Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je veux exposer sommairement l’objet de l’article 3 : il s’agit de la levée de l’anonymat du donneur de gamètes, avec la possibilité de révéler soit des informations non identifiantes, soit l’identité exacte du donneur, soit les deux.
Jusqu’à présent, vous le savez, mes chers collègues, il existe un principe général de bioéthique qui est l’anonymat. Cela signifie que l’identité de celui qui donne n’est pas connue de celui qui reçoit et que l’identité de celui qui reçoit n’est pas connue de celui qui donne.
Dans le don de gamètes, les choses sont plus complexes du fait qu’il y a une troisième personne issue du don : l’enfant. Le principe de l’anonymat lui a été étendu, de sorte qu’il ne connaît pas non plus le nom du donneur de gamètes, tout comme ce dernier ne connaît pas l’identité des enfants qu’il a pu engendrer par son don.
Cette situation a créé un malaise chez un certain nombre d’enfants issus du don, qui s’en sont fait l’écho médiatiquement – vous les avez sans doute déjà entendus – et qui ont fait part de la nécessité pour eux, pour leur construction psychique, de connaître l’identité de la personne qui avait donné un gamète pour permettre leur naissance. Le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont conclu à la nécessité d’une levée de l’anonymat.
Je dois préciser que, sur le nombre d’enfants nés du don, évalués à environ 70 000 en France, quoique les chiffres soient assez fluctuants, il semblerait – là aussi, nous avons des données assez parcellaires – qu’il n’y ait pas de majorité, loin de là, désireuse de connaître l’identité du donneur de gamètes. Un certain nombre d’enfants, ainsi qu’une association que nous avons auditionnée, ont même indiqué qu’ils ne souhaitaient pas la levée de l’anonymat.
La difficulté de la levée de l’anonymat est connue : il s’agit du risque de pénurie, mais nous ne savons pas quelle ampleur elle pourrait prendre. En effet, le public qui donnait ne sera pas nécessairement celui qui continuera à le faire avec ce nouveau régime, qui suppose tout de même d’indiquer son identité.
Ce risque de pénurie entraîne un autre risque qui va à l’encontre d’un principe bioéthique extrêmement important : la marchandisation des gamètes, c’est-à-dire la patrimonialisation du corps humain, que nous interdisons en droit français.
Mme la présidente. Madame le rapporteur, vous avez épuisé votre temps de parole. Je vous invite à conclure.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. J’essaye de poser le cadre général du débat, mais je vais conclure, madame la présidente.
En Angleterre, par exemple, il y a eu une baisse subite des dons, lesquels ont repris ensuite. Je rappelle tout de même que l’exemple de l’Angleterre, souvent cité, est sensiblement différent de celui de la France, puisque là-bas les donneurs perçoivent une indemnité.
L’ensemble de ces éléments a conduit la commission spéciale à adopter un dispositif différent de celui de la levée systématique de l’anonymat. L’enfant né du don sollicitera la possibilité de connaître le nom du donneur ou ses données non identifiantes et le donneur sera à son tour sollicité pour faire droit ou non à cette demande, évidemment avec un accompagnement de l’un comme de l’autre. Je précise que nous avons étendu ce dispositif à l’ensemble des enfants nés du don, c’est-à-dire à ceux qui sont nés avant que ce projet de loi n’apparaisse.
Voilà le contexte général dans lequel vont s’inscrire nos discussions.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Cet article est l’un des plus emblématiques de ce projet de loi. Nous nous apprêtons en effet à permettre aux enfants nés par PMA d’accéder à certaines informations concernant leur donneur. Là aussi, la question est délicate et sensible. Doit-on considérer que le principe de l’anonymat du don entre en contradiction avec le droit de l’enfant d’avoir accès à ses origines ?
Nous avons entendu plusieurs associations d’enfants nés par PMA. Pour certaines d’entre elles, pouvoir disposer de ces données est indispensable à la construction individuelle. Cette impossibilité est pour l’heure source de souffrances. Pour d’autres, au contraire, cette quête d’identité, qui peut également être source de souffrances et de déception, n’est en rien utile, tant ces enfants font primer la parentalité sociale sur le biologique. Ceux-ci ont grandi et évolué dans une famille où ils ne ressentent pas le besoin d’en savoir plus sur leur géniteur.
Bien sûr, je distingue, dans les deux cas, le fait d’informer son enfant de son mode de conception du fait d’accéder à ses origines. On ne sait que trop combien les secrets, les non-dits, peuvent être lourds de conséquences dans une famille, notamment en termes d’histoire individuelle. Je fais partie de celles et ceux qui pensent qu’il faut révéler dès son plus jeune âge à l’enfant son mode de conception.
La question posée par l’article 3 est de savoir jusqu’où nous irons dans la transmission des données relatives au tiers donneur. S’agit-il uniquement des données non identifiantes ou bien également de son identité ?
Il me semble que l’article, tel qu’il a été réécrit par la commission spéciale, est satisfaisant : d’un côté, au moment du don, le donneur doit exprimer son consentement à fournir ses données non identifiantes en cas de demande de l’enfant à sa majorité ; de l’autre, lors de la demande de l’enfant – donc, au minimum, dix-huit ans après le don –, on sollicite le donneur pour savoir s’il accepte ou non de révéler son identité. Cela revient à considérer que les données non identifiantes sont les plus importantes et que l’identité du donneur peut être davantage source de troubles pour l’équilibre de la famille. Toutefois, je m’interroge également sur le fait que, en fonction du choix du donneur, les enfants ne seront pas placés devant le même régime, ils n’auront pas accès aux mêmes choses.
J’en termine avec deux points.
D’une part, pour moi, le principe de l’anonymat du don est garanti, et c’est essentiel. En effet, la garantie de l’anonymat entre le donneur et le couple receveur, au moment du don, empêche de pouvoir choisir son enfant – pardonnez-moi l’expression – sur catalogue.
D’autre part, la levée de l’anonymat peut entraîner une baisse des dons et, donc, une pénurie de gamètes. Aussi, je plaide pour la mise en place d’une campagne nationale, monsieur le secrétaire d’État, afin de sensibiliser l’opinion à cette question et d’accorder plus de moyens aux Cécos.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. L’article 3 crée, dans sa version initiale, un droit d’accès, pour les personnes nées d’un don de gamètes, aux données non identifiantes et à l’identité du donneur, à partir de l’âge de 18 ans. Cet article revient ainsi sur le principe d’anonymat opposable aux enfants nés d’un don de gamète ou d’embryons, principe issu de la loi du 29 juillet 1994 et conservé lors de la révision de la loi Bioéthique de 2011.
Les personnes nées d’un don auront simplement la possibilité, si elles le souhaitent et à condition qu’elles sachent qu’elles sont nées d’un don, de saisir une commission dédiée, à l’instar de ce qui se passe en Suède, en Autriche, en Norvège, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Finlande ou encore en Allemagne. Les pays conservant un anonymat absolu, comme la France, se trouvent de plus en plus isolés en Europe.
Pourquoi lever ce voile ?
Une fois encore, la pratique n’a pas attendu la loi. Le principe d’anonymat devient obsolète en raison du développement des technologies génétiques, lesquelles permettent d’avoir facilement accès à ses données génétiques et, donc, de retrouver, éventuellement, son géniteur.
Il ne me paraît plus possible de méconnaître l’importance des quêtes identitaires de l’enfant et son besoin de se situer dans une histoire familiale. Les personnes conçues par ce biais et cherchant à connaître leurs origines génétiques ont déjà des parents ; ils sont non pas dans une quête affective ou à la recherche d’une famille, mais à la recherche d’une partie de leur histoire et de leur identité.
Par ailleurs, cela évite le risque de consanguinité et permet de connaître ses antécédents médicaux.
C’est un changement culturel assumé au nom, non de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais de son meilleur intérêt.
L’accès à l’identité n’est pas un droit à la rencontre, qui pourrait venir percuter la vie du donneur. Celui-ci n’est pas un parent de substitution ; il est un donneur de gamètes. Il s’agit simplement de permettre à ceux qui le désirent d’avoir accès à un morceau non négligeable de leur identité, cela répond à un besoin profond chez certains enfants nés d’un don.
C’est donc un droit à l’identité, qui permet que chacun puisse avoir un accès aux informations permettant d’établir quelques racines de son histoire et les circonstances de sa naissance. L’ignorance des origines est souvent une cause de souffrances mise en lumière par des psychiatres, des psychanalystes et des sociologues.
Pour toutes ces raisons, nos amendements viseront à revenir à la philosophie initiale du texte, en ne distinguant pas entre les modalités d’accès aux données non identifiantes et les moyens de connaître l’identité du donneur.
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, sur l’article.
M. Daniel Chasseing. L’article 3 propose, dans sa version initiale, le droit, pour les personnes nées d’une AMP avec tiers donneur, d’accéder, à leur majorité, à l’identité de celui-ci. Il revient ainsi sur le régime actuel, qui garantit l’anonymat des donneurs de gamètes.
Il me semble préférable de laisser au donneur la liberté de communiquer ou non son identité à l’enfant, à la majorité de celui-ci. J’ai proposé à la commission spéciale un amendement allant en ce sens. Celle-ci a modifié l’article pour adopter ce système.
Ainsi, tous les enfants pourront avoir accès aux données non identifiantes du tiers donneur, notamment aux antécédents médicaux, mais seuls les donneurs qui le souhaitent donneront leur identité aux enfants issus de leur don. Je pense que ce système est préférable, afin de ne pas décourager les donneurs et de préserver leur vie privée et celle de leur conjoint.
La mission consistant à mettre en œuvre ce droit est confiée au Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, le CNAOP, ce qui me satisfait.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas, sur l’article.
Mme Sophie Primas. Ce sujet est extrêmement complexe et très personnel.
Je partage en grande partie les propos tenus à l’instant par Mme Cohen, à une différence près : je me place résolument du côté de l’enfant, du futur adulte, de l’adulte ou, parfois, de la personne vieillissante. En effet, cette personne, à un moment de sa vie – quand elle sera ado, quand elle se mariera, quand elle aura des enfants ou encore quand elle perdra l’un de ses parents de vie –, se posera la question de son origine. Sans vouloir faire du café du commerce, pour avoir été plusieurs fois témoin de personnes découvrant, autour de moi, qu’elles ne connaissaient pas leur identité biologique, je peux vous affirmer que cela peut prendre toute la place dans la vie, cela peut devenir une véritable obsession.
Si je comprends la nécessité de conserver l’anonymat au moment du don, car il ne faut pas faire de sélection – on ne doit évidemment pas faire d’eugénisme en choisissant le donneur –, je pense aussi qu’il faut laisser aux enfants nés de cette technique de procréation le droit de chercher leurs origines.
Il s’agit ici d’un choix extrêmement personnel, mais je voulais faire part du mien, car je pense que l’on doit parler de l’intérêt de ces enfants devenus adultes, puis personnes âgées.
Mme la présidente. L’amendement n° 240 rectifié, présenté par M. L. Hervé, Mme Billon, M. Cigolotti et Mme Férat, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Cet amendement de suppression de l’article est fondé sur ma volonté de ne pas voir évoluer le droit en la matière.
Je comprends les arguments de nos collègues, qui se fondent sur un besoin légitime de la personne née d’un don. Reste que, si les éléments permettant l’identification sont laissés à la discrétion du donneur, au moment du don, cela aboutira à la création de régimes différenciés, selon que le donneur veut ou non se faire connaître. Ce faisant, alors que le mot « égalité » fait l’objet, pour certains d’entre nous, dont je ne suis pas, d’une forme d’obsession conduisant à vouloir offrir les mêmes droits à toutes les personnes nées à l’issue d’un même processus technique, certains enfants – ceux qui seront nés des gamètes d’un donneur ayant refusé la transmission d’un certain nombre d’éléments – se heurteront au mur du refus.
En outre, moi qui siège à la CNIL, je me demande en quoi consistent ces données non identifiantes. Seront-elles suffisantes pour répondre à la soif d’informations d’un enfant né d’un don ?
Je souhaite donc que soit maintenu un principe éthique des différentes lois relatives à la bioéthique et qui n’a jamais été remis en cause : l’anonymat.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La commission spéciale n’a pas méconnu l’ensemble des arguments qui viennent d’être évoqués. Il s’agit, là encore – comme d’habitude, depuis mardi dernier –, d’une décision extrêmement difficile à prendre.
Il y a plusieurs intérêts en jeu : celui des enfants qui veulent savoir – même s’il y a aussi des enfants, majoritaires, me semble-t-il, qui ne veulent pas savoir –…
M. Loïc Hervé. Eh oui !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. … et celui du donneur, le respect de sa vie privée. Être contacté dix-huit ans après avoir fait un don, voire un peu plus, peut représenter une irruption tout à fait néfaste dans la vie du donneur et sans commune mesure avec le geste altruiste qu’il a pu faire.
M. Loïc Hervé. Bien sûr !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Nous avons donc tenté de trouver un équilibre, consistant à permettre, au travers d’un double cliquet – le fait à la fois de demander l’accès à ces informations et d’obtenir l’accord de la personne qui est à l’origine du don – et par l’intermédiaire de la structure désignée, d’entretenir, avec chaque acteur, une discussion, une analyse, une avancée sur ce qu’il convient de faire, sur la décision vers laquelle l’un et l’autre doivent s’acheminer.
C’est un système que nous pensons juste et équilibré, autant que faire se peut. La commission spéciale a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Je vais revenir sur quelques-uns des points évoqués dans les prises de parole sur l’article, quitte à anticiper sur des débats à venir. Je veux au préalable rappeler, pour qu’il n’y ait aucune confusion, que l’anonymat du don d’éléments et de produits du corps humain, qui relève des grands principes qui structurent notre cadre bioéthique, n’est pas remis en cause. Ce principe s’exerce entre un donneur et un receveur. Or l’enfant né d’un don de gamètes constitue un tiers, tant à l’égard du donneur qu’à l’égard du receveur. Donc, j’y insiste, l’anonymat du don n’est pas remis en cause dans le système que nous proposons.
Cela dit, effectivement, les pédopsychiatres confirment la difficulté de se construire dans le secret et la frustration suscitée par ce qui s’apparente à un trou noir dans l’histoire et le récit des personnes nées de PMA avec don. Ainsi, le Gouvernement prévoit de compléter le cadre actuel de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, en accordant aux seules personnes conçues par don anonyme qui le souhaiteront un droit d’accès à des informations relatives au donneur, y compris à son identité. Il n’est pas question de permettre au donneur ni au receveur de connaître l’identité l’un de l’autre, ni au moment du don ni ultérieurement, et personne ne fait ni ne doit faire l’amalgame entre un père et un donneur ; c’est un constat qui me paraît consensuel et qui a encore été souligné à l’occasion des États généraux de la bioéthique.
Par conséquent, cette ouverture ne menace en rien la famille fondée sur une filiation juridique et sociale ; un donneur n’est pas un parent, je le répète, ce n’est pas sa vocation, ce n’est pas ce que nous instaurons et ce n’est pas le sens de son geste. Toutefois, il est une pièce de l’identité de l’enfant que l’on ne peut pas dérober à ce dernier.
Mettons-nous un instant à la place de ces enfants,…
M. Gérard Longuet. Enfin !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. … comme vous nous y invitez, madame la sénatrice Primas. Un certain nombre d’entre eux nous indiquent avoir besoin, dans leur construction, dans leur développement, dans leur épanouissement, de connaître l’identité de leur donneur.
Pour autant, madame la rapporteure, ceux qui ne le souhaiteront pas n’y seront pas obligés ; ceux qui ne veulent pas connaître l’identité du donneur n’auront aucune obligation à en être informés, ils n’auront pas l’identité du donneur parmi leurs cadeaux d’anniversaire à leur majorité. De même, à l’inverse, connaître l’identité ne constitue pas un droit à la rencontre.
Or le système vers lequel vous êtes en train de vous diriger, mesdames, messieurs les sénateurs, consiste, du point de vue de l’enfant, à institutionnaliser le fait que certains auront le droit de connaître l’identité de leur donneur et que d’autres, non. Ainsi, à partir de l’adolescence – moment important de la construction de l’identité –, ces enfants commenceront à se poser, tel un supplice chinois, chaque jour, chaque semaine jusqu’à leurs 18 ans, la question de savoir si leur donneur sera ou non d’accord pour qu’ils connaissent son identité. Puis, patatras, le jour de leurs 18 ans, ils se heurteront à une porte fermée !
Tel est le système que vous êtes en train d’institutionnaliser. En soumettant la révélation de l’identité du donneur à l’accord de celui-ci, ce dispositif sera délétère pour une grande partie des enfants qui se verront refuser l’accès à ces données. Alors que, tout au long de la construction de leur identité, ils auront pu espérer la révélation de l’identité du donneur, cette porte leur sera fermée, je le répète, à 18 ans.
J’ai envie de vous dire, un peu par provocation – vous m’en excuserez –, qu’il vaut mieux, dans ce cas, préserver les fameux secrets de famille ; ne bougeons pas, ne créons pas une inégalité, un supplice de plus pour ces enfants.
M. Bruno Retailleau. Ils ont sauté avec l’instauration de la PMA pour tous, les secrets de famille !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Voilà ce que j’avais à vous dire à cet égard.
Par ailleurs, le projet du Gouvernement, confirmé par les députés, prévoyait que cette réforme ne valait que pour l’avenir. Il prévoyait aussi que les anciens donneurs ne seraient pas sollicités, mais qu’ils pourraient, sur leur initiative, se manifester auprès de la commission s’ils étaient favorables à la communication de leur identité aux personnes nées de leurs dons qui en feraient demande. Votre commission spéciale a adopté un amendement ayant pour objet de prévoir que l’on recherche les anciens donneurs. Nous aurons l’occasion d’y revenir ; nous avions prévu une campagne incitant les anciens donneurs à se rapprocher de la commission, sans le caractère systématique que vous prévoyez.
Enfin, dans les pays qui ont déjà modifié leur législation sur ce point, on a observé, c’est vrai, une baisse du nombre de donneurs de gamètes au moment du changement de législation. Il est vrai aussi que cette tendance s’est inversée et a fini par se stabiliser. Il est également vrai que la nature des donneurs et les raisons pour lesquelles ces derniers donnent ont changé ; ce ne sont plus les mêmes donneurs. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il y a moins de donneurs.
Je me permets de vous rappeler à cet égard que l’ouverture de la PMA aux femmes ne nécessite, a priori, que des spermatozoïdes et non des gamètes féminins. Or il n’existe aujourd’hui aucune tension sur les dons de spermatozoïdes ; depuis que les personnes n’ayant pas eu d’enfant ont le droit de donner leurs gamètes, il n’y a plus de pénurie de spermatozoïdes.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques points sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir. Vous le comprendrez, je serai particulièrement tenace sur la question de l’identité du donneur, parce que cela me semble fondamental pour les enfants de ce pays qui seraient nés d’un don. Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. L’intelligence artificielle – je rappelle que ses données échappent au contrôle national – permettra à peu près certainement à tout enfant de remonter, avec une probabilité forte, à son parent, qui n’est certes qu’un donneur, mais qui sera ressenti, par l’enfant devenu adulte, comme tel.
Vous avez tout à fait raison, monsieur le secrétaire d’État, un donneur n’est pas un père, mais, quand on avance en âge, on s’intéresse beaucoup plus à ses parents que lorsque l’on est jeune – parfois, lorsque l’on est jeune, on les subit. On cherche à les comprendre et à savoir d’où l’on vient. D’ailleurs, les généalogistes vous le diront, ils sont très sollicités par des gens qui ont largement dépassé l’âge de l’adolescence et des crises post-pubertaires.
Il est assez légitime, quand on est un être humain, de se raccrocher à ses ascendants, à son histoire, à ses racines. Il y aura, pour cela, quoiqu’en dise la loi, un outil : le fichage absolu de toutes les données par des systèmes d’hébergement que, à cet instant, l’autorité nationale n’est pas, je le répète, en mesure de contrôler.
J’ai donc presque envie de vous soutenir dans votre volonté de lever l’anonymat du don, parce que, de toute façon, un donneur reste un parent, que vous le vouliez ou non. C’est un parent qui surgit dans un couple – je parle bien du couple, non de l’enfant – comme un intrus. Or cet intrus peut jouer un rôle considérable dans la maturation psychologique de l’enfant. C’est donc quelqu’un qui dérange ceux qui l’ont sollicité, mais qui rassure celui qui en est issu.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Il nous faut, pour de nombreuses raisons, tourner la page du secret, qui n’est plus adaptée aux demandes des enfants nés de dons et qui produit beaucoup de dégâts. Il faut tourner cette page en garantissant un double respect.
D’une part, il faut respecter les donneurs et les conditions dans lesquelles ils ont effectué leur don. À cet égard, je soutiens sans réserve la position de la commission spéciale, qui estime, puisque l’on change le cadre du don, qu’il faut contacter les anciens donneurs pour leur demander s’ils acceptent ce changement. Sans cela, il faudrait détruire ces gamètes, ce qui n’est pas souhaitable, en raison notamment du risque de pénurie.
D’autre part, il faut respecter l’intérêt supérieur de l’enfant, qui est d’avoir le droit de connaître ses origines, pour des raisons tant psychologiques que médicales. La connaissance des antécédents médicaux est importante. En cette matière, les données non identifiantes sont très clairement identifiantes. Il est donc inutile de s’accrocher à cette ligne de démarcation. Par conséquent, je soutiens la position du Gouvernement qui consiste à ne pas créer deux catégories différentes : les enfants qui auraient le droit de connaître leurs origines et ceux qui ne pourraient pas exercer ce droit parce que le donneur le refuserait. Il faut éviter de créer une inégalité entre les enfants.
Je ne soutiendrai donc évidemment pas cet amendement, qui tend à proposer d’en rester à un système qui n’est pas efficient et qui provoque, c’est peut-être compassionnel de le dire, beaucoup de malheur.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. J’appuie les propos de Bernard Jomier.
J’ai pour ma part nourri ma réflexion de mon expérience de présidente d’un conseil de famille, dans lequel on examine la situation des enfants nés sous X et celle des parents – des mères seules, souvent – qui ont décidé d’accoucher sous X. Certaines de ces femmes choisissent – ce sera le cas des donneurs – de fournir leurs données. Cela est absolument nécessaire pour certains enfants. Il n’y a qu’à voir la progression de ces personnes quand, à l’adolescence ou à l’âge adulte, elles accèdent à ces données, même si celles-ci sont infimes ; cela leur permet de se construire.
Dans le cadre des conseils de famille, avant de confier les enfants nés sous X à des familles d’accueil, on leur demande souvent de constituer un album sur les premiers jours de vie. Rien que le fait de disposer de ces albums, qui atterrissent dans les mains du jeune en construction, qui devient, à sa majorité, adulte, permet à ces individus de se construire.
J’ai aussi nourri ma réflexion des propos de la sociologue Irène Théry, selon qui, aujourd’hui, on « distill[e] parcimonieusement “des renseignements non identifiants”, sans paraître se rendre compte de ce raffinement de cruauté ». C’est terrible pour certains enfants, pas pour tous – certains ne demandent rien –, mais pour ceux qui veulent se construire ; c’est un besoin essentiel. Sans cela, il s’agit, je le répète, d’un « raffinement de cruauté ».
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour explication de vote.
M. Loïc Hervé. Je maintiens évidemment mon amendement.
Je relève de cette discussion que des éléments de doute subsistent quant aux conséquences mêmes de ce nouveau droit.
Je veux demander au Gouvernement si l’on a étudié la question de l’apparition d’une éventuelle jurisprudence judiciaire ou administrative en la matière. À partir du moment où l’on constitue un droit opposable, le juge ne pourra-t-il pas se poser la question du rétablissement du principe d’égalité et passer outre la décision du donneur de ne pas révéler son identité ?
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.
M. Dominique de Legge. Ce débat n’est pas simple.
Jusqu’à présent, on garantissait l’anonymat du don, parce qu’il s’agissait d’organes. Nous sommes là face à un cas de figure différent : il ne s’agit pas de réparer ; les gamètes contribuent à donner la vie. Il est donc normal de se poser la question de savoir si la règle générale applicable au don d’organes l’est aussi, compte tenu de cette particularité, au don de gamètes.
J’ai une deuxième difficulté : on nous explique d’abord que, au fond, la PMA n’est pas très grave pour l’enfant, lequel peut être conçu sans père ; on nous explique ensuite que, pour sa construction, il faut quand même que cet enfant puisse avoir accès à ses origines… J’ai encore plus de mal à comprendre comment on met tout cela en cohérence avec l’article 4 portant sur la filiation.