M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la contradiction est éternelle entre la croissance économique, la nécessité d’être compétitifs et l’urgence écologique.
À l’heure de la nécessaire mobilisation face aux changements climatiques, tout l’enjeu est de rééquilibrer la mondialisation et de réapprendre à produire ce que nous consommons. Nous devons refuser de vivre dans ce monde absurde où on pêche du poisson en Norvège, où on le traite en Chine et où on le consomme en Europe !
M. Jean-François Husson. Très bien !
M. Guillaume Chevrollier. Avec un marché de 500 millions d’habitants comme l’Europe, je suis convaincu que nous pouvons apporter au monde l’équilibre dont il a besoin.
Le mathématicien et philosophe Olivier Rey a publié une excellente tribune la semaine dernière. En voici quelques extraits : « La vérité, c’est que le mondialisme ne peut être la solution à la crise qu’il engendre. Non seulement cela, mais le “no-borderisme”, c’est-à-dire la non-frontière, constitue l’exact inverse de la voie à suivre. Bien sûr, certains problèmes sont globaux. Mais c’est la perte de la mesure locale qui les a engendrés, et c’est recouvrer cette mesure qui peut seule permettre d’y faire face ».
La barrière écologique aux frontières de l’Union européenne que prévoit cette proposition de résolution peut être l’une des solutions pour recouvrer cette mesure locale, qu’elle soit nationale ou européenne.
Nous devons cesser d’être naïfs : l’Europe doit imposer ses règles à ceux qui veulent commercer avec elle. Il me semble qu’une telle exigence est légitime de la part de la première puissance commerciale au monde !
Nous croyons à l’échange, à la force de nos entreprises, à la compétence de nos agriculteurs et à l’excellence de leurs savoir-faire, mais pour que cette liberté d’échanger ait un sens, il faut que les règles soient les mêmes pour tous ! La mise en place d’une barrière écologique à l’entrée du marché unique permettrait de remettre de l’équité et de la réciprocité dans les échanges internationaux.
Concrètement, elle consisterait en la compensation du prix des quotas de CO2 qui s’applique actuellement aux industriels européens qui exportent vers le marché européen – et non aux industriels étrangers chinois, américains, européens ou autres. Aujourd’hui en effet, nous trahissons nos industries et nos agriculteurs en faisant entrer en France ces produits internationaux en Europe. Nous créons nous-mêmes la concurrence déloyale !
Nous ne pouvons continuer à déstabiliser ceux qui produisent chez nous et à encourager ceux qui produisent à l’extérieur, c’est-à-dire ceux qui ne respectent pas les normes environnementales que nous nous fixons.
J’ajoute que, selon les estimations, les importations de CO2 dans l’Union européenne représentent entre 1,8 et 2,1 milliards de tonnes par an. Si nous fixons à 27 euros le prix de la tonne de carbone, notre barrière écologique pourrait rapporter environ 50 milliards d’euros par an. Il s’agirait là d’une véritable manne, qui permettrait d’accompagner la transition écologique et d’agir pour la reconquête de la biodiversité.
Mes chers collègues, l’Union européenne a respecté les engagements qu’elle a pris dans le cadre du protocole de Kyoto en 1997 et réduit de 5 % ses émissions de gaz à effet de serre en 2012 par rapport aux niveaux de 1990, même si beaucoup reste à faire.
Or, pendant que l’Union européenne diminuait de 17 % ses émissions de CO2 au cours des dernières décennies, « l’atelier du monde », à savoir la Chine, a considérablement augmenté les siennes, lesquelles représentent 26 % des émissions mondiales, soit une hausse de 53 % entre 1990 et 2018. Il en est de même des États-Unis.
Il est impensable que l’Europe finance seule la transition écologique. Dans l’espace européen, la France ne représente que 1,2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. À cet égard, la crise des « gilets jaunes » a été révélatrice : l’effort doit être proportionné, adapté, cohérent et transparent pour être accepté socialement.
Pour que l’écologie soit non pas dogmatique, mais pragmatique, durable et protectrice de nos emplois, je vous invite, mes chers collègues, à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot.
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe Les Républicains d’avoir inscrit à l’ordre du jour de nos travaux cette proposition de résolution sur un sujet ô combien stratégique, tant pour notre économie que pour le climat.
Toutefois, avant d’aller plus avant, permettez-moi de formuler un point de sémantique, car les termes employés, aussi bien dans l’exposé des motifs que dans la résolution elle-même, tendent à brouiller l’objet de la proposition. Vous utilisez, à la suite du candidat Les Républicains aux dernières élections européennes, l’expression de « barrière écologique », comme on parlait autrefois de « barrières douanières ».
Je comprends bien l’intérêt du mot « barrière » pour réduire les réticences de nos voisins européens, mais pourquoi ne pas parler plus distinctement à nos concitoyens et évoquer plus précisément la mise en place d’une taxe carbone aux frontières de l’Union européenne ? Car c’est bien de fiscalité écologique qu’il s’agit. Nous avions nous aussi soutenu cette idée lors des élections européennes.
Le levier écologique constitue aujourd’hui l’outil fondamental pour modifier profondément le fonctionnement de l’Union européenne et permettre à cette dernière de répondre aux demandes de protection et de compétitivité de nos concitoyens et de nos entreprises. Cette nouvelle politique commerciale doit être un outil au service de la transition écologique et climatique, conformément à nos objectifs de neutralité carbone.
L’Union européenne doit se saisir de cet outil, aussi bien pour réguler ses importations que pour contraindre par la norme ses partenaires commerciaux. Le marché européen est de taille suffisamment critique pour exercer une véritable influence normative et, ainsi, accélérer la décarbonation de la production.
La mise en place d’une taxe serait une mesure d’équité concurrentielle dans le cadre du système d’échange de quotas de CO2. En clair, il s’agirait de demander à tout importateur d’un produit soumis au système communautaire d’échange de quotas d’émissions, quand il est produit en Europe, de se plier aux mêmes règles européennes que ses concurrents.
Le très sérieux Conseil des prélèvements obligatoires confirme, dans un rapport rendu en septembre dernier, que « les initiatives visant à doter l’Union européenne d’un mécanisme de protection commerciale à l’encontre des territoires non coopératifs doivent être soutenues. »
Le 9 janvier dernier, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ont publié une étude très intéressante tendant à dessiner les contours d’une fiscalité carbone aux frontières, fiscalité qui pourrait être redistributive.
L’étude pose bien la question des émissions importées dans notre empreinte carbone et la difficulté d’établir une comptabilité carbone fiable, fidèle à la réalité du processus de production. Cette part de gaz à effet de serre cachée de notre consommation constitue « un angle mort de la lutte contre le réchauffement climatique », qui, de surcroît, ne permet pas de mettre en valeur les efforts des États européens pour réduire leurs émissions.
Ainsi, pour la France, indique la même étude, « la diminution constatée des émissions liées à la production nationale depuis plus de quinze ans s’est accompagnée par une hausse continue de celles provenant des importations. L’empreinte carbone des Français en 2015 serait ainsi équivalente à celle de 1995 [et] les émissions importées sont supérieures à celles issues de la production intérieure destinée à la consommation domestique. »
Ces conclusions justifient l’instauration d’un système de rééquilibrage fiscal aux frontières et démontrent qu’une redistribution totale et progressive du produit de cette taxe aux ménages permettrait d’éviter certains des écueils ayant conduit à la crise des « gilets jaunes ».
L’instauration d’une taxe carbone aux frontières, laquelle serait redistributive, me paraît importante. Cette dimension redistributive semble malheureusement échapper aux auteurs de la proposition de résolution, alors qu’elle me semble être au cœur de l’acceptabilité sociale d’une nouvelle prise en compte de l’empreinte carbone de nos échanges, que sa mise en œuvre soit nationale ou européenne.
C’est une part du destin économique et politique de la construction européenne qui se joue au travers de la mise en place ou non de cette taxe carbone aux frontières. Espérons que cette taxe ne connaîtra pas le même sort que la taxe européenne sur les transactions financières, la fameuse taxe Tobin, ou encore que le « veto climatique », qui devait être intégré dans le CETA.
Mercredi dernier, la présidente de la Commission se serait rangée à l’idée d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Celui-ci viserait en priorité les secteurs de l’acier, du ciment, du papier-carton, du verre et de la chimie et permettrait de lutter contre la concurrence déloyale – le dumping écologique –, mais aussi contre la tentation pour les entreprises européennes de transférer leur production, et donc le carbone, hors de l’Union européenne.
À l’heure où nous parlons, votre souhait, monsieur Husson, semble donc être exaucé. Mais, une fois encore, rien n’est prévu sur la dimension redistributive des produits de cette taxe. Les recettes seront-elles fléchées en direction des ménages européens les plus modestes, qui sont souvent en situation de précarité énergétique ? Il serait intéressant de connaître votre avis sur ce point, qui me paraît essentiel, madame la secrétaire d’État.
En conclusion, mes chers collègues, nous voterons cette proposition de résolution, tout en regrettant la forme de cette initiative, car le véhicule choisi ne permet pas de réaliser le travail de fond nécessaire à la mise en œuvre d’un dispositif crucial pour l’avenir de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans la fable de l’élu et du citoyen, la morale reprocherait sans doute au politique de prendre des engagements qu’il ne pourra vraisemblablement pas tenir et à ses administrés de croire naïvement à certaines promesses dont ils subodorent pourtant l’infaisabilité. En matière d’écologie, il faut bien l’admettre, on bat des records depuis quelque temps !
À grand renfort de communication, pour ne pas dire de pression, de nombreuses organisations à la respectabilité parfois contestable enjoignent les décideurs à s’engager en faveur de protocoles dont les formulations abstraites nous laissent pour le moins dubitatifs.
On mesure en outre facilement le « bisounoursisme » des solutions proposées, lesquelles rencontrent pourtant un écho favorable dans une partie de l’opinion publique, qui se pâme devant une adolescente réussissant à vendre le séchage généralisé des cours comme une activité plus vertueuse que l’assimilation des rapports du GIEC.
M. Joël Labbé. Oh là là !
M. Stéphane Piednoir. Depuis Rio, en 1992, les grands sommets internationaux débouchent avec plus ou moins de succès sur des traités dont l’ambition n’a d’égale que l’absence de sanction envers les pays signataires qui ne respecteraient pas leurs engagements, ou même qui y renonceraient totalement, comme nous l’avons vu récemment avec les États-Unis.
Même lorsque certains accords, tels que celui de la COP21 à Paris, sont quasi unanimement salués pour l’adhésion générale qu’ils ont suscitée, les moyens financiers engagés ne sont pas à la hauteur, loin de là, et ne sont en vérité jamais quantifiés de manière sincère. Pourtant, personne ne peut croire que l’on va raser gratis, ni qu’une baguette magique sauvera la planète.
Rappelons que la France ne compte que pour 1 % des émissions carbone dans le monde, ce qui correspond presque à sa part de population. Cela signifie, compte tenu de nos modes de vie très énergivores, que notre production énergétique est très largement décarbonée, essentiellement en raison d’une filière nucléaire spécifique à notre pays, n’en déplaise à certains !
Aujourd’hui, selon les estimations, un habitant de la planète produit entre 5 et 6 tonnes de CO2 par an. À part ceux qui considèrent leurs œillères comme un guide efficace de réflexion, chacun prend conscience que ce rythme de progression n’est plus supportable, surtout si l’on prend en compte la démographie galopante et l’aspiration au développement, avec pour conséquence une augmentation des besoins énergétiques, tant en Afrique qu’en Asie.
Néanmoins, il faut bien admettre que la situation en Europe est aussi très hétérogène : certains renoncent au nucléaire pour des raisons idéologiques et, disons-le, électoralistes, mais en ouvrant de nouvelles centrales électriques au charbon. D’autres restent tout simplement sourds à ces préoccupations, qu’ils considèrent comme très éloignées des leurs. Par exemple, quand le Premier ministre norvégien vient parler énergies renouvelables au président polonais, c’est un peu comme si un élu de Maine-et-Loire évoquait le processus de création des communes nouvelles avec un homologue corse… (Sourires.)
Dès lors, que pouvons-nous faire concrètement pour limiter notre production de CO2 et engager une convergence internationale qui ne se traduirait pas uniquement par de beaux discours ?
Comment faire comprendre que, si nous ne faisons rien aujourd’hui, nous prenons le risque de franchir un point de rupture irrémédiable ?
Comment ne pas faire porter l’indispensable changement des comportements uniquement sur les ruraux, qui devraient répondre aux injonctions d’ultra-urbains habitués au métro, du moins quand les conducteurs de la RATP ne sont pas en grève…
Conscients de la faiblesse de la portée de chaque action nationale, nous devons user de la masse critique de l’Europe pour peser efficacement face aux géants mondiaux, au niveau tant de la consommation d’énergie que des émissions carbone.
C’est le sens de la proposition de résolution qui nous est proposée aujourd’hui. Je remercie Jean-François Husson et Bruno Retailleau de cette initiative et je vous invite, mes chers collègues, à voter ce texte pour, enfin, engager une démarche plus concrète ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier vivement les sénateurs Jean-François Husson et Bruno Retailleau, qui ont déposé cette proposition de résolution le 29 novembre dernier, quelques jours avant la COP25 et préalablement à la présentation par la Commission européenne de son projet de pacte vert pour l’Europe.
Le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité apparaissent désormais comme des enjeux existentiels, et nous avons besoin d’une mobilisation transpartisane pour y faire face. Chacun peut apporter sa vision des moyens à mobiliser et des façons d’aborder ce défi, et je me félicite de constater que, dans toutes les tendances politiques, l’on contribue activement à un débat de qualité.
Selon l’impression générale, la COP25 a été décevante. Nouvelle étape de la mobilisation internationale pour la lutte contre le changement climatique, elle devait être celle de l’action, de l’urgence à agir. Mais elle a été bloquée par certains États, et, sans consensus, les dernières règles relatives à la mise en œuvre de l’accord de Paris n’ont pu être adoptées.
Je modérerais toutefois ce pessimisme en rappelant que c’est aussi pendant cette COP, accueillie généreusement par l’Espagne, dans les circonstances politiques que nous connaissons, que l’Union européenne a annoncé son objectif de neutralité carbone pour 2050, le 12 décembre. Le lendemain, elle a présenté son pacte vert, le fameux Green Deal. Il est important de le souligner.
Les dernières règles que nous devions adopter à Madrid portaient précisément sur les systèmes d’échange d’émissions de gaz à effet de serre entre États, notamment les marchés du carbone.
Certains États poussaient à la conclusion d’un mauvais accord, qui leur aurait permis de compter deux fois leurs crédits carbone ou de financer des projets de transition supposée, sans aucune garantie sur leur bonne mise en œuvre et leur impact en faveur du climat. Nous ne pouvions l’accepter, et l’Europe a eu le courage de reporter l’adoption de ces règles, afin qu’elles soient robustes et efficaces. Nous le savons, en diplomatie, une absence d’accord vaut parfois mieux qu’un mauvais accord.
Cette situation ne nous empêche toutefois pas d’avancer. Tout d’abord, l’accord de Paris est d’ores et déjà effectif. Il est désormais quasi universel, avec la récente ratification de la Russie, sans compter tous les pays qui ont commencé à le mettre en œuvre. Son système d’ambitions croissantes, qui respecte la souveraineté des États, doit nous amener, dès 2020, lors de la COP26 de Glasgow, à présenter des plans nationaux plus ambitieux. La France continuera à agir pour rehausser son ambition, en se plaçant dans le cadre européen.
Nous devons agir plus vite, et ensemble. Comme le disait Valérie Létard, c’est un test de crédibilité, d’efficacité, de souveraineté, donc de réactivité.
Nous le voyons en effet chaque été, avec des canicules plus longues et plus fortes dans nos villes : les Français et les Européens souffrent. Nous voyons des feux de forêt toujours plus étendus, comme le montrent les spectacles apocalyptiques venant dernièrement d’Australie, mais aussi d’Amazonie, de Californie ou de Scandinavie. Nous voyons aussi la fonte des pôles et la réduction des glaciers sur nos montagnes, la récurrence accrue des inondations, l’accroissement de la puissance et des zones d’activité des tempêtes et des typhons, dont souffrent nos territoires d’outre-mer, ou encore la montée des eaux, lente, mais inexorable, qui ronge nos côtes.
Tous les pays du monde sont touchés, et nous devons déjà composer avec des changements majeurs – on le voit notamment dans le secteur agricole.
Le coût économique humain et politique est déjà important, et plus nous retardons nos efforts, qui nous semblent déjà coûteux et difficiles aujourd’hui, plus le prix que nous aurons à payer, non pas dans cent ans, mais dans dix ou quinze ans, s’accroîtra.
Le Conseil européen s’est mis d’accord en décembre dernier sur un objectif de neutralité pour 2050. L’Europe serait ainsi le premier continent neutre en carbone. C’est un succès pour la France et pour le Président de la République, qui souhaitait que nous portions très fermement cette ambition. Je le rappelle, nous étions 3 pays en mars 2019, 8 pays en mai 2019 et 28 pays en décembre 2019 !
Par ailleurs, cet objectif est d’ores et déjà inscrit dans la loi française, et je vous remercie, mesdames, messieurs les sénateurs, du soutien que vous nous avez apporté.
C’est un succès qu’il convient désormais de consolider, en accompagnant les régions qui seront les plus touchées économiquement et socialement par cette transition écologique, en particulier lorsque leur économie dépend d’industries fortement émettrices, comme les énergies fossiles.
Je tiens également à souligner que ce Conseil européen a accepté de rappeler extrêmement clairement la souveraineté de chaque pays à définir ses choix énergétiques, en faisant mention notamment du nucléaire, sur le fondement de l’article 194 du Traité européen. Cette précision est importante.
Pour réussir, certains d’entre vous l’ont rappelé, la transition doit être juste. Au moment où je vous parle, lors de la séance plénière du Parlement européen à Strasbourg, la Commission européenne est en train de présenter son mécanisme de transition juste, pilier de financement et de crédibilité de son pacte vert.
Une transition juste devra faire l’objet d’un accompagnement économique et social, car nous avons à vivre une transition industrielle et énergétique majeure. Il nous faut donc renforcer les mécanismes existants et accompagner budgétairement les régions économiques les plus touchées. Il reviendra ensuite à ces dernières de définir la meilleure manière de dépenser les sommes qui leur seront allouées et d’accompagner les acteurs économiques les plus concernés.
Telle est la volonté de la France pour le prochain cadre financier pluriannuel, avec comme ambition que 30 % du prochain budget de l’Union européenne soit dédié au climat, et que 10 % soient dédiés à la protection de la biodiversité et à la lutte contre la pollution.
Toutefois, comme vous l’avez souligné très clairement dans l’exposé des motifs de votre résolution, messieurs Husson et Retailleau, cette transition n’a aucun sens si nous nous contentons, pour réaliser une Europe neutre en carbone, de délocaliser nos émissions de gaz à effet de serre, en continuant à importer sans sourciller des biens fortement carbonés.
Le Président de la République a fait de ce sujet un point dur, notamment dans tous les cercles de discussion mondiaux, au G7 comme à l’ONU. Nous devons retrouver de la cohérence et, pour réduire notre empreinte écologique et entraîner une dynamique mondiale de décarbonation de l’économie, poursuivre deux approches complémentaires.
Il nous faut, premièrement, continuer à améliorer nos efforts au sein de l’Union européenne. Au-delà du mécanisme d’inclusion carbone aux frontières sur lequel nous travaillons – j’y reviendrai en détail –, nous avons également pour ambition de réviser en profondeur le fonctionnement du marché des quotas carbone, ou marché ETS, en Europe, notamment en définissant un prix plancher ; nous avons tous en tête, me semble-t-il un prix proche de 25 euros la tonne de CO2…
M. Jean Bizet. Pas moins !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Cela permettra d’assurer une prévisibilité à nos industriels. En effet, comment leur demander de se projeter à long terme si le prix du carbone peut de nouveau diminuer à tout moment ?
Nous voulons, deuxièmement, exiger que les efforts que nous faisons soient également réalisés par nos partenaires commerciaux, en intégrant une « donne carbone et climat », si j’ose dire, à nos politiques commerciales.
Le 13 décembre dernier, en pleine COP25, la Commission a présenté une trajectoire crédible, avec son pacte vert ou Green Deal. Ce plan, dont nous avons salué l’ambition, reprend en particulier les deux approches que je viens de mentionner.
La feuille de route qui nous est proposée par la nouvelle commission vise à mettre en cohérence l’ensemble des politiques publiques européennes avec nos engagements en faveur du climat et de l’environnement. Mais elle contient également une dimension sociale affirmée, une dynamique commerciale, industrielle, ainsi que sur le fret ferroviaire, les aides d’État et la concurrence.
Nos efforts doivent porter de façon transversale sur tous les secteurs fortement émetteurs, afin que nous nous donnions les moyens d’atteindre, ensemble, dans chacun des pays et chacun des secteurs, les objectifs de neutralité carbone en 2050, en y ajoutant un objectif de biodiversité et d’absence de pollution.
Ce pacte vert est un document nécessaire, salutaire, et nous aurons certainement, dans les mois qui viennent, l’occasion d’échanger sur les moyens de le préciser et de l’améliorer. Nous souhaitons en effet que ce pacte vert européen aboutisse à de nouvelles propositions législatives dans les meilleurs délais, afin que ses objectifs soient rapidement atteints.
Nous sommes en particulier satisfaits que la Commission ait repris, comme vous le faites dans ces murs, mesdames, messieurs les sénateurs, l’idée d’un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, et que notre proposition visant à faire de l’accord de Paris une clause essentielle des accords commerciaux ait été retenue.
Ce document constitue donc une base de travail très utile, qui prouve que notre ténacité à faire valoir ces points depuis longtemps a payé. Certains pensaient qu’il était trop ambitieux de l’écrire tout de suite et qu’il fallait mener un travail en chambre, entre experts, avant de prendre un tel engagement… Or il est désormais couché sur le papier.
Nous devons désormais poursuivre les efforts vis-à-vis de nos partenaires européens. Ils sont certes nombreux à nous faire part de leur intérêt à travailler à l’élaboration d’un tel outil, mais ils se posent également des questions légitimes. Nous devons les rassurer, et travailler également avec nos partenaires extraeuropéens, dont certains veulent croire que, si nous engagions cette marche, nous irions à l’encontre des règles de l’Organisation mondiale du commerce.
Nous nous focalisons plus précisément sur trois points d’attention.
Tout d’abord, nous devons trouver une solution faisable et techniquement fiable, en particulier pour mesurer le contenu carbone de nos importations. C’est pourquoi nous préconisons de concentrer dans un premier temps ce mécanisme sur des biens « basiques » comme l’acier, l’aluminium, le ciment, et peut-être aussi le papier ou le verre, autant de biens dont nous connaissons les lieux de production et pour lesquels nous pouvons avoir des informations fiables sur leur contenu carbone.
Ensuite, il est important pour la France que les recettes liées à ce mécanisme d’inclusion soient une ressource propre de l’Union et qu’elles permettent de financer la transition. Certains nous disent que l’eau doit payer l’eau ; en l’occurrence, en matière de climat, ceux qui ne respectent pas les normes définies en Europe doivent payer.
Enfin – c’est un point fondamental –, notre but est non pas de créer une taxe, qui pourrait être vue par l’OMC comme une mesure distorsive, mais bien d’élargir le marché ETS européen aux importations. Nous restons donc dans un domaine de souveraineté. Nous avons mis en place un marché ETS européen et nous souhaitons désormais que le prix du carbone appliqué aux productions européennes Europe puisse aussi s’appliquer pleinement aux biens importés. En d’autres termes, tous les produits qui sont vendus en Europe doivent se voir appliquer le prix du carbone en vigueur en Europe.
Si ce mécanisme ressemble à une taxe, ce n’en est pas une en réalité. En effet, si un bien provient d’un pays qui a lui-même fixé un prix du carbone, l’ajustement sera différent que si ce même bien provient d’un pays où il n’existe aucun prix du carbone. Il y a donc non pas une distorsion face aux importations en général, mais une inclusion du contenu carbone des importations.
Si nous investissons autant d’efforts dans la mise en œuvre d’un tel mécanisme, c’est parce que celui-ci constitue une composante essentielle de la politique climatique ambitieuse portée par la France.
C’est un enjeu de souveraineté économique. En effet, pour parvenir à la neutralité climatique en 2050, nos entreprises et nos citoyens, partout en Europe, vont devoir fournir des efforts importants, en transformant leur mode de production, en modifiant leur comportement. Et pour que ces efforts soient acceptables, pour que la croissance et la compétitivité soient préservées, il faut que les mêmes efforts soient demandés à tout le monde.
Tel est l’objet de ce mécanisme d’inclusion carbone aux frontières : faire en sorte que les importateurs payent autant que les producteurs européens, pour une même quantité d’émissions. Ce mécanisme aura également un effet incitatif : en tenant compte des mesures qui auront déjà été mises en place dans le pays d’origine des biens, nous pourrons comptabiliser le coût du carbone.
Nous débattons régulièrement du sujet des ressources propres de l’Union avec la commission des affaires européennes. D’autres idées sont sur la table, comme une ressource assise sur le plastique non recyclé ou une taxe sur les GAFA. Il est essentiel que l’Europe progresse sur cette question, les ressources propres constituant la clé pour réconcilier les pays qui se disent « frugaux » et souhaitent limiter leur contribution au budget européen, et les ambitions, légitimes et nécessaires, que nous nous fixons ensemble pour avancer. Ce mécanisme nous apparaît donc primordial.
Dix jours avant le Conseil européen de décembre, je me suis rendue à Prague, où j’ai débattu de façon extrêmement décisive avec les responsables des pays du groupe de Visegrad – la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la Pologne. Ces pays sont souvent identifiés comme réticents sur les enjeux climatiques, mais ils ont des demandes légitimes, que l’on peut comprendre. Ils partent en effet de plus loin, et leurs économies comme leurs emplois pourraient être encore plus touchés que les nôtres par cette transition énergétique.
Pourtant, dix jours avant le Conseil européen, nous avons signé avec ces pays une déclaration commune, dans laquelle nous appelions à ouvrir les discussions, en vue de créer un mécanisme d’inclusion carbone aux frontières respectueux des règles de l’OMC, afin de lutter contre les fuites de carbone, sur la base d’une étude d’impact approfondie. Nous avions donc trouvé un accord, sur un point essentiel, avec des pays que certains décrivent comme fondamentalement et en permanence opposés à nos positions.
Je serai dans quinze jours à Copenhague, pour une réunion avec mes homologues danois, suédois et finlandais, afin de poursuivre le travail et d’élargir la coalition de ceux qui veulent non seulement travailler sur le sujet, mais également le soutenir et s’assurer de sa mise en œuvre.
L’application d’un tel mécanisme passera en effet par un travail technique de diagnostic et de description, pour en préciser les modalités, le rendre économiquement et techniquement faisable et rassurer les différents acteurs concernés. Cela constituera une part importante de notre travail, à la fois politique et diplomatique.
Vous m’avez interrogée, monsieur Leconte, sur le triangle de problématiques que constituent l’Europe, le climat et le Brexit.
Je tiens à être extrêmement claire. L’Union européenne vient de se fixer un objectif climatique ambitieux, celui d’une neutralité en carbone en 2050. Nous nous imposons donc de nouvelles contraintes, pour de bonnes raisons.
Nous essayons de les rendre acceptables, avec ce mécanisme d’inclusion carbone aux frontières, mais nous attendons très clairement que les Britanniques nous disent ce qu’ils comptent faire. Entendent-ils prendre les mêmes engagements ? Recherchent-ils également la neutralité carbone d’ici à 2050 ? Les contraintes que nous nous fixons appellent une réponse !
Quelles marchandises viendront sur nos marchés européens ? Quelles garanties et quels engagements les Britanniques prendront-ils sur ce sujet climatique et environnemental ? Il s’agit d’un point essentiel, au demeurant parfaitement identifié par la Commission, Michel Barnier, le Président de la République et Ursula von der Leyen.
Vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, nous serons extrêmement vigilants sur cette question, car il y va de la réciprocité, de l’équilibre et de la loyauté, à la fois commerciale et climatique, de nos relations avec les Britanniques dans les années à venir.
Sur le plan diplomatique et commercial, nous allons continuer à jouer la carte du multilatéralisme. Aujourd’hui même, Phil Hogan, commissaire européen au commerce, signe à Washington un accord entre l’Union européenne, les États-Unis et le Japon sur le sujet chinois, sur les subventions industrielles et sur la propriété intellectuelle. Cela montre bien que, sur certains dossiers, la persévérance paye.
J’espère que nous aurons également, sur ces enjeux de climat, des résultats dans les années qui viennent. D’ici à la COP26 de Glasgow sur le climat, et d’ici à la COP15 de Kunming sur la biodiversité, en nous appuyant sur la détermination européenne et sur notre détermination nationale, nous concentrerons nos efforts pour convaincre les principaux émetteurs de gaz à effet de serre, qui sont aussi les principales forces économiques réunies au sein du G20, de répondre à cette ambition consistant à fixer un prix du carbone au niveau international.
Dans ce contexte, vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement soutient les objectifs de la résolution que vous présentez, avec la méthode et les points de détail que je viens d’exposer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère pouvoir échanger avec vous plus en détail, au fur et à mesure que les négociations européennes sur ces sujets concrets, tangibles et extrêmement importants pour nos territoires se poursuivront. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)