Mme Monique Lubin. « Je refuse ce que j’appelle les réformes paramétriques, les approches comptables qui rognent des droits sans offrir de nouvelles perspectives » : ces propos sont ceux du Président de la République lors de l’audience solennelle de la rentrée de la Cour des comptes le 22 janvier 2018. D’où vient, dès lors, cet acharnement à vouloir imposer un âge pivot ?
Après les annonces du Premier ministre sur la future réforme, les services ad hoc ont sorti des pseudo-simulateurs, censés donner des indications aux citoyens sur leurs droits futurs. En fait, il s’agirait plutôt de pratiques divinatoires, tant il est aléatoire de prévoir une situation pour des gens qui ont aujourd’hui la vingtaine et qui sont supposés prendre leur retraite dans quarante ans !
Pourtant un simulateur serait simple à proposer. Je ne l’ai vu nulle part. Remarquez, mes chers collègues, il est tellement simple qu’on peut en définitive faire les calculs très rapidement…
Jean a 60 ans, il travaille depuis l’âge de 19 ans. Grâce aux services en ligne de sa caisse de retraite, il sait qu’il pourra faire valoir ses droits à la retraite à 62 ans, car il aura alors atteint l’âge légal de départ et comptera le nombre de trimestres requis. Il sait aussi qu’il percevra une retraite d’un montant de 1 400 euros.
Que se passera-t-il pour lui si un âge d’équilibre à 64 ans est mis en place entre-temps ?
Première solution, Jean travaille deux ans de plus pour conserver une retraite à taux plein, sachant qu’il travaille déjà depuis 43 ans. Seconde solution, Jean décide de faire valoir ses droits à 62 ans et perdrait jusqu’à 140 euros mensuels, et ce définitivement. À ce niveau de revenu, 140 euros en moins, ça fait réfléchir ! Pile, Jean perd ; face, il ne gagne pas !
C’est, monsieur le secrétaire d’État, le seul simulateur crédible aujourd’hui !
Jean fera partie de cette cohorte de salariés qui auront largement contribué au financement des retraites et à qui on demandera de contribuer encore et encore…
Mais tout cela va se discuter, n’est-ce pas, monsieur le secrétaire d’État ? C’est ce que le Gouvernement clame urbi et orbi !
Ça va tellement se discuter que vous fermez systématiquement la porte à toutes les demandes syndicales de retrait de l’âge pivot !
Ça va tellement se discuter que, visiblement, vous choisiriez l’examen du texte au Parlement dans le cadre de la procédure accélérée !
Rassurez-nous, monsieur le secrétaire d’État : tout cela n’est pas vrai ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. J’ai écouté avec attention vos propos relatifs au cas d’espèce que vous avez évoqué, madame la sénatrice Monique Lubin, mais je me fais la remarque suivante : si Jean a commencé à travailler à 19 ans, il entre dans les dispositifs liés aux carrières longues, car il a cotisé quatre trimestres avant 20 ans.
Mme Monique Lubin. Non !
Mme Laurence Rossignol. C’est cinq trimestres avant 20 ans, monsieur le secrétaire d’État !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. C’est tout l’intérêt des cas d’espèce : on peut en trouver qui, au fond, sont représentatifs de très peu de personnes, voire de pratiquement personne, et les mettre en avant plutôt que de s’intéresser à l’immense majorité.
Mme Laurence Rossignol. Profitez de votre présence parmi nous pour vous former !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. La question, c’est bien celle de l’immense majorité.
Nous allons maintenir, comme je l’ai dit, les dispositifs concernant les carrières longues et la prise en compte de la pénibilité. Madame la sénatrice, vous n’évoquez nullement le fait que, la plupart du temps, on entre à 22 ans dans la vie active. C’est une donnée connue ! (Exclamations.) Additionnez 22 et 43, vous obtenez 65 !
Mais l’immense majorité ne vous intéresse pas… Vous avez préféré vous arrêter sur un cas particulier ; je vous réponds pour la majorité ! (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Annie Guillemot. Où est la réponse ?
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Ce débat intervient lors d’une semaine que beaucoup annoncent comme décisive dans le conflit actuel. J’ai le sentiment, d’ailleurs, que nous assistons cette semaine enfin à une véritable discussion entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, et ce depuis l’engagement du conflit. Pourtant, depuis deux ans, les choses semblaient bien engagées… tout au moins en apparence !
Dès le début de la présentation du projet, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a martelé les trois grands principes présidant à cette réforme : l’équité, l’universalité et la responsabilité.
Entre gens responsables, je pense que l’équilibre financier de notre système de retraite fait partie des points sur lesquels nous pouvons converger dans cet hémicycle – en tout cas, je le souhaite. Malgré cette perspective louable, aucune réponse satisfaisante n’est apportée à cette question dans les débats actuels sur la réforme.
J’irai même plus loin en disant que tout élu responsable doit, en abordant une réforme quelle qu’elle soit, s’assurer d’abord des modalités de son financement et des conséquences qu’elles peuvent entraîner.
À cet égard, j’ai pu noter que le Gouvernement allait mettre en ligne un simulateur, qui permettra aux Français, en théorie, de mesurer l’impact personnel de la réforme, telle qu’elle est envisagée. Pourtant, dans le flou régnant en l’espèce, cela risque d’être la quadrature du cercle. Mais ce n’est pas le sujet de ma question…
Ce mardi, le Gouvernement s’est dit prêt à envisager la tenue d’une conférence de financement de la réforme, comme le suggère la CFDT, dissociant de fait la réforme de son financement. La discussion sur ce point aura lieu vendredi prochain.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire si le Gouvernement envisage de faire voter la réforme des retraites avant la tenue de la conférence de financement, évoquée ce jour par le Premier ministre ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. J’ai écouté avec intérêt votre question, comme votre intervention à la tribune, monsieur le sénateur Artano.
Vous évoquez la problématique de l’équilibre financier, déjà abordée précédemment. Si nous voulons un système solide, de la confiance entre les générations, il faut que les personnes qui cotisent aujourd’hui puissent se dire que, lorsqu’elles seront en situation de recevoir une pension de retraite, le système sera à l’équilibre. Cette notion d’équilibre est donc essentielle.
Le Gouvernement a avancé une première proposition, en encourageant les partenaires sociaux à s’emparer du sujet et en leur disant : si vous trouvez quelque chose qui tient la route, nous le prendrons ! À défaut, nous avons présenté un mécanisme, qui est celui de l’âge d’équilibre.
Cette ouverture est toujours d’actualité, et l’on peut parler d’une véritable démocratie sociale, à tel point que, quand Laurent Berger a proposé de tenir une conférence sur le financement, le Gouvernement a répondu : banco !
Le Premier ministre reviendra sur la méthode retenue vendredi prochain. Dès lors, je ne peux pas aller beaucoup plus loin !
Si j’ai bien compris votre propos, c’est un élément sur lequel nous partageons le même point de vue : solidité et solidarité vont de pair, et la solidité passe par un dispositif qui soit à l’équilibre, et ce durablement.
Très franchement, je crois, pour avoir été de toutes les dernières réunions multilatérales, que les partenaires sociaux réformistes sont très clairs sur ce point. La question est plutôt de savoir comment construire ce système.
Mme Laurence Rossignol. Vous comptez le Medef parmi les partenaires sociaux réformistes ?
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.
M. Stéphane Artano. Monsieur le secrétaire d’État, ma question portait non pas sur le calendrier qui va être décliné ce vendredi, mais sur le principe même.
Les membres qui siègent dans cet hémicycle sont des élus responsables. Pour preuve, je vous renvoie tout simplement à ce qui s’est passé lors de l’examen du PLFSS, notamment à propos du plan Hôpital : nous avons refusé de statuer alors que des discussions étaient en cours. Pensez-vous réellement que nous allons travailler sur un projet de texte alors que des discussions sur une convention de financement vont avoir lieu ? Le Gouvernement va-t-il passer en force, puisqu’il est prévu que le projet de loi soit présenté au conseil des ministres le 24 janvier ?
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. En tant que rapporteure de la branche famille du PLFSS, je souhaite formuler quelques observations sur ce projet de loi.
En tout premier lieu, je veux une nouvelle fois évoquer l’absence de politique familiale qui, de mon point de vue, est une politique d’investissement dans l’avenir face au vieillissement de la population.
Avouons-le, aujourd’hui, rien n’encourage et n’accompagne les jeunes couples à devenir parents. Or sans futurs cotisants, il sera plus difficile de maintenir une solidarité intergénérationnelle au moment de la retraite. C’est pourquoi il conviendrait de s’interroger sur la baisse de 8,5 % en dix ans du nombre de naissances.
Par ailleurs, le Premier ministre assure que les femmes seront « les grandes gagnantes de la réforme ». Laissez-moi avoir quelques doutes, car elles seront les grandes gagnantes si elles restent en couple. Or près d’un mariage sur deux se conclut par un divorce. Les femmes touchent en moyenne un salaire inférieur de 26 % à celui des hommes, et c’est encore pire pour ce qui concerne leur pension de retraite, puisque celle-ci est inférieure de 42 % à celle des hommes.
En raison de ces inégalités salariales, les familles appliqueront la majoration de 5 % de la pension perçue dès le premier enfant au salaire des hommes, bien sûr. À partir du moment où l’homme gagne davantage, il est plus judicieux, d’un point de vue purement mathématique, à l’échelle d’un couple de faire appliquer cette majoration sur le revenu le plus élevé.
Cette réalité semble évidente, mais, en cas de divorce, la situation sera préjudiciable aux mères. Cela est d’autant plus regrettable avec la réforme en prévision des pensions de réversion.
Si la future réforme sera plus avantageuse en garantissant au conjoint survivant 70 % des ressources du couple, cette garantie est soumise à une condition : que le couple soit marié. Cette condition exclura donc les couples divorcés, alors qu’aujourd’hui la pension de réversion et partagée au prorata de la durée du mariage.
Monsieur le secrétaire d’État, comment comptez-vous résorber l’écart de pension que pourront subir les femmes avec cette réforme ? Quelle place donnez-vous à la politique familiale dans cette dernière ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Madame la sénatrice, votre question est effectivement importante : au travers de la réforme des retraites, comment est-il possible d’alimenter la politique familiale ?
La politique familiale n’apparaît pas uniquement dans le dispositif de retraite ; elle a une existence propre.
La question que nous pouvons nous poser est de savoir si le système de retraite actuel favorise une accentuation des écarts entre les hommes et les femmes ou s’il est neutre. En vérité, nous le voyons bien, ce système accentue ces écarts.
À titre d’exemple, 60 % des quelque 9 milliards d’euros par an que représente la majoration de 10 % au troisième enfant bénéficient aux hommes. Autrement dit, cette majoration, censée compenser le préjudice de carrière, profite à ceux qui ne subissent pas un tel préjudice, essentiellement les papas.
Le système actuel n’est donc pas favorable aux femmes et, en plus, je le répète, accentue les écarts.
La majoration de 5 % dès le premier enfant correspond à la vie des couples aujourd’hui. Mes filles, qui ont 24 et 25 ans, n’envisagent pas pour l’instant d’avoir des enfants pas plus que d’en avoir trois ou quatre !
Le mode de vie a changé, mais il doit être possible de s’adapter. C’est notamment pour cette raison que le Gouvernement a fait évoluer sa proposition en décidant d’ajouter une majoration supplémentaire de 2 % au troisième enfant. C’est aussi une façon de montrer notre volonté d’assurer une dynamique familiale positive dans ce projet de loi.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. Ma question est assez précise. Elle porte sur l’âge pivot et le malus qui pourrait l’accompagner. Que se passera-t-il pour les personnes qui avaient totalisé un nombre suffisant de trimestres pour pouvoir partir à 63 ans ? Et au-delà de la question des carrières longues, je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur les personnes qui ont racheté des trimestres de cotisation pour leurs années d’études, souvent au prix d’un effort financier important. Avez-vous prévu un dispositif particulier, de façon qu’elles ne soient pas pénalisées par la nouvelle réforme et que le choix pertinent qu’elles avaient fait ne soit pas remis en question ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Ce dispositif de rachat de trimestres a du sens dans la durée. Or, dans le système par points, la dynamique de la durée est moindre. Elle ne vaut que pour les carrières longues, la pénibilité et le minimum contributif.
Hormis ces trois cas, acquérir de la durée n’a guère de sens, alors qu’aujourd’hui il faut avoir cotisé pendant quarante-trois ans pour bénéficier du taux plein.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour la réplique.
Mme Catherine Deroche. Je ne sais pas si vous avez écouté ma question, monsieur le secrétaire d’État, parce que vous n’y avez pas du tout répondu ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.) Elle avait pourtant été exposée clairement, puis traitée lors des précédentes réformes des retraites, dans l’ancien monde, avec des dispositifs qui permettaient justement à ces personnes qui avaient racheté leurs trimestres de cotisation pour leurs années d’études de pouvoir récupérer ce rachat tout en le fiscalisant. Vous me répondez en évoquant trois situations qui ne correspondent à ma question.
Votre prédécesseur nous a dit, avec des trémolos dans la voix à chaque fois, que cette réforme serait juste et simple. Elle est simple en effet si l’on élimine tous les cas annexes que vous ne voulez pas aborder. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le secrétaire d’État, je vous poserai quatre questions, qui appellent quatre réponses, lesquelles pourraient être très brèves et se résumer à « oui » ou « non ».
Premièrement, aujourd’hui, les pensions de réversion sont versées dès 55 ans aux veufs et aux veuves, lesquelles sont le plus souvent concernées. Confirmez-vous que, selon votre projet, les veuves devraient désormais attendre 64 ans, soit neuf ans de plus, pour toucher leur pension de réversion ?
Deuxièmement, trouvez-vous juste d’exclure les ex-conjoints divorcés du bénéfice de la pension de réversion ? Il n’est pas rare que des femmes qui ont vécu pendant vingt-cinq ans avec un homme et n’ont pas ou peu travaillé pour élever leurs enfants soient amenées à divorcer tardivement. Ne craignez-vous pas que l’exclusion des femmes divorcées du bénéfice de la pension de réversion n’accroisse la dépendance économique des femmes à l’égard de leur mari, particulièrement en cas de violences conjugales ?
Troisièmement, vous mettez en avant votre volonté de relever à 1 000 euros le montant minimal de pension, mais, si j’ai bien compris, à condition que la carrière ait été complète. Pour ma part, je n’ai toujours pas compris ce qu’est une carrière complète dans un système à points. Pouvez-vous nous le dire précisément et rapidement, monsieur le secrétaire d’État ?
Quatrièmement, 62 % des fonctionnaires sont des femmes. Dans votre réforme, vous envisagez de remplacer le calcul de la pension sur les six derniers mois par le système à points, et tout le monde sait – y compris vous, bien sûr – que cela réduira les pensions des fonctionnaires. Comment pouvez-vous à la fois réduire les pensions des femmes fonctionnaires et, dans le même temps, prétendre que votre réforme ne va pas pénaliser les femmes ? (Vifs applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Sur la pension de réversion, l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) mène actuellement une réflexion et doit produire un rapport qui avait été annoncé par Jean-Paul Delevoye. Ce point fait partie des éléments qui doivent encore être examinés. (Protestations sur les travées du groupe SOCR.)
J’essaie de vous répondre très précisément, mais pour être en mesure de le faire, il faut disposer de tous les éléments. L’IGAS devant remettre un rapport, nous le lirons ; quel est l’intérêt d’un tel rapport si on ne le lit pas ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Cela dit, qu’est-ce qui fait la carrière complète ? Comme je l’ai indiqué, la notion de durée est maintenue dans trois cas, sur lesquels je ne reviendrai pas, dont le minimum contributif. La carrière complète, c’est quarante-trois ans, sur la base de 150 heures au SMIC pour valider un trimestre.
Dans le cas d’espèce que vous citez, il ne peut pas y avoir que des perdants, il y a des gagnants et vraisemblablement des perdants. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le secrétaire d’État, je pense que vous n’avez pas bien compris ma question. J’ai parlé non pas des perdants, mais des perdantes, c’est-à-dire les femmes qui sont au cœur de cette fameuse grande cause du quinquennat, cette grande cause qui est en train de s’effondrer dans votre réforme des retraites…
Vous attendez donc un rapport de l’IGAS pour savoir si vous allez passer la pension de réversion à 64 ans. Vous ne le savez toujours pas à cet instant ? De qui vous moquez-vous ?
Vous n’avez pas répondu pour ce qui concerne l’exclusion des femmes divorcées des pensions de réversion. Or vous exposez les femmes aux violences conjugales en les maintenant dans la dépendance économique de leur mari. Vous n’avez pas non plus répondu à propos des femmes fonctionnaires. En fait, vous n’avez répondu à aucune des quatre questions que je vous ai posées. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary.
M. René-Paul Savary. Monsieur le secrétaire d’État, compte tenu des questions précédentes, je ne vais pas poser celle que j’avais prévue pour élargir le débat et je reviendrai aux simulations.
Aujourd’hui, notre système de retraite est dit « à prestations définies » comportant deux notions : la durée et le taux plein. Nos concitoyens se posent la question de savoir à quel âge ils vont partir à la retraite et quel sera le montant de leur pension.
Le système à points est totalement différent, puisqu’il est à « cotisations définies » : la pension est fonction des points cotisés. Si l’on perçoit un petit salaire, on devra travailler toute sa vie, avec la perspective de toucher une petite pension ; si l’on touche un gros salaire, on aura beaucoup de points, et sans être obligé de travailler trop longtemps, on sera certain de percevoir une bonne pension.
C’est ce qui inquiète les Français ; ils veulent des garanties quant au niveau de leur pension. Il faut donc leur donner ces garanties pour qu’ils retrouvent la confiance. D’où des simulations.
Les simulations sur des carrières prospectives – une prise en compte des vingt-cinq meilleures années à venir – sont compliquées à réaliser. Au prorata, cela revient automatiquement à fausser le calcul au départ, car il ne s’agira pas forcément des meilleures années.
Ne serait-il pas judicieux d’établir des simulations sur les carrières passées de ceux qui partent actuellement à la retraite ? C’est faisable pour les fonctionnaires et les salariés du privé en reconstituant leur carrière et en comparant les résultats du système à points s’il s’appliquait pendant quarante ans avec ceux du système à prestations définies tel qu’on le connaît aujourd’hui. Que pensez-vous de ce type de simulation, monsieur le secrétaire d’État ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Le sujet est compliqué. (Rires ironiques sur les travées du groupe SOCR.) Vous proposez de prendre en compte des carrières passées qui reflètent l’histoire de la société de l’époque avec une liquidation sur des bases précédentes.
Si nous faisons évoluer le dispositif, c’est parce qu’il ne correspond plus aux carrières actuelles. Ainsi, ma carrière – entrée dans une entreprise à 20 ans et progression constante du niveau de mes responsabilités et de ma rémunération – ne reflète plus la réalité d’aujourd’hui.
Pour ce qui concerne les carrières hachées, si les écarts restent encore trop importants entre les femmes et les hommes, ils ont heureusement tendance à se réduire. Les dynamiques, là aussi, sont positives. Pourquoi comparer avec un système mis en place à une autre époque ? Il en est de même pour le taux de fécondité des femmes, qui a changé depuis les années 1960. La comparaison est donc difficile. (Marques d’ironie sur les travées du groupe SOCR.)
Je comprends votre logique et ses fondements. Mais si l’on se dit que le dispositif doit évoluer parce que la société évolue, comme le marché de l’emploi et le rapport à l’emploi, on est obligé de se projeter dans ce type de comportement. Par conséquent, il est difficile de répondre à votre question. (Exclamations sur les mêmes travées.)
En revanche, il sera possible de s’interroger sur les dispositifs à mettre en place lors de l’examen du projet de loi et de procéder à des simulations à l’issue de la discussion du texte, lorsque l’on disposera de tous les éléments nécessaires.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.
M. René-Paul Savary. Vous ne me rassurez pas, monsieur le secrétaire d’État. (Rires et applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.) J’espérais pouvoir redonner confiance à nos concitoyens. Si l’on n’est pas capable de procéder à des simulations sur des carrières passées, comment pourrait-on en faire sur des carrières à venir ? (Nouveaux rires et vifs applaudissements.)
Le monde n’a pas profondément changé en quelques années, même s’il existe, je le sais bien, un nouveau monde et un ancien monde.
Nous savons que la CNAV dispose de toutes les données sur des millions de personnes ; il est donc possible de reconstituer des carrières et d’établir des comparaisons.
Je vous propose une piste pour redonner confiance aux Français. Vous n’êtes pas obligé de l’accepter, mais ne la rejetez pas d’un revers de main ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le secrétaire d’État, c’est à tort que vous invoquez la justice sociale pour justifier votre réforme des retraites. Notre système actuel unique ne nécessitait que des aménagements pour devenir encore plus juste, voire universel.
C’est à tort que vous revendiquez l’esprit du CNR, qui aspirait, après les horreurs, à une société plus harmonieuse, plus épanouissante. Votre réforme, au contraire, détricote le collectif, et votre projet n’a plus de répartition que le nom. Chacun paie pour lui.
Les conséquences de votre réforme seraient terribles. J’ai pris le temps d’effectuer une simulation comparative à partir de chiffres que vous ne contesterez pas, car ce sont les vôtres – sauf erreur –, sortis de votre simulateur.
J’ai conjugué deux de vos exemples avec des carrières linéaires sans interruption, sans bas salaires, sans galères pour le premier emploi, sans période de chômage ni de maternité ; bref, le paradis professionnel virtuel.
Ainsi, Mme X – je l’ai appelée ainsi, pour que vous ne disiez pas que c’est un cas d’espèce –,…
Mme Laurence Rossignol. Il n’y a pas de cas d’espèce dans un régime universel.
M. Jean-Louis Tourenne. … secrétaire pendant seize ans, suit des cours du soir et engage une formation d’un an rémunérée. Elle devient développeuse web. Son salaire passe de 1 520 euros à 3 140 euros – ce sont vos chiffres.
Aujourd’hui, avec le système des vingt-cinq meilleures années – c’est la part de solidarité –, sa pension de retraite serait de 2 516 euros. Avec le système à points, sur quarante-deux ans de bons et loyaux services, avec les bas salaires de début, elle ne bénéficiera que de 1 606 euros mensuels : moins 1 000 euros par mois. Comme les carrières linéaires n’existeront plus, comme le premier emploi sera difficile à trouver, ceux qui commenceront à un niveau bas, qui auront des carrières hachées, soit la quasi-totalité de la population, auront commis le péché originel qu’ils devront payer jusqu’à la fin de leur vie. C’est la condamnation des efforts de qualification et de formation ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Monsieur le sénateur, je veux bien regarder ce cas d’espèce avec vous.
M. Jean-Louis Tourenne. Ce n’est pas un cas d’espèce !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. J’ai bien compris que vous l’aviez pris dans l’outil.
Le système par points favorise les plus petites pensions, ce qu’on appelle les plus petits déciles, les quatre premiers.
C’est une réalité, démontrée par l’ensemble des économistes. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.) Vous pouvez la contester, mais même Thomas Piketty le confirmera. Je le redis, je veux bien réexaminer avec vous ce sujet, mais la réalité, c’est que le système de retraite universel va favoriser – c’est très bien comme cela, il ne sera plus redistributif – l’ensemble des petites pensions inférieures à 1 400 euros. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)