addictions et de drames humains. Cela mérite d’autant plus d’être rappelé que le cannabis est la substance illicite la plus consommée par les adolescents, chez lesquels existe un risque élevé de dépendance.
Néanmoins, le débat d’aujourd’hui mérite d’être apaisé, car il porte sur un tout autre sujet : le cannabis thérapeutique comme enjeu de santé publique.
La question que nous devons nous poser est simple : le cannabis peut-il avoir une utilité thérapeutique ?
Tout d’abord, rappelons qu’il possède des caractéristiques similaires à celles d’autres substances utilisées dans le milieu médical en toute légalité, comme la morphine ou l’atropine.
L’usage thérapeutique du cannabis permettrait de soulager des malades dont les douleurs ne faiblissent pas sous l’effet des antalgiques traditionnels. Aussi, dans un contexte où les prescriptions d’opiacés et les décès pour cause de surdosage ont explosé, les traitements à base de cannabis pourraient représenter une alternative. Le cannabis à usage thérapeutique peut s’imposer comme un antidote à la dérive médicamenteuse.
Dans une étude récente de l’université de Berkeley, environ 90 % des patients estimaient que le cannabis permettait de diminuer leur consommation d’opioïdes et qu’il était plus efficace pour traiter leur état. Cette substitution aurait pour effet de diminuer le coût de la prise en charge pour la sécurité sociale.
Aujourd’hui, vingt et un pays de l’Union européenne sur vingt-huit autorisent le cannabis à usage thérapeutique. En février dernier, les députés européens ont adopté une résolution demandant à établir une distinction claire entre le cannabis médical et les autres usages du cannabis. Ils souhaitent encourager le développement du cannabis thérapeutique, financer la recherche et définir un cadre légal.
En France, si l’usage de celui-ci est encore quasi totalement prohibé, les choses bougent.
Tout d’abord, le Premier ministre lui-même relevait à juste titre en avril dernier qu’« il serait absurde de ne pas se poser la question ». Je ne saurais mieux dire !
Par ailleurs, des professionnels et des institutions médicales étudient sérieusement la possibilité d’encourager le développement thérapeutique du cannabis.
Comme vous le savez, en décembre 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a estimé qu’il pourrait être pertinent, dans certaines situations, d’autoriser l’usage du cannabis pour les patients. Elle préconise de mettre en place une expérimentation à l’échelon national. Je trouve cette recommandation intéressante.
N’oublions pas, enfin, que l’expérimentation doit se faire au bénéfice exclusif des malades. En tant que membre de la commission des affaires sociales, je suis marquée par l’intérêt que nous portons, en France, à la lutte contre la douleur, mais aussi par notre manque d’imagination et d’innovation en la matière.
Nous devons penser aux malades, notamment à ceux qui sont contraints à l’illégalité en recourant au cannabis pour soulager leurs souffrances. Il est inacceptable de laisser quelques petits groupes mafieux, via le marché noir, avec les risques qu’il comporte, profiter de la détresse de ces personnes.
Pour finir, je veux parler des retombées économiques pour notre pays.
La production d’un tel cannabis pourrait apporter une solution à des territoires agricoles en perte de vitesse, suivant l’exemple d’autres pays. La plante de cannabis, peu exigeante, n’a pas besoin d’un sol riche ou profond. Elle nécessite peu d’eau, peu de traitements et peu d’engrais. La situation présente d’autant plus d’intérêt que la France est déjà le troisième producteur mondial de chanvre.
Alors, mes chers collègues, quelle que soit, aujourd’hui, notre opinion sur le sujet, admettons collectivement qu’il y a matière à s’interroger pour l’avenir. Ne tombons pas dans de vaines polémiques !
C’est pourquoi j’aimerais conclure en rappelant que, s’il y a parfois de mauvaises réponses, il n’y a jamais de mauvaises questions. Ainsi en va-t-il de la question du cannabis thérapeutique : elle mérite d’être posée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)