M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Cadic, Mme Doineau et MM. Cazabonne et Détraigne, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article 47 du code civil, il est inséré un article 47-1 ainsi rédigé :
« Art. 47-1. – I. – Tout jugement étranger, rendu antérieurement ou postérieurement à la naissance d’un enfant né dans le cadre d’une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue dans un État où cette pratique n’est pas expressément interdite et par lequel la filiation de cet enfant a été établie, est rendu exécutoire sur le territoire français, sous réserve de sa régularité internationale, mais sans que ne puissent lui être opposés ni le mode de conception de l’enfant, ni le fait qu’il serait antérieur à la naissance de ce dernier, à la diligence du procureur de la République du lieu où est établi le service central d’état civil du ministre des affaires étrangères ou dans les conditions fixées par l’article 509 du code de procédure civile.
« II. – Ce jugement, une fois rendu exécutoire, est de plein droit assimilé à un jugement ayant les mêmes effets, en droit français, qu’un jugement d’adoption plénière à l’égard de l’homme ou des deux hommes auquel l’enfant dont la filiation est établie n’est pas lié biologiquement ou à l’égard de la femme ou des deux femmes qui n’en ont pas accouché.
« III. – Les actions aux fins de reconnaissance des jugements ayant établi la filiation d’enfants nés, à l’étranger, d’une gestation pour le compte d’autrui sont portées devant les tribunaux mentionnés à l’article L. 211-13 du code de l’organisation judiciaire. »
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Cet amendement vise à faciliter la reconnaissance, en droit français, des états civils des enfants nés à l’étranger dans le cadre d’une convention de gestation pour le compte d’autrui.
Si, en droit français, les conventions de GPA sont interdites, cet amendement vise néanmoins à prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, qui n’est pas responsable de son mode de procréation.
Il s’agit de garantir le respect du principe d’égalité des enfants devant la loi, en faisant prévaloir la jurisprudence de la Cour de cassation, s’appuyant sur l’avis consultatif de la Cour européenne des droits de l’homme du 10 avril 2019.
En effet, notre haute juridiction vient d’étendre sa jurisprudence Mennesson du 4 octobre 2019 en ordonnant, par une série de quatre arrêts rendus en décembre dernier, la transcription totale dans l’état civil français de l’acte de naissance étranger, indépendamment du mode de conception de l’enfant.
La Cour de cassation a donc contredit la cour d’appel de Rennes, qui avait admis la transcription partielle d’actes de naissance étrangers en ce qu’ils désignaient le père biologique d’une GPA, mais avait refusé cette transcription en ce qu’ils désignaient le « père d’intention ».
La Cour de cassation prend donc ses distances avec une conception purement biologique de la filiation. Les parents de même sexe d’un enfant né à l’étranger par gestation pour autrui ou procréation médicalement assistée peuvent demander la transcription totale de l’acte d’état civil étranger, s’il est conforme au droit local.
Ainsi, en cas de GPA pratiquée légalement à l’étranger, le père d’intention n’a plus à engager une procédure d’adoption pour valider sa filiation en cas de recours à une mère porteuse. Cet amendement offre donc aux enfants nés par GPA et à leurs parents un mécanisme à même de leur permettre d’obtenir simplement la reconnaissance, en droit français, de la filiation telle qu’elle a été établie dans l’État de naissance de ces enfants.
Le dispositif maintient toutefois le contrôle que l’État français est en droit d’exercer sur tout jugement étranger, à savoir la vérification de la compétence internationale du juge étranger, de l’absence de violation, par ce jugement, de l’ordre public international français et de l’absence de fraude.
M. le président. L’amendement n° 104, présenté par Mme Benbassa, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article 47 du code civil, il est inséré un article 47-1 ainsi rédigé :
« Art. 47-1. – I. – Tout jugement étranger, rendu antérieurement ou postérieurement à la naissance d’un enfant né dans le cadre d’une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue dans un État étranger et par lequel la filiation de cet enfant a été établie, est rendu exécutoire sur le territoire français, sans que ne puissent lui être opposés ni le mode de conception de l’enfant, ni le fait qu’il serait antérieur à la naissance de ce dernier. Cette exécution se fait à la diligence du procureur de la République du lieu où est établi le service central d’état civil du ministre des Affaires étrangères ou dans les conditions fixées par l’article 509 du code de procédure civile.
« II. – Ce jugement venant établir la filiation, une fois rendu exécutoire, est de plein droit assimilé à un jugement ayant les mêmes effets, en droit français, qu’un jugement d’adoption plénière à l’égard de l’homme ou des deux hommes auquel l’enfant n’est pas lié biologiquement ou à l’égard de la femme ou des deux femmes qui n’en ont pas accouché.
« III. – Les actions aux fins de reconnaissance des jugements ayant établi la filiation d’enfants nés à l’étranger d’une gestation pour le compte d’autrui sont portées devant les tribunaux mentionnés à l’article L. 211-13 du code de l’organisation judiciaire. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Par une circulaire de la garde des sceaux en date du 29 janvier 2013, il est permis d’inscrire aux registres d’état civil français les enfants nés à l’étranger à la suite d’une GPA. Cette circulaire a, depuis, été validée par le Conseil d’État, en 2014, et a ouvert la voie à une jurisprudence solide du tribunal de grande instance de Paris. J’ai bien évidemment toujours été favorable à ces décisions de justice, estimant que les enfants nés de GPA n’avaient pas à être punis pour les actes illégaux de leurs parents.
Je crains cependant qu’une jurisprudence contraire, se fondant sur cet article 4 bis, puisse émerger, mettant en péril l’accès à la nationalité française de ces enfants.
Ainsi, le présent amendement vise à introduire dans notre droit les principes institués par ces décisions de justice, afin de garantir une véritable sécurité juridique pour les nouveau-nés fruits d’un contrat de gestation pour le compte d’autrui conclu à l’étranger.
J’entends évidemment les réticences de nos collègues de tous bords politiques tenant au risque de marchandisation du corps des femmes en situation de précarité si cette pratique n’était pas éthiquement encadrée. Mais la question ici soulevée n’est pas celle de la légalisation de la gestation pour autrui. La seule motivation qui m’anime, c’est l’intérêt supérieur de l’enfant. Je pense qu’elle peut nous rassembler toutes et tous.
M. le président. L’amendement n° 249 rectifié bis, présenté par Mme Laborde, MM. Arnell, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère, MM. Castelli, Collin et Corbisez, Mme Costes et MM. Gabouty, Gold, Labbé, Requier et Roux, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Tout jugement étranger, rendu antérieurement ou postérieurement à la naissance d’un enfant né dans le cadre d’une convention de gestation pour le compte d’autrui conclue dans un État où cette pratique n’est pas expressément interdite et par lequel la filiation de cet enfant a été établie à l’égard d’un ou de deux hommes auquel il n’est pas lié biologiquement ou à l’égard d’une ou de deux femmes qui n’en ont pas accouché, est de plein droit assimilé à un jugement ayant les mêmes effets, en droit français, qu’un jugement d’adoption plénière.
II. – Ce jugement, sous réserve de sa régularité internationale mais sans que ne puissent lui être opposés ni le mode de conception de l’enfant, ni le fait qu’il serait antérieur à la naissance de ce dernier, est rendu exécutoire sur le territoire français à la diligence du procureur de la République du lieu où est établi le service central d’état civil du ministre des affaires étrangères ou dans les conditions prévues à l’article 509 du code de procédure civile.
III. – Les actions aux fins de reconnaissance des jugements ayant établi la filiation d’enfants nés à l’étranger d’une gestation pour le compte d’autrui sont portées devant les tribunaux mentionnés à l’article L. 211-13 du code de l’organisation judiciaire.
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Nous savons désormais que certains de nos ressortissants ont recours à la GPA à l’étranger, quand bien même cette pratique reste interdite en France depuis la loi du 29 juillet 1994. C’est un état de fait que nous devons prendre en compte dans notre travail législatif. Environ 2 000 enfants seraient concernés.
En raison de la rédaction actuelle de l’article 16-7 du code civil, qui est extrêmement laconique, la situation sur le sol français des enfants nés de cette façon est incertaine, même si leurs parents biologiques et d’intention sont français. En effet, si le code civil dispose explicitement que toute convention ayant pour objet une gestation pour autrui est nulle, le législateur de 1994 n’a pas prévu de solution de droit pour les enfants nés à l’étranger en violation de cette interdiction.
Or ces enfants sont aussi vulnérables que les autres, ce qui justifie qu’ils puissent bénéficier de l’établissement d’un lien de filiation avec deux parents, notamment au cas où l’un de ceux-ci serait défaillant. À quoi sert la loi si elle n’a pas pour objet de protéger les personnes vulnérables ?
Anticiper les contournements d’une interdiction n’est pas contradictoire avec un meilleur encadrement de leurs conséquences. C’est d’ailleurs ce que prévoit notre droit en matière d’avoirs criminels.
Faute d’une telle anticipation, la tâche de traiter du cas des enfants nés à l’étranger à la suite d’une GPA est revenue à la Cour de cassation, dialoguant avec la Cour européenne des droits de l’homme.
L’amendement de notre collègue Bruno Retailleau introduit une disposition visant à clarifier cette situation, en prévoyant que, pour le parent d’intention, l’adoption doit rester la seule voie administrative et judiciaire possible pour établir un lien de filiation avec l’enfant. C’est justement ce qu’ont contesté les époux Mennesson, arguant que, dix-huit ans après la naissance de leurs filles, leur appliquer cette règle n’avait aucun sens.
En outre, la question de la nature de l’adoption se pose également : s’agit-il d’une adoption simple ou plénière ? La réponse à cette question a une incidence sur l’établissement de la nationalité des enfants.
Nous proposons donc de modifier le dispositif de l’article, afin de permettre la transcription des actes d’état civil étrangers via un juge, solution plus satisfaisante du point de vue de l’intérêt supérieur des enfants concernés.
M. le président. L’amendement n° 250 rectifié, présenté par Mme Costes, MM. Arnell, A. Bertrand et Cabanel, Mme M. Carrère et MM. Castelli, Collin, Corbisez, Gabouty, Gold, Labbé, Requier et Roux, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article 336-1 du code civil, il est inséré un article 336-… ainsi rédigé :
« Art. 336-…. – Lorsque l’état civil de l’enfant a été établi par une autorité étrangère en conformité à une décision de justice de ce pays faisant suite à un protocole de gestation pour autrui, cet état civil est transcrit intégralement dans le registre des Français nés à l’étranger sans contestation possible, à condition que la décision de justice soit conforme aux lois locales applicables, que le consentement libre et éclairé de la femme qui a porté l’enfant soit reconnu par cette décision et que les possibilités de recours envers ladite décision soient épuisées. »
La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Le présent amendement vise, comme le précédent, à modifier le dispositif tendant à clarifier la situation des enfants nés à l’étranger à la suite d’une GPA.
Il s’agit d’une rédaction plus pragmatique encore, tenant compte de l’engorgement de nos tribunaux. Elle vise ainsi à permettre une transcription administrative de l’état civil, comme cela se fait actuellement dans les consulats, en cas de naissance d’enfants français à l’étranger.
Les auteurs de l’amendement n’entendent pas remettre en cause l’interdiction de la GPA en France, mais ils considèrent que, en matière de procréation et de filiation, il est illusoire de considérer que l’établissement de longs parcours administratifs et judiciaires permettra de lutter contre le recours à cette pratique à l’étranger.
Dans l’intérêt des enfants concernés, il est donc proposé de simplifier ces procédures, tout en prévoyant quelques garanties protectrices pour les mères porteuses et les mineurs.
En conclusion, je voudrais remercier M. le président de la commission spéciale d’avoir permis la tenue de ce débat.
M. le président. L’amendement n° 216 rectifié quater, présenté par Mme de la Gontrie, MM. Jacques Bigot, Jomier, Daudigny, Vaugrenard et Kanner, Mmes Conconne et Préville, MM. Féraud et Vallini, Mme S. Robert, M. Bérit-Débat, Mme Conway-Mouret, M. Gillé, Mme Monier, MM. Sueur, M. Bourquin, Lozach, Sutour, Marie, Dagbert, Duran, Durain, Mazuir et Tissot, Mme Tocqueville, M. Lurel, Mmes Lepage, Jasmin et Taillé-Polian et MM. Temal et Montaugé, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 47 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du présent code, ne peut, à elle seule, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’État étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard du parent d’intention mentionné dans l’acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et le parent d’intention s’est concrétisé. »
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement a pour objet de reprendre les attendus des arrêts de la Cour de cassation de novembre et de décembre derniers que j’ai évoqués dans mon intervention sur l’article et qui ont vocation à permettre la transcription à l’état civil français de l’acte de naissance d’un enfant né par GPA à l’étranger, en précisant que le recours à ce mode de procréation n’est pas un motif suffisant pour exclure cette possibilité. D’autres collègues l’ont dit, cela n’interdirait pas au juge français de refuser cette transcription : la jurisprudence tend à rendre celle-ci non pas automatique, mais seulement possible. Pensons aux quelques centaines d’enfants concernés et appliquons la jurisprudence de la Cour de cassation !
M. le président. L’amendement n° 301, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 47 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée : « Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. »
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je voudrais d’abord rappeler la chronologie.
En 2015 puis en 2017, la Cour de cassation a développé une jurisprudence sur la question des GPA réalisées à l’étranger. C’est un sujet très complexe et très sensible, et il faut se garder d’avancer des solutions simplistes, dans la mesure où le devenir d’enfants est en jeu.
La France a fait le choix d’interdire la GPA, au nom de principes éthiques sur lesquels il n’est pas question de céder. Il existe cependant une réalité : nos frontières sont ouvertes et des couples se rendent à l’étranger pour obtenir un enfant par le biais d’une GPA. Nier cette réalité pourrait conduire à pénaliser des enfants en raison de choix effectués par leurs parents. Il convient donc de trouver un équilibre entre l’effectivité de l’interdiction de la GPA et le droit, pour les enfants, à avoir un état civil et une vie familiale normale.
Il résultait de la jurisprudence de la Cour de cassation que, lorsqu’un couple avait eu recours à une GPA à l’étranger, la transcription de l’acte de naissance était possible en ce qui concerne le père biologique. En revanche, s’agissant du parent d’intention, la Cour de cassation renvoyait à une procédure d’adoption.
Le Gouvernement approuvait et approuve toujours cet équilibre, qui permet à la fois un contrôle du juge français sur les GPA réalisées à l’étranger et une protection des intérêts et des droits en présence, notamment, bien sûr, ceux de l’enfant.
Comme je l’ai indiqué à l’Assemblée nationale – je le dis notamment pour répondre aux observations formulées par Mme la sénatrice de la Gontrie –, je comptais adresser aux procureurs, mais aussi aux consulats, une circulaire pour assurer la bonne application de la solution que je viens de développer devant vous. Cela était d’autant plus souhaitable que cette solution avait été validée par la Cour européenne des droits de l’homme par un avis du 10 avril 2019 précisant que la jurisprudence de la Cour de cassation était compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme. La CEDH a posé des conditions relatives à l’accès à la procédure d’adoption, mais, en décembre dernier, elle a redit que la procédure d’adoption française permettait de donner aux enfants nés d’une GPA à l’étranger une filiation dans des conditions conformes à la jurisprudence et aux exigences de la Convention européenne des droits de l’homme.
Le 18 décembre dernier, la Cour de cassation est revenue sur sa jurisprudence antérieure, en permettant la transcription de plein droit des actes de naissance établis à l’étranger sans passer par l’adoption.
Techniquement, la Cour de cassation a modifié son interprétation de l’article 47 du code civil sur la régularité des actes de l’état civil étranger. Vous le savez sans doute, cet article dispose que, pour être reconnu en France, un acte de l’état civil étranger doit être « conforme à la réalité ».
Jusque-là, la Cour de cassation considérait que la « conformité à la réalité » s’appréciait au regard de la loi française. Pour la GPA, cela signifie que l’acte de naissance qui désigne la mère d’intention comme mère n’était pas conforme à la réalité, puisque, en droit français, nous l’avons dit, la mère est celle qui accouche.
Ainsi, depuis le 18 décembre dernier, la Cour de cassation juge que la conformité à la réalité d’un acte de l’état civil étranger s’apprécie au regard non plus des critères de la loi française, mais des critères de la loi nationale étrangère. Évidemment, cela change les choses.
Le Gouvernement ne peut se résoudre à ce nouvel état du droit, je le dis clairement. En effet, il supprime notamment tout contrôle juridictionnel sur les GPA réalisées à l’étranger. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose de revenir à la situation antérieure à cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation. Le passage par la procédure d’adoption me paraît indispensable en ce cas, car seule l’intervention du juge dans le cadre de la procédure d’adoption permet d’opérer un contrôle dans l’intérêt de l’enfant, notamment de s’assurer de l’absence de trafic d’enfants.
Le Gouvernement présente un amendement visant à préciser, à l’article 47 du code civil, que la conformité de l’acte étranger s’apprécie au regard des critères de la loi française.
Concrètement, cela signifie que l’acte de naissance d’un enfant né d’une GPA à l’étranger qui désigne la mère d’intention comme mère n’est pas conforme à la réalité, puisque, en droit français, la mère est celle qui accouche, hors hypothèse de l’adoption.
M. Philippe Bas. Merci de le rappeler !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je n’ai cessé de le faire depuis tout à l’heure.
La solution que nous proposons est à la fois suffisamment large et précise ; elle permet de viser d’autres situations que celle des enfants nés à la suite d’une GPA à l’étranger.
La rédaction qui vous est soumise permet en effet de s’opposer à des transcriptions qui seraient contraires aux règles françaises pour d’autres raisons – on peut penser par exemple aux actes de naissance qui incluent plus de deux parents, hors hypothèse de l’adoption.
L’amendement a pour objet de revenir à la solution antérieurement retenue, à savoir transcription de l’acte de naissance dans l’état civil français pour le père biologique, établissement de la filiation du parent d’intention par l’adoption, sous le contrôle du juge, conformément à la jurisprudence antérieure appliquée par les tribunaux et confortée par la Cour européenne des droits de l’homme ; pas plus, pas moins.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à adopter cet amendement, et j’émets un avis défavorable sur les amendements nos 8 rectifié, 104, 249 rectifié bis, 250 rectifié et 216 rectifié quater. Il me semble en effet que leurs dispositifs ne permettent pas de garantir le contrôle par le juge français.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Concernant les amendements nos 8 rectifié, 104 et 249 rectifié bis, dont les auteurs proposent une nouvelle rédaction de l’article 4 bis, je rappellerai d’abord, à la suite de Mme le garde des sceaux, que la GPA est interdite en France, tout simplement. En 2018, le Conseil d’État, dans l’étude réalisée préalablement aux états généraux de la bioéthique et à la révision de la loi relative à la bioéthique, a indiqué clairement que la GPA heurte la substance même du modèle bioéthique français.
Pour autant, l’intérêt des enfants doit être préservé : nous en avons conscience et, si tel n’était pas le cas, la Cour européenne des droits de l’homme ne manquerait pas de nous rappeler ce principe.
Aujourd’hui, il n’existe pas d’enfant né à l’étranger à la suite d’une GPA qui soit totalement privé de filiation, y compris en France. En effet, les actes de naissance sont toujours transcrits dans l’état civil français s’agissant de la filiation biologique qui est constatée, l’autre parent devant recourir à la procédure d’adoption. Cela est conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.
Les auteurs des amendements nos 8 rectifié, 104 et 249 rectifié bis proposent que les jugements étrangers établissant la filiation d’enfants nés d’une GPA aient en droit français les mêmes effets qu’un jugement d’adoption plénière. Cela heurte, encore une fois, le principe de l’interdiction de la GPA en France.
En outre, selon les dispositions de ces amendements, le procureur de la République serait tenu de procéder à la transcription du jugement sans aucun contrôle de fond sur le respect de l’intérêt de l’enfant, ce qui ne sera pas le cas si la procédure d’adoption est mise en œuvre conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
La commission est donc défavorable à ces trois amendements.
Les auteurs de l’amendement n° 250 rectifié proposent eux aussi une nouvelle rédaction de l’article 4 bis visant à la même fin, mais avec une variante : il est exigé que le consentement de la mère porteuse soit mentionné dans le jugement et toute contestation de la transcription, notamment par le procureur de la République, est proscrite.
Cette dernière disposition ne paraît guère constitutionnelle, le droit au recours étant particulièrement bien protégé par nos principes constitutionnels et conventionnels. Il me semble difficile d’admettre un amendement dont l’adoption contraindrait autant notre système juridique.
Pour ces motifs et pour les raisons précédemment évoquées, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 216 rectifié quater tend à codifier dans la loi les termes de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reprend elle-même celle de la Cour européenne des droits de l’homme sur la filiation d’un enfant issu d’une gestation pour autrui.
Cependant, les termes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ont été établis non pas pour la France, mais pour l’ensemble des États, de sorte qu’ils sont relativement vagues ; ils ne précisent pas quelle serait la procédure qu’il faudrait mettre en œuvre pour que le second lien de filiation, celui qui n’est pas biologique, soit établi par la France. Ces termes sont donc inadaptés et insuffisamment précis pour pouvoir être inscrits dans la loi.
L’avis de la commission est par conséquent défavorable.
Quant à l’amendement n° 301, nous partageons, me semble-t-il, l’objectif du Gouvernement,…
M. Bruno Retailleau. C’est à voir !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. … à savoir revenir sur la dernière jurisprudence de la Cour de cassation, qui tend purement et simplement à la transcription directe des actes de naissance des enfants nés à la suite d’une GPA pratiquée à l’étranger. Cependant, j’avoue ne pas voir comment le dispositif de cet amendement peut fonctionner, madame le ministre.
Vous proposez de compléter l’article 47 du code civil par une phrase ainsi rédigée : « Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. » De quoi s’agit-il ? Pour la clarté du débat, je rappelle que l’article 47 du code civil dispose qu’un acte de l’état civil des Français établi en pays étranger fait foi, sauf s’il est établi que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Vous souhaitez donc préciser que cette réalité doit être appréciée au regard de la loi française.
J’avoue ne pas comprendre ce que cela signifie. La réalité, ce n’est pas un concept juridique ; c’est un concept de fait.
M. Bruno Retailleau. Bien sûr ! C’est pourquoi l’amendement du Gouvernement est nul et non avenu.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il s’agit en l’espèce de savoir si l’enfant dont la transcription de l’acte de naissance étranger est demandée est effectivement né de l’un des deux parents mentionnés.
La façon dont l’amendement est rédigé ne me paraît pas permettre d’atteindre l’objectif annoncé, qui est aussi celui que la commission avait à l’esprit en adoptant l’amendement déposé par M. Retailleau.
Je ne vois pas en quoi cet amendement serait plus clair que celui que la commission a adopté.