M. le président. La parole est à M. Arnaud de Belenet, pour explication de vote.
M. Arnaud de Belenet. Je voudrais appeler l’attention sur deux points. Tout d’abord, cet amendement a été cosigné par de nombreux sénateurs qui sont issus de groupes politiques différents, ce qui n’est pas un hasard. Ensuite, il constitue un élément de simplification.
Ceux qui l’ont cosigné ont certainement vécu de bonnes pratiques dans les intercommunalités qu’ils connaissent. Nous savons tous que permettre à des élus municipaux de siéger et de participer aux discussions en commission intercommunale, lorsqu’ils ont une spécialité ou une délégation, est utile. Cela fait partie des bonnes pratiques qui méritent d’être codifiées, parce qu’elles contribuent à simplifier et fluidifier le travail de chacun.
Cette faculté qui sera ouverte aux intercommunalités rendra concret le droit à l’information, droit qu’a évoqué à raison le rapporteur. Cette mesure me paraît pragmatique et de bon sens. Nous devons conforter les bonnes pratiques qui existent dans nos territoires.
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. De notre côté, nous nous rangeons à l’avis de la commission. Il nous semble que le texte issu des travaux de la commission va déjà assez loin en ce qui concerne l’association des conseillers municipaux et des adjoints au fonctionnement de l’intercommunalité. Parfois, le mieux est en effet l’ennemi du bien.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je dois avouer que je ne comprends pas très bien la position de la commission. Je n’ai pas cosigné cet amendement, mais il l’a été par des élus de groupes différents.
On nous dit que ce projet de loi est destiné à faire respirer les collectivités territoriales, à assouplir les règles et à associer le maximum d’élus au fonctionnement de la démocratie locale.
Si cet amendement prévoyait que les élus en question « doivent » assister à telle ou telle réunion, je comprendrais la réaction de la commission, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit d’une possibilité, et non d’une obligation. Je n’ai pas l’impression qu’il s’agit d’une révolution. Et plus nous associerons de gens au fonctionnement de la démocratie locale, plus elle respirera et donnera confiance aux citoyens ! Je voterai donc cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Mon intervention ira un peu dans le sens de celle de Roger Karoutchi. Beaucoup de communes et d’intercommunalités pratiquent déjà ce qui est écrit dans l’amendement, sans que cela soit écrit dans le code général des collectivités territoriales.
Cela étant, je crains qu’en votant des amendements de ce type nous complexifiions les règles de fonctionnement de nos collectivités territoriales et de leurs EPCI et que nous nous privions de souplesse. Aujourd’hui, il est fréquent d’inviter à des réunions des élus qui connaissent bien le sujet qui va être abordé, mais qui ne sont ni titulaires ni suppléants de la commission ou du conseil en question. Bien entendu, ils ne prennent pas part aux votes, mais leur présence permet le dialogue et l’échange d’informations. En écrivant dans la loi qu’un suppléant peut participer à certaines réunions, il est possible que nous nous privions de la présence d’élus qu’il serait intéressant d’entendre, parce qu’ils connaissent très bien le sujet, mais qui n’ont pas cette qualité de suppléant.
Mes chers collègues, les élus ont besoin de souplesse, et je suis vraiment étonné d’entendre certaines choses. Il est vrai que nombre d’entre vous n’étaient pas nés au début du mouvement de décentralisation dans les années 1980 (Sourires.) ou plutôt ne l’ont pas vécu directement – je voulais faire plaisir aux plus jeunes…
Franchement, nous ne facilitons pas le travail des élus, en ajoutant en permanence de nouvelles normes !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Il ne faut pas être excessif ! On ne rajoute pas une norme, en permettant à des adjoints chargés d’une délégation de participer à la commission intercommunale qui traite du même sujet que leur délégation.
Que l’amendement pose des problèmes matériels quant à la capacité de réunir dans une même pièce toutes les personnes concernées est autre chose, mais je crois que nous devons garder de la mesure dans les termes que nous utilisons. Par ailleurs, il est vrai qu’il est parfois utile de dénoncer l’excès normatif sur un certain nombre de sujets.
Pour autant, je l’indiquais tout à l’heure, le groupe CRCE votera cet amendement, qui va dans le même sens que celui que nous avions déposé, tout en étant certainement mieux rédigé.
Depuis le début de l’examen de ce texte, nous avons envoyé des messages aux maires quant à leur place dans les intercommunalités. Pour certains, cela est suffisant ; pour d’autres, non. En tout cas, nous ne devons pas oublier toutes celles et tous ceux qui, au quotidien, participent à la vie communale et l’animent – je pense évidemment aux adjoints et aux conseillers délégués, mais aussi à tous les autres qui le font de manière encore plus bénévole.
Sur le fond, cet amendement utilise le verbe « pouvoir », pas « devoir », il n’a donc pas de caractère normatif – c’est d’ailleurs l’un des reproches qui pourrait lui être fait… Les mots ont un sens !
Pour autant, M. Détraigne comme de nombreuses interventions faites depuis le début de l’examen de ce texte ont soulevé un débat de fond : à quoi doit servir la loi ?
Chacun d’entre nous – je le vois moi-même dans les dix intercommunalités de mon département – sait qu’il existe beaucoup de bonnes pratiques. Est-ce que la loi doit permettre à ces bonnes pratiques de se généraliser, quitte à poser des contraintes, ou devons-nous en rester aux aléas de la nature ? Est-ce que nous devons nous résigner à constater la situation : là où les choses se passent bien, tant mieux, là où elles se passent mal, tant pis ?
Ce débat philosophique dépasse naturellement le champ de cet amendement, mais je crois que nous devons mener cette réflexion de manière générale. Sur beaucoup d’autres sujets, nous savons bien nous attaquer aux brebis galeuses de notre société !
M. le président. Il faut conclure !
Mme Cécile Cukierman. Nous voterons cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. J’ai cosigné cet amendement et je le voterai pour une raison toute simple. Le projet de loi entend s’inscrire dans un esprit visant à redonner de l’air à la démocratie locale et une capacité de mieux vivre le fait communautaire comme le fait communal. Or cet amendement utilise le verbe « pouvoir », non « devoir », et il précise que les élus qui participent à ces réunions ne votent pas. Ainsi, nous élargissons une possibilité, en fixant des règles uniformes sur l’ensemble du territoire, tout en laissant toute liberté à l’initiative locale et à la vie communautaire. Il ne faut pas décourager les femmes et les hommes qui veulent s’intéresser à la vie locale et s’y impliquer.
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. Je ne veux pas prolonger les débats, mais je ne me suis pas beaucoup exprimé depuis le début de l’examen de ce texte.
Certes, cet amendement a une importance relative, mais je voudrais rappeler que ce qui décourage les gens de venir aux réunions intercommunales, dans les territoires ruraux ou ailleurs, c’est souvent le sentiment d’inutilité. Ils ont l’impression de ne pas être entendus, de manquer d’informations et que tout se décide sans eux. Ils abandonnent !
Par ailleurs, à défaut d’autorité, j’ai une certaine antériorité… Ainsi, mon ami Jean-Pierre Sueur et moi-même avons inauguré le 12 juillet 1992 la première communauté de communes de France.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est de l’archéologie !
M. François Patriat. Cette communauté regroupait vingt-cinq petites communes rurales autour d’un chef-lieu de canton, et nous avons mis en place une méthode de représentativité permettant à tout le monde de se faire entendre sans que la plus grosse commune l’emporte sur les autres. J’ai pratiqué la méthode proposée par cet amendement durant tout le temps où j’étais président de cette communauté de communes. Celle-ci s’est agrandie et continue de fonctionner très bien.
Cette bonne pratique – permettre à des élus qui ont une délégation dans leur commune de participer à des réunions de commissions au niveau intercommunal sans prendre part aux votes – permet à ces élus de ne pas vivre l’intercommunalité comme une dualité. Je n’ai pas l’impression d’en demander trop…
Tel est l’objet de cet amendement, dont je relativise l’importance, mais que je maintiens.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. Comme l’a dit François Patriat, cet amendement n’a pas une importance considérable, mais je le voterai. Pourquoi ?
D’abord, parce qu’il répond aux attentes des élus, notamment à celles des maires, qui, en particulier dans les grandes intercommunalités, ont de plus en plus de mal à participer à toutes les réunions : conseil, commissions, bureau, etc. Nous leur offrons la possibilité de se faire représenter par un autre élu qui pourra au minimum, sans pour autant participer aux votes, écouter ce qui se dit et le rapporter au maire. C’est déjà un point important.
Ensuite, parce qu’il permet d’associer au fonctionnement de l’intercommunalité des conseillers municipaux qui n’en sont pas membres. Or, aujourd’hui, nous en discuterons tout à l’heure quand nous parlerons de la nécessité de mieux informer, il existe une coupure de plus en plus grande entre les conseillers municipaux qui siègent dans les intercommunalités – ils sont peu nombreux – et ceux qui n’y siègent pas. En ouvrant la possibilité pour ces derniers de participer de temps en temps à une commission intercommunale en fonction de leurs compétences, nous allons dans le bon sens.
On peut bien sûr considérer que cet amendement n’apporte pas grand-chose, puisque cette pratique existe déjà dans beaucoup de règlements intérieurs, mais a contrario je me vois mal voter contre ce dispositif pour ce simple motif. Cette mesure est pertinente, donc je la voterai.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. La commission étant très à l’écoute et constructive, elle va donc émettre un avis de sagesse sur cet amendement.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il me semble toutefois important de rappeler les motifs qui avaient justifié l’avis défavorable que nous avions d’abord émis.
Dire que les élus « peuvent » assister ouvre en fait un droit. Tout conseiller municipal concerné pourra alors assister aux réunions des commissions intercommunales.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Ensuite, nous avons tous beaucoup d’expérience dans la gestion d’intercommunalités, et j’espère que chaque EPCI dispose d’espaces suffisamment grands pour accueillir des réunions de commissions intercommunales auxquelles participerait l’ensemble des conseillers municipaux qui voudraient s’y rendre.
Je ne conteste pas l’envie de ces élus de vouloir participer à ces réunions, mais leur nombre pourrait être supérieur à celui des membres de la commission, alors même qu’ils n’auront pas le droit de voter… C’est un risque à prendre en compte.
Je souhaitais rappeler à cet instant les motifs de notre réserve. Notre avis de sagesse devrait satisfaire tout le monde, mais il serait tout de même intéressant de réaliser des études d’impact pour de tels amendements.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour explication de vote.
Mme Catherine Di Folco. Nous parlons beaucoup de libertés, mais en réalité cet amendement vient les restreindre. En effet, nous avons créé les comités consultatifs qui sont ouverts à l’ensemble des conseillers municipaux, alors que la proposition qui nous est faite ne concerne que les adjoints ou les conseillers délégués. Cette mesure est donc plus restrictive que celle relative aux comités consultatifs et que ce qui est aujourd’hui inscrit dans les règlements intérieurs de nombreuses intercommunalités. C’est pourquoi je ne voterai pas cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. J’entends les arguments de Mme la rapporteure. Il est vrai que, dans certaines intercommunalités composées de beaucoup de communes, un nombre significatif de conseillers municipaux s’ajoute aux membres des commissions. On peut alors se demander si le travail et le fonctionnement des commissions resteront les mêmes.
Cela étant, j’ai un peu de mal à suivre les circonvolutions intellectuelles de M. le ministre. Hier – il l’a répété aujourd’hui –, il nous disait qu’il fallait laisser de la liberté aux élus pour s’organiser.
M. Didier Marie. Or une disposition de cette nature, à mon sens, relève du pacte de gouvernance ou du règlement intérieur et, en aucune façon, de la loi. Je ne vois pas très bien pourquoi nous voterions un amendement qui impose une telle disposition, alors que toute communauté de communes ou d’agglomération peut tout à fait l’intégrer dans son organisation interne, si elle le souhaite.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article additionnel après l’article 3
M. le président. L’amendement n° 73 n’est pas soutenu.
Article 3 bis (nouveau)
I. – Le e du 2° du I de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« – lorsque la répartition effectuée par l’accord réduit la moyenne des écarts entre la part de sièges attribuée à chaque commune et la proportion de sa population dans la population globale, pondérée par la population de chaque commune, à condition qu’aucune ne se voie attribuer une part de sièges s’écartant de plus de 30 % de la proportion de sa population dans la population globale, sans préjudice des c et d du présent 2°. »
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2021.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. L’article 3 bis reprend une partie – j’insiste sur ce point – d’une proposition de loi que j’avais déposée avec le groupe socialiste et républicain et qui a été adoptée par le Sénat. Il s’agit de mettre en œuvre une meilleure représentation des moyennes et petites communes au sein des intercommunalités. Avec les critères qui s’appliquent aujourd’hui et à la suite de l’extension du périmètre d’un certain nombre de communautés de communes, ces communes y sont sous-représentées.
Cette proposition de loi comportait deux séries de dispositions.
La première a donné lieu à beaucoup de débats et n’a pas été retenue par le Sénat, qui a estimé qu’il existait un risque d’inconstitutionnalité – je le conteste, mais je comprends qu’on puisse le concevoir.
En revanche, la seconde partie de cette proposition de loi a été logiquement reprise par nos rapporteurs et par la commission des lois – je les en remercie –, tout simplement parce qu’elle permet de favoriser l’accord local entre les maires, lorsque celui-ci est susceptible de permettre une meilleure représentation des petites et moyennes communes.
Le Sénat l’a adoptée, et je vais vous dire quelque chose, monsieur le ministre, auquel – je le pense – vous serez très attentif : cette partie de la proposition de loi est identique à un amendement que j’avais déposé naguère avec Mme Jacqueline Gourault. (Sourires.) Je ne comprends donc pas très bien pourquoi le Gouvernement demande la suppression d’une disposition qui permet une véritable équité à l’égard des petites et moyennes communes, qui a été adoptée de manière très large par le Sénat et qui avait préalablement reçu l’aval de Mme Jacqueline Gourault, lorsqu’elle était une brillante sénatrice avant d’être une brillante ministre.
J’ajoute que telle qu’elle est rédigée la mesure ne sera applicable qu’en 2026. Je sais, monsieur le président de la commission des lois, que nous aurons du mal à faire autrement.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur. Toutefois, M. Kern a déposé un amendement très judicieux pour la rendre applicable tout de suite.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 339 est présenté par M. Masson.
L’amendement n° 446 est présenté par MM. Patriat, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Mohamed Soilihi, Patient et Rambaud, Mme Rauscent, M. Richard, Mme Schillinger et MM. Théophile et Yung.
L’amendement n° 826 est présenté par le Gouvernement.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
L’amendement n° 339 n’est pas soutenu.
La parole est à M. François Patriat, pour présenter l’amendement n° 446.
M. François Patriat. Je dirai simplement que le droit en vigueur en ce qui concerne la répartition des sièges demande de la stabilité ; tel est l’objet de cet amendement, mais j’attends la position de M. le ministre sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 826.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur le ministre Sueur, le Gouvernement n’est pas présent en commission, cet amendement a donc d’abord pour objet que nous ayons un débat en séance publique sur cet article qui a été introduit durant les débats en commission.
Ensuite, la question n’est pas celle de l’opportunité politique. J’ai passé ma soirée d’hier à défendre la place des communes, notamment rurales, dans les exécutifs intercommunaux. C’est pour cette raison que j’avais déposé un amendement de suppression de l’article qui introduisait un scrutin de liste.
La ministre Jacqueline Gourault et moi-même sommes naturellement favorables à toute mesure qui corrigerait des choses qui ne fonctionnent pas ou qui permettrait, par exemple par des accords locaux, de laisser toute sa place à des organisations différenciées qui tiendraient compte des spécificités locales.
Alors, pourquoi avons-nous déposé cet amendement de suppression ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Pour en parler !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Pas seulement, monsieur le président de la commission des lois.
Jacqueline Gourault, brillante sénatrice devenue brillante ministre, avait au Sénat comme au Gouvernement un brillant collègue, Jacques Mézard, qui est devenu un brillant membre du Conseil constitutionnel. Dans l’histoire, récente ou plus lointaine, plusieurs sénateurs sont d’ailleurs devenus des juges constitutionnels.
En tout cas, le Gouvernement a un devoir – vous avez vous-même été membre d’un gouvernement, monsieur Sueur – : s’assurer, grâce aux informations disponibles en provenance du secrétariat général du Gouvernement, de la direction générale des collectivités territoriales, du Conseil d’État ou d’autres services ou organismes compétents, que le texte que nous allons voter, quelles que soient nos convergences et divergences, est le plus sécurisé possible d’un point de vue constitutionnel. Nous devons aux élus locaux une loi – j’espère qu’elle pourra entrer en vigueur le 1er janvier prochain – qui ne souffre pas d’insécurité juridique, en particulier d’un point de vue constitutionnel.
Or les attendus de la décision du Conseil constitutionnel Commune de Salbris peuvent nous conduire à penser que la proposition formulée ici est inconstitutionnelle. Tous les sénateurs connaissent parfaitement cette décision, qui n’a pas été rendue par le Gouvernement – ce n’est fort heureusement pas son rôle. C’est pourquoi il me semble que la commission a adopté cette disposition comme une forme d’appel. Je le répète, elle ne me pose pas de problème d’opportunité, et je serais très heureux de passer quelques heures à travailler dessus, mais elle ne nous paraît tout simplement pas conforme à la Constitution.
Le président de la commission des lois lui-même, qui fut conseiller d’État, a émis, je crois, en commission – j’ai un peu regardé les débats – quelques questionnements sur le sujet, mais je ne veux pas parler à sa place. Ce que je sais, en revanche, c’est que vous avez déposé récemment, monsieur Bas, une proposition de loi constitutionnelle. J’imagine qu’elle a pour vocation de nourrir le débat que le Gouvernement entretient avec la Haute Assemblée sur la future réforme non seulement de la décentralisation, mais également de la Constitution, que je souhaite. Si vous-même avez mis ces dispositions dans une proposition de loi non pas simple ni organique, mais constitutionnelle, j’imagine que vous deviniez qu’elles pouvaient être de nature constitutionnelle.
Pardon de cette longue démonstration, qui n’a pas pour objectif d’éviter le débat, auquel je suis favorable. Si je me suis attardé hier soir sur cette affaire de scrutin de liste, c’est que cela fait vraiment partie de mes convictions profondes en tant qu’élu local. Cependant, je pense qu’il faut supprimer cet article pour des raisons non pas politiques, mais éminemment juridiques. À défaut, ce texte de loi sera fragilisé. Malheureusement, à mon avis, nous devrons passer par une révision constitutionnelle pour traiter durablement cette question.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il me semble nécessaire d’expliquer d’abord de quoi l’on parle.
La commission des lois a proposé un article 3 bis, que M. le ministre demande de supprimer, pour les raisons qu’il a évoquées.
Je rappelle que, depuis fort longtemps, et plus précisément depuis la décision Commune de Salbris, qui a effectivement cassé un certain nombre d’accords locaux de représentation des communes au sein des conseils communautaires, le Conseil constitutionnel réaffirme la prépondérance, voire le caractère unique de la prise en compte de la population. Aussi, nous connaissons des situations de déséquilibre, avec des communes intermédiaires parfois un peu écrasées et des plus petites communes représentées par un seul conseiller communautaire.
Depuis des années, nous parlons de ce problème, et le Sénat œuvre à la recherche de solutions. Une proposition de loi a d’ailleurs récemment été déposée, mais il y a eu aussi une autre décision du Conseil constitutionnel.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est juste !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Je veux en parler, car elle permet de compléter l’analyse de la décision Commune de Salbris. Nous devons donc nous en inspirer.
Il s’agit d’une décision relative à la métropole Aix-Marseille-Provence et qui traite de la même question.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Elle a trait à la commune d’Éguilles et elle date de 2016.
À cette occasion, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il était loisible de déroger aux règles de répartition de droit commun pour cette métropole, définissant un régime dérogatoire qui aboutirait à ce que la part des sièges attribués à une commune s’écarte de plus de 20 % de la proportion de sa population communale dans la population intercommunale totale, c’est-à-dire de ce qu’on appelle le tunnel.
Il a également affirmé que les règles de droit commun provoquaient des écarts excessifs de représentation entre les communes membres, et que le régime dérogatoire – ce que nous appelons les accords locaux –, dès lors que l’on prenait en compte cette représentation avec un écart de plus de 20 %, réduisait, au contraire, substantiellement et en moyenne, les écarts de représentation entre les communes.
Monsieur le ministre, il nous semble que ce que la Constitution autorise, le législateur doit pouvoir le faire également, dans des conditions aussi rigoureuses. C’est pourquoi l’article que nous avons proposé, et que vous souhaitez supprimer, prévoit qu’un accord local puisse attribuer à une ou plusieurs communes une part des sièges s’écartant de ce fameux tunnel de plus ou moins 20 % à deux conditions cumulatives. Il faut tout d’abord que l’accord local réduise en moyenne les écarts de représentation entre les communes membres, pondérés par la population. Ensuite, il faut que les écarts individuels ne soient pas excessifs, c’est-à-dire qu’aucune commune ne doit se voir attribuer une part de sièges s’écartant de plus de 30 % de la proportion de sa population dans la population intercommunale totale.
Voilà ce sur quoi s’appuie la proposition de la commission des lois.
M. Jean-Pierre Sueur. Excellente interprétation de la décision du Conseil constitutionnel !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. À ce stade de la discussion, j’estime utile d’intervenir au regard du débat que fait naître cet amendement sur la question de la constitutionnalité.
Les échanges qui, depuis mardi soir, nous animent, parfois à l’intérieur même de nos groupes respectifs, montrent une chose : la question des accords locaux aurait permis d’éviter certains débats, qui se sont parfois prolongés, sur le scrutin de liste ou sur la conférence des maires.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. Je le dis avec un peu de solennité, soyons en bien conscients, pour que ce texte, comme le fameux texte 3D que nous examinerons plus tard, trouvent leur pleine mesure et soient utiles aux élus locaux – qu’ils soient maires ou membres d’un exécutif d’intercommunalité, ils les attendent avec impatience –, il faudra absolument qu’un texte constitutionnel nous permette de donner cette profondeur. S’il n’y a pas de texte constitutionnel, ou si celui-ci était repoussé aux calendes grecques, je vous le dis, tout le travail que nous faisons aujourd’hui n’apporterait que des solutions s’apparentant au mieux à des rustines, mais elles ne pourraient absolument pas répondre aux différentes problématiques que nous avons soulevées.
C’est plus un constat qu’une demande, monsieur le ministre.
M. Mathieu Darnaud, rapporteur. En tout cas, nous devons l’avoir à l’esprit si nous voulons que notre travail d’aujourd’hui soit utile.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Le Gouvernement ne semble pas manifester l’intention d’inscrire la réforme constitutionnelle à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et du Sénat. Il l’a pourtant annoncée à plusieurs reprises et il a même adopté un texte en conseil des ministres, mais il ne saisit pas le Parlement, qui pourrait en délibérer et exprimer sa volonté. Les assemblées parlementaires ne peuvent exprimer d’autre volonté que celle qui résulte de leurs délibérations, à l’évidence.
Si nous ne pouvons pas discuter d’une réforme constitutionnelle ayant de sérieuses chances d’aboutir dans un avenir immédiat, pourquoi ne saisirions-nous pas la chance de tenter d’aller explorer les marges de ce que le Conseil constitutionnel peut accepter pour favoriser une meilleure représentation des communes ?
Au fond, la situation est simple, et ce n’est pas la peine de la décrire de manière complexe. Pour que chaque commune rurale, même faiblement peuplée, ait un représentant au conseil communautaire, il faut diminuer la représentation des communes intermédiaires de cette communauté de communes ; or celles-ci trouvent que c’est injuste, et elles ont raison. Selon moi, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui limite la marge de manœuvre des communes pour traiter cette question par des accords dérogatoires, est le reflet d’une vision trop étroite. En effet, si toutes les communes se mettent d’accord, pourquoi s’opposerait-on, à partir du moment où un certain nombre de principes sont respectés, à l’entrée en vigueur de cet accord ?
Pour ma part, mes chers collègues, je préconise que nous prenions nos responsabilités.