M. le président. Nous en venons aux orateurs des groupes politiques.
Dans le débat, la parole est à M. Hervé Marseille, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Hervé Marseille. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la vie politique est faite de cycles. Ceux que nous vivons depuis quelques années sont de plus en plus rapides, imprévisibles et violents. Voilà qui nous appelle tous à une grande humilité.
Cette double déclaration de politique générale fait suite à deux années d’exercice du pouvoir et à un scrutin européen riche d’enseignements, notamment après les mois de crise que nous avons traversés.
Quel a été le message des électeurs ?
D’abord, une majorité a dit « oui » à l’Europe, que celle-ci soit défendue par En Marche, les Républicains, les centristes, les écologistes ou les socialistes. Elle a dit « oui » à une Europe qui protège ses habitants, qui sait qu’elle doit se réformer en se renforçant.
Ensuite, les Français ont dit « oui » aux réformes. En tout cas, la liste soutenue par le Président de la République n’a pas enregistré de désaveu manifeste. D’ailleurs, si son score a été proche de celui de l’élection présidentielle, c’est grâce à l’apport de voix nouvelles, venues notamment du centre droit. Ces électeurs ont salué l’engagement et le pragmatisme du Gouvernement et condamné les oppositions stériles.
Enfin, les électeurs ont clairement affirmé leurs fortes préoccupations environnementales.
Ces constats, monsieur le Premier ministre, vous avez naturellement souhaité qu’ils inspirent la nouvelle étape de votre action. Après vos propos d’hier et de ce matin, engageant l’acte II du quinquennat, je distinguerai la forme et le fond.
Sur la forme, nous ne pouvons que saluer votre volonté d’améliorer les méthodes de travail, en particulier avec le Parlement et les élus locaux, ainsi que le retour à une répartition des rôles plus conforme à la Constitution entre le Président de la République et vous-même.
Sur le fond, vous avez fixé les objectifs et le calendrier des prochains mois. Vous avez présenté ou confirmé les réformes que vous envisagez. Sans les énumérer, je constate que nous n’avons pas à leur égard d’opposition de principe, ni de crispation sur aucune d’entre elles. Parfois même, nous les appelons de nos vœux, pour certaines de longue date. Le pays les attend et en a besoin.
J’en commenterai brièvement deux.
Nous souscrivons évidemment à l’objectif de simplification du système de retraites. Nous partageons la philosophie générale d’un système plus équitable. C’est naturel, puisque cette conception est conforme à notre proposition historique de transition vers un régime par points. Toutefois, nous serons bien sûr vigilants sur le maintien des niveaux de pension et nous veillerons à ce que les règles et les droits des familles ne soient pas altérés. Nous souhaitons aussi une gouvernance équilibrée entre l’État, les partenaires sociaux et la représentation nationale.
En ce qui concerne la révision de la Constitution, disons-le clairement : nous souhaitons son bon aboutissement.
Mon groupe, comme, j’en suis certain, le Sénat, est décidé à jouer pleinement son rôle de constituant, sans manœuvres dilatoires, sans arrière-pensées, sans propositions autres que constructives, d’autant que, comme vous l’avez confirmé, monsieur le Premier ministre, le nouveau projet abandonne la refonte de la procédure parlementaire, qui pouvait appeler de nombreuses réserves.
S’agissant des textes organique et ordinaire associés, la question de la réduction du nombre de parlementaires, pour populaire qu’elle soit, ne constitue pas, me semble-t-il, la bonne entrée en matière. La crise des « gilets jaunes » l’a montré : l’angle incontournable est celui de la proximité. Cette réforme doit absolument maintenir le lien entre les citoyens et leurs élus nationaux, sauf à délégitimer un peu plus la démocratie représentative – je doute que nous puissions nous offrir ce luxe.
En dépit de nos approches différentes, monsieur le Premier ministre, notre divergence se résume désormais à peu de choses, comme vous l’avez souligné. Comment raisonnablement l’invoquer pour justifier le report de l’examen de ces textes importants ? En revanche, nous ne comprenons pas votre insistance à porter atteinte à une des spécificités du Sénat : la permanence de la Haute Assemblée associée à son renouvellement partiel, principe d’ailleurs constitutionnel et élément d’une démocratie apaisée.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Hervé Marseille. Je suis convaincu que vous nous entendrez d’autant plus facilement que cette disposition n’a pas d’incidence sur l’architecture de la révision.
Monsieur le Premier ministre, nous avons vocation à accompagner les réformes que vous présentez, voire à les soutenir. Pour autant, à nos yeux, ce soutien ne constitue pas, bien sûr, un alignement. Un soutien ne peut pas être unilatéral ; il se conçoit dans le cadre d’un dialogue responsable entre élus soucieux de l’intérêt général.
Au cours des deux années écoulées, nous avons maintes fois regretté l’impossibilité d’un dialogue plus fécond avec les ministres présents dans hémicycle et l’attitude souvent fermée de la majorité à l’Assemblée nationale. J’ai compris que cela allait évoluer. (M. Roger Karoutchi manifeste son scepticisme.) Tant mieux !
Reste que nous avons d’autres interrogations.
Nous sommes l’assemblée des collectivités et des territoires. Je vous en donne acte, ce n’est pas vous qui avez engagé la baisse des dotations. Ce n’est pas vous non plus qui avez organisé ces gigantesques bazars qui ont pour noms Maptam et NOTRe. Malheureusement, c’est vous qui avez inventé ce mistigri de la suppression de la taxe d’habitation, vous aussi qui avez parfois donné le sentiment de porter un regard distancié et clinique sur cette France éloignée des métropoles. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et sur des travées du groupe Les Républicains.)
Depuis deux ans, les signaux se sont multipliés, qui ont forgé l’impression que collectivités et territoires étaient les parents pauvres des politiques publiques, voire qu’ils faisaient l’objet d’un certain dédain jacobin. Il va falloir transformer l’essai du grand débat et convaincre définitivement nos territoires qu’ils sont écoutés. J’ai entendu vos propositions, monsieur le Premier ministre, et je ne doute pas qu’elles seront largement comprises et entendues dans les territoires.
Nous sommes également la chambre de la continuité, du temps long. Nous nous souvenons ainsi de l’engagement pris par le Président de la République, lorsqu’il était candidat, de réduire la dépense publique. Or nous n’avons jamais autant dépensé, et rien ne laisse entrevoir un retournement. De façon structurelle, nous le savons, la démographie exercera une pression à la hausse sur les dépenses de retraite et de santé.
Reste une inconnue : le financement des mesures prises ou les économies à réaliser – vous y avez fait largement référence, monsieur le Premier ministre. En fait, cette inconnue est connue : elle s’appelle le déficit. Si nous sommes attachés à la baisse de la dépense publique, ce n’est pas par fétichisme, mais parce que sont en jeu notre indépendance et le fardeau que nous laisserons à nos enfants. Nous leur laissons déjà un monde au bord de l’abîme : nous ne pouvons pas leur nouer, en plus, une corde autour du cou…
Vous auriez cependant tort de ne pas le faire un peu. Ceux qui vous ont précédé l’ont fait. Reconnaissons que, au moins, le Gouvernement ne fait pas semblant. Mais, pour notre part, ne pouvons pas faire semblant de ne pas voir. De ce point de vue, malheureusement, les gouvernements se succèdent et emploient les mêmes recettes.
Enfin, monsieur le Premier ministre, le scrutin européen a constitué un révélateur en ce qui concerne les priorités écologiques.
Cette révélation succède au spectacle plus ou moins réjouissant d’une course-poursuite entamée voilà quelques années. La course a commencé avec Nicolas Hulot sur la ligne de départ, mais, de même qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, M. Hulot à lui seul ne pouvait pas faire le verdissement. Son départ a d’ailleurs prouvé qu’il n’était pas l’arbre qui cachait la forêt, mais plutôt le palmier qui masquait le désert… (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains).
La course a repris avant les élections européennes. Elle se poursuit aujourd’hui avec ce que l’on appelle l’« accélération écologique ». Cette accélération, vous la traduisez par des mesures auxquelles personne ne saurait s’opposer : qui peut être favorable au gaspillage ou à l’utilisation du plastique dans les administrations ? Qui peut encore défendre les niches anti-écologiques ? Évidemment, personne. Vous avez annoncé des textes importants, et c’est avec impatience que nous les attendons.
Notre premier combat est celui pour la biodiversité. En la matière, vous avez décidé d’abandonner le projet de la Montagne d’or. Quand on sait ce que chaque mètre carré de forêt vierge représente, ce n’est pas rien. S’agissant du plastique, l’un des fléaux qui menacent toutes les espèces, vous avez décidé d’agir, mais uniquement sur la consommation, alors que la production est au cœur du problème : les industriels ont fait le choix du plastique pour des raisons économiques, et il va nous falloir les contraindre intelligemment, lorsque des alternatives existent.
Le second combat décisif est celui contre le réchauffement climatique. À cet égard, nous adhérons pleinement à l’idée que la meilleure énergie est celle que l’on ne consomme pas. Nous soutiendrons donc votre plan de révision des aides à la rénovation énergétique, réforme qui s’inscrit dans la droite ligne du Grenelle de l’environnement de Jean-Louis Borloo, celle d’une écologie incitative et non punitive et moralisatrice.
Toutefois, compte tenu des besoins énergétiques à venir, l’efficience ne fera pas tout. Une question essentielle se pose : peut-on simultanément sortir des énergies fossiles et réduire la part du nucléaire ? Nous espérons que l’examen prochain du plan énergie-climat y répondra. Même en relançant l’éolien offshore, il sera difficile d’atteindre la neutralité carbone.
Il nous faut ainsi clarifier notre politique énergétique, faute de quoi – pardonnez-moi, monsieur le Premier ministre – l’accélération écologique plafonnera vite à 80 kilomètres par heure… (Sourires sur plusieurs travées.)
Monsieur le Premier ministre, à mi-quinquennat, vous nous demandez d’approuver votre déclaration de politique générale et, plus largement, l’action gouvernementale. C’est rare et, au nom de mon groupe, je salue cette volonté d’écoute du Sénat. De fait, il n’est pas courant que le Premier ministre vienne solliciter la confiance de notre assemblée et y parler spécifiquement d’un sujet qui nous tient à cœur : les territoires.
Notre groupe valorise la constance, comme les deux années écoulées l’ont démontré : sur les ordonnances travail, la réforme ferroviaire, la loi Pacte, la loi d’orientation des mobilités, la loi santé, nous avons assumé notre cohérence historique.
Le groupe Union Centriste souhaite unanimement la réussite de l’action du Gouvernement. De toute façon, le pays n’a pas d’autre choix pour échapper aux démons qui le hantent. C’est pour cela que, dans les mois à venir, monsieur le Premier ministre, vous nous trouverez à vos côtés chaque fois qu’il s’agira de promouvoir les réformes utiles au pays, comme vous nous avez trouvés à vos côtés, avec beaucoup d’autres, en décembre dernier, lorsque la République semblait en difficulté et qu’il fallait éteindre l’incendie allumé par les « gilets jaunes ».
Monsieur le Premier ministre, en fonction de ces observations, de nombreux sénateurs de mon groupe répondront favorablement à votre proposition ; les autres exprimeront par leur abstention une retenue bienveillante. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Claude Malhuret. Nous vous écoutons, monsieur le Premier ministre, au moment, particulier et grave, où un parti extrémiste vient d’arriver en tête d’une élection nationale. Encore avons-nous la chance, si l’on peut dire, dans notre pays où l’on apprend dès l’école à révérer Robespierre, que, à la différence des autres pays, où le populisme est seulement d’extrême droite, la France voit le sien partagé en deux, ce qui rend les chiffres en apparence moins alarmants – en apparence seulement.
Ce qui est incompréhensible, c’est que, pour réclamer plus de démocratie, des électeurs votent pour le parti qui détient le record du népotisme et de l’opacité, dirigé depuis cinquante ans par le père, puis la fille, et bientôt la nièce (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.), que, pour dénoncer un système qu’ils estiment corrompu, ils votent pour le parti qui détient le record des rendez-vous judiciaires, et que, pour redresser l’économie, ils votent pour une dirigeante qui a fait la preuve de son incompétence absolue en la matière lors de l’élection présidentielle. Napoléon disait : « En politique, une absurdité n’est pas un obstacle. » Nous le constatons tous les jours… (Rires et applaudissements sur les mêmes travées.)
Si les partis extrêmes ne rassemblent plus aujourd’hui que 30 % des votants, ce qui est tout de même considérable, contre 40 % voilà deux ans, c’est grâce à l’effondrement du líder minimo de la France soumise à Cuba. Le corps sacré autoclaironné lors d’une perquisition par l’homme au micro entre les dents a disqualifié celui-ci jusque chez ses proches. (Sourires sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) Les cascades d’exclusions ont délié les langues, et nous savons maintenant comment, avec son égérie, il dirigeait leur groupuscule. Après la défaite, les jeunes loups du parti estiment que leur tour est venu : voilà du remue-ménage en perspective, quand on sait que plusieurs d’entre eux sont le genre de personnes qui entrent derrière vous dans une porte-tambour et en ressortent les premières. (Rires et applaudissement sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.) L’incroyable, ce n’est pas que LFI soit passée de 20 % à 6 %, mais que, malgré cela, il y ait encore, en 2019, 6 % des Français qui votent pour la révolution bolivarienne. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le second coup de tonnerre de cette élection, c’est que la gauche démocratique et la droite républicaine, à la tête du pays pendant soixante ans, aient obtenu ensemble moins de 15 % des voix.
En ce qui concerne le PS, l’explication, qui risque de ne pas plaire à tout le monde ici, me semble largement partagée. François Hollande a mené avec constance une politique qui m’évoque une enseigne aperçue l’autre jour sur la route : « restaurant ouvrier, cuisine bourgeoise ». (Rires et applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche, du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
De l’autre côté, Nicolas Sarkozy déclarait, le 26 mai dernier, à vingt heures trente : « Il n’y a plus de droite dans notre pays. » Je trouve le jugement expéditif. Nous savons tous qu’il est rare qu’on meure en politique. Comme le dit un proverbe cambodgien, « quand l’eau monte, les poissons mangent les fourmis, quand l’eau descend, les fourmis mangent les poissons ». (Sourires.)
Je ne crois pas que la droite soit morte, mais elle est partie. Elle a commencé à partir le jour où quelques-uns de ses dirigeants ont décidé que la reconquête passait par l’adoption des idées les plus raides et ont cessé de tenir compte des minoritaires. Le parti, mon parti, ne pouvait alors que s’effeuiller comme un artichaut : une feuille lors de la défaite de 2012, une feuille lors du match de boxe Copé-Fillon, une feuille lors du refus de choisir entre Le Pen et Macron au second tour de la présidentielle, une feuille lors des européennes… Une fois la dernière feuille partie, le 26 mai au soir, la droite s’est aperçue qu’un million de ses électeurs n’avaient pas voté pour son candidat, mais pour la candidate d’En Marche, et 500 000 pour le Front national.
Pendant toute la campagne, les adversaires d’Emmanuel Macron l’ont accusé de prendre les élections européennes en otage en réduisant l’enjeu de celles-ci à un affrontement entre progressistes et populistes. Ils n’avaient pas tort. Mais ce qu’ils n’avaient pas compris, c’est qu’il ne s’agissait pas seulement d’un slogan de campagne, mais aussi d’une réalité.
Lorsque presque tous les pays de l’est de l’Europe, plus l’Italie, sont dirigés par des populistes, lorsque ceux-ci réunissent de 15 % à 30 % des suffrages partout en Europe de l’Ouest, lorsque l’on est entouré de Poutine, d’Erdogan et de Xi Jinping, il est temps, pour les démocrates, d’affronter les populistes, et non de leur courir après ! (Applaudissement sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
Le monde est devenu dangereux et compliqué. Avant, vous étiez de gauche, du centre ou de droite et vous votiez en conséquence. Cette grille, contrairement à ce que l’on prétend, n’a pas été remplacée par l’opposition démocrates-populistes. Mais il y a désormais deux axes de lecture : l’axe gauche-droite et l’axe démocrates-populistes. Je partage l’analyse du Président de la République sur ce point, mais je préfère de loin le terme de démocrates à celui de progressistes, tant j’ai vu dans ma vie de catastrophes provoquées au nom du progrès. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. André Gattolin applaudit également.)
La liste « Renaissance » est arrivée deuxième le 26 mai, mais vous êtes presque le seul, monsieur le Premier ministre, à l’avoir fait remarquer. Sa déroute était tellement prédite que le reste du monde semble persuadé qu’elle a gagné. Je suppose que vous ne vous en plaignez pas, mais, si j’insiste sur ce point, c’est qu’il me paraît important que quelqu’un – et vous n’êtes pas n’importe qui – garde la tête froide.
Certains cris de victoire un peu bruyants, certaines injonctions un peu appuyées, certains appels un peu martiaux entendus depuis quinze jours ne sont peut-être pas la meilleure façon de préparer l’avenir et de rassembler. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Bravo !
M. Claude Malhuret. Vous restez lucide, et c’est à saluer.
L’acte I du quinquennat a permis des réformes importantes : la SNCF, le code du travail, l’école de la confiance, notamment. La majorité du Sénat les a souvent soutenues, souvent amendées aussi.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Claude Malhuret. L’acte I a également été marqué par une grave crise sociale, parce que la disruption, on peut trouver ça sympa, mais ce n’est pas toujours l’avis de ceux qui sont disruptés…
Vous êtes venu ce matin nous annoncer l’acte II. Ici même, voilà deux mois, je disais : « La conclusion du grand débat, c’est un peu une lettre au père Noël. Le Président a promis d’en tenir compte, et c’est heureux. Mais il va falloir aussi, pour une part, qu’il lui résiste. »
C’est la raison pour laquelle la formule la plus importante de votre discours me paraît être : « constance et cohérence dans l’action ». Cette position suscitera deux sortes de réactions : certains diront que vous n’avez rien entendu, qu’il faut d’urgence faire marche arrière ; les autres, dont je suis, vous diront que c’est en restant immobile qu’on fait le plus de faux pas.
Vous nous annoncez une société de la confiance et de la justice. Lever les freins à l’emploi, libérer les énergies, renforcer les collectivités territoriales et décentraliser, faciliter la mobilité sociale, renforcer l’égalité entre les territoires, métropolitains comme ultramarins, redéfinir le périmètre de l’État, et – vous avez commencé par là – tout faire pour laisser à nos enfants une planète vivable : il n’y a rien, dans tout cela, qui ne puisse être approuvé.
Mais cette approbation doit être vigilante, car, au-delà de ce que vous avez dit, il y a deux ou trois choses que nous aurions aimé entendre, tout au moins plus précisément : des assurances chiffrées sur le non-dérapage des finances publiques dans la mise en œuvre de ces réformes (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains.) ; des précisions sur le Meccano fiscal, qui ne nous semble pas abouti et ne nous rend pas certains que vous arriverez, deux siècles plus tard, à faire mentir l’adage de Benjamin Franklin selon lequel il n’y a que deux choses certaines dans la vie, la mort et les impôts (Sourires.) ; quant à la baisse des effectifs de la fonction publique, elle ne semble plus si urgente, ce qui nous fait craindre que l’administration ne continue d’être ce qui se rapproche le plus de la vie éternelle… (Nouveaux sourires.)
La réforme constitutionnelle reposait avant tout sur les engagements réciproques et la loyauté de trois personnes qui y avaient beaucoup travaillé, échangeant beaucoup : le Président de la République, le président du Sénat et le Premier ministre. Vous le savez, je suis de ceux qui pensent que ces engagements auraient été tenus.
Après avoir mobilisé beaucoup d’énergie, la révision constitutionnelle semble devoir rester un certain temps dans le cloud, comme l’on dit aujourd’hui… Je l’y laisse donc ; nous aurons l’occasion d’en reparler lorsqu’elle redescendra du ciel.
Monsieur le Premier ministre, notre groupe, très majoritairement, approuvera votre déclaration de politique générale. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe La République En Marche et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Fabienne Keller applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser le président de notre groupe, Bruno Retailleau, retenu ce matin dans son département, aux Sables-d’Olonne, pour l’hommage national aux sauveteurs de la SNSM qui ont péri en mer vendredi dernier. (Applaudissements sur de nombreuses travées.)
Nous sortons d’une séquence électorale intense, les uns satisfaits, d’autres un peu moins, beaucoup moins encore. Pour autant, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, nous comptons bien continuer à défendre nos convictions, sereinement mais fermement.
Sereinement, car la politique n’est pas la guerre : nous ne voyons, sur les bancs du Gouvernement, aucun ennemi.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Nous nous désolons même d’y voir siéger certains de nos amis… (Sourires.)
Que vous tendiez la main aux maires, c’est votre droit. Que quelques-uns la saisissent, c’est leur choix. Mais que certains tapent sur les doigts de ceux qui auraient l’impudence de ne pas faire de même, cela est inacceptable ! (Bravo ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Les élus locaux ne sont les obligés de personne : ils n’ont de comptes à rendre ni à vous ni à nous, mais à leurs seuls administrés. Puisque la Constitution nous donne pour mission de les représenter, de défendre leurs libertés, nous vous disons : monsieur le Premier ministre, ne cédez pas de nouveau à la tentation de la toute-puissance, qui a tant abîmé le lien de confiance avec les élus locaux ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Valérie Létard applaudit également.)
Du reste, nous n’acceptons pas – je le dis, là encore, avec une grande sérénité – l’affirmation selon laquelle l’intérêt du pays nous serait étranger. Depuis deux ans, notre groupe a toujours refusé l’obstruction intransigeante, au profit de l’opposition intelligente.
Nous sommes-nous opposés aux ordonnances travail ? Non : nous les avons votées, parce que nous estimions que, même insuffisantes, elles allaient dans le bon sens. Avons-nous tenté de faire échouer la réforme de la SNCF ? Non : nous avons appuyé le Gouvernement, considérant que, compte tenu des carences de notre système ferroviaire et des corporatismes qui depuis trop longtemps le fragilisent, l’exigence de réforme devait primer. De même, avons-nous repoussé la loi ÉLAN ou celle sur les mobilités ? À la vérité, loin de rejeter ces textes, nous les avons améliorés, parce que notre mission de législateur prime toute autre considération, parce que nous sommes, au Sénat, bien moins perméables aux passions et aux agitations qui parfois dominent l’Assemblée nationale.
Je pourrais évoquer également les mesures d’urgence décidées par le Président de la République au pic de la crise de l’hiver dernier : nous les avons votées, estimant que, compte tenu de l’état de tension régnant dans le pays, il fallait collectivement répondre à l’urgence et mettre tout en œuvre pour que l’ordre et la sérénité reviennent.
Nous n’avons jamais été dans une opposition pavlovienne. Notre position est claire et, je crois, saine sur le plan démocratique : quand nous estimons qu’un texte est bon pour le pays, nous le votons ; quand il nous paraît qu’il ne l’est pas, nous ne le votons pas !
Car s’il peut y avoir avec vous des convergences – nous en avons trouvé dans votre discours, monsieur le Premier ministre : la fin de régimes spéciaux de retraite, la réforme de l’assurance chômage ou le débat annuel au Parlement sur l’immigration –, il y a aussi entre nous de vraies différences, non pas de forme, mais de fond.
Lorsque vous annoncez des milliards d’euros de dépenses supplémentaires sans indiquer comment vous les financerez, sinon en rabotant ici ou là quelques niches fiscales, au lieu de présenter aux Français un véritable plan d’économies, au risque de reporter sur les générations futures la charge financière de vos décisions, c’est une différence de fond. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Lorsque vous refusez d’indexer les aides accordées aux familles et que vous poursuivez l’entreprise de fragilisation de la politique familiale engagée par François Hollande, c’est une différence de fond.
Lorsque vous engagez notre protection sociale vers un système de moins en moins universel, c’est une différence de fond.
Lorsque la protection de l’environnement se traduit par une fiscalité punitive, c’est une différence de fond.
Ces différences, nous ne les revendiquons pas seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour défendre ce qui nous engage tous.
Je citerai la crédibilité de la parole publique, tout d’abord, car l’honneur de la politique, c’est de défendre des convictions, sans céder à l’esprit du temps ou à l’opportunité du moment.