Sommaire
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel, M. Guy-Dominique Kennel.
2. Adapter la France aux dérèglements climatiques. – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective
M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective
M. Ronan Dantec, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire
M. Guillaume Gontard ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Guillaume Gontard.
M. Jérôme Bignon ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Sylvie Vermeillet ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Sylvie Vermeillet.
M. Roger Karoutchi ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Roger Karoutchi.
Mme Nicole Bonnefoy ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Nicole Bonnefoy.
M. Éric Gold ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Éric Gold.
M. Antoine Karam ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Jean-Pierre Moga ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Céline Boulay-Espéronnier ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Rachid Temal ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Rachid Temal.
M. Jean-François Husson ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Jean-François Husson.
M. Xavier Iacovelli ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Xavier Iacovelli.
Mme Sylviane Noël ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Stéphane Piednoir ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Guillaume Chevrollier.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective
M. Ronan Dantec, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
3. Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité. – Débat organisé à la demande de la mission commune d’information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
M. Jean-Louis Lagourgue ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Dominique Vérien ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Marie Mercier ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Marie Mercier.
Mme Michelle Meunier ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Michelle Meunier.
Mme Françoise Laborde ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Françoise Laborde.
M. Thani Mohamed Soilihi ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Esther Benbassa ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Esther Benbassa.
Mme Annick Billon ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Bernard Bonne ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Bernard Bonne.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Chantal Deseyne ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Xavier Iacovelli ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Michel Savin ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Nicole Duranton ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Stéphane Piednoir ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Catherine Deroche, présidente de la mission commune d’information
Suspension et reprise de la séance
4. Santé en Guyane. – Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
Mme Nassimah Dindar ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Bernard Jomier ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Guillaume Arnell ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Guillaume Arnell.
M. Antoine Karam ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Antoine Karam.
Mme Laurence Cohen ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.
M. Jean-Louis Lagourgue ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. René-Paul Savary ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. René-Paul Savary.
M. Gérard Poadja ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Michel Magras ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé ; M. Michel Magras.
Mme Victoire Jasmin ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Alain Milon ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Maurice Antiste ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Chantal Deseyne ; M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Marc Gabouty
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Gatel,
M. Guy-Dominique Kennel.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Adapter la France aux dérèglements climatiques
Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les conclusions du rapport d’information Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que les auteurs de la demande disposent d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective, auteur de la demande.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’inertie du système climatique mondial fait que l’histoire du climat des trente prochaines années est déjà écrite dans ses grandes lignes.
S’il est indispensable que tous les pays, particulièrement les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, prennent des mesures d’atténuation pour éviter un effondrement climatique dans la deuxième partie du siècle, ces mesures n’auront pas un effet immédiat sur les évolutions climatiques en cours. Toutes les prévisions montrent que nous n’éviterons pas, d’ici à 2050, un réchauffement global de l’ordre de 2 degrés par rapport à la période préindustrielle. La France doit donc se préparer à absorber un choc climatique inévitable.
Le rapport que j’ai réalisé avec Ronan Dantec décrit ce que signifie concrètement un tel réchauffement pour notre pays, nos territoires et nos concitoyens. Nous y dressons la carte de France des dérèglements climatiques à venir et de leurs impacts, notamment en matière de risques naturels, de canicule, de sécheresse des sols ou de tensions sur les ressources hydriques. Nous identifions les défis économiques, sanitaires et sociétaux que la France, dans sa diversité territoriale, devra relever pour faire face à cette situation. Enfin, nous formulons dix-huit propositions pour donner un nouvel élan à nos politiques d’adaptation climatique, notamment au niveau des territoires, car c’est en grande partie à ce niveau que se jouera le succès de l’adaptation.
Je voudrais, pour lancer le débat de notre assemblée autour de ce rapport, évoquer plus particulièrement trois enjeux.
Le premier concerne l’adaptation du bâti et de l’urbanisme.
Dans les outre-mer, le sujet central est l’évolution des normes de construction et des mécanismes d’assurance pour tenir compte d’un risque cyclonique qui va s’intensifier.
Dans les zones soumises à un risque d’inondation ou de submersion, l’évolution des normes et des mécanismes assurantiels constitue également un objectif central.
Mais c’est sur un troisième point que je voudrais surtout insister ici : l’adaptation du bâti à des vagues de chaleur plus intenses, plus longues et plus fréquentes. L’importance de cet enjeu a été soulignée par les deux canicules historiques de cet été. Il est particulièrement marqué en ville en raison du phénomène d’îlot de chaleur urbain. Il va devenir plus aigu à cause du réchauffement, mais aussi du vieillissement de la population. Or, jusqu’à présent, ce sujet est resté assez largement absent des réflexions des professionnels et des pouvoirs publics.
Nous proposons donc d’inscrire la question du confort thermique d’été au centre de la définition de la norme RT 2020. Cela peut être l’occasion d’engager l’évolution des représentations et des pratiques de l’ensemble des acteurs de la chaîne de la construction. Notre réflexion doit également inclure la question des outils et des moyens financiers nécessaires pour soutenir la transformation du bâti, notamment à l’occasion des rénovations.
Un deuxième enjeu majeur de l’adaptation concerne les politiques de l’eau.
Il y a un consensus pour dire qu’elles doivent donner la priorité à une utilisation plus économe de la ressource, ainsi qu’aux solutions fondées sur la nature, telles que la désartificialisation des sols, la restauration des haies ou la préservation des zones humides. Nous n’y parviendrons pas sans faire évoluer les mécanismes de tarification de l’eau. C’est un chantier nécessaire, mais sensible.
Cela ne se fera pas non plus sans préserver les moyens des agences de l’eau et, à ce sujet, j’attire l’attention du Gouvernement sur les dangers des mesures budgétaires de court terme.
Par ailleurs, parce que les politiques de l’eau se définissent concrètement au niveau des bassins hydrographiques, il est indispensable de mobiliser plus activement tous les acteurs concernés localement pour faire émerger, sur cette question, des visions communes et des projets de territoire. Des exercices de prospective, comme Garonne 2050, peuvent aider à enclencher ces dynamiques locales.
Enfin, il faut oser poser la question du stockage. Pourrons-nous faire face partout aux besoins uniquement par des mesures d’économie de la ressource ou d’autres qui s’appuient sur la nature ? Je n’en suis pas sûr. Il ne faut donc pas exclure a priori les solutions de stockage, mais plutôt soumettre chaque projet à une condition : faire la preuve qu’il est nécessaire et que sa réalisation ne se fait pas au détriment de solutions d’adaptation alternatives.
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. Je terminerai par l’adaptation de l’agriculture. Ce secteur sera le plus perturbé par le changement climatique. Pour autant, nous ne devons pas adopter une position défensive et pessimiste. J’ai la conviction que l’agriculture constitue un atout dans la transition climatique. Elle n’est pas le problème, mais une partie de la solution, si elle engage les transformations nécessaires.
En même temps, l’agriculture française est vulnérable ; elle est confrontée à une concurrence internationale féroce de pays qui ne respectent pas toujours des normes aussi exigeantes que celles qui lui sont imposées. Il n’y aura donc pas d’adaptation de notre agriculture, si nous ne soutenons pas les agriculteurs par un plan national d’adaptation.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Roux, rapporteur. Nous soulignons ainsi qu’il faut intégrer l’enjeu de l’irrigation de manière responsable, en développant le stockage de surface, là où il est nécessaire, mais en le conditionnant à des pratiques agricoles plus économes de l’eau et plus respectueuses de la biodiversité.
Enfin, il faut faire évoluer les mécanismes de couverture assurantielle pour qu’ils deviennent un outil incitatif qui encourage les exploitants agricoles à réaliser les efforts d’adaptation nécessaires. (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE et Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Ronan Dantec, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation, mes chers collègues, comme l’a indiqué Jean-Yves Roux, notre rapport présente, sans faux-semblant, l’ampleur des défis que notre pays doit relever pour faire face aux effets d’un réchauffement global d’environ 2 degrés en 2050 par rapport à l’ère préindustrielle.
Notre rapport n’est ni catastrophiste ni fataliste ; il est néanmoins sévère sur les retards pris dans la mobilisation des acteurs publics et des filières économiques, au-delà de quelques grandes structures scientifiques qui, pour leur part, sont engagées dans la réflexion et produisent des préconisations précises.
Il montre ainsi que les défis de l’adaptation au changement climatique ne sont pas insurmontables. Nous avançons dix-huit propositions pour la mener avec succès. Mon collègue Jean-Yves Roux a présenté plusieurs réponses sectorielles, concernant notamment l’agriculture ou le bâti. J’évoquerai pour ma part des leviers d’action plus transversaux.
Le premier d’entre eux est une mobilisation plus large des territoires dans les politiques d’adaptation.
Nous en avons fait une priorité du deuxième plan national d’adaptation au changement climatique – Pnacc 2 –, en appelant les territoires à adosser un volet précis lié à l’adaptation dans leurs plans climat-air-énergie territoriaux – PCAET. Mais vous n’ignorez pas, madame la ministre, le retard pris dans leur élaboration et leur adoption. Il est plus que temps de systématiser l’engagement des territoires au-delà des quelques collectivités pionnières, car c’est à cette échelle que se construisent les réponses pertinentes.
Chaque territoire a en effet ses vulnérabilités particulières ; il a ses ressources propres et son projet de développement spécifique. L’adaptation ne peut donc pas être uniforme : elle se construit sur la base d’un diagnostic territorial précis, propose des réponses sur mesure et s’appuie sur un projet porté et partagé localement.
Pour autant, les territoires ont besoin d’accompagnement sur les méthodologies et l’ingénierie. L’État doit être à leurs côtés, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie – Ademe – et l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique – Onerc – ayant également un rôle très important à jouer.
Il faut aussi conforter la fonction d’orientation stratégique des régions par la généralisation de prospectives régionales sur l’excellent modèle aquitain AcclimaTerra – on ne le citera jamais assez ! – ; ces prospectives portent un diagnostic précis des évolutions prévisibles à l’échelle de la région. Nous avons besoin de démonstrateurs régionaux et de contractualisation d’objectifs d’adaptation dans les financements régionaux.
Le deuxième levier transversal de mobilisation sur lequel je veux insister est le soutien à la recherche et la simplification de l’accès aux données. Dans toutes les auditions réalisées avec le milieu scientifique, nous avons entendu le même cri d’alarme : les crédits ne sont pas à la hauteur des enjeux de connaissance ; même des crédits de coordination modestes ont été supprimés – j’ai souvent alerté le Gouvernement à ce sujet –, ce qui provoque l’incompréhension de la communauté scientifique.
Or nous avons évidemment besoin d’évaluer tous les impacts du changement climatique sur la nature, la santé et l’économie et de comprendre les évolutions dans le temps, facteur clé des stratégies d’adaptation. Nous avons donc besoin de connaissances pour nourrir notre action et nous avons surtout besoin que ces données soient rendues plus accessibles aux acteurs de terrain – c’est la clé de la mobilisation.
Nous faisons pour cela plusieurs propositions : accentuer le soutien financier à la recherche et à l’expertise scientifiques ; accorder un accès gratuit, et surtout beaucoup plus facile, aux données nécessaires à l’élaboration des politiques d’adaptation territoriales, notamment aux scénarios de Météo France. Il y a, dans le Pnacc 2, l’idée d’un grand portail d’information de l’adaptation. Il doit associer l’ensemble des services et opérateurs compétents de l’État et être un véritable guichet unique d’un service public de l’adaptation – c’est une véritable priorité.
Le troisième point essentiel concerne l’utilisation accrue du secteur assurantiel comme levier de transformation. Il faut s’engager dans une évolution des modalités de prise en charge par les assurances du coût des sinistres climatiques. Ce n’est pas seulement une question d’enveloppe globale, mais aussi de modulation des franchises et des primes. Le secteur assurantiel doit contribuer aux évolutions en cours et à l’adaptation des territoires et des acteurs. L’existence d’une sécurité, d’un parapluie, ne doit pas constituer de fait un facteur d’immobilisme et de retard dans la prise en compte des risques. Nous aurons évidemment ce débat, lorsque nous évoquerons l’extension de l’assurance agricole.
Je conclurai en évoquant une dernière proposition forte de notre rapport : un projet de loi-cadre sur l’adaptation de la France au changement climatique devrait être présenté au Parlement. Son examen pourrait être l’occasion d’inscrire enfin ce thème au cœur du débat public et d’en examiner de façon cohérente et transversale tous les aspects.
Jean-Yves Roux a cité il y a quelques instants la question de l’eau. C’est un excellent exemple. Sur ce point, sans un compromis dynamique et une compréhension mutuelle entre acteurs, nous allons à l’affrontement – nous en avons déjà de douloureux exemples.
Cette loi doit fournir le cadre de cette concertation et donnera un signal fort sur le caractère prioritaire des politiques d’adaptation, en renforçant aussi, évidemment, la place du Parlement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer la qualité de ce rapport qui dresse un constat sans appel, mais lucide, des impacts déjà observés en France et de ceux à venir. Ces constats sont cohérents avec les bilans que le GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, a dressés dans ses trois derniers rapports spéciaux parus en octobre 2018 et en août et septembre 2019.
On peut les résumer ainsi : nous devons poursuivre avec acharnement la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et atteindre la neutralité carbone au milieu du siècle, mais nous devons également nous préparer aux impacts que nos émissions passées rendent désormais inéluctables.
Je souhaite vous présenter l’action conduite par le Gouvernement et l’accélération que j’ai l’intention de lui donner.
La France est l’un des pays les plus avancés en matière de planification de l’adaptation : après une stratégie nationale en 2006, elle s’est dotée d’un premier plan d’action en 2011.
En décembre 2018, le Gouvernement a publié le deuxième plan national d’adaptation au changement climatique, le Pnacc 2. Axe 19 du plan climat, il a pour objectif général de mettre en œuvre les actions nécessaires pour adapter la France dès 2050 à une hausse de la température moyenne de la Terre de 2 degrés par rapport à l’ère préindustrielle, en cohérence avec les objectifs de l’accord de Paris, mais à un horizon temporel plus proche de façon à ne pas exclure des scénarios de changement climatique plus pessimistes.
Le Pnacc 2 comporte quatre priorités : la territorialisation de la politique d’adaptation, l’implication des filières économiques, le recours aux solutions fondées sur la nature et les outre-mer. Il comprend cinquante-huit actions réparties en six domaines : gouvernance ; prévention et résilience ; nature et milieux ; filières économiques ; connaissance et information ; international.
Les douze ministères concernés prévoient de consacrer 1,5 milliard d’euros sur cinq ans pour engager les actions de ce plan contre 171 millions d’euros pour le précédent, enveloppe à laquelle s’ajoutent les 500 millions d’euros par an que les agences de l’eau et leurs comités de bassin ont prévu d’investir à travers leur onzième programme d’intervention 2019-2024 dans des actions d’adaptation au changement climatique.
Les leçons tirées du premier plan national d’adaptation au changement climatique nous ont montré qu’un suivi régulier du plan était nécessaire pour s’assurer de sa bonne mise en œuvre par les nombreux acteurs impliqués. C’est pourquoi il fait l’objet d’une déclinaison opérationnelle avec un programme de travail annuel présenté à la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique, le CNTE, chargée de son suivi – elle est présidée par M. le sénateur Ronan Dantec.
Le bilan d’avancement du plan sera également présenté chaque année à la commission spécialisée et fera l’objet d’un avis du CNTE. Une série d’indicateurs de suivi est en cours en définition avec la commission spécialisée et une application informatique de suivi des actions a été développée par mes services et mise à la disposition des pilotes ministériels.
Depuis décembre dernier, de nombreuses actions ont d’ores et déjà été lancées. On peut ainsi citer : le développement avec le Cérema – Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement –, l’Ademe et Météo France d’un centre de ressources sur l’adaptation au changement climatique qui sera prêt en novembre prochain ; l’intégration du climat futur dans les modélisations de la stratégie nationale bas carbone ; le suivi de l’élaboration de trois normes internationales ISO sur l’adaptation au changement climatique ; le lancement avec l’Ademe et le Commissariat général à l’égalité des territoires, le CGET, de plusieurs études ; et le renforcement des actions de prévention des risques naturels, tant en métropole qu’outre-mer.
L’élaboration du Pnacc 2 ayant fait l’objet d’une concertation de deux ans avec près de trois cents représentants de la société civile, experts, représentants des collectivités territoriales et des ministères concernés, il est cohérent avec les dix-huit propositions de la délégation à la prospective du Sénat.
On y retrouve notamment des actions relatives à l’éducation et la formation, ce qui rejoint la proposition 2 du Sénat, la volonté de synergie entre les actions d’atténuation et d’adaptation – proposition 3 –, le portage de cette problématique au niveau européen – proposition 4 –, la formation des élus – proposition 12 –, l’intégration du confort d’été dans les travaux sur la prochaine réglementation des bâtiments neufs – proposition 16 – et la question de la ressource en eau.
Il me semble cependant que nous devons accélérer nos efforts. Les épisodes récents de canicule et de sécheresse ont rappelé que la France est d’ores et déjà exposée aux conséquences du changement climatique et que notre niveau de préparation à ces impacts doit encore être amélioré.
Les territoires d’outre-mer sont particulièrement concernés par le changement climatique et l’élévation du niveau de la mer. La submersion marine peut y être aggravée par les cyclones. Le cyclone Irma a également mis en lumière les risques auxquels ces territoires sont exposés.
C’est pourquoi je souhaite que le Pnacc 2 soit renforcé et que sa mise en œuvre soit accélérée. Plusieurs actions nouvelles ou anticipées seront donc lancées.
Je souhaite tout d’abord qu’un retour d’expérience exhaustif des deux épisodes de canicule de 2019 soit réalisé. Il permettra de vérifier si le contexte législatif et réglementaire actuel est suffisant pour anticiper les impacts présents et à venir du changement climatique. Il permettra également d’analyser la façon dont le plan national canicule pourrait être étendu aux impacts autres que sanitaires selon les niveaux de vigilance de Météo France.
La question du confort d’été devra également être intégrée dans le champ des réflexions en cours sur la rénovation des bâtiments publics. Un kit d’information ainsi qu’un parcours de formation seront proposés aux nouveaux élus communaux et intercommunaux en 2020 dans le cadre de leur droit à la formation.
La prévention des risques naturels est évidemment un enjeu crucial. Bientôt dix ans après la tempête Xynthia, nous ferons un point des nombreuses actions conduites et de ce qui doit être renforcé dans un contexte de hausse accrue du niveau des mers que le récent rapport du GIEC a bien mis en valeur la semaine dernière. Je veillerai à ce que les moyens requis, qui bénéficient en premier lieu aux collectivités locales, acteurs majeurs de la prévention des risques, soient préservés, accrus si besoin, et utilisés le plus efficacement possible au travers du Fonds de prévention des risques naturels majeurs, le FPRNM.
Enfin, pour les territoires de montagnes, nous allons finaliser un plan de prévention des risques d’origine glaciaire et périglaciaire.
Les suites du Livre bleu des outre-mer mettent en avant la question de l’encadrement des constructions pour diminuer la vulnérabilité aux cyclones.
Je souhaite aussi que la résilience de nos systèmes de transports, déjà dotés de plans de continuité, entre autres, à la SNCF et à la RATP, soit renforcée au niveau des infrastructures, des matériels et de la gestion des pics de chaleur.
Des actions sont conduites sur les réseaux électriques, tant pour les situations de forte chaleur que pour celles liées à des inondations. Un bilan sera utilement conduit pour voir si des accélérations sont nécessaires.
Et nous avons bien d’autres idées ; je ne les citerai pas maintenant, mais je pourrai le faire durant notre débat.
Je tiens à saluer la qualité du rapport présenté par MM. les sénateurs Dantec et Roux. C’est un sujet transversal qui concerne l’ensemble des ministères ; ils doivent naturellement être mobilisés, mais le Gouvernement ne pourra pas à lui seul réussir l’adaptation de la France au changement climatique. Je souhaite une mobilisation de tous les acteurs. Le rôle des collectivités territoriales, que ce soit à travers les schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires ou les plans climat-air-énergie territoriaux, doit être rappelé et soutenu.
Il pourrait être utile de faire un point régulier sur ces aspects, par exemple en organisant un séminaire annuel à destination des collectivités locales et de leurs associations, ainsi que des parlementaires intéressés.
Vous le voyez, le Gouvernement est pleinement mobilisé pour réussir l’adaptation de notre pays au changement climatique. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Indépendants, ainsi qu’au banc des commissions.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. L’adaptation au réchauffement climatique est une nécessité que j’ai envie d’illustrer par un sujet concret.
Ce week-end, j’étais invité à la pendaison de crémaillère d’un logement particulièrement intéressant : un bâtiment comportant plusieurs logis, intégré dans son environnement, économe en foncier, écologique et local.
Ses matériaux sont issus du territoire : du bois de nos forêts, des blocs de chanvre pour les murs, de la terre issue des fondations pour les enduits et une toiture végétalisée intégrant des panneaux solaires et permettant la récupération d’eau. Ces matériaux biosourcés, trouvés sur place, peu chers, peu transformés, dont le bilan carbone est extrêmement faible, permettent de stocker des quantités de carbone considérables.
Ces logements passifs, grâce à une isolation performante qui procure un confort thermique inégalable été comme hiver, ne nécessitent pas ou peu de chauffage. Cette maison respire, son hygrométrie lui permet de rafraîchir et d’assainir l’air ambiant. Pas besoin de système de ventilation gourmand en énergie ni de climatisation.
Et si, demain, cette maison devait être démolie, elle retournerait là d’où elle vient, le sol ! Pas ou peu de déchets, puisque ces matériaux complètement biodégradables termineront leur cycle.
Pour l’alimentation, nous utilisons l’expression « du champ à l’assiette », ici, ce serait plutôt « du champ au logis », avec la création de formes architecturales propres à chaque territoire, s’éloignant de l’uniformisation qui a déjà gommé les spécificités de nos régions.
Ces habitations, madame la ministre, n’ont rien d’exceptionnel ; elles relèvent simplement du bon sens, principe qui est cher à cette assemblée. Et pourtant, ce type de construction est encore marginal. Il est nécessaire de lever les obstacles pour créer de véritables filières locales, faciliter la labélisation et la délivrance d’avis techniques pour ces matériaux, accompagner la mise en place d’une gestion durable de la ressource en bois, valoriser l’utilisation de la paille ou la culture du chanvre encore entravée par une réglementation absurde, ou encore adapter la formation des artisans en lien avec les besoins et les capacités de leur territoire plutôt qu’avec la standardisation des géants du BTP.
Il s’agit d’une réponse concrète et d’une politique sociale et écologique, une politique qui peut être développée à l’échelon local à condition que l’ingénierie et les moyens financiers soient disponibles.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Développer des filières de matériaux biosourcés présente un intérêt évident, à la croisée des enjeux d’atténuation et d’adaptation, et la France avance sur ces sujets.
Par exemple, s’agissant du chanvre, nous sommes le premier pays producteur en Europe avec 50 % de la surface totale cultivée et 1 280 agriculteurs concernés. C’est une ressource très intéressante qui repose sur une agronomie saine, efficace et sans produits phytosanitaires et qui permet d’améliorer la capacité en eau des sols, en les fractionnant en profondeur. Le chanvre peut être utilisé à la fois pour l’alimentation, pour le béton avec ses tiges et pour l’isolation avec son enveloppe extérieure. Par ailleurs, cette production en circuit court fournit des emplois qui sont non délocalisables.
Je pense que la France pourrait se fixer l’objectif de devenir leader dans ce domaine. Je précise que l’État investit beaucoup pour les produits biosourcés : ainsi, 200 000 euros sont prévus dans le programme d’action pour la qualité de la construction et la transition énergétique.
La construction en bois présente aussi de nombreux atouts : c’est un levier de développement économique des territoires ruraux et forestiers qui permet de stocker du carbone, ce qui constitue un levier important pour nos objectifs de neutralité carbone.
C’est pourquoi la France s’est dotée, en 2017, d’un cadre stratégique pour l’ensemble de la filière au travers du programme national de la forêt et du bois qui précise les orientations stratégiques liées à la forêt et à l’ensemble de la filière bois. Les objectifs sont ambitieux : adapter les forêts au changement climatique, conserver le potentiel d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et sécuriser en qualité, en quantité et en régularité les approvisionnements en bois de l’industrie.
La nouvelle réglementation environnementale des bâtiments permettra de valoriser le stockage du carbone biogénique dans l’évaluation environnementale des bâtiments neufs.
Je pense que nous pouvons encore progresser en la matière et nous devrons suivre avec attention la mise en œuvre de ce programme.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Je n’ai pas pris le temps de le faire dans ma question, mais je tiens à saluer le rapport présenté par la délégation sénatoriale à la prospective.
Madame la ministre, depuis trente ans, les choses avancent en ce qui concerne la transition en matière énergétique et agricole, ainsi qu’en matière de mobilités – vous êtes bien placée pour connaître ce sujet –, mais nous sommes encore à la traîne pour le bâti. Ainsi, notre pays importe encore beaucoup de bois, alors que nous sommes un pays forestier.
Pourtant, nous avons à notre disposition des solutions écologiques, sociales et locales qui constituent souvent des opportunités pour nos territoires. Il est donc temps de mettre en œuvre, en lien avec les collectivités locales, un véritable plan national en faveur du secteur du bâtiment.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. J’aimerais à mon tour remercier Ronan Dantec et Jean-Yves Roux pour la qualité du travail qu’ils ont accompli avec la délégation à la prospective et pour l’ensemble des propositions qui sont présentées dans leur rapport. Leur travail, que nous devrons faire partager à nos concitoyens, va être extrêmement utile ; leurs propositions devront être approfondies et adaptées à nos territoires. La perception de ces sujets est en train d’évoluer et ce type de document est très utile pour cela.
Il ne faut plus tarder ! Les nouveaux modèles de simulation numérique du climat évoquent un réchauffement pouvant aller jusqu’à 7 degrés en 2100 – c’est ce qu’une récente étude a montré – et, même si certains sont sceptiques, nous savons dorénavant que la vie va devenir insoutenable. Nos sociétés doivent donc changer et ce rapport comme les réponses du Gouvernement vont dans le bon sens pour mutualiser les connaissances et traiter les sujets qui nous préoccupent comme la submersion marine ou l’érosion des côtes.
Madame la ministre, ma question concerne les outre-mer : comment mieux prendre en compte les sentinelles avancées que sont ces territoires ?
Hier matin, j’étais sur les îles Glorieuses, après être passé les jours précédents par les îles de Juan de Nova et d’Europa, dans le canal du Mozambique. Ces endroits sont de véritables merveilles du monde et constituent des sentinelles avancées pour la protection de la biodiversité et l’observation du réchauffement climatique. Les savants et militaires qui y travaillent sont des passionnés et des défenseurs de la souveraineté de la France ; en même temps, ils sont au cœur des préoccupations qui sont les nôtres : le réchauffement de l’eau, l’absence d’eau douce, les pertes animales…
La France a une responsabilité particulière en raison de ses territoires ultramarins qui sont répartis sur l’ensemble de la planète, dont les îles Éparses que je viens d’évoquer.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je partage tout à fait ce que vous avez dit. Effectivement, le dernier rapport du GIEC sur les océans et la cryosphère montre que le besoin d’adaptation est urgent. Ce rapport est dans un sens assez effrayant, puisqu’il nous indique que, même si nous n’émettons plus un gramme de CO2 à partir d’aujourd’hui, l’effet des émissions antérieures sur des systèmes inertes comme les océans nous oblige tout de même à gérer un certain nombre de conséquences inéluctables pour le siècle actuel, et, sans doute, pour les suivants.
Cette action d’adaptation doit être menée avec beaucoup de détermination, notamment dans les outre-mer, qui sont particulièrement concernés. Chacun a en tête la catastrophe Irma, il y a deux ans. Quand ce rapport du GIEC a été présenté par les scientifiques dans mon ministère, le ministre de l’environnement de la Polynésie française était présent. Or, dans ce territoire, un certain nombre d’atolls sont appelés à disparaître.
Nos outre-mer sont donc en première ligne sur ces questions d’adaptation au changement climatique, mais, en même temps, ils doivent être à l’avant-garde des solutions à développer, fondées sur la nature. Je pense aux mangroves, aux récifs de corail, qui sont au cœur des réflexions que mènent les collectivités. Il faut appuyer ce mouvement.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet.
Mme Sylvie Vermeillet. Ronan Dantec et Jean-Yves Roux ont brillamment restitué, le 16 mai dernier, devant la délégation à la prospective, leurs travaux concernant les dérèglements climatiques. Les impacts du réchauffement sont ciblés, cartographiés selon les différentes régions de France, exposant clairement ce à quoi l’on peut s’attendre d’ici à 2050 et après.
Considérant l’urgence et la nécessité du concours de chacun pour lutter contre les conséquences dramatiques du changement climatique, madame la ministre, ne pensez-vous pas qu’il faille créer une compétence « réchauffement climatique » dévolue à l’État, aux régions, aux départements, aux EPCI et aux communes, afin que chacun saisisse dès maintenant l’occasion d’anticiper et d’intégrer ces changements dans tout projet ? Par exemple, il faudrait permettre aux communes, à l’occasion de travaux ou de constructions, de prévoir des ouvrages de drainage ou de stockage d’eau, qui atténueront les inondations ou alimenteront les sites arides.
Votre ministère peut, dès à présent, donner ses directives sans perdre des années dans l’élaboration d’un énième schéma régional. Certaines actions sont aussi simples qu’urgentes, et je crois qu’il serait judicieux de compter sur le bon sens local, celui des communes et des intercommunalités, notamment, pour mettre en place, au fur et à mesure de leurs réalisations, les moyens de lutter contre des fléaux parfois déjà installés. Encore faut-il leur en donner la compétence, les inciter et les accompagner financièrement dès à présent.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Comme l’indique le rapport, les sujets de l’adaptation et de l’atténuation sont éminemment transversaux, et touchent l’ensemble des compétences et des secteurs. La priorité est bien de coordonner les différentes actions en la matière.
Les compétences sont aujourd’hui déclinées aux différents niveaux de collectivités. J’en suis convaincue, la réussite de l’adaptation au changement climatique passe par une mobilisation non seulement de l’État, mais aussi des régions et des intercommunalités. Précisément, la loi NOTRe a confié aux régions l’élaboration d’un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, un Sraddet, dans lequel doivent figurer les orientations sur l’adaptation au changement climatique.
De leur côté, les intercommunalités de plus de 20 000 habitants doivent élaborer un plan climat-air-énergie territorial, un PCAET, avec une série d’actions pour se préparer aux impacts du changement climatique.
En tant que chefs de file climat-air-énergie, les régions ont naturellement vocation à animer, sur leur territoire, la thématique de l’adaptation au changement climatique.
Par ailleurs, s’agissant des projets, ceux qui ont des impacts sur l’environnement doivent être accompagnés d’une évaluation environnementale et stratégique, puis faire l’objet d’une consultation du public avant d’être autorisés. Depuis 2016, cette évaluation doit, en particulier, analyser les incidences du projet sur le climat et sa vulnérabilité au changement climatique. Ce diagnostic est nécessaire pour identifier et anticiper les fragilités des aménagements et de leurs usages. Cela permet ensuite de prévenir les dommages consécutifs au changement climatique sur les infrastructures en les adaptant.
Vous le voyez, nous avons aujourd’hui les outils ; maintenant, il faut passer aux actes !
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.
Mme Sylvie Vermeillet. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse encourageante. Comme on l’a fait pour la mise en œuvre de l’accessibilité des locaux aux personnes handicapées, il faudrait rendre systématique la prise en compte des effets du changement climatique pour tous les marchés publics, puis, en conséquence, pour les travaux dans toutes les collectivités.
Au-delà du soin apporté à la qualité des bâtiments, il faut se prémunir aujourd’hui des inondations, de l’assèchement, de la disparition de nos forêts, car les scolytes et autres parasites y font actuellement des ravages incommensurables. Il nous faut donc agir conjointement et immédiatement en libérant les actions locales.
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Que cela nous plaise ou non, il faut faire la révolution, en commençant par nos grandes villes, nos métropoles. Pendant des années, pour éviter le mitage des territoires, on nous a recommandé de construire en hauteur, de manière très dense. Bref, il fallait faire en sorte que les villes ne prennent pas d’espace. Résultat des courses : aujourd’hui, le réchauffement climatique est un drame dans ces villes. Très logiquement, on nous dit désormais qu’il faut des poumons verts et la présence d’eau pour que les villes respirent.
C’est donc une inversion des demandes par rapport à celles qui étaient adressées aux métropoles et aux grandes villes voilà vingt ou trente ans. Or, si tous les textes votés ces dernières années sur le logement et l’urbanisme traitent de la soutenabilité financière de la construction ou de l’équilibre urbain entre les quartiers, en réalité, très peu de textes sont extrêmement clairs et précis sur la capacité de nos métropoles à respirer mieux, à subir, à supporter le réchauffement climatique.
Madame la ministre, est-ce que le Gouvernement envisage des modifications des textes sur le logement et l’urbanisme, ce qui impliquera, évidemment, pour les collectivités, des modifications de leurs règlements d’urbanisme et de construction ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous soulevez un vaste sujet : finalement, au regard des enjeux de climat et de biodiversité, vaut-il mieux poursuivre une politique pour une ville dense ou faut-il y renoncer, donc accélérer une politique d’étalement urbain, ce qui ne me semble favorable ni au climat ni à la biodiversité ?
Pour ma part, je suis convaincue qu’il faut, avec détermination, et en articulation avec les régions dans le cadre de leur Sraddet, avec les intercommunalités dans le cadre de leur réflexion sur la planification urbaine, lutter contre l’artificialisation des sols. Ces modèles sont néfastes pour la biodiversité et entraînent des modes de vie qui sont extrêmement émetteurs de gaz à effet de serre. On a pu voir aussi qu’ils peuvent être très coûteux pour nos concitoyens.
Cependant, il faut très certainement mener cette réflexion sur la conception de nos villes denses en intégrant mieux ces enjeux de « renaturation » et de circulation de l’air dans les espaces urbains. C’est ce que fait le Gouvernement avec la thématique « La nature en ville ». Cela recouvre différents dispositifs techniques liés au végétal, à l’animal, à l’eau et aux sols, qui offrent des atouts pour les habitants en matière de bien-être, de qualité de l’air, de fraîcheur et de paysages. Cela concourt aussi à atteindre nos objectifs en faveur de la biodiversité.
J’y insiste, ces modèles de ville doivent être repensés pour s’adapter au changement climatique et favoriser une plus grande biodiversité en ville.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Madame la ministre, je suis d’accord avec vous, mais alors, il faut prendre les mesures nécessaires. Aujourd’hui, les communes qui veulent végétaliser, notamment les toits des immeubles – j’en connais beaucoup dans les Hauts-de-Seine –, n’ont pas le sentiment d’être très accompagnées ni au niveau réglementaire ni au niveau financier. Il faut probablement que la réflexion sur le maintien des villes telles qu’elles sont – on ne va pas les démolir pour les étendre – débouche sur une vraie politique dynamique et une vraie sensibilisation de nos élus, qui, jusqu’ici, construisaient dense, étant moins tournés vers la respiration.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Le dernier rapport du GIEC du 26 septembre nous alarme sur l’augmentation du niveau de la mer et des océans. La France figure parmi les zones géographiques les plus menacées par la submersion et l’érosion des côtes.
Notre pays compte en effet de nombreux kilomètres de littoral. Aujourd’hui la densité de population est 2,4 fois plus élevée sur le littoral que la moyenne nationale et, d’ici à 2040, d’après l’Observatoire national de la mer et du littoral, 40 % de la population vivra sur les bords de mer.
Je salue le rapport de la délégation, qui permet de donner une vision globale de l’ensemble des défis auxquels la France et le reste du monde devront faire face d’ici à quelques années, et qui nous donne également l’occasion d’interpeller le Gouvernement sur les risques climatiques et la gestion des catastrophes naturelles.
En effet, avec les dérèglements climatiques, les catastrophes naturelles, qui sont souvent définies comme des épiphénomènes, vont devenir de plus en plus courantes dans les années à venir. Les Français et les élus locaux sont déjà, et seront de plus en plus confrontés aux dérèglements climatiques, et donc aux aléas climatiques comme les tempêtes, les sécheresses, les inondations, etc.
Au vu de ces enjeux et de ces défis, il semble crucial de réorienter les politiques publiques dès maintenant et d’investir dans le service public pour protéger et accompagner les populations et les élus des territoires.
C’est pourquoi les dispositifs de prévention et d’accompagnement des élus locaux et des sinistrés doivent être placés à la hauteur des enjeux.
Les changements climatiques entraînent des bouleversements profonds de nos écosystèmes au-delà des nécessaires évolutions de nos modes de vie ; ils bouleversent toute l’organisation de notre société.
Madame la ministre, à quand des politiques ambitieuses, qui permettront d’accompagner ces changements en faisant les efforts nécessaires pour prévenir les conséquences du dérèglement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. C’est tout l’objet du plan national d’adaptation au changement climatique de prévenir l’ensemble des conséquences, que l’on sait désormais inéluctables, de ce réchauffement climatique, que l’on peut d’ores et déjà constater.
Je le répète, il faut mener avec détermination nos politiques d’atténuation. C’est tout le sens des objectifs de neutralité carbone, qui sont désormais inscrits dans la loi énergie-climat, et qui se déclinent non seulement dans cette dernière, en ce qui concerne la rénovation thermique et la lutte contre les passoires thermiques, mais aussi dans la loi sur les hydrocarbures, la loi d’orientation sur les mobilités ou la loi Égalim, qui propose des mesures importantes pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre.
Dans le même temps, les mesures proposées par le plan national d’adaptation au changement climatique sont tout aussi indispensables. Vous le savez, l’État agit pour accompagner nos concitoyens face à ces risques naturels qui peuvent s’aggraver. C’est le cas, par exemple, avec la surveillance des cours d’eau, des prévisions étant publiées sur le site Vigicrues. Près de 12 000 communes sont également couvertes par un plan de prévention des risques. Enfin, l’État accompagne aussi les communes avec le fonds Barnier, qui est un outil majeur de financement de la politique de prévention des risques naturels. Il apporte en effet un soutien aux actions des collectivités locales. À ce titre, il sera un levier très important, alors que nous devons nous préparer à des risques croissants, tels que les crues ou les subversions marines, en raison du dérèglement climatique.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour la réplique.
Mme Nicole Bonnefoy. Je remercie Mme la ministre de sa réponse. Je suis d’accord, le fonds Barnier est un outil majeur de prévention. Nous aurons l’occasion de vérifier s’il n’est plus ponctionné à l’avenir comme il l’a été jusqu’à présent dans le cadre des lois de finances. Il doit vraiment servir à mettre en œuvre les plans de prévention nécessaires au regard des problématiques climatique.
M. le président. La parole est à M. Éric Gold.
M. Éric Gold. Le rapport de nos collègues Jean-Yves Roux et Ronan Dantec apporte un éclairage précis sur les conséquences des dérèglements climatiques auxquels notre pays devra faire face dans les prochaines décennies.
Parmi ces dérèglements figure la survenue de vagues de chaleur plus fréquentes, plus longues et plus sévères.
Nous en avons vécu deux successives cet été, qui ont aggravé une situation de sécheresse déjà bien présente depuis l’an dernier. Nos agriculteurs peuvent malheureusement en témoigner. Le rapport confirme ce que nous craignons tous : une augmentation de l’intensité, mais aussi de la durée, de la sécheresse des sols, qui passerait de deux mois actuellement, soit de mi-juillet à mi-septembre, à quatre mois d’ici à 2050, c’est-à-dire de mi-juin à mi-octobre. Et je parle ici de moyennes, puisque des restrictions d’eau sont encore imposées aujourd’hui dans bon nombre de départements.
Le 21 août, le ministère de l’agriculture a autorisé l’exploitation des terres en jachère pour nourrir les bêtes, en raison de niveaux de stocks de fourrage particulièrement bas. Aujourd’hui, au-delà de ces mesures d’urgence, il est indispensable de penser et de mettre en œuvre des solutions à long terme pour garantir la survie de l’agriculture française, qui est un modèle pour de nombreux pays.
Parmi les idées qui émergent figurent les retenues d’eau, ou retenues collinaires. Ces structures sont destinées à recueillir l’eau de pluie et de ruissellement, notamment en automne et en hiver, pour la restituer à l’agriculture lorsque la pluie se fait plus rare. Une soixantaine de retenues devraient être autorisées par le ministère d’ici à 2022.
Ma question est donc double : pensez-vous que le stockage de l’eau soit la solution appropriée à encourager ? Plus largement, pensez-vous qu’en raison du changement climatique profond que nous vivons, il faudra, dans certaines régions, envisager une évolution globale des pratiques agricoles ?
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison de souligner que l’agriculture est un des secteurs particulièrement exposés au dérèglement climatique et aux modifications hydrologiques qui l’accompagnent. Je pense qu’il est important, et même essentiel, de réduire la vulnérabilité de l’agriculture à un risque accru de manque d’eau dans ce contexte. Vous le savez, le Gouvernement porte une attention particulière à la gestion durable de la ressource en eau. C’est tout le sens des travaux menés dans le cadre des Assises de l’eau, qui ont permis de donner les grandes orientations sur les politiques publiques relatives à la gestion de la ressource.
Le Gouvernement veillera à ce que l’instruction de mai 2019, publiée conjointement par mon ministère et le ministère de l’agriculture, soit suivie d’effets sur l’ensemble de ces points, plus particulièrement sur le volet relatif à la recherche d’économies d’eau et d’adaptation des cultures. Les services de l’État sont mobilisés pour accompagner les territoires dans l’élaboration de projets de territoire pour la gestion de l’eau, les PTGE.
Il est indispensable que toutes les solutions soient considérées. La recherche de sobriété et d’optimisation de l’utilisation de l’eau passe notamment par des réflexions sur des variétés mieux adaptées aux territoires, les solutions de stockage ou de transfert, et donc sur la transition agroécologique, qui est porteuse de solutions pour une meilleure résilience de l’agriculture face aux changements climatiques.
Sur votre question très précise des retenues collinaires, je dirai que, d’une manière générale, le stockage artificiel de l’eau est une solution possible, parmi d’autres, pour répondre au problème du décalage dans le temps entre la disponibilité de l’eau et les besoins des cultures. Parmi les stockages artificiels, les retenues collinaires sont souvent préférables à des barrages en cours d’eau, un tel dispositif ayant, dans la plupart des cas, moins d’impact. Cependant, il ne faut pas oublier que cela a aussi un effet non négligeable sur le cycle de l’eau. Aussi, avant d’examiner ces solutions de stockage, il faut donc, au préalable, examiner toutes les solutions de sobriété.
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.
M. Éric Gold. J’étais hier au Sommet de l’élevage, à Clermont-Ferrand, avec le ministre de l’agriculture, et je voudrais insister sur la détresse actuelle des agriculteurs, qui ont besoin d’une politique claire, notamment en matière de stockage de l’eau et d’irrigation potentielle. Hier, j’ai ressenti une grande frustration de leur part, et je voulais ici m’en faire le porte-parole.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà quelques semaines, les images de l’Amazonie en feu ont fait le tour du monde, suscitant l’indignation internationale. Pour faire miennes des paroles si souvent prononcées ces derniers jours, je dirai que notre maison brûlait, mais que, cette fois-ci, nous la regardions brûler en direct. Dans cette même maison, en Guyane, nous sommes en guerre contre l’orpaillage illégal, véritable fléau environnemental, économique et social.
L’émotion passée, chacun s’interroge sur les conséquences terribles de ces incendies sur le climat.
La première est évidemment la libération dans l’air d’une très grande quantité de dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre. C’est aussi la destruction de puits de carbone essentiels et de réserves de biodiversité exceptionnelles.
La forêt amazonienne régule en partie, par son rôle fondamental dans le cycle hydrologique du bassin amazonien, le climat non seulement de l’Amérique du Sud, mais aussi du monde entier. L’assèchement provoqué par la déforestation et les feux dégrade enfin les cycles de l’eau et du climat.
Selon certains scientifiques, la multiplication des grandes sécheresses exposerait l’Amazonie à un risque de « savanisation » qui, si elle advenait, tomberait comme un couperet sur la lutte contre le réchauffement climatique.
Pour être clair, on estime aujourd’hui qu’une déforestation de 20 % à 25 % de l’Amazonie pourrait faire basculer fatalement son climat. À ce jour, la forêt aurait déjà été détruite à plus de 19 % depuis 1970.
Dans l’esprit du rapport présenté par notre délégation à la prospective, dont je veux saluer la qualité, j’estime que cette politique d’adaptation constituerait une possibilité de développement pour la Guyane.
Aussi, madame la ministre, comment la France peut-elle déployer en Guyane des politiques d’adaptation afin de préserver ce bien commune qu’est l’Amazonie ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Effectivement, les images d’incendies en Amazonie ont ému toute la communauté internationale. C’était, si j’ose dire, une bonne chose, car cela a contribué à faire de la protection de l’Amazonie, et plus généralement des forêts équatoriales, un thème important du G7 de Biarritz. Ce sujet était également à l’ordre du jour du sommet sur le climat en amont de la dernière Assemblée générale des Nations unies, le 23 septembre.
Cette crise que connaît la forêt amazonienne, ainsi que, de façon générale, toutes les forêts tropicales, nous alerte, une fois de plus, sur le lien très fort entre les questions de lutte contre le dérèglement climatique et les problèmes de biodiversité.
La lutte contre la déforestation est un enjeu majeur. Vous le savez, la France est un des premiers pays à s’être doté d’une stratégie nationale contre la déforestation importée. Le Président de la République a eu l’occasion d’aborder ce sujet dans l’enceinte des Nations unies, en souhaitant que le « zéro carbone » et le « zéro déforestation » soient l’horizon des futurs accords commerciaux.
Il faut agir dès maintenant. À cet effet, le service « valorisation économique de la biodiversité », qui a récemment ouvert en Guyane, a vocation à apporter son appui pour, à la fois, permettre un développement de nos territoires et lutter contre la déforestation qui affecte encore trop souvent nos forêts équatoriales.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga.
M. Jean-Pierre Moga. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question concerne la raréfaction de la ressource en eau.
Le rapport Explore 2070 montre que la baisse de la recharge des nappes phréatiques est déjà amorcée. Deux territoires sont particulièrement affectés : le sud-ouest, dont mon département, le Lot-et-Garonne, fait partie, avec une perte de 30 % à 50 %, et le bassin de la Loire, avec une baisse de 25 % à 30 %.
L’étude Garonne 2050, menée par l’agence de l’eau Adour-Garonne de 2010 à 2013, nous apprend que ce bassin connaît un déficit annuel de 200 millions de mètres cubes. Cette étude révèle aussi que, si des mesures immédiates ne sont pas prises, cela entraînera des conflits entre les différents usagers. Ainsi, tous les usages de l’eau, c’est-à-dire la consommation humaine, l’agriculture, le tourisme, la préservation des milieux aquatiques, seront affectés.
La France est pourtant un pays d’abondance hydrique, grâce à son climat tempéré et à la multitude de ses fleuves et de ses montagnes.
Pour améliorer le rapport entre les besoins et les ressources, on pourrait engager plusieurs actions simultanées : inciter financièrement à la réduction de consommation d’eau ; partager la ressource entre les territoires où elle est plus ou moins abondante ; encourager le recyclage ; développer le stockage de l’eau en hiver avec la construction de nouvelles retenues collinaires et de haute montagne et le développement de nouvelles techniques de recharge des nappes phréatiques.
Les sécheresses survenues pendant les étés de 2018 et de 2019 sont la démonstration que l’idéologie anti-irrigation, anti-stockage de l’eau ne peut être une réponse adaptée face aux aléas climatiques que nous connaissons.
Madame la ministre, ne pensez-vous pas que faire obstacle de manière vertueuse à l’écoulement de l’eau est une nécessité absolue pour conserver une agriculture permettant de nourrir les populations et maintenir des étiages suffisants pour préserver la faune et la flore de nos fleuves, de nos rivières et de nos ruisseaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Très clairement, le Gouvernement n’est pas dans une posture anti-irrigation ou anti-stockage d’eau.
M. Bruno Sido. Ah bon ?
M. François Bonhomme. Qu’il le démontre !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je voudrais rappeler que l’instruction conjointe du ministère de l’agriculture et de mon ministère, qui date du mois de mai, et qui est le résultat des concertations et des travaux menés dans le cadre des Assises de l’eau, prévoit bien l’élaboration de projets de territoire pour la gestion de l’eau dans une approche globale.
Vous avez bien mentionné la variété des usages et des besoins de l’eau, que ce soit pour l’alimentation en eau potable, pour le maintien de la biodiversité, ce qui suppose un certain niveau d’étiage dans les cours d’eau, pour la lutte contre les incendies, autre enjeu important découlant lui aussi du réchauffement climatique, ou pour l’agriculture.
Nous devons bien évidemment apporter des réponses à nos agriculteurs pour leur permettre de mener durablement leur activité dans de bonnes conditions.
Je le redis, tout le sens des projets de territoire pour la gestion de l’eau, c’est d’analyser l’ensemble des besoins en eau et de conduire une réflexion, qui passera, nécessairement, par l’examen de pistes pour atteindre une plus grande sobriété. Nous pouvons y parvenir en investissant, par exemple, dans des matériels agricoles ou en choisissant des variétés de plantes plus adaptées aux terroirs. Ces préalables réalisés, nous pourrons ensuite, et ensuite seulement, travailler à des projets de stockage d’eau, notamment sous forme de retenue collinaire. Nous devons aussi nous assurer de la sécurisation juridique de ces projets. En effet, j’ai bien conscience qu’ils ont fait l’objet de contestations dans de nombreux territoires.
M. François Bonhomme. On attend toujours Sivens !
Mme Élisabeth Borne, ministre. C’est donc dans cette démarche que le Gouvernement se place pour avancer sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Selon l’Agence parisienne du climat et Météo France, la Ville de Paris va être particulièrement impactée par le dérèglement climatique. Du fait de son tissu urbain très dense, la ville génère un microclimat urbain dit « îlot de chaleur urbain » – mon collègue Roger Karoutchi en a parlé. Les augmentations de températures de 2 à 4 degrés prévues d’ici à 2050 et les canicules de plus en plus fréquentes seront donc encore plus difficiles à vivre pour les Parisiens.
En outre, d’après une étude de septembre 2019 de Se Loger, Paris est la ville française où l’isolation et la consommation énergétique des logements laissent le plus à désirer, avec une consommation annuelle moyenne d’énergie de 242 kilowattheures au mètre carré, soit une étiquette énergie E. En période de canicule, comme en période de vague de froid, la majorité des Parisiens peinent déjà à maintenir leur logement à une température décente, et je parle en connaissance de cause !
Les contraintes administratives, notamment dans le cadre de la rénovation énergétique de copropriété, n’améliorent pas cette situation. En effet, seuls des travaux de rénovation énergétique pourront garantir aux Parisiens un confort d’été et d’hiver. Il est donc indispensable que l’État maintienne et intensifie les outils d’incitations.
Je m’étonne donc de l’inscription dans le projet de loi de finances de la transformation du CITE en une prime attribuée en fonction des revenus des ménages. Ce nouveau dispositif ne va pas dans le sens de la lutte contre les passoires énergétiques et de l’objectif fixé par le Gouvernement, qui prévoit 500 000 rénovations énergétiques de logements par an. L’exclusion de cette prime des ménages des deux derniers déciles de revenus – soit des foyers propriétaires plus enclins à réaliser les travaux que les locataires – et l’absence totale d’aide à la rénovation globale, pourtant la plus efficace, détourne cette réforme de son objectif initial.
Madame la ministre, ma question est donc la suivante : comment le Gouvernement entend-il inciter les Français à adapter leur logement aux changements climatiques sans leur fournir des outils efficaces pour rénover énergétiquement leur habitation ?
Mme Marie-Noëlle Lienemann. À 10 000 euros le mètre carré, les propriétaires parisiens peuvent payer !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. La rénovation thermique des logements est au cœur de notre politique d’atténuation et d’adaptation, tout comme la lutte contre les îlots de chaleur dans nos grandes métropoles. Je peux donc vous assurer de la détermination du Gouvernement à avancer. Certains outils ont d’ailleurs été prévus dans la loi Énergie-climat, notamment la sortie des passoires thermiques à l’horizon de 2028.
Les évolutions des dispositifs d’aides que vous mentionnez visent à renforcer l’efficacité et à accélérer la rénovation énergétique de nos logements. Aujourd’hui, j’en conviens, mener ces projets de rénovation énergétique relève un petit peu du parcours du combattant pour les citoyens.
M. Stéphane Piednoir. C’est sûr !
Mme Élisabeth Borne, ministre. Pour avoir été préfète de région, je sais la difficulté de traiter un dossier pour lequel il faut conjuguer des aides de l’ANAH, le C2E, les aides des collectivités, le préfinancement du CITE… Tout cela manque de fluidité.
La réforme portée par le Gouvernement vise donc à simplifier les aides et à les rendre plus lisibles. Le contribuable n’aura plus à faire l’avance en attendant le versement, l’année suivante, du crédit d’impôt, car il sera transformé en prime.
Soucieux de porter ces politiques au plus près des territoires, l’État a annoncé que les services de conseil et d’accompagnement seraient dotés de moyens et que 200 millions d’euros de C2E vont être mis à disposition des plateformes de rénovation énergétique.
Je le répète, la détermination du Gouvernement est totale. Nous avons besoin d’un système plus simple, plus juste et plus efficace vers lequel les dispositions contenues dans le projet de loi de finances permettront de tendre.
M. Jean-François Husson. Trop facile !
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal.
M. Rachid Temal. Je tiens moi aussi à saluer la qualité du rapport de nos collègues. Grâce à eux, nous pouvons dire que le plus dur reste à faire.
Je souhaite intervenir sur un thème qui vient d’être abordé par ma collègue, celui des passoires énergétiques.
Faute d’avoir les moyens de s’adapter, les premières victimes de cette fracture énergétique restent les plus précaires. Le dérèglement climatique accentue l’inégalité sociale. Je le dis après avoir pris connaissance de plusieurs études selon lesquelles certains de nos compatriotes s’interrogent sur le point de savoir si la priorité revient à la question sociale ou à l’aspect climatique. Les deux sujets étant liés, il faut répondre aux deux !
J’ai choisi cet exemple à dessein : lors de la campagne présidentielle, le programme du candidat Macron annonçait que 7,4 millions de logements seraient interdits à la location à partir de 2025, le but étant de mettre fin aux passoires énergétiques. Or le dispositif mis en œuvre par la loi Énergie-climat a repoussé cette obligation à 2028, tout en évoquant l’éventualité de prendre certaines sanctions, qui restent aujourd’hui floues et ne sont donc pas clairement inscrites dans le marbre.
Quant au financement prévu, madame la ministre, vous avez évoqué l’amélioration du dispositif, qui deviendrait plus lisible. Pour autant, le montant n’est pas au rendez-vous. Les 14 milliards d’euros annoncés sur cinq ans sont loin de l’investissement nécessaire, estimé à 7 milliards d’euros par an par Institute for climate.
Outre ce que vous avez déjà annoncé à propos du projet de loi de finances, ma question est simple : au-delà des mots et de la volonté de simplifier, quelles mesures concrètes comptez-vous prendre dorénavant pour permettre aux Français de mettre fin à leur passoire énergétique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je vous rassure, monsieur le sénateur, il y aura un débat sur la loi de finances.
La rénovation thermique des logements est très importante dans notre politique d’adaptation au changement climatique, à la fois pour limiter nos émissions de gaz à effet de serre et pour assurer un meilleur confort à nos concitoyens. Avec le dérèglement climatique, il faut avoir en tête que ce problème de confort se pose l’hiver, ce à quoi nos réglementations thermiques répondaient jusqu’à présent, mais aussi l’été. Tel est bien le sens de la future réglementation environnementale sur laquelle nous travaillons, qui devra également prendre en compte le confort thermique l’été.
Des dispositions ont été adoptées par le Parlement afin de sortir des passoires thermiques à l’horizon de 2028 et de prendre en compte la réalité de la nécessaire adaptation des propriétaires. Dans la loi Énergie-climat, un dispositif progressif permettra d’atteindre cet objectif sans mettre en difficulté des millions de ménages. Cette politique doit être accompagnée par des outils simples, justes et efficaces, que vous retrouverez dans le projet de loi de finances, dont nous aurons à débattre prochainement avec vous.
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Madame la ministre, vous nous dites qu’on ne peut pas parler du projet de loi de finances, mais il est publié, et il constitue l’un des éléments à prendre en compte dans le débat que nous avons.
J’entends, encore une fois, votre ambition, mais, je vous le redis, vous n’y mettez pas les moyens. C’est le seul point que je voulais aborder.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Le rapport d’information, très précieux et de qualité, met en lumière la baisse du débit moyen annuel des cours d’eau, avec des débits estivaux réduits de 30 % à 60 %. En outre, le nombre de sources qui se sont taries cette année dans les campagnes françaises, c’est du jamais vu !
Je souhaite donc connaître, madame la ministre, les mesures que le Gouvernement entend prendre pour développer les PTGE, les fameux projets de territoire pour la gestion de l’eau, notamment en lien avec l’objectif quantitatif qui a été fixé lors des Assises de l’eau. En effet, vous n’ignorez pas les recours actuellement conduits contre ces PTGE. J’aimerais également savoir quels moyens administratifs et budgétaires le Gouvernement souhaite y consacrer. Un certain nombre de collègues ont évoqué l’importance d’une meilleure sécurisation du dispositif.
Je vous invite à entendre ce que j’appellerai la supplique des territoires, de leurs élus, au nom de la cause agricole. Dans un temps d’agri-bashing, la période est trop grave pour balayer notre supplique d’un revers de main ou céder aux expressions les plus violentes. Il faut remettre de la raison dans le débat, et il est vraiment important que vous et vos collègues adoptiez, pour aborder les enjeux climatiques, notamment autour de l’eau, une vision beaucoup plus panoramique, avec un grand-angle à 360 degrés.
Enfin, quels financements sont-ils prévus, promis et, je l’espère, consacrés aux agences de l’eau, dont l’État a trop longtemps fait les poches ? Il faut vraiment que cela cesse !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Je partage tout à fait votre volonté de remettre de la raison dans le débat sur les ressources en eau comme sur l’incendie qui a récemment frappé l’une de nos grandes métropoles. Oui, il faut ramener de la raison dans le débat et se fonder sur les faits scientifiques !
La France a connu pendant plusieurs mois un épisode de sécheresse sans précédent. Quatre-vingt-huit départements ont été soumis, au moins sur une partie de leur superficie, à des mesures de limitation ou de suspension des usages de l’eau. Quarante-deux départements ont pris des arrêtés de crise, imposant l’arrêt des prélèvements d’eau afin de préserver des usages prioritaires.
L’adaptation au changement climatique nous demande de repenser les différentes composantes, de la prévention des sécheresses à la gestion de crise. Nous devons donc revoir, dans sa globalité, la gestion quantitative de l’eau afin de donner une place privilégiée aux solutions naturelles. Nous devons notamment désartificialiser des sols pour augmenter leur capacité d’infiltration et limiter le ruissellement. Nous devons préserver les milieux humides pour profiter de leur capacité de stockage. Nous devons restaurer des capacités de ralentissement des écoulements par des cours d’eau pour permettre aux espèces aquatiques de résister aux périodes de stress hydrique. Nous devons nous mettre en ordre de marche pour revenir à l’équilibre dans les bassins en déficit structurel d’eau.
Tel est bien le sens de l’instruction du 7 mai 2019, prise conjointement par le ministère de l’agriculture et celui dont j’ai la charge. Elle institue une nouvelle démarche collective en vue de rééquilibrer les besoins en eau à l’étiage et la disponibilité de la ressource en eau. Elle invite aussi à réaliser des projets territoriaux pour la gestion de l’eau fondés sur des approches destinées à identifier et limiter les usages de l’eau en faisant preuve de sobriété, en mettant en œuvre des pratiques moins dépendantes de l’eau et des actions de restauration, et en se servant de l’innovation technique. Elle prévoit également la possibilité de réaliser des réserves de substitution. Ainsi, il est prévu, sur la période 2019-2024, que les agences de l’eau apportent 5,1 milliards d’euros pour favoriser l’adaptation au changement climatique, préserver les milieux et réduire les pollutions.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Madame la ministre, vous verrez que le Gouvernement n’échappera pas à une évolution de sa posture. Il devra s’engager dans de nouvelles directions, en déployant au bénéfice des territoires des moyens financiers, structurels, solides et inscrits dans la durée.
Vous l’avez dit, la vision transversale comporte quantité d’enjeux : la santé publique, l’environnement, l’aménagement du territoire, la protection de la biodiversité, l’agriculture, sans oublier nos concitoyens.
Je terminerai en disant que j’ai compris votre allusion à l’épisode de pollution provoqué par l’incendie à Rouen. Qu’on soit bien clair, je ne mets en cause personne. Je pense simplement que, quand on attend cinq jours et qu’on a cinq expressions différentes, il y a des doutes. Vous allez voir que les analyses de l’air vont démontrer, contrairement au communiqué,…
M. le président. Merci, monsieur Husson !
M. Jean-François Husson. … qui est aujourd’hui inexact, qu’il y a un danger pour la population.
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Je veux remercier à mon tour nos collègues pour l’excellence de ce rapport.
Nous connaissons les conséquences du dérèglement climatique en France, qui sont désastreuses, notamment pour la santé.
Je voudrais aborder un sujet en particulier, celui de la pollution de l’air et des risques qu’elle entraîne sur la santé de nos concitoyens.
Les risques liés à la pollution de l’air sont nombreux. Ils le sont en particulier pour les enfants en raison de l’immaturité de leur organisme et de la fréquence de leur respiration, plus élevée que chez l’adulte. C’est le cas de Timon, neuf ans, qui souffre depuis 2011 de bronchites et de toux liées à la pollution atmosphérique dans l’agglomération lyonnaise, fortement touchée par les concentrations en particules fines. Statuant sur une demande de réparation des parents de l’enfant, le tribunal administratif avait ainsi qualifié l’État de « fautif ».
L’Unicef, qui rappelle que la principale source de pollution atmosphérique dans nos villes est le trafic automobile, fait état d’un chiffre plus qu’alarmant : trois enfants sur quatre respireraient un air pollué en France.
Deux autres études montrent également que la pollution de l’air accroît le risque de mortalité infantile et réduit la fonction pulmonaire.
Les enfants sont exposés à cette pollution au sein même des écoles de la République. En effet, la majorité des lieux d’accueil pour enfants se trouvant à proximité d’axes routiers, leur exposition à un air pollué est donc accentuée. Pourtant, des solutions existent : elles consistent à soutenir les collectivités pour développer des réseaux de mobilités plus propres, à généraliser les zones à faibles émissions dans les villes ou encore à diminuer le trafic routier à proximité immédiate des établissements scolaires.
Madame la ministre, face à l’urgence sanitaire, l’État a la responsabilité d’agir pour protéger les Français, les plus vulnérables en particulier. Aussi, pouvez-vous ici nous indiquer quelles mesures concrètes le Gouvernement mettra en œuvre durant le quinquennat pour prévenir les risques sanitaires majeurs et sensibiliser la population ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Votre question nous éloigne un tout petit peu de l’adaptation au changement climatique. Cela étant, vous auriez pu évoquer la pollution à l’ozone, qui, pour le coup, est liée aux épisodes d’ensoleillement très importants, notamment aux canicules. Les épisodes de canicule que notre pays a connus se sont, en plus, accompagnés de pics de pollution à l’ozone.
Pour vous répondre sur la question de la qualité de l’air, qui me tient évidemment à cœur, je rappelle que notre pays était en retard dans le déploiement d’un outil qui a pourtant prouvé son efficacité chez nos voisins, les zones à faibles émissions. La loi Mobilités, dont je suis heureuse de reparler, prévoit précisément la mise en place de zones à faibles émissions.
Lorsque je suis entrée au Gouvernement, la France comptait deux zones à circulation restreinte. Quinze métropoles ont répondu à l’appel que nous avons lancé à l’été 2018. Nous accompagnons désormais vingt-trois territoires sur lesquels vivent 17 millions de Français dans la mise en place de zones à faibles émissions. Cet outil est consolidé par la loi Mobilités, dont vous aurez à reparler prochainement ici en nouvelle lecture. En outre, il est prévu de déployer des moyens de vidéoverbalisation, puis de contrôle-sanction automatiques, qui devraient se mettre en œuvre respectivement à l’été 2020 et à l’été 2021.
Je partage tout à fait votre préoccupation, qui est importante, même si elle n’est pas directement liée à l’adaptation au changement climatique. Nous devons agir en mettant en place ces zones à faibles émissions. Il faut mettre en œuvre une politique visant résolument à proposer des alternatives à l’usage de la voiture individuelle, dans nos métropoles, mais aussi sur le reste de notre territoire, là où nos concitoyens peuvent souffrir d’être dépendants de la voiture individuelle.
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, pour la réplique.
M. Xavier Iacovelli. Je pense, au contraire, que tout est lié. L’utilisation de la voiture, qui augmente la pollution, est aussi l’une des causes du dérèglement climatique. Ma question avait donc toute sa place dans ce débat.
Je voudrais juste préciser qu’une autre étude, américaine cette fois, démontre que la pollution de l’air, néfaste pour l’organisme, pourrait, de plus, engendrer des troubles psychiatriques chez les enfants.
Bien sûr, la question de la pollution de l’air, qui est globale et nécessite une politique publique à long terme, ne se réglera pas en un quinquennat. Mais nous devons agir tous ensemble – collectivités, État – pour faire en sorte d’offrir un air pur à nos enfants, ainsi qu’aux moins jeunes.
M. Jean-François Husson. Lisez notre rapport !
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël.
Mme Sylviane Noël. Permettez-moi, tout d’abord, de féliciter mes collègues pour la qualité de leur rapport. Celui-ci traite à plusieurs reprises des conséquences graves et rapides du changement climatique en zone de montagne.
J’aimerais, à cet instant, revenir sur un enjeu majeur, qui aura un impact dépassant largement les zones de montagne. Il s’agit des débits d’eau.
Il y a tout juste une semaine, le GIEC dévoilait son rapport spécial sur les océans et la cryosphère. Pour les glaciers, les prévisions sont alarmistes : 80 % de la surface des glaciers aura disparu en 2100 si les émissions continuent sur cette tendance. Or « tous les grands fleuves européens prennent leur source en montage ». Les Alpes assurent ainsi 34 % du débit moyen du Rhin, 40 % de celui du Rhône et 53 % de celui du Pô.
D’ici à 2100, le réchauffement climatique devrait faire grossir les débits de ces fleuves de 20 % en hiver, les réduire de 17 % au printemps et jusqu’à 50 % en été. En d’autres termes, les populations vivant dans les plaines seront soumises à des risques accrus d’inondation en hiver et de sécheresse en été.
Cela me conduit, madame la ministre, à vous alerter sur deux sujets d’actualité.
Tout d’abord, la perspective d’ouverture à la concurrence des barrages hydroélectriques nous fait redouter les conséquences sur la bonne maîtrise de gestion des crues et de soutien d’étiage.
Ensuite, face à la multiplication des phénomènes violents et extrêmes, en montagne certainement plus qu’ailleurs, je vous rappelle l’impérieuse nécessité de préserver les stations locales de Météo France, comme celles de Chamonix, de Bourg-Saint-Maurice ou de Briançon,…
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme Sylviane Noël. … encore menacées à ce jour. Au-delà de leur fonction de prévision météo, ces antennes locales sont incarnées par des agents qui disposent de la connaissance indispensable du territoire, de ses zones à risque, ainsi que de l’évolution des conditions nivologiques en période de crise. Elles fournissent, depuis des décennies et de manière irremplaçable, une prévision météo déterminante pour prévenir la survenance d’événements climatiques pouvant affecter la sécurité des populations.
Dans ces circonstances, la délocalisation de ces trois antennes locales vers un centre grenoblois serait un non-sens qui affecterait gravement le niveau de prévision et, donc, l’adaptation des mesures pour parer à ces événements climatiques. Je souhaiterais donc connaître votre position sur ces sujets. (M. Loïc Hervé applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison de souligner que la gestion des concessions hydroélectriques doit prendre en compte de multiples enjeux : la gestion proprement dite de la production d’électricité, mais aussi des rôles d’aménagement du territoire et de gestion hydraulique. C’est bien la complexité de ces différentes fonctions que nous mettons en avant dans nos échanges en cours avec la Commission européenne sur le devenir de nos concessions hydroélectriques. C’est également ce que nous avions mis en avant dans les discussions qui ont été conduites sur la prolongation de la concession de la CNR.
Je partage donc tout à fait votre avis sur l’importance de ces concessions d’hydroélectricité, dont le rôle va très au-delà de la simple production d’électricité, qui ne peut pas être appréhendée sous ce seul prisme.
S’agissant de Météo France, l’entreprise a travaillé sur un projet stratégique qui vise à une amélioration des techniques et des modélisations en réfléchissant notamment à la mise en place d’un nouveau calculateur. Nous allons accompagner l’établissement dans ses investissements. Ces nouveaux outils technologiques au service d’une meilleure prévision météo pour l’ensemble de nos concitoyens ont forcément des conséquences sur l’organisation de Météo France, en particulier sur son implantation territoriale.
J’ai bien en tête la présence d’agents à Bourg-Saint-Maurice, à Chamonix ou à Briançon. Les réflexions sur la réorganisation de Météo France, fondée sur des nouveaux outils, peuvent conduire à remettre en cause des implantations locales, mais le sujet des Alpes est pris très au sérieux. Des échanges se tiendront dans les prochains jours avec la nouvelle présidente-directrice générale de Météo France et les élus afin de voir quelles solutions peuvent être trouvées pour les agents actuellement présents dans ces communes.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Parmi les recommandations de l’excellent rapport de nos collègues, plusieurs d’entre elles convergent vers une nécessaire optimisation de la politique de rénovation thermique des logements et, plus globalement, des bâtiments. Je ne vais pas revenir sur le mauvais signal envoyé avec la réduction du crédit d’impôt pour la transition énergétique, qui a été évoqué par notre collègue Céline Boulay-Espéronnier.
Au croisement des politiques d’atténuation et d’adaptation, qu’il ne faut plus opposer, une véritable impulsion me semble nécessaire pour atteindre l’un des objectifs souvent cité en la matière : un rythme de 500 000 rénovations de logements par an. Pour cela, il faut clarifier le rôle des différentes structures et des différents acteurs dans le domaine et les accompagner. Or, aujourd’hui, les initiatives sont multiples et, en définitive, souvent illisibles, voire suspectes aux yeux du grand public. Vous l’avez vous-même évoqué, madame la ministre, c’est un véritable parcours du combattant.
Comme vos collègues Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie, que j’ai eu l’occasion d’interpeller à ce sujet lors d’un congrès à Angers, vous citez les régions et les intercommunalités pour assumer ce rôle de pilote sur des programmes d’actions concrètes, que l’on ne trouve pas toujours, tant s’en faut, dans les Sraddet, les PCAET ou d’autres documents régulièrement produits mais qui peinent véritablement à être traduits de manière opérationnelle. L’idéal serait sans doute de couvrir l’ensemble du territoire de structures portées par les collectivités, à l’instar des ALEC, les agences locales de l’énergie et du climat, et, surtout, dotées de moyens humains et financiers pérennes, qui ne seraient pas soumis aux fluctuations de financements de l’Ademe, avec la fixation d’objectifs réalistes. De manière complémentaire, cette ambition me semble devoir être partagée avec les professionnels de la construction, perdus, eux aussi, parmi les labels et autres normes qu’on leur propose ou impose trop souvent.
Madame la ministre, quelle est votre vision territoriale de la décentralisation des politiques publiques dans le domaine de la rénovation thermique ?
M. le président. Merci de conclure, cher collègue !
M. Stéphane Piednoir. Qu’en est-il du plan, annoncé par vos collègues, de rénovation des établissements scolaires, qui sont souvent de véritables passoires thermiques ? (M. Jean-François Husson applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison de souligner que la rénovation énergétique des bâtiments en général est un enjeu majeur dans notre politique d’atténuation. Je le rappelle, le bâtiment représente 45 % de notre consommation énergétique et 27 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Cela montre à quel point ce secteur joue un rôle crucial pour atteindre nos objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les bâtiments publics doivent être exemplaires. Un certain nombre de dispositifs ont été prévus pour accompagner les collectivités, notamment des prêts de la Caisse des dépôts et consignations et des soutiens au travers de la dotation de soutien à l’investissement local, la DSIL.
Je fais le constat que, dans certains départements, les actions de rénovation énergétique des écoles ont été largement engagées. Tel n’est pas le cas sur l’ensemble du territoire. Je pense qu’on peut s’interroger sur la façon de donner une plus forte dynamique à ces actions de rénovation énergétique de nos bâtiments publics.
En matière de logements, la politique doit être la plus efficace et la plus lisible possible. Cela passe par une simplification des dispositifs d’aide. Je continue à penser que devoir conjuguer des aides de l’ANAH, un crédit d’impôt, des certificats d’économie d’énergie, des éco-PTZ peut dissuader un certain nombre de nos concitoyens. En revanche, l’accompagnement et le conseil de proximité constituent un enjeu majeur. C’est bien le sens des concertations engagées par Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur.
Comme dans le domaine de la mobilité, il faut un chef de file et de coordination des outils communs – ce rôle pourrait être joué par les régions –, ainsi que, sans doute, une action de proximité, qui pourrait être prise en charge par la maille communale et intercommunale.
À l’appui de ces concertations, je rappelle que nous avons donné de la visibilité aux plateformes de rénovation thermique pour les quatre prochaines années : 200 millions d’euros ont été mis en place par l’État. J’espère que l’action des collectivités permettra d’en doubler le montant.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Face aux dérèglements climatiques, il nous faut traduire l’urgence dont parlent les scientifiques de façon objective. Ayons aussi à l’esprit que le climat est un sujet extrêmement complexe, qui appelle de nous des actes concrets, mais aussi beaucoup d’humilité.
Le très bon rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective aborde un sujet au cœur des tensions territoriales, déjà largement évoqué ce matin, l’adaptation des politiques de l’eau, sujet d’actualité après les deux canicules de l’été 2019 et la sécheresse qui a entraîné des mesures importantes de restriction d’eau dans nombre de nos territoires.
Les politiques de l’eau doivent donner la priorité à des usages plus économes de la ressource et à la mise en œuvre de solutions fondées sur la nature pour optimiser la recharge des nappes phréatiques et développer des équipements hydro-économes.
Quatre options permettent de mieux exploiter l’eau excédentaire des saisons pluvieuses : barrages-réservoirs, ouvrages en lit mineur, de type moulins, étangs ou plans d’eau, retenues collinaires, qui stockent le ruissellement, restauration de zones humides naturelles.
Pourtant, aujourd’hui, en vertu d’un plan d’actions pour la restauration de la continuité écologique des cours d’eau, l’administration de l’eau a détruit plus de 150 petits barrages sur nos rivières depuis dix ans. Les conséquences d’une telle décision sont nombreuses : assèchement de rivières, disparition ou réduction d’une grande partie de la faune piscicole, fragilisation de bâtis, baisse de la nappe alluviale et disparition de certaines zones humides, avec des modifications d’écosystèmes et de biodiversité dans les vallées ayant un impact sur l’agriculture et le tourisme.
Madame la ministre, pour adapter la France aux dérèglements climatiques, nous devons nous appuyer sur le local, mais aussi sur ce patrimoine hydraulique. Quelle nouvelle politique de protection et de valorisation des ouvrages hydrauliques envisagez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Vous avez raison de souligner le caractère crucial de la gestion de la ressource en eau.
Il faut indiquer que l’eau qui n’est pas retenue, par le biais de barrages de stockage ou de retenues collinaires, a un rôle très important pour alimenter nos nappes phréatiques, soutenir en aval les débits des cours d’eau et alimenter également les zones humides, c’est-à-dire in fine être au service de notre biodiversité.
C’est bien le sens de ma réponse à l’un de vos collègues tout à l’heure. L’alerte forte qui a soumis 88 départements à des mesures de limitation et de suspension et amené 42 départements à prendre des arrêtés de crise doit renforcer la nécessité d’avoir une vision globale des enjeux relatifs au cycle de l’eau et de tout faire pour améliorer les capacités d’infiltration, limiter le ruissellement, préserver nos milieux humides et restaurer les capacités d’écoulement de nos cours d’eau.
Monsieur le sénateur, vous évoquez les politiques de continuité écologique des cours d’eau et la contradiction qu’il peut y avoir avec les enjeux de stockage d’eau. Nous avons fixé des objectifs importants de restauration des continuités hydrauliques et des cours d’eau. Il faut les appréhender de façon pragmatique, en ayant en tête que la restauration de la continuité piscicole ne doit pas se faire au détriment du soutien d’étiage, qui est également un enjeu essentiel en matière de biodiversité.
C’est sous cette double approche – soutien d’étiage et continuité piscicole – que les sujets doivent être examinés. C’est tout le sens de l’action de mes services, et je m’assurerai que c’est bien le cas.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. La situation critique de l’eau dans notre pays appelle à un objectif zéro perte nette en eau et à une exigence de protection de nos ouvrages hydrauliques qui stockent l’eau afin de recharger les sols et les nappes en eau, de recréer des milieux aquatiques et des zones humides qui contribuent à la production de biodiversité. En effet, la reconquête de la biodiversité terrestre et marine permet de lutter contre le dérèglement climatique.
Conclusion du débat
M. le président. Pour clore ce débat, la parole est à M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Jean-Yves Roux, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Les territoires de montagne sont extrêmement vulnérables au réchauffement climatique, qui menace directement les activités au cœur de l’économie montagnarde que sont le pastoralisme et le tourisme.
Madame la ministre, vous avez évoqué dans votre introduction les risques naturels en montagne. Il s’agit d’un sujet important : ces risques vont s’accroître du fait du réchauffement climatique et il faut adapter les outils de prévention.
L’impact du réchauffement climatique va bien au-delà du risque naturel. J’appelle l’attention sur le fait que le plan national d’adaptation au changement climatique doit créer les outils qui permettront d’accompagner l’adaptation de l’économie montagnarde, notamment la diversification du tourisme vers un « tourisme de montagne en quatre saisons » et le maintien du tourisme de neige.
Pour terminer, je tiens à remercier le président Karoutchi de son soutien et Mme la ministre de ses réponses directes et franches. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective.
M. Ronan Dantec, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Je remercie moi aussi le président de la délégation sénatoriale à la prospective, Roger Karoutchi, d’avoir apporté son soutien à ce rapport d’information.
Mes chers collègues, nous allons continuer à travailler sur ces questions. Vous pouvez d’ailleurs déjà noter sur vos agendas le programme de travail de la délégation du 31 octobre prochain : le matin, nous reviendrons sur les questions précises qui ont été au cœur de vos interventions, sur le bâti, le coût pour les collectivités territoriales de l’intégration du confort d’été, notamment dans les écoles ; l’après-midi sera consacré à un colloque avec plusieurs think tanks importants comme l’I4CE ou l’Iddri. Ce sera l’occasion de poursuivre notre dialogue et nos échanges, madame la ministre.
Mes chers collègues, les questions que vous avez posées appellent quelques remarques.
Je ne suis pas sûr qu’on mesure encore ce que sera la France en 2050 – c’était le cœur de ce rapport d’information. Aujourd’hui, beaucoup de questions se posent sur les difficultés auxquelles nous obligent à faire face le dérèglement climatique et une augmentation de la température de 1 degré par rapport à la période préindustrielle. En 2050 – c’est inéluctable au regard des inerties de nos systèmes sociétaux et du CO2 dans l’atmosphère –, cette augmentation sera plutôt aux alentours de 2 degrés.
Notre premier travail – c’était le sens de ce rapport d’information – consiste à appréhender véritablement le monde de 2050 et les problématiques qui seront au cœur de l’adaptation au changement climatique. Cela veut dire – vos questions le montrent très clairement – que nous sommes aujourd’hui face à des injonctions contradictoires, la question de l’eau l’illustre parfaitement. À ce titre, la question de notre collègue Chevrollier me semble tout à fait pertinente : comment trouver des équilibres entre biodiversité et maintien de l’agriculture ? Il en est de même de la question du président Karoutchi : notre vision de la densité urbaine est-elle en ligne avec la lutte contre les îlots de chaleur ? Ces questions sont sur la table.
Pour dépasser ces injonctions contradictoires et approfondir ces sujets, nous avons besoin de temps de débats extrêmement importants. De ce point de vue, madame la ministre, les nombreuses annonces que vous avez formulées sont capitales. Comme vous l’avez souligné, il va falloir retravailler beaucoup avec les collectivités territoriales. J’entends ce mandat donné à l’Onerc pour que nous ayons un temps de travail avec les réseaux de collectivités territoriales sur les questions d’adaptation. Le président de la commission spécialisée du CNTE que je suis est évidemment à votre disposition pour travailler dans ce sens.
Le Sénat en est conscient depuis longtemps : il faudra également réfléchir aux coûts pour les collectivités territoriales. Sur ce point, madame la ministre, je vous rejoins : investir une partie des C2E vers les collectivités pour qu’elles aient des capacités d’animation et de soutien, notamment sur toutes les questions relatives à la rénovation thermique des bâtiments devant intégrer le confort d’été, est un enjeu extrêmement important.
Nous avons donc devant nous des points de réflexion extrêmement précis. S’y ajoutent les questions relatives aux territoires ultramarins, mais aussi – c’était le travail de l’Onerc cette année – les solutions liées à la nature qui, au-delà du slogan, doivent être transformées en politiques publiques structurantes.
On le voit, les chantiers sont nombreux. Il nous faut les prendre les uns après les autres pour ne pas en rester aux déclarations, mais les traduire par des politiques publiques structurantes et applicables, ce qui correspond, je crois, tout à fait à votre culture, madame la ministre.
Enfin – et c’était l’une des grandes conclusions de ce rapport d’information –, nous devons nous demander si nous voulons créer un nouveau contrat collectif autour de l’adaptation. Une loi-cadre sera alors sans doute nécessaire. En effet, d’après les derniers chiffres du GIEC sur la montée des eaux – 1,1 mètre –, associée peut-être à des effets de submersion plus importants avec les tempêtes ou les dépressions, il faut s’attendre à une modification en profondeur de notre littoral dans la seconde moitié du XXIe siècle. Nous devons prendre le temps d’en parler encore, même si nous avons déjà eu l’occasion d’ouvrir ce débat ce matin.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Adapter la France aux dérèglements climatiques à l’horizon 2050 : urgence déclarée.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
3
Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité
Débat organisé à la demande de la mission commune d’information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la mission commune d’information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs, sur les conclusions du rapport d’information Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information, auteure de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la mission commune d’information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les violences sexuelles sur mineurs constituent une réalité insupportable, voire difficilement concevable pour beaucoup d’entre nous : comment imaginer que les êtres les plus vulnérables et les plus innocents dans notre société puissent être victimes de telles agressions ? Celles-ci sont pourtant beaucoup plus fréquentes qu’on ne l’imagine. Si elles se produisent majoritairement dans le cadre familial, elles peuvent aussi être commises par les adultes qui prennent en charge les mineurs dans un cadre professionnel ou associatif. C’est à cette seconde catégorie de violences sexuelles sur mineurs que la mission commune d’information que j’ai eu l’honneur de présider a consacré ses travaux. Ils ont abouti à l’adoption d’un rapport d’information le 28 mai dernier.
Ce sont d’abord les abus sexuels révélés au sein de l’Église catholique qui ont conduit le Sénat à s’intéresser à ce sujet. Nos collègues du groupe socialiste et républicain, que je remercie de leur initiative, avaient demandé la constitution d’une commission d’enquête qui aurait travaillé spécifiquement sur ce sujet. Le bureau du Sénat a jugé préférable de retenir un champ d’investigation plus large, afin d’examiner comment la prévention, la détection, le signalement et la répression des infractions sexuelles sur mineurs sont organisés dans les différentes structures qui accueillent des enfants et des adolescents, qu’il s’agisse de l’éducation nationale, des associations sportives, des services de l’aide sociale à l’enfance, des services de garde d’enfants, des associations sportives, des établissements d’enseignement culturel et artistique, des colonies de vacances et des centres aérés.
Pour dresser ce panorama, la mission a procédé à une cinquantaine d’auditions, complétées par trois déplacements. Ce travail n’aurait pas été possible sans l’investissement et la disponibilité de nos trois rapporteures, que je salue : Marie Mercier, qui a déjà eu l’occasion de travailler sur le droit pénal applicable aux infractions sexuelles sur mineurs, Michelle Meunier, qui connaît très bien les politiques de protection de l’enfance, et Dominique Vérien, qui a notamment approfondi la question de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles sur mineurs. Le rapport d’information formule trente-huit propositions, que nous aurons l’occasion d’évoquer au cours de ce débat.
Nous avons bien sûr travaillé en ayant toujours en tête l’intérêt des victimes. Comment favoriser la libération de la parole, indispensable pour que les faits soient connus et sanctionnés ? Comment les aider à surmonter le traumatisme de l’agression ? Surtout, comment éviter d’avoir à déplorer de nouvelles victimes, ce qui pose la question de la prévention de la récidive et de la prévention du premier passage à l’acte ?
Nous avons constaté, dès le début de nos travaux, qu’il existait peu de données précises et actualisées concernant le nombre de victimes et le contexte dans lequel surviennent les agressions. Cela nous a conduits à recommander la mise en place d’un observatoire, partant du principe que l’on ne peut combattre efficacement que ce que l’on connaît bien.
Nous avons également constaté que les pratiques et les règles en vigueur variaient beaucoup d’un secteur à l’autre : les contrôles sont par exemple systématiques et automatisés pour tout ce qui concerne les accueils collectifs de mineurs – c’est-à-dire les colonies de vacances et les centres aérés – ; ils paraissent en revanche plus aléatoires dans le monde du sport, alors que nous savons que la relation de proximité qui s’établit entre un entraîneur et un jeune athlète peut favoriser l’apparition de phénomènes d’emprise pouvant déboucher sur des agressions.
Dans ce contexte, il nous paraît souhaitable de généraliser les meilleures pratiques afin de construire autour des jeunes de notre pays un environnement aussi sécurisant que possible. Nous sommes conscients qu’il faudra du temps pour mettre en place les procédures et les actions de formation et de sensibilisation adaptées, mais c’est le cap que nous nous sommes fixé et que nous vous proposons de suivre. À cet égard, le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes est un outil qui pourrait sans doute être davantage utilisé, l’objectif étant d’éviter que les personnes condamnées pour ce type d’infraction soient de nouveau placées au contact de mineurs. Je pense que le jeu des questions-réponses nous donnera l’occasion d’y revenir et d’explorer les autres mesures à mettre en œuvre pour atteindre nos objectifs.
Nous avons consacré une part importante de nos travaux aux infractions sexuelles commises au sein de l’Église catholique et au sein des autres cultes, ce qui était légitime compte tenu de l’actualité. Comme nous l’avons plusieurs fois entendu au cours de nos auditions, l’agression sexuelle commise par un religieux est particulièrement dévastatrice pour la victime, car à la violence physique et à la violence psychologique s’ajoute un abus spirituel qui peut être extrêmement déstabilisant.
Nous avons perçu au sein de l’Église une prise de conscience réelle de la gravité du problème et une volonté affirmée de mettre un terme à l’omerta qui a longtemps prévalu. Nous avons tenté d’analyser les raisons de cette culture du secret, qui présente selon nous un caractère systémique, et nous avons rappelé l’absolue nécessité de signaler à la justice les faits délictueux ou criminels, en étant attentif à la parole des victimes, trop longtemps étouffée par peur du scandale. Nous avons pris acte de la volonté de l’Église d’indemniser les victimes, même pour des faits qui ne pourraient être jugés en raison de la prescription, ce qui nous paraît constituer une avancée importante.
Nous devons rester vigilants afin de nous assurer que ces déclarations seront bien suivies d’effets. Nous formons le vœu que la commission Sauvé poursuive le travail visant à mettre au jour les infractions qui ont été commises et propose des mesures complémentaires.
Avant de terminer mon propos, je souhaite appeler l’attention de M. le secrétaire d’État sur une catégorie de mineurs particulièrement vulnérables : les mineurs en situation de handicap. Nous n’avons pas toujours perçu de la part des gestionnaires d’établissements et de services pour mineurs handicapés une prise de conscience de ce problème à la hauteur de la vulnérabilité du public qu’ils accueillent. Il nous semble que les contrôles effectués au moment du recrutement et la sensibilisation des professionnels qui travaillent auprès de ces mineurs pourraient être significativement renforcés.
Les rapporteures et moi-même vous avons remis notre rapport au cours de l’été, monsieur le secrétaire d’État. Nous vous remercions de votre écoute, et je souhaite bien sûr que nos réflexions inspirent l’action du Gouvernement dans les prochains mois et les prochaines années.
Le Gouvernement a récemment installé une commission pour les 1 000 premiers jours de l’enfant, qui devrait intégrer dans sa réflexion la prévention de la maltraitance. Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vous travaillez également sur le dossier de l’aide sociale à l’enfance et que vous préparez un plan de lutte contre les violences dont sont victimes les mineurs. Il prendra la suite du plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants 2017-2019 que notre collègue Laurence Rossignol avait mis en place lorsqu’elle était ministre chargée des familles. Peut-être pourrez-vous nous donner aujourd’hui de premières indications sur le contenu de ce plan.
Monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez en tout cas être assuré du soutien du Sénat à une politique ambitieuse de protection de l’enfance qui devrait constituer, à mes yeux, une grande cause nationale. Nos concitoyens attendent de notre part des décisions et des actes. Je ne doute pas que, sur un sujet comme celui-ci, un consensus pourra se dégager autour de quelques orientations fortes et d’un ensemble de mesures concrètes de nature à améliorer la protection des enfants et des adolescents dans notre pays. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, madame la présidente de la mission commune d’information, mesdames les rapporteures, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi au mois d’octobre dernier, bien avant ma nomination, par la création de cette mission commune d’information, de prolonger la réflexion du Sénat sur les violences faites aux enfants, déjà engagée de longue date, par une étude approfondie de la question des violences sexuelles sur les mineurs en institutions. Je l’ai déjà fait, mais je le réitère : je tiens très sincèrement à saluer la qualité de vos travaux.
J’ai bien noté les trente-huit propositions que vous formulez – j’aurai l’occasion d’y revenir – et le parti pris qui a été le vôtre d’aborder cette question difficile sous un angle très large, en questionnant l’efficience de notre arsenal législatif et en abordant la question des victimes, celle de la formation des professionnels, mais également celle de la prise en charge des auteurs – qui constitue souvent un angle mort de ces politiques. S’il ne règle pas à lui seul les insuffisances qu’il soulève, ce rapport d’information formule des propositions dans la recherche et la mise en place de solutions pour mettre fin aux violences en institutions.
L’état des lieux que vous dressez, les comparaisons internationales et les pistes que vous lancez ont retenu ma plus grande attention. Ces dernières rejoignent les réflexions et les travaux que nous menons en parallèle au sein du ministère. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de le dire au cours de nos échanges.
Le sujet de vos travaux, plus largement la question de la lutte contre toutes formes de violences faites aux enfants, est au cœur de mes préoccupations. Le nouveau plan de lutte contre les violences faites aux enfants, que j’annoncerai prochainement, très probablement dans le courant du mois de novembre, à l’occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, a pour ambition de poursuivre le précédent plan, voire, je l’espère, d’aller au-delà.
Ce premier plan lancé en 2017 par Laurence Rossignol a permis de dire que les violences sexuelles faites aux enfants étaient encore trop souvent taboues et dissimulées au sein de la cellule familiale. Je souhaite que le nouveau plan d’action que je présenterai s’inscrive dans la continuité de ce premier plan : le chemin est encore long pour permettre la libération de la parole des enfants lorsqu’ils sont victimes dans l’intimité de leur famille. Nous devons donc redoubler d’efforts.
Je souhaite également qu’une nouvelle impulsion soit donnée à la lutte contre les violences faites aux enfants en tous lieux, à tout moment de leur vie d’enfant, afin de leur garantir qu’ils pourront grandir en sécurité, où qu’ils se trouvent.
Ce sujet doit mobiliser la société tout entière. C’est pour cela que j’ai parlé d’un pacte entre l’ensemble des composantes de notre société. La lutte contre les violences, notamment les violences sexuelles, doit évidemment dépasser les clivages.
Si je souligne une fois encore, au nom du Gouvernement, la qualité de vos travaux, je souhaite dans le même mouvement pouvoir vous assurer de ma volonté de mobiliser le Gouvernement tout entier, chacun de ses membres, sur ce sujet.
Mon intervention de ce jour a pour objet non pas de dévoiler les mesures de ce nouveau plan, je vous prie de m’en excuser, madame la présidente de la mission d’information – chaque chose en son temps –, mais de vous assurer qu’un intense travail interministériel est aujourd’hui en cours.
Il nous faut mieux appréhender la réalité, mais les chiffres dont nous disposons d’ores et déjà sont édifiants.
Vous proposez dans votre rapport de créer un observatoire national des violences sexuelles sur mineurs. Or nous disposons déjà d’un Observatoire national de l’enfance en danger, dont la mission est de nous permettre de mieux connaître les problèmes dans ce domaine, de mieux les prévenir et les traiter. C’est un outil particulièrement utile, précieux, articulé avec les observatoires départementaux de la protection de l’enfance, même s’il est bien sûr encore perfectible, nous nous accordons tous sur ce point. Je pense notamment à sa gouvernance ou encore au croisement des données de chacun des ministères et des liens avec la Drees.
Nous pouvons donc travailler pour que cet observatoire nous permette d’appréhender de manière plus fine, plus précise, les violences sexuelles sur les mineurs, plus particulièrement dans les institutions, mais, à ce stade, et nous en rediscuterons, je ne suis pas sûr qu’il soit opportun de créer un nouvel outil. Appuyons-nous sur ce qui existe déjà.
Concernant les chiffres dont nous disposons à ce jour, l’ONPE, vous le savez, publie chaque année un rapport comprenant, d’une part, des données chiffrées relatives aux mineurs pris en charge et, d’autre part, une analyse qualitative de l’évolution du dispositif de protection de l’enfance. Dans son dernier rapport, l’Observatoire a poursuivi sa collaboration avec le service statistique ministériel de la sécurité intérieure concernant la population des mineurs victimes de violences physiques et sexuelles.
Les chiffres dont nous disposons, je l’ai dit, sont édifiants et nous obligent à faire mieux pour protéger nos enfants. En 2017, les forces de sécurité ont enregistré 22 000 mineurs victimes de violences sexuelles, soit un nombre en hausse de 10 % par rapport à l’année 2016. Des enquêtes dites « de victimisation » montrent également qu’il existe un écart très important entre ce qui est porté à la connaissance des forces de sécurité et la réalité. Le taux de victimisation est à son plus haut niveau pour les mineurs de sexe féminin, puisque, en 2017, 2,5 mineures sur 1 000 ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles.
Face à ce fléau, je ne pense pas que la meilleure piste soit de s’engager dans une nouvelle modification du droit. Comme dans bien des domaines, il faut d’abord et avant tout faire appliquer le droit existant. Si votre demande d’évaluer les conséquences de la loi du 3 août 2018, dite loi Schiappa, est évidemment légitime, n’oublions pas que ce texte a été voté il y a tout juste un an.
Je souligne que cette loi a permis des avancées notables. Elle a aggravé la répression contre les infractions sexuelles commises sur mineurs et précisé la notion de contrainte morale. Elle a porté à dix ans d’emprisonnement la peine encourue pour l’atteinte sexuelle afin de garantir une répression renforcée de ces faits d’une particulière gravité. Elle a également allongé le délai de prescription pour les personnes ayant subi des faits alors qu’elles étaient mineures. Il est important de rappeler ces évolutions.
Vous le savez, le Gouvernement a annoncé son intention de confier à la députée Alexandra Louis, comme Mme la secrétaire d’État s’y était engagée à l’Assemblée nationale, une mission d’évaluation de la loi. Celle-ci est en cours. Conformément à vos préoccupations, un recul suffisant sur cette loi récente est nécessaire pour en évaluer les incidences concrètes sur le terrain et dans les décisions de justice.
Vous avez évoqué le contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant une activité habituelle en contact avec les mineurs et le fameux FIJAISV. Sachez que nous travaillons en partenariat étroit avec le ministère de la justice sur ce sujet. La méconnaissance des textes, conjuguée à une absence de lisibilité, conduit actuellement à un contrôle insuffisant par de nombreuses administrations. Il est indispensable d’engager une action forte pour coordonner et soutenir l’action des ministères afin de garantir une consultation plus systématique du FIJAISV, quand cette possibilité est offerte. Certains ministères, comme celui de l’éducation nationale ou celui des sports, ont déployé des moyens techniques et technologiques à la hauteur de cet enjeu pour y parvenir.
Dans le domaine de la santé, nous devons faire en sorte que les établissements bénéficient des soutiens nécessaires pour parvenir à ce contrôle systématique du personnel, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Je vais conclure, car le temps qui m’est imparti est écoulé.
Mme la présidente. Oui, vous aviez huit minutes !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je suis convaincu que nous ne parviendrons à nous attaquer à ce fléau que si la société tout entière se mobilise pour la protection de nos enfants : le législateur, bien évidemment, les associations, qui font d’ores et déjà un travail remarquable, les professionnels, dont je veux saluer le mérite, mais également tous les citoyens.
Je vous propose de répondre aux différents points que vous avez soulevés dans votre propos introductif, madame la présidente de la mission d’information, et dans votre rapport, mesdames les rapporteures, dans la suite du débat. Une fois encore, je vous remercie pour la qualité de vos travaux.
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement dispose d’une durée équivalente pour y répondre.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. En raison de leur grande vulnérabilité, les mineurs handicapés sont plus particulièrement exposés aux risques de subir des violences sexuelles en institutions. Par ailleurs, la multiplication des personnes intervenant auprès des mineurs handicapés augmente le risque d’agression.
La mission d’information a tout particulièrement exprimé sa préoccupation sur le décalage qu’elle a perçu entre la vulnérabilité des mineurs handicapés et la faiblesse des contrôles effectués au moment du recrutement par les établissements et services sociaux et médico-sociaux qui les accueillent. Elle a également indiqué qu’elle n’avait pas non plus perçu chez les grandes associations qui fédèrent ces établissements et ces services une mobilisation à la hauteur des enjeux.
Public fragile, vulnérable, exposé aux risques de subir des violences sexuelles tout en étant peu à même de les dénoncer, les mineurs handicapés doivent être mieux protégés, non seulement par une application stricte des contrôles exigés par la loi, mais également par des mesures supplémentaires. Ainsi, la mission d’information a fait part de la nécessité de renforcer les moyens de contrôle en mettant en œuvre trois mesures : la diffusion par les services de l’État d’une information claire sur les procédures de contrôle à appliquer par les gestionnaires lors d’un recrutement ; l’obligation, en complément de la vérification du bulletin n° 2 du casier judiciaire, de consulter le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes préalablement au recrutement du personnel de ces établissements ; l’application de ces mesures de contrôle aux employés des prestataires de services des établissements susceptibles d’être en contact avec des mineurs handicapés.
Monsieur le secrétaire d’État, à la lumière des travaux de la mission d’information, quelles mesures envisagez-vous de prendre afin de mieux protéger les mineurs handicapés accueillis en institutions et dans quel délai ? (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Les personnes en situation de handicap sont effectivement plus vulnérables que les autres. C’est Maudy Piot, évoquant les femmes handicapées, qui disait qu’elles subissaient une double peine, car elles étaient à la fois femmes et handicapées. Les femmes handicapées sont cinq fois plus victimes de violences que le reste de la population féminine dans notre pays.
Nous devons une protection supplémentaire et renforcée aux populations plus vulnérables que sont les personnes en situation de handicap, en particulier les enfants. C’est un sujet sur lequel je suis très sensibilisé.
Vous le savez, avant d’être nommé secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, j’étais parlementaire. Lors de la discussion de la loi Schiappa, j’ai défendu un certain nombre d’amendements. L’un tendait notamment à prévoir que soit institué un référent sur les violences de tous types, notamment les violences sexuelles, dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux. Sauf erreur, et sans revenir sur les péripéties de la navette parlementaire de l’époque, cette disposition avait été supprimée au Sénat. C’est l’une des mesures auxquelles nous devons réfléchir.
De la même façon, vous l’avez évoqué, la formation des professionnels et leur sensibilisation à ces questions doivent évidemment être renforcées. Elles l’ont été dans le cadre de la loi Schiappa. J’avais également défendu un amendement en ce sens. Je pense que tous les établissements doivent mettre en place des procédures très claires de contrôle et de remontée des violences, à l’image de ce que les Apprentis d’Auteuil, par exemple, ont mis en œuvre dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance.
Telles sont les mesures auxquelles nous réfléchissons depuis quelques mois. Elles feront l’objet d’annonces dans le courant du mois de novembre dans le cadre du plan de lutte contre les violences faites aux enfants.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Je tiens au préalable à saluer la présence des élèves d’une classe du lycée Saint-Étienne de Sens. Leur professeure, Marion Bezine, a choisi notre mission d’information pour leur montrer comment se construit une politique publique. (Applaudissements.)
Pour ma part, j’aborderai le sujet des très rares auteurs d’infractions sexuelles qui ont à effectuer une peine de prison. Ma question porte sur la peine et, surtout, sur son sens.
Dans certains cas, la peine est la privation de liberté, laquelle est censée suffire pour éviter une récidive. Or pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que la condamnation à deux ans d’enfermement d’un pédophile, années au cours desquelles il pourra tranquillement, dans sa cellule, regarder Gulli, la chaîne préférée des pédophiles – je l’ai découvert récemment –, feuilleter le magazine Parents et ses photos d’enfants, sera d’une réelle utilité ? Il faut en moyenne dix-huit mois avant qu’un détenu ne soit pris en charge par un psychiatre, et seulement s’il l’accepte. Il est donc probable qu’un prisonnier condamné à deux ans de prison ne verra pas de psychiatre. Or c’est en travaillant avec un psychiatre que les pédophiles peuvent maîtriser leurs attirances.
À titre d’exemple, la prison de Joux-la-Ville, dans l’Yonne, oblige les détenus à participer à des groupes de parole sur la perception du corps et de la sexualité. Si cette obligation est parfois mal vécue au départ par les prisonniers, ils finissent par participer volontairement à ces groupes, et les résultats sont bons. Pour autant, et les psychiatres que nous avons rencontrés, ceux du CRIAVS de Lyon, nous l’ont expliqué : tous les condamnés n’ont pas besoin de soins.
Ma question est donc triple : comment mieux identifier les auteurs ayant besoin d’une prise en charge médicale ? Leur peine de prison ne peut-elle être assortie d’une obligation de soins ? Que faire pour permettre une prise en charge médicale rapide ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. En matière de prise en charge des auteurs de violences sexuelles, la loi de 1998 – nous allons parler de la pratique, puisque c’est le sens de votre question – avait marqué une évolution majeure en instaurant un dispositif commun à la santé et à la justice. Une prise de conscience avait alors eu lieu sur la nécessité de prévoir, en complément de la sanction, un accompagnement thérapeutique.
Malgré les efforts consentis, encore trop peu d’auteurs de violences sexuelles, vous l’avez dit, bénéficient d’un suivi médical et thérapeutique de qualité, continu. Le rapport coordonné par M. Delarue a montré que ces insuffisances sont dues à la faible dénonciation des violences sexuelles par les victimes, à la proportion importante de plaintes classées sans suite et à l’extension de l’injonction de soins dans un contexte de pénurie de praticiens, vous l’avez évoqué.
Un protocole santé-justice prévoit une coordination régionale des acteurs sur ce sujet. Au sein de chaque région, l’ARS et la direction interrégionale des services pénitentiaires mettent en place des protocoles locaux, qui fixent un projet d’organisation des soins et les modalités d’organisation matérielle de cette prise en charge. Ce protocole associe un établissement de santé chargé en général de la psychiatrie à chaque établissement pénitentiaire.
Les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles qui ont été créés en 2006 sont régionalisés de la même façon. Aujourd’hui vingt-cinq CRIAVS sont en fonctionnement sur l’ensemble du territoire et assurent un rôle de formation et de coordination. Ces centres sont aussi un lieu de soutien et de recours pour les équipes soignantes et participent de plus au développement et à l’animation du réseau santé-justice.
Une action a été engagée ces dernières années pour renforcer la continuité de la prise en charge sanitaire des condamnés pour infractions sexuelles lors de leur sortie de détention. Il s’agit d’assurer une meilleure coordination entre les intervenants en milieu carcéral et ceux qui sont chargés du suivi du condamné en milieu ouvert. Cet objectif est partagé par la ministre des solidarités et de la santé et la ministre de la justice. Il figure dans la feuille de route 2019-2022 pour la santé des personnes placées sous main de justice.
Pour aller dans votre sens et dans celui du rapport que vous avez rédigé, je pense que la question des auteurs potentiels doit aussi être appréhendée en termes de prévention. Des dispositifs doivent être mis en œuvre pour prévenir le passage à l’acte. De tels dispositifs ont été peu étudiés en France, contrairement à d’autres pays. Nous y reviendrons.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier.
Mme Marie Mercier. Monsieur le secrétaire d’État, en guise d’introduction, je reprendrai vos propos : il faut prévenir pour protéger. Nous disposons d’outils pour prévenir la récidive. En revanche, nous ne savons pas vraiment prévenir le premier passage à l’acte.
Nous avons auditionné des associations, des professionnels. Que fait-on quand un adulte sait déjà depuis longtemps qu’il est attiré sexuellement par de jeunes, tout jeunes enfants, ou de très jeunes adolescents ? Que faire pour l’accompagner ? Il sait bien que ce n’est pas acceptable, mais il ne sait pas vers qui se tourner.
Les associations que nous avons entendues nous ont parlé du dispositif Dunkelfeld, qui a été créé en Allemagne, dans un hôpital berlinois. Il s’agit d’un service téléphonique qu’on peut appeler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et qui est à l’écoute de ces jeunes adultes, qui se sentent en souffrance aussi. Un accompagnement thérapeutique leur est proposé.
Un Dunkelfeld à la française est-il possible ? Aurait-il votre soutien ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Des dispositifs existent dans d’autres pays. Nous avons l’impression que cette question n’a pas été étudiée en France.
Le Dunkelfeld allemand que vous évoquez, qui signifie « zone d’ombre », est l’équivalent du Don’t offend britannique, qui a permis des campagnes de communication grand public, des films diffusés à la télévision. Il s’agit de services d’écoute et d’accompagnement des personnes attirées sexuellement par les enfants ou les adolescents. L’accompagnement proposé est entièrement gratuit, l’anonymat est garanti.
De tels services, vous l’avez dit, s’adressent aux personnes attirées sexuellement par des mineurs, avant leur premier passage à l’acte, aux auteurs d’infractions sexuelles sur mineurs dont les actes ne sont pas connus de la justice et aux auteurs condamnés ayant purgé leur peine et craignant de récidiver. Ils peuvent aussi être des outils de lutte contre la récidive. Ils permettent d’éviter le passage à l’acte, mais aussi de sensibiliser le grand public. La vertu de ce genre de dispositifs, notamment quand on communique à leur sujet, c’est qu’ils contribuent à faire prendre conscience que les problèmes existent bel et bien.
Le nombre élevé de consultations du site internet de l’association PedoHelp, qui oriente les personnes pédophiles vers des professionnels, ou encore de celui d’Une Vie, qui s’adresse aux soignants, démontre qu’il y a bien des besoins en la matière.
En France, les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles, qui sont des structures de service public réunies dans une fédération française, proposent un réseau d’écoute et d’orientation, à titre expérimental pour l’instant et au niveau local. Ce réseau, notamment, défend l’idée d’un numéro national gratuit. C’est également l’une des recommandations de votre rapport et de celui qui a été coordonné par M. Delarue sur les auteurs de violences sexuelles. Une campagne nationale d’information, tant sur son numéro vert que sur la plateforme PedoHelp, est également préconisée.
Ces initiatives me semblent fondamentales pour répondre aux difficultés des pédophiles avant que leur agression destructrice ne prenne une tournure pénale. Toutes ces propositions font actuellement l’objet de la part de mes équipes d’une analyse et d’une expertise, car elles nous semblent intéressantes. Notre réflexion n’est pas totalement aboutie, mais elle est en cours, en vue de l’annonce du plan de lutte contre les violences faites aux enfants en novembre prochain.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie Mercier, pour la réplique.
Mme Marie Mercier. Nous sommes ravis d’apprendre que le dispositif expérimental pourra être étendu à la France entière.
Vous n’avez pas parlé des moyens, monsieur le secrétaire d’État, et je vous en remercie. Ils doivent en effet être à la hauteur de l’enjeu. Nous ne considérons pas qu’ils constituent une dépense. Il s’agit plutôt d’un investissement pour l’avenir. Il faut prendre en charge nos enfants, dès le début, pour les protéger contre les violences sexuelles.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. La parole s’est libérée. Au cours des dernières années, une association a incarné le combat mené pour dévoiler les agressions pédocriminelles graves et les porter sur la place publique. D’abord limitée aux violences sexuelles sur mineurs émanant du clergé catholique, cette parole poursuit sa libération partout ailleurs.
Ma collègue Marie-Pierre de la Gontrie reviendra sur la genèse de notre rapport et sur ses conséquences dans l’Église. Pour ma part, j’évoquerai les pistes que nous traçons pour accueillir la libération de la parole, afin qu’elle ne soit pas vaine.
Un enfant sur cinq est confronté à la violence sexuelle d’un adulte. Nous devons donc collectivement apprendre à nos enfants à parler des faits qui les dérangent dans leurs relations avec les adultes qui les entourent. Nous devons également apprendre aux adultes à écouter la parole des enfants. Ensuite, il faut signaler ces suspicions, sans hésitation.
La plateforme du 119 doit être renforcée : nous demandons des campagnes de communication et de sensibilisation pour la faire davantage connaître. Quels moyens allez-vous y consacrer, monsieur le secrétaire d’État ?
Par ailleurs, nous avons besoin d’un réel changement de posture pour qu’aucun enfant ne pâtisse des hésitations des adultes autour de lui. Effectuer un signalement quand on soupçonne qu’un enfant a subi des violences doit être un acte protecteur. Il faut faire évoluer les mentalités : il faut cesser de penser qu’on s’occuperait un peu trop de ce qui ne nous regarde pas. Pour cela, les professionnels et les bénévoles qui signalent ces violences doivent être informés des suites données à leurs alertes. Comment entendez-vous permettre ces nouvelles pratiques professionnelles ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je l’ai évoqué dans mon propos liminaire, la question de la parole est centrale. Il faut libérer la parole dans notre pays. Ce que vous faites, ma nomination, les interventions dans les médias concourent à la libération de la parole. Il faut continuer.
Encore faut-il, vous avez raison, accueillir cette parole qui se libère. Il n’est plus acceptable, c’est clair, que plus de 60 % des appels au 119 aujourd’hui ne donnent pas lieu à une écoute, faute d’écoutants. C’est la raison pour laquelle j’ai d’ores et déjà annoncé que les moyens du 119 seront renforcés afin que 100 % des appels soient écoutés et traités.
La parole doit aussi être protégée. J’en parle brièvement, car ce sujet fera peut-être l’objet d’une autre question. C’est la question des unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques. On ne recueille pas la parole d’un enfant de trois ou quatre ans victime de violences sexuelles comme celle d’un adulte dans un commissariat. Ce n’est pas possible. Nous allons donc développer, généraliser, pérenniser les UAMJP.
Enfin, les cellules de recueil des informations préoccupantes, qui sont des maillons importants dans notre dispositif de signalement, ont aujourd’hui des pratiques hétérogènes sur notre territoire, ce qui pose des problèmes en termes de connaissance, les données remontées étant de la même façon hétérogènes. Il en résulte une connaissance imparfaite des violences dans chacun des départements.
Dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance, qui concerne l’aide sociale à l’enfance, et que je dévoilerai le 14 octobre prochain, à la suite de mon discours lors des Assises de la protection de l’enfance à Marseille le 4 juillet dernier, j’annoncerai, d’une part, un investissement afin d’accompagner la modernisation d’un certain nombre de CRIP et, d’autre part, la rédaction d’un référentiel sur les informations préoccupantes afin d’harmoniser leur recueil sur l’ensemble du territoire et les remontées des données elles-mêmes.
Quant à la campagne, elle aura lieu en novembre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour la réplique.
Mme Michelle Meunier. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de ces constats, que nous partageons, et de la volonté dont vous faites preuve.
Nous sommes à quelques semaines de l’examen du projet de loi de finances pour 2020. Soyez assuré que nous serons nombreux ici à veiller à la traduction concrète de nos ambitions communes.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. J’ai eu l’honneur de participer aux travaux de la mission commune d’information. Les trente-huit propositions auxquelles ont abouti nos échanges contribueront, si elles sont suivies d’effets, monsieur le secrétaire d’État, non seulement à briser ce tabou, mais aussi à mettre en œuvre une politique globale de prévention de la pédocriminalité.
Les propositions du rapport ne sont pas suffisantes à mes yeux en ce qui concerne la problématique, tabou des tabous, des violences sexuelles intrafamiliales envers les mineurs, autrement dit les violences à caractère incestueux, même si je sais que la mission ne traitait que les violences en institutions.
Si la loi votée en août 2018 a instauré un arsenal de mesures utiles et nécessaires, je regrette que, lors de l’examen de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, aucun de mes amendements tendant à proposer une surqualification pénale de l’inceste n’ait été repris par le Gouvernement. J’estime en effet qu’il est urgent de durcir la pénalisation des infractions sexuelles à caractère incestueux. Ce dossier doit être ouvert à la réflexion des parlementaires. Notre pays est très en retard dans la mesure du phénomène et ne dispose pas d’outils statistiques satisfaisants.
Le bilan de cette réforme devant le Parlement permettra-t-il de combler ce vide ? Pouvez-vous nous préciser quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour agir contre ce fléau ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La seule étude épidémiologique sérieuse sur l’inceste qui ait été faite dans le monde a été réalisée aux États-Unis. On estime que 6 % de la population américaine a été victime d’inceste.
La seule étude, déclarative, qui a été faite en France conclut que 4 millions de nos concitoyens ont été victimes d’inceste, ce qui correspond à 6 % de la population française.
Vous avez raison, c’est probablement le tabou des tabous, parce qu’il renvoie à ce que l’homme a sans doute de plus abject en lui et parce qu’il sape l’un des fondements de notre société, la famille. J’ai évidemment rencontré de nombreuses associations ces dernières semaines, en particulier l’association Les Papillons de Laurent Boyet, que vous devez connaître, pour voir comment traiter ce sujet.
Toutes les mesures que nous allons annoncer en novembre prochain auront aussi pour but de tenter de diminuer le nombre de comportements incestueux dans notre pays. Nous ne prévoyons pas de mesures spécifiques, à ce stade tout du moins, pour traiter l’inceste, mais toutes les mesures que nous allons prendre auront vocation à s’attaquer aussi à ce fléau.
Je le répète, je pense que la libération de la parole est l’un des leviers que nous devons collectivement actionner, sachant que le cercle familial est celui où la parole est la plus verrouillée. Ce verrou est le plus difficile à faire sauter, il nécessite un travail de fond.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde, pour la réplique.
Mme Françoise Laborde. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse. Nous poursuivrons cette discussion lors de l’examen de la proposition de résolution n° 751 que je viens de déposer et qui sera cosignée, je pense, par bon nombre de mes collègues, au sujet de la surqualification pénale de l’inceste.
Bien sûr, dans le prolongement du rapport d’information dont nous débattons aujourd’hui, je salue la constitution par le Sénat du groupe de travail sur l’obligation de signalement des violences commises sur mineurs pour les professions tenues au secret. Je suis favorable à une telle mesure, que nous avions d’ailleurs demandée en vain lors de l’examen de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
Nos recommandations, monsieur le secrétaire d’État, sont souvent qualifiées d’intéressantes, mais finalement rejetées. C’est peut-être par manque de cohérence ou de cohésion dans l’hémicycle, mais aussi à cause de l’article 40 de la Constitution. J’espère que vous serez de notre côté.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Le 5 septembre dernier, un protocole de signalement des violences sexuelles a été signé entre le procureur et l’archevêque de Paris, et ce pour une période d’expérimentation d’un an. Cette démarche, déjà entreprise par les parquets avec d’autres institutions telles que l’éducation nationale ou les hôpitaux, est inédite pour l’Église. Elle va dans le bon sens : d’abord, parce qu’elle enclenche une dynamique de facilitation des signalements ; ensuite, parce qu’elle a le mérite de responsabiliser les parties prenantes.
Cependant, ce genre de protocole nous interroge déjà par son caractère expérimental et coopératif. L’existence d’un tel dispositif met notamment au jour nos lacunes juridiques en matière de signalement des violences sexuelles sur mineurs. Certains acteurs auditionnés par la mission d’information ont en effet souligné que l’option de conscience permettant aux personnes soumises au secret professionnel de dénoncer des infractions sur mineurs ne suffit pas à établir un cadre légal lisible. Cette clarté constitue pourtant un enjeu primordial, à la fois pour protéger l’enfant victime de violences sexuelles et le professionnel susceptible d’en avoir connaissance.
Le rapport d’information préconise d’ouvrir une réflexion sur l’introduction dans le code pénal d’une obligation de signalement pour les professionnels de santé, les travailleurs sociaux et les ministres du culte lorsqu’ils constatent qu’un mineur est victime de violences physiques, psychiques ou sexuelles. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point, monsieur le secrétaire d’État ? Cela vous paraît-il pertinent pour renforcer la protection des mineurs victimes de violences sexuelles dans un cadre institutionnel ?
Par ailleurs, dans le cadre de la stratégie nationale pour la protection de l’enfance, envisagez-vous de prendre des mesures pour garantir que les violences sur mineurs soient signalées ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Le protocole conclu entre l’Église et le parquet que vous mentionnez intervient à juste titre pour faciliter le signalement dans ce cas de figure.
Je rappellerai en préambule l’état du droit, si vous le permettez, car des dispositions existent et, comme souvent, ce sont nos pratiques qui font défaut, en particulier l’absence de coordination et de partage d’information.
Le rapport souligne que bien peu de signalements - 4 % à 10 % - proviennent du secteur médical, qui est pourtant dans une position privilégiée pour repérer les maltraitances. Ce phénomène m’a également alerté. Cependant, l’article 226-14 du code pénal prévoit une levée du secret professionnel médical en cas de suspicion permettant de présumer des violences physiques, psychiques ou sexuelles. Les dispositions existantes sont cohérentes avec le caractère subsidiaire de l’intervention judiciaire par rapport à la protection de l’enfance, tant en termes de repérage que d’intervention.
Dans ce cadre, introduire une obligation de signalement au sens judiciaire du terme serait contre-productif, et ce pour trois raisons. Premièrement, cela risquerait de mettre en péril la centralisation des informations à la CRIP, et donc sa capacité à évaluer correctement les situations. Deuxièmement, l’autorité judiciaire serait engorgée par des signalements, qui, par la suite, ne seraient pas évalués correctement ni croisés avec d’autres informations, mais simplement classés. Troisièmement, une telle obligation pourrait donner lieu à des placements judiciaires intempestifs, alors qu’une évaluation par la CRIP ou une intervention au niveau administratif aurait pu suffire.
En revanche, nous souhaitons faire en sorte que l’obligation de transmettre des informations préoccupantes soit pleinement respectée par les professionnels. C’est le sens sous-jacent de votre question. Un travail prenant en compte deux difficultés que nous avons pu repérer est engagé : les professionnels ne sont pas suffisamment sensibilisés et informés, et les institutions ne font pas remonter les signalements en interne. Ainsi, un guide relatif à la prise en charge des mineurs victimes à destination des professionnels est en cours d’actualisation et devrait être prochainement diffusé à l’ensemble d’entre eux.
Le problème ne vient pas tant, nous semble-t-il, d’un défaut d’obligation que d’un manque d’information et de coordination. Les textes sont explicites ; il s’agit de mieux les faire connaître et respecter.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Un chiffre : 265 000 ! Il s’agit du nombre de personnes s’estimant victimes d’abus sexuels en France en 2017. Plus que des faits divers, c’est un véritable phénomène de masse que révèle ce chiffre. Dès l’enfance, ce sont des vies brisées. Dès lors, quelle est la réponse du Gouvernement à cette pandémie ? Quelle réponse l’exécutif souhaite-t-il donner à ces enfants souffrant de traumatismes durables ?
C’est pour répondre à ces attentes que le Sénat s’est saisi de cette thématique par le biais d’une mission d’information. Par nos travaux, nous avons notamment constaté l’absence de moyens mis en place afin d’aider les victimes à surmonter leur psychotraumatisme : manque de formation des praticiens médicaux, manque d’infrastructures spécialisées aux besoins psychiatriques et infantiles, prise en charge incomplète des frais médicaux. Le chemin est encore long pour que nous donnions aux victimes le suivi qu’elles méritent.
Mes questions sont donc les suivantes : dans un contexte où la psychiatrie des mineurs est sinistrée, quels moyens seront mis en place afin de mettre fin à ces déserts médicaux ? Enfin, prévoyez-vous la prise en charge intégrale des frais médicaux d’accompagnement psychologique ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Pour répondre brièvement à votre première question, j’indique que le Gouvernement présentera en novembre un plan de lutte contre les violences et mettra l’accent sur la prévention, parce que, pour protéger les enfants, il faut parfois mieux accompagner les parents dans leur projet parental. Il s’agit notamment de tout ce qui a trait aux 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant, projet évoqué par Mme la présidente Deroche.
S’agissant de la prise en charge du psychotraumatisme, vous avez raison, tous les acteurs que j’ai rencontrés au cours de mes déplacements m’ont parlé des problèmes rencontrés par la pédopsychiatrie dans notre pays. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, en a conscience. Elle a annoncé l’année dernière un plan d’investissement de 100 millions d’euros pour la psychiatrie, qui concernera pour partie la pédopsychiatrie. Il s’agit de reconstituer une filière, madame la sénatrice. Or, nous le savons, cela prendra cinq à six ans.
Nous avons créé dix postes de chef de clinique l’an dernier ; nous en créons dix autres cette année, sauf erreur de ma part. Dans l’intervalle, nous constituons des équipes mobiles afin d’accompagner les enfants victimes. Comme vous le savez probablement, le Président de la République a par ailleurs annoncé la création de dix centres de prise en charge traumatique, qui commencent à déployer leur action auprès des personnes victimes de violences.
C’est l’ensemble de ces mesures que nous sommes en train de mettre en place.
Quant à la question de l’extension aux soins psychologiques, c’est une proposition qui doit être expertisée tant dans son coût, vous vous en doutez, que dans sa mise en œuvre en termes notamment de procédure d’orientation, de formation et de coordination des professionnels. Une expérimentation que vous connaissez peut-être, appelée « Écoutez-moi », est mise en œuvre pour une durée de trois ans, avec un suivi national interministériel, ainsi qu’une évaluation prévue avant sa généralisation éventuelle si tant est que le modèle s’avère pertinent.
J’espère avoir répondu à vos deux questions, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Vous n’avez pas répondu à ma deuxième question : prévoyez-vous la prise en charge intégrale des frais médicaux d’accompagnement psychologique ? Soyez sûr que notre groupe sera particulièrement vigilant quant aux moyens alloués à ces domaines au moment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
J’attends votre réponse à ma deuxième question, monsieur le secrétaire d’État !
M. Stéphane Piednoir. Ce ne sera pas pour aujourd’hui ! (Sourires.)
Mme la présidente. Effectivement, M. le secrétaire d’État a épuisé son temps de parole.
La parole est à Mme Annick Billon.
Mme Annick Billon. J’ai participé avec intérêt aux travaux de la mission commune d’information sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs, et je tiens à saluer le travail accompli par sa présidente et les corapporteures. Le rapport formule des propositions utiles et pertinentes qui permettront d’avancer dans la prévention, la prise en charge des victimes, mais aussi des auteurs, ainsi que dans la connaissance du phénomène.
Je souhaiterais revenir sur la question du signalement, au risque d’être redondante. Cette disposition, pourtant adoptée par le Sénat dans le cadre de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, avait été par la suite supprimée par la commission mixte paritaire. Une mission commune aux commissions des affaires sociales et des lois travaille actuellement sur cette question spécifique du signalement. Il me paraît en effet nécessaire de poursuivre les investigations sur ce sujet pour clarifier le droit applicable, parfois méconnu, et franchir une étape supplémentaire au bénéfice de la protection des enfants. Car le signalement ne saurait être associé à la délation ! Au contraire, il s’agit d’une responsabilité qui peut sauver des vies.
Le secret médical est certes un principe cardinal du code de déontologie médicale, mais il ne saurait supplanter la protection de l’enfant. Je rappelle, à ce titre, que 5 % seulement des enfants victimes de violence sont détectés par les médecins. Ce chiffre est forcément trop faible. Par ailleurs, le nombre de médecins scolaires a chuté de 25 % ces dix dernières années. Dans ces circonstances, comment repérer les violences ?
C’est pourquoi je souhaiterais vous demander, monsieur le secrétaire d’État, même si vous avez déjà en partie répondu à mon collègue Mohamed Soilihi, quelle est la position du Gouvernement sur l’introduction dans le code pénal d’une obligation de signalement des violences à l’attention des professionnels de santé. Enfin, des financements sont-ils prévus dans le budget pour 2020 afin de compenser l’alarmante déperdition de médecins et d’infirmiers scolaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous me parlez des professionnels, je vais vous parler des citoyens. Seul un Français sur quatre, face à une suspicion de violence, appelle le 119 ou un service d’urgence. Je le dis solennellement, cette responsabilité repose aussi sur chacun de nous. Face à cette situation, il n’est pas question de délation, seulement de protéger les enfants.
S’agissant des professionnels, au risque d’être redondant dans ma réponse…
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Dans ce cas-là, répondez plutôt à Mme Benbassa !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. J’ai répondu à Mme Benbassa, contrairement à ce qu’elle a dit.
Les textes existent, madame la sénatrice. Une obligation de dénoncer s’impose, y compris au dépositaire d’un secret professionnel lorsque le crime ou le délit est susceptible de se produire. Si une meilleure connaissance de la procédure de signalement par les praticiens de santé apparaît nécessaire, des outils existent et un travail est engagé pour améliorer leur diffusion, je l’évoquais précédemment.
La systématisation d’une obligation de signalement pour l’ensemble des infractions pénales pourrait avoir pour conséquence d’entamer la confiance dont bénéficient au premier chef les professionnels de santé et d’empêcher le recueil d’informations préoccupantes, ou encore de constituer un obstacle supplémentaire aux soins nécessaires aux enfants victimes, sans compter le risque de noyer les services départementaux.
En réalité, le problème ne vient pas tant, me semble-t-il, d’un défaut d’obligation, laquelle existe, y compris pour les professionnels soumis au secret médical, que d’un manque d’information et de coordination dans la mise en œuvre des dispositifs existants.
Le plan 2017-2019 élaboré par Laurence Rossignol prévoit la mise en place d’un référent sur les violences sexuelles au sein de l’hôpital – on pourrait l’envisager au sein des unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques. Ce dernier pourrait être l’interlocuteur des professionnels de santé pour faire remonter les suspicions de violences, en évitant le sentiment d’isolement face à une telle situation.
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de saluer en tribune les membres du conseil municipal de Ranspach-le-Bas, dont je suis moi aussi membre (Sourires.), et Mme le maire, Sandra Muth. Soyez-les bienvenus ! (Applaudissements.)
La parole est à M. Bernard Bonne.
M. Bernard Bonne. Permettez-moi d’abord de saluer le travail remarquable fourni par nos collègues rapporteures et, en particulier, par la présidente Catherine Deroche.
Le rapport montre clairement que la consultation du FIJAISV, qui contient davantage d’informations que le casier judiciaire, notamment l’ensemble des condamnations même non encore définitives, est loin d’être systématique.
Ainsi, au sein des établissements d’accueil du jeune enfant agréés par les conseils départementaux et dans ceux agissant dans le cadre de la protection de l’enfance, seul le bulletin n° 2 du casier judiciaire est interrogé. Il en va de même pour le contrôle effectué pour les employés travaillant au contact des enfants handicapés. C’est aussi le cas lors de la procédure d’agrément des assistantes maternelles par les services du conseil départemental.
Ce contrôle paraît largement insuffisant au regard de la vulnérabilité des publics concernés.
Mais, plus encore, il arrive que ces structures, pour faire face à des absences ou a un manque de personnel, soient contraintes d’embaucher à titre temporaire du personnel moins qualifié, parfois même sans diplôme. Elles n’interrogent alors que très rarement le bulletin n° 2, et le président du conseil départemental ne peut exercer son contrôle sur les recrutements.
Monsieur le secrétaire d’État, comment rendre obligatoire par les organismes employeurs la consultation du FIJAISV avant tout recrutement, quel qu’il soit ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La question du FIJAISV se décompose en trois sous-questions : les conditions d’inscription à ce fichier, les conditions de consultation et les modalités de mise en œuvre de cette consultation auxquelles sont confrontées un certain nombre de collectivités ou d’associations.
Vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, deux outils nous permettent d’identifier les personnes qui ne doivent pas être mises en contact, occasionnel ou régulier, avec les mineurs : le B2 et le FIJAISV, qui comprend davantage de garanties puisqu’y figurent toutes les infractions, notamment celles en attente de jugement.
Nous voulons que ces outils performants soient plus efficacement utilisés. Les fichiers peuvent être améliorés, notamment les conditions d’inscription, et nous y travaillons avec la garde des sceaux. Il importe surtout de lever les freins à un usage massif et systématique de ces deux outils. Le FIJAISV, notamment, est insuffisamment consulté.
Les institutions que vous évoquez, l’aide sociale à l’enfance, les établissements d’accueil de jeunes enfants, ont la possibilité de consulter le FIJAISV, mais elles ne le font pas. Le ministère des sports et celui de l’éducation nationale ont instauré un système automatisé qui permet une consultation massive dans des délais conformes à la réalité de l’activité des personnes concernées. C’est ce que nous devons développer. En partenariat étroit avec le ministère de la justice, nous travaillons ainsi à garantir, par une action interministérielle d’envergure, un contrôle effectif des antécédents par l’intermédiaire du FIJAISV de toute personne exerçant une activité en contact régulier avec les mineurs. Nous devons coordonner et soutenir l’action des ministères à cet égard.
Au-delà de l’évolution normative et technique, nous devons mener une réflexion quant à la société que nous voulons pour nos concitoyens et leurs enfants. C’est un sujet sensible qui allie la protection des mineurs, mais aussi la liberté individuelle et la protection des données.
Mme la présidente. Je vous invite à conclure !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Pour moi, la protection des mineurs est supérieure à toute autre chose.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, pour la réplique.
M. Bernard Bonne. Le rapport de nos collègues préconise, pour plus d’efficacité, de mettre en place un dispositif de télédéclaration par l’employeur via une application sécurisée permettant d’interroger directement le fichier. Cet accès facilité au fichier ne pourrait-il pas être mis en place rapidement pour que les organismes puissent le consulter sur les personnes qu’ils emploient, temporairement ou pour une période plus longue ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Madame la présidente, permettez-moi de commencer mon propos par une pensée solidaire pour les fonctionnaires de la préfecture de police de Paris et leurs familles, frappés par un drame terrible il y a quelques minutes seulement. Plusieurs fonctionnaires de police sont décédés.
Monsieur le secrétaire d’État, le 28 septembre dernier, j’ai signé, avec ma collègue Laurence Rossignol notamment, l’appel visant à demander la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les abus sexuels au sein de l’Église catholique, aux côtés de l’association La Parole libérée, de Mme Bachelot et de Témoignage chrétien. En quelques jours, 30 000 signatures ont été recueillies. Le Sénat, pour des raisons qui lui appartiennent, a refusé la création de cette commission d’enquête, et la mission d’information est née.
Vous l’avez dit, tous les citoyens doivent se mobiliser.
Je rappelle que l’Australie a consacré 300 millions de dollars à la lutte contre ces phénomènes ; 40 000 personnes ont ainsi été identifiées. L’Irlande a nommé une commission d’enquête gouvernementale. Aux États-Unis, un procureur de Pennsylvanie a identifié 300 prêtres pédophiles. En Belgique, une commission parlementaire a été mise en place. En France, c’est la Conférence des évêques qui a créé la commission Sauvé, laquelle a déjà reçu 2 500 appels.
Ma question est donc la suivante : que fait l’État, puisque vous dites vouloir libérer la parole, pour permettre à toutes les victimes, actuelles ou passées, d’oser parler ? Le numéro d’appel d’urgence, le 119, est destiné à la maltraitance actuelle, mais que fait l’État pour les victimes antérieures ? (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. Madame de la Gontrie, le Sénat tout entier s’associe à vos propos concernant le décès de ces quatre policiers, auxquels nous rendons hommage.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. L’année 2018 a révélé en cascade l’ampleur insoupçonnée des abus sexuels commis par des membres du clergé catholique dans notre pays et, surtout, une forme de dissimulation de la part de la hiérarchie. Que fait l’État face à cela ?
Je ne me prononcerai pas sur la décision qui a été prise par cette noble assemblée ; cela ne relève pas de l’exécutif. Du point de vue du signalement, un protocole a été signé entre le procureur de la République et l’archevêque de Paris afin que toutes les dénonciations d’infractions sexuelles faites dans les diocèses soient désormais transmises systématiquement au parquet, même si la victime n’a pas porté plainte, de façon dérogatoire. Cela contribue à libérer la parole et à éviter que des affaires restent enfouies ou non traitées.
En outre, vous l’avez dit, la commission indépendante présidée par Jean-Marc Sauvé est chargée d’enquêter sur les abus sexuels commis sur les mineurs depuis les années cinquante. Elle bénéficie du soutien de l’État, de l’Inserm, qui analysera les témoignages, de la Maison des sciences de l’homme, qui produira des monographies sur des congrégations et diocèses déterminés, de l’École pratique des hautes études, qui travaillera sur la dimension sociohistorique et plongera dans les archives, mais aussi du ministère de la justice, qui demandera au parquet un inventaire des faits dont il a pu avoir connaissance. Enfin, les archives nationales et départementales pourront être sollicitées pour l’accompagner dans sa mission. Nous attendons les préconisations de cette commission.
Enfin, tout ce que nous allons mettre en place sur la prise en charge du psychotraumatisme, pour continuer de répondre à Mme Benbassa, bénéficiera aussi aux victimes de l’Église sur le chemin de la reconstruction.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour la réplique.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le secrétaire d’État, je suis attristée par votre réponse, ou alors nous ne nous sommes pas compris. La commission Sauvé, que je sache, n’est pas une initiative de l’État. Vous vous appuyez sur l’initiative de la Conférence des évêques de France : vous avouerez que c’est tout de même singulier !
La Chancellerie, dites-vous, demandera un inventaire au parquet. J’en conclus que ce n’est pas encore fait, et je pense qu’il serait utile que cette circulaire soit rendue publique.
Surtout, je parle aussi d’information, de communication. Lorsque l’Australie consacre 300 millions de dollars à la question, elle n’envoie pas une simple circulaire au parquet. Massivement, les victimes doivent savoir qu’elles ont le droit de parler et que nous serons à leurs côtés. C’est sur ce point que j’espérais du Gouvernement des engagements ambitieux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Ma question porte sur l’évaluation de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi Schiappa.
Si cette loi a permis plusieurs avancées pour protéger les mineurs contre les infractions sexuelles, elle est loin d’avoir répondu à toutes les attentes, notamment des associations de victimes. Il suffit d’analyser les décisions judiciaires prises depuis l’entrée en vigueur de la loi pour comprendre que les jugements ne sont toujours pas à la hauteur des enjeux. Je ne citerai que l’affaire du Mans concernant ce grand-père récidiviste ayant commis un viol sur sa petite-fille âgée de huit ans. Alors qu’il encourait théoriquement vingt ans de réclusion pour viol devant une cour d’assises, il a été condamné, en mars dernier, par un tribunal correctionnel, à huit mois seulement, et avec sursis !
Beaucoup d’experts doutent que la loi suffise à mettre fin à la correctionnalisation des procédures, au détriment des victimes. Près de quinze mois après son entrée en vigueur, il est donc souhaitable d’en évaluer les effets, un souhait d’ailleurs partagé par le Gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, puisque vous avez récemment confié une mission d’évaluation à la députée Alexandra Louis.
Ma question est double. Premièrement, la garde des sceaux Nicole Belloubet a déclaré en juin dernier à l’Assemblée nationale que la loi Schiappa contenait des évolutions positives dont les juges s’étaient déjà emparés. Pouvez-vous nous faire part de vos premiers retours d’expérience permettant de mesurer l’impact de cette loi ? Conduit-elle les juges à retenir plus fréquemment la qualification de viol ? Permet-elle aux victimes déposant plainte plus de trente ans après les faits de faire condamner plus facilement leur agresseur ou aboutit-elle au contraire à des classements sans suite décevants ?
Ma deuxième question a davantage trait à la méthode que vous avez choisie pour procéder à l’évaluation de la loi. Accepteriez-vous de confier cette démarche d’évaluation à un collège pluraliste associant députés et sénateurs ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je ne souhaite pas polémiquer sur les débats qui ont eu lieu à l’époque de l’examen de la loi Schiappa. Attendons les conclusions de la mission d’évaluation confiée à Alexandra Louis, qui étudiera l’ensemble des mesures qui ont été prises depuis.
Dans mes déplacements, sans en tirer aucune conclusion, car nous n’avons, vous comme moi, qu’une vision parcellaire à ce stade, certains juges que je rencontre se félicitent de la correctionnalisation, qui a permis d’accélérer les procédures et d’engager des poursuites qui n’auraient pas pu l’être précédemment. Ce n’est, bien entendu, qu’une remontée de terrain : il convient de la laisser à sa juste place, parmi l’ensemble des autres données à analyser.
Nous devons certes porter un regard exigeant sur notre action, mais la loi du 3 août 2018 a aggravé la répression et retardé la prescription d’un certain nombre d’infractions sexuelles. Elle comporte de réelles avancées, rappelons-le.
Dès le départ, la secrétaire d’État s’est engagée à suivre les recommandations de la mission. Quant à savoir si nous accepterions qu’une mission transpartisane procède à l’évaluation de la loi, je ne peux pas répondre à la place de Mme Schiappa, mais je lui transmettrai votre demande.
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Tous les mois, la presse se fait l’écho de scandales insupportables au sein même des institutions qui accueillent des enfants et qui ont aussi pour mission de les protéger. Ainsi, le 23 septembre dernier, au Mans, une éducatrice a été condamnée pour des atteintes sexuelles sur mineurs commises entre 2011 et 2018. Deux jours plus tard, le 25 septembre, Le Parisien rapportait qu’un directeur de centre de loisirs des Yvelines, accusé du viol d’une enfant de trois ans, était mis en examen. Pourtant, ce dernier avait déjà été condamné en 2017 pour exhibition sexuelle. Comment est-il possible que des personnes condamnées pour exhibition sexuelle puissent encore travailler au sein d’institutions accueillant des enfants ?
Le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes, le FIJAISV, a justement pour objectif de prévenir la récidive des personnes déjà condamnées. Ne faudrait-il pas également inscrire dans ce fichier, par exemple, les personnes condamnées pour exhibition sexuelle ?
Ces drames posent aussi la question de l’évaluation des casiers judiciaires des personnes travaillant pour la protection de l’enfance. Si les structures ont accès à ces fichiers et sont en devoir de vérifier le casier judiciaire d’un salarié lors de son embauche, on constate qu’elles font très peu de vérifications ensuite au fil des carrières. Dans certaines situations, les structures ne sont même pas au courant de la condamnation d’un de leurs salariés, alors qu’il y a un risque évident pour les enfants !
Monsieur le secrétaire d’État, vous lancerez dans les semaines qui viennent un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, à l’occasion du trentième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant. Je vous sais sensible à ces questions, que nous avons eu l’occasion d’évoquer ensemble. Dès lors, pouvez-vous nous indiquer quelles mesures le Gouvernement compte prendre ? Intégrerez-vous dans le plan que vous annoncerez au mois de novembre les propositions que j’ai avancées dans mon intervention ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Je ne me prononcerai pas sur les affaires en cours, par respect du principe de présomption d’innocence.
Évidemment, nous sommes tous bouleversés par ce genre de situations, qui peuvent susciter indignation, incompréhension et sentiment d’injustice. C’est pour combattre de telles réalités, notamment les difficultés rencontrées par certains établissements, que la loi dite Villefontaine du 14 avril 2016 a créé une obligation d’information des administrations par le procureur quand une personne a été condamnée, avec un régime spécifique pour la protection des mineurs.
Désormais, pour des infractions graves à caractère violent ou de nature sexuelle commises par des personnes en contact habituel avec des mineurs, le parquet doit obligatoirement transmettre les informations à l’établissement employeur, via l’administration de tutelle.
Dans les faits, on constate que cette obligation n’est pas toujours respectée et que cette possibilité pour l’employeur de consulter le fichier n’est pas forcément connue et utilisée. Quand elle l’est, les délais de réponse du FIJAISV sont parfois trop longs : les personnes sont déjà employées quand l’information est connue.
En partenariat étroit avec la garde des sceaux, nous travaillons à essayer de garantir que l’arsenal législatif dont nous disposons soit effectivement appliqué. Nous devons pour cela évaluer la mise en œuvre des dispositions récentes de la loi du 14 avril 2016 et mieux appréhender les difficultés rencontrées, pour rendre le cas échéant cette obligation plus effective.
Nous ne devons pas non plus nous leurrer et penser que le fichage de tous les individus condamnés pour des infractions sexuelles, quelle qu’en soit la nature, résoudra la question du passage à l’acte des agresseurs. Je renvoie à nos échanges sur la prévention, un aspect sur lequel nous devons également travailler.
Enfin, je ne pourrai répondre complètement à votre question sur notre plan en cours de préparation. Nos travaux doivent encore être finalisés, et je souhaite réserver la primeur de l’annonce, le 20 novembre prochain, aux différents acteurs, dont je ne doute pas que vous ferez partie, monsieur le sénateur. Sachez toutefois que la question des conditions d’inscription au fichier des agresseurs sexuels et des modalités concrètes de consultation de celui-ci fait partie de nos réflexions depuis le départ.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.
M. Michel Savin. Le sport n’est pas épargné par les violences sexuelles, comme tant d’autres milieux. Je le regrette profondément.
De nombreux sportifs ont récemment fait état de tels comportements à leur égard. Cette prise de conscience est importante, même si elle est encore trop faible. Leur mobilisation, comme celle, croissante, des pouvoirs publics, est une réelle avancée que nous devons profondément encourager.
La difficulté que le monde sportif rencontre pour lutter contre les violences sexuelles tient à l’absence de données sur le nombre d’actes et l’âge des victimes. Mais elle vient aussi d’un manque d’information et d’une véritable omerta sur le sujet. Trop souvent, les enfants se murent dans le silence.
L’association Colosse aux pieds d’argile, reconnue pour ses engagements contre les violences sexuelles dans le milieu du sport, nous rappelle que ces violences toucheraient environ 10 % des sportifs et 13 % des sportives.
Lors des auditions de notre mission, il a été souligné que la majorité des violences sexuelles commises dans le sport sont commises entre sportifs. Il n’en demeure pas moins qu’il existe malheureusement trop d’abus sexuels commis sur des enfants par un éducateur sportif ou un entraîneur. Je rappelle que, depuis 2015, près d’une centaine de cas d’éducateurs inscrits au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes ont été recensés. De nombreux trous dans la raquette demeurent toutefois. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous informer des mesures que compte prendre le Gouvernement sur la formation et l’information des éducateurs sportifs et des entraîneurs, mais aussi des présidents d’association, pour mieux les sensibiliser et les accompagner dans leurs missions ?
La ministre des sports avait annoncé vouloir expérimenter un dispositif de contrôle des casiers judiciaires des bénévoles, afin de protéger les jeunes licenciés. Qu’en est-il ? Aujourd’hui, des bénévoles peuvent être condamnés dans un département puis s’engager de nouveau dans un autre département. Comment avancer rapidement et concrètement sur ce sujet ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur le sénateur, le sport n’est pas épargné par les violences sexuelles, pour des raisons que le rapport a parfaitement soulignées.
Nous avons cherché à approfondir trois aspects, dans tous les milieux sportifs : la prévention, le signalement et le contrôle.
Prévenir suppose à la fois de mieux former les intervenants et de renforcer la sensibilisation. Je peux vous assurer que la ministre des sports est particulièrement concernée par ce sujet.
Depuis le premier semestre de 2019, la formation des cadres et des éducateurs sportifs intègre un module spécifique sur les violences sexuelles. C’est la première étape d’un plan de formation plus complet qui va mettre en place des modules spécifiques et obligatoires à destination des agents de la jeunesse et des sports.
Il est important de rappeler à l’éducateur qu’il est en position d’autorité par rapport à la personne qu’il encadre. J’assistais récemment avec la ministre des sports et l’association Colosse aux pieds d’argile au lancement de ce tour de France au Creps d’Île-de-France. Il était assez étonnant de découvrir la réaction des professionnels à cette sensibilisation. Leurs pratiques habituelles étaient subitement remises en cause, et on les voyait s’interroger sur la relation qu’ils entretiennent avec leurs élèves. C’est tout l’objet de cette sensibilisation, lancée depuis le 28 août dernier par le ministère des sports, qui soutient financièrement Colosse au pied d’argile ainsi que d’autres associations.
S’agissant du signalement des violences, nous travaillons à mieux informer les établissements et les structures de formation à travers une nouvelle collection d’outils, notamment des fiches réflexes pour mieux sensibiliser et accompagner les agents. Les mineurs doivent aussi davantage participer au signalement : un guide juridique à leur destination a été élaboré en octobre 2018.
Enfin, nous devons être plus vigilants sur le contrôle des intervenants et la question des bénévoles. Nous avons encore évoqué le sujet ce matin même, lors d’un déplacement avec la ministre au Creps des Hauts-de-France. En revanche, la question des modalités de mise en œuvre reste posée : par quel biais pouvons-nous contrôler l’honorabilité des bénévoles ? Faut-il en passer par une licence ou un autre dispositif ? La ministre est en train d’expertiser cette question.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Nous débattons aujourd’hui d’un sujet extrêmement grave, qui touche à la dignité de nos enfants. En effet, en 2017, 8 788 plaintes pour viol et 14 673 plaintes pour atteintes sexuelles sur mineurs ont été enregistrées. Mais combien de souffrances échappent à notre lecture ?
Comme le disait le juriste Denys de Béchillon, la correction des erreurs doit pouvoir suivre l’essai ; l’auteur de la norme doit pouvoir la reprendre ou l’amender assez aisément si l’expérience l’a vérifiée inappropriée, inefficace, voire dangereuse.
Ainsi, une double prévention est nécessaire : le signalement par l’entourage, d’une part, la facilitation de la libération de la parole, d’autre part. En complément, un recueil d’informations plus large doit également être établi. En effet, les démarches visant à accroître la connaissance du phénomène sont consubstantielles à celles qui visent à l’enrayer. Ces démarches doivent avoir pour triple finalité de déterminer selon quels indicateurs évaluer l’efficacité des mesures, vers quels secteurs porter l’attention du législateur et quelles sont les méthodes de prévention ou de lutte contre la récidive les plus appropriées dans les institutions.
Je tiens à saluer l’excellent et remarquable travail réalisé par la mission commune d’information, en particulier par sa présidente, Catherine Deroche, ainsi que par nos collègues Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien, dont le rapport propose la création d’un observatoire national des violences sexuelles sur mineurs, affilié à l’Observatoire national de la protection de l’enfance. Cet observatoire aurait notamment pour rôle la réalisation d’enquêtes épidémiologiques et criminologiques, sur le modèle de l’enquête Virage sur les violences faites aux femmes. Cette enquête aurait évidemment plus d’impact en étant établie selon un rythme régulier.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quel est votre avis sur la fonction de cet observatoire ? Quelle fréquence pourrait être envisagée pour ses études et quels moyens souhaitez-vous y consacrer ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La mission a été étonnée de constater à quel point nous disposions de peu de données sur les violences sexuelles. Mon étonnement fut le même quand je suis arrivé au ministère. Les informations étaient également rares sur les trajectoires et les parcours des jeunes de l’aide sociale à l’enfance, que l’on ne connaît pas. Or le pouvoir exécutif et les parlementaires ne peuvent pas mener des politiques publiques sans avoir une connaissance précise des personnes auxquelles elles s’adressent.
L’Observatoire national de la protection de l’enfance mène toutefois un certain nombre d’études. Des rapports assez documentés sur le plan scientifique ont également été rédigés récemment. Je pense en particulier au rapport assez dense du CNRS de 2017 sur les violences sexuelles à caractère incestueux sur mineurs. L’enquête de victimisation Virage de l’INED, que vous évoquiez à l’instant, madame la sénatrice, apporte notamment un éclairage sur l’articulation entre âge et exposition aux violences sexuelles et des données précises sur les impacts de ces violences dans le temps.
Pour autant, je vous rejoins sur ce point, nous devons améliorer notre connaissance de la protection de l’enfance dans son ensemble, qu’il s’agisse des violences sexuelles, des violences dans leur ensemble et de l’efficacité de notre système de protection de l’enfance.
Ce sujet recoupe celui de la gouvernance de la politique publique de protection de l’enfance. Comme vous le savez, elle est partagée entre l’État et les départements, qui en assurent la mise en œuvre très concrète dans les territoires. Nous devons améliorer ce pilotage conjoint. Nous devrions en la matière nous doter d’un véritable outil de recherche et de connaissance statistique – pourquoi pas un observatoire ? – dans lequel d’autres institutions, comme la Drees, par exemple, qui a des données statistiques, auront un rôle à jouer. Nous travaillerons au développement de ce projet l’année prochaine, pour une mise en place effective, je l’espère, au 1er janvier 2021.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. La mission d’information du Sénat ne traitait pas des infractions sexuelles commises dans le cadre familial, mais nous savons, chiffres à l’appui, que ce sont de loin les plus nombreuses.
L’un des axes de nos travaux porte en revanche sur la prévention de ces actes. Or, après les membres de la famille, les enseignants sont les adultes les plus fréquemment en contact avec les enfants et adolescents. Ils ont donc, de fait, un rôle non négligeable à jouer dans la détection des infractions sexuelles qui pourraient être commises à l’encontre de leurs élèves.
Sans prétention d’exhaustivité, nos auditions ont permis de dégager des « signaux d’alerte » qui peuvent permettre de reconnaître un enfant ou un adolescent victime : changement brutal de comportement ou de niveau scolaire, apparition de troubles auparavant absents, gestes sexualisés sans rapport avec ce qui est habituel pour un enfant de cet âge, etc. Aussi, pour que davantage d’infractions sexuelles puissent être détectées et ainsi stoppées dès le plus jeune âge, il me paraît essentiel d’intégrer à la formation des enseignants de l’éducation nationale un volet lié à l’identification de ces signes.
Par ailleurs, notre commission a souligné le rôle majeur joué par l’éducation nationale dans la sensibilisation aux violences sexuelles et à leur prévention auprès des enfants et adolescents. Or nous avons constaté que l’éducation à la sexualité dans le cadre scolaire n’est souvent pas effective, alors qu’elle pourrait justement permettre aux jeunes d’identifier plus facilement les limites que les adultes ne doivent pas franchir dans le cadre d’une classe. Là encore, les enseignants sont souvent peu formés et incapables de dispenser de tels « enseignements » à leurs élèves.
Monsieur le secrétaire d’État, j’en suis convaincu, la formation et la sensibilisation des enseignants constituent un levier important de la lutte contre les violences sexuelles commises à l’encontre des enfants. Le Gouvernement entend-il l’activer ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Oui, nous comptons l’activer, monsieur le sénateur.
Nous partageons votre point de vue sur le rôle que peuvent jouer les enseignants et l’importance de la formation et de la sensibilisation de ces personnels à la prévention et la détection des violences. Ils sont dans une position privilégiée pour transmettre les valeurs de respect du corps et de la dignité, sensibiliser les enfants aux violences sexuelles et repérer les situations d’abus ou de maltraitance. Il est donc essentiel qu’ils soient formés aux comportements à adopter, aux informations à communiquer et aux procédures à mettre en œuvre. C’est déjà le cas, en grande partie.
La formation, qu’elle soit initiale ou continue, est une obligation légale inscrite dans le code de l’éducation. Lors du cursus initial, une formation pluridisciplinaire à la prévention des violences, notamment sexuelles, est prévue pour le personnel scolaire. Dans le cadre de la formation continue, l’accent est mis sur la sensibilisation au repérage de signaux d’alerte, la connaissance du fonctionnement des dispositifs départementaux ou encore l’acquisition de compétences pour protéger les enfants en danger ou qui sont susceptibles de l’être.
Par ailleurs, tous les ans, un séminaire de formation dédié spécifiquement à l’éducation à la sexualité est inscrit dans la formation continue des cadres de l’éducation nationale.
En outre, le site Éduscol met à disposition de plus en plus de ressources pour aider les acteurs à repérer ces problématiques, à agir et à sensibiliser au moyen de guides, de plaquettes, de fiches techniques et de petits films.
Le problème ne réside donc pas tant dans le contenu que dans l’accès à celui-ci. Les efforts réalisés pour faire connaître davantage ces ressources exigent probablement un peu de temps pour que les effets soient véritablement visibles. Il faut donc que, sur le terrain, les professionnels de la protection de l’enfance et de l’éducation nationale se connaissent et travaillent plus souvent ensemble. Quand on se coordonne, que l’on partage l’information et que l’on essaye de développer une culture commune, cela se passe généralement tout de suite beaucoup mieux.
Enfin, sachez que nous travaillons avec le ministre de l’éducation nationale sur la question de la sensibilisation des enfants, dès la dernière année de maternelle, dans le cadre de l’éducation à la sexualité. Des annonces interviendront en novembre.
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour clore ce débat, la parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information.
Mme Catherine Deroche, présidente de la mission commune d’information. Je tiens à remercier le président du Sénat et la conférence des présidents d’avoir accepté la tenue de ce débat sur les conclusions du rapport de notre mission commune d’information, fruit d’un travail de plusieurs mois ayant donné lieu à de nombreuses auditions.
Je tiens également à remercier nos collègues qui se sont exprimés cet après-midi. Leurs questions très pertinentes ont permis d’aborder, avec des exemples concrets, la plupart des propositions que nous avions formulées dans notre rapport.
Je tiens enfin à remercier le secrétaire d’État, Adrien Taquet, pour les réponses qu’il nous a apportées. Je sais que ce jeu de questions-réponses est difficile, compte tenu de la grande variété des sujets qui sont abordés, mais aussi du temps contraint du débat.
La politique de lutte contre les violences sexuelles est par nature transversale : elle implique un grand nombre d’acteurs, dont les départements et les communes. Nous avons d’ailleurs constaté combien ces dernières ne connaissaient pas les dispositions auxquelles elles pouvaient se référer pour tenter de protéger au mieux les jeunes qu’elles accueillent. Nous nous réjouissons donc qu’un membre du Gouvernement soit spécifiquement chargé de ce sujet, et nous vous faisons confiance pour la suite de votre action, monsieur le secrétaire d’État.
Enfin, je reviens sur un sujet que nous n’avons pas traité de façon complète dans nos travaux : le signalement. Nous ne voulions pas revenir sur la loi Schiappa, qui s’appliquait seulement depuis quelques mois. Cependant, nous souhaitions poursuivre le débat.
La commission des lois et celle des affaires sociales ont accepté qu’un groupe de travail spécifique soit formé pour examiner cette question. Deux rapporteurs de la commission des affaires sociales et deux de la commission des lois ont déjà mené sept auditions cette semaine.
L’objectif est de voir comment l’arsenal législatif existant est appliqué, quelles sont ses limites, quelles sont les améliorations à y apporter avant d’imposer une obligation de signalement. Nous souhaitons disposer d’un véritable état des lieux de l’existant et de la connaissance par les professionnels de santé, en particulier les médecins, mais aussi les travailleurs sociaux et les ministres du culte. Nous recevrons prochainement le président de la Conférence des évêques de France, et il faut savoir que la jurisprudence assimile depuis longtemps le secret de la confession ou secret sacerdotal à un secret professionnel.
Nous rendrons nos travaux prochainement et souhaitons évidemment qu’ils soient suivis d’effets. Les pistes que vous avez tracées sont plutôt encourageantes, monsieur le secrétaire d’État, mais nous serons très attentifs à vos prochaines annonces et nous verrons, lors du PLFSS et du PLF, si toutes les charges que l’on impute à d’autres dont effectivement suivies d’effets budgétaires permettant de les assumer. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Santé en Guyane
Débat organisé à la demande de la commission des affaires sociales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires sociales, sur la santé en Guyane.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires sociales, auteur de la demande.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce vaste territoire de France couvert de forêt amazonienne qu’est la Guyane possède, nous le savons tous, d’innombrables atouts ; mais, pour des raisons évidentes, tenant à sa géographie et également du fait de son contexte démographique et social, la Guyane fait aussi face à des défis singuliers.
Singuliers, ces défis le sont au regard de ceux de l’Hexagone, mais aussi de ceux des autres régions ultramarines. C’est à juste raison que, ici, nous parlons toujours des outre-mer au pluriel : nous savons bien que, si le copier-coller est une tentation, plaquer la même grille de lecture sur tous les territoires serait évidemment inopérant. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que le Sénat consacre un temps spécifique à la santé en Guyane. Je me réjouis donc de la tenue de ce débat, qui nous permet de faire le point sur l’action menée par le Gouvernement, plus de deux ans après les accords de Cayenne, qui ont mis fin à un mouvement social dans lequel les questions de santé étaient sous-jacentes.
Lors d’une mission sur place, au printemps 2018, la commission des affaires sociales a été interpellée par la situation sanitaire guyanaise. Ce territoire nous est apparu comme une caisse de résonance des défis qui se posent à notre système de santé.
La démographie, cinq fois plus dynamique que la moyenne nationale, met tout le système en tension. Nous avons rencontré des équipes de soins engagées et dévouées, à l’instar de celles de métropole, mais que leur environnement général conduit, en pratique quotidienne, à l’épuisement : vétusté des équipements, précarité sociale des populations prises en charge – 20 % à 30 % des patients reçus à l’hôpital sont sans couverture sociale ou sans papier –, indicateurs de santé dégradés ; toutes difficultés auxquelles s’ajoutent le manque de professionnels et l’important turnover des équipes.
La crise survenue dès mai 2018 aux urgences de l’hôpital de Cayenne en a donné une illustration. Cette crise prend racine dans des déterminants multiples et profonds.
L’accès aux soins figure au premier rang de ces défis. L’enclavement des zones de l’intérieur le transforme en parcours du combattant pour une partie de la population. De fait, moins de la moitié des dix-huit centres délocalisés de prévention et de soins qui maillent le territoire offrent une présence médicale continue.
Dans ce contexte, des initiatives intéressantes nous sont apparues encore trop peu exploitées, comme le développement d’hôtels hospitaliers permettant de réduire la pression sur les services. En outre, le coût des évacuations sanitaires, qui pèse sur les budgets des établissements de santé, mérite, nous semble-t-il, un traitement spécifique.
Sans surprise, l’ensemble de la Guyane est classé déficitaire en offre de soins, avec moins de 600 médecins en activité. L’hôpital subit les carences de l’amont – l’offre libérale parfois quasi inexistante – comme de l’aval – des structures médico-sociales d’accueil en nombre largement insuffisant.
Tous les métiers de la santé sont en souffrance, mais le manque se fait, dans certaines spécialités, particulièrement criant. C’est le cas en pédiatrie et en néonatalité, alors que la Guyane enregistre 9 000 naissances par an et que 40 % de sa population a moins de vingt ans.
Bien évidemment, en Guyane comme dans toutes les régions, la question de l’attractivité pour les professionnels de santé est étroitement corrélée à des enjeux plus globaux d’attractivité du territoire, auxquels les élus guyanais sont particulièrement attentifs. Toujours est-il que des leviers d’action sont mobilisables pour adapter l’organisation de l’offre de soins à ces défis.
Ainsi, il me semble que la Guyane devrait être à l’avant-garde de la transformation souhaitée de notre système de santé, en s’appuyant sur l’innovation. Je pense notamment aux coopérations entre professionnels de santé, qui pourraient faire des sages-femmes ou des infirmiers un relais pour développer la prévention. À cet égard, nous reviendrons sur les constats dressés par la Cour des comptes en ce qui concerne le VIH, dans un rapport établi à la demande de notre commission.
Les enjeux de la formation des professionnels de santé sont également majeurs. J’appelle votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur l’importance d’offrir sur place des terrains de stage aux futurs médecins et de développer les formations d’infirmier et de sage-femme. Sans être un CHU, le centre hospitalier de Cayenne présente des services de pointe, par exemple en matière de maladies infectieuses, qui méritent de servir de centres de référence au plan national et de catalyseurs de l’attractivité médicale dans la région.
Il me semble également que nous ne tirons pas pleinement parti du recours, déjà possible en Guyane, à des médecins diplômés hors de l’Union européenne ; la réflexion nous a souvent été faite, monsieur le secrétaire d’État, et je crois qu’il faut en tenir compte. Nous avons, au Sénat, pris l’initiative d’étendre ce dispositif aux Antilles lors de l’examen de la loi Santé. Je souhaite que le cadre rénové mis en place contribue à faciliter ces recrutements, étant entendu que, évidemment, nous devons rester intransigeants sur la qualité de la formation de ces médecins. Nous pensons en particulier à Cuba, où la formation à la médecine est particulièrement intéressante.
Alors que le Gouvernement a missionné sur place de multiples experts, pouvez-vous nous éclairer, monsieur le secrétaire d’État, sur les leviers que vous entendez actionner pour répondre à l’urgence de l’attractivité médicale de la Guyane et au malaise de ses équipes de soins ?
D’autres défis rejoignent pour partie la situation exceptionnelle de Mayotte, où j’ai souhaité que la commission se rende en mission l’année prochaine. Ainsi, la pression migratoire accentue les enjeux d’accès aux droits et aux soins. Pour ces deux territoires, le Premier ministre a confié en 2018 à notre ancienne collègue Dominique Voynet et au préfet Marcel Renouf une mission sur la coopération transfrontalière. Quelles suites le Gouvernement entend-il donner à ces travaux ?
Ce débat nous permet d’aborder sous le prisme de la santé des enjeux transversaux, dont cette intervention liminaire n’aura offert qu’un panorama succinct et incomplet. Aucune question ne trouve de réponse aisée, mais vous pouvez compter, monsieur le secrétaire d’État, sur notre volonté partagée de rechercher ensemble les solutions les mieux adaptées aux défis sanitaires d’un territoire riche de sa jeunesse et de sa diversité. Puisse ce débat y contribuer ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez choisi de débattre de la Guyane. Permettez-moi de saisir cette occasion de rendre hommage à un grand homme politique qui nous a quittés tout récemment après avoir marqué notre Ve République, car il était un ami des outre-mer, parmi lesquels la Guyane, qu’il visita à neuf reprises comme Président de la République. « C’est grâce, en grande partie, à ces terres de l’outre-mer français que la France est et reste une grande Nation », disait-il.
Son parcours et ses décisions ont marqué profondément nos territoires ultramarins. Je songe en particulier à la décision de faire du 10 mai la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions.
Il avait compris bien avant nous la richesse de ce territoire, ses spécificités et ses défis, immenses, à la mesure d’un territoire où, peut-on penser, tout n’est qu’extrême. De fait, la population guyanaise a plus que doublé en vingt ans : les moins de vingt ans représentent 42 % de la population, contre moins de 24 % dans l’Hexagone. Mais l’espérance de vie est en Guyane inférieure de deux ans à celle observée en métropole. Par ailleurs, il y a sur le sol guyanais dix fois plus d’homicides que dans l’Hexagone.
L’économie locale est nourrie à 90 % par la commande publique. La Guyane, qui compte seulement soixante et un médecins pour 100 000 habitants, présente en outre un taux d’équipement trois fois inférieur à la moyenne nationale.
Comme vous l’avez expliqué, monsieur le président de la commission des affaires sociales, en vous appuyant sur le voyage que votre commission a accompli en Guyane, le diagnostic en matière de santé est sévère.
Je saisis cette occasion de m’excuser auprès des parlementaires guyanais, du président de la collectivité et de toutes les autorités locales d’avoir dû reporter, à mon grand regret, la visite que je devais faire sur place. J’accomplirai d’ici à la fin de l’année ce déplacement consacré à la protection de l’enfance et, plus globalement, aux questions qui nous rassemblent cet après-midi.
Oui, la Guyane connaît des difficultés particulières, liées notamment à son territoire, à sa démographie et à son histoire. Ce n’est pas un hasard si, quelques mois après son élection, le Président de la République s’est rendu sur place : la Guyane est connue comme l’un des territoires les plus difficiles et les plus en crise de nos outre-mer.
Dès le début du quinquennat, la Guyane a bénéficié, notamment en matière de santé, d’une mobilisation générale du Gouvernement. Ainsi, 25 millions d’euros ont été attribués dès 2017 au centre hospitalier de Saint-Laurent-du-Maroni pour lui permettre de faire face à son budget d’investissement. Le centre médico-chirurgical de Kourou, mis en vente par la Croix-Rouge, a été transformé en hôpital public. Quant à l’hôpital de Cayenne, il a bénéficié d’un abondement exceptionnel de trésorerie de 20 millions d’euros, ainsi que de 40 millions d’euros pour un programme spécial d’investissement.
Au-delà de la nécessité de s’atteler à la rénovation des infrastructures, je ne puis, monsieur le président de la commission des affaires sociales, que vous donner raison : il faut également combattre le manque de professionnels de santé.
On comptait, au 1er janvier 2018, 611 médecins inscrits à l’Ordre de Guyane ou déclarant une activité dans ce territoire, dont 59 % sont des généralistes. La densité de médecins généralistes libéraux est en Guyane plus de deux fois inférieure à celle observée dans l’Hexagone, et les autres professions de santé sont également caractérisées par des effectifs et des densités pour 100 000 habitants très faibles relativement à d’autres territoires, et de manière générale à l’Hexagone.
Permettez toutefois au secrétaire d’État chargé de l’enfance de mettre en lumière une donnée positive : la densité de sages-femmes, en réponse au nombre élevé de naissances sur le territoire, est plus élevée en Guyane que dans l’Hexagone.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Les raisons en sont évidentes !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je puis vous assurer que, avec l’Agence régionale de santé, nous mettons tout en œuvre pour attirer des professionnels sur place, soutenir la formation et enrichir les fonctions des professionnels paramédicaux, comme vous nous y avez invités, monsieur le président de la commission des affaires sociales. Au reste, l’évolution des effectifs des professionnels de santé a suivi une tendance plutôt favorable ces dernières années, même s’il reste du chemin à accomplir.
Trois mesures doivent permettre un meilleur accès à l’offre de soins.
D’abord, les trois maisons de santé du territoire font l’objet d’un accompagnement via une enveloppe du fonds d’intervention régional mise à disposition de l’ARS pour aider les porteurs de projet.
Ensuite, dans le cadre du comité interministériel de la santé, le Premier ministre et la ministre des solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, ont présenté les mesures du plan Priorité prévention, parmi lesquelles figure la création, sur des crédits de l’assurance maladie, de 100 postes d’assistant spécialiste à temps partagé avec une obligation d’exercice en outre-mer, par recrutement annuel de 50 postes, à partir de novembre 2018. Cette mesure répond au double objectif de renforcer l’offre locale de soins et de participer à la réduction des inégalités territoriales, inscrit dans la stratégie nationale de santé et que nous déclinons spécifiquement pour l’outre-mer.
Enfin, l’ARS de Guyane a conclu une convention avec l’AP-HP aux fins de mieux structurer les relations, la supervision et la recherche de partenariats et de candidats de part et d’autre. Je pense que nous y reviendrons dans le débat à la faveur de certaines questions. Cet accord a des effets intéressants sur certaines filières de prise en charge ; j’aurai l’occasion de développer dans quelques instants.
Reste qu’il n’est pas possible d’agir sur les défis sanitaires sans prendre en considération d’autres facteurs. Ainsi, vous savez mieux que moi que le schéma routier doit être soutenu et développé : le Président de la République a annoncé que ce serait le cas. Je pense également aux partenariats avec les pays voisins, pour pouvoir recevoir des citoyens de ces pays limitrophes quand cela est nécessaire, tout en contrôlant l’afflux de ces femmes et de ces hommes qui, parfois, peuvent empêcher l’accès aux soins ou le rendre plus difficile encore.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance, avant de répondre à vos questions. Je répondrai à certaines de vos questions, monsieur le président de la commission des affaires sociales, en même temps qu’à celles de vos collègues.
Soyez assurés que le ministère des solidarités et de la santé a pleinement conscience des problématiques de ce territoire, qui sont spécifiques, mais aussi de ses richesses et de son potentiel. Comme tous les territoires d’outre-mer, la Guyane a besoin du soutien de l’État et du respect des engagements pris. Notre volonté est sans faille, car, comme l’a dit le Président de la République, « les territoires d’outre-mer sont des trésors pour la République : c’est la République sur tous les océans ! »
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question et que le Gouvernement dispose d’une durée équivalente pour y répondre.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nassimah Dindar.
Mme Nassimah Dindar. Je salue M. le président de la commission des affaires sociales, Alain Milon, qui a déjà formulé une partie des questions que, après avoir lu avec beaucoup d’attention le rapport publié par la commission à la suite de son déplacement en Guyane, je souhaite vous poser, monsieur le secrétaire d’État.
L’ensemble du territoire guyanais est classé déficitaire pour l’offre de soins. La pédiatrie, la protection maternelle et infantile, le handicap, le nombre de places en Ehpad : autant d’indicateurs qui virent au rouge, alors que nous parlons de l’accompagnement d’un public vulnérable sur un territoire, vous l’avez vous-même souligné, largement sinistré. En Guyane, dit-on souvent, les professionnels vivent une situation de crise permanente.
L’offre de soins, insuffisante, n’est pas adaptée, selon les Guyanais eux-mêmes, à l’organisation territoriale, en sorte que tous les bassins de population ne bénéficient pas d’un égal accès aux soins. Bassin de l’ouest, dans la vallée du Bas-Maroni, bassin de l’intérieur, bassin de l’est, dans la vallée de l’Oyapock, bassin dit des savanes, qui correspond à la région de Kourou et d’Iracoubo, et bassin du centre littoral, soit l’île de Cayenne : ces cinq zones identifiées par les professionnels ne sont pas toutes desservies. Créer, adapter et transformer les hôpitaux en tenant compte de l’organisation de ces cinq bassins de population est donc une nécessité impérieuse. À cet égard, si les trois maisons de santé que le Gouvernement a lancées pouvaient toucher les cinq bassins, cela contribuerait à l’amélioration de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire.
Une meilleure répartition de l’offre est nécessaire, parce que le transport des malades ne se limite pas aux trajets en ambulance : en l’absence de routes, l’hôpital envoie un hélicoptère ou un avion pour transporter les malades.
D’autre part, la démographie galopante, aggravée par l’immigration, transforme les centres de santé en services asphyxiés et inopérants.
Monsieur le secrétaire d’État, à travers le projet du Gouvernement de l’hôpital connecté, quelles aides comptez-vous accorder à la Guyane pour faciliter les coopérations entre professionnels de santé, mais aussi les coopérations sanitaires transfrontalières avec le Suriname ?
Mme la présidente. Ma chère collègue, vous avez largement dépassé le temps de parole, de deux minutes, attribué aux auteurs de question.
Mme Nassimah Dindar. Je vous prie de m’en excuser, madame la présidente.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, je ne répéterai pas ce que j’ai dit dans mon propos liminaire sur l’accès aux soins ; je m’attarderai plutôt, comme vous m’y avez invité à la fin de votre question, sur la coopération entre la Guyane et le Suriname.
Comme l’a indiqué le président de la commission des affaires sociales, une mission a été mise en place en 2018 sous l’égide de Dominique Voynet, ancienne sénatrice, et du préfet Marcel Renouf. Cinq comités de pilotage se sont tenus entre juin 2018 et février 2019, sous la présidence de ces deux personnalités, avec pour objectif d’arriver à un accord entre la Guyane et le Suriname en matière de coopération, avec des pistes concrètes.
À ce stade, les difficultés avec le Suriname n’ont pas permis d’aboutir à un accord permettant d’envisager une plus grande coopération. Le relais a été pris par l’Agence régionale de santé, avec un cadre de haut niveau pour prendre en charge cette coopération, dans l’attente qu’un accord soit formalisé avec le Suriname.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. La Guyane, ainsi qu’il a été expliqué, présente de grands indicateurs de santé dégradés par rapport à la moyenne nationale : l’espérance de vie y est de 79,8 ans, inférieure de deux à trois ans à la moyenne nationale, et la mortalité infantile de 11,7 pour 1 000, supérieure de trois fois à cette moyenne. Par ailleurs, la démographie est en hausse rapide : de 260 000 en 2016, la population a franchi depuis lors le cap des 300 000 habitants.
Il est donc impératif de réduire les inégalités de santé qui frappent les Guyanais, en y consacrant les moyens importants qu’impose la progression rapide de la démographie.
Dans le secteur hospitalier, les dernières années ont vu des investissements importants : construction à Saint-Laurent-du-Maroni d’un nouvel hôpital, ouvert voilà un an, intégration de l’hôpital de Kourou dans le secteur public hospitalier et redressement de la situation financière très difficile du centre hospitalier de Cayenne, grâce à des apports exceptionnels successifs pour plus de 30 millions d’euros au total. De premières modernisations sont en cours : le service de chirurgie a été modernisé, et des investissements complémentaires sont prévus à hauteur de 40 millions d’euros.
Cette remise à niveau ne doit être qu’une première étape, si l’on veut que les habitants du territoire aient droit à la même qualité de soins que les autres.
Monsieur le secrétaire d’État, quels sont les projets du Gouvernement en matière d’amélioration de l’offre hospitalière en Guyane, afin notamment de l’inscrire dans la durée ? Quelles évolutions prévoyez-vous pour le coefficient géographique, dont le niveau actuel ne prend en compte qu’imparfaitement les spécificités des charges pesant sur les hôpitaux guyanais, ce qui entraîne un déséquilibre structurel ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. La situation des hôpitaux publics en Guyane est, en quelque sorte, paradoxale : malgré la hausse de plus en plus rapide des besoins de santé d’une population en forte augmentation, les établissements demeurent en situation de fragilité. C’est le fait de plusieurs facteurs, en partie décrits par M. le président de la commission des affaires sociales : difficultés à facturer et à recouvrer les sommes dues auprès des patients et des mutuelles, difficultés auxquelles les organismes sociaux sont eux-mêmes soumis, spécificités du territoire guyanais – on a parlé des problèmes d’attractivité, de la précarité très forte, de l’immigration importante et du turnover des équipes, qui ne facilite pas la tâche.
Ainsi, le centre hospitalier de Cayenne est depuis de nombreuses années dans une situation financière délicate. Ces difficultés importantes ont donné lieu à des accompagnements de l’État réguliers et croissants, que vous avez pour partie rappelés, monsieur le sénateur. Entre 2016 et 2018, environ 50 millions d’euros d’aides exceptionnelles ont été versés à l’établissement, tandis que 9 millions d’euros ont été accordés en revalorisation pérenne de dotations. Les difficultés financières et la fragilité de l’équipe de direction ont conduit l’ARS à placer l’établissement sous administration provisoire entre novembre 2018 et avril 2019. Cette mission a permis notamment de conforter le schéma directeur immobilier, financé par l’État à hauteur de 40 millions d’euros, de travailler au renforcement de l’attractivité de l’établissement et de faire aboutir favorablement la démarche de certification des comptes, après plusieurs années de non-certification.
Le centre hospitalier ouest-guyanais est également dans une situation de déséquilibre financier, mais sa reconstruction, qui a bénéficié d’une aide nationale de 48 millions d’euros, doit permettre un retour à l’équilibre à moyen terme.
Enfin, le centre hospitalier de Kourou a été créé en janvier 2018 en remplacement de l’établissement de la Croix-Rouge ; il présente aussi une situation financière déséquilibrée, mais sera suivi par le Copermo.
S’agissant du coefficient géographique, il a été réévalué en 2016, pour application au 1er janvier 2017 ; à ce stade et à ma connaissance, il n’est pas envisagé de le réévaluer, ni pour la Guyane ni pour aucun autre territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. La Guyane, comme de nombreux territoires ultramarins, connaît une crise dans le secteur de la santé, du social et du médico-social. Malgré les efforts des gouvernements successifs pour y faire face, la question de l’offre de soins est constamment au centre des préoccupations des élus et de la population guyanais.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite appeler votre attention sur un enjeu central : les évacuations sanitaires, au nombre de 4 000 environ par an. C’est une problématique d’importance pour le territoire, et leur coût élevé – entre 4 millions et 5 millions d’euros – pèse lourdement sur le budget des établissements hospitaliers, menaçant parfois jusqu’à leur existence.
Derrière ces chiffres impressionnants, je n’oublie pas qu’il y a des hommes et des femmes, mais il paraît indispensable qu’une réflexion en profondeur soit menée pour remédier à cette situation. Quelles sont vos pistes de réflexion et comment s’organise la coopération régionale avec les autres territoires français et avec les pays limitrophes ?
Par ailleurs, la problématique des évacuations sanitaires soulève également la question de la prise en charge des patients et, par extension, de leur accompagnant. Je souhaite donc également vous entendre sur les outils qui pourraient être mis en place pour mieux accompagner les patients et leur famille, lorsque la situation médicale l’exige.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. En effet, les évacuations sanitaires relèvent en Guyane du quotidien. Ces 4 000 opérations annuelles sont organisées à plusieurs niveaux, selon qu’elles se réalisent dans l’urgence ou de façon programmée, en fonction aussi du prescripteur, hôpital ou praticien libéral.
Nous menons en la matière un certain nombre de travaux visant, d’une part, à améliorer la pertinence et la qualité de l’organisation du transport et, d’autre part, à développer l’offre sur place et la coopération entre la Guyane et, notamment, les Antilles – c’est, monsieur le sénateur, l’un des aspects de votre question.
S’agissant de l’amélioration de la pertinence et de la qualité de l’organisation des transports, l’ARS et l’assurance maladie travaillent à la création d’une plateforme territoriale d’appui pour aider les professionnels de santé à organiser au mieux ces transports, qui sont complexes, pour améliorer l’orientation et l’accueil dans le territoire de destination. Il s’agit aussi d’alléger la charge de travail des professionnels. Nous espérons gagner collectivement en lisibilité dans ce domaine.
En ce qui concerne le développement de l’offre sur place et de la coopération entre la Guyane et les Antilles, destiné à limiter les évacuations sanitaires vers la métropole, je précise que, depuis peu, la Guyane propose une offre de cardiologie interventionnelle, alors que, auparavant, les patients devaient se rendre aux Antilles ou en métropole. Depuis le mois d’avril, une équipe de Martinique se rend à Cayenne une fois par mois pour traiter les patients sur place et former les équipes locales ; cette coopération permettra à l’équipe guyanaise de gagner en compétences et en autonomie, pour, à moyen terme, prendre en charge elle-même ses patients, y compris en urgence. Les patients les plus complexes continueront d’être pris en charge en Martinique, dans des conditions plus favorables, puisque les équipes auront appris à travailler ensemble.
C’est donc un modèle de coopération gagnant-gagnant que nous souhaitons mettre en place et que la Guyane pourra dupliquer à d’autres filières de soins. Il s’agit, je le répète, de renforcer l’offre de soins sur place pour limiter les évacuations sanitaires, très lourdes à supporter pour les patients et leur famille.
J’ajoute qu’un nouveau chef du service des urgences a été recruté à Cayenne en septembre 2018 : le docteur Pujo, qui a notamment pour mission de restructurer les évacuations sanitaires, dans le cadre d’une amélioration de la collaboration avec les Antilles.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour la réplique.
M. Guillaume Arnell. Monsieur le secrétaire d’État, on vous entend, mais cela ne peut plus durer. Il faut effectivement allouer les moyens nécessaires pour remédier à la fois au déficit de l’offre de soins et à la dérive en matière d’évacuations sanitaires. À Saint-Martin, nous avons trouvé un palliatif à cette dérive, qui était liée au déficit de l’offre de soins, mais également au fait que certaines évacuations pouvant relever de la desserte aérienne régulière se faisaient par évacuation sanitaire, avec un coût démultiplié.
Nous espérons que ce gouvernement nous prêtera une oreille plus attentive que par le passé, afin que les Guyanais puissent bénéficier de la même qualité de soins que l’ensemble de nos compatriotes.
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Monsieur le président de la commission des affaires sociales, je vous remercie de votre intervention impartiale et objective ; elle reflète la réalité.
Le 23 janvier dernier a été signé l’arrêté de création du groupement hospitalier de territoire de Guyane, le GHTG. Première étape dans la structuration de l’offre de soins hospitalière, ce regroupement est censé aider les centres hospitaliers de Saint-Laurent-du-Maroni, de Kourou et de Cayenne à mieux travailler ensemble, au bénéfice des patients.
Force est néanmoins de reconnaître que des inquiétudes persistent au sein du personnel médical, notamment concernant l’organisation médicale et administrative du GHTG. Je me suis permis de les relayer par un courrier que je vous remettrai à l’issue de ce débat, monsieur le secrétaire d’État.
Système de soins sous tension, désertification médicale, difficultés d’accès aux soins, formation des professionnels… Mes collègues de la commission des affaires sociales ont pu l’observer : la Guyane doit relever de nombreux défis, amplifiés par le retard accumulé en matière d’infrastructures médicales.
Face à ces enjeux, monsieur le secrétaire d’État, comment la création de ce groupement hospitalier de territoire permettra-t-elle d’améliorer vraiment l’offre de soins dans toute la Guyane, jusque dans les sites les plus isolés ?
Par ailleurs, le code de la santé publique prévoit que tous les groupements hospitaliers de territoire soient associés à un centre hospitalier universitaire. Pour l’heure, une telle structure n’existe pas en Guyane, alors que sa présence constitue un enjeu en matière de développement et d’attractivité. Je rappelle que la création d’un CHU en Guyane figure parmi les engagements du protocole d’accord du 9 juin 2017, arraché après soixante-quinze jours de grève et dont je suis l’un des cosignataires. Dans la continuité de la mise en place du GHTG, quels engagements le Gouvernement peut-il prendre quant à la création d’un CHU en Guyane et d’une UFR de médecine au sein de l’université de Guyane ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Karam, le groupement hospitalier de territoire de Guyane est une réalité depuis le début de 2019. C’est le GHT le plus étendu de France. Il regroupe les trois hôpitaux publics du territoire : Cayenne, Kourou et Saint-Laurent-du-Maroni.
Contrairement aux craintes qui s’étaient exprimées avant sa constitution, le GHT prend forme. Les équipes médico- soignantes se voient régulièrement et travaillent sur un projet médical partagé. Une prochaine session est d’ailleurs prévue en octobre prochain à Sinnamary.
Les hôpitaux s’entraident sur le plan de leurs ressources médicales par des envois réciproques de renforts ponctuels en fonction des besoins ; ils s’entraident aussi en orientant les patients entre eux. Ils travaillent sur une stratégie commune en matière de systèmes d’information, ainsi que de ressources humaines. Il s’agit, pour les hôpitaux publics, d’avancer de concert et de ne pas se faire de concurrence, notamment en termes de recrutement, au regard de la pénurie actuelle et d’un environnement global que nous savons fragile.
Enfin, sur le plan des achats, le programme Performance hospitalière pour des achats responsables, dit Phare, a démarré le 30 septembre dernier. Soutenu par le ministère de la santé, ce programme va permettre de mutualiser et de structurer les achats des trois établissements de santé, et ainsi contribuer à améliorer l’offre de soins sur le territoire.
Les spécificités de chaque hôpital et de chaque territoire me semblent être mieux comprises et respectées. Soyez convaincu, monsieur le sénateur, de la forte volonté de l’agence régionale de santé de s’inscrire dans ce mouvement et de celle du ministère de s’assurer, si besoin était, qu’il en sera bien ainsi. Quant à la création d’un CHU, je me permettrai de répondre à cette question dans la suite du débat.
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam, pour la réplique.
M. Antoine Karam. Monsieur le secrétaire d’État, la création d’un CHU n’est peut-être pas une fin en soi, mais cette demande marque la volonté forte des Guyanais de ne plus être les spectateurs impuissants de leur destin. Nous voulons renverser cette table pour changer l’image désastreuse d’un système de santé défaillant depuis bien longtemps. Nous restons donc mobilisés, vigilants et déterminés !
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Je faisais partie de la délégation de la commission des affaires sociales qui s’est rendue en Guyane et en Guadeloupe du 22 au 27 avril 2018.
Lors de ce déplacement, nous avons pu constater, outre les conséquences désastreuses de l’incendie du CHU de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, l’attente des Guyanaises et des Guyanais à la suite notamment du mouvement social de 2017, qui avait débouché sur les accords de Cayenne. Comme l’a souligné mon collègue Antoine Karam, l’engagement avait été pris, au travers du protocole de fin de conflit, de transformer le centre hospitalier de Cayenne en centre hospitalier universitaire. Le dossier est aujourd’hui au point mort ; monsieur le secrétaire d’État, j’ai du mal à comprendre pourquoi un territoire tel que celui de la Guyane, qui compte près de 300 000 habitantes et habitants, ne dispose pas d’un centre hospitalier universitaire. En l’absence d’un CHU, les étudiantes et les étudiants guyanais sont contraints de quitter leur territoire pour terminer leur formation. Cette mobilité forcée renforce les difficultés de la Guyane en matière d’attractivité, mais aussi d’accès aux soins. Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais donc savoir où en est ce projet : quand va-t-il réellement déboucher ?
Enfin, j’avais interpellé la ministre des outre-mer en décembre 2018 sur le mal-être des populations amérindiennes de Guyane, à la suite d’une vague de suicides. Le taux de suicide est de dix à vingt fois plus élevé que dans l’Hexagone, et les populations amérindiennes, qui souffrent de discrimination et d’isolement, sont particulièrement touchées. Je souhaiterais donc savoir quelles mesures vont être mises en place pour enrayer cette vague de suicides et renforcer les moyens alloués au suivi psychologique et psychiatrique, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de vie de ces populations.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, ma réponse sera un peu technique, mais il est important de rappeler les règles. Désigner un établissement de santé comme CHU est une prérogative de l’université, qui dispose de sa propre stratégie de développement en tant qu’établissement autonome. Le développement de départements universitaires repose sur la définition d’une stratégie et la création de filières de recrutement d’enseignants. Actuellement, il n’existe pas de département de médecine au sein de l’université de Guyane.
Le modèle d’avenir pour le centre hospitalier de Cayenne est avant tout, me semble-t-il, celui de la consolidation en tant qu’établissement de référence. Le ministère des solidarités et de la santé soutiendra fortement le développement de la recherche en Guyane et l’affirmation de ce centre hospitalier comme établissement de référence.
J’en viens à votre seconde question. Le rapport parlementaire Archimbaud avait permis d’attirer l’attention sur la problématique des suicides et tentatives de suicide au sein de la population amérindienne. On constate ces dernières années que les personnes concernées sont de plus en plus jeunes.
Le programme « bien-être des populations de l’intérieur », doté de 1,5 million d’euros à débloquer sur trois ans, a été conçu avec la population pour soutenir l’émergence de projets locaux et renforcer les facteurs protecteurs, notamment liés à l’estime de soi. Sachez que l’ARS travaille en ce moment sur la mise en place de la formation nationale de prévention du suicide, d’une ligne téléphonique d’écoute du type « SOS Kriz », du dispositif VigilanS de recontact de personnes ayant tenté de mettre fin à leurs jours ou encore d’un observatoire du suicide.
Au-delà, l’un des objectifs de ma visite programmée en Guyane est d’essayer de mieux comprendre ce phénomène et d’y apporter les réponses les plus appropriées. Nos jeunes étant touchés de plus en plus tôt, c’est une question qui relève aussi de la protection de l’enfance.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour la réplique.
Mme Laurence Cohen. Je trouve mes collègues ultramarins extrêmement patients… Au travers de vos réponses, vous ne prenez pas du tout en compte les retards qui se sont accumulés en termes de politiques publiques, notamment en matière de santé. Il faut vraiment passer à une vitesse supérieure ! Les paroles doivent être suivies d’effet. Or les moyens financiers et humains manquent cruellement.
C’est en tout cas ce que j’ai ressenti en entendant vos réponses, mais j’espère que vous allez changer d’orientation – on peut toujours rêver !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. La santé en Guyane est une préoccupation majeure pour la France. Les difficultés que nous connaissons en métropole sont exacerbées dans ce territoire et se surajoutent aux problématiques locales qui mettent déjà le système de santé sous tension.
Les assises des outre-mer ont révélé que l’accès aux soins est la priorité absolue en matière de santé pour les Guyanais. La Guyane est à la fois le deuxième plus vaste territoire de France et le deuxième moins densément peuplé. Quelque 20 % de la population est issue de l’immigration, souvent clandestine, et ne dispose de ce fait d’aucune couverture sociale. Le taux de pauvreté de l’ensemble du pays atteint 44 %, et le taux de fécondité 3,5 enfants par femme.
L’éloignement de toute une partie de la population du système de santé retarde le dépistage, en particulier pour le VIH. La Guyane présente une surmortalité liée au sida par rapport à la métropole. Les hôpitaux des villes frontalières telles que Saint-Laurent-du-Maroni sont particulièrement sollicités. Cela invite la France à développer des accords de coopération transfrontalière en matière de santé avec le Brésil et le Suriname.
Au regard de la situation sociale et géographique de la Guyane, la politique sanitaire locale ne peut être une déclinaison de la politique sanitaire nationale. Nous devons l’adapter pour qu’elle réponde aux besoins de la population, comme le prévoit l’article 73 de notre Constitution.
Monsieur le secrétaire d’État, les accords du 21 avril 2017 signés à Cayenne ont permis de débloquer un milliard d’euros, notamment pour venir en aide au système de santé du pays, qui peine à se moderniser. Quel bilan dressez-vous de l’intervention de l’État, et que reste-t-il à faire pour que chaque Guyanais ait accès aux soins, quel que soit son lieu de vie ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, la Guyane est un territoire qui connaît un nombre important de spécificités, dont une situation épidémiologique inquiétante et des populations isolées. Le Gouvernement, au travers des accords de Cayenne, a effectivement décidé d’investir massivement. Il me semble un peu prématuré de faire dès à présent un bilan de ces investissements au profit de la Guyane. Je me permettrai de revenir sur ce sujet en coordination avec la ministre des outre-mer.
La plupart des dispositions sont en cours de déploiement : je pense notamment à la création du groupement hospitalier territorial ou aux maisons de santé pluridisciplinaires. J’entends les impatiences qui s’expriment à ma gauche et je peux les comprendre : pendant trop longtemps, le territoire guyanais, et plus largement l’ensemble des outre-mer, n’ont pas fait l’objet de l’attention et des investissements nécessaires pour rattraper le retard pris par rapport à la métropole et garantir à l’ensemble de nos concitoyens un accès aux soins égalitaire.
Les accords de Cayenne, ou encore la trajectoire outre-mer 5.0 que la ministre des outre-mer a présentée et qui porte sur des sujets dépassant largement la seule question de la santé, montrent la volonté de ce gouvernement d’offrir à nos concitoyens d’outre-mer des droits équivalents à ceux dont bénéficient leurs compatriotes de l’Hexagone.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d’État, je vous invite vivement à aller sur le terrain. Pour ma part, je peux dire que je n’ai pas été déçu du voyage en Guyane ! En tant que médecin, j’ai pu y constater un certain nombre de difficultés. Je n’imaginais pas qu’un territoire français puisse connaître des problèmes de santé que l’on ne voit plus dans l’Hexagone depuis un certain nombre d’années. Je remercie M. le président de la commission de m’avoir associé au déplacement qu’il a organisé en Guadeloupe et en Guyane.
Les indicateurs montrent qu’il existe en Guyane une forte prévalence des maladies infectieuses – cela peut se comprendre du fait de la climatologie –, mais également des maladies chroniques : la population de diabétiques a ainsi doublé en dix ans et le taux de décès précoces dus à des maladies cardio-vasculaires prises en charge trop tardivement est inacceptable.
Vous avez rappelé que le volet relatif à l’outre-mer de la stratégie nationale de santé 2018-2022 évoque notamment une « trajectoire de rattrapage de la qualité du système de santé par rapport à l’Hexagone ». Il me semble que, au-delà d’un rattrapage, le contexte doit aussi nous inviter à faire de la Guyane un laboratoire d’innovation pour notre système de santé, en s’appuyant sur la créativité volontariste des équipes de terrain.
Monsieur le secrétaire d’État, comptez-vous faire de la Guyane une zone prioritaire pour la mise en place d’expérimentations ? L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018 le permet. Des protocoles de coopération rénovés, tels que prévus par la loi Santé, pourraient être déployés. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Il est prévu que j’aille en Guyane, monsieur le sénateur. Je le dis en toute humilité à M. Karam et à l’ensemble des sénateurs ultramarins, on ne peut pas comprendre réellement les problématiques auxquelles nos compatriotes d’outre-mer sont confrontés sans se rendre sur place. J’attends donc ce déplacement avec beaucoup d’impatience.
Je partage votre intérêt pour l’innovation sociale en toutes matières qui se déploie sur nos territoires, en outre-mer ou dans l’Hexagone. Nous devons évaluer ces expérimentations avant d’éventuellement les généraliser. Il n’est nul n’est besoin de réinventer le fil à couper le beurre chaque matin.
La Guyane s’est très vite mobilisée pour tirer parti de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale de 2018. Sur l’initiative des acteurs locaux et de l’ARS, des projets ont été mis en œuvre dans ce cadre, concernant en particulier des spécialités en tension. Je citerai deux exemples à cet égard.
En matière d’ophtalmologie, les équipes de l’ARS ont accompagné le centre hospitalier de Cayenne et un cabinet d’ophtalmologie de ville pour permettre la réalisation de petits actes chirurgicaux hors milieu hospitalier dans un cadre sécurisé et respectueux des conditions d’hygiène, incluant les patients dans une logique de filière ville-hôpital avec une coordination dans toutes les étapes du parcours de santé. Cette expérimentation vise à répondre à la dégradation de la démographie médicale.
En matière de diabétologie, la Guyane vient de répondre à l’appel national à manifestation d’intérêt relatif à l’incitation à une prise en charge partagée. Je ne développerai pas ce point, car le temps me manque.
Le ministère suit de près ces projets guyanais et leur apporte un appui technique et méthodologique.
S’agissant enfin de l’accompagnement et de la formation proposés aux équipes locales, des crédits ont été délégués aux ARS pour aider à leur financement. Quatre domaines prioritaires ont été identifiés dans un décret de juillet 2018 : les pathologies chroniques stabilisées, la cancérologie, les maladies rénales chroniques et, depuis 2019, la psychiatrie et la santé mentale.
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.
M. René-Paul Savary. Vous n’avez pas du tout répondu à ma question, monsieur le secrétaire d’État. Elle portait sur l’expérimentation, l’innovation, la délégation de tâches, la possibilité de confier le dépistage et les vaccinations à d’autres acteurs que des médecins puisque ceux-ci manquent. C’est cela que l’on attend ! Je suis désolé de vous contredire, mais il faut, en Guyane, réinventer le fil à couper le beurre. Sans cela, l’état de santé des Guyanaises et des Guyanais ne se sera pas amélioré à la fin de ce quinquennat !
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Poadja.
M. Gérard Poadja. Je me suis aperçu que, en matière de santé, la Guyane et la Nouvelle-Calédonie ont des problématiques communes : un territoire étendu, difficile d’accès, à cause de la forêt dans un cas, à cause de l’océan dans l’autre ; une offre de soins concentrée dans les villes-centres, Nouméa ou Cayenne, même si, en Calédonie, le territoire est mieux irrigué par des dispensaires et des maisons de santé, un hôpital ayant récemment été construit au nord.
Parmi les points communs, je m’attarderai sur les difficultés des centres de santé, hôpitaux ou dispensaires à trouver des médecins, notamment spécialistes. Cette pénurie de médecins a des causes multiples que l’on connaît bien : le numerus clausus, la faible attractivité du statut des praticiens, notamment en ce qui concerne la rémunération, les contraintes de la profession en termes de garde la nuit et le week-end. En conséquence, non seulement nos territoires n’arrivent plus à attirer de médecins, mais en plus la sous-densité médicale conduit les médecins en place à l’épuisement, au renoncement. Il y a bien des « médecins-sac à dos » qui viennent régulièrement de métropole, mais ils ne restent que trois mois, six mois au plus, le temps d’un stage, le temps de la découverte du pays.
Monsieur le secrétaire d’État, l’AP-HP a engagé un partenariat en 2018 avec la Guyane pour envoyer des médecins spécialistes dans les établissements déficitaires : où en est-on de ce partenariat ? Seriez-vous favorable au développement des compétences de certains professionnels de santé – infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes – pour faciliter, en cas de nécessité, la suppléance des médecins dans les territoires déficitaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Poadja, la densité médicale du département de Guyane est trois fois inférieure à la moyenne nationale, et la moyenne d’âge des praticiens y est élevée.
Afin d’améliorer la situation, une mesure dérogatoire a été adoptée au début de 2005 pour permettre le recrutement de médecins étrangers diplômés hors de l’Union européenne.
Pour attirer davantage de médecins, la Guyane a bénéficié du dispositif « assistants spécialistes à temps partagé ». Encore trop peu connu, ce dernier permet à de jeunes médecins ayant soutenu leur thèse de poursuivre leur formation par un assistanat de deux années, effectuées l’une en métropole et l’autre en Guyane. En 2019, l’ARS de Guyane a mené une opération de promotion très offensive qui a permis de faire mieux connaître ce dispositif. L’évaluation finale de cette opération est en cours de réalisation.
Par ailleurs, l’ARS de Guyane développe actuellement, en partenariat avec la caisse générale de sécurité sociale du territoire, une plateforme d’appui aux professionnels de santé permettant d’apporter des réponses claires, complètes et validées à tous les candidats potentiels et aux professionnels installés.
En outre, comme vous l’avez indiqué, l’ARS de Guyane a contractualisé avec l’AP-HP en 2018 pour mieux structurer les relations, les supervisions, la recherche de partenariats ainsi que de candidats de part et d’autre de l’océan. Cette convention produit des effets intéressants pour certaines filières. Elle facilite en effet l’intégration en Guyane de jeunes professionnels dont beaucoup craignaient une forme de solitude médicale. Pour accroître le déploiement de cette convention, l’ARS de Guyane a recruté un agent de liaison entre la Guyane et l’AP-HP qui aide concrètement les professionnels à entrer en contact, à développer des projets de collaboration et à assurer leur pérennisation, bref à donner de l’ampleur au dispositif que nous avons créé.
Enfin, concernant l’évolution des pratiques autorisées au personnel paramédical pour suppléer l’absence de médecins, le recours à des infirmiers en pratique avancée sous coordination médicale peut être une réponse. L’ARS se mobilise pour l’application du plan Ma santé 2022, dont c’est un des dispositifs centraux. Les modalités de mise en application des protocoles nationaux seront simplifiées et soumises à validation par l’ARS, et non plus par la Haute Autorité de santé.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras.
M. Michel Magras. La définition d’une politique de coopération sanitaire entre le Suriname et la Guyane viendrait non seulement organiser les rapports qui existent déjà, mais permettrait aussi de rééquilibrer la prise en charge des patients en tirant profit des atouts de chacune des structures hospitalières de part et d’autre du Maroni.
De fait, les deux territoires ont en commun de devoir faire face à une situation sociale marquée par une grande précarité et un accès limité aux soins. Mais en Guyane, les conditions de prise en charge sociale relativement plus favorables génèrent une pression migratoire qui vient fortement grever les capacités d’accueil du centre hospitalier de l’Ouest guyanais. Ce nouvel établissement, que vous venez d’inaugurer, subit ainsi les mêmes contraintes que le précédent, à savoir une demande supérieure à sa capacité d’accueil, une patientèle souvent en situation irrégulière, voire ne parlant pas français.
Or le fleuve Maroni, s’il matérialise une frontière, est aussi l’axe d’un bassin de vie qui pourrait constituer une zone de coopération sanitaire, voire un espace dans lequel un parcours de soins est envisageable. À cet égard, le Premier ministre avait souhaité qu’une étape significative de la redéfinition de la coopération sanitaire puisse être franchie avant septembre 2018 et confié une mission en ce sens à Mme Dominique Voynet. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, quelles sont les pistes dégagées par cette mission et leur degré de mise en œuvre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie de me permettre de compléter mes propos au sujet de cette mission.
À la suite d’un déplacement du Président de la République en 2017 en Guyane et en raison de fortes pressions sur l’hôpital de l’ouest guyanais du fait d’un nombre important de patientes surinamaises, une mission a été confiée à Dominique Voynet et au préfet Renouf afin de renouveler les modalités de la coopération sanitaire entre la Guyane et le Suriname, mais aussi entre Mayotte et les Comores.
L’objectif de cette mission était d’aboutir à la signature d’un accord entre les deux États qui aurait comporté un volet sanitaire substantiel. Un comité technique a été réuni, et trois groupes de travail ont été constitués : le premier sur la coopération interhospitalière dans le bassin Albina-Saint-Laurent-du-Maroni, le deuxième sur les soins de santé primaires dans le bassin du fleuve Maroni et le troisième sur les soins spécialisés en Guyane et au Suriname.
Des freins indépendants de l’objet de la mission ont été identifiés : ils ont trait au tracé frontalier de la couverture santé au Suriname, dont 20 % de la population ne serait pas couverte, et à la présence d’orpailleurs brésiliens en situation irrégulière sur les deux rives. Le dernier déplacement de la mission au Suriname a eu lieu entre les 3 et 6 avril dernier, pour une réunion du groupe de travail franco-surinamien sur la coopération en matière de santé.
En parallèle de la mission, l’ARS a poursuivi ses travaux avec les autorités sanitaires du Suriname. Engagés depuis plusieurs années, ils ont pour objectif de rapprocher les communautés médicales des deux pays et d’accentuer la coopération selon les complémentarités des deux systèmes de santé.
Une déclaration d’intention a été rédigée entre l’ARS et le ministère de la santé du Suriname en janvier 2017, puis une mission conjointe ARS-caisse générale de sécurité sociale a été organisée en octobre 2018 pour envisager les modalités d’accès des patients guyanais aux équipements de radiothérapie de l’AZP, l’Academisch Ziekenhuis Paramaribo.
Enfin, sachez que l’ARS coopère également avec le Brésil dans la prise en charge du paludisme. Le projet Malakit permet la mise à disposition de kits de diagnostic et d’auto-traitement du paludisme et la dispensation d’une formation adaptée dans les zones transfrontalières ciblées.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Magras, pour la réplique.
M. Michel Magras. Monsieur le secrétaire d’État, certains problèmes propres à nos territoires trouvent leur cause, mais aussi leur solution, dans la prise en compte du contexte. Ce qui est valable pour la Guyane l’est aussi pour les autres territoires et collectivités d’outre-mer. Une telle approche intégrée me semble être la meilleure des voies pour nos territoires et pour la France, mais elle nécessite, comme c’est souvent le cas, des solutions dérogatoires et innovantes par rapport au droit existant, ce qui appelle un arbitrage politique fort, ferme et assumé. Ces dernières années, mes collègues et moi-même n’avons pas toujours eu le sentiment d’être considérés de cette manière.
Mme la présidente. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Monsieur le président de la commission, je vous remercie d’avoir pris l’initiative de ce débat.
Terre française en Amérique du Sud, la Guyane accueille le fleuron qu’est le centre spatial de Kourou, base de lancement qui suscite un intérêt certain à l’échelle mondiale.
Toutefois, sur le plan sanitaire et médico-social, de nombreux indicateurs montrent que la situation est critique, voire préoccupante. Ce territoire éloigné de l’Hexagone et enclavé manque cruellement de moyens humains, au niveau tant médical que médico-technique, ainsi que d’équipements performants et adaptés à une pratique médicale et paramédicale de haute qualité.
Les problèmes liés à la diversité des populations sont prégnants, notamment dans l’ouest guyanais et le bassin du fleuve. Il importe de prendre en considération la santé des femmes et l’accompagnement périnatal, compte tenu du taux de mortalité infantile. Il est surtout urgent de mettre en œuvre les actions de prévention primaire et d’éducation à la santé de façon innovante et plurilingue, afin de lutter contre les maladies infectieuses et d’améliorer la santé sexuelle et reproductive jusqu’à la parentalité.
Eu égard à la difficulté d’attirer des médecins, il faut favoriser le développement de maisons de santé pluridisciplinaires pour couvrir au mieux ce territoire étendu, dont les différentes communes sont séparées par des distances importantes.
Interrompues depuis 2005, les collectes de sang doivent reprendre de manière urgente. En effet, il est impératif de prélever le sang en Guyane pour répondre aux besoins de prise en charge des patients drépanocytaires, afin d’éviter des résistances auto-immunes. Il existe aujourd’hui des tests performants pour détecter la maladie de Chagas et le paludisme. Il faut limiter les transports de produits sanguins depuis l’Hexagone ou les Antilles, notamment ceux de plaquettes, ces dernières ayant une courte durée de vie.
Par ailleurs, il serait nécessaire d’envisager la création d’un CHU en Guyane.
Monsieur le secrétaire d’État, quels dispositifs comptez-vous mettre en place en Guyane, compte tenu de la diversité des problématiques et des situations que nous venons d’évoquer ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez abordé la plupart des problématiques auxquelles est confronté le territoire guyanais. Je pense avoir déjà apporté des débuts de réponses et, si vous me le permettez, je concentrerai mon propos sur la question de la collecte de sang en Guyane, sujet particulièrement intéressant dont personne n’a parlé jusqu’à présent.
Comme vous l’avez indiqué, la collecte de sang en Guyane a été arrêtée en 2005 en raison de la prévalence de la maladie de Chagas et du paludisme et de la survenue, à l’époque, d’accidents de transfusion avérés.
Sachez, madame la sénatrice, que la reprise de la collecte est envisageable si tant est, évidemment, que les conditions de sécurité soient réunies. Une expertise, à savoir une analyse épidémiologique portant sur la maladie de Chagas, le paludisme et le VIH et l’établissement des différents scénarios à retenir, a été demandée à l’Établissement français du sang et à Santé publique France, afin de dresser un état de la situation et d’éclairer notre décision concernant un éventuel rétablissement de la collecte de sang sur le territoire. Si vous le souhaitez, nous vous tiendrons au courant de l’avancée de cette expertise et des décisions qui en découleront. (Mme Victoire Jasmin opine.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Le 1er février 2019, trois ans après la promulgation de la loi de modernisation de notre système de santé, le GHT de Guyane est devenu le cent trente-sixième de France. Il réunit les trois établissements publics de santé guyanais, à savoir les centres hospitaliers de Cayenne, de Kourou et de Saint-Laurent-du-Maroni.
Cette évolution repose sur un long travail préparatoire, mais elle ne va pas sans soulever quelques interrogations, dès lors qu’il s’agit du plus vaste GHT de France.
Parallèlement, la récente loi de modernisation de notre système de santé a engagé l’acte II des GHT, avec la généralisation de la mise en place d’une commission médicale de groupement et la mutualisation de la gestion des ressources humaines médicales.
Or la capacité des établissements guyanais à développer un projet médical se heurte à la situation de spécialités qui évolue « au fil de l’eau », au gré des arrivées et des départs de médecins. Certaines spécialités sont en souffrance de manière ponctuelle, d’autres, comme la cardiologie ou la chirurgie, de façon récurrente, dans un territoire qui, je le rappelle, ne compte que six professeurs des universités–praticiens hospitaliers.
En outre, la perspective de mutualisation des filières médicales ne va pas sans poser des questions en matière d’accès aux soins sur un territoire aussi vaste, avec un enjeu essentiel d’équilibre entre les établissements parties au groupement.
Monsieur le secrétaire d’État, quelle stratégie comptez-vous déployer pour renforcer le pôle hospitalier guyanais dans le respect des équilibres du territoire ? En l’absence de CHU, comment entendez-vous valoriser l’attractivité médicale et préserver les filières d’excellence sur ce territoire ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Milon, avant d’évoquer la question de l’attractivité médicale, je tiens à redire que conférer le caractère universitaire au centre hospitalier de Cayenne est une prérogative exclusive de l’université, qui dispose de sa propre stratégie de développement au regard des besoins prioritaires du territoire et de ses atouts. Le développement de départements universitaires repose sur la définition de stratégies et la création de filières de recrutement d’enseignants – professeurs des universités, maîtres de conférences des universités, post-doctorants –, encore inexistantes dans les départements universitaires déjà mis en place en Guyane. Il n’existe pas de département de médecine à l’université de Guyane aujourd’hui – le plus proche se trouve en Guadeloupe – et une telle création ne figure pas dans les projets actuels de l’université.
Le modèle d’avenir, pour le centre hospitalier de Cayenne, est davantage celui de sa consolidation comme établissement de référence, avec des activités d’excellence dans certaines disciplines médicales, en lien avec l’UFR de médecine de Guadeloupe. La création d’un CHU, une fois encore, est pour l’instant difficile à envisager.
Pour autant, le ministère de la santé soutient fortement le développement de la recherche en Guyane, comme en témoigne la construction programmée d’un grand bâtiment dédié à la recherche au centre hospitalier de Cayenne. Nous sommes convaincus que celui-ci peut être un établissement de référence pour l’ensemble de notre territoire, notamment pour tout ce qui concerne la lutte contre les maladies infectieuses.
S’agissant de l’attractivité médicale, des campagnes de promotion du statut d’assistant spécialisé à temps partagé conçues et financées par l’ARS ont été lancées. Un parcours attentionné des professionnels de santé qui s’installent sur le territoire a également été mis en place. Enfin, une convention entre l’AP-HP et l’ARS a été signée pour soutenir les filières en grande difficulté. Cette convention a vocation à être déployée encore davantage, grâce notamment au recrutement d’un référent chargé d’accompagner l’arrivée en Guyane de professionnels de santé et de pérenniser leur installation dans le territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. La santé en Guyane est une préoccupation majeure, et cela ne date pas d’aujourd’hui. En effet, notre appareil de soins n’est absolument pas adapté aux réalités de ce territoire, qui s’étend sur plus de 80 000 kilomètres carrés et connaît une croissance démographique très forte.
Ainsi, l’inégale répartition de l’offre de soins a pour conséquence une crise sanitaire qui s’accompagne indéniablement d’une grande précarité, d’autant que la Guyane est confrontée à de nombreuses pathologies infectieuses et chroniques ou à des problèmes spécifiques, comme la drépanocytose.
Contrairement à ce qu’affirment certains, ce n’est pas à la Guyane de s’adapter au système de santé hexagonal, mais plutôt au système de santé de s’adapter à la Guyane ! Les Guyanais ne peuvent plus se contenter de trois hôpitaux et de dix-huit centres délocalisés de prévention et de soins dans des zones reculées et difficiles d’accès. L’offre de soins y est marquée par un niveau d’équipement de deux à trois fois inférieur à celui observé dans l’Hexagone ! Les projections démontrent en outre que les besoins en ressources humaines seront très importants dans les années à venir. D’ici à 2030, il faudra ainsi que s’installent, en exercice libéral, au moins 71 médecins généralistes, 51 spécialistes, 33 chirurgiens-dentistes, 13 sages-femmes et 162 infirmières. Et que dire des forts besoins en matière de périnatalité, du retard important dans l’accueil des adultes handicapés, des difficultés rencontrées par les jeunes en insertion pour se procurer les médicaments qui leur ont été prescrits ?
Il est plus que temps de mettre fin à cette crise permanente de l’offre de soins, car l’aide financière apportée par l’État n’effacera pas durablement le passif des hôpitaux de Cayenne, de Saint-Laurent-du-Maroni et de Kourou. Il faut des mesures d’urgence fortes et spécifiques. Cela pourrait passer par la création d’un nouveau CHU – cela est entériné –, le développement d’une coopération régionale pérenne et l’annulation de la dette des hôpitaux publics.
Monsieur le secrétaire d’État, envisagez-vous la mise en œuvre de ces mesures d’urgence ? Quelles dispositions concrètes le Gouvernement entend-il adopter pour remédier à cette situation catastrophique ? La Guyane est une terre de paradoxes, une terre des infinis : infiniment grande par sa capacité à permettre l’exploitation de l’espace, infiniment petite par son incapacité à lutter avec efficacité contre les petits virus pathogènes. (Mmes Laurence Cohen et Nassimah Dindar ainsi que M. Antoine Karam applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Vous avez raison, monsieur le sénateur : c’est au système de santé de s’adapter à la Guyane, et non l’inverse.
On observe justement une forte adaptation du système de santé aux spécificités de la Guyane, comme en témoignent la création en janvier 2019 du GHT, pour favoriser la coopération entre les établissements, développer les prises en charge médicales ou une politique d’achats adaptée, et celle de cinq MSP, pour améliorer l’accès aux soins dans le territoire.
En outre, il faut rappeler l’aide constante de l’État aux hôpitaux : je pense au projet d’investissement du centre hospitalier de Cayenne, qui a été financé à 100 %, ou encore au nouvel hôpital, aux capacités étendues, de Saint-Laurent-du-Maroni, bénéficiant d’une aide de l’État à hauteur de 55 millions d’euros. Nous faisons confiance aux hôpitaux pour redresser leur situation avec une activité en constante augmentation. La création d’un CHU ne serait en rien une solution pour améliorer la prise en charge des Guyanais à Cayenne. Le recrutement de professionnels et d’une équipe de direction stable est un signe encourageant de redressement, nous semble-t-il.
En outre, nous souhaitons travailler de concert avec la collectivité territoriale de Guyane pour renforcer les moyens de la protection maternelle et infantile. Michèle Peyron a rendu il y a quelque temps un rapport sur ce sujet qui m’est cher : nous nous appuierons sur lui pour prendre un certain nombre de décisions.
Sachez enfin qu’une campagne de rattrapage vaccinal est envisagée.
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne.
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le secrétaire d’État, notre commission a adopté au début du mois de juillet dernier un rapport formulant plusieurs propositions en vue de renforcer la prévention des infections par le VIH et d’améliorer la prise en charge des personnes vivant avec ce virus. L’enquête que notre commission avait demandée à la Cour des comptes fait état d’une concentration des nouvelles infections dans trois régions : Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Guyane.
Grâce à la montée en puissance des traitements préventifs, comme la PrEP, la prophylaxie préexposition, on observe enfin, en 2018, une baisse du nombre des nouvelles infections à Paris, dans le cadre de l’initiative « Vers Paris sans sida ».
La situation est beaucoup plus problématique en Guyane, où l’accès aux traitements préventifs est nettement moins aisé. Pourtant, selon le comité de coordination régionale de lutte contre le VIH, le Corevih Guyane, la prévalence du VIH chez les plus de quinze ans était en 2016 de 1,6 % en Guyane, contre 0,5 % en France métropolitaine. L’épidémie en Guyane est principalement alimentée par les migrations, notamment en provenance d’Haïti. La propagation de l’épidémie s’explique également par le développement de chantiers illégaux d’orpaillage et les phénomènes de prostitution qui peuvent s’y rattacher.
Monsieur le secrétaire d’État, quels moyens le Gouvernement compte-t-il mobiliser pour maximiser la prévention dans ce territoire, en particulier auprès des jeunes ? Pourquoi ne pas avoir étendu à la Guyane l’expérimentation « Au labo sans ordo », qui permet d’effectuer un dépistage en laboratoire des infections sexuellement transmissibles remboursé sans ordonnance ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, alors que le nombre de personnes contaminées par le VIH a tendance à baisser dans l’Hexagone, la Guyane reste le département le plus touché par ce virus. Parmi les patients suivis en 2018, 91 % étaient sous traitement antirétroviral, dont 94 % présentant une charge virale indétectable.
La principale difficulté rencontrée en Guyane reste le dépistage, à la fois insuffisant et trop tardif. Cette difficulté est liée, d’une part, à une densité encore trop faible de ressources humaines sur le territoire, et, d’autre part, au fait que les populations cibles sont particulièrement difficiles d’accès, en raison de l’immensité du territoire, du manque de voies d’accès et du caractère disséminé de l’habitat.
La politique de l’agence régionale de santé de Guyane consiste donc à promouvoir fortement le dépistage du VIH, à plusieurs titres. Elle vise ainsi à instaurer un dépistage répété régulièrement selon les populations considérées et les pratiques ; diversifié dans ses modalités pour correspondre aux besoins et aux conditions de vie des populations ; ciblé prioritairement sur l’épidémie cachée et les groupes particulièrement vulnérables qu’elle concerne ; accompagné et adapté aux diversités culturelles et linguistiques, en prenant notamment en compte l’analphabétisme important de certaines populations ; combiné avec celui d’autres pathologies ; enfin, au plus près des populations, selon le principe dit « d’aller vers » bien connu dans les domaines sanitaire et médico-social, avec des équipes mobiles de santé associées à des médiateurs culturels.
La stratégie de prise en charge évolue progressivement vers une autonomisation des patients.
Par ailleurs, la lutte contre le VIH est un volet important de la politique de coopération, notamment avec le Brésil à travers le programme « Oyapock coopération santé », qui a permis de renforcer l’offre de prévention et de réduire les risques de contamination : du côté guyanais, un traitement pré-exposition ou PrEP a été mis en place ; du côté brésilien, l’équipe française a soutenu la mise en place d’une offre similaire dans la ville brésilienne frontalière d’Oiapoque.
Enfin, l’expérimentation « Au labo sans ordonnance » porte sur le remboursement d’un examen de biologie médicale non prescrit, réalisé à la demande du patient. Il s’agit d’un remboursement dérogatoire qui a été accepté jusqu’à présent par deux caisses primaires d’assurance maladie volontaires, celles de Nice et de Paris. Il est en vigueur depuis le 1er juillet 2019. Nous attendons de connaître les résultats de cette expérimentation avant, éventuellement, de l’étendre à la Guyane, voire à d’autres territoires.
Conclusion du débat
Mme la présidente. Pour clore ce débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je voudrais tout d’abord remercier l’ensemble des intervenants, dont vous, monsieur le secrétaire d’État, pour vos réponses et le temps que vous avez consacré au Sénat cet après-midi.
La question de la santé est révélatrice des difficultés et des fragilités d’un territoire. Les défaillances en la matière sont ressenties comme une injustice criante par nos concitoyens ; nous l’avons encore constaté à l’occasion des mouvements sociaux de l’automne dernier.
Il faut évidemment agir sur différents leviers : vous avez évoqué le réseau routier, monsieur le secrétaire d’État, mais ce n’est pas le seul. La dimension transfrontalière, notamment, est une singularité qui justifie la mobilisation de moyens particuliers. La commission des affaires sociales aura certainement l’occasion de le constater également à Mayotte, où une délégation se rendra probablement en février prochain. Si le département de Guyane et celui de Mayotte sont pauvres par rapport au reste du territoire national, ils représentent une sorte d’Eldorado pour les pays d’Amérique latine, concernant la Guyane, ou les Comores, s’agissant de Mayotte. Beaucoup de ressortissants de ces pays viennent se faire soigner non pas en Guyane ou à Mayotte, mais en France… Il faut que nous ayons cette réalité importante à l’esprit lorsque nous évoquons les problèmes de ces territoires.
La situation difficile de la Guyane est aussi une occasion à saisir, monsieur le secrétaire d’État : elle nous oblige à être inventifs en matière de coopérations entre professionnels de santé, qui peinent à se mettre en place dans l’Hexagone, et de coopérations transfrontalières. Celles-ci peuvent être bénéfiques : lors de notre déplacement en Guyane, il nous a été dit que l’offre de soins au Suriname n’était pas si mauvaise et que les gens traversaient en fait le fleuve pour des raisons autres que médicales.
Le débat de cet après-midi manifeste l’attention que le Sénat et vous-même, monsieur le secrétaire d’État, portent aux territoires qui, comme la Guyane, concentrent des difficultés appelant une vigilance particulière de la part de la République. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur la santé en Guyane.
5
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 8 octobre 2019 :
À quatorze heures trente :
Éloge funèbre de Philippe Madrelle.
À quinze heures quinze et le soir :
Projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (procédure accélérée ; texte de la commission n° 13, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication