M. Pierre Ouzoulias. Tout à fait !
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Aussi souhaiterions-nous que vous nous indiquiez, monsieur le ministre, si des orientations vous guident déjà s’agissant de la composition tant du conseil d’administration que du conseil professionnel, en termes d’effectifs comme de représentation, et des missions qui devraient être confiées à chacune de ces deux instances.
Je voudrais pour ma part souligner que les collectivités territoriales, chères au Sénat, ne doivent pas être les oubliées de cette gouvernance, au regard de leur contribution à l’animation et au financement de la politique musicale dans les territoires.
Quant au second silence, c’est plutôt Money, de Pink Floyd, qui illustrerait parfaitement la situation… (Sourires.)
La question des moyens du CNM est en effet au cœur de toutes les préoccupations. En l’état actuel, le CNM devrait percevoir la taxe fiscale sur les spectacles de variétés, des subventions de l’État et des fonds accordés volontairement par les organismes de gestion collective. Il devrait également gérer deux crédits d’impôt, soit un budget total de 78 millions d’euros.
Le chiffre de 20 millions d’euros est avancé et étayé dans le rapport Bois-Cariou : tel serait le complément nécessaire pour que le CNM ne soit pas qu’un simple regroupement, mais s’impose bien comme un acteur majeur et structurant pour la filière.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Je vais vous poser la question le plus directement possible, monsieur le ministre : quels moyens supplémentaires vous est-il permis d’espérer dans le cadre du projet de loi de finances ?
De votre réponse, même partielle, dépend beaucoup le sort du CNM, qui sera lié à la confiance et à l’engagement des acteurs, privés comme publics. Il faut maintenant aller au-delà, oserai-je dire, du célèbre You never can tell de Chuck Berry ! (Nouveaux sourires.)
M. Stéphane Piednoir. Il faut le chanter, maintenant !
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Et la francophonie ?
M. André Gattolin. Il nous faut un sous-titrage !
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur. Plusieurs pistes ont été évoquées ces dernières années.
Notre présidente, Catherine Morin-Desailly, avait émis l’idée d’affecter la taxe dite « YouTube » au bénéfice de la musique, qui est tout autant piratée que le cinéma. Cette recette représenterait aujourd’hui environ 7 millions d’euros.
Pascal Bois et Émilie Cariou, quant à eux, souhaitent affecter au financement de la musique une partie de la TOCE, la taxe sur les opérateurs de communications électroniques, à hauteur de 10 millions d’euros environ.
En un mot, les solutions existent, même si aucune n’est simple, surtout dans le contexte qui est celui de nos finances publiques.
Par ailleurs, le CNM aura-t-il les moyens de financer le fonds de soutien aux créateurs musicaux, envisagé à hauteur de 5 millions d’euros et dont la mise en place, je peux vous l’affirmer, est ardemment souhaitée par la profession, tant l’acte de création est absolument essentiel ? Allons-nous plutôt devoir entonner en chœur le célèbre refrain de Gianni Ferrio, immortalisé par Dalida et Alain Delon : Parole, parole ? (Sourires.)
J’estime pour ma part que votre soutien à la proposition de loi constitue un engagement moral qui doit trouver sa concrétisation dans le prochain projet de loi de finances.
Ces silences, monsieur le ministre, il faudra bien les orchestrer afin d’éviter la cacophonie d’une filière une nouvelle fois déçue et trahie dans ses attentes. Or, tant que ni les structures de gouvernance ni les moyens ne sont arrêtés, ce sont plutôt des divisions qui sont créées, alors même que l’unité – vous l’avez dit – devrait prévaloir.
Pour conclure, permettez-moi d’évoquer ceux qui sont au centre de l’ensemble de l’écosystème de la musique en France et que le Président de la République lui-même a salués comme il se doit au moment du débat sur la directive Droit d’auteur dans le marché européen : je veux parler des auteurs-compositeurs.
Les industries culturelles reposent sur l’existence d’œuvres. Leur prospérité dépend donc directement de la phase initiale de la création, qui implique l’intervention des auteurs-compositeurs. Je forme par conséquent le vœu que cette maison commune du CNM leur réserve vraiment, en son cœur, une place de choix. (Applaudissements.)
M. André Gattolin. Quel talent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Sonia de la Provôté. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
Mme Sonia de la Provôté. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la musique est l’art démocratique par excellence, la première pratique culturelle des Français, la deuxième industrie culturelle ; et pourtant, la musique demeure jusqu’à présent dépourvue de centre national.
Après huit ans de réflexion, nous ne pouvons donc que nous réjouir de la création d’une maison commune de la musique.
Cette maison commune va devoir répondre aux attentes de la filière, être un outil efficace, une instance de dialogue et de cohésion entre les acteurs du secteur de la musique et des variétés.
La création du CNM intervient à un moment clé de l’évolution du monde de la musique, avec l’adaptation du marché au numérique, notamment au streaming, qui à la fois offre des possibilités immenses aux artistes et fragilise une partie des acteurs.
Pour rester dans le jeu, nous devons renforcer les moyens financiers, mais également progresser en matière de compréhension et de capacité d’anticipation, condition sine qua non pour faire face à la concurrence d’autres pays, en particulier les États-Unis et la Chine.
Le CNM doit répondre à la volonté déterminée de maintenir la création et la production françaises dans une énergie et une vitalité qui permettent à chacun des acteurs d’en vivre, et ce sur tous nos territoires.
Ces moyens sont autant un soutien financier qu’un soutien à la structuration et au développement par du conseil et de l’expertise fondés sur une observation la plus fine possible de l’écosystème, anticipant ses transformations itératives.
N’oublions pas que la musique est une industrie culturelle qui pèse et représente de très nombreux emplois ailleurs que dans les métropoles. Au moment où la fracture territoriale est reconnue comme un problème central, ce point a toute son importance.
Quatre grands enjeux doivent être au cœur des missions du CNM.
Il s’agit en premier lieu de garantir la diversité musicale et le pluralisme des genres musicaux : tous les genres musicaux doivent avoir leur place au sein du CNM. Une attention particulière devra être portée à la musique classique et aux musiques improprement appelées « savantes ». Le financement des orchestres et des conservatoires, en région notamment, doit donc être conforté. Ceux-ci sont partout sur le terrain des vecteurs importants d’une grande part de la culture musicale. Ils n’ont pas le poids économique de formations et de groupes plus populaires, mais ils occupent néanmoins une place essentielle.
Au cœur du CNM figurera aussi le répertoire historique du CNV : les musiques actuelles, le jazz et la variété, y compris l’humour. Parce que le CNM est un établissement public au service de l’intérêt général, il aura pour mission de garantir la diversité dans toutes les dimensions du secteur musical.
Il s’agit en deuxième lieu de garantir la diversité des acteurs, au travers des différents types de pratiques, du professionnel à l’amateur, de maintenir la vie des labels indépendants, encore très présents sur nos territoires, et de permettre, via des lieux et des festivals, l’accès à une autre offre que celle des blockbusters et des grands équipements.
La diversité prend en compte les contributions de tous les acteurs, professionnels ou non, participant à la vie musicale en tant que créateurs, producteurs, diffuseurs, praticiens, spectateurs, auditeurs.
La pratique musicale en amateur contribue aussi au développement de l’art musical français, à l’économie musicale et même au dynamisme des territoires. Mais cette vitalité tient également à la dynamique associative musicale. Les très nombreuses associations du secteur ont développé de multiples activités dans tous les territoires, de la création à la formation, hybridant les pratiques, inventant des modes de faire ensemble. Leur rôle est essentiel.
Il s’agit en troisième lieu de promouvoir la diversité de la production et de la création musicales dans le monde, par le rayonnement français.
La contribution française doit être accompagnée, aidée, encouragée. Il importe de favoriser le développement d’œuvres françaises et francophones éclectiques à travers le monde.
C’est tout l’intérêt d’intégrer le Burex, le Bureau export de la musique française : à l’heure où l’exposition internationale des artistes et des productions français est une question cruciale pour la filière, cela permettra sans doute d’être plus efficace en matière d’export. La promotion de la chanson francophone est nécessaire. Nous la devons au monde, auquel la langue française apporte des valeurs et des façons de penser différentes, singulières.
Enfin, il s’agit de promouvoir la diversité dans tous les territoires, pour tous, par le biais de partenariats avec les collectivités et les acteurs locaux : cela renvoie au sujet des droits culturels, dont le CNM devra être le garant. Les droits culturels sont fondés sur la diversité musicale, les libertés d’expression musicale, l’accessibilité intégrale. Par leur biais est consacré le droit de toutes les personnes à participer et à accéder à la vie musicale.
Le CNM devra réguler le poids des censures et des rationalités, qu’elles soient économiques ou institutionnelles. Je me réjouis par conséquent que nous ayons, en commission de la culture, intégré la garantie des droits culturels dans les missions du CNM.
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
Mme Sonia de la Provôté. La fusion en une seule et unique instance ne doit pas être synonyme de concentration : la concentration, c’est la négation de la diversité.
Les inégalités culturelles sont nombreuses, trop nombreuses en France. Qu’ils vivent en milieu rural, insulaire, montagnard, ultramarin ou urbain, nos concitoyens doivent avoir accès à la culture. L’accompagnement des initiatives locales et des collectivités devra être renforcé par l’intermédiaire du CNM, afin de garantir les droits culturels.
À l’issue du travail entrepris, des réserves demeurent au regard de l’obligation de mettre en œuvre les quatre enjeux de la diversité musicale que je viens d’énoncer. Il faudra apporter des réponses à deux questions que cette proposition de loi laisse pendantes.
Premièrement, quid de la gouvernance de l’établissement ? Les modalités devraient en être déterminées par voie réglementaire.
Je souhaite insister sur l’importance du rôle des collectivités territoriales, qui participent de façon majeure à la politique publique de soutien à la musique, via notamment le financement ou le subventionnement d’orchestres, de théâtres, de festivals, de conservatoires, d’écoles ou de l’enseignement artistique et culturel. Nous estimons que les élus territoriaux ont, à ce titre, toute leur place dans l’instance décisionnelle.
Deuxièmement, des réserves persistantes concernent le financement, renvoyé au prochain projet de loi de finances, et en particulier la question de l’administration des crédits d’impôt en faveur de la production phonographique et du spectacle vivant. Nous nous interrogeons aussi sur le devenir du Fonpeps, le Fonds national pour l’emploi pérenne dans le spectacle.
Créer un CNM en lui attribuant les moyens du CNV, c’est croire que l’on peut faire mieux avec autant, voire avec moins, ce qui est une illusion. Il faudra bien nous dire où l’on trouvera – sans amputer, cela va sans dire, le budget de la culture – cette somme de 20 millions d’euros préconisée par le rapport Bois-Cariou et sur laquelle l’ensemble des acteurs s’accordent. Se contenter de centraliser les différents financements existants ne saurait suffire.
En conclusion, malgré ces deux réserves, sur la gouvernance et sur le financement, le groupe Union Centriste soutiendra ce texte, car la création du CNM répond à l’ambition de constituer un outil efficace pour le secteur de la musique et des variétés, sur l’ensemble du territoire et à l’échelle internationale. Monsieur le ministre, le CNM sera le fer de lance et la vigie de la diversité musicale, si on lui en accorde les moyens… (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la création tant attendue du Centre national de la musique témoigne de la volonté des parlementaires et du Gouvernement de mettre la filière musicale sur le devant de la scène de nos politiques culturelles. En dotant la France d’une maison commune dédiée à ses artistes, auteurs, compositeurs et interprètes, en unifiant l’ensemble des acteurs du monde de la musique, il s’agit de contribuer au développement harmonieux, à l’accompagnement et à la valorisation d’une filière longtemps considérée comme le parent pauvre du ministère de la culture.
Aussi le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutient-il pleinement cette proposition de loi, qui concrétisera dès janvier 2020 ce projet mûri de longue date par vous-même, monsieur le ministre.
Sont dessinés les contours de la future institution qui fera rayonner la musique française dans nos villes, dans nos campagnes, sur les plus grandes scènes internationales.
Les acteurs qui seront réunis en ses murs sont les suivants : le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz – la chanson, c’est l’histoire de la France, le Moyen Âge, l’opéra, la révolution Trenet, Gilbert Bécaud, que j’ai eu la chance de souvent rencontrer, près de chez moi, et dont la fille Émilie reprend aujourd’hui sur scène les succès –, le Fonds pour la création musicale, le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles, le Bureau export de la musique française et le Club action des labels indépendants de France et des disquaires indépendants français.
La proposition de loi reprend les grandes lignes du rapport des députés Pascal Bois et Émilie Cariou. Le Gouvernement n’a pas souhaité préciser, à ce stade, la gouvernance du CNM. On sait, en revanche, qu’il sera composé à la fois d’un conseil d’administration et d’un conseil professionnel ; c’est une très bonne formule.
Madame la présidente de la commission, nous nous félicitons de l’adoption par la commission de la culture de l’amendement de notre groupe visant à étendre au conseil professionnel l’obligation de parité déjà prévue pour le conseil d’administration. Le secteur de la musique pâtit d’une forte disparité, en matière d’accès aux fonctions de direction, entre les femmes et les hommes, et n’est en rien épargné par les comportements sexistes. Nous appelons le Gouvernement à exercer la plus grande vigilance et à proposer des mesures fortes pour lutter contre la culture du sexisme qui gangrène l’ensemble de ce secteur.
Le Centre national de la musique devrait disposer, a minima, d’un levier d’action financier de 78 millions d’euros. De nouveaux moyens budgétaires seront votés lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
Il s’agit de donner au futur centre les moyens de ses ambitions en résolvant une difficile équation : octroyer à la filière des ressources nouvelles et pérennes sans pour autant creuser le déficit public.
Monsieur le ministre, ces besoins de financement sont d’autant plus importants, notamment pour les entreprises musicales, que le secteur s’engage depuis une dizaine d’années dans une profonde mutation.
Les opportunités de développement à l’international sont décuplées avec le virage numérique. Nous devons accompagner au mieux les entreprises musicales françaises dans leur renouveau en consolidant leur modèle économique, afin de nous inscrire parmi les leaders mondiaux en matière de productions culturelles.
Le Centre national de la musique a aussi une vocation de développement territorial de la filière musicale, en partenariat avec les collectivités locales, comme l’a réaffirmé la commission de la culture du Sénat.
Les communes, intercommunalités, régions – ces dernières, à mon avis, devraient faire davantage – qui maillent notre territoire versent plus de 80 % des subventions dont bénéficient les lieux de musiques actuelles. Il nous semble essentiel, monsieur le ministre, de faire du Centre national de la musique un élément structurant du développement territorial de la filière musicale.
Pour toutes ces raisons, notre groupe se félicite de cette proposition de loi, qu’il votera donc, et de la volonté affirmée par le Gouvernement. (Mme la présidente de la commission et M. André Gattolin applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans revêtir les habits du thuriféraire et en restant comme toujours parfaitement objectif, je tiens, monsieur le ministre, à saluer ici la persévérance qui a toujours été la vôtre sur ce dossier.
En avril 2011, le ministre de la culture de l’époque, un de vos nombreux, trop nombreux, prédécesseurs, vous confiait la conduite d’un rapport ministériel sur l’état de la création et de la diversité musicales à l’ère numérique.
Huit mois plus tard, en novembre 2011, vous et vos quatre corédacteurs remettiez à Frédéric Mitterrand un document dressant, sans détour ni fioritures, le triste bilan économique et social de l’industrie française du disque entre 2000 et 2010.
Avec Alain Chamfort, Daniel Colling, Marc Thonon et Didier Selles, vous proposiez notamment la création d’un centre national de la musique, sur le modèle du Centre national du cinéma, afin de sortir la filière musicale française du marasme qu’elle traversait et qu’elle continue de traverser.
Huit ans plus tard, c’est avec une autre casquette, celle de ministre de la culture, que vous êtes parvenu à faire que ce centre puisse – enfin ! – devenir réalité, à l’horizon très proche de janvier prochain : il aura fallu huit années pour arriver à mettre en œuvre ce qui apparaissait comme une nécessité autant que comme une évidence.
Bien sûr, les changements politiques de 2012 et les effets prolongés de la crise de 2008 expliquent pour partie que, alors qu’il convenait d’agir vite, nous avons au contraire adopté l’attitude et la vélocité de l’escargot.
En effet, entre 2012 et 2017, le budget dédié au ministère de la culture a diminué graduellement, avant d’afficher un léger sursaut, à la fin du quinquennat, pour contenter quelque peu la filière musicale à l’approche des grandes échéances électorales.
Mais, au-delà de la question strictement budgétaire, c’est l’absence de volontarisme politique dans le domaine de la culture durant tout un quinquennat qui explique sans doute le mieux ce retard à l’allumage.
Entre l’annonce de sa création, fin 2011, l’arrêt du projet, en septembre 2012, l’annonce de sa relance, en janvier 2014, puis son nouvel arrêt, et enfin sa énième relance, en avril 2018, le Centre national de la musique a bien failli voir son acronyme se transformer en « CNV », pour Centre national du vaudeville, tant ces huit années furent marquées d’innombrables rebondissements de caractère plus tragique, hélas, que comique.
Je n’aurai pas ici l’outrecuidance de rappeler à certains de mes collègues combien ce grand ministère, qui fête ces jours-ci son soixantième anniversaire, a subi de coupes jusqu’en 2016, et combien de moyens il a fallu dégager depuis lors pour lui redonner un peu du lustre qu’il mérite !
S’il y a bien une pratique, monsieur le ministre, qui honore le gouvernement que vous servez, notamment sur les questions culturelles, et s’agissant en particulier de la création du CNM, c’est précisément que vous vous attachez à tenir les promesses de vos prédécesseurs plutôt que d’en faire de nouvelles, avec l’arrière-pensée de les laisser à la charge d’éventuels successeurs !
En politique, je suis, comme vous, monsieur le ministre, de ceux qui pensent que la démagogie et les promesses non tenues sont le meilleur terreau sur lequel prospèrent les pires des populismes.
C’est aussi, sans doute, votre implication personnelle, profonde et quasiment historique sur ce dossier qui explique que vous ayez réussi le tour de force de faire adopter ce texte à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le 6 mai dernier.
Néanmoins, mes collègues ayant déposé un nombre non négligeable d’amendements, vous devrez certainement patienter encore un peu avant que le texte soit définitivement adopté.
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Nous jouons notre rôle, tout simplement !
M. André Gattolin. Je veux toutefois souligner ici que, grâce au travail de très grande qualité conduit par notre rapporteur et à sa louable capacité de persuasion, seul un nombre restreint d’amendements ont reçu l’approbation de notre commission ce matin. Le CNM pourra donc voir le jour en temps et en heure.
Il est en effet manifeste que notre pays, fort de sa riche culture musicale, a besoin d’un tel centre d’expertise et de ressources au service de l’ensemble de la filière, d’une institution dont la vocation est de rassembler les multiples acteurs qui interviennent aujourd’hui dans ce domaine, soit à titre exclusif, corme l’IRMA, le Centre d’information et de ressources pour les musiques actuelles, et l’Observatoire de la musique, soit à titre d’activité de soutien, comme le CNV, le Bureau export de la musique française ou Francophonie diffusion.
L’enjeu, on le sait, est de taille ; c’est pourquoi je suis persuadé que vous ferez tout, monsieur le ministre, pour répondre à l’inquiétude des professionnels du secteur, qui réclament que le futur Centre national de la musique soit doté d’un budget supérieur à celui des entités qu’il va regrouper en son sein.
Nous souhaitons tous que le CNM montre au plus vite son utilité et son efficacité, comme l’a fait son lointain cousin, le Centre national du cinéma. Créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce dernier a su rapidement faire ses preuves ; il apparaît aujourd’hui comme une référence internationale en matière de politique culturelle sectorielle efficiente.
On attribue souvent à Platon les mots suivants : « si l’on veut connaître un peuple, il faut écouter sa musique ». Dans un registre un peu différent, le cinéaste Alain Resnais déclarait en 1997, à l’occasion de la sortie de son superbe film intitulé On connaît la chanson, que « les chansons constituent la mémoire historique affective de la France ».
Oui, la musique et la chanson sont les cœurs sensibles et battants de notre culture. Elles appartiennent à notre patrimoine et sont un incroyable foyer de création artistique ; elles sont aussi un formidable vecteur de transmission et de démocratisation des savoirs. À ce titre, elles méritent pleinement que l’on crée un centre national qui leur soit entièrement dédié.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est donc avec beaucoup d’enthousiasme que le groupe La République En Marche votera en faveur de l’adoption de ce texte ! (Rires.)
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture. Vraiment ? Nous n’avions pas compris ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en l’an 303 avant notre ère, Cnæus Flavius, devenu édile curule à la suite d’un conflit avec les patriciens, fit construire un temple à Concordia, sur le Comitium, à Rome. Cette déesse était issue de deux divinités grecques, Ὁμόνοια, dont le nom évoquait la sympathie des cœurs, et Ἁρμονία, qui présidait à la cohésion sociale et aux rapports harmonieux entre les citoyens et dont on tira un mot évoquant l’association heureuse de plusieurs sons.
Ainsi, Concordia protégeait à la fois l’accord des cœurs et l’accord des cordes. Mais, pour réaliser son projet, Cnæus Flavius ne put obtenir d’argent public et se contenta du fruit des amendes imposées aux usuriers. Nous verrons dans la suite de la discussion, monsieur le ministre, si vous n’avez pas agi de même !
C’est sous les auspices favorables de cette même Concordia que le nouveau Centre national de la musique voit le jour, tant cette « maison commune de la musique » était attendue par toute la profession pour renforcer ses capacités d’action, pour s’adapter aux nouvelles modalités d’écoute et pour continuer de développer les pratiques, dans la richesse de leur diversité. L’État participe à la construction de cette nouvelle arche pour soutenir la filière, les créateurs, le rayonnement international de leurs œuvres, mais aussi parce qu’il souhaite confier à ce nouvel établissement un rôle majeur pour déployer les politiques publiques du ministère de la culture dans les territoires.
Je n’apporterai pas de voix discordante à ce concert de bonnes intentions. Indubitablement, il était nécessaire de rationaliser et de renforcer les moyens d’intervention des structures existantes, afin de mieux défendre l’exception culturelle française et de déployer l’égalité des droits culturels dans tous les territoires.
Néanmoins, monsieur le ministre, nous attendons de ce débat qu’il éclaire davantage les projets politiques et les engagements budgétaires par lesquels votre ministère compte accompagner la création et le développement de ce nouveau centre.
Dans son rapport, notre collègue député Pascal Bois, auteur de la présente proposition de loi, considère que la constitution du Centre national de la musique sera l’occasion, pour le Gouvernement, « de se doter d’une stratégie de long terme pour la politique publique de la musique, qui constitue l’une des missions fondamentales du ministère chargé de la culture ». Peut-être le dépôt d’un projet de loi par votre ministère aurait-il été plus approprié pour atteindre cet objectif.
Alors que votre collègue le ministre de l’action et des comptes publics vient d’achever sa tournée des ministères afin de leur demander de réduire leurs budgets pour l’année 2020, nous nous interrogeons sur la capacité de votre ministère à participer au fonctionnement du futur centre national. De l’avis unanime, un apport de 20 millions d’euros est indispensable pour rassurer les membres constitutifs de la future entité et persuader tous les acteurs de la filière que l’État ne profite pas de l’opération pour faire financer des missions par la nouvelle structure sur ses seules ressources propres.
Au fond, nous souhaiterions que vous nous précisiez quelles politiques publiques, dans le domaine de la musique, vos administrations centrales continueront à gérer, et avec quels moyens. La semaine dernière, le Sénat a exprimé ses plus grandes réserves sur la création d’une Agence nationale du sport, qui aura sans doute pour conséquence la disparition du ministère de tutelle.
À ce propos, je citerai le jugement de Jean-Marc Sauvé, grand commis de l’État et secrétaire général du Gouvernement de quatre Premiers ministres successifs : « Depuis une quarantaine d’années, l’État s’est affaibli, moins par le transfert de compétences vers l’Union européenne ou vers les collectivités territoriales que par la réduction de ses capacités et de ses ressources en matière de conception et de stratégie. […] Aujourd’hui, la situation est telle que les grands opérateurs de l’État sont devenus plus puissants et plus experts que les directions des ministères chargées d’exercer leur tutelle. […] L’“agencification” de l’État est aussi un facteur d’affaiblissement des services territoriaux de ce dernier. »
Nos craintes portent aussi sur le financement du Centre national de la musique. Nonobstant vos réponses sur le montant de la subvention de l’État, ce financement sera constitué par l’agglomération de dispositifs déjà existants : la taxe sur les spectacles vivants, pour une large part, les contributions des organismes de gestion collective, dans des proportions qui dépendront de leur implication dans la nouvelle structure, et les crédits d’impôts dont elle recevra la gestion en vue de développer des politiques incitatives.
Je regrette vivement que le Centre national de la musique devienne le seul régisseur de ces crédits d’impôt. Le risque est grand que le Parlement ne dispose plus d’informations sur leurs bénéficiaires et les activités favorisées. Je rappelle que la Commission européenne considère le crédit d’impôt comme une aide d’État compatible avec les règles de la concurrence à la condition expresse qu’il favorise l’émergence de nouveaux talents.
Enfin, en ce qui concerne la taxe sur les spectacles, j’aimerais joindre, en parfaite harmonie, ma voix à celle de notre rapporteur, dont je salue la qualité du travail, pour souligner qu’il s’agit d’une taxe affectée, collectée sur une assiette restreinte, qui devra financer des dépenses beaucoup plus larges. Lors de la discussion budgétaire à venir, il faudra trouver un dispositif plus juste et plus adapté aux nouveaux usages de la musique. (Applaudissements.)