Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour présenter l’amendement n° 239 rectifié.
M. Loïc Hervé. Dans le cadre de ce débat, je propose, avec un certain nombre de mes collègues du groupe Union Centriste, la suppression de l’article 2.
Tout d’abord, il peut arriver, en matière de bioéthique, que l’on souhaite le maintien du droit en vigueur, il n’y a rien de grave à cela.
Ensuite, j’évoquerai une expérience personnelle pour illustrer les pressions qui peuvent se faire jour non seulement dans le monde de l’entreprise, mais aussi dans celui des collectivités locales, où une jeune cadre peut se voir demander si elle est prête à « faire une pause » dans ses grossesses.
Nous avons vécu une telle situation avec mon épouse, qui n’a pas été embauchée à la suite de sa réponse à cette question. Au cours du même entretien, on lui a même demandé si elle était syndiquée, ainsi que l’identité de son mari ! Tout cela est bien évidemment puni par la loi.
Pour ma part, je siège à la délégation aux droits des femmes. On peut être militant ou féministe, mais il faut se poser des questions quand on assouplit certains dispositifs qui peuvent avoir des conséquences sur la carrière des femmes et la liberté de porter un enfant quand on le souhaite.
Quand on offre, par la science, des possibilités de différer une grossesse, on prend une lourde responsabilité d’ordre sociétal. Cette question se posera aux femmes qui font, dans notre pays, les plus belles carrières. Je vous l’assure, je souhaite que nous en restions au droit actuel sur ces questions. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission est défavorable à ces amendements, qui s’opposent à la position de la commission, laquelle a autorisé la conservation des ovocytes.
Est-ce une liberté pour la femme ? C’est une vraie question, qui peut être discutée. Sans doute le féminisme aurait-il pu gagner d’autres combats, pour faire en sorte que la société s’adapte à la réalité des femmes et non pas l’inverse ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Absolument !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Les femmes devraient pouvoir faire des enfants au moment où elles sont fertiles et ne pas être soumises à ce type de prélèvement. Pourquoi ne considère-t-on pas que la grossesse n’est pas un handicap dans le milieu du travail ? Le fait que les femmes portent les enfants, c’est l’avenir de la société, pas seulement celui du régime de retraite par répartition.
Pourtant, la grossesse n’est pas considérée ainsi aujourd’hui. J’espère qu’elle le sera un jour, qu’on se rendra compte non seulement que la grossesse n’est pas un handicap, mais aussi que c’est un service que les femmes rendent à toute la société. Elles devraient non pas être pénalisées, mais remerciées pour cela. Or tel n’est pas le cas, mes chers collègues.
Nous pourrions aussi avoir une politique de natalité, des crèches dans les entreprises, quantité de choses facilitant tout cela ! Mais nous ne les avons pas.
La position de la commission, qui se fonde sur la situation existante et non pas sur celle que nous aimerions avoir, est réaliste. Or, la réalité, c’est que les femmes ont des grossesses de plus en plus tardives. Pour que celles-ci ne soient pas à risques, qu’elles soient plus aisées et qu’elles puissent aboutir, il s’agit d’autoriser la conservation, en amont, des ovocytes.
En outre, si nous supprimions cet article, nous en reviendrions au régime antérieur, à savoir celui de la contrepartie au don, qui va à l’encontre de sa gratuité.
Je le répète, la commission est défavorable à ces amendements identiques de suppression de l’article 2.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Messieurs le sénateur, vous souhaitez supprimer du projet de loi cette mesure qui vise à permettre l’autoconservation de gamètes à la fois pour les hommes et pour les femmes. Vous m’autoriserez à prendre quelques instants pour rappeler le contexte dans lequel s’inscrit cet article 2, nos objectifs, et répondre à certains arguments que vous avez soulevés.
Nous sommes effectivement aujourd’hui confrontés à un recul de l’âge à la naissance du premier enfant, qui est la conséquence d’un mouvement d’ampleur et qui ne devrait pas s’inverser dans les années à venir, parce qu’il résulte de changements considérables qui sont survenus dans les comportements au cours des dernières années.
Parmi les moyens à notre disposition pour maintenir notre taux de natalité, nous pouvons offrir la possibilité de conserver leurs gamètes aux femmes et aux hommes – je reviendrai sur cette notion de choix, de possibilité, qui relève de leur liberté – qui ne peuvent concrétiser leur projet d’enfant à un moment donné de leur vie et leur permettre ainsi de le différer avec de plus grandes chances de succès.
Pour le moyen terme, cet article permet d’autres avancées. Il permettra, d’une part, de réduire la demande de don d’ovocytes dans la mesure où les propres ovocytes de la femme conservés antérieurement seront utilisés, d’autre part, d’augmenter les gamètes disponibles pour le don dans l’hypothèse où, n’en ayant pas eu besoin, les femmes et les hommes concernés les donneraient finalement pour qu’ils bénéficient à d’autres femmes et à d’autres hommes.
S’agissant de la question de la fertilité, qui a été évoquée par un certain nombre d’entre vous, l’autoconservation est bien une mesure supplémentaire en faveur de la fertilité. Néanmoins, elle ne garantit pas une naissance et il sera avant tout important de mieux informer la population sur les enjeux de la fertilité. Le Gouvernement a eu l’occasion de s’engager à cet égard devant l’Assemblée nationale. Tel était également l’objet des débats que vous avez eus à propos de l’article 2 bis, que votre commission spéciale a supprimé.
Cette mesure contribuera également à renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes en réduisant l’impact dans notre société de l’écart biologique entre les unes et les autres – cette fameuse horloge biologique, qui est subie par la femme.
M. André Reichardt. Mais non !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Il est là aussi question de liberté pour la femme, monsieur le sénateur : donner le choix à ces femmes de pouvoir recourir à l’autoconservation ne veut pas dire en faire un impératif,…
M. André Reichardt. Cela ne garantit pas la procréation !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. … ne signifie pas les inciter à l’autoconservation. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.), et vous savez que le Gouvernement a instauré un certain nombre de garde-fous en la matière. Je le répète, nous offrons une possibilité de choix aux femmes.
Au final, et comme c’est souvent le cas, mesdames, messieurs les sénateurs, avec les lois de bioéthique, il s’agit de rechercher un équilibre, fragile, entre la liberté offerte aux femmes et la nécessité de prévoir un certain nombre de garde-fous pour qu’il ne soit pas porté atteinte à d’autres principes fondamentaux de notre droit et de notre société.
Pour toutes ces raisons, et parce que ce principe-là ne contrevient à aucun principe bioéthique, nous estimons que cet article 2 a évidemment toute sa place au sein de ce projet de loi. L’avis est défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Notre groupe ne votera pas ces amendements de suppression et je souhaiterais revenir sur ce qui a été dit précédemment.
Il a beaucoup été question de liberté. Moi, comme beaucoup d’entre vous, j’ai eu la chance de faire partie d’une génération qui a bénéficié de cette liberté conquise par nos aînées, tout en ayant à l’oreille le slogan « un enfant si je veux, quand je veux ». Lorsque je suis devenue adolescente, puis adulte, puis mère, j’ai toujours su apprécier ce luxe de pouvoir décider du moment où je pourrais avoir des enfants.
Certains s’inquiètent – et on peut le comprendre – des pressions éventuelles de l’employeur. D’abord, je salue leur lucidité, s’agissant des relations parfois difficiles de l’employeur avec ses salariés. Je salue aussi leur souhait de se préoccuper de la liberté des femmes. Mais peut-être que certains d’entre vous, mes chers collègues masculins, ne mesurent pas que la pression qui s’exerce sur les femmes pour avoir un enfant au bon âge est totale.
M. Stéphane Piednoir. Mais non !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Si vous n’avez pas de compagnon, la question est : « Alors, où en es-tu ? » Lorsque vous avez un compagnon, c’est : « Alors, vous allez avoir un enfant ? » Si vous avez un enfant, c’est : « Alors, le deuxième, c’est pour quand ? » (Rires et applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
Cette pression s’exerce donc à un moment où la femme n’en est pas forcément à une étape de sa vie où elle souhaite faire un enfant.
Il se trouve qu’aujourd’hui les jeunes femmes retardent quelque peu – c’est ainsi – leur maternité et que leur fertilité, pour le coup, continue de décroître. J’espère que personne ne croit que le parcours qui est proposé là – qui sera quand même assez peu fréquent en proportion – sera une partie de plaisir ! L’autoconservation des ovocytes est une démarche lourde.
L’examen de ce texte en commission spéciale s’est très bien passé et dans des conditions très respectueuses des uns et des autres. Mais enfin, rassurez-vous, nous n’avons pas constaté un activisme échevelé en faveur d’un féminisme triomphant ! (Sourires sur les travées du groupe SOCR.) Cette possibilité, cette liberté offerte aux femmes est très encadrée. Donc, je vous en conjure, respectez ce besoin et n’acceptez pas qu’on supprime cet article. Nous verrons ensuite les modalités d’encadrement de cette faculté.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le secrétaire d’État, au contraire, je soutiens de toutes mes forces les deux amendements de suppression présentés par notre collègue centriste Loïc Hervé et le collègue de mon groupe, Dominique de Legge.
En écoutant les uns et les autres, on voit bien que la mécanique qui est à l’œuvre, à cet article comme dans tout le texte, c’est la logique compassionnelle. (Exclamations sur les travées des groupes LaREM et CRCE.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pas du tout !
M. Julien Bargeton. C’est la liberté !
M. Bruno Retailleau. Mme le rapporteur, comme d’autres, nous a expliqué la difficulté pour certaines femmes de rencontrer un conjoint. J’ai entendu invoquer les mots liberté et égalité, occasion chaque fois de nous demander, à nous, si nous allions nous opposer à l’une et à l’autre. Évidemment, nous sommes pour la liberté, évidemment, nous sommes pour l’égalité. (Non ! sur les travées du groupe SOCR.)
Nous avons tous, dans nos cercles, des discussions au sujet de l’horloge biologique, y compris avec de jeunes femmes qui occupent un certain nombre de postes à haut niveau de responsabilités. À cet égard, je souscris à ce qu’a dit Mme le rapporteur, qui a parlé de risque et de mirage : mes chers collègues, la dernière étude dont nous disposons a été menée en Espagne en 2019, et celle-ci indique qu’après 35 ans les chances de réussite avec ces techniques dépassent à peine 50 %, tandis que les risques sont certains – diabète, hypertension, grossesse tardive, grossesse à risque, etc.
Là encore, prenons conscience de cet environnement.
Et qu’en est-il de la liberté ? Nos collègues élus plus récemment le savent peut-être moins, mais pendant une dizaine d’années je me suis spécialisé sur les questions numériques. Voilà quelques années, j’avais pu observer le tollé qu’avait suscité partout, y compris en France, la proposition qu’avaient faite Facebook et Apple à leurs jeunes collaboratrices les plus talentueuses de payer l’autoconservation de leurs ovocytes pour repousser justement leur maternité.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Bien sûr ! Et ce texte l’interdit !
M. Bruno Retailleau. J’ai conservé les articles, et il serait drôle de les ressortir. Aujourd’hui, on nous propose que ce soit la sécurité sociale qui assure ce financement.
Que se passera-t-il avec cette fausse liberté ? Ces jeunes femmes, soumises à une telle pression sociale et professionnelle, intégreront cette possibilité et s’autocensureront. On exigera d’elles une disponibilité totale pour l’entreprise qu’aucune grossesse ne devra venir troubler.
Mes chers collègues, c’est ainsi que la société de marché avance masquée derrière les bonnes intentions. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Il faut dire aux femmes d’avoir des enfants tôt. C’est tout à fait clair. Il faut même leur dire d’essayer d’en avoir avant 32 ans. Quand on discute avec des gynécologues, comme nous l’avons fait dans le cadre de la commission spéciale en recevant notamment les professeurs Grynberg et Frydman, ils nous disent que les fécondations qui interviennent après 35 ans entraînent un plus grand risque de trisomie ou d’autres anomalies. Pour eux, il vaut mieux travailler avec des ovules qui ont été autoconservés à 32 ans.
Mais cette autoconservation des ovules n’est pas une obligation pour les femmes. Alors, il se trouve peut-être, dans des collectivités ou dans des entreprises, des personnes qui payeront une secrétaire pour ce faire. Mais c’est là un comportement vraiment pervers qui doit être puni par la loi.
Personnellement, je ne voterai pas ces amendements de suppression de l’article. Rien n’empêchera les personnes qui le souhaitent de se rendre dans d’autres pays, là où l’autoconservation est autorisée. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.) Et pourquoi veulent-elles y recourir ? Parce que, effectivement, elles peuvent vouloir mener une carrière professionnelle, parce qu’elles n’ont pas rencontré de conjoint. C’est ainsi.
Après 35 ans, il vaut mieux travailler avec des ovocytes autoconservés avant 30 ans ou 32 ans. C’est simple. Et je ne pense pas que cette mesure aura des conséquences en matière d’embauche dans les entreprises ou dans les collectivités. Franchement, si des élus se comportent ainsi, ce n’est pas bien.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, pour explication de vote.
Mme Laure Darcos. On parle là beaucoup de la dimension sociétale de cette question, des entreprises. Peut-être suis-je à côté de la plaque, mais moi aussi je suis contre la suppression de cet article 2, et ce pour des raisons médicales.
De plus en plus, les médecins ont le réflexe, quand une femme est atteinte d’un cancer de l’utérus, de lui proposer un stockage de ses ovocytes. Simplement, ce n’est pas toujours le cas, et l’on sait très bien qu’une femme sur sept ou huit, actuellement et dans les années et générations à venir, aura un cancer au cours de sa vie, et ce de plus en plus tôt.
L’article 2 n’impose aucune obligation et laisse toute liberté aux femmes. Bien évidemment, il convient d’éviter les dérives possibles. Mais si, dans une famille où ce type de cancer s’est déclaré de génération en génération, des jeunes femmes, de manière anticipée, avant même que ne soit éventuellement diagnostiqué un tel cancer, veulent pouvoir stocker des ovocytes, honnêtement, c’est leur liberté et supprimer cet article, me semble-t-il, les en empêcherait.
Encore une fois, je m’interroge sur l’aspect purement médical et scientifique de cette question, qui me touche. En effet, l’une de mes cousines atteinte d’un cancer ne s’est pas vu proposer un stockage de ses ovocytes. Et c’est après sa maladie qu’on lui a déclaré qu’elle ne pourrait plus avoir d’enfant.
Certes, la suggestion de proposer l’autoconservation est certes de plus en plus fréquente, mais pourquoi retirer aux femmes cette liberté-là ? Pour réagir à ce qu’ont dit certains de nos collègues, je ne suis pas certaine qu’on obligera ces femmes à le faire pour mener à bien leur carrière.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. J’ai voté l’article 1er sans état d’âme. Et je voterai les amendements de suppression de l’article 2.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Roger Karoutchi. Je ne crois pas à la vision rousseauiste de la société ; je ne crois pas à la bonté d’âme au-dessus de tout ; je crois que, malheureusement, et on le voit tous les jours et à tous les niveaux, l’homme n’est pas toujours bon naturellement.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. La femme, oui ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Allez, si vous le souhaitez, c’est d’accord, mais pas toutes, alors ! (Mêmes mouvements.)
La vérité, c’est que nous vivons dans des sociétés, en des temps où, malheureusement, le commerce, la marchandisation, la pression sont réguliers. Et je dis tout de suite à Mme de la Gontrie, pour qui j’ai une profonde estime, que, dans ma vie à moi, des pressions, j’en ai connu de bien pires. Donc, en la matière, je n’ai pas beaucoup de leçons à recevoir.
Quel modèle de société veut-on ? J’ai voté l’article 1er parce que j’avais le sentiment qu’il n’était pas juste que des gens aient le droit à la PMA et d’autres pas. Mais après, on commence à tirer sur la ficelle : puisque l’on a fait ça à l’article 1er, alors il faut faire ci à l’article 2, autre chose encore à l’article 3 et à l’article 4. À un moment, il faut faire attention.
Sur le plan sociétal, je suis plutôt libéral, mais je ne suis pas favorable à ce qu’on casse notre modèle actuel de société, parce que nous ne savons pas où nous allons, parce que je ne veux pas voir arriver le modèle de société tel qu’il apparaît dans les films de science-fiction, où finalement tout est préfabriqué et où l’être humain n’a plus de sens, n’est plus, en réalité, un être charnel, mais un modèle intégré à une société mécanique où l’on dirait : « Pas maintenant la naissance, pas maintenant la maladie, etc. » Ce n’est pas possible !
Moi, j’aime la société française telle qu’elle est. Elle peut évoluer, elle doit évoluer, mais laissons-la humaine. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.
Mme Patricia Schillinger. Je rejoins totalement les propos que Mme Darcos a tenus. Supprimer l’article 2 reviendrait à tout supprimer. J’ai entendu beaucoup de choses qui m’ont blessée et qui m’ont fait mal. Je pense par exemple à ces femmes qui, de génération en génération, vivent une ménopause précoce, qui sont déjà ménopausées à 28 ans, sans peut-être savoir que leurs mères et grands-mères ont, elles aussi, été ménopausées très tôt.
Des dialogues existent avec les spécialistes, mais cela ne marche pas tout le temps. Alors anticiper, prévoir, pouvoir avoir recours à l’autoconservation est quelque chose non seulement d’exceptionnel, mais aussi de souhaitable.
Chacun d’entre nous pourrait dire qu’il connaît un tel ou une telle qui a été confronté à ce type de situation. Mais une femme de 38 ans, par exemple, doit pouvoir disposer de la liberté de suivre une formation pour sortir d’une situation de chômage faute d’autres moyens pour ce faire et décider, avec son conjoint, d’avoir un premier enfant plus tard.
On ne peut pas laisser les choses se faire n’importe comment et supprimer l’article 2 revient à dénier cette liberté à vos enfants, à vos filles, à vos petites-filles. J’irai même jusqu’à dire que je trouve cette position très masculine. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. C’est très excessif !
Mme Patricia Schillinger. Je voterai contre ces amendements de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour explication de vote.
M. Jean-Michel Houllegatte. Je voterai également ces amendements de suppression parce que, comme le disait M. Karoutchi, je pense que, malheureusement, nous ne sommes pas dans un monde parfait et que la pression sociale des entreprises notamment pourrait s’exercer en faveur de cette autoconservation des gamètes.
On le sait, le monde de l’entreprise est un monde dur, c’est un monde de pouvoir, c’est parfois, et l’actualité le démontre, le lieu du harcèlement, de la pression sur les individus. Il existe bien du mal-être au travail, et l’on ne peut pas le négliger. À ce titre, quand on parle de liberté, eh bien c’est la liberté d’un individu qui va être seul, parfois sans défense.
Ce que je crains de pire, c’est l’autosuggestion. La personne elle-même va devoir faire un arbitrage entre un projet personnel – accueillir un enfant, lui donner vie – et un projet tout naturel, celui d’un bon déroulement de carrière au sein d’entreprises de plus en plus présentes à l’international, d’entreprises qui doivent pouvoir compter sur des personnes fiables, qui ont besoin de stabilité, qui ont besoin de performances, qui ont besoin d’un engagement total de leurs salariés, surtout quand ils occupent des postes à haute responsabilité. En quelque sorte, elles ont besoin de passer un contrat de confiance avec eux.
Eh bien, moi, je n’ai pas confiance dans le monde de l’entreprise et je pense que la loi doit protéger, en évitant notamment que les projets d’entreprise, de façon insidieuse, deviennent des projets personnels.
C’est pour ces raisons que je voterai les amendements de suppression de l’article 2. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. L’un de nos collègues nous a dit que le monde n’était pas parfait. C’est certain, mais il n’est ni tout noir ni tout blanc. Ce qu’a cherché à faire la commission spéciale, c’est tenir compte des nuances de notre société, de l’évolution sociétale qui est en marche. Mais on peut aussi changer les choses, parce que les enfants d’aujourd’hui seront demain adultes, les générations se succédant les unes aux autres.
Si nous avons su apporter des nuances, c’est parce que nous avons aussi écouté un certain nombre d’acteurs : le Conseil d’État – certains peuvent s’affranchir de ses avis –, mais aussi le CCNE ou encore l’Académie nationale de médecine : vous retenez parfois ces avis, quand ils vous arrangent, mais vous les rejetez quand ils ne vous arrangent pas. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
Cette ligne a été suivie par l’ensemble des experts. Ce n’est pas comme si nous avions suivi le seul avis d’un petit nombre d’entre eux en en faisant les conclusions du plus grand nombre. La réalité, c’est que le dispositif actuel d’autoconservation contre don est contraire au principe de gratuité. Il est donc juridiquement impraticable.
En outre, comme les uns et les autres l’ont souligné, nous avons prévu des limites à cette pratique : l’absence de pression de l’employeur, un meilleur encadrement des conditions d’importation et d’exportation de gamètes, parce que si cette pratique n’est pas autorisée chez nous, elle l’est de toute façon ailleurs.
Certains avancent qu’il ne faudrait pas voter des lois au motif qu’elles seraient en vigueur ailleurs.
M. André Reichardt. Absolument !
Mme Élisabeth Doineau. Bien sûr. Précisément, nous cherchons à encadrer des pratiques autorisées ailleurs qu’en France.
La commission spéciale, sur cet article, a vraiment tenu compte de l’avis de tous les experts.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Un grand mérite de ce débat, c’est qu’il permet à chacun d’expliciter les valeurs éthiques sur lesquels il fonde son approche.
Évidemment, il n’est pas dans notre rôle de fonder la législation sur le compassionnel. En revanche, notre rôle est certainement de ménager cet espace compassionnel pour ceux qui sont confrontés aux situations décrites, en clair les professionnels de santé qui vont devoir « gérer » les femmes rencontrant des difficultés pour avoir un enfant et souhaitant préserver leurs chances d’en avoir un alors que la fertilité féminine, on le sait, se « fane » extrêmement vite. À 35 ans, les femmes ont déjà perdu une part très importante de leur fertilité et leur horloge biologique est sans pitié par rapport à la nôtre.
On utilise parfois des mots pour dévaloriser une valeur. Hier, lors de nos débats, je vous ai entendus souvent défendre le principe de vulnérabilité. Et l’on pourrait là vous retourner l’argument. Or vous faites totalement abstraction d’un principe cardinal dans tout raisonnement bioéthique, fondement de notre éthique, c’est l’éthique de l’autonomie, qui nous impose de respecter chacun, tout en cadrant, bien sûr, par la décision collective, par le respect de nos valeurs, ce que va faire la personne concernée, mais sans se substituer à elle.
Indéniablement, quand on retrace l’histoire de l’éthique, on constate que celle-ci s’est désormais imposée en France et qu’elle est l’un des fondements de nos lois de bioéthique. Elle est née aux États-Unis, il y a bien longtemps, en réaction au paternalisme.
Je m’interroge simplement sur la façon dont nous allons légiférer. En supprimant cet article, c’est-à-dire en refusant de discuter des conditions d’une autoconservation de gamètes et en l’interdisant, on met à bas le principe et l’éthique de l’autonomie. (Mme Michelle Meunier applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Élisabeth Doineau a bien rappelé que le texte dont nous discutons prohibe tout financement par quelqu’un d’autre que la femme, et en particulier par une entreprise, de l’autoconservation des ovocytes. Donc, il faut arrêter de se faire peur avec le cas de Google, qui est une affaire d’abord américaine. D’autant, me semble-t-il, que celle-ci est close, puisque l’entreprise a fait machine arrière après le tollé qu’avait suscité cette proposition.
M. Loïc Hervé. Encore heureux !
M. Bernard Jomier. Et c’est tant mieux !
M. André Reichardt. Qu’est-ce que cela change ?
Mme Laurence Rossignol. C’est tant mieux, en effet. Cela prouve que les sociétés ont quand même la capacité d’imposer parfois au marché des valeurs et de l’éthique puisque, en raison de l’opprobre et de la réprobation générale, Google a dû reculer.
Ce qui est complexe avec la bioéthique, c’est qu’il faut à la fois associer des techniques médicales et scientifiques nouvelles avec des valeurs qui, parfois, sont aussi orthogonales entre elles. Quand nous examinons les lois de bioéthique, nous passons notre temps à faire des arbitrages entre les différentes valeurs disposées sur chacun des deux plateaux de la balance. Et à un moment donné, il faut choisir.
J’emploie précisément ce mot parce que, en ce qui concerne les droits sexuels et reproductifs des femmes, le choix est une valeur. Les femmes doivent pouvoir choisir : mener ou non une grossesse à terme, prendre ou non un moyen de contraception, choisir ce moyen – nous nous battons contre l’injonction à la contraception unique qui pèse sur les femmes. Tout ce que ce texte propose, c’est de laisser aux femmes le choix.
Je voudrais faire deux remarques par ailleurs.
Affleure régulièrement dans ce débat l’idée – historique, je le sais bien – qu’il faudrait absolument protéger les femmes, qu’elles ne seraient pas tout à fait capables de savoir elles-mêmes ce qui est bon pour elles.