Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Yves Daudigny, Mme Patricia Schillinger.
2. Communication relative à une commission mixte paritaire
3. Questions d’actualité au Gouvernement
Mme Monique Lubin ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; Mme Monique Lubin.
M. Claude Malhuret ; M. Édouard Philippe, Premier ministre.
assassinat de sarah halimi et irresponsabilité pénale (i)
M. Roger Karoutchi ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; M. Roger Karoutchi.
situation de crise entre les états-unis et l’iran
M. Philippe Bonnecarrère ; Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes ; M. Philippe Bonnecarrère.
M. Michel Amiel ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé.
commercialisation des huiles essentielles comme préparation naturelle non préoccupante
M. Joël Labbé ; M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Joël Labbé.
escalade militaire entre les états-unis et l’iran
M. Pierre Laurent ; Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Pascal Allizard ; Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
M. Jean-Luc Fichet ; Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-Luc Fichet.
Mme Esther Sittler ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
assassinat de sarah halimi et irresponsabilité pénale (II)
M. Jean-Marie Bockel ; Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Jean-Marie Bockel.
service minimum dans les transports publics
M. Jean-Raymond Hugonet ; M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports ; M. Jean-Raymond Hugonet.
réforme des retraites à saint-pierre-et-miquelon
M. Stéphane Artano ; M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites ; M. Stéphane Artano.
tensions entre les états-unis et l’iran
M. Jean-Yves Leconte ; Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Mme Martine Berthet ; M. Édouard Philippe, Premier ministre ; Mme Martine Berthet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
4. Violences faites aux femmes en situation de handicap. – Adoption d’une proposition de résolution
Discussion générale :
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées
Clôture de la discussion générale.
Texte de la proposition de résolution
Adoption, par scrutin public n° 63, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
5. La laïcité, garante de l’unité nationale. – Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur
M. Daniel Chasseing ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
Mme Dominique Vérien ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; Mme Dominique Vérien.
M. Roger Karoutchi ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Roger Karoutchi.
Mme Hélène Conway-Mouret ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; Mme Hélène Conway-Mouret.
M. Olivier Léonhardt ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
M. Arnaud de Belenet ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
Mme Éliane Assassi ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
Mme Sophie Joissains ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; Mme Sophie Joissains.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
M. Rachid Temal ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Rachid Temal.
Mme Brigitte Lherbier ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
Mme Viviane Artigalas ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur.
M. Jérôme Bascher ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Jérôme Bascher.
M. Olivier Paccaud ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Olivier Paccaud.
M. Max Brisson ; M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur ; M. Max Brisson.
M. Christophe Castaner, ministre
Mme Josiane Costes ; pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
7. La pédopsychiatrie en France. – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
Mme Patricia Schillinger.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire est parvenue à l’adoption d’un texte commun. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
3
Questions d’actualité au Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur notre site internet.
Chacun voudra bien se montrer respectueux des uns et des autres, ainsi que de son temps de parole.
réforme des retraites (i)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Monique Lubin. Ma question s’adresse à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons eu hier dans cet hémicycle un débat sur la réforme des retraites. Il fut, je dois le dire, fort édifiant ! Entre les atermoiements, les incohérences, les imprécisions, nous avons finalement été confortés sur un point : la cacophonie à laquelle nous assistons depuis plusieurs mois sur ce sujet arrive à son apogée !
Je résume en substance.
L’âge pivot ? Aucun problème, puisque ne seront concernés que quelques « cas d’espèce », tous les autres entrant plus tardivement dans la vie active ! Les milliers de « cas d’espèce » apprécieront…
Le coût financier des différentes transitions ? « Euh, nous restons à enveloppe constante. » Débrouillez-vous avec cela !
La mise en place d’outils de simulation pour les carrières déjà effectuées ? « Euh, c’est très compliqué. » Comme l’a dit l’un de nos collègues, nous ne sommes pas près d’avoir des outils de simulation pour les carrières à venir !
Les conditions de réversion pour les conjoints survivants, qui sont le plus souvent des conjointes, s’appliqueront-elles à partir de 64 ans au lieu de 55 ans ? Plus rien pour les femmes divorcées, avec les conséquences que cela entraîne pour les femmes victimes de violence ? Réponse : nous attendons un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS). Comme s’il fallait un rapport de l’IGAS pour imaginer les conséquences de telles mesures !
Ajoutons à cela toutes les garanties de maintien de leur système propre déjà apportées à quelques professions. On voit bien que l’universalité telle que vous la concevez sera impossible et que, si vous allez au bout, vous créerez des inégalités majeures, parce que seules certaines catégories de salariés se verront infliger une réforme au rabais.
Monsieur le secrétaire d’État, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ». J’en conclus donc que vous êtes très loin de concevoir clairement ce que vous voulez faire.
Quand prendrez-vous la seule décision qui s’impose, à savoir retirer ce projet non abouti et clairement anxiogène ? (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Mme Laurence Rossignol. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des retraites.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Madame la sénatrice, il est vrai que, hier, nous avons eu une première série d’échanges…
M. Philippe Dallier. Pas très fructueux !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. … sur le projet de loi de réforme de notre système de retraite. Sur le fond, vous avez souhaité souligner un certain nombre d’inquiétudes ou d’interrogations en posant cette question relativement large.
L’âge d’équilibre n’est que la résultante d’un dispositif qui s’appuie sur des cotisations et des pensions. En effet, dans un système par répartition, les cotisations servent à payer les pensions. Il est donc cohérent que, à un moment donné, le système soit à l’équilibre autour d’un âge ; ce n’est pas tabou de dire cela. D’ailleurs, la référence collective à la notion de durée a été régulièrement utilisée par les uns ou par les autres, notamment, si j’ai bonne mémoire, lors de la réforme de 2014 où il était question d’amener tout le monde à une durée de cotisation de 43 ans, en 2035. C’est une autre forme de référence collective sur laquelle on peut s’appuyer.
Aujourd’hui, tous les Français qui le souhaitent ont à leur disposition un outil de simulation sur le site réforme-retraite.gouv.fr, avec la prise en compte d’un certain nombre de cas d’espèce. (Exclamations sur les travées du groupe SOCR.)
À la question de savoir à partir de quand nous pourrons avoir des simulations à titre individuel, liées au parcours de chacun, j’ai répondu hier et je réponds encore aujourd’hui : lorsque les paramètres seront complètement déterminés et que le texte aura été voté (Exclamations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.),…
M. Marc-Philippe Daubresse. Il faut que le fût du canon refroidisse !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. … nous serons bien sûr en mesure de faire des simulations tout à fait cohérentes pour l’ensemble des Français. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR, ainsi que sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, pour la réplique.
Mme Monique Lubin. Monsieur le secrétaire d’État, je crois que tout est dit ! Quand nous aurons voté et que nous serons en capacité de déterminer les paramètres, les Français pourront savoir à quelle sauce ils seront mangés. Franchement, ce n’est pas sérieux !
Je le répète : votre projet n’est pas abouti et nous ne pouvons pas livrer les Français en pâture comme cela. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
réforme des retraites (ii)
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, ma formule dans le débat d’hier sur « la France en marche arrière et les Français en marche à pied » visait bien sûr ceux qui, depuis plus d’un mois, paralysent le pays. Chaque jour qui passe démontre à quel point ceux qui prétendent défendre les Français et le service public se moquent des obligations et de la réputation du service public comme de la détresse des Français, surtout les plus fragiles.
Au moment où, dans le calme, nos voisins européens ont tiré les conséquences de l’allongement de la vie en reculant l’âge de la retraite, en France, les démagogues d’extrême droite et d’extrême gauche proposent la retraite à 60 ans. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
Mme Éliane Assassi. C’est une obsession !
M. Claude Malhuret. Pour eux, l’argent public, c’est tous les chakras ouverts : tout le monde peut se servir.
Pourtant, les Français savent que la réforme est inéluctable. Déséquilibre démographique, déficit structurel, coût des régimes spéciaux sont une épée de Damoclès au-dessus de nos retraites dans un pays où le système coûte 14 % du PIB contre 10 % en moyenne en Europe.
Au fur et à mesure des discussions, on voit bien que l’enjeu porte sur un sujet principal, celui de l’équilibre, c’est-à-dire la pérennité du système français de retraites.
Monsieur le Premier ministre, vous avez raison de refuser d’entrer dans la distinction purement rhétorique entre réforme systémique et réforme paramétrique. La réalité est bien plus simple : le système doit être équilibré sur le long terme et il doit l’être sur le court terme, c’est tout.
Âge pivot, augmentation de l’âge de départ ou conférence de financement, nous concevons tous qu’il est possible de discuter des modalités. Penser que la réforme va s’équilibrer toute seule, surtout avec l’augmentation de la facture à chaque rendez-vous avec les partenaires sociaux, c’est comme prétendre que l’on va gagner un marathon avec des chaussures de ski. (Sourires.)
Vendredi prochain sera, nous dit-on, le jour de l’épreuve de vérité. Êtes-vous déterminé, monsieur le Premier ministre, à aborder ce rendez-vous en tenant le nécessaire langage de vérité sur l’équilibre financier de nos retraites ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, UC et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, permettez-moi, avant de répondre à la question que vous venez de poser, de saluer tous les membres du Sénat et de leur souhaiter une excellente année 2020.
Je serais tenté de répondre à votre question par une réponse courte, simple et nette : oui. Vous me rétorquerez alors à juste titre : c’est un peu court, jeune homme ! (Sourires.) J’en dirai donc un peu plus.
Oui, la question de l’équilibre de nos systèmes de retraite est légitime et c’est une exigence que nous devons poser. En effet, notre système actuel, avec ses quarante-deux régimes, est fondé – et c’est heureux – sur la répartition, c’est-à-dire sur la solidarité entre les générations – les actifs payent pour les retraités – et sur la solidarité entre les professions, à l’intérieur d’un régime et, parfois, entre différents régimes.
Au cœur du système de retraites se trouve donc la notion de solidarité. Notre système a d’ailleurs permis à la France d’être le pays d’Europe où le taux de pauvreté chez les retraités est le plus faible, ce qui est une excellente chose. C’est évidemment ce que nous voulons préserver, tous ensemble, dans cet hémicycle et en France, du moins je le crois.
Toutefois, la solidarité, ce n’est pas l’irresponsabilité. C’est même le contraire.
M. Pierre Laurent. Ce sont des mots !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. On peut parfaitement accepter l’idée que les actifs payent pour les retraités, mais il y aurait quelque chose d’irresponsable et finalement de très peu solidaire à dire que, n’arrivant pas à financer les pensions, les actifs laisseraient à leurs enfants le soin de payer leurs pensions plus la dette.
En d’autres termes, l’équilibre d’un système est en soi un objectif, mais c’est également un objectif de solidarité et de responsabilité. Je l’ai dit depuis le début et je continuerai à le dire jusqu’au bout.
M. Pascal Savoldelli. Jusqu’au retrait ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce qui est vrai, monsieur le président Malhuret, c’est que, dans tous les autres pays d’Europe et dans tous les autres pays comparables à la France, c’est-à-dire ceux qui sont attachés à la solidarité et à l’État de droit – au fond, les grandes démocraties occidentales auxquelles nous pouvons nous comparer –, partout, les décisions ont été prises de retarder l’âge de départ à la retraite. C’est vrai en Belgique, en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, partout.
Pourquoi ? Parce que le ratio entre les actifs et les retraités se modifie, parce que l’espérance de vie augmente, parce qu’il faut bien faire en sorte que les actifs puissent payer pour les pensionnés, sans se trouver dans une situation trop délicate. C’est très bien ainsi.
M. Pierre Laurent. Ce n’est pas un progrès social !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. La réponse qui a été trouvée partout a été de travailler progressivement un peu plus longtemps.
Dans tous les États, lorsque l’on touche au système de retraite, quel qu’il soit, cela crée forcément de l’émotion.
M. Pascal Savoldelli. Et l’espérance de vie ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Toutefois, tous les pays ont réussi à le faire. Or, en France, depuis très longtemps, depuis que je m’intéresse aux questions publiques, chaque fois que l’on évoque la question des retraites, on suscite une émotion, une inquiétude et une mobilisation souvent considérables.
Chacun ici a des souvenirs des éléments de réforme qui ont été apportés au système et qui ont suscité des mobilisations et des oppositions. J’observe d’ailleurs que, bien souvent, ceux qui, aujourd’hui, critiquent le projet critiquaient les évolutions des systèmes antérieurs qu’ils défendent aujourd’hui. C’est ainsi ! Ces choses curieuses arrivent parfois…
Notre objectif, monsieur le sénateur Malhuret, c’est de créer un système universel, équitable et responsable (Exclamations sur les travées des groupes SOCR, CRCE et RDSE. – M. Bruno Sido applaudit.), un système universel dans lequel l’ensemble des Françaises et des Français, quel que soit leur métier, auront les mêmes droits et seront soumis aux mêmes contraintes. C’est un élément de justice et d’efficacité.
C’est même un élément d’adaptation au monde tel qu’il se transforme (Ah ! sur les travées des groupes SOCR et CRCE.), car, de plus en plus, les carrières professionnelles sont variées et diverses. Tel individu, qui, un jour, est fonctionnaire, devient salarié, puis travailleur indépendant. Nous savons que les carrières professionnelles sont hachées, diverses et nous savons qu’un système universel par point et par répartition permettra de bien mieux prendre en compte la diversité des parcours professionnels, la fluidité des parcours professionnels et la justice entre nos concitoyens, à laquelle nous sommes évidemment tous attachés.
M. Pierre Laurent. Quelle pension et à quel âge ?
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Le projet de loi sera prochainement présenté en conseil des ministres. Il sera soumis, c’est bien naturel, à l’Assemblée nationale à la fin du mois de février et au Sénat à partir du mois d’avril prochain.
Mme Éliane Assassi. En procédure accélérée !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. La discussion, j’en suis certain, sera dense, riche et passionnée. Je l’attends avec impatience. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et UC.)
assassinat de sarah halimi et irresponsabilité pénale (i)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le Premier ministre, la République se doit d’être protectrice de tous les citoyens. Sarah Halimi a été massacrée, défenestrée par un meurtrier clairement antisémite. Il n’y aura pas de procès.
Au-delà des règles, au-delà des codes, monsieur le Premier ministre, trouvez-vous cela juste ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, il y a un peu plus de deux ans, Mme Halimi, l’une de nos concitoyennes, était assassinée de façon atroce. Nous en conservons tous la mémoire.
Une décision de justice récente que vous avez évoquée a ravivé le souvenir de ce drame et suscité dans la société française, et au sein du Parlement peut-être, un très grand nombre d’interrogations.
Par une décision du 19 décembre dernier, la cour d’appel de Paris a déclaré l’auteur des faits irresponsable pénalement, en raison d’« un trouble psychique ayant aboli son discernement au moment du crime ». C’est le texte de la décision.
La cour d’appel a toutefois aussi reconnu l’existence de charges suffisantes à son égard pour estimer qu’il avait commis ce meurtre. Elle a reconnu « l’existence d’une circonstance aggravante liée à la motivation antisémite de l’acte ». C’est également dans la décision ; je me contente de citer le texte de la cour d’appel.
La cour d’appel a enfin décidé – c’est elle qui le dit – de mesures coercitives contre le meurtrier, en l’occurrence, une hospitalisation sans consentement. Voilà ce que nous dit la justice.
Vous savez parfaitement, en me demandant si je trouve cette décision juste, qu’en tant que chef du Gouvernement il ne m’appartient pas de porter une appréciation sur une décision de justice. De même, vous savez parfaitement, pour avoir exercé des responsabilités gouvernementales, pourquoi ce principe est essentiel et important.
L’émotion suscitée par la décision a été vive. Les questions que pose cette décision sont sérieuses. La cour d’appel a utilisé une procédure – une façon de juger, dirai-je – créée en 2008, qui permet de juger – c’est important de l’avoir en tête – en audience publique les faits commis par un individu dont l’irresponsabilité pénale a été reconnue. En vérité, c’était déjà une façon d’essayer de mieux prendre en compte la question générale que vous évoquez, au-delà de ces seuls faits.
Peut-être cette décision suscitera-t-elle, au-delà de l’émotion, un débat. Si débat il doit y avoir, le Gouvernement y prendra sa part.
Reste qu’il est normal, important et légitime que le Gouvernement ne se prononce pas et ne donne pas une appréciation sur les décisions de justice, sans quoi séparation des pouvoirs, grands principes républicains, tout cela partirait à vau-l’eau.
Le fait que la cour d’appel ait, par sa décision, reconnu la circonstance aggravante et le caractère antisémite de l’acte est un élément qu’il faut en permanence rappeler à ceux qui, dans un premier temps ou de façon systématique, ont indiqué ou laissé penser que l’acte en question aurait pu ne pas être motivé par ces circonstances.
Voilà ce que je veux répondre à la question que vous posez, monsieur le sénateur. Quant à savoir si je trouve cette décision juste ou non, je garderai la réponse pour moi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de cette réponse. Loin de moi l’idée de remettre en cause la neutralité du Gouvernement ou l’indépendance des magistrats.
Toutefois, monsieur le Premier ministre, dans un pays où, aujourd’hui, quand on marche dans un parc à Villejuif, dans une rue à Metz, dans une gare à Paris, on peut croiser à tout moment quelqu’un qui dispose d’un couteau et qui peut nous dire – puisque nous vivons maintenant au rythme des déséquilibrés – qu’il n’avait pas toute sa conscience à ce moment-là, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela veut-il dire que ces gens-là sont irresponsables pénalement ? Pour toujours ? À terme ? Où allons-nous ?
Si, demain, la Turquie ou nos amis kurdes nous renvoient des tueurs de Daech et que les avocats de ces tueurs – puisqu’ils seront défendus, c’est logique – nous disent qu’au moment où ils ont commis des crimes ou des massacres ils étaient sous l’effet de drogues ou d’un embrigadement et qu’ils n’avaient pas alors leur pleine conscience, jusqu’où va-t-on légitimer la violence, le risque pour la République ?
Monsieur le Premier ministre, je ne vous demande pas une réponse remettant en cause la magistrature, tant s’en faut. Je respecte le travail des magistrats. Je vous dis : le Gouvernement, la République se doivent de protéger tous les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)
situation de crise entre les états-unis et l’iran
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Philippe Bonnecarrère. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Madame la secrétaire d’État, abattre le chef militaire d’un pays souverain, l’Iran, sur le territoire d’un autre pays souverain, l’Irak, n’a pas été une mince décision. Attiser les nationalismes iraniens ou irakiens ne l’est pas plus, quand grondent les crises, toutes interconnectées, du Liban à la Syrie, de l’Irak au Yémen ou encore du détroit d’Ormuz à l’Afghanistan.
Madame la secrétaire d’État, quelle est l’analyse du Gouvernement sur les frappes de cette nuit ? Quelles sont les priorités de la France ? Quelles sont celles de l’Europe ? Notre pays peut-il contribuer à la désescalade, voire à la médiation ? Comment pouvons-nous poursuivre la lutte contre l’État islamique et éviter que les braises ne se rallument ? (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, permettez-moi tout d’abord d’excuser Jean-Yves Le Drian, actuellement en Égypte pour continuer à œuvrer à la sécurité et à la stabilité régionales, en coordination avec nos partenaires européens.
Il y a aujourd’hui une situation de crise grave qui concerne directement la sécurité des Français. Le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a dit ce matin : nous condamnons les attaques conduites cette nuit par l’Iran en Irak contre des emprises de la coalition contre Daech. Je le rappelle : cette coalition contre Daech existe depuis 2014. Elle réunit plus de 70 pays et organisations internationales. Elle a été installée à la demande des autorités irakiennes, pour combattre Daech en Irak et en Syrie. Elle a eu des résultats importants, notamment la fin du califat territorial au mois de mars 2019, mais nous savons que cette menace peut resurgir.
Notre priorité aujourd’hui, plus que jamais, c’est bien la désescalade, parce que ce cycle de violences doit s’interrompre. La France est en contact avec l’ensemble des parties concernées : plus de vingt chefs d’État et ministres des affaires étrangères, des États-Unis, de la Chine, de la Russie, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de l’Inde, de l’Allemagne, de l’Italie, du Royaume-Uni, de l’Union européenne en tant que telle, bien sûr, du Danemark ou encore de l’Irak, ont été contactés par Jean-Yves Le Drian ou le Président de la République dans les derniers jours. Nous avons, avec toutes ces parties concernées, pu œuvrer à encourager la retenue et la responsabilité, des consultations ayant eu lieu hier à Bruxelles. Vendredi prochain se tiendra un Conseil des affaires étrangères extraordinaire.
Notre vision est partagée, car personne n’a aujourd’hui intérêt à un conflit. Nous devons, plus que jamais, combattre Daech encore et toujours. Nous devons d’abord protéger nos ressortissants. Nous devons ensuite poursuivre cette lutte contre Daech. Nous devons enfin éviter une crise de prolifération nucléaire, c’est notre troisième priorité. C’est pourquoi nous parlons à tout le monde et appelons toutes les parties à la retenue. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. Madame la secrétaire d’État, au risque de paraître un peu solennel, je formulerai trois remarques.
Premièrement, la crise au Moyen-Orient nous interpelle dans notre souveraineté française, comme dans notre souveraineté européenne. Pour moi, ce sont les mêmes sujets.
Deuxièmement, nous devons garder le cap de la lutte contre le terrorisme, que cela soit ici, au bas de l’immeuble ou au coin du parc, comme nous l’avons entendu voilà quelques secondes, ou, bien entendu, au Moyen-Orient.
Troisièmement, ne nous y trompons pas : la décision d’abattre le général Soleimani était une décision électorale, de politique intérieure américaine. Au risque d’être un peu solennel, je rappelle que nous n’avons pas, me semble-t-il, à être les supplétifs des États-Unis, ni aujourd’hui ni demain. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe UC.)
dispositif « 100 % santé »
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe La République En Marche. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. Michel Amiel. Ma question s’adresse à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Madame la ministre, une once de solidarité dans ce monde de brutalité et d’égoïsme : les appareils auditifs, les lunettes de vue ou encore les couronnes dentaires sont autant de soins indispensables pour beaucoup de Français qui leur étaient pourtant parfois inaccessibles.
Certains soins représentent des coûts exorbitants. Si l’on doit compter de 500 à 900 euros pour une couronne en céramique, le reste à charge varie entre 200 et 500 euros, après remboursement de l’assurance maladie. C’est pourquoi nombre de Français renoncent à se soigner.
Si le reste à charge des ménages était près de trois fois plus élevé en proportion que pour les autres postes de soins, il représentait 25 % de la dépense en soins prothétiques dentaires, 56 % pour les aides auditives et 22 % en optique.
Depuis le 1er janvier dernier, cette situation indigne dans un pays comme la France n’est plus !
La réforme « 100 % santé », appelée également « reste à charge zéro », mise en place progressivement depuis le mois de janvier 2019 et s’étalant jusqu’en 2021, propose un ensemble de prestations de soins et d’équipements dans un panier spécifique pour ces trois postes de soins.
Cette réforme poursuit ainsi son déploiement cette année encore avec l’engagement d’une deuxième étape. Aujourd’hui, nous permettons à nos concitoyens de bénéficier d’une prise en charge à 100 % de leurs dépenses de lunettes et des soins dentaires les plus courants.
Permettre l’accès à la santé pour tous est – j’en suis sûr – un objectif communément partagé sur les bancs de la Haute Assemblée.
Madame la ministre, permettez-moi de vous demander quelle sera la suite de la mise en œuvre pour une montée en charge complète de cette réforme ô combien importante et soutenue par les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie de cette question.
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. David Assouline. Oui, il faut remercier !
Mme Agnès Buzyn, ministre. Vous avez raison, de nombreux citoyens ont dû renoncer à des soins pour des raisons financières.
Nous savons que deux tiers des malentendants aujourd’hui ne sont pas équipés et que 17 % des Français renoncent aux soins dentaires en raison du reste à charge. Cette situation n’était plus acceptable. Les soins dentaires, les lunettes, les appareils auditifs, n’ont rien de superflu : ils sont essentiels à la vie quotidienne.
La réforme « 100 % santé » a été élaborée conjointement avec les professionnels des différents secteurs et les complémentaires. Il s’agit d’un progrès majeur. Depuis le 1er janvier 2020, le « 100 % santé » est entré en vigueur en optique. Grâce à cette offre, changer de lunettes sur prescription médicale est désormais totalement remboursé. L’offre concerne les montures comme les verres, avec des équipements de qualité, des verres anti-reflets, anti-rayures, amincis.
Les actes dentaires les plus courants, les couronnes et les bridges sont désormais pris en charge à 100 %, avec le remboursement intégral de huit prothèses dites fixes. Les prothèses mobiles seront prises en charge l’année prochaine, au 1er janvier 2021.
Enfin, dans le domaine de l’audiologie, les patients devaient assumer, en 2018, des frais de 850 euros en moyenne par oreille. En 2019, le reste à charge a baissé de 200 euros en moyenne. Cette année, il baisse de 250 euros supplémentaires et, l’année prochaine, les prothèses auditives seront totalement prises en charge.
Aujourd’hui, les dentistes, les opticiens, les audioprothésistes doivent informer tous les Français de l’offre « 100 % santé » dans le devis qu’ils leur remettent. C’est une obligation. Il s’agit d’une réforme majeure, qui n’avait que trop tardé. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
commercialisation des huiles essentielles comme préparation naturelle non préoccupante
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Joël Labbé. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Monsieur le ministre, nous connaissons votre intérêt pour les plantes médicinales et leurs usages à la fois traditionnels et innovants. Ma question porte sur l’un de ces usages, particulièrement intéressant pour la transition de notre agriculture.
Vous le savez, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a permis aux agriculteurs d’utiliser, pour les plantes alimentaires, les huiles essentielles en tant que substances naturelles à usage biostimulant, via la réglementation sur les préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP).
C’est une réelle avancée, car il est absurde d’exiger une autorisation de mise sur le marché pour des produits par ailleurs vendus comme aliments. La santé des plantes par les plantes, plutôt que par les pesticides de synthèse, est une belle opportunité pour l’agroécologie ainsi que pour l’économie des territoires ruraux.
Or de récentes déclarations émanant de votre ministère laissent entendre qu’un nouvel arrêté pourrait exclure les huiles essentielles des PNPP composées de substances naturelles à usage biostimulant. Elles seraient alors soumises à de coûteuses autorisations de mise sur le marché, en tant que pesticides. Cette situation constituerait un recul incompréhensible et donnerait un coup d’arrêt au développement de pratiques vertueuses.
De nombreux paysans utilisent des huiles essentielles sur le terrain sans qu’aucun problème sanitaire soit constaté. Des PME développent des produits innovants et des entreprises agroalimentaires se tournent vers ces alternatives à la chimie.
Monsieur le ministre, à l’heure où chacun reconnaît la nécessité de réduire l’usage des pesticides de synthèse, pouvez-vous nous confirmer que les huiles essentielles resteront bien considérées comme des préparations naturelles peu préoccupantes ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes SOCR et UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Joël Labbé, je vous remercie de votre question. Nous nous sommes rencontrés il y a peu de temps pour évoquer ces sujets, sur lesquels vous travaillez depuis que vous avez été élu sénateur voilà plusieurs années – je pense notamment à l’herboristerie. La loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt et la loi Égalim ont avancé dans cette direction.
À titre personnel, vous le savez, je partage votre position.
Cependant, la position du Gouvernement s’appuie, premièrement, sur la science et, deuxièmement, sur la transparence.
À cet égard, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) doit absolument rendre son rapport. Vous faites état de ce que vous avez entendu dire, mais il convient d’attendre ce rapport, où l’Agence devra établir la réalité de la situation. Parallèlement, le Gouvernement devra évidemment inscrire le sujet dans le débat public, pour que chacun soit bien informé.
L’avis de l’Anses sur le cahier des charges est attendu pour la fin du mois de mars prochain. Vous aurez donc votre réponse dans trois mois, monsieur le sénateur. Dans la foulée, nous prendrons un arrêté relatif au cahier des charges. La consultation publique sera mise en place juste après la fin du mois de mars, pour un résultat qui sera vraisemblablement connu d’ici à l’été. Nous devons être vigilants.
Nous partageons la même vision, monsieur le sénateur. Attendons l’avis de l’Anses et le résultat de la consultation publique. Vous aurez votre réponse dans les prochaines semaines. (Applaudissements sur des travées des groupes LaREM et RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. Si la rédaction de l’arrêté n’était pas satisfaisante, je peux vous faire savoir que ça va bouger dans les campagnes ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne serai pas le dernier à organiser les mobilisations, parce qu’il y en a véritablement marre de cette situation où des substances naturelles subissent des contraintes au même titre que les pesticides ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées des groupes SOCR et CRCE.)
escalade militaire entre les états-unis et l’iran
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Pierre Laurent. Monsieur le président, mes chers collègues, madame la secrétaire d’État, l’engrenage militaire et guerrier tant redouté entre les États-Unis et l’Iran est désormais enclenché.
L’irresponsabilité de Donald Trump est immense. Après avoir torpillé l’accord sur le nucléaire iranien, il vient, avec l’assassinat ciblé du général Soleimani, de faire le choix délibéré d’attiser une nouvelle fois la guerre dans la région.
La riposte iranienne est la conséquence programmée de cette logique de guerre voulue par le président américain. Le feu vert donné à l’offensive turque en Syrie et peut-être très bientôt en Libye n’en était qu’un sinistre prélude…
La logique américaine est manifestement celle de la guerre sans fin au Moyen-Orient. Les guerres s’enchaînent depuis trente ans et aucun des conflits ne s’est réellement achevé sans que s’ouvre un nouveau front, augmentant sans cesse les destructions des sociétés.
De surcroît, cette logique vient de réussir le tour de force de ressouder la population derrière le régime autoritaire des mollahs en Iran, en reléguant au second plan les puissants mouvements de protestation populaire qui, en Irak, en Iran et au Liban, cherchent des voies de justice et de démocratie nouvelles.
La France, madame la secrétaire d’État, ne doit pas se laisser entraîner dans cette logique. La France ne peut pas s’en tenir à des déclarations appelant à la désescalade sans situer les responsabilités, sans condamner fermement l’initiative illégale prise par Trump, d’ailleurs largement condamnée aux États-Unis.
J’ai trois questions précises à vous poser, madame la secrétaire d’État.
Premièrement, la France exclut-elle réellement tout engagement militaire supplémentaire qui lui ferait emboîter le pas aux Américains ?
Deuxièmement, est-il exact que, dans les contacts au sein de l’OTAN et dans la conversation téléphonique entre le Président de la République et Donald Trump, la France ait assuré le président américain de son plein soutien dans cette affaire ?
Troisièmement, le Gouvernement – je m’adresse aussi au Premier ministre – est-il prêt, en tout état de cause, à titre exceptionnel et compte tenu de la gravité du moment présent, à saisir le Parlement d’une déclaration suivie d’un vote si la question se posait d’autoriser ou non un engagement supplémentaire des forces militaires françaises…
M. le président. Il faut conclure.
M. Pierre Laurent. … aux côtés des forces de l’OTAN ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Pierre Laurent, ce qui est en jeu aujourd’hui est bien, au fond, le résultat d’une mauvaise réaction iranienne à une mauvaise décision américaine de sortir de l’accord sur le nucléaire de 2015, le JCPoA, et d’imposer une logique de sanction maximale.
Je répète ici que nous ne soutenions pas cette décision américaine, qui date de mai 2018. Nous avons alerté la communauté internationale sur les risques que de mauvaises initiatives soient prises de part et d’autre. Nous avons d’ailleurs alerté, dès septembre 2017, sur le risque d’une escalade des tensions régionales et nous avons engagé des initiatives en faveur d’une nouvelle négociation globale qui préserve l’accord nucléaire et le complète par une négociation sur les missiles et la stabilité régionale.
On le sait, cette mauvaise réaction iranienne s’est d’abord traduite par des violations successives de l’accord nucléaire, aujourd’hui en danger, car il a été vidé de sa substance. Des actions de déstabilisation régionale ont également été conduites depuis six mois.
Ces mauvaises décisions mènent à la crise que nous connaissons aujourd’hui. Dans ce contexte, nous avons dit qu’il était inacceptable que des attaques soient conduites contre la coalition qui lutte contre Daech, et contre celle-ci seulement, car la poursuite de la lutte contre Daech est un impératif de sécurité pour nous, pour l’Irak et pour la stabilité régionale. C’est à l’endroit des partenaires de la coalition contre Daech que nous avons exprimé notre solidarité, parce que des emprises utilisées par cette coalition qui lutte contre le terrorisme ont été attaquées. C’est à ce titre et à ce titre seulement que nous sommes solidaires.
Je fais une distinction très claire avec l’action américaine contre le général Soleimani, qui n’est pas une action de la coalition contre Daech. Elle a été décidée sans consultation de la France par les États-Unis, sur la base de considérations de sécurité nationale. Il s’agit donc d’une initiative américaine, de la seule responsabilité des États-Unis.
La priorité absolue, monsieur le sénateur, n’est pas d’engager une nouvelle épreuve de force. Elle n’est pas d’entrer dans une logique d’escalade. Elle est bien d’appeler les démocraties, notamment nos partenaires européens, à la désescalade, à la retenue et à la responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
situation au moyen-orient
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis plusieurs mois, la tension monte entre l’Iran et les États-Unis : discours défiant la communauté internationale, violation des traités internationaux, tweets vindicatifs autant qu’irresponsables… Nous assistons, je le crois, à l’agonie de la diplomatie internationale, face à une politique unilatérale américaine quelque peu caractérisée par le « coup de menton », si je puis dire, sur les réseaux sociaux. Cette politique conduit à une impasse, comme l’illustre l’exemple de la Corée du Nord, qui poursuit ses programmes militaires.
Certes inquiets du contexte économique et social de notre pays, les Français n’en sont pas moins préoccupés par les questions internationales. Qu’il s’agisse des incendies en Amazonie et en Australie ou de l’intensification du programme nucléaire iranien, nos citoyens sont concernés.
Avec l’élimination du général Soleimani par une frappe américaine, puis la riposte de Téhéran sur deux bases où sont stationnés des soldats américains en Irak, la région est plongée dans une escalade des plus dangereuses.
La crise iranienne n’est que l’un des volets d’une situation générale profondément dégradée au Proche-Orient et au Moyen-Orient, sur laquelle nous avons finalement peu de prise.
Pourtant, jadis, la voix de la France portait et influait sur le cours des événements. La crise syrienne a montré que tel n’était plus le cas.
Dès lors, madame la secrétaire d’État, comment comptez-vous ramener la diplomatie française et européenne dans le jeu ? Alors que le président américain a tweeté, voilà quelques minutes, « avoir l’armée la plus puissante et la mieux équipée du monde », menace qu’il avait déjà servie aux Nord-Coréens, pour le résultat que l’on connaît, il est primordial que la France mobilise ses partenaires européens et les alliés pour parvenir à la désescalade.
Comment entendez-vous assurer la stabilité régionale, de même que la sécurité des militaires français encore engagés dans la lutte contre Daech et la formation des forces irakiennes, qui est l’une des clés de la stabilisation de l’État irakien ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Pascal Allizard, comme vous le dites avec raison, notre priorité est bien la sécurité de nos ressortissants et de nos militaires. Nous avons pris des mesures de vigilance renforcée dès vendredi dernier et de nouveau hier, s’agissant en particulier de l’Iran et l’Irak.
Vous m’interrogez sur les efforts que Jean-Yves Le Drian entreprend, avec le Président de la République et tout le Gouvernement, pour assurer la sécurité et la stabilité régionale, notamment au niveau européen.
Hier se sont tenues, à Bruxelles, des réunions associant le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne et la France, autour du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, qui ont concerné les questions iranienne et irakienne, bien sûr, mais aussi le sujet libyen, qui, nous le savons, est lui aussi inquiétant.
Aujourd’hui, un collège spécial des commissaires européens se réunissait autour de Josep Borrell et d’Ursula von der Leyen pour aborder également cette question. Josep Borrell a convoqué un Conseil des affaires étrangères extraordinaire, qui se réunira dès ce vendredi : là aussi, nous pourrons, en Européens, poser un diagnostic, regarder la situation et réfléchir à ce que nous pouvons dorénavant faire, notamment pour peser en faveur d’une désescalade.
Une médiation a été engagée sur la survie de l’accord de Vienne de 2015, le JCPoA. Des tentatives ont été entreprises à Biarritz, puis aux Nations unies. Dans tous ces moments, nous montrons que le multilatéralisme n’est pas un vain mot.
Notre présence aux tables de négociations, le fait que Jean-Yves Le Drian soit de nouveau présent en Égypte aujourd’hui pour échanger sur la stabilité régionale et sur celle du bassin méditerranéen oriental sont des preuves que nous sommes à la manœuvre.
Vingt pays partenaires ont été mobilisés par le Président de la République et par Jean-Yves Le Drian depuis vendredi. Tous les représentants de ces pays nous ont dit partager notre vision, vouloir la désescalade et n’avoir aucun intérêt au conflit. Notre action principale consiste donc à rappeler les priorités : la désescalade à court terme, la lutte contre Daech et le terrorisme, qui peut partout et toujours resurgir, et, enfin, la protection contre la prolifération nucléaire, autre enjeu sur lequel, vous le savez, nous sommes pleinement engagés.
situation de l’hôpital public
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Luc Fichet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les personnels hospitaliers sont désormais mobilisés depuis des mois pour défendre l’accès aux soins et leurs conditions d’exercice. Ils expriment collectivement une vraie souffrance au travail.
Récemment, les internes ont choisi de rejoindre le mouvement, qui s’intensifie. Dans mon département du Finistère, des praticiens refusent de nouvelles assignations après avoir effectué 62 heures de travail au cours d’une même semaine.
La formation des futurs médecins est véritablement dégradée au vu des conditions dans lesquelles ils exercent.
« L’hôpital public se meurt » : c’est en ces termes que 660 médecins, menaçant de démissionner, vous ont alertée dans leur tribune parue le 15 décembre dernier, madame la ministre. Ils sont aujourd’hui 1 000 signataires !
Les annonces effectuées par votre Gouvernement à la fin du mois de novembre n’ont visiblement convaincu personne.
Nous avons la chance de disposer d’un système de soins parmi les meilleurs au monde et d’une organisation de notre système de santé qui nous est enviée. Nous nous devons de les préserver et de travailler à les faire évoluer positivement.
Les médecins, les infirmiers, les aides-soignants et l’ensemble des personnels des hôpitaux vous le demandent : investissez réellement dans l’hôpital public !
Madame la ministre, ma question est simple : avez-vous un vrai projet d’avenir pour l’hôpital public ?
Quels sont les moyens que vous allez réellement consacrer pour que chaque citoyen français ait accès à un service de santé ? Allez-vous, oui ou non, revaloriser les salaires du secteur ? Allez-vous mettre un terme à la politique de fermeture de lits et augmenter les effectifs des personnels hospitaliers ? Il y a véritablement urgence ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Jean-Luc Fichet, je crois que nous poursuivons tous le même objectif : garantir l’accès à des soins de qualité pour tous les Français, dans tous les territoires, à la campagne comme à la ville.
À cet égard, la situation du secteur public hospitalier est évidemment une préoccupation que nous partageons.
Nous connaissons aussi les attentes des soignants, celles des patients, celles des élus, que vous représentez et qui expriment tous une inquiétude à propos de notre système de santé. En fait, celui-ci a été mis à mal, depuis de nombreuses années, par un désinvestissement – vous le savez – et par un manque de médecins lié à une politique de numerus clausus beaucoup trop restrictive dans les années 1990 et 2000. Nous en payons le prix aujourd’hui, ne parvenant pas à recruter des médecins dans beaucoup d’établissements.
Dès mon arrivée, j’ai travaillé à un plan global de transformation de notre système de santé, à la fois pour faire évoluer la médecine de ville, pour lutter contre la désertification médicale et pour redonner aux soignants l’envie d’exercer, notamment à l’hôpital public, en améliorant leur qualité de vie au travail et les rémunérations liées à certains engagements. Je pense à des protocoles de coopération. Je pense, par exemple, à la prime de 100 euros nets par mois que perçoivent aujourd’hui toutes les aides-soignantes en gériatrie, soit 40 000 personnes.
J’ai également souhaité réinvestir dans l’hôpital public. C’est l’objet du plan qui a été présenté par M. le Premier ministre il y a deux mois. Ce plan repose sur des budgets en hausse depuis cette année – nous nous sommes engagés à augmenter les budgets des trois prochaines années –, sur une visibilité accrue et sur une reprise partielle de la dette des hôpitaux, qui sera une bouffée d’air pour les établissements, qui pourront employer plus de personnels et rouvrir des lits. Pour répondre à votre question à ce sujet, il n’y a pas de politique volontaire de fermeture de lits dans notre pays, bien au contraire.
Au demeurant, une série de mesures ne suffit pas. C’est la totalité des mesures qui doit se déployer. Ce déploiement commence dès ce mois-ci, grâce au vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je pense, par exemple, au plan en faveur de l’investissement courant.
Je suis garante du déploiement de ces mesures et je veux montrer aux personnels qu’elles sont concrètes et rapides. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, pour la réplique.
M. Jean-Luc Fichet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
Je crains malgré tout que ces mesures ne soient homéopathiques et que le résultat ne soit quasiment nul.
Il y a véritablement urgence ! Pensez aux 1 000 médecins qui menacent de démissionner. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
violences urbaines
M. le président. La parole est à Mme Esther Sittler, pour le groupe Les Républicains.
Mme Esther Sittler. Monsieur le ministre de l’intérieur, dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, des voitures ont brûlé dans de très nombreuses villes en France. Cela devient une « tradition » révoltante, à laquelle il est urgent de mettre un terme.
À Strasbourg, la situation a été particulièrement tendue : le maire estime à 220 le nombre de voitures brûlées et les policiers ont, bien sûr, été pris pour cibles.
Je viens de m’entretenir avec les responsables du SDIS du Bas-Rhin. Ce qu’ont vécu les pompiers ce soir-là donne une idée du niveau de violence dans certains quartiers et du niveau de haine chez certains de nos concitoyens.
À deux heures du matin, les sapeurs-pompiers ont fait face à une violence jusque-là inédite. Dans la Cité nucléaire, l’une des plus importantes de Strasbourg, les jeunes assaillants leur ont littéralement tendu un guet-apens, au moyen de barrages constitués de poubelles en flammes. Les pompiers racontent qu’ils ont été encerclés, le but étant de les lyncher.
Un sapeur-pompier a reçu un projectile à la tête, qui l’aurait à coup sûr tué s’il n’avait pas eu de casque. Sans la dextérité du chauffeur du camion, l’équipage à l’intérieur aurait été assailli et agressé. Il s’agissait non plus seulement de casser du matériel, mais de s’en prendre physiquement aux équipages.
Les sapeurs-pompiers ont témoigné de la préméditation de ces agressions, qui ont d’ailleurs été filmées par ces voyous.
Monsieur le ministre, je vous mets en garde : les propos indignés ne suffiront plus ! Les condamnations exprimées au journal de 20 heures ne suffiront pas davantage. Vous devez ouvrir les yeux et nous dire ce que vous comptez faire pour que ces nuits de violences ne se reproduisent plus.
Comment comptez-vous protéger nos pompiers ? Comment comptez-vous reconquérir ces enclaves qui échappent à la République et qui sont minées par le communautarisme ?
Par ailleurs, pouvez-vous nous dire combien de voitures, en France, ont brûlé dans la nuit de la Saint-Sylvestre ? Les Français ont le droit de savoir et les élus ont besoin de connaître la réalité chiffrée. La presse, ce matin, évoquait 1 457 voitures brûlées, soit une augmentation de 13 % par rapport à l’an passé. Pouvez-vous nous le confirmer ?
J’attends, dans votre réponse, un chiffre précis,…
M. le président. Il faut conclure.
Mme Esther Sittler. … car ce n’est pas en cachant le problème que vous le réglerez. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, comme l’année dernière, j’ai fait le choix de ne pas commenter le chiffre des voitures brûlées. C’est d’ailleurs le choix qu’avait également fait mon prédécesseur, Brice Hortefeux, qui, encore ce matin, a évoqué, dans les médias, une décision simple et intelligente.
Il s’agit d’éviter d’alimenter le concours imbécile entre quartiers, communes ou départements auquel participent quelques abrutis qui trouvent logique d’incendier les voitures de leurs voisins ou de leurs amis, dans leur propre quartier.
Il ne s’agit pas de cacher la vérité, qui est celle que vous avez évoquée, madame la sénatrice. La vérité est celle de ces violences insupportables, inacceptables, en particulier à Strasbourg et autour de Strasbourg, où le niveau de violence a été parmi les plus élevés cette année, comme votre question le montre bien – je ne puis que vous le confirmer.
Globalement, à l’échelle nationale, les violences contre nos forces de sécurité intérieure enregistrées le 31 décembre – à Strasbourg, elles ont débuté dès le 30 – ont diminué de près de 50 % cette année. Le nombre de voitures incendiées fait quant à lui l’objet de cette espèce de concours que j’ai dénoncé.
Il importe également de constater le niveau d’engagement de nos forces de sécurité intérieure : près de 290 agents ont été mobilisés à Strasbourg, en plus de celles et de ceux qui sont habituellement engagés sur le terrain, pour essayer de couvrir l’ensemble du territoire.
De la même façon, près de 10 000 gendarmes et policiers ont été engagés partout en France, soit le même niveau d’engagement que l’année dernière. Avec les sapeurs-pompiers, ce sont près de 15 000 femmes et hommes qui ont été engagés.
Nous devons encore renforcer cet effort. C’est la raison pour laquelle le Président de la République et le Gouvernement se sont engagés à lancer un plan de recrutement de près de 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires. Comme vous le savez, ces personnels sont présents jour et nuit sur le terrain ! Pour eux, il n’y a ni Noël ni Saint-Sylvestre.
Nous devons également sécuriser l’action de nos sapeurs-pompiers. C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que des conventions locales de sécurité soient établies partout, dans tous les quartiers difficiles, pour qu’ils n’aient à aucun moment à intervenir sans être protégés par les forces de sécurité intérieure.
Les deux minutes qui me sont allouées ne me permettent pas de répondre à toutes vos questions, madame la sénatrice. Quoi qu’il en soit, vous avez raison, nous devons mener un combat dans chaque mètre carré de notre territoire, pour que la République soit partout chez elle. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur des travées du groupe RDSE.)
assassinat de sarah halimi et irresponsabilité pénale (ii)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements prolongés.)
M. Jean-Marie Bockel. Madame la garde des sceaux, je veux évoquer la décision d’irresponsabilité pénale rendue par la cour d’appel de Paris au sujet de l’auteur de l’infâme assassinat antisémite de Sarah Halimi. Dans ce débat, la question pertinente qu’a posée Roger Karoutchi et la réponse que lui a apportée M. le Premier ministre, précisant l’état du droit, constituent des éléments importants.
Reste une question : que faire ? Que faire aujourd’hui pour que le grand rabbin de France, Haïm Korsia, ne soit plus obligé de déclarer : « Devrait-on déduire de cette décision que tout individu drogué serait doté d’un permis de tuer les Juifs ? » On pourrait poser la même question pour les meurtres perpétrés dans les églises ou dans tout autre lieu de culte, ainsi que pour les actes et crimes terroristes. Que faire pour que d’autres familles que la famille Halimi ne soient pas, demain, privées d’un procès public ?
Sans évidemment supprimer l’incontestable principe d’irresponsabilité pénale ni remettre en cause l’indépendance de la justice, ne pourrait-on pas, par la loi, en préciser la portée et les conséquences, pour éviter de telles situations, s’agissant notamment de faits de ce type, de manière que les décisions d’irresponsabilité soient prises dans le cadre d’un procès public et contradictoire ?
Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE, Les Indépendants et SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Jean-Marie Bockel, nous avons tous été extrêmement touchés par le meurtre de Mme Attal-Halimi. Je comprends bien évidemment l’émoi que la décision de la cour d’appel de Paris a suscité.
Je tiens à rappeler précisément ce qui s’est passé sur le plan juridique. À l’issue de l’instruction, une audience s’est tenue devant la cour d’appel de Paris, portant sur la question de l’irresponsabilité pénale de l’accusé, en raison de troubles psychiques.
Comme l’a indiqué M. le Premier ministre à l’instant, au terme de cette audience, les juges ont expressément retenu le caractère antisémite du meurtre de Mme Halimi. Cette audience s’est déroulée dans le cadre d’une procédure mise en œuvre en vertu d’une loi de 2008, qui a permis à l’ensemble des parties de débattre publiquement et contradictoirement de la question des expertises subies par l’accusé. Six experts psychiatres sur sept ont considéré que l’accusé était irresponsable au moment des faits et que son discernement était aboli. La cour a suivi ces expertises et a estimé que le suspect ne pouvait être condamné pénalement.
Comme la loi le permet, la cour, premièrement, a ordonné que le suspect soit hospitalisé d’office et, deuxièmement, lui a interdit d’entrer en contact avec la famille pendant une durée de vingt ans. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Je sais que cette décision n’a pas été comprise par les parties civiles, en raison notamment de l’appréciation qui a été faite de l’état psychiatrique de l’intéressé, lié à sa consommation préalable et prolongée de cannabis.
Nous sommes face à une situation juridique complexe et inédite. Je suis certaine que la Cour de cassation apportera toutes les réponses juridiques nécessaires, puisqu’elle a été saisie par les parties civiles d’un pourvoi en cassation.
Pour terminer, je veux simplement souligner que, sur le plan procédural, la loi de 2008 a apporté une réponse aux victimes, puisque, je le répète, elle met en place une audience publique et contradictoire. Ce débat a été rendu possible sans que soit remis en cause un principe cardinal de notre droit pénal, qui existe, en France, depuis le code Napoléon et qui existe dans tous les autres États de droit, selon lequel on ne juge pas les malades mentaux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour la réplique.
M. Jean-Marie Bockel. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse précise et étayée.
Cela dit, un principe d’irresponsabilité pénale reprécisé par la loi ou par la jurisprudence de la Cour de cassation – peu importe –, dans le strict respect de l’indépendance de la justice, permettrait de ne pas priver de procès les victimes, les familles et, finalement, la Nation tout entière, notamment dans le cas d’actes antisémites ou terroristes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, Les Indépendants et RDSE.)
service minimum dans les transports publics
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le secrétaire d’État, la liberté d’aller et venir est une composante fondamentale de la liberté individuelle. Chacun peut circuler sur l’ensemble du territoire national dès lors qu’il y est régulièrement entré.
Or voilà maintenant plus d’un mois que la SNCF et la RATP ne sont plus en capacité d’assurer normalement leur mission de service public.
Sur l’initiative de Bruno Retailleau et de très nombreux collègues, notre groupe propose la création d’un véritable service minimum de transport garanti, applicable à l’ensemble des transports publics.
Ce service minimum garanti ne remet pas en cause le droit de grève. Il consiste simplement à aménager son exercice, à l’instar de ce que prévoit déjà la loi pour d’autres services publics, comme les hôpitaux ou la télévision publique.
Il s’inscrit clairement dans une jurisprudence bien établie du Conseil constitutionnel.
Mais ce n’est pas tout ! Cette proposition de loi prévoit également de simplifier les démarches des usagers dont le voyage est annulé, afin qu’ils ne soient plus pénalisés financièrement. Elle tend à interdire l’avoir actuellement scandaleusement mis en place, au profit d’un remboursement direct.
Notons d’ailleurs au passage que la SNCF est plus à l’aise avec le siphonnage de nos cartes bleues qu’avec le respect de ses horaires ! (Sourires.)
J’ajoute enfin que Valérie Pécresse, présidente du conseil régional d’Île-de-France, demande à juste titre depuis plusieurs semaines, et dans le même esprit, le remboursement intégral du pass Navigo pour tous les jours de grève.
Monsieur le secrétaire d’État, il est de votre responsabilité de prendre les mesures qui s’imposent pour en finir avec l’insupportable triptyque : pagaille, racket et escroquerie. Que comptez-vous faire concrètement ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des transports.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur Hugonet, je veux d’abord rappeler le cadre de la loi Bertrand, adoptée en 2007. Elle impose aux grévistes de se déclarer 48 heures à l’avance, de manière à organiser le plan de transport, afin que les usagers puissent anticiper au mieux leurs déplacements.
Cette loi Bertrand a certainement atteint quelques limites, dans la mesure où elle est aujourd’hui contournée au sein des entreprises. C’est notamment le cas des grèves de 59 minutes, très déstabilisantes pour l’organisation du travail, ou encore des préavis illimités, qui sont validés par les juges. Ainsi le Gouvernement est-il prêt, sur ces sujets, à en tirer les conséquences, en lien avec les entreprises concernées.
S’agissant du service minimum, à proprement parler, vous savez très bien, monsieur le sénateur, que la proposition élaborée dans vos rangs est inopérante en l’état. Par ailleurs, elle a été formulée opportunément quelques jours avant le début de la grève.
Dès lors, je tiens à le rappeler, à droit constant, l’État est parfaitement fondé à agir dès lors que les Français sont durablement empêchés de se déplacer, dès lors que les besoins essentiels de la Nation ne sont plus satisfaits, dès lors que l’activité économique et sociale est durablement entravée.
M. Gérard Longuet. C’est le cas !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Par ailleurs, nous l’avons toujours dit, le Gouvernement est attentif à la séquence qui se déroule actuellement. Il en tirera éventuellement des conclusions concernant les compléments aux dispositifs existants, à l’aide de mesures opérationnelles et efficaces.
À cet égard, je saisis l’occasion qui m’est offerte pour saluer la très grande majorité des agents de la SNCF et de la RATP, qui, depuis le 5 décembre dernier, travaillent tous les jours dans des conditions difficiles et transportent des millions de Français en sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Sauf votre respect, monsieur le secrétaire d’État, ce ne sont que des confettis de paroles ! La réalité, c’est que nos concitoyens sont exaspérés. Si vous êtes fondés à agir, agissez ! Les Français n’en peuvent plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
réforme des retraites à saint-pierre-et-miquelon
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon est dotée d’un régime de retraite applicable aux salariés du secteur privé datant de 1987, lequel, pour tenir compte des spécificités locales liées au climat, s’est progressivement écarté du droit commun.
L’ordonnance du 23 juillet 2015 portant réforme de l’assurance vieillesse à Saint-Pierre-et-Miquelon prévoit un alignement complet avec le régime de droit commun national en 2033. L’âge d’ouverture des droits à retraite est progressivement relevé de 60 ans à 62 ans ; la durée de référence pour l’obtention du taux plein est progressivement allongée et portée au niveau national en 2033, soit 172 trimestres pour la génération 1973 ; enfin, en 2022, le revenu annuel moyen sera calculé sur la base des vingt-cinq meilleures années et non plus sur la totalité de la carrière.
Malgré la volonté d’alignement progressif des taux de cotisations, les spécificités de notre régime de retraite de base ont été maintenues afin d’assurer une transition plus douce vers le régime général.
La loi du 28 février 2017 a mis en place le financement pérenne de la prise en charge pour la retraite des périodes de chômage saisonnier pour les salariés de certains secteurs d’activité comme le BTP, en raison des conditions climatiques particulières.
Le 3 décembre dernier, j’ai interrogé le haut-commissaire sur l’application du projet de réforme des retraites à Saint-Pierre-et-Miquelon, au regard de notre cadre actuel.
À ce jour, je n’ai obtenu aucune réponse. Pourtant, les conséquences peuvent être importantes pour mes compatriotes.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser les intentions du Gouvernement sur les conditions d’application de son projet de réforme des retraites à Saint-Pierre-et-Miquelon tant pour les entreprises que pour les salariés ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des retraites.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites. Monsieur le sénateur Artano, vous attirez mon attention sur la situation particulière de l’assurance vieillesse sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon, que vous connaissez bien. Vous l’avez rappelé, le régime des assurés de ce territoire est en ce moment même en cours de convergence avec le régime général, tant en matière d’âge de départ que de durée nécessaire pour valider le taux plein ou de calcul sur la base des 25 meilleures années.
Les modalités de cette convergence ont été définies de manière relativement récente, puisqu’une ordonnance du 23 juillet 2015 et un décret de 2017 sont venus les préciser.
La convergence sera, pour certains de ses paramètres, achevée en 2025, au moment de l’entrée en vigueur du nouveau système de retraite universel. Je tiens à vous rassurer – tel est, me semble-t-il, l’objet de votre question –, le calendrier prévu pour la convergence ne sera pas remis en cause. Comme cela avait été annoncé dans le rapport de Jean-Paul Delevoye, une ordonnance viendra préciser les modalités d’adaptation du système universel aux caractéristiques et contraintes particulières du territoire de votre collectivité.
J’évoquerai une spécificité, que vous avez également mise en avant dans le cadre de votre question. Elle concerne le fait que certains salariés, notamment ceux issus du secteur de la pêche, de l’agriculture et du BTP, peuvent voir leurs allocations chômage prises en compte dans leur revenu de référence, pour les interruptions d’activité intervenant chaque année lors des périodes climatiques difficiles.
Je le rappelle, ce principe deviendra la règle dans le cadre du système universel, puisque les périodes de chômage indemnisées donneront systématiquement droit à points. Ce sera donc également le cas sur votre territoire, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.
M. Stéphane Artano. Permettez-moi d’attirer votre attention sur un point, monsieur le secrétaire d’État. Si le recours à des ordonnances est un bon moyen pour adapter des textes à Saint-Pierre-et-Miquelon, il est à l’origine d’un véritable fiasco s’agissant de la formation professionnelle.
Adoptée en septembre 2018, la loi n’entrera en vigueur chez nous qu’en 2021, grâce à la volonté de la collectivité locale.
Il est donc nécessaire d’associer l’ensemble des acteurs du territoire et d’anticiper les éléments spécifiques que vous avez mentionnés. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
tensions entre les états-unis et l’iran
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Yves Leconte. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes.
Le 3 janvier dernier, une opération militaire décidée par le président des États-Unis d’Amérique tuait le général Qassem Soleimani sur le territoire irakien. La mort de ce chef militaire et responsable politique iranien, par ses circonstances et par ce qu’elle représente, est un vecteur de nouveaux risques et drames dans la région. Elle alimente la spirale des vengeances, chacun trouvant dans les actes de son adversaire la justification de ses engagements.
Les conséquences sont graves. La diplomatie visant à lutter contre la prolifération nucléaire, dont l’accord de 2015 était un aboutissement exigeant, en particulier grâce à l’action de Laurent Fabius, est décrédibilisée.
L’Iran, qui avait été le théâtre d’une répression violente, inouïe, de l’expression de son peuple en décembre, voit les éléments les plus extrêmes se renforcer dans le pays. Enfin, la réaction du Parlement irakien remet en cause les conditions de la présence de la coalition internationale de lutte contre l’État islamique, car la présence d’armées étrangères n’est plus souhaitée par les autorités du pays.
Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous poser plusieurs questions à ce sujet. Les États-Unis avaient-ils informé le gouvernement français de leur action du 3 janvier et de leurs objectifs ? Comment pourrions-nous être solidaires de ce pays s’il ne l’a pas fait ?
Les conditions de la lutte contre l’État islamique, ainsi que la situation des terroristes et de leurs familles restées en Irak, sont profondément modifiées après cette action et la réaction des autorités irakiennes. Comment ces préoccupations peuvent-elles être prises en compte désormais ?
Notre engagement, dans ces circonstances nouvelles, sera-t-il soumis au Parlement ? Comment pouvons-nous considérer les États-Unis comme des partenaires dans la lutte antiterroriste après ces dernières semaines ?
Enfin, à la lumière de ce qui s’est passé ces dernières heures, quelles mesures sont prises pour assurer la sécurité de nos ressortissants dans la région, ceux qui y vivent et ceux qui y voyagent ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des affaires européennes.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur, je m’efforcerai de répondre à vos questions en reprenant les éléments que j’ai déjà pu évoquer aujourd’hui.
Non, nous n’avons pas été informés, puisqu’il s’agit d’une décision américaine prise sur la base d’éléments de sécurité nationale. Il s’agit donc d’une initiative dont les États-Unis ont la responsabilité.
Je l’ai dit à M. Pierre Laurent, la solidarité que j’ai évoquée est celle que nous devons à nos alliés de la coalition contre Daech. S’ils sont visés, nous sommes solidaires. Chacun peut le comprendre, nous sommes, à la demande des autorités irakiennes, dans une coalition réunissant plus de 70 partenaires et organisations internationales, engagés contre Daech en Syrie et en Irak. Nous avons pu mettre fin au califat territorial et arrêter la campagne de reprise de territoires que souhaitaient les terroristes. Certes, nous le savons, la menace reste extrêmement forte. Nous devons donc rester extrêmement mobilisés. Dans ce cadre, nous cherchons à maintenir vivante la coalition contre Daech.
Dans les jours qui viennent, nous aurons un dialogue avec les autorités irakiennes, afin de préserver leur souveraineté. Les échanges que M. Jean-Yves Le Drian a pu avoir avec le Premier ministre irakien montrent bien que la lutte contre le terrorisme reste une priorité pour tous. Sa présence aujourd’hui en Égypte contribue d’ailleurs à trouver les voies et moyens pour poursuivre avec tous les acteurs régionaux la lutte contre le terrorisme.
Nos alliés sont à nos côtés pour mener cette lutte contre le terrorisme et pour lutter contre la prolifération nucléaire. Ces deux priorités sont essentielles pour la France, qui reste pleinement mobilisée sur ces sujets.
Quant à la sécurité de nos ressortissants, qu’ils soient civils ou militaires, nous avons engagé dès vendredi dernier, je l’ai dit, un plan sur le terrain. Les mesures ont été renforcées en Iran et en Irak au cours des dernières heures et nous suivons la situation très attentivement. À mes yeux, la clé est la réunion exceptionnelle qui se tiendra vendredi à Bruxelles, avec tous les ministres européens des affaires étrangères réunis autour de Josep Borrell, pour chercher la voie de la désescalade, de la lutte contre la prolifération nucléaire et du maintien d’une coalition forte contre le terrorisme.
réforme des retraites (iii)
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Martine Berthet. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, vous ne m’en voudrez pas, monsieur le secrétaire d’État, mais ma question sur le sujet des retraites, qui agite et inquiète notre pays tout entier, s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, je n’irai pas par quatre chemins : votre réforme des retraites est une mauvaise réforme !
Mauvaise, parce que vous avez mis la charrue avant les bœufs. La priorité aurait dû être de régler la question du déficit !
Mauvaise, parce que les régimes spéciaux en sortent renforcés, alors même qu’Emmanuel Macron, le 4 octobre dernier à Rodez, affirmait : « Il n’y aura plus de régimes spéciaux. »
Mauvaise, parce que votre système, au-delà des discours, dont on voit la faible durée de vie, appauvrira les retraités. Le point est volatil, les femmes et les familles y perdront parfois beaucoup, et les pensions de réversion ne seront versées qu’à 62 ans.
Mauvaise, parce que, à des régimes différents, vous substituez une inégalité entre les générations.
Mauvaise, parce que les travailleurs indépendants devront cotiser plus.
Mauvaise, parce qu’il est indispensable de maintenir nos régimes complémentaires, comme partout en Europe. Nous serions les seuls à avoir un régime étatisé et unique !
Enfin, et ce n’est pas la moindre raison, votre réforme est mauvaise, parce que vous sortez les plus hauts revenus d’un système par répartition qui contribuait à assurer notre ciment national.
N’avez-vous pas le sentiment, monsieur le Premier ministre, qu’il y a un fossé entre l’engagement d’Emmanuel Macron de ne pas modifier l’âge légal, les objectifs affichés d’universalité et de justice et la réalité des conséquences de votre projet pour les Français ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la sénatrice, vous avez votre avis sur ce projet de réforme, et il est tout à fait respectable, sans doute.
Toutefois, je voudrais vous indiquer que, si le Parlement vote le projet que nous portons, il n’y aura plus de régimes spéciaux de retraite. (Exclamations sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)
Vous le savez sans doute, depuis le 1er janvier 2020, il n’y a plus, à la SNCF, d’embauches au statut. Sans doute vous en souvenez-vous, madame la sénatrice, quand nous avons engagé cette réforme, certains nous reprochaient de réaliser une petite réforme ne touchant pas les régimes spéciaux ! Pourtant, nous l’avons menée à terme, ce qui n’avait pas été fait auparavant.
De la même façon, nous allons régler le problème récurrent de l’équilibre du régime des retraites. Selon nous, nous l’avons dit, un problème d’équilibre est un problème sérieux dans un régime de retraite, quel qu’il soit. Nous voulons faire en sorte que le régime soit équilibré.
Nous sommes donc attachés à la question de l’équilibre. Nous voulons que le système universel remplace la diversité des systèmes existants, ce qui implique la suppression des régimes spéciaux.
Croyez-moi, madame la sénatrice, en dépit de ce que vous dites, un certain nombre de ceux qui sont soumis à ces régimes spéciaux ou qui en bénéficient ont bien compris le message. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles ils protestent. On ne peut pas dire, d’un côté, qu’il ne se passe rien et, d’un autre côté, qu’on change tout ! Cette contradiction même prouve que nous avançons.
Par ailleurs, vous dites, madame la sénatrice, que c’est une mauvaise réforme. J’espère que vous lutterez de façon résolue contre le minimum contributif à 1 000 euros, y compris pour les agriculteurs, les artisans et les indépendants… (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM – Protestations sur les travées des groupes CRCE, SOCR et Les Républicains.)
M. Jérôme Bascher. C’est vous qui ne l’avez pas voté ici !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. J’espère que vous direz combien cette mesure est scandaleuse, à quel point elle représente un déni de justice sociale par rapport à ce qui prévalait jusqu’à présent !
J’espère également, madame la sénatrice, que vous expliquerez clairement à toutes celles et tous ceux qui doivent attendre 67 ans pour liquider leur retraite sans décote, souvent des femmes et des hommes ayant mené des carrières hachées et difficiles, que la réforme que nous proposons n’est pas une réforme de justice sociale, dans la mesure où ils pourront partir à 64 ans.
Le débat qui nous réunira à l’Assemblée nationale puis au Sénat sera passionnant. Mais avant d’examiner précisément les dispositions qui seront soumises aux parlementaires, pouvons-nous ne pas nous envoyer à la figure des affirmations qui sont bien souvent des affirmations de posture ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Protestations sur les travées des groupes Les Républicains, SOCR et CRCE.) Je le dis très tranquillement ! On me fait trop souvent ce reproche pour que je m’interdise de le dire.
Je le répète, le projet que nous présenterons au Parlement est en tout point conforme aux engagements pris par le Président de la République et par les parlementaires de la majorité : universalité, équité, âge légal de départ à 62 ans. Nous verrons comment inciter les Français à travailler plus longtemps, pour faire en sorte que les retraites soient assurées. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, pour la réplique.
Mme Martine Berthet. Monsieur le Premier ministre, votre réforme coûtera plusieurs dizaines de milliards d’euros et se traduira par une baisse du niveau de vie des retraités. Ce n’est pas une affirmation de posture ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu mercredi 15 janvier 2020, à quinze heures.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de Mme Valérie Létard.)
PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Violences faites aux femmes en situation de handicap
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, de la proposition de résolution pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 150).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution.
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que mes collègues Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde, Dominique Vérien et moi-même avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui est l’aboutissement de travaux conduits par la délégation aux droits des femmes sur un fléau qui est longtemps resté un « impensé » des politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes : il s’agit des violences que subissent les femmes en situation de handicap.
À titre symbolique, nous avons souhaité déposer ce texte le 25 novembre 2019, journée consacrée chaque année, dans le monde entier, à la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est d’ailleurs le jour qu’a choisi le Gouvernement pour exposer les conclusions du Grenelle pour lutter contre les violences conjugales, ouvert le 3 septembre dernier dans le contexte créé par la prise de conscience de la réalité des féminicides.
Notre proposition de résolution est largement partagée au sein du Sénat puisqu’elle réunit à ce jour 158 cosignataires, de tous les groupes.
Cette véritable mobilisation, qui nous rassemble par-delà nos appartenances politiques, montre un indéniable progrès dans la prise de conscience de la gravité de violences demeurées trop longtemps taboues. Signe d’une longue incapacité à nommer des comportements insupportables, les violences faites aux femmes en situation de handicap ont longtemps été banalisées et désignées par la notion de « maltraitance », terme plus acceptable socialement. Cette incapacité à nommer ces violences a trop longtemps rendu les victimes invisibles.
Les femmes handicapées sont longtemps restées « invisibles et oubliées des politiques publiques », comme nous le confiait APF France handicap. D’ailleurs, Sœurs oubliées – Forgotten Sisters – est précisément le titre d’un rapport consacré en octobre 2012 par l’agence ONU Femmes sur les violences faites aux femmes handicapées. Son auteure, Michelle Bachelet, faisait observer combien la violence à l’égard des femmes handicapées demeurait « largement ignorée ».
Aujourd’hui, grâce au combat inlassable d’associations comme Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir et de sa regrettée fondatrice, Maudy Piot, à qui je souhaite une nouvelle fois rendre hommage, la parole de celles qui dénoncent ces comportements effroyables commence à être entendue.
Plusieurs constats ressortent de notre travail.
Le premier constat est la prise de conscience très récente du lien entre le handicap et les violences faites aux femmes puisqu’elle remonte à 2006, avec l’adoption par l’ONU de la convention relative aux droits des personnes handicapées. Ce texte est le premier à avoir reconnu explicitement que les femmes et les filles handicapées courent « des risques plus élevés de violence, d’atteinte à l’intégrité physique, d’abus, de délaissement ou de défaut de soins […] ».
La même année, un plan d’action pour la promotion des droits des personnes handicapées, élaboré par le Conseil de l’Europe, soulignait les besoins spécifiques des femmes et des jeunes filles parmi lesquelles on compte une proportion de victimes d’abus et de violences largement supérieure à celle que l’on enregistre dans la population féminine non handicapée.
Le deuxième constat est que les violences peuvent être à la fois la cause et la conséquence du handicap. En effet, si le handicap accroît pour une femme ou une fille le risque de subir des violences, inversement il peut aussi être la conséquence de violences subies.
Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme relevait, dans un avis de mai 2016 : « Le handicap peut également être le résultat de la violence sexiste. Les violences subies peuvent être à l’origine chez les femmes battues de troubles psychiques et physiques importants, et les agressions sexuelles entraîner des handicaps permanents. »
Il était donc plus que temps que soient pris en compte les besoins particuliers des femmes en situation de handicap parmi les victimes de violences, même si, à ce stade, la particulière vulnérabilité de ces femmes aux violences est attestée par des témoignages convergents et par diverses enquêtes, sans toutefois que l’on puisse à ce jour s’appuyer sur une analyse statistique complète.
Le troisième constat est que les violences qui menacent les femmes en raison de leur handicap ne leur laissent aucun répit. Elles peuvent être le fait de l’entourage institutionnel ou familial. Selon une enquête réalisée par l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, 60 % des violences subies par les femmes en situation de handicap surviennent à leur domicile. Cela signifie qu’elles ne sont nulle part à l’abri.
Le quatrième constat est qu’il existe une vulnérabilité particulière, s’agissant des violences sexuelles, liée au handicap mental ou psychique pour des victimes qui ne sont pas en mesure de comprendre l’agression dont elles font l’objet et dont l’« incapacité à dire non » peut être « perçue comme un signe de consentement à une relation sexuelle ».
À cet égard, la délégation aux droits des femmes a été plus particulièrement alertée sur l’exposition des femmes atteintes d’un trouble de l’autisme aux violences sexuelles. Je pense, bien sûr, au témoignage de Mme Marie Rabatel.
De manière générale, le risque de subir une violence sexuelle serait ainsi multiplié par six pour les femmes en situation de handicap mental. La réalité que recouvrent ces chiffres est insupportable !
Il est donc positif qu’un groupe de travail consacré aux femmes en situation de handicap se soit constitué lors du Grenelle contre les violences conjugales. On peut lire dans cette méthodologie le signe que la vulnérabilité liée au handicap est enfin intégrée aux politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes après en avoir été un « angle mort », pour reprendre l’expression de notre collègue Laurence Rossignol.
Je rappelle toutefois que l’exposition spécifique des femmes et des filles en situation de handicap aux violences ne doit pas se limiter au contexte conjugal, car elle concerne tout le champ des violences faites aux femmes. Le Grenelle ne saurait donc être considéré comme terminé depuis les annonces du 25 novembre. Il n’est qu’une étape dans un processus.
Aujourd’hui, les moyens humains et financiers doivent être déployés dans tous les territoires pour prévenir, former, informer, accompagner et soigner. Je précise bien dans tous les territoires : en France métropolitaine et dans les outre-mer, dans les grandes villes et dans les territoires plus ruraux, car la violence n’a pas de frontières.
M. François Bonhomme. Absolument !
Mme Annick Billon. Pour gagner ce combat, nous devons aussi et surtout tous changer notre regard sur les femmes en situation de handicap. Ces femmes aspirent à être considérées non comme d’« éternelles mineures » dépendantes de leur entourage, mais comme des citoyennes à part entière dont la parole ne saurait être mise en doute au nom de leur handicap quand elles dénoncent des violences. Bien entendu, ces dénonciations doivent avoir lieu dans un cadre particulier, car les victimes sont des personnes en situation de handicap, madame la secrétaire d’État. Il est donc nécessaire qu’elles soient reçues par des personnels formés et compétents : nous ne pouvons nous satisfaire de formations en ligne !
Nommer les violences et reconnaître ces femmes comme citoyennes, c’est déjà un pas pour lutter efficacement contre ce fléau. Nous devons donc tout mettre en œuvre pour mieux connaître ce fléau, avoir de véritables statistiques et enfin lutter contre ces violences, qui sont totalement inadmissibles et révoltantes dans une société comme la nôtre ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous demander de bien vouloir excuser ma collègue Christine Prunaud, qui n’a pas pu être présente cet après-midi.
Je salue l’initiative prise par plusieurs membres de la délégation aux droits des femmes pour permettre la discussion de cette proposition de résolution. Dénoncer les violences faites aux femmes en situation de handicap et agir contre ces violences, tel est le louable et nécessaire objectif de ce texte.
En effet, ces femmes sont des victimes toutes désignées qui peinent à dénoncer et à se faire entendre. D’après un rapport de l’ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de tous types de violences.
De son côté, une étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales de 2018 montre que les femmes qui courent le plus de risques d’être victimes de violences conjugales sont celles de moins de 25 ans qui se trouvent en situation de handicap.
Le constat est le même pour l’association Femmes Solidaires, qui a mis en place un numéro non surtaxé d’écoute pour répondre à la détresse des femmes handicapées : 35 % des violences signalées sont commises par le conjoint, même si de nombreuses femmes n’appellent tout simplement pas, notamment en cas de handicap mental.
Cette proposition de résolution vise à formuler quatorze recommandations. Parmi elles, je citerai l’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Elle permettra de sortir de la dépendance économique, qui rend compliquée la possibilité de quitter son conjoint violent. Au-delà de cette question, je rappelle que notre groupe a déposé une proposition de loi sur cette individualisation de l’AAH pour toutes les femmes handicapées, proposition de loi qui a malheureusement été rejetée en octobre 2018. Nombre d’associations qui accompagnent les personnes en situation de handicap n’ont pas compris que notre Haute Assemblée ne soutienne pas cette proposition, d’autant que 49 % des femmes handicapées sont inactives et que 13 % d’entre elles sont au chômage.
La formation des professionnels de justice et de santé est également impérieuse, l’éducation dès le plus jeune âge indispensable, la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes primordiale. Ce sont autant de recommandations défendues depuis de nombreuses années par les associations féministes.
Dans les Côtes-d’Armor, de nombreuses initiatives en ce sens sont menées. L’association Athéol, par exemple, prévoit un accompagnement et un hébergement spécifique pour les femmes handicapées. La Maison des Femmes du département regroupe vingt et une associations, dont Adalea, qui propose une veille et des réponses très spécifiques pour les femmes victimes de violences conjugales et familiales.
Je formulerai une dernière remarque sur l’accessibilité des bâtiments pour les femmes en situation de handicap. Je rappelle l’incompréhension de mon groupe concernant l’allongement de neuf ans du délai de mise en accessibilité des lieux publics, voté ici même en 2015.
Appeler à une prise de conscience de la situation du handicap, c’est bien, mais donner les moyens techniques, humains et financiers d’accompagner les femmes en situation de handicap, c’est mieux ! À ce propos, nous regrettons qu’aucune référence ne soit faite aux moyens financiers nécessaires pour accompagner ces mesures.
Former des professionnels, aménager des espaces d’hébergement adaptés, mener une politique publique d’inclusion sont autant d’objectifs annoncés, mais sans budget véritablement alloué.
Dans le département du Nord, en 2018, la moitié seulement des 8 000 appels reçus par l’association SOLFA a pu être traitée, faute d’effectifs. Le constat est le même pour l’hébergement d’urgence, puisque plus de 500 demandes n’ont pu aboutir. Les chiffres de 2019, encore inconnus pour le moment, ne seront malheureusement pas meilleurs. C’est dommage, d’autant que les subventions de cette association ont sans cesse diminué depuis 2010.
Les associations féministes mobilisées sur le sujet espéraient sincèrement que le Grenelle déboucherait sur un plan Marshall doté au moins de 500 millions d’euros, voire de 1 milliard d’euros. Une somme bien loin des 79 millions d’euros spécifiquement alloués à cette lutte !
D’ailleurs, comment ne pas s’interroger sur le fait que les conclusions de ce Grenelle n’abordent même pas la question des femmes handicapées ? Elles en sont véritablement les grandes oubliées. C’est bien la preuve que cette proposition de résolution arrive à point nommé.
Parce qu’il montre l’engagement du Sénat sur cette question et qu’il représente un pas en faveur du droit des femmes, nous voterons sans réserve ce texte, cosigné déjà par deux de mes collègues, Christine Prunaud et Laurence Cohen. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet des femmes en situation de handicap m’est apparu comme particulièrement grave et sous-estimé lors du travail que mes collègues corapporteurs et moi-même avons effectué au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Il est sous-estimé, déjà, parce qu’il n’est pas estimé du tout !
Comme pour d’autres sujets, par exemple la protection de l’enfance, nous sommes confrontés à une absence de données. S’il existe quelques enquêtes sectorielles qui tendent à montrer que ces femmes sont plus exposées aux violences que la population générale, ces données sont anciennes.
Le chiffre fréquemment cité selon lequel 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences provient d’un rapport du Parlement européen de 2007.
Il nous faut donc des chiffres, car comment construire une politique publique sur un sujet dont on ne maîtrise ni la fréquence, ni l’ampleur, ni les différentes dimensions, qu’elles soient psychologiques, sexuelles, conjugales ou économiques ? La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) prévoit de réaliser entre 2021 et 2023 une grande enquête sur les personnes handicapées. Tant mieux ! Mais pourquoi en prévoir une si tard ?
Graves et sous-estimées, aussi, sont les défaillances dans la prise en charge de jeunes filles en situation de handicap dans les établissements spécialisés.
Défaillances quant à la prescription de contraceptifs, par exemple, qui se ferait sans véritable consentement ni réel suivi médical. Cela paraît même être une condition pour être accueillie. Lors de nos auditions, certaines interlocutrices sont allées jusqu’à se demander si l’objectif de telles pratiques n’était pas de se prémunir contre les conséquences de viols…
On ne peut pas non plus passer sous silence les stérilisations qui ont été imposées par le passé à des femmes handicapées dans des institutions françaises. Le Sénat avait déjà dénoncé ces pratiques en 2003, dans le cadre d’une commission d’enquête. Il les jugeait alors sous-estimées. Aujourd’hui, les stérilisations sont heureusement encadrées par la loi et interdites sur les handicapés mentaux placés sous tutelle ou curatelle, sauf indication médicale.
Toutefois, je rappelle ici avec force qu’aucune adolescente, aucune femme en situation de handicap ne devrait être « obligée » de prendre une contraception ni faire l’objet d’une stérilisation dans des conditions contraires à la loi. Ce sont les femmes que l’on doit protéger et non les violences sexuelles !
Grave et sous-estimée toujours est la « culture de la soumission », qui caractérise les relations entre les familles des personnes en situation de handicap et les établissements spécialisés qui les accueillent.
Les familles seraient implicitement dissuadées de révéler des violences, par peur que leur enfant ne soit exclu de l’institution ou qu’il soit l’objet d’un signalement auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Par ailleurs, en tant que corapporteure de la mission commune d’information sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leurs fonctions, le cas spécifique de ces établissements d’accueil nous a été signalé, mais les associations les ayant en gestion n’ont pas cru bon de répondre à notre invitation pour être auditionnées, excepté APF France handicap.
Nous avions alors proposé que le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaivs) soit obligatoirement consulté pour l’embauche de tout professionnel ou bénévole ayant à travailler dans de telles institutions. C’est une demande renouvelée aujourd’hui dans cette proposition de résolution.
Grave et sous-estimé, enfin, le manque de signalement. Or, vous le savez, le secret professionnel ne s’applique pas en cas de violences commises sur des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger en raison de leur âge ou d’une incapacité physique ou psychique.
Il serait bon que le signalement ne soit plus considéré, notamment par les médecins, comme une délation ou une prise de risque de leur part, mais soit perçu comme un acte pouvant sauver une vie. Je souhaite donc que le débat sur la question de l’obligation de signaler, actuellement en cours au sein d’une mission d’information au Sénat, aboutisse à une solution permettant de protéger les personnes en situation de handicap, particulièrement les femmes.
Mes chers collègues, cette gravité et cette sous-estimation m’ont poussée à cosigner ce projet de résolution que je vous invite à voter. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de discuter aujourd’hui de cette proposition de résolution qui permet de mettre en lumière un sujet très grave et pourtant encore tabou.
Comme l’a rappelé Annick Billon, ce texte s’inscrit dans la continuité des travaux de la délégation aux droits des femmes, qui a publié au mois d’octobre dernier un rapport sur les violences faites aux femmes en situation de handicap, dont j’étais corapporteure avec Roland Courteau, Françoise Laborde et Dominique Vérien.
La proposition de résolution vise à insister sur les multiples formes que prennent ces violences, qu’elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques.
Elle tend aussi à souligner, il faut le rappeler, que la vulnérabilité des femmes en situation de handicap est exacerbée par une menace constante. En effet, ces violences peuvent être commises aussi bien au sein de leur domicile, par un conjoint ou par des proches, qu’au sein d’institutions, par des membres du personnel.
Pourtant, rares, voire inexistantes, sont les campagnes de prévention ou les actions de sensibilisation contre ces violences.
Mon intervention portera plus spécifiquement sur le lien qui peut exister entre précarité des femmes en situation de handicap et violences.
En effet, ces femmes sont d’autant plus fragiles et vulnérables qu’elles se trouvent bien souvent dans une situation de dépendance économique : elles ont du mal à poursuivre des études, à trouver un emploi et à évoluer dans leur carrière professionnelle. Elles subissent donc encore plus d’inégalités que l’ensemble de la population féminine.
Notre rapport identifie plus particulièrement trois facteurs aggravant la précarité et la dépendance économique des femmes handicapées.
Premier facteur aggravant : les femmes handicapées se heurtent à des obstacles dans le suivi de leur scolarité et de leurs études supérieures, victimes de préjugés à la fois sur leur sexe et sur leur handicap. L’association Droit Pluriel a plus particulièrement alerté la délégation aux droits de femmes sur le taux très élevé de personnes sourdes ne sachant ni lire ni écrire. On ne saurait se satisfaire de cette situation. Il faut impérativement prendre des mesures pour y remédier. L’une de nos recommandations appelle donc à améliorer l’accès aux études des jeunes filles en situation de handicap, car cela constitue un enjeu important de leur autonomisation. Dans cette logique, nous visons aussi les études supérieures.
Deuxième facteur aggravant : la « surdiscrimination » au travail des femmes en situation de handicap ne doit pas être sous-estimée, car elle a des conséquences sur la capacité de ces femmes à échapper à leurs éventuels agresseurs.
Un remarquable rapport du Défenseur des droits, publié en novembre 2016, analyse en détail les multiples discriminations dans l’emploi dont sont victimes les femmes en situation de handicap. Le constat est édifiant.
Le onzième baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, publié en 2018 par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail, montre par exemple que 34 % de la population active âgée de 18 ans à 65 ans déclare avoir été confrontée à des discriminations durant les cinq dernières années, contre une proportion de 54 % pour les femmes en situation de handicap, soit plus d’une femme sur deux.
Les préjugés freinent ainsi l’insertion professionnelle des femmes handicapées, victimes d’une double exclusion, parce qu’elles sont femmes et parce qu’elles sont handicapées. À cet égard, il faut savoir que, dans un cadre professionnel, un homme handicapé sera considéré comme plus apte à surmonter son handicap qu’une femme handicapée.
Dans un premier temps, ces femmes sont soumises à une ségrégation horizontale puisqu’elles sont, davantage que les autres femmes, susceptibles d’occuper des emplois de niveau inférieur ou des temps partiels, généralement peu rémunérés, qui les maintiennent dans une situation de précarité.
Dans un second temps, elles subissent davantage les effets du « plafond de verre », puisque 1 % seulement des femmes handicapées en emploi sont cadres, contre 10 % de leurs homologues masculins.
L’une de nos recommandations vise donc à prévoir que le critère de l’égalité femmes-hommes soit mieux pris en compte dans les politiques visant à favoriser l’emploi et la formation des personnes en situation de handicap.
Suivant les préconisations du Défenseur des droits sur le sujet, nous recommandons aussi la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l’emploi et pour développer l’accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations au bénéfice des personnes en situation de handicap.
Troisième facteur aggravant : lorsque la seule source de revenus des femmes en situation de handicap est l’allocation aux adultes handicapés, elles demeurent dans une situation de précarité et de dépendance intolérables. En effet, en tant que revenu de solidarité, l’AAH est soumise à des conditions de ressources et intègre les revenus du conjoint dans le barème de versement.
Convaincus que l’autonomie économique des femmes handicapées est un prérequis pour leur permettre d’échapper à des situations de violence, nous appelons donc à une réflexion sur l’allocation aux adultes handicapés qui prenne en compte l’importance de celle-ci, dans le contexte de violences au sein du couple, pour l’autonomie de la victime par rapport à un conjoint violent.
Pour conclure, je dirai que le renforcement de l’autonomie professionnelle est l’un des facteurs clés pour prévenir et lutter contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.
Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Chantal Deseyne. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une émotion particulière que j’interviens cet après-midi à la tribune du Sénat pour défendre, avec mes collègues rapporteures et avec la présidente de la délégation aux droits des femmes, cette proposition de résolution.
Ce texte constitue l’aboutissement d’un travail de plusieurs mois sur les violences faites aux femmes en situation de handicap. Le rapport d’information qui en est issu a été adopté par notre délégation à l’unanimité.
Comme l’a souligné notre présidente, le fait que cette proposition de résolution soit cosignée par un si grand nombre de sénateurs et de sénatrices, de tous les groupes politiques, traduit l’implication de l’ensemble de notre assemblée pour défendre les victimes de ces violences insupportables, parce qu’elles visent des personnes vulnérables qu’il est de notre devoir de défendre contre les prédateurs qui les prennent pour cibles. Car il s’agit bien de prédateurs !
Mon engagement contre les violences faites aux femmes est ancien : c’est le fil conducteur de mon parcours d’élu. J’y travaille depuis de longues années, à la fois comme législateur et sur le terrain.
Si, ces dernières années, quelques avancées ont pu être constatées, notamment en matière de lutte contre les violences conjugales, on ne peut en dire autant des violences auxquelles sont confrontées les femmes en situation de handicap.
Deux adjectifs ont émergé des témoignages que nous avons entendus au cours de notre travail : « oubliées » et « invisibles ». Il faut y ajouter « inaudibles », car à toutes les violences que subissent ces femmes, s’ajoute la violence qui résulte d’une parole presque toujours mise en doute, au nom de leur handicap, comme si leur identité pouvait être réduite à celui-ci.
Certes, la prise en compte des femmes handicapées dans les politiques publiques de lutte contre les violences est récente, puisqu’elle remonte, en réalité, aux deux derniers plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes : le quatrième plan, qui couvre la période 2014-2016, et le cinquième plan, qui concerne les années 2017-2019.
On peut donc espérer que les dynamiques enclenchées depuis 2014 conduisent prochainement, si les moyens nécessaires sont mobilisés, à des résultats concrets.
Le quatrième plan a ainsi pris en compte les femmes handicapées dans les objectifs définis dans le domaine de la formation initiale et continue des agents du service public et des professionnels. C’était une orientation pertinente, car la formation des personnels est, on le sait, décisive dans ce domaine.
Dans le même temps, des clips de sensibilisation ont été adaptés à certaines formes de handicap, puisqu’ils ont été sous-titrés et traduits en langue des signes. Voilà une bonne pratique à rendre, si cela est possible, systématique !
Quant au cinquième plan, il prévoyait la formation des professionnels au contact des femmes handicapées, l’éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements médico-sociaux et la signature d’une convention entre le 3919 et le 3977, numéro national pour lutter contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes handicapées, afin d’orienter les femmes en situation de handicap vers des structures spécialisées.
Nous avons par ailleurs noté que la feuille de route issue du comité interministériel du handicap, intitulée Gardons le cap, changeons le quotidien !, prenait aussi en compte la lutte contre les violences faites aux femmes, en contribuant notamment à renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel et les discriminations. Cette démarche devra donc être amplifiée à l’avenir.
Parmi les pistes à explorer, on pourrait promouvoir des campagnes de sensibilisation et de communication montrant des femmes en situation de handicap. Il faut que celles-ci cessent d’être invisibles pour sensibiliser l’opinion publique à la réalité des violences qu’elles subissent.
Il est certain que l’effort de formation des professionnels doit se poursuivre de manière plus ambitieuse, afin d’encourager et de crédibiliser la parole des victimes de violences et de leur garantir une prise en charge adaptée. C’est un impératif bien connu de la délégation aux droits des femmes. Il est encore plus prégnant dans le cas des femmes en situation de handicap.
Pour révéler les violences subies, les femmes doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés. Dans le cas des personnes en situation de handicap, une formation insuffisante des professionnels peut déboucher sur de graves écueils. Plus particulièrement, la méconnaissance des symptômes du psychotrauma par de nombreux praticiens conduit des professionnels à passer à côté d’une situation de violence.
Tous les professionnels et bénévoles en contact avec des personnes en situation de handicap, ou susceptibles de l’être, devraient être formés au repérage des violences. Ce point concerne aussi bien les soignants, les bénévoles des centres d’accueil, les écoutants des plateformes téléphoniques que les personnels de l’ASE ou des cellules de recueil des informations préoccupantes. Il vise aussi, bien évidemment, les professionnels de la chaîne judiciaire.
Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur le Gouvernement pour que le sixième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, qui devrait commencer en 2020, poursuive et amplifie les quelques efforts déjà observés ces dernières années.
Par ailleurs, il nous a paru regrettable que la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement ne prévoie pas de mention explicite de la prévention et de la lutte contre ces violences, même si certaines mesures peuvent contribuer à une prévention indirecte des violences sexuelles à l’égard des femmes autistes. Il y a probablement là une piste d’évolution à envisager.
Quant au Grenelle contre les violences conjugales, je ne suis pas convaincu que les actions spécifiques annoncées le 25 novembre dernier à destination des femmes en situation de handicap soient à la hauteur des enjeux. La « formation en ligne certifiante s’adressant aux professionnels des établissements et services médico-sociaux » manque d’ambition. Je ne vois pas comment une formation en ligne pourrait se substituer à un réel apprentissage, compte tenu de la complexité et de la sensibilité de la question.
Permettez-moi aussi d’exprimer quelques doutes sur les « centres ressources prévus dans chaque région pour accompagner les femmes en situation de handicap dans leur vie intime et sexuelle et leur parentalité ».
Notre rapport souligne la nécessité d’une éducation à la sexualité pour toutes les jeunes femmes en situation de handicap, dans une perspective de prévention des violences et d’accompagnement à la maternité. Or ces centres ressources ne sont à la hauteur de cet enjeu ni par leur nombre, trop faible, ni par leurs objectifs, formulés en des termes aussi abstraits que flous.
Il nous a donc semblé que deux évolutions étaient nécessaires pour mieux accueillir les femmes handicapées victimes de violences. D’une part, il s’agit de faire en sorte que les politiques publiques du handicap intègrent la dimension de l’égalité femmes-hommes dès le plus jeune âge. D’autre part, les politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes doivent systématiquement prendre en compte la dimension du handicap.
Seule cette approche transversale des questions relatives au handicap et des politiques publiques de lutte contre les violences, croisant le genre et le handicap, pourrait permettre aux femmes en situation de handicap d’avoir toute leur place dans les plans de lutte contre les violences.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe socialiste votera bien sûr sans réserve ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, RDSE et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Laborde. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
Mme Françoise Laborde. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis heureuse de défendre aujourd’hui cette proposition de résolution visant à dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.
Comme l’ont déjà dit les orateurs précédents, ce texte s’inscrit dans la continuité d’un rapport de la délégation aux droits des femmes. Il nous a semblé important d’étudier en détail la situation de ces victimes parmi les plus vulnérables. Les personnes auditionnées nous ont rappelé l’importance de considérer les individus en situation de handicap non comme des « objets de soin », mais comme des « sujets de droit ».
Pour ma part, je centrerai mon intervention sur la question de l’accès aux droits pour ces femmes, véritable clé de la réussite dans la lutte contre les violences. Il faut, par exemple, permettre l’accessibilité aux structures d’accueil ou encore la prise en charge par les forces de police et de justice.
D’énormes progrès restent à faire en la matière. Si les démarches pour se rendre au commissariat et porter plainte sont éprouvantes pour les femmes victimes de violences, elles peuvent être insurmontables pour les femmes en situation de handicap. Le manque de formation des professionnels et l’inadaptation de certaines procédures aux formes de handicap sont des facteurs de blocage encore plus forts de la libération de la parole des femmes handicapées.
Cette spécificité nécessite une formation particulière, qui fait défaut aux forces de sécurité et aux personnels de la justice. La formation encore insuffisante à la question des violences faites aux femmes comporte encore davantage de lacunes lorsque ces violences concernent les personnes handicapées ! D’après les témoignages, l’accueil par la police des victimes en situation de handicap est largement perfectible : manque d’empathie parfois, attitude condescendante, inadaptation des questions… Comme l’ont dit mes collègues, cela ne s’apprend pas en ligne !
Alors que la crédibilité des victimes est centrale dans la procédure judiciaire, les personnes handicapées sont souvent infantilisées et présumées incapables. Les personnels n’intègrent pas le fait que les victimes puissent être particulièrement traumatisées par les violences subies.
Ces constats faits pour la police valent aussi pour la justice. Comme nous l’a indiqué la directrice de l’association Droit pluriel, les professionnels du droit ne comprennent pas, par exemple, la spécificité des personnes malentendantes. Le nombre de permanences juridiques en langue des signes reste à ce jour très limité, le public concerné est exclu de fait des lieux d’aide aux victimes.
En conséquence, nous plaidons pour le développement d’outils et de procédures permettant aux personnes handicapées d’entamer des démarches judiciaires dans des conditions adaptées. Cet effort doit notamment viser les personnes autistes et les personnes malentendantes.
L’accès aux droits des personnes en situation de handicap passe d’abord par l’accessibilité matérielle des dispositifs destinés aux victimes, comme les centres d’hébergement ou lieux de dépôt de plainte. Mais une meilleure accessibilité suppose aussi la formation et la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématiques du handicap ; construire des rampes d’accès ou des ascenseurs adaptés ne suffit pas.
Un autre volet essentiel des droits des personnes en situation de handicap est celui de leur accès à la santé et de leur autonomie en matière de soins, conditions nécessaires à leur dignité. Le Parlement européen, dans des résolutions de mars 2007 et novembre 2018, a souligné les difficultés liées à l’inadaptation des infrastructures médicales et regretté le manque de suivi gynécologique des femmes handicapées.
Une étude de l’agence régionale de santé d’Île-de-France, publiée en 2018, relative aux besoins et à la prise en charge gynécologique et obstétricale montre un déficit plus important dans le suivi gynécologique des femmes en situation de handicap. Par exemple, 85 % d’entre elles n’ont jamais passé de mammographie.
On ne peut se satisfaire de cette situation ! L’accès aux soins et aux dépistages des cancers féminins est un droit qui ne peut être enlevé aux femmes en situation de handicap. L’une des recommandations de notre rapport porte donc sur le suivi gynécologique des femmes et adolescentes en situation de handicap : il est indispensable qu’il soit régulier, a fortiori dans le cadre d’un traitement contraceptif, qu’elles résident ou non dans des institutions. Nous demandons également que les équipements de dépistage du cancer du sein soient adaptés aux patientes handicapées.
L’information des adolescentes et des femmes handicapées sur la contraception et leur éducation à la sexualité doit s’inscrire dans la prévention des violences, y compris sexuelles, auxquelles elles sont particulièrement exposées et s’étendre à la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
Pour conclure, je voudrais citer ces paroles fortes de Brigitte Bricout, alors présidente de Femmes pour le dire, Femmes pour agir, association de référence pour la prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences : « Ce n’est pas notre handicap qui nous définit, c’est d’être femme. Les femmes qui constituent la moitié de la société civile sont des citoyennes, comme les femmes en situation de handicap. Cette position de citoyenne est constitutive de notre engagement. Nous ne sommes pas à côté de la société civile, mais à l’intérieur. »
Il est de notre devoir de garantir la citoyenneté à laquelle les femmes en situation de handicap aspirent légitimement.
Mes chers collègues, je vous invite, tout comme le feront les membres du groupe du RDSE, à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui une proposition de résolution présentée par nos collègues membres de la délégation aux droits des femmes.
Nous tenons à saluer l’initiative transpartisane que constitue cette proposition de résolution et nous souscrivons largement aux objectifs qui y sont énoncés.
La lutte contre les violences faites aux femmes est un combat de tous les instants. Chaque année, 220 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Selon une étude de l’Institut français d’opinion publique (IFOP), 12 % des Françaises ont été victimes de viols et 43 % déclarent avoir subi des gestes sexuels sans leur consentement.
Nous partageons le constat, plus qu’alarmant, sur l’exposition particulièrement marquée des femmes en situation de handicap aux violences, que ce soit dans le cercle familial ou dans les institutions spécialisées. D’après un rapport de l’ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de tous types de violences, notamment sexuelles et conjugales.
Un autre chiffre nous démontre l’ampleur du phénomène : selon une étude de 2016 de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, les femmes qui courent le plus de risques d’être victimes de violences conjugales sont celles de moins de 25 ans qui se trouvent en situation de handicap.
Il s’agit d’un cercle vicieux : le handicap accroît le risque de violence, les violences accroissent le handicap. Nous devons tout mettre en œuvre pour sortir de cette spirale infernale et mieux protéger les femmes.
Cela passe tout d’abord par une meilleure prévention et une meilleure connaissance du phénomène grâce, notamment, à des études et des statistiques plus nombreuses.
Nous devons également travailler davantage avec les acteurs associatifs qui, chaque jour, proposent une écoute, un accompagnement juridique, social et psychologique à destination de ce public particulièrement exposé.
Enfin, la facilitation des démarches administratives et judiciaires apparaît nécessaire pour favoriser la prise en charge effective des victimes.
Le Gouvernement a pleinement conscience de cette réalité. Durant le Grenelle contre les violences conjugales, la prévention des violences faites aux femmes en situation de handicap avait fait l’objet d’un groupe de travail spécifique. Un certain nombre de propositions ont été annoncées et seront mises en œuvre dès 2020.
Je pense notamment à la lutte contre les violences en établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) par un travail d’encadrement et de valorisation des bonnes pratiques déployées par les agences régionales de santé (ARS).
Je pense également à la formation des professionnels de santé intervenant dans les ESMS à la question des violences faites aux femmes, dont les violences conjugales.
L’objectif est également de faire connaître des dispositifs déjà mis en place et qui ont prouvé leur efficacité. Ainsi, le 3919, service d’écoute téléphonique pour les femmes victimes de violences, sera accessible aux personnes sourdes et malentendantes.
Nous sommes favorables à toute initiative visant à prévenir et à lutter contre les mauvais traitements infligés aux personnes en situation de handicap. La société inclusive que nous prônons est une société dans laquelle est intégrée chaque personne en dehors de toute autre considération. De ce fait, elle lutte contre les inégalités de destin par sa solidarité.
Aussi, nous saluons la qualité du rapport d’information du groupe de travail mené par notre collègue Roland Courteau au nom de la délégation aux droits des femmes, dont nous approuvons les propositions, car elles vont dans le sens d’une meilleure prise en charge des femmes en situation de handicap victimes de violences.
Les politiques publiques concernant l’égalité entre les femmes et les hommes, grande cause nationale du quinquennat, s’entendent de manière générale. Elles concernent, a fortiori, les femmes les plus vulnérables et c’est pourquoi nous soutiendrons tous – en tout cas, je l’espère – cette proposition de résolution.
Voter ce texte à l’unanimité du Sénat enverrait un message fort et démontrerait notre volonté commune de lutter ardemment contre toutes les formes de violences faites aux femmes en situation de handicap. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon, mes chers collègues, le nombre de femmes décédées en 2019 sous les coups de leur conjoint est de 149. Durant le Grenelle contre les violences conjugales installé le 3 septembre dernier par le Gouvernement, une attention toute particulière a été portée à la question des féminicides et à leur ampleur, mais également à celle des violences faites aux femmes en situation de handicap.
La délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, à laquelle j’appartiens, a voulu mettre l’accent sur ce fléau, souvent oublié par les politiques publiques, que sont les violences faites aux femmes handicapées. En effet, lors de la table ronde que nous avions organisée le 6 décembre 2018, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Mme Pascale Ribes, vice-présidente de l’association France handicap, rappelait une fois encore que « les femmes handicapées restent invisibles et oubliées des politiques publiques ».
Je tiens à remercier nos collègues Dominique Vérien, Chantal Deseyne, Françoise Laborde et Roland Courteau pour leur travail et ce rapport, qui nous permet aujourd’hui de mesurer tout l’enjeu de cette proposition de résolution.
De nombreux points mis en avant par le rapport ont déjà été rappelés. Pour ma part, je souhaite mettre l’accent sur l’effort nécessaire de formation des professionnels, en particulier des forces de police et de justice qui sont les premiers interlocuteurs de toute victime souhaitant déposer plainte. Dans de nombreux cas, l’accueil de victimes en situation de handicap reste difficile : absence d’empathie, manque d’égards, attitude condescendante, inadaptation des questions ou de la procédure. C’est pourquoi il est essentiel qu’ils acquièrent les connaissances solides afin d’accueillir dans de meilleures conditions et avec bienveillance les femmes en situation de handicap victimes de violences sexuelles.
Ainsi, au cours des auditions menées par nos collègues rapporteurs, ont notamment été soulevées les difficultés rencontrées par les personnes sourdes et malentendantes sur lesquelles je voudrais faire quelques remarques.
Tout d’abord, celles-ci ne sont pas familières du monde judiciaire, et les professionnels du droit sont peu réceptifs à leur situation.
Ensuite, force est de constater que le nombre de permanences juridiques en langue des signes reste à ce jour très limité, ce qui exclut encore davantage ces personnes des dispositifs mis en place pour l’aide aux victimes.
Le même constat peut également être fait à l’égard des personnes autistes ou malentendantes.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les différentes lacunes que j’ai relevées aujourd’hui nous conduisent à recommander un renforcement de la formation et de la sensibilisation des acteurs de la chaîne judiciaire aux problématiques du handicap.
En tant que membre de la délégation aux droits des femmes du Sénat, j’estime qu’il est absolument nécessaire que nous prenions tous conscience des agissements que j’ai dénoncés. Je vous invite donc, avec les membres du groupe Union Centriste, à adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et SOCR, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Annick Billon, mes chers collègues, 80 % des femmes handicapées subissent des violences. Elles sont négligées, humiliées, insultées, frappées, violées, parfois tuées. Nous ne pouvons plus tolérer l’intolérable. Les gouvernements successifs se sont penchés sur ce sujet ô combien tragique, mais hélas, jusqu’à aujourd’hui, ces violences persistent.
Cette proposition de résolution en date du 25 novembre 2019 vient s’inscrire dans la continuité des travaux engagés au cours de la session 2017-2018 par notre délégation aux droits des femmes sur les violences faites aux femmes, et du rapport déposé le 3 octobre dernier par mes collègues Chantal Deseyne, Dominique Vérien, Françoise Laborde et Roland Courteau, dont je salue l’excellente initiative.
Il y a un sujet sur lequel nous ne pouvons pas transiger tant il est important. Un sujet qui, cependant, reste étrangement silencieux lorsqu’il s’agit des femmes en situation de handicap, qui comptent pourtant parmi les premières victimes d’abus, compte tenu de leur vulnérabilité. Ce sujet, vous l’aurez compris, mes chers collègues, c’est le consentement, qui est « l’angle mort » de la politique publique d’accompagnement du handicap. Pourtant, il n’est pas possible de le considérer comme « acquis par défaut », qu’il s’agisse de sexualité ou de tout autre domaine de la vie.
Je souhaite donc rappeler dans un premier temps qu’il est nécessaire de mieux relier les indicateurs de « violence » et de « handicap » dans la prise en charge institutionnelle et légale des victimes, afin d’obtenir des bases statistiques qualifiant et quantifiant mieux les faits.
Selon une étude menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, 31 % des femmes en situation de handicap sont ou ont été victimes de violences physiques ou sexuelles. Par ailleurs, 3,9 % des femmes handicapées sont victimes de violence dans le couple, contre 1,87 % des femmes en moyenne. Les filles et les femmes en situation de handicap ont jusqu’à dix fois plus de risques d’être maltraitées que les femmes valides.
En France, cependant, aucune étude nationale spécifique n’a été menée récemment pour mesurer ces violences. Maudy Piot, présidente de l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir estimait que quatre femmes handicapées sur cinq sont victimes de violences, notamment au-dessous de 25 ans. Les agresseurs sont les conjoints à 40 %, les ex-conjoints à 10 %, les enfants à 14 %, les parents à 9 % et les aidants extérieurs à 18 % selon les statistiques du 114, numéro d’urgence dédié aux personnes sourdes ou malentendantes. Ces femmes sont également victimes d’agressions sexuelles dans les institutions spécialisées qui les accueillent, comme les instituts médico-éducatifs (IME) ou les établissements et services d’aide par le travail (ÉSAT). Les dispositifs d’urgence existants doivent être renforcés pour repérer les victimes plus efficacement.
Cependant, ces abus de faiblesse ont lieu à 60 % au domicile, rendant le problème invisible. Beaucoup de femmes n’appellent pas ces numéros d’urgence, et n’entrent pas non plus en contact avec les nombreuses associations qui assurent un travail remarquable de terrain au quotidien, auxquelles je rends hommage aujourd’hui. Il convient de diversifier les systèmes de signalement et de contrôle afin que cette réalité soit prise en compte.
En dépit des conseils et de l’écoute des associations et institutions, les violences perdurent souvent. Il faut alors porter plainte. Mais la démarche est difficile, surtout lorsque des dépendances existent. Ces dépendances peuvent être financières, à travers la gestion de l’AAH par un proche maltraitant, mais également matérielles, au travers du logement ou de la nourriture, ou encore affectives, avec la pression morale exercée par le proche maltraitant. La peur des représailles est également très présente.
Dans un second temps, il faut donc évoquer la sécurisation d’un véritable parcours de plainte autonome et accessible pour toutes les femmes victimes de violence qui ont peur de se lancer dans une démarche judiciaire, pourtant essentielle.
Une fois ce cap franchi, le parcours de la combattante ne s’arrête pas ; il faut encore se déplacer et oser entrer dans le commissariat ou la gendarmerie. Or tous ces lieux ne sont pas encore entièrement accessibles. Il y a aussi la honte, face à des personnels parfois insuffisamment sensibilisés et formés pour recevoir ces plaintes. Trouver des solutions adaptées permettant de fluidifier la procédure est une priorité pour ces femmes. Il faut que l’ensemble des personnels d’accompagnement, les forces de l’ordre et plus largement les citoyens prennent conscience de la réalité des violences exercées à leur encontre. Cela implique de la pédagogie, de la formation, comme le rappelle le texte de notre proposition de résolution.
Je conclurai en disant que mon vote est bien entendu favorable à cette proposition de résolution que j’ai cosignée, mais également, mes chers collègues, que nous sommes tous les porte-parole de ces femmes en situation de handicap victimes de violence. Il faut absolument que la peur change de camp ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous penchons aujourd’hui sur l’un des angles morts des politiques publiques françaises : les violences faites aux femmes en situation de handicap. Je remercie notre collègue et présidente Annick Billon d’avoir porté ce sujet au sein de la délégation aux droits des femmes.
Le rapport sénatorial remis le 3 octobre dernier par nos collègues Chantal Deseyne, Françoise Laborde, Dominique Vérien et Roland Courteau avait souligné un manque criant de données sur le sujet en France, alors même que plusieurs rapports internationaux sont unanimes pour souligner la surexposition des femmes handicapées aux violences.
Le constat est en effet sans appel : près de 80 % des femmes handicapées sont victimes de tous types de violences : tentatives de culpabilisation par des proches, moqueries et méchancetés gratuites au quotidien, maltraitances hospitalières, hospitalisations abusives en hôpital psychiatrique, abus de confiance…
Autre chiffre glaçant : les femmes handicapées sont quatre fois plus susceptibles de subir des violences sexuelles que le reste de la population féminine.
La vulnérabilité liée au handicap place bien souvent les femmes dans des situations de dépendance économique et émotionnelle vis-à-vis de leur agresseur. Beaucoup d’entre elles n’osent pas porter plainte par peur des représailles. D’autres, atteintes de handicap mental, sont même dans l’incapacité d’appeler les numéros d’urgence.
Lorsqu’elles osent ou peuvent franchir le pas, elles sont alors confrontées à d’autres violences psychologiques. C’est le cas de cette femme autiste dont on ne croit pas l’histoire parce qu’elle a du mal à s’exprimer et que ses émotions ne sont pas assez manifestes. On peut encore citer l’exemple terrible de cette femme malentendante qui se voit demander par des policiers de mimer le viol qu’elle a subi, car elle n’est pas capable de le raconter.
Cette proposition de résolution appelle à une prise de conscience sociétale, qui doit passer par une sensibilisation accrue de tous à ces violences.
D’abord, il est primordial de mieux former les professionnels à la spécificité des violences sexuelles commises contre les femmes en situation de handicap. Cet effort de formation doit même être étendu à tous les intervenants potentiels : les soignants, les écoutants des plateformes téléphoniques, les professionnels et les bénévoles en contact avec des personnes handicapées, sans oublier les magistrats et agents de police, qui sont en première ligne lorsqu’une victime souhaite déposer plainte.
Ensuite, il est nécessaire d’améliorer l’information des personnes handicapées sur leurs droits, ce qui suppose le développement d’outils de communication dans des formats accessibles, quel que soit le handicap. Une rencontre annuelle et obligatoire avec un psychologue constituerait aussi une véritable avancée pour aider les victimes à rompre le silence.
Enfin, il est temps de briser l’omerta qui règne encore trop souvent dans certains établissements spécialisés. Le secret professionnel ne doit pas permettre aux professionnels de s’exonérer de leurs responsabilités quand ils sont en mesure de présumer qu’une personne handicapée est victime de violences. J’ai ainsi en mémoire le témoignage accablant d’une professionnelle de santé travaillant dans le département dont je suis élue, l’Aisne, et qui soupçonnait un père de famille de viols incestueux réguliers sur ses deux filles placées en institution. Tout le monde savait ; personne n’a jamais osé parler… Parce que le signalement de situations de violences peut sauver des vies, nous devons soutenir l’introduction dans le code pénal d’une obligation de signalement des violences physiques, psychiques ou sexuelles, notamment pour les professionnels de santé.
Mes chers collègues, les violences faites aux femmes en situation de handicap sont aujourd’hui invisibles, mal connues et trop peu prises en compte. Nous voterons cette proposition de résolution, parce qu’elle encourage au changement de regard de l’ensemble de la société et des acteurs de la chaîne sur ces femmes oubliées. Nous devons les aider à sortir du silence et, surtout, faire entendre leur voix. Comme l’excellent rapport de nos quatre collègues nous y invite, il est temps de dénoncer l’invisible et d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et RDSE. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Daniel Chasseing et Mme Nicole Duranton applaudissent également.)
M. Claude Malhuret. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, longtemps les violences ont été taboues, en particulier celles qui étaient commises sur les enfants et sur les femmes.
L’année 2019 aura été une année importante dans la lutte pour la fin du silence en France ; il était temps. Une mobilisation sans précédent de la société civile contre les violences faites aux femmes a vu le jour, avec comme point d’orgue la marche organisée par le collectif Nous toutes au mois de novembre dernier. La prise de conscience est là ; c’est une première étape.
De nombreuses actions ont été mises en place. Dans nos rues, placardés sur les murs, comme une trace indélébile dans notre quotidien, nous pouvons voir les prénoms de celles qui ont péri sous les coups. Un Grenelle contre les violences conjugales s’est tenu à la fin de l’année dernière ; trente mesures, que nous soutenons, sont ou seront mises en place, avec, comme objectifs, la prévention et la protection.
Les violences infligées au sein même du cercle familial sont désormais audibles. Elles peuvent être physiques, mais aussi morales, psychologiques ou encore sexuelles. Elles touchent tous les âges et tous les sexes ; elles touchent toute notre société.
La délégation aux droits des femmes, que je souhaite saluer pour le travail sans relâche qu’elle conduit, sous l’égide de son infatigable présidente, Annick Billon, place aujourd’hui le Sénat face au fléau spécifique des violences que subissent les femmes en situation de handicap. Le rapport d’information publié en octobre dernier par cette délégation, sous un titre évocateur et avec des chiffres glaçants, nous donne des pistes de réflexion. La résolution proposée aujourd’hui en fait autant.
Une discussion s’ouvre, et elle doit absolument déboucher sur des réponses adaptées.
Les témoignages recueillis lors des auditions, mais également ceux que l’on entend tous les jours dans les médias et autour de nous, sont éloquents. Les femmes en situation de handicap sont confrontées à de nombreux obstacles et à des violences qui se produisent bien souvent au sein de la famille ou dans les institutions, qui devraient au contraire protéger. D’où l’importance de l’accès à des données fiables et actualisées, afin de prendre conscience de l’ampleur de cette situation.
La délégation a appelé à une prise en compte systématique, dans les politiques publiques, des femmes en situation de handicap. Les conclusions et les mesures dévoilées lors du Grenelle contre les violences conjugales constituent une avancée, qui doit être poursuivie.
La prévention et la sensibilisation sont primordiales, et une prise en charge adaptée en cas de violence l’est tout autant. La procédure en la matière doit être révisée ; tous les maillons du dispositif doivent être formés et sensibilisés aux besoins spécifiques des femmes handicapées.
La proposition de résolution fait à juste titre mention de l’accès aux établissements médicaux et aux locaux de police ou d’hébergement d’urgence. Cette accessibilité doit répondre à toutes les formes de handicaps.
Je souhaite aussi parler de la prise en charge lors des appels d’urgence. Il est nécessaire d’améliorer ce système grâce, là encore, à la sensibilisation et la formation du personnel. L’écoute est essentielle ; c’est l’une des recommandations de la mission d’information, et cela me semble nécessaire. On a prévu, à l’issue du Grenelle, l’ouverture 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 du numéro d’urgence 3919. Il est précisé, au travers de cette mesure, que ce dispositif sera rendu accessible aux personnes en situation de handicap. Celles-ci doivent être certaines qu’elles seront entendues, qu’une protection leur sera apportée et que leurs droits seront garantis.
Les difficultés d’accès se retrouvent aussi dans les diverses formes de soin, de dépistage et de diagnostic. La proposition de résolution le met en évidence, les études récentes ont démontré que les femmes handicapées étaient plus exposées au risque de cancer du sein, du fait d’un dépistage insuffisant. La question du suivi, notamment gynécologique, de ces femmes est aussi essentielle ; ce suivi ne paraît pas suffisamment bien assuré. La santé est un bien précieux pour chaque Français, pour chaque Française.
La délégation aux droits des femmes a soulevé un autre point substantiel et la proposition de résolution que nous étudions le reprend : il s’agit de l’autonomie économique des femmes en situation de handicap.
M. Roland Courteau. C’est essentiel !
M. Claude Malhuret. De nombreux témoignages font part des difficultés d’accès à l’éducation, pour ces femmes, dès le plus jeune âge. Cela se poursuit durant les études et, plus tard, lors d’une prise de poste ou de responsabilités supérieures. L’accès à l’éducation est un pilier de notre République ; la possibilité de créer son parcours professionnel et d’accéder à l’emploi forme la base de notre système et de notre conception de l’égalité des chances.
Il est important de mettre ici en lumière la situation, dans le milieu du travail, des femmes atteintes d’autisme, dont les témoignages appellent à l’urgence d’un meilleur dépistage. Chacun de nos concitoyens doit pouvoir prendre sa place dans notre société et ne pas s’en sentir exclu, mis de côté. Notre système doit s’adapter.
Chacun doit se sentir concerné par le sujet qui nous rassemble aujourd’hui. Les acteurs associatifs manquent de moyens et parfois de personnes suffisamment formées pour mener à bien leur combat. L’État, bien conscient de l’enjeu dont nous traitons, doit être encouragé à prendre, dans ses politiques publiques, des mesures de lutte, mais aussi de prévention, contre les violences faites aux femmes en situation de handicap. Les professionnels du secteur sont invités à avoir un haut niveau de formation et de sensibilisation sur ces violences. Enfin, nous, citoyens, devons modifier nos comportements et nos préjugés, car nous mènerons cette lutte ensemble pour bâtir une société plus tolérante et plus protectrice, où chacun trouvera sa place.
Le groupe Les Indépendants, dont tous les membres ont cosigné cette proposition de résolution, votera pour ce texte. Celui-ci nous propose de réfléchir et d’avancer ensemble, afin de répondre de manière adéquate à ce problème ; ce n’est que l’une des étapes de tout le travail qu’il reste à accomplir, mais elle est essentielle. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et SOCR. – M. Daniel Chasseing applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Madame la présidente, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer votre initiative, transpartisane et consensuelle, sur un sujet longtemps tabou mais qui devient prégnant dans notre société, et c’est tant mieux.
Vous l’avez très justement rappelé, être femme et en situation de handicap expose plus que tout à des situations de violences conjugales et sexuelles. Être femme et être en situation de handicap représentent souvent des motifs de discrimination, dont le cumul est plus qu’inacceptable.
Vous l’aurez noté, c’est la première fois qu’un gouvernement compte deux secrétariats d’État, l’un au handicap, l’autre à l’égalité femmes-hommes, directement rattachés au Premier ministre. Ainsi, ce sujet, loin d’être un angle mort, bénéficie au contraire pleinement de la volonté du Président de la République et du Premier ministre de mettre ces sujets au cœur de l’action gouvernementale et de nos politiques publiques.
Vous l’avez souligné, d’après un rapport de l’ONU, sur cinq femmes en situation de handicap, quatre seraient victimes de violences. De même, une étude, en date de mars 2016, de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales montre que les femmes qui courent le plus de risques d’être victimes de violences conjugales sont les jeunes femmes en situation de handicap de moins de 25 ans, qui se trouvent, souvent, chez elles.
L’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir, dont je veux saluer l’engagement de l’ancienne présidente, Maudy Piot, qui nous a quittés, m’a fait part, au cours de mes visites, du nombre croissant d’appels qu’elle reçoit depuis l’ouverture, en 2015, de son numéro d’appel. Parmi les appelants, 86 % sont des victimes ; les autres font généralement partie de l’entourage d’une victime. Par ailleurs, 38 % des appelantes ont entre 45 et 65 ans ; 16 % de ces femmes ont entre 26 et 45 ans. En revanche, les moins de 25 ans, pourtant largement victimes – ce sont les plus exposées –, n’appellent pas ou le font très peu.
Les femmes touchées par des handicaps psychiques représentent plus d’un tiers des appelantes ; elles sont, pour la moitié d’entre elles, sans emploi. Les femmes ayant une difficulté liée à une déficience intellectuelle n’appellent pas.
Une autre enquête corroborant l’urgence à agir est celle qui a été menée par l’Association francophone des femmes autistes. Alors que, en France, 14,5 % des femmes ayant entre 20 et 69 ans ont subi des violences sexuelles au cours de leur vie, ce chiffre passe à 90 % pour celles qui sont atteintes de troubles du spectre de l’autisme. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes…
Les paroles des femmes sont également éloquentes. Ainsi de ce témoignage d’une femme de 47 ans, atteinte d’une déficience physique à l’âge de 22 ans : quand j’ai réussi à tomber enceinte – c’était un projet du couple depuis plusieurs années –, mon conjoint m’a intimé d’avorter, de peur que je « ponde un handicapé » – sic –, puis m’a infligé, entre autres histoires sordides, des maltraitances physiques et psychologiques qui ont entraîné ma fuite quand mon fils a eu cinq ans.
Autre témoignage : violence de mon mari, qui me traitait de « fainéante » et de « handicapée égocentrique » devant les enfants, quand j’étais fatiguée. Il n’a jamais accepté la maladie ; il a supprimé mon accès aux comptes, à mon compte mail et a repris les clés de la maison quand j’étais en rééducation.
D’autres témoignages, aussi édifiants que ceux-là, parlent d’eux-mêmes, et vous les avez tous entendus lors de vos auditions.
Pourtant, longtemps, la société ne s’est pas sentie concernée et est souvent restée indifférente.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État. Lancé, le 3 septembre 2019, par le Premier ministre, le Grenelle contre les violences faites aux femmes a été une occasion sans précédent de dresser ce bilan accablant. J’y ai justement conduit un atelier sur les violences faites aux femmes handicapées.
La société ne doit plus détourner le regard de ces violences. Croyez-moi, ce n’est qu’ensemble que nous pourrons relever ce défi, en prenant en compte les besoins spécifiques des femmes en situation de handicap, dans tous les domaines de l’action publique. La mobilisation a permis d’accélérer et de renforcer la prise en considération du handicap dans la lutte contre les violences.
Conformément aux engagements pris par le comité interministériel du handicap, le 25 octobre 2018, et confirmés le 3 décembre 2019, nous avons lancé différentes actions.
La mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la traite des êtres humains, le Conseil national consultatif des personnes handicapées et les associations mobilisées se sont engagés dans la rédaction de fiches réflexes, qui visent à apprendre à tous les professionnels intervenant auprès des femmes en situation de handicap à repérer des violences qu’elles subissent ou ont subies, à mieux accompagner les intéressées et à mieux les orienter. Ces fiches sont finalisées ; il s’agit maintenant de travailler sur leur déclinaison opérationnelle, ce qui sera fait prochainement.
Pour ce qui concerne les urgences, le numéro 114 a été mis en accessibilité totale, afin que les femmes malentendantes ou sourdes puissent obtenir une réponse rapide.
Le Grenelle nous permet de poursuivre notre action et de l’amplifier. Ainsi, au titre de cette mobilisation interministérielle, nous allons agir plus fortement en matière de prévention. Lutter contre les violences faites aux femmes nécessite en effet de s’attaquer au problème à la racine ; l’éducation à la non-violence des enfants constitue donc un maillon indispensable de l’arsenal de mesures visant à combattre ces drames, afin d’éviter d’autres témoignages tels que celui-ci : « Au collège : harcèlement scolaire lié à mon handicap et au fait d’être une jeune fille. Le “légume” – c’est moi qui suis désignée comme tel par mes camarades – n’a pas la possibilité d’avoir un petit copain. On essaie de me rouler des pelles sans mon autorisation. » Ce témoignage, d’une femme de 32 ans atteinte d’un handicap physique de naissance, est très fréquent dans les collèges et les lycées.
Parmi les actions que nous allons engager à ce titre, une attention toute particulière sera accordée aux enfants et aux jeunes en situation de handicap. Nous devons être attentifs à ce que toutes nos actions puissent être adaptées, en tant que de besoin, aux femmes en situation de handicap.
À cet égard, je tiens à souligner une avancée importante : la mise en accessibilité prochaine du numéro 3919 pour les femmes sourdes ou malentendantes. Sur le fondement de la même exigence sera aussi créé un document accessible aux femmes en situation de handicap ; cela leur permettra d’être informées de la procédure, des recours et des possibilités d’accompagnement en cas de violence. Ce document sera adapté aux dispositifs locaux, en métropole comme en outre-mer, dans les lieux d’accueil, en coordonnant, par exemple, des actions locales.
Par ailleurs, nous nous sommes également engagés à mettre en œuvre des actions très spécifiques, afin de répondre aux attentes des victimes en situation de handicap. Un centre de ressources sera déployé dans chaque région pour accompagner les femmes en situation de handicap, dans leur vie intime et sexuelle et dans leur parentalité. Ce centre mettra sur pied un réseau d’acteurs de proximité, afin que chaque femme en situation de handicap puisse trouver des réponses, qu’il s’agisse de sa vie intime ou de violences subies.
De surcroît, ces centres constitueront un point d’entrée unique, avec un réel rôle de coordination des différents acteurs concernés et, surtout, une identification beaucoup plus simple des interlocuteurs nécessaires lorsque l’on est confronté au pire. Avec cette organisation, les femmes seront soutenues dans leur pouvoir d’agir, notamment au travers d’échanges avec leurs pairs.
Ces centres seront aussi au service des aidants familiaux et des professionnels ; ils permettront d’avoir plus rapidement des retours d’expérience, afin d’affiner toujours mieux l’action des services de l’État.
Ce dispositif existe déjà ; il s’inspire fortement du centre ressources de Nouvelle-Aquitaine, qui fonctionne bien, car il est adossé à l’ensemble de cet écosystème et qui, en parallèle, sensibilise les aidants familiaux et les professionnels médico-sociaux. Nous travaillons actuellement avec les acteurs concernés à la rédaction du cahier des charges de ces centres de ressources, afin que ceux-ci essaiment le plus vite possible.
Il sera rappelé à l’ensemble des établissements et services médico-sociaux la nécessité absolue du respect de l’intimité et des droits sexuels et reproductifs des femmes accompagnées. Aucune tolérance ne doit être acceptée à l’égard d’éventuels manquements en la matière ; c’est fondamental. La plus grande vigilance sera exigée des autorités de contrôle sur l’identification et le traitement sans délai des violences.
Nous nous appuierons notamment sur la Note d’orientation pour une action globale d’appui à la bientraitance dans l’aide à l’autonomie, remise par Denis Piveteau, président de la Commission pour la lutte contre la maltraitance et la promotion de la bientraitance, commission conjointe du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge et du Conseil national consultatif des personnes handicapées. Ce rapport a été remis, en janvier dernier, à Agnès Buzyn et à moi-même.
Il s’agit également de capitaliser sur les initiatives qui fonctionnent, comme le projet HandiGynéco, institué en Île-de-France en mai 2018, sur l’initiative de l’agence régionale de santé. Ce projet permet de faire intervenir des sages-femmes au sein des établissements médico-sociaux franciliens, pour leur proposer un suivi gynécologique qui représente parfois, pour certaines femmes, la première consultation gynécologique.
Nous voulons aussi travailler sur la notion de violences, d’atteintes corporelles, tant avec les personnes handicapées qu’avec le personnel. J’ai pu le vérifier par moi-même en me rendant dans un établissement : c’est assez remarquable comme la parole peut enfin se libérer, comme les femmes peuvent parler de leur propre corps, de leurs ressentis. C’est indispensable.
Les items de la mesure de satisfaction prévus par la Haute Autorité de santé pour les personnes accompagnées dans les établissements médico-sociaux devront également prendre en compte la dimension de la vie affective et sexuelle. Nous allons également améliorer l’accès aux soins des femmes en situation de handicap. Vous l’avez dit, monsieur le sénateur Malhuret, il faut absolument que l’on puisse tous travailler sur l’accès aux soins, notamment gynécologiques, en mettant en œuvre les préconisations de la mission de Philippe Denormandie, figurant dans le rapport rendu à la ministre de la santé et à moi-même le 2 décembre 2019.
Il s’agit ainsi d’assurer une fluidité et une accessibilité du parcours de santé, de renforcer la prévention – une tumeur détectée chez une femme vivant dans un établissement médico-social est en moyenne dix fois plus grosse que celle d’une femme suivie en ville, c’est quand même une inégalité anormale – et la coordination des soins et, bien sûr, de favoriser au maximum le droit commun et le libre choix.
Il nous faut également travailler sur les urgences, avec la mise en place et l’essaimage de la charte Jacob, un excellent outil de formation aux problèmes des personnes en situation de handicap.
Nous soutiendrons les professionnels. Une formation certifiante en ligne sera mise en place afin de faire monter massivement en compétence tous ceux qui interviennent dans l’accompagnement. Cette formation est complémentaire de celles qui existent déjà dans les établissements médico-sociaux, elle ne s’y substitue pas, monsieur le sénateur Courteau.
Cela complétera les travaux déjà engagés par la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la traite des êtres humains, avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées.
Je tiens par ailleurs à rappeler la signature, en mai 2018, d’une convention avec l’Unapei et la gendarmerie, destinée à promouvoir cette accessibilité au contenu et les formations des agents à la réception des plaintes.
Enfin, il nous reviendra de mesurer l’efficacité de notre action, afin de nous assurer de la réduction effective des violences subies par les femmes en situation de handicap. Les enquêtes devront comprendre des indicateurs permettant d’établir la réalité des violences subies, qu’elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques, pour en suivre l’évolution.
Nous n’oublions pas non plus – plusieurs d’entre vous l’ont souligné – les questions relatives à l’emprise, notamment économique. Nous savons que ce phénomène peut constituer, pour les femmes en situation de handicap qui subissent des violences conjugales, un frein à la décision de quitter le domicile.
Pour résoudre cette situation, nous travaillons actuellement aux moyens, pour les femmes, de recouvrer leurs droits, de bénéficier du montant global de l’allocation aux adultes handicapés beaucoup plus rapidement après une séparation ou un divorce. Il en va de même pour ce qui concerne les solutions de logement d’urgence ; celles-ci doivent être adaptées au handicap de la victime.
Cela a été dit sur l’ensemble de vos travées, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons rester insensibles aux violences faites aux femmes handicapées ; votre proposition de résolution tout comme le rapport d’information d’octobre dernier de la délégation aux droits des femmes le démontrent.
Sachez-le, le Gouvernement y consacre la même énergie. Chaque action en faveur du handicap fait l’objet d’une étude portant sur l’égalité femmes-hommes, et la réciproque est également vraie, monsieur le sénateur Courteau.
Vous pouvez donc compter sur le Gouvernement pour se tenir aux côtés de la chambre haute chaque fois que se présentera l’occasion de faire avancer la cause qui nous réunit aujourd’hui, celle des femmes en situation de handicap, qui sont des citoyennes à part entière. (Applaudissements sur la plupart des travées.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
proposition de résolution pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), adoptée le 20 novembre 1989,
Vu la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, adoptée le 13 décembre 2006,
Vu la Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du Conseil de l’Europe, dite Convention d’Istanbul, adoptée le 7 avril 2011,
Vu la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés,
Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées,
Vu la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes,
Vu la loi n° 2015-993 du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne,
Vu la loi n° 2018-703 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes,
Vu la résolution 2006/2277 (INI) du Parlement européen du 26 avril 2007 sur la situation des femmes handicapées dans l’Union européenne,
Vu la résolution 2018/2685 (RSP) du Parlement européen du 29 novembre 2018 sur la situation des femmes handicapées,
Vu la recommandation CM/Rec(2012)6 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres du 13 juin 2012 sur la protection et la promotion des droits des femmes et des filles handicapées,
Vu les recommandations du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme du 30 mars 2012 sur la question de la violence à l’égard des femmes et des filles et du handicap,
Vu la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 19 décembre 2017 sur la situation des femmes et des filles handicapées,
Vu la décision du Défenseur des droits n° 2017-257 portant recommandations générales destinées à améliorer la connaissance statistique de la situation et des besoins des personnes handicapées,
Considérant que, selon un rapport de la commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen sur la situation des femmes handicapées dans l’Union européenne, publié en 2007, près de 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences, ces femmes étant quatre fois plus exposées au risque de violences sexuelles que les femmes dites valides ;
Considérant que l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a confirmé en mars 2016 la surexposition des femmes en situation de handicap au risque de violences au sein du couple ;
Considérant qu’une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2012 fait état d’un risque quatre fois plus élevé, pour les enfants en situation de handicap, d’être victimes de violences ;
Considérant que si le handicap accroît, pour les femmes, le risque de violences, notamment sexuelles, les violences elles-mêmes sont également à l’origine de handicaps, comme le relève l’Avis sur les violences contre les femmes et les féminicides de la CNCDH du 26 mai 2016, qui souligne les troubles physiques et psychiques très invalidants imputables aux violences ainsi que les handicaps permanents liés aux violences sexuelles ;
Considérant que, selon les acteurs de terrain, les violences menaçant les femmes en situation de handicap sont généralement commises par l’entourage familial ou institutionnel, aucun lieu, pas même leur domicile, ne leur garantissant une parfaite sécurité ;
Considérant que les appels reçus par « Écoute violences femmes handicapées », permanence d’accueil et d’accompagnement dédiée aux violences faites aux femmes en situation de handicap, mettent en évidence le fait que 35 % des violences signalées ont lieu dans le couple et sont commises par le conjoint ;
Considérant l’importance du signalement, par les professionnels, des faits de violence dont ils peuvent avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions pour mieux protéger les victimes, sanctionner les auteurs et prévenir le fléau des violences faites aux personnes vulnérables ;
Considérant que le manque de données statistiques coordonnées au niveau national et régulièrement actualisées empêche de prendre la mesure exacte de la surexposition des femmes et des jeunes filles handicapées aux violences, que celles-ci surviennent dans le cadre familial ou en institutions, et affecte la mise en place d’une politique publique de prévention et de lutte contre ces violences et de protection de ces personnes ;
Considérant que l’une des conditions de la protection des femmes en situation de handicap contre les violences réside dans le renforcement de leur autonomie, ce qui concerne tant leur indépendance économique que leur accès à la santé ;
Considérant que, selon le rapport du Défenseur des droits intitulé « L’emploi des femmes en situation de handicap », publié le 14 novembre 2016 dans le cadre de sa mission de suivi de l’application de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées, les femmes en situation de handicap sont davantage touchées par le chômage que la population générale ;
Considérant que, selon le même rapport, les femmes handicapées se heurtent non seulement à des difficultés d’accès à l’emploi liées à leur handicap, mais aussi aux obstacles auxquels sont trop souvent confrontées toutes les femmes dans leur parcours professionnel, s’agissant plus précisément de l’accès aux responsabilités : 1 % seulement des femmes en situation de handicap en emploi sont cadres contre 10 % pour leurs homologues masculins ;
Considérant que, selon le 11e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, réalisé en 2018 par le Défenseur des droits avec l’Organisation internationale du travail (OIT), 54 % des femmes handicapées déclarent avoir été confrontées à des discriminations durant les cinq années précédant cette enquête, soit plus d’une femme sur deux et une proportion nettement plus élevée que pour la population active âgée de 18 à 65 ans (34 %) ;
Considérant que ces discriminations, conjuguées à un accès imparfait aux études et à la formation ainsi qu’au poids des préjugés, affectent défavorablement le parcours professionnel des femmes en situation de handicap et sont à l’origine d’une dépendance économique qui accroît leur vulnérabilité aux violences, plus particulièrement dans le cadre familial ;
Considérant qu’une étude de l’Agence régionale de santé d’Île-de-France publiée en mars 2018 montrait que, sur 1 000 femmes handicapées, 58 % seulement affirmaient bénéficier d’un suivi gynécologique régulier et 85,7 % déclaraient ne jamais avoir effectué de mammographie, cette insuffisance étant confirmée en novembre 2018 par un constat du Parlement européen sur une exposition accrue des femmes handicapées au cancer du sein, faute d’équipements de dépistage et de diagnostic adaptés ;
Considérant que l’autonomie des femmes en situation de handicap passe par un accès renforcé aux soins, notamment gynécologiques, et par un accompagnement personnalisé à la maternité ;
Considérant que l’accueil des femmes handicapées victimes de violences est largement inapproprié, qu’il s’agisse de l’accessibilité des locaux de la police et de la gendarmerie ainsi que des hébergements d’urgence ou de la sensibilisation des professionnels et bénévoles à leurs besoins, et qu’entre autres améliorations un effort pourrait être entrepris en matière d’interprétariat en langue des signes dans l’ensemble de la chaîne judiciaire ;
N’accepte pas le risque accru de violences, notamment sexuelles, lié au handicap, et exprime sa vive émotion que des enfants, des adolescentes et des femmes en situation de handicap puissent être menacés tant dans le cadre institutionnel que dans le contexte familial ;
S’alarme du danger auquel semblent plus particulièrement exposées les jeunes filles et les femmes atteintes d’un trouble du spectre autistique et suggère l’intégration d’un dispositif dédié à la prévention et à la lutte contre les violences sexuelles dans la Stratégie nationale pour l’autisme ;
Estime qu’une meilleure protection des adolescentes et des femmes en situation de handicap contre les violences, plus particulièrement sexuelles, passe par un véritable effort en matière d’éducation à la sexualité, susceptible de leur permettre d’identifier d’éventuels prédateurs ;
Souhaite la mise à l’étude de la désignation de référents « Intégrité physique » au sein des personnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux, dont la mission serait de recueillir le témoignage et d’orienter toute personne accueillie dans un tel établissement qui déclarerait avoir été victime de violence ;
Souligne l’intérêt d’une réflexion sur les responsabilités des professionnels, incluant les soignants, en matière de signalement des violences, notamment sexuelles, dont ils peuvent avoir connaissance dans l’exercice de leurs fonctions ;
Appelle à la plus grande vigilance lors du recrutement des professionnels et bénévoles intervenant dans des établissements accueillant des personnes handicapées, a fortiori quand celles-ci sont mineures ;
Exprime sa profonde considération à tous les acteurs de la lutte contre les violences faites aux femmes en situation de handicap, rend hommage à la regrettée Maudy Piot, disparue en 2017, inlassable avocate des droits et de la citoyenneté des femmes handicapées et fondatrice de « Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir », association de référence en matière de lutte contre les violences faites aux femmes handicapées, et encourage l’équipe qui lui a succédé à poursuivre son combat ;
Souligne l’importance cruciale des moyens dont doivent pouvoir disposer les associations, indispensables à la lutte contre les violences, plus particulièrement celles que subissent les femmes en situation de handicap, pour leur permettre de remplir leurs missions, et insiste sur la nécessaire prévisibilité des subventions susceptibles d’être attribuées aux acteurs du monde associatif ;
Demande l’établissement de statistiques précises afin d’améliorer la connaissance des violences et des discriminations faites aux femmes handicapées, et appelle à intégrer le handicap aux enquêtes nationales sur les violences faites aux femmes telles que l’étude « Violences et rapports de genre » (Virage), y compris dans sa déclinaison ultramarine ;
Souhaite que le questionnement du lien entre une violence dénoncée et un éventuel handicap psychique ou physique soit systématique lors de l’accueil des personnes contactant un numéro d’urgence ou une plateforme d’écoute ;
Considère l’autonomie des femmes en situation de handicap comme un prérequis pour les protéger des violences, notamment conjugales, et à ce titre :
– préconise la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l’emploi et le renforcement des mesures destinées à l’accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations, afin de dynamiser l’insertion professionnelle des femmes en situation de handicap ;
– suggère de mieux identifier les freins à l’emploi des femmes en situation de handicap par la réalisation d’études et de statistiques sur l’accès à l’éducation et à l’emploi des personnes handicapées croisant les variables de l’âge, du sexe, du type du handicap et de la catégorie socioprofessionnelle ;
– appelle à une réflexion sur l’allocation aux adultes handicapés (AAH) qui prenne en compte l’importance de celle-ci, dans le contexte de violences au sein du couple, pour l’autonomie de la victime par rapport à un conjoint violent ;
Juge indispensable que les femmes et les adolescentes en situation de handicap, qu’elles résident ou non dans des institutions, aient accès à un suivi gynécologique régulier, a fortiori dans le cadre d’un traitement contraceptif, et à un accompagnement personnalisé à la maternité, ce qui suppose entre autres efforts une meilleure accessibilité des structures médicales concernées ;
Demande que le matériel médical destiné au suivi gynécologique et obstétrical des patientes handicapées ainsi qu’au dépistage du cancer du sein soit adapté à leurs besoins sur tout le territoire, y compris dans les outre-mer ;
Est convaincu que l’amélioration de l’accueil des femmes handicapées victimes de violences par tous les acteurs de la chaîne judiciaire suppose un changement de regard sur ces personnes, afin qu’elles ne soient pas considérées comme des mineures et que leur parole et leur crédibilité ne soient pas mises en doute lorsqu’elles font état des violences qu’elles subissent ;
Affirme l’importance cruciale de l’accessibilité des lieux destinés à l’accueil des victimes de violences, qu’il s’agisse des locaux de la police et de la gendarmerie, des tribunaux ou des hébergements d’urgence, et du développement d’outils et de procédures permettant aux personnes handicapées de porter plainte dans des conditions adaptées à leur situation ;
Appelle à un effort accru de formation et de sensibilisation aux risques spécifiques de violences menaçant les femmes en situation de handicap, à destination de tous les acteurs de la chaîne judiciaire ainsi que des soignants et des personnels de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ;
Salue le travail accompli par la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) pour développer des supports de formation sur les violences faites aux femmes dans des formats divers, accessibles aux personnes handicapées et recommande la systématisation de cette démarche inclusive ;
Forme des vœux pour que la dynamique encouragée à l’égard des femmes en situation de handicap par les quatrième et cinquième plans de lutte contre les violences faites aux femmes soit amplifiée dans les plans à venir, y compris dans les territoires ultramarins ;
Appelle à l’intégration systématique de la dimension de l’égalité entre femmes et hommes dans les politiques du handicap et, inversement, à un renforcement de l’intégration du handicap dans toutes les politiques d’égalité entre femmes et hommes.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Union Centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 63 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 341 |
Pour l’adoption | 341 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements.)
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
La laïcité, garante de l’unité nationale
Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « La laïcité, garante de l’unité nationale. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Françoise Laborde, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme Françoise Laborde, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a cinq ans, presque jour pour jour, la République était frappée au cœur. Il y a cinq ans, presque jour pour jour, mon ami Charb perdait la vie avec les membres de la rédaction assassinée du journal satirique Charlie Hebdo.
Après les militaires tombés à Montauban et les élèves de l’école juive de Toulouse, massacrés en 2012, d’autres attaques terroristes ont encore tué en novembre 2015, au Bataclan, au Stade de France, à l’Hyper Cacher, sur les terrasses, puis à Nice en 2016, à Trèbes, à Saint-Étienne-du-Rouvray, à Marseille, à la préfecture de Paris et, la semaine dernière, de nouveau, à Villejuif.
Je tiens à rendre hommage solennellement à toutes les victimes de ces actes inqualifiables.
Ces coups de boutoir ont ébranlé notre République, mais n’ont jamais fait vaciller ses fondements humanistes et universalistes. Leur objectif était de tenter d’abattre notre socle républicain, notre arbre de la liberté, dont les ramures sont la liberté de penser, la liberté d’expression, celle de critiquer les religions, de s’amuser en célébrant le sport, la chanson ou la fête nationale, de croire ou de ne pas croire, la liberté de conscience. Ce sont bien elles qui ont été visées il y a cinq ans.
Avec les membres de mon groupe, je ne veux retenir de cette période sombre que les jours qui ont suivi la stupéfaction : plus de 4 millions de nos compatriotes sont descendus dans la rue, le 11 janvier 2015, pour exprimer leur solidarité, se serrer les coudes face à l’adversité et rendre un hommage poignant, encore aujourd’hui dans notre mémoire collective, à toutes les victimes, aux intellectuels idéalistes qui se battent pour faire vivre nos principes républicains au prix de leur vie, mais aussi aux forces de l’ordre, en première ligne pour apporter secours aux victimes et traquer les assassins qui ont tué au nom de l’obscurantisme et du terrorisme islamiste.
Je me souviens aussi de la solidarité internationale, notre République accueillant les chefs d’État du monde entier, venus épauler nos concitoyens.
Je me souviens encore de la statue de la République, dressée sur la place du même nom, devenue un promontoire bigarré, tagué, éclairé par les bougies et les messages des anonymes venus durant des jours, des semaines, des mois communier avec force slogans et ex-voto : « Je suis Charlie » ; « Nous sommes Charlie » ; « Même pas peur ! » ; « Vous n’aurez pas notre haine » ; « Charliberté » ; « Mourir pour un dessin » ; « C’est l’encre qui doit couler, pas le sang » ; « La liberté de la presse n’a pas de prix ! »
Je me souviens des paroles prononcées par Charb, en 2012, à l’occasion de la cérémonie du prix national de la Laïcité, qu’il me remettait à l’hôtel de ville de Paris, comme une prémonition : « Je préfère mourir debout que vivre à genoux. » Aujourd’hui, nous le savons, la liberté a un prix, celui du sang. (L’oratrice se montre très émue.)
La France a surmonté toutes ces épreuves avec le temps, et l’on peut réaffirmer, aujourd’hui, comme il y a cinq ans, que notre République est plus forte que la haine.
En cette période de souvenir, les membres du groupe du RDSE ont voulu inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat consacré à la laïcité, garante de notre unité nationale. En effet, nous considérons que ce principe constitutionnel, propre à la France, a d’abord et avant tout contribué à l’émancipation individuelle en garantissant à chacun que son droit de croire ou de ne pas croire serait protégé par la loi et respecté par autrui. En cela, la laïcité, adossée à la loi de 1905, a contribué et continue encore à préserver l’unité de notre pays dans la paix et la concorde civile.
Comme je l’ai déjà dit à cette tribune, la France peut s’enorgueillir d’avoir fait des Lumières la source de son pacte républicain, contre tous les fanatismes, rassemblant nos concitoyens dans ce qu’ils ont de commun, par-delà leurs origines et leurs croyances, recherchant l’égalité des droits entre les individus, quelles que soient leurs particularités, leurs convictions religieuses ou leur place dans la société. La laïcité renforce les principes républicains de fraternité, d’égalité et de liberté. Un individu ne saurait être résumé à ses identités particulières. Nous refusons la tentation, à laquelle certains ont cédé, du repli sur une vision essentialiste de l’individu.
Avec les membres du groupe du RDSE, nous ne laisserons pas l’instrumentalisation de nos valeurs républicaines gagner les esprits au profit d’une vision communautariste de la société, quelle qu’elle soit, ou d’une radicalisation à des fins électoralistes et de division.
Il nous faut néanmoins nous interroger sur les raisons pour lesquelles des Français ont attaqué nos valeurs républicaines de la sorte. En aucun cas, le terrorisme n’a pour cause notre modèle républicain, qui serait supposément défaillant en raison de la laïcité. Ne nous trompons pas d’ennemi. La laïcité est bien un facteur de cohésion, de dialogue, de rassemblement de notre communauté nationale.
Dès le lendemain du 7 janvier 2015 a débuté l’examen de conscience nécessaire pour comprendre les racines du mal et ainsi mieux le combattre. Pourquoi, à rebours de la laïcité, certains choisissent-ils de s’enfermer dans une communauté, rejetant les principes de notre société, s’engageant sur la voie de la violence et de la radicalisation ?
En tant que parlementaires, sur ces travées du Sénat, nous avons pris et continuons à prendre notre part de responsabilité dans ce travail d’analyse pour contribuer à lutter contre une forme de radicalisation idéologique protéiforme qui voudrait abattre notre modèle de démocratie républicaine. Nous le faisons, par exemple, dans le cadre des commissions d’enquête, comme en 2015, avec celle consacrée à l’organisation et aux moyens de lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, ou celle que j’ai présidée en 2016, dont le rapport s’intitule Faire revenir la République à l’école, ou encore, en 2018, celle consacrée à l’évolution de la menace terroriste après la chute de l’État islamique, mais aussi, actuellement, avec les travaux engagés sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, cette dernière commission étant présidée par notre collègue Nathalie Delattre.
À ceux qui interrogent notre modèle républicain, considérant en particulier que la loi de 1905 doit être modifiée, pointant du doigt la laïcité comme cause de certains de leurs maux ou cherchant à chaque occasion à l’instrumentaliser pour diviser davantage nos concitoyens selon leurs croyances ou leurs origines, notre groupe veut répondre clairement : la laïcité est avant tout garante de notre unité nationale en tant que facteur d’égalité entre individus, dans le respect qui leur est dû.
Les Français, tout comme nos voisins européens, se sécularisent davantage d’année en année. Des études le confirment régulièrement. Il nous faut donc tenir bon et préserver le principe de séparation de l’État et des cultes, qui garantit qu’aucune religion ne peut revendiquer sa supériorité à la loi commune des citoyens, ou encore l’obligation de neutralité des services publics et l’égalité des droits entre les individus, femmes et hommes.
C’est la raison pour laquelle, en tant que présidente de l’association Égale – égalité, laïcité, Europe –, fondée par notre ancien collègue Gérard Delfau, j’ai signé l’appel du 11 janvier lancé par le collectif laïque national pour appeler les Français à se rassembler à cette date dans toutes les villes de France. Les membres du groupe du RDSE, à leur tour, appellent toutes les citoyennes et tous les citoyens, partout où ils se trouvent et sans distinction d’origine, de sexe, d’appartenance religieuse ou philosophique, à se joindre à ce rassemblement, le 11 janvier prochain. Ensemble, nous pourrons réaffirmer : « Nous sommes Charlie, nous sommes la République ! »
Le groupe du RDSE, vous le savez, monsieur le ministre, a toujours placé la laïcité au frontispice de ses principes. Nous continuerons, quels que soient le sens du vent, les esprits chagrins ou les aboiements de la meute. Notre pays a aujourd’hui besoin d’apaisement et de sérénité. La laïcité doit en être un pilier essentiel. À cet effet, nous souhaitons pouvoir compter sur l’engagement du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Républicains et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, au cœur de notre pacte républicain, il est une valeur fondamentale à laquelle, je le sais, cette institution et le groupe du RDSE sont particulièrement attachés, une valeur fondamentale avec laquelle le Gouvernement ne transigera pas, c’est la laïcité.
Sans entrer dans le débat philosophique, et en écho à vos propos, madame la sénatrice Laborde, il est important de rappeler que la laïcité est un principe essentiel, déterminant qui s’applique à l’État, et non pas à la société des individus qui la composent. Comme vous, je ne fais pas de lien entre terrorisme et laïcité. Le terrorisme n’est pas l’échec de la laïcité. Il importe de bien le préciser.
La laïcité, c’est un principe d’organisation de la relation entre l’État et les citoyens. Il ne s’agit pas d’une règle qui s’applique et qui s’imposerait à chacun de nos concitoyens. Elle n’a pas été construite comme cela, mais j’y reviendrai.
La laïcité est au croisement de différents principes. Elle est cet équilibre entre libertés individuelles, respect de l’ordre public et neutralité de l’État et des services publics. C’est cet équilibre qui est structuré autour de la laïcité et qui est parfois attaqué.
La laïcité est donc avant tout une garantie : la garantie de la séparation stricte des cultes et de l’État. C’est la garantie qu’aucune religion, quelle qu’elle soit, ne sera privilégiée, favorisée ou, au contraire, mise en cause ou stigmatisée.
La laïcité, c’est également une liberté : la liberté de croire ou de ne pas croire, sans risque d’être inquiété ; la liberté de vivre sa foi ou son absence de foi, sans crainte d’être menacé de représailles.
La laïcité, enfin, c’est le respect : le respect absolument essentiel, par chaque culte, des lois de la République ; le respect aussi, par la République, de chaque religion, pourvu qu’elle accepte ses principes.
Alors, oui, la laïcité est un principe essentiel pour notre République ! C’est un fondement reconnu dès l’article 1er de notre Constitution, un fondement que nous ferons tout pour préserver et garantir, dans une société complexe où certains souhaiteraient l’instrumentaliser à des fins étrangères au bien commun.
Ce débat, j’en suis convaincu, est un donc un moment utile, salutaire. Il participe de cette volonté d’apaisement et nous permet d’affirmer les choses, de rappeler quelques principes essentiels pour l’unité nationale.
Je veux affirmer devant vous qu’en matière de laïcité nous n’avons qu’un seul programme : la loi de 1905.
La loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État est une loi d’équilibre, qui a été réfléchie, débattue, qui place avant toute chose la liberté de conscience et la garantit. Cette loi peut évoluer, bien sûr, et elle a évolué au fil du temps, des évolutions de la société et des défis qu’elle rencontrait. Néanmoins, si la loi peut être conduite à évoluer, son esprit doit demeurer, lui, invariable : la séparation stricte des cultes et de l’État et la protection de la liberté de conscience de toutes et tous. Toute modification ne doit viser qu’un seul but : la renforcer.
La liberté de conscience et la liberté de culte doivent se soumettre à un cadre clair : les lois de la République. La Constitution, le bloc de constitutionnalité et nos lois sont essentiels pour notre démocratie. Ils garantissent la liberté, l’égalité, la fraternité. Ils découlent de notre histoire et des choix démocratiques de nos concitoyens.
Ainsi, ces textes sont le cadre large, mais protecteur dans lequel nous évoluons. Cela signifie que toute idéologie, tout culte, toute religion doit d’abord s’inscrire dans ce cadre, respecter nos lois et nos valeurs. C’est un préalable nécessaire et non négociable.
Le Gouvernement demeurera évidemment déterminé à faire primer une interprétation respectueuse de notre héritage, d’une laïcité qui se passe d’épithète ou d’attribut, d’une laïcité qui suscite l’harmonie, de sorte que chaque croyant, chaque non-croyant et tous ceux qui se questionnent puissent la vivre librement.
La laïcité à la carte n’existe pas. La République est un tout et chacun doit l’accepter comme tel.
Aussi, nous devons être fermes, très fermes face à ceux qui veulent s’affranchir de nos lois et de nos valeurs, face à ceux qui placent des principes religieux au-dessus des lois de la République. Ceux-là veulent nous combattre, nous diviser. Ils veulent créer de la défiance et des antagonismes. Ils veulent briser les libertés et endoctriner les esprits. Nous ne pouvons pas le tolérer et nous devons les combattre de toutes nos forces.
Opposer le principe de laïcité aux adversaires de la République ne suffit toutefois pas. Si nous nous contentions de cela, elle ne serait au fond qu’une feuille de papier qu’une flamme pourrait emporter, et certains n’hésiteraient pas à vouloir l’enflammer. Nous devons la défendre face aux attaques de nos ennemis et le faire avec force et vigueur, sans angélisme.
À la fin du mois de novembre, j’ai réuni à Paris, en présence de plusieurs ministres, tous les préfets. J’ai réaffirmé devant eux la nécessité que la République soit respectée sur chaque mètre carré de notre territoire et qu’aucune entorse à ses principes et ses valeurs ne soit tolérée. Je leur ai demandé, une circulaire venant compléter cette demande, que la lutte contre l’islamisme et le repli communautaire se place au sommet de leurs priorités.
Je crois que cette demande fera date. Je crois qu’elle est d’importance. Elle nous permet d’envoyer un message très clair à ceux qui croient pouvoir nous atteindre. Le communautarisme, l’islamisme ne sont pas négociables avec la République. Nous devons assumer cette position. Certains voudraient nous enfermer dans un débat pour nous empêcher d’oser dire un certain nombre de choses. Or accepter que chaque critique de certains comportements non conformes aux valeurs de la République soit taxée d’islamophobie, nous empêchant par là même de les dénoncer, serait une faute.
Vous le savez, nous avons placé la reconquête républicaine au cœur de notre action. En 2018, le Gouvernement a identifié quinze quartiers particulièrement exposés à l’islamisme et au risque de communautarisme et y a mené une action résolue pour mettre un terme aux agissements de ceux qui défiaient la République. Cela a commencé à porter ses fruits. En un peu moins de deux ans, nous avons pu fermer cent trente-huit débits de boisson, treize lieux de culte, quatre écoles et onze établissements culturels. Tous s’étaient changés en officine de haine, et nous sommes parvenus à les arrêter.
Nous avons également frappé au porte-monnaie de nombreux établissements qui servaient de devanture aux contempteurs de la République. Contrôle après contrôle, nous avons pu redresser les établissements visés pour plus de 17 millions d’euros.
Cette méthode a permis d’atteindre des résultats. Nous avons donc décidé de la généraliser, et j’ai demandé aux préfets une application extrêmement stricte de nos lois. Je leur ai demandé aussi de faire travailler les acteurs ensemble sur le terrain. En effet, le volet répressif seul ne peut suffire. Il faut reconstruire partout la présence républicaine. C’est pourquoi nous devons mener simultanément une politique ambitieuse pour l’éducation, pour la ville, pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
J’ai enfin demandé aux préfets un discours républicain assumé et intransigeant. Cela s’applique à tous les responsables de l’État. C’est un précepte que nous pouvons nous appliquer, à nous aussi, responsables politiques, qui avons le devoir de montrer l’exemple.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat sera l’occasion d’échanger des points de vue et de faire émerger des idées pour affirmer notre laïcité. Je suis impatient que nous puissions l’avoir ensemble, et je peux vous dire que je l’aborde avec l’esprit de la loi de 1905 chevillé au corps et avec les valeurs de notre République comme seule boussole. C’est ma doctrine. C’est aussi celle de tout le Gouvernement, et nous devons la mettre en œuvre de façon inlassable, partout et à tout moment. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE, Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
Débat interactif
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. L’article 1er de notre Constitution rappelle que la France est une République indivisible et laïque. Chacun d’entre nous, dans cet hémicycle, fait sien ce principe essentiel qui, depuis plus d’un siècle, constitue le socle majeur de nos libertés. Je tiens donc à remercier François Laborde et le groupe du RDSE d’avoir proposé ce débat.
La laïcité est l’une des bases essentielles de notre société, qui permet à chacun de croire ou de ne pas croire, tout en garantissant le libre exercice des cultes et, par là même, l’absolu respect des opinions de chacun. Elle fonde ainsi la paix civile, et nul ne saurait ni la contester ni s’en affranchir, puisque la loi commune s’impose à tous, sans restriction d’aucune sorte. Pourtant, force est de constater qu’elle fait aujourd’hui l’objet de nombreuses attaques, ce qui n’est pas acceptable. La République, sur son sol, ne doit laisser aucune forme de communautarisme la remettre en cause.
La République est donc totalement indépendante des religions et de tous les systèmes, quels qu’ils soient, qui pourraient priver les citoyens de leur liberté de penser, de croire et de vivre comme ils le souhaitent, dès lors qu’ils respectent la loi.
Cependant, la laïcité n’est pas seulement un corpus de droits. Elle englobe aussi des devoirs. Si l’État garantit aux religions la liberté d’être pratiquées, celles-ci doivent, en retour, respecter les lois de la République. En conséquence, nul n’a le doit d’empêcher tel ou tel citoyen français de faire, dans le domaine public, ce qu’il veut, où il veut, quand il veut, dès lors qu’il s’agit d’une activité légale. Or cela n’est plus le cas aujourd’hui dans certaines zones géographiques ou certains quartiers.
Chacun le sait, aucune liberté n’est garantie si l’on n’en défend pas le principe et si l’on ne veille pas en permanence à son respect le plus absolu. C’est, bien entendu, le rôle de l’État et de ses représentants, mais aussi celui de tous les citoyens, en particulier ceux qui agissent dans les associations. C’est pourquoi il appartient à tous – je dis bien à tous ! – de faire respecter la laïcité chaque jour : au Gouvernement, à l’administration, à la magistrature, au Parlement, aux corps constitués, du ministre à l’instituteur,…
Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !
M. Daniel Chasseing. … du préfet au maire, du conseiller d’État au responsable du plus modeste des clubs de sport ou d’association.
Monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’il serait bon de rappeler formellement les règles de la laïcité à tous les agents de l’État,…
Mme la présidente. Merci de conclure, monsieur Chasseing !
M. Daniel Chasseing. … d’aider concrètement les maires à les faire respecter,…
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !
M. Daniel Chasseing. … d’encourager les juges à sévir et à ne jamais transiger lorsque la laïcité est menacée par l’arbitraire, quel qu’il soit ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Vous avez raison, monsieur le sénateur Chasseing, d’évoquer ces nombreuses attaques que nous constatons, hélas, en de nombreux lieux de notre territoire national, et pas seulement dans quelques quartiers.
Il importe de rappeler, comme vous l’avez fait, que la laïcité n’est pas seulement un corpus de droits ; c’est aussi un ensemble de devoirs. Quand nous engageons, en le nommant, le combat contre l’islamisme, nous devons le faire pour les musulmans, avec les musulmans, et pas contre eux.
M. Rachid Temal. Ce sont d’abord des citoyens !
M. Christophe Castaner, ministre. En effet, ils sont aussi les premiers acteurs citoyens à pouvoir lutter contre cette dérive que constitue l’islamisme.
La limite de la liberté d’expression religieuse, c’est effectivement d’enfreindre les lois de la République, mais, attention, il ne s’agit pas non plus de contester cette liberté et le choix de chacun. À cet égard, permettez-moi de citer l’article 9 de la CEDH : « La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
C’est cet équilibre-là qu’il est important de toujours avoir en tête. Je pense que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de notre débat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Dernièrement, nous avons eu à débattre du port du voile lors des sorties scolaires pour savoir s’il fallait interdire ou autoriser des femmes à porter un signe prétendument religieux en ces occasions. Il me semble, personnellement, que ce signe est plus culturel que religieux.
Demander aux femmes de le retirer revient à supposer que son port est libre de toute contrainte et relève du choix éclairé de celle qui le porte ; choix éclairé, en tout cas volontaire, parfois, bien sûr, mais choix dicté par une pression sociale et culturelle, souvent. Lorsque l’on est plus tranquille pour entrer ou sortir de chez soi en portant un voile, on peut l’adopter par confort, voire contrainte, plus que par conviction. Les femmes qui n’entrent pas dans les cafés dans certains quartiers ne sont pas réfractaires à ces établissements, mais bien plutôt gênées par les regards et la pression qui s’exercent sur elles lorsqu’elles en franchissent la porte.
La laïcité consiste à permettre à chacun, dans la sphère privée, de pratiquer ou non la religion et d’avoir un même droit à la libre expression, mais lorsque la pression sociale, familiale, culturelle s’impose, comment s’exprimer librement ? Lorsque cette pression s’exerce à l’intérieur d’un foyer, il est vrai, monsieur le ministre, que vous n’y pouvez rien, mais lorsqu’elle s’exerce dans l’espace public, dans la rue, dans les cafés, cela est bien de votre ressort. Qu’entendez-vous faire pour que la laïcité s’applique et offre la liberté, partout sur le territoire, de croire ou ne pas croire, de le montrer ou de ne pas le montrer ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Vérien, peut-être aurons-nous l’occasion de revenir sur le débat relatif au port du voile, que vous avez déjà eu ici. Pour ma part, j’ai toujours pensé que nous devrions déjà appliquer la loi qui existe. Par ailleurs, j’ai toujours dit publiquement, y compris dans les médias, qu’il ne s’agissait pas pour moi du meilleur angle pour lutter contre le communautarisme.
M. Christophe Castaner, ministre. Il faut savoir que 33 % des femmes qui pratiquent la religion musulmane portent le voile. C’est un fait que nous devons avoir en tête.
Je suis persuadé que c’est la mise en avant de cette valeur fondamentale qu’est l’égalité entre les femmes et les hommes qui doit nous permettre de combattre ces excès religieux imposant à des femmes, à des sœurs, à des enfants des règles qui entament la liberté de choix et de conscience. Cette forme de pression sociale, qui, vous avez raison, existe dans certains quartiers, est un angle sur lequel nous devons agir. Le combat pour la liberté au titre de l’égalité entre les femmes et les hommes est, à mon avis, essentiel dans la lutte contre le communautarisme et l’islamisme rampant dans certains quartiers.
C’est par l’école que nous devons commencer. Les enseignants, et c’est le cas le plus souvent, doivent porter une vigilance toute particulière aux dérives que peuvent subir des jeunes filles dès leur plus jeune âge. Ce n’est qu’un exemple, mais je crois que l’entrée par l’égalité entre les femmes et les hommes doit nous mobiliser.
Il faut également appliquer les lois sur les injures sexistes et sur les menaces. En appliquant les règles de droit commun, nous pouvons cibler celles et ceux qui, au nom de la religion, voudraient imposer un principe de supériorité.
Le débat sur le voile s’appuie sur l’idée que son port constituerait une menace à la liberté de choix. Or il faut avoir en tête que la plupart des études sur ce phénomène montrent que le port du voile n’est que très rarement subi. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Il est le choix d’un tiers des femmes qui pratiquent la religion musulmane. Le CFCM a rappelé, voilà quelque temps, que, s’il s’agissait d’une prescription religieuse, une femme qui ne porterait pas le voile ne serait en aucun cas une mauvaise musulmane.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour la réplique.
Mme Dominique Vérien. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre. À mon sens, quand une pression est sociale, elle n’est pas toujours vécue directement comme telle. Vous le reconnaissez, il est des secteurs où le seul fait d’être une femme vous met en danger. Un signe distinctif religieux ne doit pas être porté pour se protéger. Votre mission est de créer les conditions de la liberté et de la sécurité. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi.
M. Roger Karoutchi. Je tiens d’abord à remercier Françoise Laborde d’avoir choisi d’inscrire à notre ordre du jour ce débat, qu’elle a introduit avec émotion.
Monsieur le ministre, j’ai été très sensible à vos propos. Reste que si le poète unissait dans la Résistance celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas, nous n’en sommes plus là.
Je suis d’accord avec vous, la loi de 1905 est un modèle qui s’est imposé après bien des années de combat. Cependant, aujourd’hui, nous avons une vraie difficulté : à force de vouloir défendre absolument la liberté, principe essentiel, il est devenu parfois difficile de lutter pour la laïcité.
M. Max Brisson. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Nous sommes confrontés à un certain nombre de provocations, venant de plusieurs bords. C’est vrai qu’il faut dénoncer l’islamisme, d’autant plus que ses premières victimes sont les citoyens français musulmans qui croient en la République.
Monsieur le ministre, vous n’avez pas suffisamment d’armes. On peut invoquer la loi de 1905, la faculté de fermer certains lieux de haine, mais, dans bien des cas, la force du droit pour défendre les libertés est un obstacle à votre action pour faire en sorte que la laïcité soit partout respectée, dans les quartiers, dans les écoles, dans les communautés.
La force, la puissance de la République, c’est de s’imposer partout, et pas seulement dans les quartiers difficiles. Vous devez être à la pointe du combat. Avez-vous besoin de nouveaux textes législatifs à cet effet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Je partage votre constat, monsieur le sénateur Karoutchi : je pense que nous avons reculé. Pour ce qui me concerne, sans vouloir accuser qui que ce soit, je confesse que ma vision politique de ce sujet, pendant de longues années, comme militant, a été marquée par une forme d’angélisme. J’ai souvent été gêné par la crainte d’apparaître islamophobe, pour reprendre un mot qui viserait à nous empêcher de poser les bons constats. On peut ne pas être d’accord, mais il faut avoir cela en tête.
En ma qualité de ministre de l’intérieur, j’ai pu faire ces constats, qui m’ont conduit à choisir une stratégie. J’ai décidé non de faire tout de suite une grande loi qui, avec un peu de chance, aurait porté mon nom, mais de demander aux préfets et à tous les acteurs locaux d’utiliser la totalité des outils à leur disposition. La loi SILT, par exemple, a permis la fermeture de sept lieux de culte. En nous appuyant sur les outils du droit commun, comme les règles d’urbanisme applicables aux établissements recevant du public, nous avons pu faire fermer trente lieux.
C’est dans cet esprit que j’ai demandé voilà quelques jours aux préfets, notamment lors du séminaire que j’ai organisé avec eux, de nous faire remonter tous les sujets sur lesquels ils ont l’impression que ces abus ne peuvent pas être sanctionnés correctement faute de dispositifs législatifs. Je souhaite pouvoir identifier toutes ces fragilités. Je n’hésiterai donc pas une seconde à revenir défendre devant vous des projets de loi, voire à soutenir une proposition de loi contenant les moyens d’y remédier. Dans l’immédiat, nous avons des outils, mais peut-être ne les avons-nous pas assez utilisés.
En complément de ma réponse précédente, je veux souligner que l’article 31 de la loi de 1905 est parfait s’agissant de ce prosélytisme imposant à des gens certains comportements dans le domaine vestimentaire ou alimentaire. Il punit de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe et d’un emprisonnement de six jours à deux mois ou de l’une de ces deux peines seulement ceux qui, soit par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou s’abstenir d’exercer un culte. Cet article, nous le savons tous, n’est pas appliqué depuis de longues années.
Oui, je pense qu’il y a peut-être besoin de moderniser, mais ce n’est pas l’urgence. L’urgence, c’est d’agir…
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Christophe Castaner, ministre. … dès ce soir, dès demain, dès la semaine prochaine. C’est ainsi que nous devrons utiliser les textes qui existent aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, je suis très sensible à ce que vous dites. Dans le fond, on ne peut que vous soutenir. Mais, nous le savons tous, si la loi doit être au-dessus de la foi, en tout cas dans le domaine public, ceux qui donnent des coups de boutoir à la laïcité sont souvent très bien organisés, très bien conseillés et savent la contourner.
Je comprends tout à fait votre mobilisation, et je la partage. J’insiste cependant pour dire que, si vous avez besoin de textes supplémentaires pour mettre un terme à ces contournements, le Parlement doit participer à cette défense de la République.
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Hélène Conway-Mouret. Présentant devant le Corps législatif la loi du 18 germinal an X sur l’organisation des cultes, qui avait pour objet de ratifier le Concordat signé l’année précédente entre la France et le Saint-Siège, Lucien Bonaparte déclarait alors : « Les cultes sont utiles, nécessaires dans un État. Le gouvernement doit donc les encadrer. Se le refuser, c’est se priver d’un grand moyen d’ordre et d’utilité publique. » Il ajoutait : « Par ce concordat, le gouvernement de la République affirme que, puisque la religion est utile aux individus et les cultes nécessaires aux sociétés, il se doit alors de les organiser. »
Cette volonté d’organiser les cultes, c’est-à-dire de choisir ses interlocuteurs en les dotant d’instances et de moyens définis par l’État, a cependant été abandonnée par la loi du 9 décembre 1905. Elle dispose en effet, à son article 2 – est-il besoin de le rappeler ? –, que, désormais, la République ne reconnaît aucun culte.
On ne saurait être plus clair, mes chers collègues, dans ce choix fait désormais par l’État de rendre les cultes à leur liberté d’organisation, de fonctionnement et de financement. Par cette loi, les républicains font ainsi leur la règle énoncée par Victor Hugo selon laquelle il convient désormais que l’Église soit chez elle et l’État chez lui.
Malgré cela, le 22 novembre dernier, le préfet du Rhône demandait aux présidents des universités de Lyon d’inciter professeurs et étudiants à prendre part aux assises territoriales de l’islam de France, qui devaient alors se tenir quelques jours plus tard en préfecture. Cette décision, dont on a du mal à imaginer qu’elle ait relevé de sa seule initiative, est certes illégale. Elle témoigne cependant – et cela me semble plus grave – de cet « esprit concordataire » dont le Gouvernement me semble imprégné et qui tend à priver les cultes des libertés que leur reconnaît la loi.
Je souhaiterais donc connaître, monsieur le ministre, les mesures que vous entendez prendre pour vous assurer du strict respect de la loi de 1905, et ce dans un contexte où 65 % des Français déclaraient en mars 2019 être favorables à la dénonciation du Concordat de 1802. Je tiens par ailleurs à vous remercier de prendre très au sérieux ce débat au vu du nombre de conseillers qui vous accompagnent. (Sourires sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, je pense que vous vous trompez de débat et de combat. Selon vous, le combat doit être mené contre un préfet qui a pris une initiative dans le cadre des assises territoriales de l’islam. Selon moi, le combat doit être mené pour défendre les valeurs de la République. Or, aujourd’hui, elles reculent, et je vous le dis avec une conscience forte de la gravité de mon propos.
Mon prédécesseur, Gérard Collomb, et moi-même avons décidé d’organiser dans chaque département des assises territoriales de l’islam. Si l’État n’a pas vocation à organiser un culte, l’islam en particulier, il ne doit pas pour autant s’en désintéresser. Quand l’inorganisation d’un culte pose un certain nombre de problèmes d’ordre public, nous pouvons nous y intéresser, et nous nous y intéressons, dans un échange et un dialogue fructueux avec les autorités qui représentent cette religion. C’est dans ce cadre que le préfet a pris l’initiative d’organiser un débat avec des spécialistes du sujet. Je n’y vois en aucun cas une immixtion dans l’organisation du culte.
On ne peut pas fermer les yeux et se désintéresser du défaut de notre système, qui nous prive dans nos territoires de représentants du culte musulman avec lesquels l’État, le recteur ou l’inspecteur d’académie, pourrait aborder la question de la déscolarisation des plus jeunes enfants.
Nous n’avons pas vocation à organiser le culte musulman, mais je pense que c’est une faute de s’en désintéresser. C’est, selon moi, une faute de penser que le sujet de ce débat est de savoir si le préfet a ou non bien organisé les assises de l’islam conformément à ce que je lui avais demandé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour la réplique.
Mme Hélène Conway-Mouret. Telle n’était pas la question que je vous posais, monsieur le ministre. Je ne mets pas en cause le préfet, car je ne pense pas qu’il ait pris seul l’initiative d’organiser ces assises. Je dis simplement que l’État, peut-être par voie de circulaire de votre ministère, a pris l’initiative d’organiser le culte musulman. Il y a des interlocuteurs, et il est important que l’État puisse les identifier et engager un dialogue avec eux.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Léonhardt. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Olivier Léonhardt. La difficulté, dès lors que l’on s’exprime sur la laïcité, c’est d’avoir un propos qui rassemble tous les Français et pas simplement une catégorie d’entre eux.
La République française n’est pas une démocratie comme les autres. Elle s’est constituée dans une émancipation nette, assumée et consciente du fait religieux, et ce dès sa naissance. Elle s’est constituée contre l’oppression et la violence de la noblesse mais aussi du clergé.
Comprenez-moi bien, je ne pointe personne du doigt, je ne stigmatise personne et je reconnais, bien sûr, le rôle culturel, historique et philosophique des religions. Mais, du point de vue de la Nation, chaque revendication religieuse se confronte avec l’identité républicaine et laïque de la France.
Aujourd’hui, la République est violemment attaquée par l’extrémisme religieux et sa violence meurtrière.
La République doit et peut faire face, si elle ne cède pas à la tentation, ici et là, de négocier avec chaque religion, d’en donner un peu à chacun, au risque que tous considèrent n’en avoir jamais assez, n’avoir jamais assez de droits et très peu de devoirs.
Affirmons-le, le premier devoir d’un citoyen français et de tous ceux qui vivent dans la République n’est pas militaire, il n’est pas fiscal, il n’est pas réglementaire. Ce premier devoir est d’accepter que son identité individuelle ne prenne pas le pas sur l’identité collective. La liberté de tous est garantie par l’existence d’une seule identité : l’identité républicaine.
La laïcité, ce n’est pas un règlement, ce n’est pas une loi, ce n’est pas un point d’équilibre ni une manière sympathique de vivre ensemble, c’est la protection de tous les individus face à la tentation d’une norme philosophique ou religieuse promulguée hors de la démocratie.
Il n’y a pas d’extrémisme laïque. C’est d’ailleurs la laïcité qui protège le droit à la croyance dans notre pays et qui évite les affrontements entre les religions.
Alors, quand la logique communautariste et prosélyte l’emporte, la laïcité doit se réimposer par l’autorité de l’État républicain.
Voilà ce qu’est la laïcité, voilà ce que personne n’ose vraiment dire, voilà pourquoi nous sommes en difficulté ! Si la République française ne tremble pas, la laïcité reste une perspective émancipatrice pour notre pays, mais aussi pour le reste du monde.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je ne peux que vous remercier de cette présentation. Je vous rejoins sur les principes fondamentaux que vous avez exposés et qui sont aussi fondateurs de ce que nous sommes.
Si la laïcité est garante de l’unité nationale – je reprends l’intitulé de nos travaux de cet après-midi –, le fait de poser la laïcité en soi ne suffit pas. Il faut défendre la laïcité, la faire vivre et la garantir. Un certain nombre de ceux qui la contestent se fichent un peu d’elle. Ils visent tout simplement à affirmer la supériorité d’une loi religieuse sur la loi de la République.
C’est à partir de ce principe de laïcité que nous devons nous doter d’armes – je reprends les termes de ma réponse au sénateur Karoutchi – ou utiliser celles dont nous disposons. Or, aujourd’hui, nous ne l’avons pas assez fait.
Au fond, nous avons accepté, sur certaines parties du territoire, un effacement de cette laïcité juste, de cette laïcité garantie, de cette laïcité défendue. C’est la raison pour laquelle nous devons parler de reconquête républicaine et nous retrouver sur ce sujet au-delà de nos opinions politiques et de nos divergences. Il nous faut garantir que la laïcité ne se réduise pas à une feuille de papier sur laquelle est posé son principe fondateur. Nous devons, au contraire, faire en sorte qu’elle soit armée. C’est notre responsabilité de l’armer, soit par la loi, soit par l’action. C’est la responsabilité du ministre de l’intérieur d’assumer qu’elle puisse être garantie par l’action.
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Je veux remercier nos collègues du RDSE d’avoir initié ce débat sur la laïcité, qui fait partie de l’essence même de ce groupe.
Ce débat est complexe, dans ses termes mêmes, puisqu’il n’existe pas de définition de la laïcité. Nous savons qu’elle se distingue de la sécularisation, de la perte d’emprise de la religion sur la société. La laïcité signifie le refus de l’assujettissement du politique au religieux sans être forcément synonyme d’étanchéité totale de l’un vis-à-vis de l’autre. Par ailleurs, le champ lexical est parfois mal interprété, et nous devons rappeler ce cadre : liberté de croire n’est pas liberté de manifester ses convictions ; neutralité de l’État n’est pas neutralité de l’espace public.
Le sujet est connu du Sénat, qui a voté, en octobre dernier, une proposition de loi relative à l’expression religieuse des accompagnateurs et des accompagnatrices scolaires. Cela montre que les élus locaux auxquels nous sommes attachés sont au cœur de la problématique. Ce sont bien eux qui sont principalement confrontés à la laïcité vivante, c’est-à-dire à la laïcité au quotidien. Les défis qui se posent à nous, élus locaux, sont dus à l’augmentation de la visibilité du religieux dans l’espace public.
Je crois que, face à toutes ces situations, il faut séparer la question de la laïcité des questions d’atteintes aux exigences minimales de la vie en société, car ce sont elles que nous devons combattre collectivement, c’est-à-dire que, en droit, nous devons combattre les atteintes à l’ordre public.
À cet égard, monsieur le ministre, j’aimerais vous poser une question sur la fonction publique territoriale : comment pouvons-nous assurer une application équitable du principe de neutralité du service public et des agents publics ? Faut-il envisager, par exemple, une formation des cadres locaux à l’ensemble de ces concepts ? Comment l’élu local peut-il se situer dans un tel contexte ? L’objectif demeure évidemment que le principe de laïcité reste un principe juridique de conciliation et non un instrument de tensions.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je pourrais reprendre l’essentiel de vos propos de la première partie de votre intervention, même si nous pourrions débattre de la limite que vous mettez à l’expression du choix religieux. Je considère que la laïcité ne s’oppose pas à ce que quelqu’un affirme son choix religieux. Il est parfaitement légitime de le faire, y compris d’ailleurs sur le domaine public par un signe ostentatoire. Je rappelle que la loi le prévoit pour les fonctionnaires ou les représentants publics dans les lieux publics ou privés sur lesquels les fonctionnaires sont amenés à agir.
Cela me permet d’aborder le deuxième sujet, pour lequel la formation est essentielle. Dans ce cadre, le Centre national de la fonction publique territoriale a développé avec l’Observatoire de la laïcité un MOOC « Laïcité – paroles de territoires », qui permet d’avoir un accès facile et gratuit à une panoplie de formations.
De même, le plan de formation Valeurs de la République et laïcité du Commissariat général à l’égalité des territoires s’adresse, depuis 2016, aux acteurs de terrain dans le domaine de la ville, de la jeunesse et des sports. Le 1er juillet de cette année, près de 40 000 personnes ont été formées dans ce cadre. À ce jour, environ 2 000 formateurs sont assermentés et structurés dans un réseau présent dans toutes les régions. Le dispositif n’est pas toujours assez connu. Il est donc important d’en faire état pour permettre d’y accéder facilement.
Je voudrais évoquer la question globale des formations dites civiles et civiques. Je complète ainsi mon propos sur le rôle de l’État. Si nous n’avons évidemment pas vocation à intervenir dans la formation religieuse d’un prêtre ou d’un imam, nous nous employons à prévoir des formations civiles et civiques permettant d’accompagner cette connaissance.
Nous sommes en présence d’un réel paradoxe, car l’État français, conformément à la loi de 1905, ne finance aucune religion. Cela ne nous empêche pas d’accepter tous aujourd’hui que des États étrangers financent directement des représentants des cultes. Cela doit peut-être aussi nous interroger. De toute façon, notre réponse est de faire en sorte que nous puissions agir, ce qui suppose, monsieur le sénateur, de pouvoir toucher notamment à la loi de 1905.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. « La France n’est pas schismatique, elle est révolutionnaire. » C’est par ces mots que Jaurès introduit son propos à la Chambre des députés le 15 avril 1905, alors qu’est discutée la loi de séparation des Églises et de l’État, « la plus grande réforme qui ait été tentée depuis la Révolution », selon lui.
La loi de 1905 a planté en profondeur les racines de la laïcité. Sa fâcheuse réappropriation par certaines et certains pour servir des idéaux qui n’ont rien à envier à ceux des extrémistes religieux est parfaitement incompatible avec notre République laïque.
La laïcité est un pilier du socle de notre communauté nationale par opposition à une multiplication des communautés dans la Nation. C’est un bien commun précieux. En ce sens, j’aurais une question assez simple à vous poser, monsieur le ministre : pourquoi ne revêt-elle pas la même valeur juridique dans l’ensemble de notre pays ? Je veux ici évoquer les régimes dérogatoires, propres aux départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle – toujours sous le régime concordataire de 1802 – ou encore du département de la Guyane ou de certaines collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution – donc, sous le régime de l’ordonnance royale du 27 août 1828 et des décrets-lois Mandel.
Vous allez me répondre que le Conseil constitutionnel, récemment saisi d’une QPC, s’est prononcé sur la conformité constitutionnelle de ces régimes. C’est vrai, mais n’est-il pas temps de revoir en profondeur cette approche de la laïcité à géométrie variable ? Je pense particulièrement à la Guyane, département miné par le chômage et l’insécurité, où existent d’importantes disparités en matière de revenus, de santé et d’éducation. Les deniers publics ne seraient-ils pas mieux employés à lutter contre cette paupérisation avancée du territoire plutôt qu’à rémunérer le culte catholique, les évêques y étant employés comme agents de catégorie A et les prêtres comme agents de catégorie B de la fonction publique ?
Tel est le sens de ma question. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la présidente Assassi, aucun culte n’est l’adversaire du ministre de l’intérieur. Si certaines dérives doivent être combattues, aucun culte, je le répète, dès lors qu’il respecte les lois de la République, ne saurait être considéré comme un adversaire. Le culte catholique n’est pas un adversaire auquel le ministère de l’intérieur voudrait retirer certains de ses financements nés de l’histoire et qui remontent parfois au régime concordataire.
Il appartient au législateur de décider, s’il le souhaite, de modifier les choses et de revenir sur des équilibres nés en 1905. Il y a peut-être une incohérence à défendre l’équilibre issu de la loi de 1905 et à vouloir remettre en cause ce qui était l’une des conditions de cet équilibre avec le culte catholique. Une telle approche est une négligence absolue du fait que la place du culte musulman en France métropolitaine n’avait alors strictement rien à voir avec celle que nous connaissons aujourd’hui. Reste que c’est un choix politique que chacun peut assumer ici et dont on peut parfaitement débattre.
Aujourd’hui, nous appliquons une loi, celle qui prévoit en effet, dans certains territoires nationaux, un engagement financier de l’État pour accompagner l’exercice des cultes, ce qui fait que le ministre de l’intérieur est aussi le ministre des cultes. Il appartient au législateur de modifier, s’il le souhaite, ce régime, mais le Gouvernement n’en a pas aujourd’hui la volonté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Joissains.
Mme Sophie Joissains. Le sujet est délicat : il s’agit d’amener la concorde et non la division. Il s’agit aussi d’être ferme et de ne laisser aucune ambiguïté sur l’interprétation des principes établis par la loi de 1905. C’est de l’ambiguïté que naissent bien souvent discorde et procès d’intention.
La loi de 1905 est un pilier républicain qu’il serait, à mon sens, dangereux de modifier, car toucher à ce symbole serait aussi toucher à son intangibilité, à sa solidité.
Les principes sont là : séparation des Églises et de l’État, liberté de culte, primauté des règles républicaines sur les croyances religieuses dans l’espace public et l’exercice citoyen.
La loi sur les signes religieux à l’école a montré que le législateur pouvait aménager, interpréter ces principes sans porter atteinte à la loi de 1905.
Nos élus locaux, nos services publics sont aujourd’hui confrontés à moult problèmes qui demandent des solutions claires : horaires réservés aux femmes dans les piscines, burkinis, déscolarisation d’enfants, difficultés pour les femmes d’exercer la profession de professeur dans certains établissements, pressions dans certains services publics, bigamie religieuse jusqu’en prison, et j’en passe…
Il est évident que, dans l’ensemble de ces cas, nous n’assistons pas au simple exercice d’une religion : parfois, il s’agit d’abus, de provocations ; parfois, la frontière est bien franchie, et il s’agit de substituer les règles du religieux, d’un islam politique aux règles républicaines.
Les causes du repli communautariste sont multiples : misère sociale, culturelle, chômage, illettrisme, mais aussi laxisme, angélisme.
L’unité nationale demande de combattre ces fléaux sociaux. Elle demande aussi une direction, des limites, des règles claires.
Lors de ses vœux pour la nouvelle année 2020, le Président Emmanuel Macron a évoqué « des divisions au nom des origines, des religions, des intérêts ». Il a indiqué qu’il lutterait contre avec détermination.
Alors, monsieur le ministre, quelles mesures concrètes, quelles réponses le Gouvernement prévoit-il d’instaurer pour ces élus et ces services publics afin de dissiper les ambiguïtés et de faire respecter les valeurs qui sont celles de notre vivre ensemble, les valeurs de la France, liberté, égalité, fraternité et leur garant qui est, vous l’avez souligné, la laïcité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Joissains, je partage un certain nombre de vos remarques sur les causes du communautarisme et sur le besoin de trouver un équilibre entre la dimension répressive et la dimension de reconquête républicaine par une réponse de service public, d’action publique, de présence publique, d’affirmation des principes d’égalité, de fraternité et de liberté. Nous devons aller plus loin dans cette démarche, parce que, si nous nous limitions à l’un des aspects, nous serions voués à l’échec.
Sur la loi de 1905, souvent présentée comme intangible, je considère, quant à moi, qu’il n’y a pas de dogme et qu’une loi n’est pas un dogme en soi. Une loi peut être discutée et amendée, elle peut évoluer. C’est d’ailleurs l’essence même de ce que vous faites tous les jours au Sénat.
On peut admettre que la loi de 1905, votée il y a cent quinze ans, est susceptible d’évoluer à condition que ses principes, comme je l’ai dit à la tribune et le redis au banc du Gouvernement, ne soient pas mis en cause, mais soient, au contraire, renforcés. Prenons l’exemple de l’article 20, qui prévoit des peines de police pour sanctionner certains errements. Or les peines de police n’existent plus dans notre pays depuis 1990. On peut donc se demander s’il ne serait pas opportun de modifier la loi sur ce point.
L’article 1er et l’article 2, cela a été rappelé à plusieurs reprises, sont fondateurs, et je les défendrai bec et ongles, jusqu’au bout. Mais je pense qu’on ne doit pas s’enfermer dans la logique de défendre un dogme intangible. Par nature, je refuse les dogmes, je m’en suis libéré dans mon engagement et dans mon parcours politique.
J’ai abordé quelques-uns des outils sur lesquels le Président de la République aura l’occasion de se prononcer. Dans la circulaire du 27 novembre, je propose un plan d’action sur quatre niveaux. Il mobilise d’abord les préfets, qui sont les bons connaisseurs des maires. À ce sujet, il faut faire en sorte de mieux travailler avec les maires. Nommé ministre de l’intérieur au mois d’octobre 2018, j’ai rédigé, dès le mois de novembre, une circulaire sur la lutte contre la radicalisation reposant sur une meilleure coordination avec les maires.
Je propose aussi de mieux utiliser tous les pouvoirs de police que nous avons en sollicitant la compétence des maires et en créant des cellules départementales. Présidées par les préfets, elles fonctionneront en lien avec les procureurs, les maires, les associations, les bailleurs sociaux, tous les acteurs, pour nous permettre de mener ce combat de reconquête, quartier par quartier.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Joissains, pour la réplique.
Mme Sophie Joissains. Sur la loi de 1905, nous ne sommes pas d’accord. Il me semble en effet qu’au moment où vous parlez de reconquête de la République il serait dangereux de montrer que l’on peut la modifier. Ce serait, à mon avis, aller dans le sens d’une déstabilisation possible de la loi. Peut-être en débattrons-nous plus tard.
Je voudrais revenir sur les réponses à apporter aux élus locaux et à certains responsables du service public qui sont confrontés à ces problèmes de manière récurrente et quotidienne. Ainsi, un maire de conviction tout à fait républicaine qui interdit le burkini au nom de ce qu’il pense être le respect du principe de laïcité s’expose à des accusations qu’il ne mérite pas. C’est, à mon sens, en cela que l’État doit lui donner des réponses.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. « Je veux l’État laïque, exclusivement laïque. » Je fais miens ces mots de Victor Hugo à l’heure où ce fondement de la République française qu’est la laïcité doit faire face aux pires menaces qu’elle ait jamais eu à affronter. Le retour de la religion dans l’espace public déstabilise notre société et menace la liberté de conscience des plus fragiles, à commencer par nos enfants.
L’école de la République ne constitue plus aujourd’hui le rempart dont ses fondateurs ont voulu doter la postérité pour former des générations de citoyens libres et égaux. En son sein même, la religion s’immisce par tous les moyens possibles, jusqu’aux tenues vestimentaires des accompagnateurs des sorties scolaires, habituant ainsi les enfants, dès leur plus jeune âge, à la confrontation avec la forme la plus visible de la foi et les exposant à une influence d’autant plus dangereuse qu’elle est exercée par les figures tutélaires que sont les parents.
Dans nos territoires, des pans entiers de nos villes tombent progressivement sous l’emprise du fondamentalisme. Certaines femmes ne sortent plus sans porter le voile islamique pour éviter les railleries et les insultes des hommes. Des listes communautaires émergent en vue des élections municipales pour faire pression sur les élus locaux et imposer des revendications religieuses. Dans nos clubs sportifs, les pires extrémistes repèrent les jeunes en quête de sens et les conduisent sur la voie de la radicalisation. Que dire, enfin, de nos hôpitaux, où le personnel est confronté à des femmes refusant d’être examinées par des hommes ?
Une grande partie de nos concitoyens déplorent l’absence de la moindre prise de position du Président de la République sur un sujet aussi fondamental pour l’unité nationale et la sauvegarde des valeurs de notre République. Le concept évasif de « laïcité ouverte », sans cesse mis en avant sans jamais être défini, ne peut suffire à lui seul pour protéger les Français des tentatives d’imposer la présence de la religion dans la vie de chacun.
Monsieur le ministre, ma question est simple : quand le Gouvernement définira-t-il un cap clair et ferme pour défendre le principe de laïcité ? Quand le Président de la République s’exprimera-t-il en faveur de ce pilier fondateur de notre République ? Saura-t-il prendre les responsabilités qui lui incombent pour faire triompher ce qui nous rassemble sur ce qui nous divise ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, il ne m’appartient pas d’anticiper sur ce que dira le Président de la République. Observateur politique attentif, j’ai dû l’entendre réaffirmer une bonne dizaine de fois depuis son élection les principes fondateurs de la laïcité.
Je pense que tout ce que j’ai dit dans mon propos liminaire et dans chacune de mes réponses est parfaitement conforme – ce qui tombe bien ! – aux expressions que le Président de la République a employées à de nombreuses reprises. Il aura l’occasion de revenir sur le sujet.
Vous voulez donner le sentiment que rien n’est fait par ce gouvernement et que rien n’a jamais été fait, sauf par le gouvernement que vous avez dû soutenir à un moment donné… C’est faux et injuste ! Il me semble que, en assumant et en nommant les choses, en recourant à l’ensemble des dispositifs que j’ai indiqués précédemment, nous agissons, même si c’est avec retard. Je ne parle pas au nom du Gouvernement, je parle au nom de la conscience publique du combat que nous devons mener sur ce sujet. Je ne vais prendre qu’un seul exemple, faute d’avoir le temps de répondre sur tous les sujets.
Vous avez évoqué les clubs sportifs. J’ai déjà mentionné la circulaire que j’ai commise pour mieux travailler avec les maires et mieux les informer. Le 8 novembre – moins d’un mois après mon arrivée au ministère de l’intérieur –, j’ai cosigné avec la ministre des sports une circulaire. Je souligne ainsi la conscience du sujet que je peux avoir, si vous m’accordez le droit d’en avoir une…
Depuis cette circulaire, cent vingt-neuf contrôles de clubs sportifs ont été effectués dans trente-cinq départements. Ils ont donné lieu à cinq fermetures, cinq incapacités d’exercer, quatre mises en demeure, un rappel à la loi. Les procureurs de la République ont fait l’objet de nombreuses saisines pour les anomalies constatées. En effet, y compris, au sein des clubs sportifs, ce prosélytisme est une menace pour le libre choix de chacune et de chacun.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Rachid Temal. Nous avons reçu en héritage la laïcité. C’est une chance. Elle est au cœur de notre pacte républicain. Il nous revient de la faire vivre au quotidien.
La loi du 9 décembre 1905 n’a pas fait que séparer les Églises de l’État : elle a poursuivi deux ambitions.
La première était l’affirmation de la liberté de conscience. C’était une révolution qui allait structurer notre identité, celle d’un peuple à l’esprit critique et impertinent, en réflexion permanente et refusant l’ordre établi. C’est ainsi que naquit véritablement l’école publique, gratuite, obligatoire et laïque, celle qui permet à notre jeunesse de développer sa liberté de conscience et sa capacité à s’émanciper. L’État n’a pas à craindre, bien au contraire, une jeunesse dotée d’esprit critique : c’est l’obscurantisme qui doit la craindre ! D’ailleurs, comme le disait Jean Jaurès, « l’État a le devoir de préserver la jeunesse ».
La seconde ambition portée par la loi de 1905 était le renforcement de la fraternité universaliste, héritière de la Révolution française.
Monsieur le ministre, je suis doublement inquiet.
Je suis inquiet de voir de nombreux citoyens de notre pays, parfois, ne plus faire appel à leur esprit critique et se conforter dans des vérités proclamées qui sont souvent, mais pas uniquement, religieuses.
Je nourris également un sentiment de honte et de rage quand je vois, dans notre pays, les tenants du communautarisme, du racisme et de l’antisémitisme, ainsi que les identitaires, relever la tête et défier la République.
Aussi, ma question est la suivante : quels moyens concrets l’État va-t-il engager dans l’école de la République pour permettre à chaque enfant de développer sa liberté de conscience et sa capacité d’émancipation et, plus largement, pour préserver notre culture de la fraternité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Nous partageons, monsieur le sénateur, cette inquiétude et cette colère, quand nous constatons comme vous les avancées de certains discours et comportements qui s’opposent aux valeurs de la République que nous avons en partage.
Vous posez une question simple concernant l’engagement de l’éducation nationale pour la laïcité. Comme je l’ai déclaré dans mon propos introductif, j’estime que nous sommes à un moment clé de la vie de notre pays où la liberté de conscience doit être éveillée : on doit donner aux futurs citoyens les armes nécessaires. Il ne s’agit pas simplement de répondre au prosélytisme religieux : de nombreuses autres questions doivent être traitées de la sorte, je sais que vous en conviendrez avec moi.
Je suis intimement convaincu que, quand ce gouvernement a mis en place le dédoublement des classes dans les quartiers les plus difficiles de France, il ne s’est pas trop trompé, en matière de cartographie, par rapport à ces territoires que certains acteurs du communautarisme commençaient à mettre en coupe réglée. Quand nous dédoublons les classes dans ces quartiers, nous apportons une réponse fondamentale à la question de l’émancipation. Celle-ci consiste en effet à donner à chaque futur adulte la liberté de conscience, par la capacité qu’il aura à s’emparer de l’arme du libre arbitre.
Agissons donc sur ce sujet et allons plus loin encore ! L’école joue certes un rôle, mais prenons garde – je sais que nous nous rejoignons sur ce point – à ne pas considérer l’école comme seule responsable de tous nos problèmes. Nous commémorons ces jours-ci le triste cinquième anniversaire de l’attentat contre Charlie Hebdo. Je me souviens que beaucoup avaient presque mis en cause l’école, qui aurait, pour ainsi dire, loupé quelque chose. Non, l’école a un rôle déterminant, mais nous avons tous un rôle déterminant ! Quand j’ai pointé la nécessité d’une réponse républicaine quartier par quartier, je pensais à tous les acteurs : les associations, les bailleurs sociaux, ou encore, évidemment, les collectivités locales doivent tous jouer leur rôle pour que les clés de l’épanouissement soient une règle dans ces quartiers.
Enfin, la dernière réponse est celle des mobilités. Il faut faire en sorte que les assignations à résidence que subissent depuis trop longtemps un trop grand nombre de nos concitoyens soient levées. Nous devons lutter pour éviter que se perpétuent les ghettos que les cinquante dernières années ont laissés se constituer dans notre pays.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour la réplique.
M. Rachid Temal. Je partage vos propos, monsieur le ministre, mais je ne suis pas certain que le dédoublement des classes constitue une réponse suffisante.
La question qui est posée est celle de la présence de la République dans tous ses territoires. Depuis trop longtemps et, pour que ce soit dit, par la faute de tous les gouvernements, on observe un recul de la République. Or, pour les Français, celle-ci ne peut être une simple incarnation : il faut qu’elle soit une réalité au quotidien. Voilà le sens de ce qui doit être porté aujourd’hui : les services publics partout dans la République !
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier.
Mme Brigitte Lherbier. En tant qu’adjointe à la sécurité de Tourcoing, j’avais pu constater que certains jeunes n’avaient pas respecté la minute de silence dédiée aux victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. Tristan Gervais de Lafond, qui était alors président du tribunal de grande instance de Lille et du conseil départemental de l’accès au droit, avait lui aussi remarqué que certains jeunes considéraient que les journalistes assassinés avaient mérité leur sort parce qu’ils avaient, selon eux, blasphémé.
Il était clair que la confusion existait. La liberté de critiquer les religions, principe essentiel de la liberté d’expression et de nos règles républicaines, n’était pas comprise par certains jeunes peu formés et, surtout, mal encadrés.
Ce magistrat avait pris l’initiative de nouer le contact avec les élèves des lycées de Tourcoing et de Roubaix pour que des jeunes transmettent à d’autres jeunes leur vision de notre pays laïque. Les lycéens ont monté une pièce de théâtre dans laquelle il était expliqué, avec des mots de jeunes, que la notion de blasphème n’a rien de légal. Ces mêmes jeunes sont venus présenter leur travail ici, au Sénat, lieu symbolique. Leurs professeurs et des magistrats du tribunal de grande instance de Lille les ont accompagnés pour souligner l’importance de cette démarche. Le premier président de la cour d’appel de Montpellier les a lui-même honorés par sa présence.
Il nous faut réagir : la notion de laïcité doit être expliquée sans cesse.
En tant qu’universitaire, j’ai eu l’occasion de travailler avec le doyen de la faculté de droit de l’université de Lille 2, Bernard Bossu, qui a mis en place un diplôme universitaire dédié à l’approfondissement de la réflexion juridique dans un contexte religieux. Le directeur interrégional des services pénitentiaires d’alors, M. Alain Jégo, était très favorable à la création de ce diplôme ouvert à tous. En effet, il lui fallait être sûr que les personnes pénétrant en prison soient formées et qu’elles ne véhiculent pas, à l’intérieur des murs d’enceinte, des idées contraires à la République. Ce diplôme n’avait rien de contraignant : c’était simplement de la transparence.
L’expérience de Lille 2 n’est qu’un début. Elle doit être affinée et approfondie pour être utile. Qu’en pensez-vous, monsieur le ministre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Je condamne comme vous, madame la sénatrice, les comportements dont nous avons été témoins après les attaques contre Charlie Hebdo, mais aussi à d’autres moments, comme quand on siffle La Marseillaise. Je nous invite néanmoins à garder en tête que, pour certains jeunes gens, certains adolescents, la provocation est un art supérieur à celui du combat militant, politique ou religieux. Je ne voudrais certes pas laisser penser que je cherche à minorer la gravité de ces actes, mais il ne faudrait pas non plus laisser croire que, en 2015, des quartiers entiers auraient contesté l’émotion nationale que nous avons tous ressentie, dans ces quartiers comme ailleurs.
Vous avez raison, il faut éclairer les consciences. Cela rejoint la question que vient de poser M. Temal : nous avons besoin de donner aux jeunes ces moyens de comprendre, d’expliciter ces questions sans tabou, jusqu’à l’arme que représente le droit de critiquer une religion, principe fondamental de notre République, mais refusé par certains, qui considèrent que le droit religieux est supérieur au droit de la République française. Nous devons condamner cette conception et protéger ce droit.
J’étais présent hier, avec certains des responsables actuels de Charlie Hebdo, aux commémorations de l’attentat du 7 janvier 2015. Nous savons quel niveau de sécurité est nécessaire pour protéger ceux qui critiquent régulièrement les élus que nous sommes et, tout particulièrement, le ministre de l’intérieur, en toute légitimité. Je veillerai à ce qu’ils aient toujours ce droit. Nous devons les protéger justement parce que leur liberté de conscience les amène à assumer une critique religieuse qui peut faire débat, mais qui est un principe même que nous devons défendre.
Oui, il faut des formations sur ces sujets ! Vous avez notamment abordé dans votre propos la formation de ceux qui disent la religion, qui représente un enjeu réel. Chaque année, 300 imams, 300 psalmodieurs viennent en France de pays étrangers. Ils peuvent professer dans une langue étrangère ; je ne parle pas ici de la lecture du texte sacré du Coran, qui doit se faire dans sa langue d’origine, mais bien du prêche. Je pense que c’est une anomalie et que nous devons faire en sorte d’avoir en France des imams qui puissent professer en français.
M. Rachid Temal. Il faut les former en France !
M. Christophe Castaner, ministre. C’est un travail consulaire que nous menons aujourd’hui avec les pays d’origine de sorte que les imams qui professent en France le fassent en français.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Viviane Artigalas. Les pratiques intégristes ne datent pas d’aujourd’hui. Les esprits les plus voltairiens iront même jusqu’à dire qu’elles ont commencé avec l’invention des religions Il est absolument nécessaire de lutter contre ces pratiques lorsqu’elles se manifestent. Pour ce faire, on invoque de plus en plus le respect de la laïcité, quitte à la faire sortir de son propos.
Or la laïcité définit le rapport de l’État aux cultes religieux comme l’observation d’une stricte neutralité, garante de la liberté de conscience de tous et de chacun dans la République. Elle ne constitue donc pas le bon outil pour lutter contre les dérives sectaires et le terrorisme, qui relèvent d’autres moyens législatifs et politiques.
Cette confusion peut porter préjudice au principe même de laïcité. À cet égard, il n’est pas innocent de constater que celles et ceux qui se plaisent à colporter l’image d’une laïcité agressive, soit pour la louer, soit pour la dénigrer, appartiennent souvent aux groupes politiques ou religieux qui ont le plus intérêt à la mettre à mal.
Bien plus qu’une réforme de la laïcité, il est plus que jamais nécessaire de promouvoir l’adoption de règles et d’usages adaptés qui permettent de se prémunir efficacement contre toute dérive sectaire dans l’espace public, avec pour seule boussole la préservation de l’ordre public. Ainsi est-il normal de demander aux parents d’élèves d’assurer des missions d’encadrement qui devraient normalement être dévolues à du personnel de l’éducation nationale ? C’est souvent faute de moyens humains que les enseignants demandent de l’aide aux parents, qui sont des personnes privées non soumises à l’obligation de neutralité naturellement imposée aux agents publics.
La loi de 1905, votée en un temps où le radicalisme religieux s’exprimait déjà fortement dans notre pays, a été bien pensée par ses concepteurs. Ses principes mêmes lui permettent de faire face aux cas de figure rencontrés aujourd’hui, dès lors qu’on respecte son champ d’application.
Monsieur le ministre, plutôt que d’ouvrir la boîte de Pandore d’une réforme ou d’une évolution de la loi de 1905, ne serait-il pas plus pertinent de s’assurer que les principes de la laïcité soient parfaitement connus de tous les agents censés la faire respecter et de renforcer leur formation à cet égard ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Je partage totalement, madame la sénatrice, la définition que vous avez faite de la laïcité. Vous m’offrez d’ailleurs l’occasion de rebondir sur certains propos qui ont été tenus et n’allaient pas tout à fait dans le même sens.
L’utilisation de la laïcité qu’on a pu subir dans certaines communes, notamment après l’élection d’équipes municipales issues du parti qui s’appelait alors le Front national, comme un outil de lutte contre une religion est une erreur. C’est une déformation du sens même de l’application de la laïcité. Celle-ci – je l’ai répété à plusieurs reprises – n’est pas l’interdiction d’une expression religieuse, mais la garantie du choix de croire ou de ne pas croire. Nous voulons la faire vivre ainsi.
De la même façon, j’estime que la laïcité n’est pas un outil de lutte contre le communautarisme. Je vous rejoins sur ce point. C’est délicat de le dire comme vous le faites, car cela pourrait laisser penser que la laïcité ne serait finalement pas le bon outil, mais j’estime, comme je l’ai expliqué dans mon propos d’ouverture du débat, qu’il s’agit d’une feuille, certes fondatrice et fondamentale, mais capable de s’enflammer assez facilement.
Nous devons donc utiliser, non pas cet outil, mais tous les outils qui nous sont offerts. J’ai répondu à la question législative. Je n’ai, sur la loi de 1905, ni principe ni dogme. On peut selon moi la renforcer ; c’est même nécessaire. Mais je conçois qu’on puisse être en désaccord avec cette position.
Aujourd’hui, dans la lutte contre le communautarisme, je souhaite utiliser tous les outils de droit commun qui existent, n’en négliger aucun. À certains moments, on peut rencontrer des difficultés. Nous utilisons l’outil du contrôle fiscal. On s’aperçoit que certaines associations constituées sous le régime de la loi de 1901, qui n’ont pas vocation à faire de profit, devraient faire l’objet de contrôles fiscaux par les autorités qui en sont chargées. Si c’est impossible, il faut réviser la loi pour permettre de tels contrôles. Ce n’est qu’un exemple.
Je suis très ouvert sur ces questions : utilisons tous les outils dont nous disposons. Je ne répondrai pas plus avant sur la question de la loi de 1905. Je comprends le symbole qu’elle représente. Une chose, pour autant, est sûre : les financements étrangers, la question de la formation, celle de l’ordre public et de la responsabilité des gestionnaires d’un lieu où sont tenus des propos contraires aux valeurs de la République, toutes ces questions méritent d’être posées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. La laïcité française n’est pas sans foi ni loi. Des évolutions sont-elles nécessaires, comme le suggérait Roger Karoutchi ? Vous nous dites vouloir déjà faire appliquer le droit commun, monsieur le ministre, et je suis pour l’instant d’accord avec vous. Cela dit, je veux vous poser quatre questions distinctes et très précises.
En premier lieu, sur le voile à l’école, après un débat, le Sénat a tranché. Une autre solution est possible pour les accompagnements scolaires : qu’ils soient assurés par le personnel recruté pour le temps périscolaire, plutôt que par les mamans et les papas susceptibles d’arborer des signes religieux ostentatoires. Simplement, vos services contrôlent-ils le respect par le personnel périscolaire de la législation sur la laïcité ? Il me semble qu’il y a, çà et là, des mairies complices qui laissent faire.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Exactement !
M. Jérôme Bascher. Quel contrôle pratiquez-vous en la matière ?
Deuxièmement, êtes-vous favorable à une loi relative à la laïcité à l’université ?
Troisièmement, de manière à, peut-être, éviter le drame qui a eu lieu à la préfecture de police de Paris, on pourrait, comme le Sénat l’a fait par l’adoption d’un amendement sur le texte de Mme Schiappa relatif aux violences sexistes, rendre répréhensible dans le code du travail le fait de ne pas serrer la main d’une femme, ou de s’abstenir des gestes de courtoisie les plus élémentaires. Cela constitue-t-il, à vos yeux, une mesure nécessaire ?
Enfin, êtes-vous prêt à étendre le principe de laïcité dans l’entreprise ? On voit par exemple les problèmes qui se posent à la RATP. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Ces quatre questions sont essentielles, concrètes et précises.
La première porte sur le personnel périscolaire recruté dans les écoles. Ces personnes sont tenues – cela a été confirmé récemment encore par une cour administrative d’appel – d’appliquer les principes de laïcité existants. Ce personnel est placé sous l’autorité administrative des maires. Les préfets sont à disposition pour rappeler les principes qui s’appliquent, mais il n’appartient pas à l’État de contrôler la bonne exécution par les maires de la législation. En revanche, si un enseignant croit constater un dysfonctionnement relatif au respect de ces règles, il doit le signaler, de manière à ce que cela soit sanctionné. Il appartient au maire d’assurer cette veille et ces sanctions : l’État n’a pas vocation à se substituer à ses pouvoirs, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une infraction d’ordre public sur laquelle nous aurions vocation à intervenir.
Quant à la question du voile à l’université, je considère que des adultes – les étudiants à l’université sont bien des adultes – ont leur libre conscience et peuvent assumer leur libre choix.
La place de la laïcité dans l’entreprise est un vrai sujet. Les outils dont nous parlons, et dont je revendique qu’ils ont une vraie efficacité, pour les fonctionnaires publics, que ce soit dans l’espace public, ou dans l’espace privé quand ces fonctionnaires y remplissent leurs fonctions, manquent en partie aux entreprises. Quand des procédures de licenciement sont engagées pour prosélytisme religieux, elles sont le plus souvent cassées, parce que cela n’est pas considéré comme un élément suffisant pour caractériser un licenciement. Le débat juridique peut être ouvert : c’est un sujet sur lequel nous pouvons travailler pour offrir des moyens de lutte contre le prosélytisme.
Enfin, je ne pense pas que refuser de serrer la main d’une femme devrait être répréhensible. J’ai présenté devant votre commission des lois, après l’attentat de la préfecture de police, l’ensemble des signes qui constituent des indicateurs possibles de radicalisation. On m’a d’ailleurs fait beaucoup de reproches autour de cette liste ! Je rappelle que je n’ai fait que rendre publics des indicateurs qui sont utilisés depuis 2014, quand on a mis en place le site stop-djihadisme.gouv.fr. On m’a pourtant fait des procès d’intention, y compris de la part de personnes qui étaient aux responsabilités en 2014 ! Je ne pense pas à vous, monsieur le sénateur.
Comme je l’ai déjà dit devant les sénateurs comme devant les députés, un signe de radicalisation, seul, n’est pas une preuve : il faut en laisser l’appréciation à des gens qui sont formés à cette fin, sans automaticité. Jusqu’où, en effet, pourrait aller l’automaticité ? Elle pourrait contraindre le principe même de la loi de 1905, la garantie de la liberté de croire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, je vous rejoins totalement sur votre dernier point : vous portez vous-même la barbe, sans qu’on puisse dire que vous êtes un grand radicalisé ! (Sourires.)
Simplement, on prête aujourd’hui grande attention aux minorités ; on a tendance à les flatter électoralement. Ici et là, des syndicats et des maires, pour des raisons électorales, laissent passer beaucoup de choses. Il est temps de faire appliquer la laïcité complètement, en politique et au sein des syndicats !
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud.
M. Olivier Paccaud. « Depuis l’aurore de notre histoire, nos malheurs furent toujours en proportion de nos divisions, mais jamais la fortune n’a trahi une France rassemblée. » Ces mots de Charles de Gaulle doivent être un véritable talisman de l’union et de la concorde nationales.
Il y a celui qui croit au ciel et celui qui n’y croit pas. Puissent-ils vivre côte à côte, main dans la main et non dos à dos.
Le vivre ensemble ne se décrète pas ; il se construit patiemment, autour de valeurs partagées. Au pays de Marianne, dans notre patrie qui fut celle de Marie quand la France était la fille aînée de l’Église, la laïcité est un socle du contrat social, permettant que nos différences ne deviennent pas distances.
Or cette laïcité est désormais souvent écorchée ; elle n’est même plus tolérée dans certains territoires. C’est le cas quand, au nom de la religion, des jeunes filles sont interdites de robe ou de jupe, de sport, d’accès au planning familial, subissent des mariages forcés, portent un voile par obligation, quand le repli communautaire efface les liens républicains, quand la loi d’un dieu veut faire taire la loi des hommes.
Le statut de la femme, sa place dans la société, la mixité, l’égalité entre hommes et femmes sont parmi nos points cardinaux. Aucun recul n’est acceptable à ce sujet.
La laïcité n’est pas synonyme d’athéisme, d’anticléricalisme, ou de refus de la spiritualité. C’est au contraire un idéal de tolérance, une culture du respect mutuel, un bouclier protecteur contre tout dogmatisme ou totalitarisme. C’est aussi et surtout une reconnaissance des limites entre les sphères politiques et religieuses, entre les domaines publics et privés.
Plus que jamais, la France a besoin de laïcité. Cela passe notamment par l’éducation ; vous l’avez rappelé, monsieur le ministre. Ainsi, il existe depuis 2013 une charte de la laïcité à l’école qui est affichée dans tous les établissements. Modestement, ne serait-il pas judicieux de la faire figurer également dans tous les bâtiments publics, et dans les mairies au premier chef, après l’avoir adaptée ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Vous avez cité le général de Gaulle, monsieur le sénateur ; on avait déjà beaucoup cité Jean Jaurès,…
M. Rachid Temal. Chacun ses valeurs !
M. Christophe Castaner, ministre. … mais j’ai le souvenir que le général de Gaulle faisait célébrer des offices religieux catholiques à l’Élysée. La loi de 1905 était respectée ; personne ne le contestait. Je rappelle ces faits pour expliquer, avec tout le respect que j’ai pour l’engagement républicain du général de Gaulle – je suis même gêné de devoir le rappeler, tant c’est une évidence pour moi –, que les contextes peuvent changer, de même que l’interprétation de la loi. Nous devons aussi prendre en compte ces évolutions du contexte.
Quant à la question très précise que vous me posez, il appartient au législateur de le décider. Cette charte existe dans les écoles, mais aussi dans certaines collectivités, sans que son affichage ait un caractère obligatoire. Le rendre obligatoire ne me poserait pas de difficultés. Dans chaque commissariat de police de France, par exemple, la Déclaration universelle des droits de l’homme est affichée. Cela relève du règlement intérieur du ministère de l’intérieur. Imposer une telle obligation aux collectivités locales ne relève en revanche pas du domaine réglementaire, mais de celui de la loi. Sur le principe, monsieur le sénateur, je vous rejoindrai en tout cas sur cette affirmation militante.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour la réplique.
M. Olivier Paccaud. Cette proposition est tout à fait modeste. Plutôt que de citer de Gaulle, je m’inspirerai des évangiles : « Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » Chacun doit rester à sa place !
La République française a su incarner cette cohabitation à travers la loi de 1905, que nous avons beaucoup évoquée. Cela ne s’est pas fait sans quelques passions et crispations, notamment au tournant du XXe siècle.
Notre laïcité a aujourd’hui un nouveau défi à relever. Nous le savons tous. Cela sera sans doute plus compliqué encore que dans les années 1900, mais il y va réellement de la cohésion, de la sérénité et de l’harmonie de notre société.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson.
M. Max Brisson. Merci, d’abord, à Françoise Laborde et au groupe du RDSE d’avoir pris l’initiative de ce débat !
L’école est l’un des creusets où se fonde la laïcité. Les programmes qui y sont enseignés reposent sur la raison et l’état scientifique des connaissances au moment où ils sont élaborés. Leur mise en œuvre par les professeurs ne répond en aucun cas aux croyances ou absences de croyances de ces professeurs, mais aux seuls critères qui ont présidé à leur élaboration.
Ainsi, il n’existe plus d’enseignement religieux dans les écoles publiques de notre pays depuis 1881. Celui qui demeure pratiqué dans les établissements privés sous contrat avec l’État ne fait pas partie du temps scolaire obligatoire. En revanche, dans tous les établissements, le fait religieux est enseigné dans le cadre des programmes d’histoire en ce qu’il est avéré comme un fait historique et sociétal établi.
On constate toutefois depuis plusieurs années que des professeurs, ici ou là, ne peuvent plus réellement enseigner certaines questions, en particulier en histoire et en sciences de la vie et de la Terre. Aux yeux de certains, ces questions ne seraient pas conformes aux préceptes ou croyances professés par telle ou telle religion. Or un des buts premiers des programmes scolaires nationaux est bien de donner à chaque jeune de ce pays le même socle commun de connaissances, de compétences et de culture. C’est un des creusets de l’unité nationale.
Fort justement, dans son discours de vœux aux Français, le Président de la République a déclaré que « 2020 doit ouvrir la décennie de l’unité retrouvée de la Nation ». Alors, monsieur le ministre, comment comptez-vous, avec le ministre de l’éducation nationale, mesurer et appréhender la réalité et l’ampleur du non-enseignement de quelques-uns des thèmes les plus nécessaires à la construction de la notion de laïcité chez les élèves ? Comment entendez-vous, avec Jean-Michel Blanquer, renforcer la formation des professeurs pour qu’ils soient en mesure de dispenser les mêmes enseignements dans toutes les écoles de la République ? (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Christophe Castaner, ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, je n’ai ni à confirmer ni à infirmer le constat que vous faites, mais je ne veux en tout cas pas le contester ; je ne pense pas que Jean-Michel Blanquer le ferait non plus. C’est d’ailleurs pourquoi il a mis en place, dans tous les rectorats, des équipes dédiées à la question de la laïcité.
Je ne connais en effet aucun professeur qui renoncerait de son propre fait à cet enseignement fondamental qui est connu de chacun et chacune d’entre nous. En revanche, la pression qu’un enseignant peut parfois subir pourrait l’amener à ne pas savoir comment gérer cette situation. C’est la raison pour laquelle le ministre de l’éducation nationale a mis ces équipes en place, de manière à accompagner le professeur dans la reconquête du pouvoir dans sa classe, afin qu’il puisse développer certains sujets qui, quoique évidents, peuvent être contestés par certaines interprétations religieuses d’ailleurs bien éloignées de la réalité du texte d’origine.
Je voudrais, pour conclure ma dernière intervention dans ce débat, remercier l’ensemble des intervenants. J’ai conscience des sensibilités et des inquiétudes qui peuvent exister sur certains sujets, en particulier sur la loi de 1905. Si celle-ci affirme, évidemment, le principe de la laïcité, l’organise et le renforce, elle pose aussi le cadre juridique de l’exercice des cultes en France. C’est cette dimension-là qui peut évoluer, comme elle a déjà évolué depuis 1905.
Le fait religieux a changé très fortement dans notre pays comme à l’échelon mondial ; je ne parle pas là seulement de l’islam. Les télé-évangélistes ont pris dans certains pays un poids politique majeur. Rien n’indique que cela ne pourrait pas être le cas ici demain. Le nombre de followers de certaines personnes qui portent une parole religieuse est largement supérieur à celui de Barack Obama et du Président Trump réunis, sans parler d’un simple ministre de l’intérieur. (Sourires.)
Il faut donc se demander si nous devons accompagner l’organisation du culte ; la loi de 1905 le prévoit d’ailleurs.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique.
M. Max Brisson. Je crois que le non-enseignement de certaines questions qui figurent pourtant dans les programmes est certainement, de toutes les atteintes à la laïcité à l’école, celle qui est la plus grave. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre : je pense que l’accompagnement des professeurs est une urgente nécessité, tout comme leur formation, afin qu’ils puissent répondre à des questions difficiles lorsqu’elles sont posées dans le cadre de certains enseignements.
Je voudrais en conclusion remercier à mon tour, avec beaucoup de force, Françoise Laborde et son groupe pour ce débat. Elle fait partie de celles et ceux qui mènent le combat pour la laïcité, et je veux le saluer !
Mme la présidente. À la demande de M. le ministre, étant donné l’importance de ce débat, je lui cède la parole pour quelques secondes encore.
M. Christophe Castaner, ministre. Merci de me permettre de reprendre la parole, madame la présidente ! Je regrettais seulement d’avoir oublié de mentionner que l’autre grand débat que nous devons mener est celui contre la déscolarisation. Ce phénomène que nous connaissons et subissons est pire encore que de constater que l’enseignement public n’est pas assuré dans son ensemble. Il nous faut donc lutter contre ce phénomène.
Jean-Michel Blanquer travaille à prendre certaines dispositions en ce sens. La loi issue de l’initiative de Mme Françoise Gatel a permis de travailler sur la question des lieux de formation, mais on rencontre aujourd’hui de vraies difficultés avec la déscolarisation : on constate une augmentation importante des chiffres en la matière, chacun connaît des maires qui peuvent en témoigner. Nous devons pouvoir vérifier, opérationnellement, que la scolarisation à domicile, qui est un libre choix, en est bien une, qu’elle permet d’ouvrir la capacité de regard critique de chacune et chacun des futurs citoyens. De toutes les questions que nous affrontons aujourd’hui, celle de l’émancipation par le savoir est sans doute la plus indispensable. (M. Max Brisson, Mme Josiane Costes et M. Yves Détraigne applaudissent.)
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Josiane Costes, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Josiane Costes. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’avez compris, en demandant l’inscription à l’ordre du jour de ce débat, le groupe du RDSE a souhaité que le Sénat, dans son pluralisme, puisse s’exprimer sur un sujet fondamental pour l’unité de notre pays, particulièrement en ces temps où les questions identitaires occupent un espace de plus en plus important – pour ne pas dire trop important – dans le débat public, au risque d’attiser encore les divisions entre nos concitoyens.
Rappelons que le principe de laïcité est l’héritier direct dans notre pays du combat pour la liberté de conscience, qui a progressivement permis d’apporter la paix et la concorde, après des siècles de guerres de religion au bilan terrible.
Principe constitutionnel depuis 1946, réaffirmé en 1958, la laïcité, à laquelle aucun adjectif ne saurait être accolé, puise d’abord sa portée juridique dans la loi du 9 décembre 1905, même si le terme n’y est pas mentionné une seule fois. Pour les uns, cette loi cantonne la religion dans l’espace privé. Pour d’autres, elle oblige l’État à un égal respect de toutes les croyances et de leurs manifestations, ainsi que des non-croyants. Pour nous, ce texte est avant tout une loi de protection de tous les citoyens.
Comme son intitulé même l’indique, la loi de 1905 vise à séparer strictement l’État du religieux. L’article 1er proclame la liberté de conscience, dont le libre exercice des cultes est le corollaire naturel, dans les limites de la préservation de l’ordre public : aucune distinction ne saurait être fondée au profit ou en défaveur du religieux en général, ou d’une religion en particulier.
L’article 2, quant à lui, pose une interdiction claire : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » Il en découle, comme vous le savez, mes chers collègues, une stricte obligation de neutralité de l’État et des personnes publiques dans la sphère publique, ce que l’on conçoit encore comme une indifférence des pouvoirs publics, au travers de leurs agents, à l’égard des croyances des citoyens dans leurs relations avec ces mêmes citoyens. Il en découle aussi, pour les citoyens cette fois, le principe fondamental selon lequel nul ne peut se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir de la règle commune.
On ne saurait être plus explicite : parce qu’elle garantit un bien commun – l’égalité de traitement devant la loi –, la laïcité subordonne toutes les croyances à la loi de la République, élaborée selon un processus démocratique. C’est donc bien parce qu’elle crée cette équidistance entre tous que la laïcité garantit l’unité nationale en mettant en lumière ce que les citoyens ont en commun et en les invitant fermement à ne pas faire de leur foi un attribut de citoyenneté.
C’est pour ces raisons que le principe de neutralité permet d’imposer aux usagers de certains services publics eux-mêmes des obligations de non-ostentation religieuse. C’est le cas en particulier dans le service public de l’éducation nationale, comme l’a posé la loi du 15 mars 2004, où l’apprentissage de la coexistence et du respect d’autrui fait pleinement partie de l’édification personnelle des futurs citoyens, au même titre que le développement de l’esprit critique ou l’appréhension des savoirs fondamentaux. Revenons à l’esprit de Jules Ferry, qui voyait dans l’école de la République un moyen d’élever les individus hors de leur condition d’origine.
Mes chers collègues, la laïcité est un principe protecteur, la loi de la République devant toujours primer sur la loi religieuse, laquelle n’est qu’une sujétion personnelle et particulière, quand bien même elle inspirerait la conduite d’un individu. Pourtant, certains fondamentalistes voient dans la laïcité un facteur d’asservissement, voire de discrimination, précisément parce qu’elle refuse toute primauté à une religion, tout comme elle dénie réduire le citoyen à ses croyances. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu et restons fermes sur ce principe intangible, indissociable de la concorde civile. Nos compatriotes le savent bien, quand près de 80 % d’entre eux estiment que la laïcité est en danger.
Nous le constatons : notre pays se situe aujourd’hui sur une ligne de crête, les débats sont complexes et sensibles. Notre responsabilité de législateur est grande.
Plutôt que d’entretenir un éternel débat sur la modification de la loi de 1905, ne faudrait-il pas renforcer les dispositions de la loi de 1901 ou celles sur les écoles hors contrat, qui sont parfois détournées au profit d’un prosélytisme incompatible avec nos valeurs ?
Ce qui est certain, c’est que notre République ne saurait être un patchwork de communautés qui se contenteraient de coexister, difficilement. Notre République est une, indivisible, garante du vivre ensemble : elle doit permettre à la France de faire Nation ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SOCR, UC et Les Républicains.)
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Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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La pédopsychiatrie en France
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « La pédopsychiatrie en France. »
Dans le débat, la parole est à Mme Laurence Cohen, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Laurence Cohen, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que la Haute Assemblée se préoccupe de la pédopsychiatrie. Une mission d’information sénatoriale, dont j’ai fait partie au nom du groupe CRCE, a publié en avril 2017, sous l’égide de nos collègues Michel Amiel et Alain Milon, un rapport intitulé Situation de la psychiatrie des mineurs en France.
Cette mission a fait un certain nombre de propositions afin d’améliorer la situation de la pédopsychiatrie, mais force est de constater que, près de trois ans plus tard, et après un changement de gouvernement, les choses n’ont guère évolué, ou alors dans le mauvais sens. Le diagnostic est aujourd’hui encore plus dramatique. Les professionnels de santé mentale ont d’ailleurs été, et sont toujours, très mobilisés contre la politique menée par le Gouvernement.
Quand on parle de pédopsychiatrie, on déborde du cadre de la santé stricto sensu, puisque les professionnels de ce secteur sont amenés à travailler avec différents acteurs, dans le domaine social, médico-social, en lien, notamment, avec l’éducation nationale, la justice, leur objectif commun étant la protection de l’enfance.
Je sais que personne ici n’ignore la réalité de la situation. Permettez-moi néanmoins d’évoquer les propos du docteur Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Necker à Paris, qui se demande ce que va devenir un pays qui ne se donne plus les moyens de soulager la souffrance mentale de ses enfants et adolescents, ou encore ceux du professeur David Cohen, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Pitié-Salpêtrière, qui, à propos de la psychiatrie infanto-juvénile, n’hésite pas à parler de « tiers-monde de la République. »
Cette situation nous conduit à nous interroger, en tant qu’adultes et responsables politiques, notamment sur l’aggravation des difficultés sociales, la fragilisation des repères, la violence économique et symbolique de notre société, les violences intrafamiliales, qui sont des facteurs de troubles psychiques, bien au-delà des simples causes neurobiologiques dans lesquelles certains voudraient enfermer la psychiatrie. Comment ne pas y voir le résultat d’années de restrictions budgétaires à tous les étages ?
Dans leur rapport de 2016, Marie-Rose Moro et Jean-Louis Brison évaluaient à un million le nombre de jeunes faisant appel à la pédopsychiatrie, toutes prises en charge confondues. Ils estimaient même que 25 % des patients de la psychiatrie hospitalière étaient des mineurs.
Au-delà de l’importance de ces chiffres, comment ignorer que les pathologies psychiques de l’enfant ne sont pas celles de l’adulte et qu’elles nécessitent un savoir-faire particulier ? Quand un enfant va mal, il faut qu’il soit vu par un spécialiste de l’enfance.
La pédopsychiatrie est une discipline et une spécialité majeures. Pourtant, en dix ans, le nombre de professionnels s’est réduit de moitié et la durée d’attente d’un premier rendez-vous dépasse parfois les dix-huit mois. Certains départements ne comptent plus aucun pédopsychiatre. Selon les chiffres de 2015 de la DGOS (direction générale de l'offre de soins), il n’y a plus de lits d’hospitalisation en pédopsychiatrie dans dix départements. Certains enfants en grande souffrance sont donc hospitalisés dans des services pour adultes ou loin de leur famille.
Une prise en charge précoce est la clé du mieux-être de la personne, de sa guérison ; or celle-ci est parfois impossible, faute de professionnels et de structures. Ma collègue Michelle Gréaume évoquera la prévention dans son intervention, mais je rappelle d’ores et déjà que la moitié des troubles psychiatriques à fort potentiel évolutif commencent avant l’âge de 15 ans, et pour les trois quarts d’entre eux avant 25 ans.
Il y a quelques années, la France était pionnière et novatrice en matière de psychiatrie et de pédopsychiatrie. Elle avait notamment créé le secteur pour déstigmatiser les troubles psychiques et sortir de la politique asilaire.
Aujourd’hui, cette politique est mise à mal par l’intégration dans des GHT (groupements hospitaliers de territoire) généraux, au mépris de la spécificité de la psychiatrie, par les regroupements forcés de CMP (centres médico-psychologiques) et de CMPP (centres médico-psycho-pédagogiques), voire par leur suppression pure et simple. Les patients sont de plus en plus éloignés de ces structures de proximité, parfois laissés en errance médicale et sans soins.
Pour illustrer mon propos, j’évoquerai le cas du CMP de Chilly-Mazarin, en faveur duquel j’étais intervenue afin d’empêcher son transfert dans une autre ville, au sein d’une zone d’activités industrielles difficile d’accès. Malheureusement, cette délocalisation a eu lieu. Elle a mis à mal les liens que les professionnels avaient tissés avec les associations, les partenaires locaux, la communauté éducative, tous indispensables pour accompagner et suivre ces enfants. Elle a également privé les familles d’un accès aux soins de proximité. Cet exemple est loin d’être isolé.
J’évoquerai un autre exemple, lui aussi emblématique. Lors de notre tour de France des hôpitaux et des Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), j’ai eu l’occasion, avec mon collègue Pascal Savoldelli, de me rendre en septembre dernier à la Fondation Vallée, qui est un hôpital entièrement consacré à la pédopsychiatrie. Situé à Gentilly, dans le Val-de-Marne, cet établissement renommé connaît lui aussi des difficultés.
Nos échanges avec les organisations syndicales, les usagers et la direction sont tous allés dans le même sens : baisse des dotations, impossibilité de prendre en charge la rénovation de locaux devenus trop exigus et inadaptés à la prise en charge d’un nombre de plus en plus élevé d’enfants et adolescents, aux pathologies qui se complexifient.
Comme en psychiatrie générale, les professionnels dénoncent le poids de la réglementation, des protocoles et de l’organisation, de plus en plus lourd, au détriment du lien avec le patient, du dialogue, de l’écoute, de l’humain.
En Aquitaine, région pilote en matière de pédopsychiatrie, les soignants sont inquiets de l’évolution des directives qui leur sont imposées par l’ARS (agence régionale de santé). Ils dénoncent, ici comme ailleurs, une certaine psychiatrie d’État, qui dicterait aux professionnels les principes et la façon de soigner, le risque étant de ne plus être financés s’ils ne suivent pas les préconisations. Cette pression exercée sur les pratiques professionnelles en vue d’une standardisation des soins, contraire aux besoins des patients, est inacceptable.
Mes chers collègues, la question au cœur de nos débats doit être la suivante : quelle psychiatrie, quelle pédopsychiatrie voulons-nous ?
On sait combien les pratiques sont différentes, entre les partisans d’une approche qui privilégie le traitement des symptômes par une réponse uniquement médicamenteuse et les partisans d’une approche plus centrée sur le psychisme, tout en faisant appel aux sciences humaines pour comprendre la complexité des souffrances individuelles. Ne soyons pas naïfs, certains laboratoires pharmaceutiques ont intérêt à ce que se développe la première approche pour la rendre hégémonique. Cette tendance existe déjà très fortement aux États-Unis dans le traitement de la prétendue hyperactivité des enfants, à base de psychotropes, même avant l’âge de 3 ans, et de Ritaline notamment. Comment ne pas faire le lien avec les attaques contre la psychanalyse, qui sont particulièrement inquiétantes ?
À cet égard, je citerai les propos du docteur Sandrine Deloche, pédopsychiatre, membre du Collectif des 39 : « Nous pourrions chacun clamer un “j’accuse” sans précédent, mais c’est évidemment collectivement que nous devons défendre une solidarité créatrice luttant contre la fabrique d’enfants malades, étiquetés “handicap”, pour laquelle seule l’approche neuro-scientiste serait effective, jetant la psychanalyse aux orties. »
Alors, certes, Mme Buzyn, ministre de la santé, a nommé un délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie et a transféré quelques millions d’euros en faveur de la psychiatrie, notamment après des luttes mémorables telles que celle de Saint-Étienne-du-Rouvray, mais la réponse est loin d’être à la hauteur des enjeux, compte tenu de la gravité de la situation que je viens de décrire.
La réforme du financement de la psychiatrie, telle qu’est prévue dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, va encore aggraver les choses, du fait de l’introduction d’une part de T2A. Quel paradoxe d’ailleurs ! Alors que la ministre a reconnu la nécessité de revoir la tarification à l’activité dans les hôpitaux généralistes, elle l’introduit dans les hôpitaux psychiatriques ! Il est impossible de ne pas faire le lien entre l’austérité dans le secteur de la psychiatrie et la situation plus globale des hôpitaux publics, dont les budgets ont été amputés de 7 milliards d’euros en dix ans.
Avant de conclure mon propos, permettez-moi de faire quelques propositions, qui, je l’espère, monsieur le secrétaire d’État, seront entendues.
Avec les professionnels, il nous paraît urgent d’augmenter le nombre d’heures de psychiatrie au cours de la formation initiale d’infirmiers – ce nombre a drastiquement fondu en quelques années et a quasiment été réduit à néant.
Nous proposons également de maintenir des postes de professeurs d’université pour la formation des jeunes médecins en pédopsychiatrie, sachant que de nombreuses universités en sont totalement dépourvues.
Nous considérons qu’il faut améliorer la reconnaissance des compétences et des qualifications des psychologues, au travers de leur statut et de leurs salaires, lesquels doivent être largement revalorisés. Il faut également augmenter le nombre d’orthophonistes. Il faut en finir avec la précarité de ces professions.
Nous proposons en outre d’améliorer les dispositifs pour éviter les sorties sèches des jeunes majeurs de 18 ans des structures juvéniles, au regard de la saturation dans les structures pour adultes.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, avez-vous un premier bilan à nous communiquer sur les forfaits précoces pour la prise en charge des troubles du neuro-développement et de l’autisme ? Nous avions émis des doutes lors de l’examen du PLFSS pour 2019, et les premiers retours que nous avons concernant notamment les plateformes d’orientation et de coordination justifient nos inquiétudes.
Mes chers collègues, en ce début d’année, permettez-moi de souhaiter que chaque enfant qui en a besoin puisse être correctement pris en charge, ici, en France, et que l’accès à la pédopsychiatrie soit garanti pour tous sur l’ensemble du territoire, dans des structures de soins ambulatoires de proximité, en CMP, en CMPP, en CATTP – les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel – et en milieu hospitalier.
Je terminerai mon propos par une citation de Tony Lainé, précurseur et spécialiste de la pédopsychiatrie, extraite de son livre Éloge de la démocratie : « Il me semble qu’en psychiatrie la loi est, moins qu’ailleurs, à l’abri des dérives et des caricatures. Il faut si peu de choses dans les systèmes clos pour la faire glisser vers des attitudes autoritaires qui ne protègent plus que le pouvoir du chef et entretiennent les autres dans des statuts d’enfants irresponsables. »
J’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous aurez entendu cette parole et celle des professionnels de santé, qui manifestent dans la rue jusque sous vos fenêtres. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR. – M. Daniel Chasseing et Mme Marie Mercier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, peu de sujets ont fait l’objet d’autant de rapports publics au cours de la dernière décennie que la psychiatrie. Sénat, Assemblée nationale, IGAS (inspection générale des affaires sociales), missions mandatées par le Gouvernement : chacun a ajouté sa pierre à la production de données et de recommandations sur le sujet de la santé mentale. Le constat est aujourd’hui largement partagé : la psychiatrie est sinistrée, la pédopsychiatrie encore davantage.
La santé mentale de la population française est très préoccupante, notamment celle des jeunes. Selon une enquête française révélée en avril 2018, les problèmes de santé mentale dans la jeunesse sont en passe de devenir l’un des principaux enjeux de santé publique du XXIe siècle. C’est ainsi que 12,5 % des enfants et des adolescents seraient concernés en France.
Comme le relève l’IGAS dans un rapport de septembre 2018, la prise en charge pâtit d’un effet ciseaux : la demande de soins psychiatriques ne cesse d’augmenter – elle a doublé en vingt ans –, alors que, dans le même temps, la démographie pédopsychiatrique est défavorable.
Selon le rapport de novembre 2016 de la mission Bien-être et santé des jeunes, la France est le pays européen où l’offre de soins en pédopsychiatrie est la plus faible en termes de patriciens.
Aussi, je tiens à remercier le groupe communiste républicain citoyen et écologiste d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre assemblée. En effet, la pédopsychiatrie, et plus globalement la santé mentale des enfants et des jeunes, est à la croisée de politiques publiques qui connaissent actuellement de grandes difficultés, cela a été rappelé par notre collègue : l’organisation de notre système de soins, hôpitaux publics et psychiatrie en tête, la protection de l’enfance, avec l’aide sociale à l’enfance et l’accompagnement des mineurs non accompagnés, mais également les services de la justice et de l’éducation nationale.
Le chantier de la pédopsychiatrie est immense, comme en attestent les cinquante-deux propositions formulées par notre collègue Michel Amiel en 2017.
Ces dernières années, le Gouvernement a tenté de répondre aux enjeux : élaboration d’une feuille de route, nomination d’un délégué interministériel, octroi de 80 millions d’euros en 2019 au secteur, création de dix nouveaux postes de chef de clinique en pédopsychiatrie en 2019, en plus des dix postes créés en 2018.
Dernièrement, Agnès Buzyn a rendu publics les résultats d’un appel à projets, doté de 20 millions d’euros, visant à renforcer les ressources de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Trente-cinq projets ont été retenus pour améliorer l’offre de pédopsychiatrie dans les territoires les plus en difficulté. Je veux saluer cette prise de conscience et l’engagement du Gouvernement.
En revanche, je regrette l’absence d’une véritable politique coordonnée avec tous les acteurs de la protection de l’enfance, avec les maisons des adolescents, avec les services à domicile, dans tous les départements, et pas seulement les plus en difficulté. Je déplore que l’on ne puisse pas véritablement agir sur ce terrain.
Des projets naissent parfois sur les territoires, mais, faute de professionnels disposant de suffisamment de temps, ils ne se mettent pas en place.
Enfin, lors du dernier PLFSS, nous avons eu peu de possibilités de débattre de l’article 25 du texte, qui visait à faire évoluer le modèle de financement des établissements de soins psychiatriques vers un objectif de dépenses globalisées.
Je ne peux que regretter les conditions d’examen de ce PLFSS, d’autant que notre rapporteure, Catherine Deroche, avait proposé un amendement intéressant en première lecture. Alors que l’Assemblée nationale devait ajouter une pondération spécifique à la dotation populationnelle, se fondant sur des éléments relatifs à la précarité et à la couverture médico-sociale, Mme Deroche voulait y ajouter la prise en compte des soins pédopsychiatriques, ce qui aurait permis de les reconnaître enfin au niveau législatif.
En tant qu’élue départementale, je constate que les services de l’aide sociale à l’enfance et de l’accompagnement des mineurs non accompagnés ne sont pas équipés pour apporter une réponse adaptée aux mineurs victimes de troubles psychiatriques. L’ADF, l’Assemblée des départements de France, estime que près d’un tiers des mineurs confiés à l’ASE requièrent un soutien clinique. Les temps d’attente pour une intervention pédopsychiatrique peuvent aller jusqu’à une année. Or une attention toute particulière doit être apportée à ces jeunes personnes, notamment les mineurs non accompagnés, qui sont malmenés par un parcours migratoire difficile et qui souffrent de pathologies post-traumatiques.
Je sais qu’il existe aujourd’hui des centres qui peuvent prendre en charge ces jeunes, notamment les mineurs non accompagnés, mais ils sont trop éloignés des services de l’aide sociale à l’enfance et il est difficile de programmer des rendez-vous. Dans le cadre de mon rapport d’information sur les mineurs non accompagnés, j’ai pu saisir toute la difficulté de cette prise en charge. Suite à une incohérence juridique, ces derniers sont en effet considérés comme éligibles à l’aide médicale de l’État, réservée aux personnes en situation irrégulière, et non à la protection universelle maladie (PUMa). La non-admission des jeunes migrants non accompagnés à la PUMa a des effets très concrets. Elle les empêche d’accéder aux centres médico-psychologiques, dont les frais ne sont pas couverts par l’aide médicale de l’État. Aussi, ma proposition n° 18 visait à réviser la rédaction du décret et de la circulaire régissant le système de protection des mineurs isolés en faveur de leur éligibilité inconditionnelle à la PUMa.
Enfin, il nous faut réaliser une véritable mobilisation globale de la société en matière de santé mentale.
D’une part, il me semble nécessaire d’agir le plus en amont possible. La prise en charge précoce est essentielle pour limiter l’impact de la pathologie sur la personne atteinte et son entourage, ainsi que sur les finances publiques. Il faut, notamment, renforcer le repérage à l’école, grâce à des formations adaptées aux enseignants et aux encadrants, et sensibiliser davantage les parents, les médecins traitants et les services de PMI sur les signes et les outils disponibles. Il faut surtout agir sur la formation des nouveaux professionnels, car les besoins de compétences sont énormes. Il faut aussi repérer et accompagner les parents vulnérables. En ce sens, le rapport Pour sauver la PMI, agissons maintenant proposait très justement de développer le recours à des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF) en périnatalité et prévention de la dépression post-partum, dans un cadre concerté entre PMI, maternité et CAF. Les TISF interviennent au domicile des familles confrontées à des difficultés pouvant affecter l’équilibre de la cellule familiale. Selon le pédopsychiatre Jacques Dayan, « les TISF ont une efficience psychique considérable et peuvent éviter une prise en charge plus lourde ».
D’autre part, il convient d’assurer l’aval, en proposant un véritable parcours de santé mentale qui favorise autant que possible l’ambulatoire. C’est notamment l’objectif du plan Ma santé 2022, qui prévoit une obligation de mise en œuvre des projets territoriaux de santé mentale (PTSM) d’ici à juillet 2020, en organisant le lien avec les soins de premier recours portés par les CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé) et les hôpitaux de proximité. Où en est-on sur ce point, monsieur le secrétaire d’État ? Serons-nous prêts ? A-t-on également des éléments sur l’extension des formations d’infirmiers de pratique avancée à la psychiatrie cette année ?
En définitive, notre objectif, collectivement, est d’aboutir à une détection plus précoce des pathologies grâce à une politique ambitieuse de prévention et de coordination, de lutte contre la stigmatisation des personnes malades, mais aussi d’accès à la pédopsychiatrie et de développement de la recherche, notamment des neurosciences. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE et SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la psychiatrie française est en crise. C’est pourtant une discipline primordiale, souvent décrite comme le « parent pauvre » de la médecine.
La psychiatrie, profondément marquée par un manque de moyens financiers et humains, traverse actuellement des difficultés majeures. La pédopsychiatrie, discipline plus récente, n’y échappe pas.
La psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent est peu étudiée, alors que la spécificité et l’incidence des troubles des mineurs sont importantes. L’Organisation mondiale de la santé affirme d’ailleurs que plus de 50 % des pathologies psychiatriques de l’adulte apparaissent avant 16 ans.
Le constat n’est pas nouveau. La mission d’information sur la psychiatrie des mineurs en France, dont j’ai fait partie, a d’ailleurs publié un rapport très complet à ce sujet.
D’une part, la pédopsychiatrie peine à recruter, les professionnels manquent, tout comme les professeurs enseignant cette spécialité. Selon le Conseil national de l’ordre des médecins, le nombre de pédopsychiatres a diminué quasiment de moitié entre 2007 et 2016. Reconnaissance et attractivité de la profession sont donc ici en jeu.
D’autre part, les moyens financiers alloués au secteur ne permettent pas de poursuivre une politique de santé publique adaptée aux enjeux. Les difficultés d’accès aux soins psychiatriques sont importantes, notamment dans les territoires ruraux ou isolés. Les inégalités territoriales sont frappantes et les structures existantes sur-sollicitées.
Au-delà de ce constat peu réjouissant, la situation de nombreuses familles devant faire face à des problématiques de santé mentale doit nous interpeller.
L’entourage du mineur, sa famille, mais également le personnel de la petite enfance, de l’éducation nationale – les services de médecine scolaire tendent malheureusement à décliner, monsieur le secrétaire d’État –, la médecine générale, l’ensemble des acteurs de la chaîne de soins doivent être mieux formés et informés.
Le repérage et le diagnostic précoces sont essentiels, tout comme la prise en charge qui en découle. Prenons l’exemple des enfants diagnostiqués autistes. Je ne referai pas ici le débat du diagnostic et du traitement de l’autisme. Je rappelle, en adressant un petit clin d’œil à notre collègue Patrick Kanner, que le premier médecin à avoir décrit les symptômes de l’autisme était le pédopsychiatre Léo Kanner.
M. Patrick Kanner. C’était un grand-oncle !
M. Jean-François Rapin. Leur prise en charge est complexe et coûteuse. C’est un réel parcours du combattant, qui ne fait qu’ajouter des souffrances à la pose d’un diagnostic angoissant pour les parents, toujours soucieux que leur enfant puisse être accompagné et pris en charge de la façon la plus efficace et la plus humaine possible, en évitant à tout prix son exclusion, voire sa stigmatisation.
Un autre exemple, qui touche plus particulièrement les adolescents, est celui de la consommation de cannabis. Cette substance addictive présente de multiples risques, comme toutes les addictions – on pourrait aussi parler de l’alcoolisme. Elle engendre des problèmes d’attention, de concentration, de mémoire, mais aussi des troubles cognitifs psychiatriques, voire l’altération de capacités cérébrales. Trop de jeunes méconnaissent les troubles liés à sa consommation et se retrouvent dans des situations de décrochage scolaire, de difficultés d’intégration sociale, de forte anxiété ou d’humeur dépressive. L’accent doit être mis sur la prise en charge spécifique de l’adolescent en souffrance, voire du jeune adolescent, car la consommation débute de plus en plus précocement.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a posé les bases d’un nouveau financement de la psychiatrie. Nous ne pouvons que nous réjouir d’une telle prise de conscience des pouvoirs publics. J’espère que, à la même occasion, la pédopsychiatrie verra aussi son financement rehaussé à la hauteur de ses enjeux.
Au-delà d’une réforme du financement, ne serait-il pas judicieux d’entreprendre une réflexion, bien plus large, sur la psychiatrie, et donc aussi sur la pédopsychiatrie, qui traiterait de sujets essentiels tels que la formation, la prévention, le repérage, le diagnostic, la prise en charge, l’inclusion scolaire et l’insertion sociale sous tous leurs aspects, et ce dans l’intérêt et le bien-être des plus jeunes.
Véritable enjeu de santé publique, il est nécessaire, pour l’avenir de nos enfants et des générations futures, de réformer cette branche de la psychiatrie et d’en développer la recherche, primordiale pour l’évolution de l’état de santé des jeunes patients.
Pour conclure, j’insisterai de nouveau, en tant que médecin, sur la médecine scolaire. Nous avons perdu beaucoup en abandonnant ce pan complet de la médecine préventive, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, RDSE, Les Indépendants et SOCR. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jean-Louis Tourenne. Monsieur le secrétaire d’État, l’hôpital est malade, et vous n’avez posé que des cautères qui ne règlent rien. Les urgences embolisées, les manifestations des soignants, les démissions vous l’expriment presque tous les jours, sans que vous apportiez la moindre réponse acceptable. Le secteur psychiatrique est plus atteint encore, et, disons-le tout net, cela ne date pas d’hier. Le rapport de Michel Amiel réalisé en 2017 montrait déjà l’état de déshérence dans lequel se trouve ce secteur.
La psychiatrie infanto-juvénile n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était. On ne voit plus que le squelette de son organisation territoriale, qui se voulait performante. Elle a largement participé au dépistage précoce des signes de souffrance et des troubles psychiques. Mais la pédopsychiatrie publique ne peut actuellement apporter à tous les enfants, protégés ou non, les soins dont ils devraient bénéficier, faute de structures et de moyens suffisants.
L’ensemble des dispositifs du parcours de soins est en mauvais état, notamment le dépistage. On sait combien le dépistage précoce est déterminant dans le pronostic de retour à meilleure santé mentale. On constate toutefois un dépistage très tardif pour les enfants confiés aux départements.
Ainsi, études et rapports montrent que les enfants confiés à l’ASE présentent des troubles multiples, avec notamment une surreprésentation des troubles psychoaffectifs et du comportement : 13 % à 15 % des enfants confiés ont un dossier auprès d’une MDPH, c’est-à-dire sept fois plus que la population générale ; 1,6 % des mineurs placés dans des établissements sont sous antidépresseurs, soit sept fois plus que la population générale ; 7,2 % des enfants sont sous neuroleptiques, soit vingt-quatre fois plus que dans la population générale.
La médecine scolaire est dans l’incapacité de saisir dès le plus jeune âge, celui de l’école maternelle, les premiers symptômes de troubles du comportement.
On considère que la dépression maternelle périnatale, génératrice de risques particuliers pour l’enfant, touche aujourd’hui 15 % des femmes enceintes. Un tel chiffre suppose qu’un dépistage précoce de la dépression périnatale puisse être mis en place. Ce n’est pas le cas. Le diagnostic met un temps considérable à être établi, ce qui hypothèque gravement les chances d’une guérison.
On note, lors d’une table ronde, que l’âge moyen d’accueil des enfants dans la pouponnière spécialisée d’Angers est de 21 mois, alors que leur situation a été identifiée douze mois plus tôt. Le responsable signale combien ces enfants sont déjà profondément cassés, avec des troubles fixés, dont on sait qu’il sera beaucoup plus compliqué de les guérir pour leur permettre de reprendre un développement normal.
Nos collègues Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien rapportaient, dans la mission qu’elles ont conduite sur les troubles psychiques des mineurs victimes d’agressions sexuelles, les propos de la psychiatre Muriel Salmona : « Il faut rappeler que, presque partout, le délai minimum pour une prise en charge en centre médico-psychologique (CMP) est de six mois, mais le plus souvent compris entre douze et dix-huit mois. »
Et le témoignage d’une maman, parmi tant d’autres : « J’ai essayé d’obtenir un rendez-vous en CMP. J’ai rappelé, on est sur liste d’attente, j’ai réexpliqué le cas de mon fiston. Pour moi, ça devient urgent, je suis très inquiète de son comportement et aucun délai ne m’a été annoncé ; mon fils pense souvent à la mort, il a peur de nous perdre, sans compter ce qu’il y avait avant, je ne sais plus comment faire, je suis désemparée ».
Les CMPP connaissent les mêmes embolies et délais d’attente pour l’établissement d’un diagnostic, avec des prises en charge trop tardives et des perspectives de guérison aléatoires.
Les centres de planification familiale repèrent des situations d’addiction, de décrochage scolaire, les signes révélateurs de violence sexuelle ou de maltraitance physique ou psychologique. Mais les moyens dont ils disposent sont notoirement insuffisants.
Quant à la prise en charge des enfants ou adolescents victimes de troubles psychiques, elle se dégrade dangereusement. Leur nombre connaît une forte augmentation. On constate une demande de soins psychiatrique des mineurs en augmentation de plus de 14 % en dix ans.
Michel Amiel note dans son rapport les difficultés d’accès aux soins psychiatriques et les retards de prise en charge : « Ces difficultés constituent pour les mineurs atteints de troubles une perte de chance d’autant plus importante que la précocité de la prise en charge est déterminante. Plusieurs facteurs sont de nature à causer ces retards : l’inadaptation de l’offre et son insuffisance sont accentuées par la hausse de la demande. »
« La psychiatrie est sinistrée », titrait il y a peu un grand journal national, en apportant un certain nombre d’illustrations à cette affirmation.
En dix ans, le nombre de pédopsychiatres a été divisé par deux. L’offre de soins est la plus faible d’Europe. On compte seulement quatre professionnels, dont l’âge moyen est de 62 ans, pour 100 000 jeunes, et quatorze départements sont aujourd’hui sans pédopsychiatres. Bien que leur nombre ait baissé, 15,6 % des postes de praticiens sont vacants.
Pourtant, le nombre de demandes est en constante augmentation : 400 000 de plus en dix ans. Nous sommes passés de 310 enfants par CMPP en 1996 à 510 aujourd’hui, avec une croissance de 50 % des troubles du développement, de 30 % des troubles d’hyperactivité et de 30 % des troubles du spectre autistique. S’ajoutent à cela de nombreuses demandes liées à un contexte de problématique sociale, de grande précarité, de désinsertion et de difficultés d’ajustement aux cadres collectifs, autant de problèmes de comportement que les enseignants subissent avec angoisse.
Dès lors, les conditions de travail se dégradent. Il devient difficile de recruter quand le pédopsychiatre est tiraillé entre les diktats administratifs, le mécontentement des familles, la détresse des enfants, le délitement du dispositif soignant… Les professions paramédicales – psychomotriciens, orthophonistes, psychologues –, indispensables à la mise en œuvre des suivis, ne sont pas mieux loties, avec des grilles de salaires peu attractives.
Le Président de la République affichait récemment sa volonté de « redonner une perspective à la pédopsychiatrie et à la psychiatrie ». Voilà une belle déclaration pour tenter de redonner à ce secteur les moyens de faire face à une nécessité nationale, mais ce n’est pour l’instant qu’une déclaration… C’est en effet une nécessité nationale, car les conséquences de cette situation pour la cohésion sociale sont considérables : développement de la violence gratuite et montée du sentiment d’insécurité, coût considérable pour la société des troubles psychiques, qui se sont développés faute d’avoir été soignés à temps, multiplication des phénomènes de radicalisation chez des personnes déstructurées, qui cherchent des moyens de légitimer leur agressivité et de se croire enfin importantes, reproduction, de générations en générations, selon un modèle déjà vécu, des mêmes marginalisations, qui fait de la France la vice-championne du monde du déterminisme social.
Il y va, monsieur le secrétaire d’État, de la santé des enfants et adolescents concernés, de leur sérénité et de leur développement harmonieux. Il y va donc de l’avenir de notre nation.
Il faut rapidement recréer une organisation efficace, en mobilisant sur un territoire toutes les forces qui peuvent concourir à dépister, accompagner et guérir efficacement.
Il faut mettre en œuvre les moyens d’attirer, de nouveau, des professionnels praticiens et paramédicaux vers des fonctions essentielles à la préservation de notre cohésion sociale.
Nous devons investir dans la formation de ces praticiens et dans des locaux fonctionnels adaptés – 41 % des praticiens déclarent les locaux des CMP inadaptés à leur activité –, créer des lits supplémentaires, pour éviter que des enfants aux difficultés de comportement puissent se retrouver à quatre dans une même chambre.
Certes, le malaise n’est pas nouveau, et personne ne songe à vous faire reproche de la dégradation de la situation, monsieur le secrétaire d’État. Mais vous êtes aujourd’hui aux responsabilités, et il vous appartient d’y apporter remède.
Quelles sont les marges de manœuvre dont vous disposez ? Après que les comptes de la sécurité sociale ont été ramenés à l’équilibre, vous vous êtes empressés de lui faire les poches, et elles sont désormais vides. Et ça, c’est de votre responsabilité ! Et ce n’est pas fini, si j’ai bien compris ! Aux 3 milliards d’euros non compensés du budget pour 2020 vont s’ajouter des manques à gagner bien plus considérables.
La réforme du système de retraite contient une modification des plafonds de cotisation, qui passeraient de 370 000 euros à 120 000 euros. Or les économies, en matière de versements de retraites, ne seront réelles qu’à partir de 2037. D’ici là, les nouveaux hauts salaires verront leurs cotisations diminuer considérablement, d’où une perte pour la sécurité sociale de l’ordre de 4 milliards à 5 milliards d’euros par an.
Pour les fonctionnaires, les cotisations patronales de l’État atteignent plus de 74 %. Elles tomberont à 16,8 %, mais les retraites, qu’elles soient versées par la sécu ou un nouvel organisme, devront être au moins égales à celles d’aujourd’hui. Qui financera le déficit lié à cette perte de recettes, et comment ?
En réalité, au-delà de vos bonnes intentions, dont je ne doute pas, vous n’avez pas un sou pour les financer. Tel est bien le fond du problème ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, c’est un vaste sujet que celui de la pédopsychiatrie, tant les publics et les types de prise en charge sont divers. Je ne prétends pas faire le tour de la question en six minutes ; je vais simplement évoquer quelques pistes de réflexion et de sortie de crise, fondées sur l’avis de professionnels que j’ai rencontrés, ainsi que sur mon expérience de médecin et d’élue régionale chargée de la santé.
Si l’état d’urgence a été décrété dans plusieurs secteurs de la santé, celui de la psychiatrie est directement concerné par les pénuries de personnels, de structures adaptées et de lits d’hospitalisation. Le ministère de la santé a d’ailleurs bien identifié ce problème, en faisant de la psychiatrie et de la santé mentale des priorités du plan Ma santé 2022.
Des plans territoriaux de santé mentale devront ainsi être mis en œuvre d’ici à l’été, fondés sur un diagnostic partagé pointant les insuffisances du territoire et les préconisations pour y remédier. Ces contrats, établis entre les partenaires et l’ARS, permettront d’organiser la coordination territoriale en matière de prévention, de soins et d’accompagnement social. J’ai la chance de connaître un peu ce sujet, grâce à l’engagement de la région Grand Est, qui promeut notamment en Meurthe-et-Moselle de nouveaux dispositifs pluriprofessionnels innovants, dont la télémédecine, le repérage précoce et une plateforme dédiée pour mieux informer patients et professionnels.
Le repérage précoce est particulièrement pertinent dans le cas de la pédopsychiatrie, car certains troubles apparaissent très tôt. On le sait, plus la prise en charge est rapide, plus on limite les souffrances de l’enfant et de la famille, souvent confrontée à un véritable parcours du combattant. Malheureusement, pour que ce dépistage précoce s’effectue, nous avons besoin de professionnels formés.
La pédopsychiatrie est une spécialité à part entière. En l’absence de pédopsychiatres en nombre suffisant, la prise en charge des enfants se fait trop souvent tardivement et par des psychiatres pour adultes. Chez les paramédicaux, la problématique est la même, puisque, depuis 2010, s’est amorcé le départ à la retraite de nombreux professionnels expérimentés, qui se chargeaient jusqu’ici de la formation des plus jeunes à travers le compagnonnage.
Combiné à une formation trop centrée sur la médicalisation, chez l’adulte comme chez l’enfant, ce manque de personnel entraîne une surmédication caractérisée d’inquiétante par de nombreux professionnels que j’ai rencontrés.
Au-delà de cette inadéquation entre l’offre en professionnels formés et les besoins des enfants, on peut également s’interroger sur la pertinence de considérer les jeunes, dès 16 ans, comme des adultes, et donc de leur faire quitter le giron de la pédopsychiatrie. Les problématiques spécifiques des adolescents nécessitent des prises en charge spécifiques, bien différentes de la psychiatrie pour adultes. Voilà une question sur laquelle il est sans doute nécessaire de se pencher, monsieur le secrétaire d’État, puisque le Gouvernement semble enclin à faire bouger les lignes.
La marche est haute, car les pénuries sont nombreuses. La jeunesse de France souffre, à l’instar d’autres pays, et de plus en plus d’enfants présentent des troubles psychologiques, voire psychiatriques liés à la décompensation d’un trouble préexistant, à la prise de produits de type stupéfiant, alcool ou médicament, à un mal-être lié à une instabilité sociale, à la précarité ou encore à un milieu familial dysfonctionnant.
Cette situation se traduit par une augmentation du nombre de tentatives de suicide et d’admissions dans les services d’urgences. Lorsque des jeunes admis en état de crise ne peuvent être hospitalisés dans un service adapté faute de places, ils sont admis en pédiatrie, cohabitent avec des enfants présentant des pathologies somatiques et sont pris en charge par un personnel qui n’est pas formé pour.
L’offre de soins en ambulatoire souffre également, puisque les délais d’attente se sont allongés ces dernières années, avec les effets délétères que l’on connaît.
Enfin, s’agissant des instituts et centres d’accueil spécialisés, le constat est le même : le manque de places d’hospitalisation se répercute sur ces professionnels, les contraignant de maintenir dans leur structure des jeunes en crise, générant des situations complexes et quelquefois dangereuses.
Tout cela, vous le savez aussi bien que moi, c’est le résultat de quarante ans de promotion de la « psychiatrie hors les murs ». Si la lutte contre l’approche asilaire a eu un impact positif majeur sur la prise en charge des patients, elle a justifié la fermeture de trop nombreuses unités d’hospitalisation et a entraîné une perte d’attractivité de ces métiers, que nous payons aujourd’hui.
Chaque jeune doit pouvoir trouver une réponse adaptée à sa situation, qu’il puisse être suivi en ambulatoire ou qu’il ait besoin d’une hospitalisation d’urgence, qu’il puisse aller à l’école ou qu’il ait besoin d’une structure adaptée.
Ce constat étant posé, des solutions existent. Au-delà de l’augmentation de l’offre en hospitalisation, je voudrais tout d’abord parler de la prévention, en mettant l’accent sur les débuts de la parentalité, sur la sensibilisation aux effets de l’addiction – je pense aux psychotropes, mais aussi aux écrans –, sur le repérage du décrochage scolaire et du harcèlement…
Je veux ensuite évoquer la télémédecine, qui, dans le cas de la psychiatrie, apporte une réponse adaptée à certains besoins, notamment des personnes ayant des difficultés à sortir de chez elles ou trop éloignées d’un professionnel. Une enveloppe de 10 millions d’euros a été mise sur la table par le ministère pour développer le fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie, qui financera des projets innovants, dont la télémédecine.
Lors de l’examen de la loi Santé, l’été dernier, j’ai émis le souhait que chaque hôpital de proximité dispose d’un plateau de télésanté. En attendant que ce déploiement s’effectue, il est nécessaire que l’administration accueille plus favorablement les initiatives multiples qui fleurissent et apporte un début de réponse à la crise.
Sur ces deux points, le Gouvernement semble avoir pris la mesure des enjeux, en soutenant notamment l’action des collectivités au plus près du terrain. Gageons, comme toujours, que les actes rejoindront les paroles et que toutes les parties prenantes joueront le jeu, afin que la santé de nos jeunes s’améliore. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et Les Indépendants. – Mmes Élisabeth Doineau et Victoire Jasmin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’enfant et l’adolescent sont des êtres en devenir. L’un de leurs premiers droits est celui d’être en bonne santé. Il s’agit d’un défi de premier plan, et nous devons, avec l’ensemble des acteurs, tout mettre en œuvre pour parvenir à cet objectif.
Si, depuis le début des années 2000, la santé physique des enfants s’est considérablement améliorée, le bilan est nettement plus contrasté en ce qui concerne les troubles mentaux. Anxiété, dépression et troubles du comportement sont désormais en tête du podium des maladies qui touchent les jeunes.
L’état de la pédopsychiatrie en France est plus que préoccupant, et de nombreux spécialistes nous alertent depuis des années, notamment sur les délais de prise en charge des enfants. Ainsi, le professeur Maurice Corcos, pédopsychiatre à l’Institut mutualiste Montsouris à Paris, rappelle que, dans certaines régions, les délais d’attente pour une prise en charge peuvent atteindre de six mois à un an.
Nous constatons une offre de soins en nette diminution, due notamment au manque de professionnels qualifiés pour répondre à la demande.
Nous ne pouvons accepter que, par manque de lits, des enfants qui se présentent aux urgences après une tentative de suicide ou en cas de crise d’anxiété ou d’agitation aigüe ne puissent être pris en charge immédiatement.
En 2017, le rapport d’information de notre collègue Michel Amiel pointait une réalité face à laquelle nous devons réagir. Entre 1991 et 2003, le nombre de mineurs jusqu’à l’âge de 15 ans vus au moins une fois dans l’année par les intersecteurs de pédopsychiatrie a connu une hausse de plus de 80 %. Ce rapport notait également que, sur une centaine de postes de professeurs de psychiatrie dans les universités, seule une trentaine était spécialisée en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Il est donc particulièrement difficile pour les étudiants de se former. En dix ans, le nombre de pédopsychiatres recensés par l’Ordre des médecins a ainsi été divisé de moitié.
Face à ce constat désolant, le Gouvernement, par la voix de la ministre Agnès Buzyn, a annoncé aux professionnels du secteur que la psychiatrie et la santé mentale allaient disposer de moyens supplémentaires : 40 millions d’euros de plus sont ainsi promis pour « sauver la psychiatrie ». Ils financeront la mise en œuvre des mesures dévoilées fin juin par le Gouvernement, notamment en ce qui concerne le développement de la pédopsychiatrie, avec la formation de davantage de professionnels. Ainsi, en deux ans, ce sont vingt postes de chef de clinique en pédopsychiatrie qui ont été créés.
Dans la stratégie nationale que vous avez présentée, monsieur le secrétaire d’État, 20 millions d’euros sont alloués à la pédopsychiatrie dans le cadre du plan pour la santé mentale. Nous nous en réjouissons, même si l’ampleur des dégâts nous oblige à faire davantage et à aller plus loin.
Nous devons également entendre les propositions des différents acteurs, notamment celles du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), qui, chaque année, formule des propositions intéressantes en la matière.
Je pense notamment à la mise en œuvre d’un parcours de soins pédiatrique et pédopsychiatrique spécialisé pour les enfants et adolescents maltraités ou négligés, qu’ils soient dans leur famille ou accueillis par l’aide sociale à l’enfance. Le CNPE pointe également la nécessité que ce parcours soit porté par des professionnels de santé publics et privés formés.
La création d’un panier de soins pour les enfants victimes de violence pour une prise en charge totale des dépenses de soins somatiques et psychiques, médicaux et paramédicaux, en particulier ceux qui sont pratiqués par les psychologues et les psychomotriciens, serait aussi une réponse satisfaisante pour améliorer la prise en charge des enfants.
Mieux former les professionnels de santé, mieux repérer les troubles dès le plus jeune âge, en liaison notamment avec l’éducation nationale, garantir une offre de soins solide sur l’ensemble du territoire : tels sont les enjeux auxquels nous devons faire face aujourd’hui. Les récentes annonces du Gouvernement permettent d’y répondre en partie.
D’ailleurs, vous présenterez prochainement, monsieur le secrétaire d’État, les conclusions de la commission sur les « 1 000 premiers jours », présidée par le pédopsychiatre Boris Cyrulnik. Nous le savons, cette période comprise entre le quatrième mois de grossesse et l’âge de 2 ans est cruciale pour le développement de l’enfant. C’est pourquoi nous attendons beaucoup des conclusions de cette commission, qui, je l’espère, permettront un meilleur repérage et une meilleure prise en charge des enfants.
Enfin, l’intervention de pédopsychiatres dans les services de protection de l’enfance est une exigence, tant les enfants qui y sont accueillis constituent un public fragile sur le plan psychologique et psychiatrique.
C’est à la fois la responsabilité des départements de garantir une protection et un accompagnement de ces enfants, mais aussi à l’État de mieux former les professionnels.
Mes chers collègues, les défis sont nombreux. Je nous invite à travailler ensemble, avec les professionnels de santé, le tissu associatif et les acteurs locaux, dans l’intérêt supérieur des enfants. Ils sont à la fois l’avenir de notre pays et les graines de l’avenir. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, UC et Les Indépendants. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pédopsychiatrie française va mal. Cet état de fait, largement partagé par les professionnels du secteur et constaté par les nombreux rapports qui y ont été consacrés, appelle une réponse forte et urgente de la part des pouvoirs publics. De longs délais avant d’accéder à une prise en charge, des soignants en nombre insuffisant, des patients déjà fragiles qui se sentent abandonnés et des familles laissées sans solution face à ces difficultés.
La prévention en santé est essentielle. Elle permet à la fois d’informer et de sensibiliser aux troubles et aux affections, en favorisant les diagnostics précoces, qui, cela a été maintes fois prouvé, permettent une prise en charge plus efficace du patient. C’est le cas notamment pour les troubles autistiques. Or la prévention est un objectif souvent évoqué, mais qui reste dépourvu des moyens financiers et humains à la mesure des besoins que nous constatons sur l’ensemble du territoire.
Prenons l’exemple de la prévention prénatale : 12,5 % des femmes enceintes ont déclaré une détresse psychologique anténatale et seulement 42 % d’entre elles ont bénéficié d’une consultation avec un professionnel spécialisé en psychiatrie. Or ces difficultés peuvent entraîner des conséquences sur le développement de l’enfant, si elles sont à l’origine d’un trouble de l’attachement, par exemple. Le dépistage, l’accompagnement et la prise en charge incluant un accompagnement au rôle parental paraissent alors essentiels pour infléchir les conséquences à court, moyen et long terme pour les mères et leur enfant.
Pourtant, les services de la protection maternelle et infantile (PMI) dans les maternités, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des futures mères, ont été fermés – c’est le cas dans mon département. C’est un relais de moins pour prévenir et dépister les détresses psychologiques prénatales.
Les familles sont souvent dépourvues de ressources face aux troubles de comportement que présente leur enfant. C’est auprès du médecin généraliste qu’elles vont alors chercher des réponses, dans la proximité. Le médecin les oriente vers les centres médico-psychologiques (CMP) et les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), qui assurent une prise en charge pluridisciplinaire de qualité et couverte financièrement par l’assurance maladie et qui constituent les pièces maîtresses de la sectorisation.
Les CMP accueillent également les mineurs relevant des services de la protection de l’enfance – en France, ils sont près de 300 000. Parce qu’ils ont subi des maltraitances et/ou des négligences, ces mineurs présentent deux à trois fois plus de risques de souffrir de troubles psychiques que la population générale.
Or, alors que les demandes explosent, ces structures d’accueil voient, elles aussi, leurs moyens réduits comme peau de chagrin et elles subissent des regroupements qui non seulement les éloignent de leurs patients, mais risquent aussi de provoquer des ruptures de soins. La réduction de leurs moyens a un impact sur la qualité des soins et la longueur des délais d’attente fait subir une perte de sens à la démarche, voire une moindre adhésion au dispositif thérapeutique.
Par ailleurs, comme l’a souligné ma collègue Laurence Cohen, le fonctionnement de ces structures se voit de plus en plus menacé par la pénurie de professionnels. En effet, les métiers clés – pédopsychiatres, orthophonistes, psychomotriciens – sont de plus en plus en tension, et ce pour des raisons multiples. En 2016, on comptait en moyenne en France 4 professionnels pour 100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans ; 14 départements ne comptaient aucun pédopsychiatre et l’âge moyen de ces professionnels était de 62 ans. Il est nécessaire de renforcer l’attractivité de ces centres, en réajustant la grille de salaire, peu attractive pour les professionnels de santé.
Quant au rôle de la médecine scolaire dans le dépistage et la prévention des troubles pédopsychiatriques, j’aimerais rappeler que, dans le Nord, l’inspection académique faisait état, en 2018, de 40 postes de médecins scolaires vacants sur un total de 80.
Le manque de pédopsychiatres est lourd de conséquences, tant dans la pratique médicale que dans l’enseignement et la recherche. Si les postes vacants dans les services de pédopsychiatrie sont parfois occupés par des psychiatres pour adultes qui n’ont pas la formation adéquate, la situation est toutefois très problématique en ce qui concerne l’enseignement et la recherche, qui s’en trouvent fortement affaiblis.
Les professionnels de santé s’interrogent sur l’avenir et la pérennité de leur discipline : comment intéresser les étudiants en médecine à une spécialité qu’ils n’étudieront que peu lors de leur cursus général ? Comment faire évoluer les traitements et les prises en charge, alors que les crédits pour la recherche sont en berne ?
Il faut pérenniser les moyens des structures d’accueil, renforcer une politique de santé mentale infantile fondée sur la prévention et le soin. Pour cela, monsieur le secrétaire d’État, il faut arrêter les restrictions budgétaires et débloquer les moyens financiers et humains qui s’imposent. L’urgence est donc de passer du constat aux actes et des paroles aux décisions !
J’espère que ce débat, dont mon groupe est à l’initiative, contribuera à ce que votre gouvernement prenne enfin la mesure de la gravité de la situation de la pédopsychiatrie et mette en place un véritable plan de sauvetage de ce secteur. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant toute chose, j’aimerais remercier le groupe CRCE d’attirer l’attention du Sénat et du Gouvernement sur la question de la pédopsychiatrie en France.
Nous devons être attentifs aux difficultés d’accès aux soins pour les enfants et les adolescents atteints de troubles psychiatriques. La pédopsychiatrie souffre du numerus clausus, trop bas, mais aussi d’une crise des vocations, comme en témoignent les nombreux postes vacants. Et ce sont les patients vivants dans les territoires ruraux qui sont les plus pénalisés.
Ce débat est l’occasion de soulever un problème de santé publique majeur, que notre groupe a déjà évoqué lors de l’examen de l’article 25 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 sur la réforme de la psychiatrie. Le Gouvernement souhaite réformer et renforcer la psychiatrie dès 2020, ce que nous saluons ; nous devons agir ensemble, parlementaires et Gouvernement, pour trouver des réponses d’urgence comme de long terme à ce secteur en difficulté.
Un million de jeunes sont confrontés, chaque année, à des problèmes de santé mentale. Nous le savons, dans ce domaine, plus la prise en charge est précoce, c’est-à-dire dans les cinq premières années de développement de la maladie, plus les chances de guérison sans séquelles sont élevées.
Or, faute de pédopsychiatres disponibles, les délais de prise en charge sont de plus en plus longs. Dans de nombreux départements, les services n’ont plus les moyens d’assurer leurs missions, il est très souvent impossible d’avoir une consultation ou même, pour un médecin généraliste, un avis téléphonique en urgence.
Une situation de souffrance psychique prolongée peut favoriser l’apparition de pathologies psychiatriques, durables si elles ne sont pas surveillées et prises en charge. Nous savons également que certains troubles rencontrés au cours des premiers âges de la vie peuvent réémerger au moment de l’adolescence ou lors de périodes de rupture. Nous devons répondre à toutes les situations, tout en étant réactifs dans la prise en charge des cas urgents.
La société évolue rapidement et nous observons l’apparition de nouveaux besoins en réponse à ces évolutions. Nous le constatons en milieu scolaire, avec des problèmes récurrents de phobie, d’addiction, de trouble de l’apprentissage et de harcèlement, problèmes qui sont accentués par l’essor des réseaux sociaux. Nous avons soulevé ce problème lors de l’examen de la proposition de loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet. Chaque année, 700 000 élèves en sont victimes dans le cadre scolaire et un grand nombre de pathologies se développe du fait de l’insuffisance de réaction de la part des adultes et des pouvoirs publics. « Je suis responsable de ce qui arrive à autrui », écrivait Emmanuel Levinas ; nous devons sûrement nous inspirer davantage de cette phrase.
Les attentes sont très fortes en matière d’efficacité de la prise en charge. Nous devons tout faire pour protéger et soigner les plus jeunes afin de préserver leur développement et leur intégration ultérieure dans la vie active. Selon l’OMS (Organisation mondiale de la santé), 50 % des maladies psychiatriques de l’adulte apparaissent avant 16 ans.
Aussi, la première priorité est la nécessité d’intervenir au stade le plus précoce, lorsque les chances de rémission et la réponse aux traitements sont les meilleures.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, qui prévoit un examen systématiquement des enfants lors de leur entrée en centre départemental de l’enfance, va dans le bon sens, notamment pour les mineurs non accompagnés (MNA). Il s’agit aussi d’éviter les complications liées à l’absence de traitement qui influencent à long terme le parcours de l’enfant. Soigner le plus tôt possible, c’est aussi prévenir les risques d’isolement, de décrochage scolaire et d’addiction.
La deuxième priorité, c’est la continuité des soins, souvent absente faute de moyens et de liens, pourtant indispensables, entre la pédopsychiatrie et le médico-social. Dans les familles d’accueil et surtout dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS), où se retrouvent les enfants après le centre départemental de l’enfance, le personnel doit avoir rapidement accès aux pédopsychiatres, car un enfant avec des troubles du comportement ou violent peut déstabiliser un établissement et user complètement l’équipe éducative.
Pour répondre à ces besoins, nous devons développer des équipes mobiles de psychiatrie et de pédopsychiatrie, en particulier en zone rurale. La télémédecine pourrait dans ce cas jouer un rôle important, notamment dans les maisons de l’enfance.
Ces équipes mobiles pluridisciplinaires gérées par l’agence régionale de santé (ARS) comporteraient à la fois des infirmiers, des psychologues et des pédopsychiatres. Elles apporteraient un renfort ponctuel à l’équipe en place au sein du lieu de prise en charge du mineur. Ces équipes se déplaceraient également au domicile pour faciliter l’accès aux soins. Leur intervention paraît pertinente durant les périodes de crise pour être une alternative à l’hospitalisation, assurer une continuité des soins après stabilisation de l’état du patient et faciliter son retour dans la structure médico-sociale ou au sein de sa famille.
Monsieur le secrétaire d’État, je suis convaincu que les équipes mobiles de pédopsychiatrie contribueraient à améliorer considérablement la prise en charge des patients et le bon fonctionnement des établissements, centres départementaux de l’enfance ou maisons de l’enfance à caractère social. Avez-vous, dans le cadre du projet de rénovation et de développement de la psychiatrie, la volonté de mettre en place ces dispositifs, notamment en milieu rural ? Souhaitez-vous les généraliser ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et RDSE, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Sylviane Noël. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sylviane Noël. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, postes vacants, personnels en sous-effectif permanent, crédits en berne… Des mots durs qui font directement écho à la crise historique que vit la pédopsychiatrie depuis une dizaine d’années dans notre pays. Pourtant, il n’y a jamais eu autant de demandes de soins en raison d’une grande précocité des troubles, mais aussi du climat socio-environnemental.
En 2018, ce sont 700 000 enfants et adolescents qui ont été pris en charge par les centres de soins spécialisés dédiés à la pédopsychiatrie. L’activité des centres a ainsi augmenté de 60 % entre 1996 et 2006, et de 16 % entre 2006 et 2017. Le nombre de patients suivis est en hausse de 14 %.
Parallèlement, le fonctionnement de ces structures se voit de plus en plus menacé par une pénurie de professionnels : près de 16 % des postes de pédopsychiatres sont vacants. Pour cause, être aujourd’hui praticien hospitalier en pédopsychiatrie, c’est être constamment accablé de travail et isolé, et ne pas être rémunéré à la hauteur de son engagement.
En 2016, la densité de pédopsychiatres était de 4 praticiens pour 100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans, faisant de la France le pays européen le plus pauvre en ce domaine.
Pour illustrer mon propos, je vous parlerai de la situation de mon département, la Haute-Savoie, où le secteur ne déroge malheureusement pas à la règle du sous-effectif et où le problème se révèle encore plus aigu qu’ailleurs. En effet, les directeurs des établissements hauts-savoyards connaissent d’autant plus de difficultés de recrutement que le coût de la vie est élevé sur notre territoire et que la concurrence avec la Suisse voisine, où les salaires sont multipliés par deux, voire trois, est forte. Le dynamisme de la progression démographique du département aggrave encore cette situation.
La saturation des structures atteint aujourd’hui un niveau critique : les patients doivent désormais attendre plusieurs jours, voire plusieurs mois, avant d’être accueillis ou transférés dans d’autres services.
Cela peut avoir des conséquences dramatiques. J’ai, à cet instant, une pensée émue pour un jeune Haut-Savoyard décédé récemment lors d’un accident de montagne en pleine crise de schizophrénie, alors que ses appels à l’aide étaient restés lettre morte faute de place disponible auprès de psychiatres de ville débordés et de centres médico-psychologiques parfois purement et simplement dépourvus de psychiatres.
Par manque de places dans ces établissements, les patients sont le plus souvent placés en pédiatrie, côtoyant ainsi d’autres malades n’ayant pas de pathologie psychiatrique et mobilisant du personnel soignant déjà bien occupé et pas forcément formé pour une prise en charge adéquate de ces cas lourds.
Face à une hausse continue de l’activité du service, les horaires des soignants sont constamment allongés ; un tiers d’entre eux a un salaire inférieur à la moyenne régionale. Découragés, ils finissent par quitter la discipline, brisant ainsi à contrecœur la chaîne des soins, laissant les malades et les familles démunis.
Les financements ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées par l’État : en Haute-Savoie, le montant de la dotation annuelle de fonctionnement des établissements publics est inférieur à la moyenne régionale. Lorsque le montant moyen de cette dotation est de 132 euros par habitant en Auvergne-Rhône-Alpes, il est de 81 euros dans mon département et il tombe même à 66 euros aux abords du Léman.
Face à tous ces griefs, le Président de la République a récemment affiché son ambition de redonner une perspective à la pédopsychiatrie en France. En Haute-Savoie, comme partout dans l’Hexagone, nous avons besoin de savoir quelles mesures concrètes le Gouvernement compte mettre en place pour renforcer les pôles pédopsychiatriques. Quels moyens financiers pourront leur être accordés dans les années à venir, eu égard notamment à leur spécificité frontalière ? L’enjeu est de taille et mérite toute notre attention. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)
M. Michel Raison. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention est nourrie par ma mission d’administrateur de l’association hospitalière de Bourgogne-Franche-Comté, qui représente 2 000 salariés, mais aussi, et surtout, par les constats tirés de mes contacts avec les soignants des services de pédopsychiatrie confrontés à des cas concrets.
Je leur ai communiqué les conclusions du rapport de nos collègues Alain Milon et Michel Amiel présenté au début de 2017. Ce retour sur nos travaux passés s’est révélé à la fois satisfaisant et préoccupant.
Satisfaisant, tout d’abord, parce que le diagnostic était fidèle à la dure réalité vécue par les services de pédopsychiatrie. De l’avis des personnels, la grande majorité des 52 propositions est utile et pertinente pour engager des actions sérieuses permettant de sauver cette discipline, mais ces propositions ont-elles été entendues et appliquées ? C’est là que le bât blesse ! Et c’est là que la situation est préoccupante.
Nous manquons de pédopsychiatres un peu partout sur le territoire national. Dans certaines facultés de médecine, il n’y a même plus de professeurs dans cette spécialité. Ces derniers représentent 0,73 % de l’ensemble des professeurs de médecine. On continue de mal diagnostiquer les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. L’offre de soins et de prise en charge est insuffisante ou inadaptée par manque de moyens et de cohérence dans la politique menée.
Sans « sur-psychiatriser », le repérage et la détection sont pourtant indispensables pour réduire, voire faire disparaître, les troubles des enfants qui doivent être pris en charge, comme dans les autres pathologies, suffisamment tôt. Cette absence de prise en charge précoce en pédopsychiatrie ou en psychologie est une perte de chance. Il ne faut toutefois pas confondre les difficultés psychologiques avec les pathologies psychiatriques.
Je veux tirer un signal d’alarme sur la nécessité d’assurer un repérage des plus précoce chez l’enfant. Les spécialistes rencontrent trop de jeunes adultes en soins sans consentement ; c’est tout simplement un marqueur des échecs antérieurs.
On continue également avec des entrées dans le parcours de soins qui, trop souvent, relèvent plus du hasard que de la cohérence. Il s’agit là d’associer étroitement l’ensemble des intervenants. Je pense évidemment à la famille que l’on ne doit pas négliger, à l’éducation nationale et son service santé, aux centres médico-psycho-pédagogiques et à la protection judiciaire de la jeunesse. L’objectif est d’œuvrer dans un ensemble multidisciplinaire à la gestion individuelle de cas particuliers.
Si ces volontés communes existent souvent, elles se heurtent, monsieur le secrétaire d’État, au manque de moyens humains et financiers.
En Bourgogne-Franche-Comté, l’urgence dure depuis trente ans. Les listes d’attente s’allongent de jour en jour, semaine après semaine, et les services n’ont plus les moyens d’assurer leurs missions, faute de places ou de lits disponibles pour répondre aux demandes d’hospitalisation des familles, des écoles ou de l’aide sociale à l’enfance.
On continue aussi de délaisser la recherche en psychiatrie des mineurs. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, le Gouvernement a baissé les dotations des associations de médecins psychiatres, dont le travail est pourtant essentiel en matière d’études épidémiologiques, d’évaluation des stratégies non médicamenteuses et de neuroscience.
De l’avis des professionnels eux-mêmes, la pédopsychiatrie et plus généralement la psychiatrie ont besoin d’une réflexion globale et d’une loi portant sur son fonctionnement, son financement et la formation des psychiatres et des pédopsychiatres. C’est le moment, monsieur le secrétaire d’État, de laisser votre nom à une loi… (Sourires.)
Le chantier est immense, mais des propositions ont été formulées par le Sénat il y a deux ans. Monsieur le secrétaire d’État, travaillez ces propositions. Faites confiance au Sénat pour mieux répondre au cri d’alarme poussé par les personnels soignants en pédopsychiatrie, qui sont complètement à bout de souffle ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et Les Indépendants. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, permettez-moi de commencer mon propos en remerciant le groupe CRCE et Mme Cohen d’avoir bien voulu porter ce débat dans l’hémicycle sur la situation de la pédopsychiatrie en France. Je pense que nous partageons une partie des constats et j’aurai l’occasion d’y revenir.
Permettez-moi de commencer à mon tour par une citation : « La santé est un bien qu’il faut conquérir et conserver. Le bien-être n’est ni le confort ni le contraire de l’effort. Bien-être, c’est être bien. C’est un droit et un devoir, envers soi et envers les autres. »
Ces quelques mots, particulièrement justes et pertinents, figuraient en introduction du rapport que la professeure Marie-Rose Moro et l’inspecteur d’académie Jean-Louis Brison, missionnés par le gouvernement de l’époque, ont rendu fin 2016 sur le bien-être et la santé des jeunes après un important travail de réflexion et d’échanges avec l’ensemble des acteurs. Ils soulignaient ainsi la nécessité de faire de la santé mentale des enfants et des jeunes une priorité de l’action publique.
Vous avez été nombreux à le dire, les rapports de ces dernières années sur la psychiatrie des mineurs, particulièrement le travail de la mission sénatoriale de 2017 présidée par Alain Milon et dont le rapporteur était Michel Amiel, ont souligné la situation de grande fragilité de la pédopsychiatrie en France, marquée par une forte augmentation de la demande et une saturation des dispositifs de soins dans un contexte de démographie médicale préoccupante.
Comme cela a été souligné, notamment par Mme Cohen, certains départements sont dépourvus d’offre d’hospitalisation en pédopsychiatrie, tandis que dans d’autres territoires cette offre apparaît comme très insuffisante au regard des besoins observés.
Conscient de ces enjeux, le Gouvernement a lui-même engagé ces deux dernières années un travail d’analyse plus spécifique sur certains sujets pour améliorer le parcours de soins en santé mentale dans le respect des droits des enfants et de leurs familles. Je pense notamment aux missions conduites par l’inspection générale des affaires sociales sur les centres médico-psychologiques (CMP), les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) et les centres d’action médico-sociale précoce.
En tant que secrétaire d’État auprès de la ministre Agnès Buzyn chargé plus spécifiquement de l’enfance, je me suis attelé, dès ma nomination et dans le prolongement des décisions prises par la ministre des solidarités et de la santé, à répondre aux attentes et aux besoins que vous avez été nombreux à rappeler. Et je dois vous avouer que, depuis un an, pas un déplacement dans les territoires, pas un rendez-vous avec une association ou des professionnels ne s’est conclu sans une interpellation sur la situation de la pédopsychiatrie dans notre pays.
S’agissant plus particulièrement de la protection de l’enfance, que vous avez été nombreux à évoquer, certaines études ont montré que 32 % des enfants qui relèvent de l’aide sociale à l’enfance ont des troubles psychiatriques, contre 2,6 % dans la population en général, que 26 % de ces enfants ont un père qui souffre d’addiction et que 16 % ont une mère qui est dans ce cas, quel que soit le type de l’addiction.
J’ai évidemment un regard particulièrement attentif sur la santé mentale de nos enfants protégés.
Plus globalement, la santé mentale de la population fait l’objet d’une attention toute particulière de la part du ministère des solidarités et de la santé.
Je me permets de rappeler à mon tour qu’un délégué ministériel, le professeur Frank Bellivier, a été nommé au printemps 2019 ; avec son équipe et les services compétents du ministère, il s’attache à travailler avec l’ensemble des acteurs du secteur et à aller à leur rencontre dans chaque région et chaque territoire de métropole et d’outre-mer. Vous pouvez compter sur son engagement pour apporter des solutions très concrètes et très opérationnelles, comme le montre notamment son parcours, aux enjeux qui ont été évoqués.
Madame Cohen, les moyens financiers exceptionnels pour renforcer l’offre de soins en santé mentale des enfants qui ont été alloués en fin d’année 2019 ne se limitent pas à quelques millions d’euros. Cette allocation fait suite à un appel à projets doté de 20 millions sur une enveloppe totale de 100 millions dédiés à la feuille de route Santé mentale et psychiatrie. Cet appel à projets a été lancé en juillet 2019 afin de renforcer les ressources de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, notamment dans les départements non pourvus ou sous-dotés au regard des besoins de la population.
Il était demandé aux agences régionales de santé de faire remonter des projets concrets et rapidement opérationnels de création ou de renforcement de l’offre de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent sur les territoires, de la périnatalité à la transition vers la psychiatrie adulte.
Les nombreux projets remontés à la fin du mois de décembre, sauf erreur de ma part, ont fait l’objet d’une analyse par un comité d’experts de la discipline et 35 projets ont d’ores et déjà été retenus, témoignant du succès de l’appel à projets et de la forte mobilisation des acteurs de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent dans les territoires.
Ces projets vont venir renforcer l’offre de pédopsychiatrie dans des territoires en grande difficulté, là aussi dès la périnatalité jusqu’à la fin de l’adolescence et la transition vers l’âge adulte. Ils portent sur la création de lits d’hospitalisation dans les départements qui en sont dépourvus, de places de crise ou post-crise, d’évaluation et de prise en charge des situations urgentes, ainsi que de places d’hospitalisation de jour et de nuit.
Le renforcement de l’offre ambulatoire est largement mis en avant au travers du renforcement des CMP et du développement d’équipes mobiles. Ainsi, l’appel à projets renforce, de manière structurante, l’offre en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, notamment, pour être encore plus précis, dans des départements très en difficulté, comme les Alpes-de-Haute-Provence, la Corrèze, la Creuse, les Côtes-d’Armor, l’Eure ou encore l’Indre. Non, monsieur Chasseing, les départements ruraux ne sont évidemment pas oubliés ; bien au contraire !
Pour parler encore de la Corrèze, sachez qu’un projet a été retenu, fondé sur trois centres hospitaliers, avec le développement de quatre typologies d’offres, dont une équipe pluridisciplinaire mobile interdépartementale. C’est donc un projet très concret.
La pédopsychiatrie et la périnatalité ont également constitué l’une des thématiques retenues pour 2019 dans le cadre du fonds d’innovation organisationnelle en psychiatrie, doté de 10 millions d’euros. Comme vous le savez probablement, ce fonds est destiné à valoriser de nouvelles pratiques organisationnelles. Il a fait l’objet d’un appel à projets national relayé, là aussi, au niveau régional par chaque ARS. Sur les 42 projets retenus, sachez que 19 ciblent plus spécifiquement le repérage et la prise en charge précoce de l’enfant et de l’adolescent – je rejoins évidemment ceux d’entre vous qui ont estimé que cette dimension était absolument fondamentale – et la psychiatrie périnatale.
Soyez convaincus qu’Agnès Buzyn et moi-même serons extrêmement attentifs à la concrétisation effective, cette année, de cette importante offre supplémentaire. Nous veillerons à poursuivre et à renforcer ces réponses et à soutenir de nouveaux projets. Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il en ira de même de votre côté.
La feuille de route Santé mentale et psychiatrie prévoit également de renforcer l’attractivité de la pédopsychiatrie en ville et à l’hôpital. C’est un aspect que nombre d’entre vous ont également évoqué. Ainsi que M. Iacovelli et Mme Doineau l’ont rappelé, 20 postes de chefs de clinique-assistants hospitaliers ont été créés en deux ans, avec un recrutement reposant, là aussi, sur un appel à projets conjoint entre le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et le ministère des solidarités et de la santé. L’objectif, madame Cohen, est que chaque faculté de médecine soit couverte, à terme, par au moins un poste de professeur des universités-praticien hospitalier (PU-PH) de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
Le délégué ministériel Frank Bellivier travaille par ailleurs avec les acteurs à la refonte des autorisations et du modèle de financement de la psychiatrie, pour fluidifier les organisations et harmoniser au niveau national l’accompagnement de nos concitoyens. Cette tâche n’est pas encore achevée – je suis sûr que vous en mesurez l’ampleur.
J’insiste sur ces dimensions, car nous ne devons pas oublier – je sais que vous ne le faites pas – l’ensemble des professionnels qui accompagnent chaque jour les enfants et leurs parents, avec un engagement de chaque instant. Pour répondre directement à la question de Mme Doineau, les textes relatifs aux infirmiers en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale ont été publiés en août 2019. Les premiers étudiants infirmiers concernés ont d’ailleurs débuté leur formation à la dernière rentrée universitaire.
Par ailleurs, toutes les actions menées que je suis en train de détailler s’articulent directement au sein de la feuille de route globale du ministère et du secrétariat d’État chargé de la protection de l’enfance.
La Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, que j’ai présentée le 14 octobre 2019, inclut ainsi un volet important, en prévention – j’insiste sur ce terme et sur cette volonté d’intervenir le plus tôt possible, que je vous sais chère, mesdames, messieurs les sénateurs, notamment à vous, monsieur Tourenne – et en protection, sur la santé des enfants protégés.
Au titre de l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous expérimentons, depuis l’année dernière, un parcours de soins coordonnés des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance dans trois départements, la Loire-Atlantique, les Pyrénées-Atlantiques et la Haute-Vienne. Cette expérimentation va être étendue dès cette année, pour concerner dix territoires au total. Mon ambition, si elle se révèle concluante, est de pouvoir la généraliser le plus tôt possible.
Comme vous avez été plusieurs à le rappeler, nous avons par ailleurs inscrit dans la nouvelle loi de financement de la sécurité sociale, votée en décembre 2019, la création d’une consultation complexe – M. Chasseing y a fait référence – pour le bilan de santé des enfants confiés à leur entrée dans les dispositifs de protection de l’enfance.
En outre, Agnès Buzyn, Sophie Cluzel et moi-même renforcerons les réponses à destination des enfants dont les situations sont les plus complexes, ceux qui sont confrontés aux problématiques du handicap, du soin et de la protection de l’enfance, dans le cadre d’un partenariat renouvelé avec les départements. Je rappelle que ce sont non pas 15 %, mais plus de 25 % des enfants de l’aide sociale à l’enfance qui ont un dossier MDPH !
Vous le savez probablement mieux que moi, dans un pays qui aime bien fonctionner en silo, lorsque l’on se trouve au croisement de deux politiques publiques – en l’occurrence, le social et le médico-social –, on ne se trouve souvent nulle part.
C’est la raison pour laquelle nous avons pour ambition, dans le cadre de la Stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, de créer des dispositifs d’intervention adaptés aux problématiques croisées de protection de l’enfance et du handicap, tels que des équipes mobiles, des places mixtes en internat, de Sessad (services d’éducation spéciale et de soins à domicile) ou encore d’accueil de jour sociothérapeutique. D’ailleurs, la création de cette offre nouvelle, afin de prendre en charge convenablement les enfants concernés, est l’un des volets obligatoires de la contractualisation proposée aux départements, à côté d’un investissement sur les protections maternelle et infantile.
Sachez que, sur les 80 millions d’euros prévus globalement dans le cadre de la stratégie pour 2020 afin de travailler d’ores et déjà dans trente départements dans le cadre de ce partenariat avec les conseils départementaux, 15 millions d’euros ont d’ores et déjà été fléchés sur la création de dispositifs au niveau de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. C’est la première fois que cette ambition est aussi explicitement affirmée dans l’Ondam médico-social et c’est une première étape, car l’objectif, vous le savez, est de déployer les engagements de la Stratégie nationale sur l’ensemble du territoire d’ici à 2022.
J’ai insisté sur la notion de prévention. Je rebondirai sur vos remarques très pertinentes relatives au repérage précoce, en vous donnant quelques illustrations qui, me semble-t-il, répondent directement à vos interventions.
Ainsi que l’a notamment évoqué M. Iacovelli, le Président de la République nous a chargés, Agnès Buzyn et moi-même, de répondre à cet enjeu de société que constituent les 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant.
Ce sujet est probablement l’une des illustrations les plus emblématiques d’un changement d’approche que nous souhaitons dans les politiques publiques, axé sur une dimension plus préventive que curative, et dépasse, à mon sens, tout clivage politique. Comme vous le savez, le prix Nobel d’économie James Heckman a démontré que le retour sur investissement de la prévention augmentait de façon exponentielle quand on intervenait le plus tôt possible.
Une commission d’experts, présidée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, travaille depuis le mois de septembre dernier pour nous éclairer sur les fondamentaux scientifiques sur lesquels nous devons nous appuyer – le consensus scientifique nous semble important – et pour en dégager des recommandations de politiques publiques, que ce soit sur la nutrition, sur l’éveil de l’enfant, mais aussi sur le rôle des techniciens de l’intervention sociale et familiale (TISF), qu’a évoqués Mme Doineau. Ces travaux se réfèrent au rapport de Michèle Peyron sur les PMI et aux recommandations de Jacques Dayan. Ils s’intéressent aussi, madame Gréaume, à la question du dépistage prénatal.
Madame Cohen, vous avez, par ailleurs, rappelé l’importance du langage. Cet aspect fait également partie des réflexions. Vous avez fait référence aux orthophonistes et à leur rôle essentiel en matière de prévention. Nous partageons votre constat. Sachez que, sur ce sujet, nous avons lancé, avec la Caisse nationale d’assurance maladie et la Fédération nationale des orthophonistes, un partenariat de dépistage en petite section de maternelle sur trois bassins de vie pour la rentrée 2020, à titre expérimental.
Le repérage précoce est aussi au cœur de la Stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement pour les années 2018-2022 que porte Sophie Cluzel, avec laquelle je travaille étroitement, et que met en œuvre la déléguée interministérielle, Claire Compagnon. Vous avez évoqué ce sujet, monsieur Rapin. Vous connaissez peut-être l’engagement qui était le mien, en tant que parlementaire, et qui reste le mien sur la question des troubles du spectre de l’autisme.
Le déploiement de plateformes d’orientation et de diagnostic autisme au sein des troubles neuro-développementaux pour la mise en œuvre du parcours de bilan et d’intervention précoce est l’un des chantiers majeurs de cette stratégie. Comme l’a déjà indiqué Sophie Cluzel, en 2020, 3 millions d’euros de crédits complémentaires à ceux qui étaient initialement prévus dans le cadre de la stratégie seront alloués aux ARS afin de renforcer le déploiement de ces plateformes. L’objectif, madame Cohen, est de déployer une plateforme par département.
Je n’entrerai pas dans le débat sur la psychanalyse et l’autisme que vous avez tenté d’engager, même si je dois avouer que cela me démange. (Sourires.) Toutefois, je veux rappeler les recommandations de bonnes pratiques formulées en 2005 par la Haute Autorité de santé, selon laquelle il n’était pas possible « de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les approches psychanalytiques. »
Mme Laurence Cohen. Cette recommandation ne vaut pas que pour l’autisme !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Par ailleurs, vous m’avez demandé des chiffres concrets et un premier bilan des plateformes. Au 31 décembre 2019, ce sont 29 plateformes qui ont été ouvertes. La prévision est de 47 à la fin de l’année 2020, et la déléguée interministérielle Claire Compagnon nous indique que nous sommes très en avance sur le calendrier qui avait été initialement prévu.
S’agissant du nombre d’enfants et de forfaits concernés, nous ne disposons pas de chiffres à l’heure actuelle. De fait, ces chiffres devraient être disponibles au début du mois de février. Je vous citerai simplement l’exemple de l’Isère, dont la plateforme, ouverte à la mi-septembre, a d’ores et déjà permis la prise en charge de 70 situations – j’insiste sur le caractère parcellaire des données.
Enfin, je veux vous donner une autre illustration très concrète de cette dimension préventive : en application directe des recommandations du rapport Moro-Brison, nous mettons en œuvre, à titre expérimental, dans trois régions – Île-de-France, Grand Est et Pays de la Loire – et pour une durée de trois ans, le dispositif « Écout’Émoi », que vous connaissez peut-être, dont l’objectif est de permettre à des jeunes en souffrance psychique d’avoir un accès facilité et rapide à des consultations – 12 au maximum –, intégralement remboursées par l’assurance maladie, avec des psychologues libéraux.
Il s’agit d’éviter l’installation de troubles psychiques chez les jeunes n’ayant pas accès à un soutien psychologique, en leur proposant une prise en charge adaptée, facilitée et remboursée. Pleinement opérationnelle depuis le milieu de l’année 2019, cette expérimentation a permis à 300 jeunes de bénéficier de ce dispositif dans les trois régions concernées.
En outre, à la suite de l’annonce effectuée par le Président de la République en novembre 2017, relative à l’identification, à titre pilote, de dix dispositifs spécialisés dans la prise en charge globale du psychotraumatisme, concept cher à Muriel Salmona, un appel à projets national, doté d’un montant global de 4 millions d’euros, a été lancé en juin 2018 auprès des acteurs du psychotraumatisme. La lutte contre l’ensemble des violences faites aux enfants est une priorité absolue et a fait l’objet d’un nouveau plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants, que j’ai présenté le 20 novembre dernier, à l’occasion du trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant. J’ai alors annoncé la mise en place, au sein de ce plan, de 5 centres supplémentaires de prise en charge du psychotraumatisme, en complément des 10 centres existants, de manière à renforcer un peu plus encore le maillage du territoire national.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, plus globalement et pour conclure, j’espère vous avoir pleinement répondu sur la dynamique territoriale qui est à l’œuvre. Les projets territoriaux de santé mentale, portés par les agences régionales de santé, sont en cours de déploiement sur l’ensemble du territoire et seront tous effectifs d’ici à juillet 2020 – je veux en assurer Mmes Doineau et Guillotin.
Les parcours gradués et coordonnés de soins et de vie des enfants et adolescents souffrant de troubles psychiques sont élaborés et mis en œuvre dans ce cadre sur les territoires, en liaison avec l’ensemble des acteurs médico-sociaux et sociaux. Il est possible que, en votre qualité de parlementaires, vous ayez pris part à ces projets territoriaux de santé mentale. Pour ce qui me concerne, lorsque j’étais député, j’avais commencé à participer à celui qui était engagé dans mon département des Hauts-de-Seine : j’ai pu voir à quel point les dynamiques à l’œuvre avec l’ensemble des acteurs concernés étaient enthousiasmantes et efficaces.
Sur tous ces sujets, il nous faut travailler main dans la main avec les collectivités territoriales, avec l’ensemble des acteurs, et surtout avec les collectivités territoriales, comme nous l’ont rappelé justement Mmes Guillotin et Doineau.
Certes, nous ne sommes pas responsables de la situation en matière de pédopsychiatrie, qui résulte de quarante ans d’abandon de cette discipline dans notre pays, mais, oui, monsieur Tourenne, nous sommes en responsabilité et il nous appartient, à ce titre, avec vous, parlementaires, et avec les départements, d’améliorer la situation.
Les décisions que nous avons prises depuis deux ans ne peuvent pas produire d’effet immédiat, tant les maux sont aigus et les difficultés sont profondes. Toutefois, j’espère vous avoir convaincus que ma détermination à cet égard, comme celle d’Agnès Buzyn, est totale. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, Les Indépendants, UC et Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La pédopsychiatrie en France ».
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 9 janvier 2020 :
À dix heures trente :
Débat sur les conclusions du rapport d’information : « Demain les robots : vers une transformation des emplois de service ».
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication