Sommaire
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
Secrétaires :
Mmes Agnès Canayer, Mme Annie Guillemot.
importance de l’activité du tribunal judiciaire de bourg-en-bresse
Question n° 1110 de M. Patrick Chaize. – Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice ; M. Patrick Chaize.
avènement et déploiement de la 5g
Question n° 1114 de Mme Laurence Rossignol. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Laurence Rossignol.
avenir des agents de la brigade mobile d’intervention pour les loups
Question n° 1102 de Mme Patricia Morhet-Richaud. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Patricia Morhet-Richaud.
ligne ferroviaire de la vallée de l’arve
Question n° 1061 de M. Loïc Hervé. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Loïc Hervé.
camions porteurs à quatre essieux
Question n° 1067 de M. Claude Nougein. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Claude Nougein.
problème des lignes secondaires de la région nouvelle-aquitaine
Question n° 1047 de M. Daniel Chasseing. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
mobilité dans le département des pyrénées-orientales
Question n° 1079 de M. Jean Sol. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire.
société hydro-électrique du midi et renouvellement des concessions hydroélectriques
Question n° 1078 de Mme Viviane Artigalas. – Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; Mme Viviane Artigalas.
Question n° 1125 de M. Georges Patient. – Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; M. Georges Patient.
lutte contre les violences faites aux femmes
Question n° 878 de Mme Michelle Gréaume. – Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; Mme Michelle Gréaume.
Question n° 906 de M. Bernard Bonne. – M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales ; M. Bernard Bonne.
pouvoirs de police des maires dans les petites communes
Question n° 1080 de Mme Laurence Harribey. – M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales ; Mme Laurence Harribey.
Question n° 1076 de Mme Annick Billon. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Annick Billon.
règles de remboursement de la dotation jeune agriculteur
Question n° 663 de Mme Nadia Sollogoub. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Nadia Sollogoub.
taxes américaines et conséquences sur la filière vini-viticole
Question n° 1073 de M. Hervé Gillé. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Hervé Gillé.
tirs de défense contre les loups
Question n° 1111 de M. Cyril Pellevat. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; M. Cyril Pellevat.
politique agricole commune et agriculture française
Question n° 973 de Mme Sylvie Vermeillet. – M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation ; Mme Sylvie Vermeillet.
statut juridique des postes-frontières
Question n° 1054 de M. Guillaume Gontard. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Guillaume Gontard.
Question n° 1071 de Mme Nathalie Goulet. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; Mme Nathalie Goulet.
manque d’effectifs de gendarmes en zone de sécurité prioritaire
Question n° 911 de Mme Sylviane Noël. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
prérogatives des élus consulaires
Question n° 1004 de M. Ronan Le Gleut. – M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur ; M. Ronan Le Gleut.
Suspension et reprise de la séance
place du sport au concours et dans la formation des instituteurs
Question n° 1088 de M. Michel Savin. – M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; M. Michel Savin.
Question n° 1059 de Mme Angèle Préville. – M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Angèle Préville.
situation des directrices et directeurs d’école
Question n° 1112 de Mme Maryvonne Blondin. – M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; Mme Maryvonne Blondin.
karaté et jeux olympiques de paris 2024
Question n° 1048 de M. Vincent Segouin. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Vincent Segouin.
taux de fiscalité sur le foncier bâti du conseil départemental de l’aisne
Question n° 1077 de M. Antoine Lefèvre. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Antoine Lefèvre.
comptes de trésorerie des budgets annexes
Question n° 1132 de Mme Nathalie Delattre. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique.
imposition des français de l’étranger
Question n° 1081 de Mme Martine Filleul. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; Mme Martine Filleul.
réforme de l’apprentissage dans le secteur public
Question n° 889 de M. Didier Mandelli. – M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique ; M. Didier Mandelli.
développement des habitats partagés et impact sur les budgets des conseils départementaux
Question n° 1052 de M. Didier Mandelli, en remplacement de M. Michel Vaspart. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Didier Mandelli.
devenir des maisons de naissance
Question n° 1074 de M. Didier Rambaud. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Didier Rambaud.
suppression de la dérogation à la demande d’entente préalable dans le cantal
Question n° 1089 de Mme Josiane Costes. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Josiane Costes.
salariat des médecins dans les déserts médicaux
Question n° 1092 de M. Édouard Courtial. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Édouard Courtial.
coupes budgétaires sur les soins palliatifs dans l’aude
Question n° 1122 de M. Roland Courteau. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Roland Courteau.
accompagnement des départements dans la gestion des mineurs non accompagnés
Question n° 1050 de M. Claude Kern. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Claude Kern.
Question n° 797 de Mme Brigitte Lherbier. – Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Brigitte Lherbier.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
4. Politique familiale. – Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé
Mme Michelle Gréaume ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Michelle Gréaume.
Mme Colette Mélot ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Mme Élisabeth Doineau ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Alain Milon ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Alain Milon.
Mme Corinne Féret ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Corinne Féret.
Mme Maryse Carrère ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Martin Lévrier ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
Mme Florence Lassarade ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; Mme Florence Lassarade.
Mme Michelle Meunier ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Bernard Bonne ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Bernard Bonne.
Mme Victoire Jasmin ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Mme Vivette Lopez ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Guillaume Chevrollier ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé ; M. Guillaume Chevrollier.
Mme Nicole Duranton ; Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains
Suspension et reprise de la séance
5. Irresponsabilité pénale. – Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice
6. Risques naturels majeurs outre-mer. – Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer
M. Guillaume Arnell, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer
M. Robert Laufoaulu ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Jean-Paul Prince ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Mathieu Darnaud ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
Mme Victoire Jasmin ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Stéphane Artano ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; M. Stéphane Artano.
M. Dominique Théophile ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
Mme Esther Benbassa ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; Mme Esther Benbassa.
M. Jean-Marie Mizzon ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
M. Michel Vaspart ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Maurice Antiste ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; M. Maurice Antiste.
Mme Catherine Dumas ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Victorin Lurel ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
Mme Vivette Lopez ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Marc Laménie ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer ; M. Marc Laménie.
M. Didier Mandelli ; Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer.
M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer
Suspension et reprise de la séance
7. Quelle doctrine d’emploi de la police et de la gendarmerie dans le cadre du maintien de l’ordre ? – Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur
compte rendu intégral
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Agnès Canayer,
Mme Annie Guillemot.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 6 février 2020 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d’un ancien sénateur
Mme la présidente. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous rappeler le décès de notre ancien collègue Gilbert Belin, qui fut sénateur du Puy-de-Dôme de 1974 à 1983 et de 1988 à 1992.
3
Questions orales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
importance de l’activité du tribunal judiciaire de bourg-en-bresse
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, auteur de la question n° 1110, adressée à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Patrick Chaize. Madame la garde des sceaux, je souhaite appeler votre attention sur l’importance de l’activité du tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, dans l’Ain, et l’insuffisance de ses moyens.
L’Ain est classé au sixième rang national au titre de la croissance démographique, avec une augmentation de plus de 30 000 habitants en seulement cinq ans et une perspective à plus de 650 000 résidents d’ici à deux ans.
Dans ce contexte, l’activité pénale ne faiblit pas, bien au contraire, comme en témoignent le nombre de décisions rendues mais aussi le délai pour qu’une affaire soit jugée.
L’Ain subit l’influence de la criminalité des agglomérations lyonnaise et genevoise. Il est pourtant le seul des ressorts des cours d’appel de la région Rhône-Alpes-Auvergne à ne pas disposer de services d’enquête régionaux.
Comment ne pas conforter ainsi les professionnels de la délinquance dans l’idée que l’Ain est un territoire propice au développement des activités illicites ?
Pour illustration, le territoire du Pays de Gex, situé aux portes de Genève, connaît un taux de croissance démographique dix fois supérieur à la moyenne nationale ainsi qu’un développement économique fort. En parallèle, il connaît aussi un accroissement des trafics de stupéfiants et des activités illégales, sans toutefois la présence du moindre enquêteur spécialisé.
Cette sous-représentation n’est pas isolée lorsque l’on sait que l’Ain compte 46 agents de l’État pour 1 000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 72 agents et même de 77 pour le département du Rhône.
Force est de constater que la juridiction de Bourg-en-Bresse est injustement sous-dotée en magistrats. En effet, 100 000 Aindinois ne peuvent compter que sur la présence de 1,4 magistrat du parquet, alors qu’à nombre identique d’habitants cette présence est de 2,8 parquetiers dans d’autres départements.
Devant cette incontestable réalité, une implantation locale des services spécialisés dans la lutte contre la criminalité organisée ainsi qu’un juste renforcement des effectifs du ministère public sont indispensables.
En réponse à ma question orale du 13 février 2018, vous m’aviez indiqué, madame la garde des sceaux, que les services de la Chancellerie seraient attentifs à cette situation. Mais l’Ain n’a pas vu celle-ci s’améliorer.
Aussi, par cette nouvelle question, je voudrais savoir quelles mesures urgentes vous comptez mettre en place.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Patrick Chaize, vous m’aviez effectivement interrogée en février 2018 sur la situation du tribunal de Bourg-en-Bresse ; vous me sollicitez de nouveau aujourd’hui sur deux points.
S’agissant du premier point, à savoir l’accroissement des effectifs des services d’enquête spécialisés, comme vous le savez, l’affectation des postes sur ces services d’enquête relève non pas des services de la Chancellerie, mais du ministère de l’intérieur. J’ai donc attiré l’attention de mon collègue Christophe Castaner sur ce point spécifique.
S’agissant du second point, à savoir le nombre de magistrats du parquet, notamment, présents au tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, à titre liminaire, je souhaite vous rappeler qu’après une augmentation de 4,5 % en 2019 le budget du ministère de la justice augmente de nouveau cette année de 4 %. Cela me permet notamment de créer, en 2020, 384 emplois dans les services judiciaires, qui viendront en soutien de l’ensemble des juridictions.
Concernant le nombre précis de magistrats au tribunal de Bourg-en-Bresse, je voudrais vous communiquer deux chiffres qui m’ont été fournis par mes services et qui sont fondés sur des données provisoires à la fin de 2019.
Ces chiffres tendent à indiquer une baisse de l’activité pénale du parquet. Ainsi, le nombre d’affaires enregistrées au parquet et le nombre d’affaires poursuivables diminueraient respectivement, à la fin de 2019, de 5 % et 6 % par rapport à l’année précédente.
En outre, l’activité pénale du tribunal correctionnel révélerait, pour 2019, une légère baisse de 2 % dans les jugements et de 3,5 % pour les autres types de décisions – par exemple, ordonnances pénales et comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité.
La circulaire de localisation des emplois pour l’année 2019 fixe à 37 le nombre de magistrats nécessaires au fonctionnement de la juridiction : 28 au siège et 9 au parquet.
Les effectifs sont aujourd’hui au complet, tant au siège qu’au parquet. Mes services travaillent actuellement sur les prochains mouvements de magistrats qui paraîtront en février et au mois de mars pour les élèves sortant d’école, lesquels prendront leurs fonctions au mois de septembre 2020. Dans ce cadre, le renforcement des parquets de première instance constitue une priorité.
Je puis d’ores et déjà vous affirmer que les effectifs du tribunal de Bourg-en-Bresse seront au complet.
Je voudrais de nouveau vous assurer, monsieur le sénateur, de mon attention précise à la situation du tribunal et à la situation de la cour d’appel de Lyon. Des magistrats placés, qui sont au nombre de 8 au siège et de 6 au parquet, peuvent venir renforcer en tant que de besoin les situations spécifiques des juridictions. Ce pourrait être le cas de Bourg-en-Bresse si un tel besoin devait se manifester.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de ces informations, mais vous comprendrez qu’il se pose en fait un vrai problème systémique. Cette sous-dotation est aujourd’hui amplifiée par un phénomène, celui de l’augmentation de la population. Je ne conteste pas les chiffres que vous m’indiquez attestant une diminution du nombre d’affaires, mais, puisque la situation était déjà déficitaire au départ, elle ne comble pas le manque de magistrats. En l’occurrence, cette situation se répète d’année en année.
Vous avez été destinataire de rapports émanant du président du tribunal et du procureur exprimant ce besoin vraiment prégnant.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Patrick Chaize. Tant mieux si l’activité du tribunal diminue, mais, très franchement, un effet de rattrapage serait nécessaire pour placer ce tribunal au même niveau que les autres.
avènement et déploiement de la 5g
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, auteure de la question n° 1114, adressée à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Laurence Rossignol. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur les conséquences sanitaires et environnementales du déploiement de la 5G.
À vrai dire, à cet instant précis, je préférerais vous interroger sur la lutte contre les allergènes source d’infections respiratoires… (Sourires.) J’imagine que vous auriez là aussi des réponses à m’apporter, mais, pour autant, ma voix resterait quelque peu éraillée.
La feuille de route publiée en juillet 2018 promettait transparence et dialogue sur le déploiement de la 5G, avec un bilan des conséquences sanitaires et environnementales. À ma connaissance, et au moins au moment où cette question orale a été déposée, le contenu de ce rapport informatif n’était pas encore connu. Aussi, je voudrais savoir si vous avez avancé et s’il l’est aujourd’hui. D’autant que, dans la mesure où l’attribution des fréquences est en cours, le projet pourrait voir prochainement le jour. Vous comprendrez que nos concitoyens ont besoin d’informations sur ces sujets.
J’attire particulièrement votre attention sur les conséquences environnementales du déploiement de la 5G, puisque les études faites aujourd’hui indiquent que, si internet était un État, il serait le sixième plus gros pollueur de la planète. La 4G serait déjà 23 fois plus énergivore que le wifi, selon le rapport négaWatt, auquel on peut en général faire totalement confiance. Compte tenu du mix énergétique mondial, la part d’émissions de gaz à effet de serre attribuables au numérique devrait être de 4 % en 2020.
L’impact de la 5G sur la dégradation de l’environnement est de nature à inquiéter nos concitoyens, au moins autant d’ailleurs, à mon sens, que son impact sanitaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Rossignol, la technologie 5G a été conçue pour faire face à l’augmentation de la demande de téléphonie mobile et pour les nouveaux usages liés au développement des objets connectés.
Les valeurs limites réglementaires d’exposition du public aux champs électromagnétiques s’appliquent indépendamment de la technologie, et les réseaux 5G doivent donc bien évidemment respecter ces limites.
Le Gouvernement a donc saisi l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) pour évaluer, d’une part, l’exposition aux ondes électromagnétiques de la population, et, d’autre part, les éventuels impacts sur la santé.
L’ensemble de ces travaux ont été présentés au Comité national de dialogue de l’Agence nationale des fréquences, qui est composé d’organisations non gouvernementales d’opérateurs, de constructeurs, de collectivités et de services de l’État. La mission de ce comité consiste à permettre un échange sur toute question liée à l’exposition aux ondes engendrée par les antennes.
La consommation énergétique du numérique est un sujet absolument majeur. C’est un problème qui est par définition mondial, qui ne connaît pas de frontières, et qui ne pourra être résolu sans un travail extrêmement étroit avec les entreprises privées du numérique. C’est pour cette raison-là que le Président de la République réunit chaque année, à l’Élysée, les acteurs du numérique à l’occasion de Tech for Good afin de leur demander de prendre des engagements très clairs. En France, ces engagements ne sont pas pris sur une base uniquement volontariste ; ils répondent également à des contraintes légales.
Madame la députée, vous avez activement participé aux débats lors de l’examen de la loi anti-gaspillage et pour une économie circulaire, que j’ai portée dans cet hémicycle et qui a été votée le 30 janvier dernier. Elle contient justement une mesure destinée à informer les consommateurs de l’impact environnemental de leur consommation de données, de façon à leur permettre de prendre pleinement conscience de l’impact que peut avoir leur consommation sur les gaz à effet de serre.
Bien sûr, ce n’est pas la solution magique, mais c’est un élément parmi d’autres dans la préservation de l’environnement et la lutte contre l’impact du numérique sur l’environnement.
Le déploiement de la 5G devrait accélérer le développement de nouveaux usages, lesquels entraîneront une augmentation du trafic de données, mais également – c’est tout le paradoxe de la transition numérique – amélioreront l’efficacité énergétique des réseaux.
Les données de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) mettent en avant une amélioration de l’efficacité énergétique du réseau 5G par rapport au réseau 4G, qui peut atteindre un facteur 100 pour certaines applications.
Il est ainsi difficile d’estimer précisément, à ce stade, la consommation de la 5G. Quant à la consommation numérique en général, je le disais, un des paradoxes, c’est que la transition numérique aide aussi parfois à accélérer la transition écologique. Je pense, par exemple, à tout ce qui est internet des objets.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la réplique.
Mme Laurence Rossignol. Madame la secrétaire d’État, je ne suis pas députée, je suis sénatrice, et je n’ai pas pris part aux débats lors de l’examen de votre loi.
Mme Laurence Rossignol. Sans doute avez-vous repris la fiche destinée à être lue devant l’Assemblée nationale.
Mme Laurence Rossignol. Cela étant dit, ce n’est pas si grave, d’autant que la réponse est probablement la même que celle que vous y avez faite. Et je ne vous cache pas qu’elle n’est pas plus satisfaisante ici, au Sénat.
En ce qui concerne les mesures sanitaires, vous nous dites qu’il existe un comité. Un comité, c’est bien ; encore faudrait-il qu’il fasse des recommandations, mène des expertises pour rassurer nos concitoyens.
S’agissant de l’impact du numérique sur la transition écologique, on ne sait pas trop ce qu’il en est, on pense que ce sera un peu mieux, mais on n’est pas totalement sûr.
Il faut essayer de donner aux citoyens des réponses plus précises, plus encourageantes pour eux et peut-être plus responsabilisantes que celles que vous donnez à cet instant, même si j’imagine bien que ce n’est pas si simple.
avenir des agents de la brigade mobile d’intervention pour les loups
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, auteure de la question n° 1102, adressée à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la secrétaire d’État, depuis 2015, les agents de la brigade nationale loup œuvrent dans tous les territoires où leur présence est nécessaire pour contenir le phénomène de prédation sur les troupeaux et pour sauvegarder les élevages de plein air.
Si les mesures de protection des troupeaux ont montré leurs limites avec 92 % des troupeaux attaqués qui sont des troupeaux protégés, les tirs létaux apparaissent quant à eux comme la seule voie possible pour contenir – je n’ose dire « faire diminuer » – le nombre d’attaques.
En effet, la politique de surprotection mise en œuvre ces dernières années a fait perdre, au fil des portées, leur caractère sauvage aux loups, qui s’approchent toujours plus près des activités humaines et qui massacrent toujours plus d’animaux.
Chaque année, 12 500 animaux domestiques sont prédatés. Dans ces conditions, difficile d’imaginer un avenir pour l’agropastoralisme.
Dans ce contexte, l’utilité de cette brigade nationale, placée sous l’autorité fonctionnelle de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) – maintenant de l’Office français de la biodiversité (OFB) – et du préfet coordonnateur n’est plus à démontrer, tant les besoins des territoires sont importants et les attentes des éleveurs nombreuses.
Je tenais donc à attirer votre attention, madame la secrétaire d’État, sur la fin programmée des brigades mobiles d’intervention loup puisque, dans les prochains mois, prendront fin les contrats de travail à durée déterminée des agents, désormais dans l’impossibilité réglementaire de voir le renouvellement de leur CDD.
Je tenais aussi à vous sensibiliser sur leur connaissance fine des territoires et sur leur collaboration technique avec les lieutenants de louveterie, qui sont autant de raisons pour pérenniser cette organisation qui fonctionne bien.
C’est pourquoi je vous remercie de bien vouloir m’indiquer quelles mesures sont envisagées pour maintenir les agents de la brigade mobile d’intervention loup actuellement en place.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice, la brigade loup, créée en 2015, a été pérennisée en 2018 par l’intégration des effectifs dédiés sous plafond de l’établissement public, conformément à l’engagement pris dans le plan national d’actions « loup et activités pastorales » 2018-2023.
Je vous confirme que la brigade loup est bien maintenue et pérennisée au sein de l’OFB, auquel l’ONCFS a été intégré le 1er janvier 2020.
L’OFB étudie actuellement les meilleures modalités de renouvellement ou de reconduction des dix agents de la brigade sous forme de CDD.
Leur échéance, à l’automne, n’impactera toutefois pas la mobilisation de la brigade sur le terrain puisque cette échéance interviendra, pour l’essentiel, après la saison d’estive.
Compte tenu de l’expérience acquise en matière de défense des troupeaux, l’OFB tiendra compte des enseignements des premières années de fonctionnement de la brigade pour ajuster le profil des agents et les adapter aux attentes des acteurs locaux.
L’objectif est d’assurer la continuité et la qualité du service apporté aux éleveurs, mais également d’améliorer les performances de cette nouvelle brigade.
Enfin, un observatoire sur l’efficacité des mesures de protection sera lancé en 2020 pour mieux comprendre les réussites et les échecs de ces mesures et produire les retours d’expérience permettant de les améliorer.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour la réplique.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Merci de votre réponse, madame la secrétaire d’État. En fait, il s’agit bien de pérenniser la brigade actuelle, dont les agents ont acquis une grande expérience qu’il serait très difficile de reproduire avec d’autres. Ils forment les lieutenants de louveterie et interviennent dans le cadre de multiples missions. Former de nouveaux agents impacterait énormément l’élevage de plein air et aurait un coût financier non négligeable.
Il s’agit bien de pérenniser les emplois actuels.
ligne ferroviaire de la vallée de l’arve
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, auteur de la question n° 1061, adressée à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
M. Loïc Hervé. Madame la secrétaire d’État, ma question concerne la modernisation de la ligne ferroviaire entre La Roche-sur-Foron et Saint-Gervais-les-Bains. C’est un serpent de mer.
Quand j’ai déposé ma question, c’était pour appeler, une énième fois, l’attention du Gouvernement sur la nécessité de moderniser cette voie dans cette vallée, qui donne tant au pays par sa fréquentation touristique comme par la puissance de son industrie. Oui, cette vallée donne beaucoup, mais elle est fragile. Vous le savez, madame la secrétaire d’État, la question de la pollution de l’air y est particulièrement aiguë.
Ces sujets ont été abordés avec le Président de la République, jeudi dernier, sur place, en présence de vos collègues Élisabeth Borne et Emmanuelle Wargon. C’est à cette occasion qu’il a pu annoncer que l’État contribuerait au financement de cette modernisation, par l’apport de 60 millions d’euros, quand le conseil régional et le conseil départemental apporteraient chacun 50 millions d’euros.
Je veux vous le dire ici, ce matin : cette décision est historique et laisse entrevoir la possibilité de disposer d’un véritable réseau de transport, de type RER, pour irriguer une vallée dense et dynamique de La Roche-sur-Foron à Saint-Gervais-les-Bains, en passant par Saint-Pierre-en-Faucigny, Bonneville, Marignier, Cluses, Magland et Sallanches.
Il s’agit non seulement de mieux connecter vers Annemasse et Genève, en donnant ainsi une réelle ampleur au Léman Express, mais aussi de mieux connecter la vallée vers Annecy, Aix-les-Bains et Chambéry.
Madame la secrétaire d’État, nous sommes impatients de voir la promesse présidentielle devenir une réalité tangible et nous avons besoin de savoir quand les études de SNCF Réseau pourront pleinement démarrer, les travaux être réalisés et les trains enfin circuler.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, je me félicite comme vous de la mise en service réussie du Léman Express, le 15 décembre dernier. Ce projet inédit de réseau métropolitain transfrontalier constitue la colonne vertébrale des transports publics régionaux du bassin franco-genevois.
Le Léman Express doit désormais s’étendre à tous les territoires alentour. C’est essentiel pour trois raisons : améliorer la desserte de la vallée de l’Arve, permettre de lutter contre les épisodes de pics de pollution que ce territoire connaît, favoriser le développement économique et touristique.
Par ailleurs, pour atteindre un cadencement de deux trains par heure et par sens aux heures de pointe, les études menées par SNCF Réseau ont démontré la pertinence d’investissements dans l’automatisation de la signalisation et la modernisation des appareils de voie sur la ligne entre La Roche-sur-Foron et Saint-Gervais-les-Bains-Le Fayet.
Je peux vous assurer que les études d’avant-projet relatives à cette opération seront bien financées par le redéploiement des 10 milliards d’euros. Ainsi, 3 milliards d’euros seront apportés par l’État, dans le cadre du contrat de plan État-région 2015-2020 de la région Auvergne-Rhône-Alpes, dont le volet mobilité est prolongé jusqu’en 2022.
Par ailleurs, je vous confirme que la mobilité continuera jusqu’en 2022 de bénéficier chaque année de crédits au sein des CPER (contrats de plan État-régions), puis au travers d’une nouvelle contractualisation à partir de 2023.
Ces modalités permettront de respecter l’engagement réaffirmé par le Président de la République, consistant à mettre en service l’offre Léman Express dans la vallée de l’Arve à l’horizon de 2025.
Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé, pour la réplique.
M. Loïc Hervé. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de cette réponse. Techniquement, nous le savons, SNCF Réseau doit mener non pas des études de préfiguration, mais les études opérationnelles qui permettront d’accomplir les travaux. Il va de soi que 2025 est un délai très court pour réaliser des études lourdes et des travaux.
J’ai bien entendu que l’engagement serait tenu. Sachez que nous serons extrêmement vigilants, car ce sujet est absolument vital pour notre vallée de l’Arve, qui a vivement besoin de changement, en particulier en matière de mobilité.
camions porteurs à quatre essieux
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Nougein, auteur de la question n° 1067, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Claude Nougein. Madame la secrétaire d’État, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur le passage à trente-cinq ou trente-six tonnes des camions à quatre essieux.
Aujourd’hui, le secteur de la nutrition animale, secteur très important dans un département rural comme celui de la Corrèze dont je suis élu, utilise des camions aménagés pour le transport des aliments de différents types : à deux essieux, avec un poids total autorisé en charge (PTAC) à dix-neuf tonnes ; à trois essieux, avec un PTAC à vingt-six tonnes ; à quatre essieux, avec un PTAC à trente-deux tonnes ; ou à cinq essieux, avec un PTAC à quarante-quatre tonnes. Il en va de même pour les autres secteurs des transports.
Autoriser le passage à trente-cinq ou trente-six tonnes des camions à quatre essieux permettrait l’utilisation de véhicules plus maniables que les cinq essieux et plus fiables pour circuler dans les conditions hivernales, notamment dans les zones de montagne.
De plus, sur les quatre essieux dernière génération, l’actuelle réglementation prévoit que la charge utile est de l’ordre de dix-sept tonnes. Le passage à trente-cinq tonnes permettrait d’augmenter de 17,6 % cette même charge, ce qui aurait un avantage non seulement économique, mais surtout écologique : cela se traduirait par moins de kilomètres parcourus pour une même quantité livrée et par moins de carburant consommé par tonne transportée, environ 10 % d’économie.
En augmentant le PTAC des camions porteurs à quatre essieux de trente-deux à trente-cinq tonnes, la quantité de gaz à effet de serre et autres polluants serait réduite d’au moins 15 %.
Cette modification pourrait se faire sans pour autant réduire la sécurité, puisque la charge par essieu – donnée essentielle – serait moins élevée que celle qui est autorisée pour un véhicule à cinq essieux, d’autant que les capacités techniques établies par les constructeurs varient de trente-cinq à trente-sept tonnes, certains allant même jusqu’à quarante tonnes.
Si la directive du Conseil du 25 juillet 1996 fixant, pour certains véhicules routiers circulant dans la Communauté, les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international a également fixé le PTAC des quatre essieux à trente-deux tonnes, elle laisse la possibilité à chaque État membre de modifier cette charge. La France l’a déjà fait avec le PTAC pour cinq essieux, qui est passé de quarante tonnes à quarante-quatre tonnes.
Aussi, dans un souci tant économique qu’écologique, serait-il envisageable de porter le PTAC de trente-deux à trente-cinq tonnes pour un véhicule porteur à quatre essieux ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous souhaitez appeler mon attention sur les camions porteurs à quatre essieux.
Une étude confiée au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) a évalué l’impact potentiel d’une telle mesure sur les infrastructures routières. L’enjeu était de savoir si l’augmentation de ce poids maximal autorisé pouvait être compatible avec le maintien des charges maximales à l’essieu, comme le prévoit le code de la route. Ce sont en effet ces charges à l’essieu qui sont la source principale de dégradation des routes et des ouvrages d’art.
Les résultats de cette étude montrent des différences importantes de répartition des charges selon les configurations des véhicules. Ainsi, pour la plupart d’entre elles, il est impossible d’augmenter le PTAC sans dépasser la charge maximale à l’essieu. La simulation de l’impact de ces dépassements montre également une dégradation bien plus forte sur les chaussées.
Par conséquent, autoriser un PTAC supérieur à trente-deux tonnes pour ces véhicules conduirait à amplifier ce phénomène et à aggraver la dégradation des infrastructures routières. Il faut rappeler que les ponts et chaussées empruntés à l’occasion des livraisons de nutrition animale ne sont pas dimensionnés pour de tels trafics.
Une telle décision renchérirait donc, d’une part, les coûts d’entretien du réseau routier qui pèsent sur les collectivités, d’autre part, la consommation de matériaux pour assurer un renouvellement plus fréquent des infrastructures, au détriment de l’environnement. Or, comme vous le savez, c’est contraire à l’orientation du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Nougein, pour la réplique.
M. Claude Nougein. Madame la secrétaire d’État, je précise que la dérogation demandée n’est pas une modification de la charge à l’essieu, laquelle, c’est vrai, endommage les routes. Elle porte sur l’augmentation de trois tonnes de la capacité de chargement du PTAC. Une telle décision va dans le sens d’une démarche écologique.
Vous ne pouvez pas être secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire et prendre des décisions contraires : il faut que les actes et les paroles soient en harmonie.
Je vous remercie donc de bien vouloir reconsidérer votre position.
problème des lignes secondaires de la région nouvelle-aquitaine
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, auteur de la question n° 1047, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Daniel Chasseing. Madame la secrétaire d’État, les usagers du rail de l’ancienne région Limousin empruntent chaque jour un réseau vieillissant, aux horaires incertains, à la sécurité aléatoire et, pis encore, à l’avenir en suspens.
Pour mon département de la Corrèze, de nombreux sujets sont sur la table, sans financement pour l’instant.
Il s’agit de la pérennisation des lignes appelées secondaires, qui irriguent les zones rurales – les lignes Ussel-Meymac-Limoges et Ussel-Meymac-Égletons-Tulle-Brive, par exemple –, de la réouverture de lignes fermées, comme la ligne allant de Brive à Limoges et passant par Saint-Yrieix, sur laquelle plus aucun train ne circule depuis un éboulement de talus voilà cinq ans. Il en est de même entre Ussel et Clermont-Ferrand.
Il s’agit aussi de l’amélioration de la ligne Brive-Bordeaux, afin de rapprocher la nouvelle capitale régionale de l’agglomération briviste, donc de la Corrèze, mais aussi de la ligne Brive-Aurillac.
Il s’agit encore de la confirmation du rôle prépondérant de la gare de Brive, qui dessert en étoile le Cantal, le Lot, l’Aveyron, la Dordogne.
Il s’agit enfin du maintien des guichets dans les principales gares du département, afin de permettre à tous les usagers de poursuivre leurs commandes de billets.
À l’échelle régionale, je peux ajouter à cela la rénovation de la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse (POLT), fondamentale pour trois régions – elle traverse l’ancienne région Limousin – et vingt-cinq départements. Cette ligne est délaissée, sans maintenance, depuis trop longtemps.
On met aujourd’hui quarante minutes de plus pour faire Brive-Limoges-Paris qu’il y a quarante ans, quand le train était direct, sans retard et sans panne, ce qui est très rare.
Lors de la réunion du comité de suivi du schéma directeur de la ligne à Limoges, qui s’est tenue la semaine dernière, 1,6 milliard d’euros d’investissement, dits de régénération, ont été financés pour pérenniser la ligne. C’est bien, mais cela permettra un gain mineur de huit minutes entre Limoges et Paris et de quatre minutes entre Limoges et Toulouse.
Il me semble plus que pertinent d’aller plus loin et de prévoir, dès aujourd’hui, les investissements dits de modernisation, évalués à 400 millions d’euros supplémentaires, pour gagner trente-quatre minutes de plus entre Toulouse et Paris.
Ce choix, madame la secrétaire d’État, vous appartient. Il doit être votre combat pour avoir enfin une véritable politique d’aménagement du territoire par le ferroviaire, en liaison avec la région. Les usagers du rail de la Corrèze et les acteurs économiques attendent de vous des réponses claires et précises.
Qu’envisagez-vous de faire pour les lignes ferroviaires dites secondaires en Corrèze ? Allez-vous permettre les investissements de modernisation sur la ligne POLT pour gagner environ trois quarts d’heure entre Brive et Paris ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous souhaitez appeler mon attention sur différents enjeux ferroviaires dans l’ex-région Limousin. Je tiens à vous dire que, comme vous, nous sommes convaincus de l’importance des dessertes fines et vous confirme que l’État demeurera aux côtés des collectivités pour préserver ces lignes dans tous les territoires où elles demeurent pertinentes.
Il faut toutefois avoir à l’esprit que les investissements nécessaires pour pérenniser ces lignes sont considérables. Selon SNCF Réseau, ils s’élèvent à près de 500 millions d’euros sur dix ans, pour les seules lignes irriguant le Limousin.
C’est pour répondre à cet immense défi qu’un travail partenarial se poursuit dans le cadre de la mission confiée au préfet François Philizot. Des solutions seront élaborées, ligne par ligne. Notre objectif est d’aboutir vite à des plans d’action concrets, comme l’a déclaré le Premier ministre au Congrès des régions.
C’est dans le cadre de ce travail collaboratif qu’une réponse sera apportée à la question de l’avenir des lignes Limoges-Ussel, Brive-Ussel et Limoges-Brive.
Concernant la ligne ferroviaire Paris-Orléans-Limoges Toulouse, un schéma directeur a été validé l’année dernière. L’objectif est de proposer à l’horizon de 2025 une desserte de qualité. Cela nécessite près de 1,7 milliard d’euros d’investissement par SNCF Réseau, en plus d’un renouvellement du matériel roulant, financé par l’État à hauteur de 460 millions d’euros.
J’en viens à la conservation des guichets. Je vous rappelle que la gestion des gares est opérée par la SNCF, qui contractualise avec les régions, celles-ci ayant la compétence mobilité. En vertu du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, elles sont donc pleinement décisionnaires en la matière.
Par ailleurs, des solutions existent pour pérenniser une vente de billets. Ainsi, la SNCF noue notamment des partenariats avec les buralistes.
mobilité dans le département des pyrénées-orientales
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Sol, auteur de la question n° 1079, adressée à M. le secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports.
M. Jean Sol. Madame la secrétaire d’État, ma question concerne l’isolement bien réel et extrêmement pénalisant dont souffrent les Pyrénées-Orientales, que je représente ici avec mon collègue François Calvet. En 2020, alors que votre gouvernement ne cesse de clamer l’égalité des territoires et sa volonté de désenclaver les régions les plus éloignées de la capitale, notre département est toujours l’éternel oublié de votre politique d’aménagement des territoires.
Les faits sont là : les Pyrénées-Orientales et leur ville-centre, Perpignan, sont encore à plus de cinq heures de Paris en train, par manque de lignes TGV continues. La compagnie Hop diminue ses vols, au nombre pourtant très restreint, alors que c’est déjà la ligne la plus chère en France pour les usagers. La réouverture de la RN 116 tarde et les travaux de sécurisation s’éternisent, alors qu’il y a urgence, depuis que la tempête Gloria – vous le savez, madame la secrétaire d’État, puisque vous êtes venue dans notre département – a mis dramatiquement en péril toute l’activité économique et touristique de la Cerdagne et du Capcir.
Ce sont 1 500 entreprises et 30 000 habitants qui se trouvent aujourd’hui isolés dans la montagne. Et que dire des inquiétudes persistantes quant au maintien de la ligne de fret Rungis-Perpignan et des trains de nuit utilisés par 23 % de professionnels, qui participent à la fluidification des échanges économiques entre la région parisienne et notre département ?
Croyez-vous sérieusement que, dans un département où nos communes, nos stations, nos entreprises et nos commerces vivent principalement des retombées économiques du tourisme, de l’agriculture et de la viticulture, et où le taux de chômage est l’un des plus forts de France, nous pourrons raisonnablement sortir de la crise avec du covoiturage ?
Devant ce manque de considération qui perdure et cette absence de réponse concrète, les habitants des Pyrénées-Orientales se demandent parfois s’ils sont traités comme de véritables citoyens français. Ce sentiment est d’autant plus prégnant que l’Espagne n’a jamais été aussi accessible par le développement de la ligne directe à grande vitesse Madrid-Barcelone-Figueras, alors que notre territoire demeure toujours aussi éloigné de Paris, notre capitale, par l’absence de TGV entre Montpellier et Perpignan.
Un malaise profond est en train de grandir et de s’enraciner. Seules des décisions fortes et rapides concernant des infrastructures aériennes, ferroviaires et routières, à commencer par la RN 116 dont la réouverture constitue une urgence, permettront d’endiguer ce sentiment légitime d’isolement, qui engendre toujours plus de récession économique et de précarité sociale.
Madame la secrétaire d’État, je vous le demande : quand les promesses de désenclavement de notre territoire seront-elles enfin tenues ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, votre question est un cri d’alerte que j’entends pleinement. Comme vous le savez, l’État est engagé dans de nombreux projets partout en France, mais tout particulièrement dans cette région, aux côtés des acteurs des Pyrénées-Orientales.
Le train de nuit reliant Paris à la côte Vermeille a bien son terminus à Portbou, dans le sens nord-sud. En revanche, l’entretien des wagons ne peut se faire qu’à Cerbère, où sont réunis les installations et les effectifs nécessaires au nettoyage et au changement de literie. Cette logistique importante pour le train de nuit implique ainsi une remontée depuis Cerbère pour rejoindre Paris la nuit suivante.
La ligne nouvelle Perpignan-Montpellier ne fait pas débat. Elle est inscrite dans la loi d’orientation des mobilités (LOM) avec un calendrier de réalisation crédible, opérationnellement et budgétairement.
Nous avançons ! Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État chargé des transports, a ainsi proposé à la présidente du conseil régional d’Occitanie de présider aux côtés du préfet de région le prochain comité de pilotage. La dynamique partenariale du projet sera renforcée.
La LOM comporte aussi un objectif d’investissements élevés sur les itinéraires de désenclavement, notamment la RN 116. Des études d’aménagements de sécurité entre Ille-sur-Têt et Prades, pour un coût estimé à 30 millions d’euros, sont conduites. Le bilan de la concertation organisée en 2019 est en cours de finalisation et je vous confirme l’objectif de lancer l’enquête publique de la déviation de Marquixanes au début de l’année 2021.
Enfin, contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le sénateur, le covoiturage peut être une solution concrète. Par exemple, le territoire du parc naturel régional des Pyrénées catalanes a mis en place un programme de mobilité partagée en 2016 pour améliorer les déplacements transfrontaliers au passage de Bourg-Madame et Puigcerdà.
Avec la démarche France Mobilités, 22 territoires ont choisi de renforcer le covoiturage. Celui-ci constitue désormais une solution de substitution simple et crédible à la voiture individuelle pour des déplacements du quotidien.
société hydro-électrique du midi et renouvellement des concessions hydroélectriques
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, auteure de la question n° 1078, transmise à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Viviane Artigalas. Madame la ministre, les réflexions concernant le projet de réorganisation d’EDF, nommé « Hercule », ont fait apparaître à la fin de l’année 2019 des hypothèses sur le renouvellement des concessions hydroélectriques. En particulier, la possibilité de création d’une quasi-régie permettrait d’éviter une mise en concurrence de ces concessions.
Nous comprenons qu’une telle disposition s’appliquerait évidemment aux concessions gérées par EDF, mais il existe en France des opérateurs alternatifs, également délégataires de l’État, pour ce qui concerne l’exploitation d’ouvrages de production d’hydroélectricité.
Ainsi, la société hydro-électrique du Midi (SHEM) est un producteur hydroélectrique historique et majeur, implanté dans le grand Sud-Ouest, filiale d’Engie. Outre la production d’énergie, elle participe au soutien d’étiage des cours d’eau, qui permet une gestion équilibrée de la ressource en eau entre tous les usages. Dans les Hautes-Pyrénées, elle peut ainsi fournir l’intégralité de la capacité de quatre barrages pour les besoins en eau de la plaine du Gers.
La question du renouvellement des concessions hydroélectriques et le projet Hercule, visant à réorganiser l’entreprise publique EDF, suscitent de vives inquiétudes au sein de la SHEM. En effet, selon différentes hypothèses envisagées et annoncées par la direction générale de l’énergie et du climat, c’est la pérennité même de cette entreprise qui est remise en cause.
La perte d’une ou de plusieurs concessions qui seraient reversées dans la quasi-régie entraînerait non seulement une perte de chiffre d’affaires rédhibitoire pour cette entreprise, mais elle provoquerait également un problème social pour plus d’une centaine de salariés non rattachés à ces concessions. De plus, même si cette société est un acteur majeur à l’échelon régional, elle ne représente que 3 % du marché national. Son sort risque donc malheureusement de ne pas être une priorité lors des futures négociations.
Madame la ministre, comment de tels opérateurs seront-ils traités dans un tel dispositif ? Quelles concessions seraient exploitées par la quasi-régie ? Enfin, comment la pérennité de ces opérateurs alternatifs serait-elle assurée ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, vous avez interrogé ma collègue Élisabeth Borne, qui, ne pouvant être présente ce matin, m’a priée de vous répondre.
Tout d’abord, il convient de rappeler que le Gouvernement travaille activement pour résoudre le contentieux engagé par la Commission européenne portant notamment sur l’absence de renouvellement des concessions hydroélectriques par mise en concurrence. Cette situation de statu quo nuit, vous avez raison, aux investissements dans le secteur. Elle est en outre source d’incertitudes pour les entreprises, les salariés et les collectivités.
Dans le même temps, une réflexion sur la réorganisation du groupe EDF, projet dit « Hercule », est en effet en cours. Ce projet de réorganisation est plus vaste que la seule activité hydroélectrique d’EDF puisqu’il concerne aussi les autres activités du groupe.
Dans ce contexte de contentieux européen et de réflexion sur l’organisation du groupe EDF, le Gouvernement explore une voie prévue par le droit des concessions, qui permet de renouveler des concessions sans mise en concurrence à une structure dédiée. Cette piste est à l’étude depuis peu et aucune décision n’a encore été prise.
Le renouvellement des concessions, que ce soit par remise en concurrence ou via une structure dédiée, s’inscrit dans une politique nationale visant à optimiser la gestion de nos barrages et à relancer l’investissement dans ce secteur, tout en redistribuant des ressources financières vers les territoires par de nouvelles redevances. Une attention particulière sera bien entendu portée au personnel des sociétés exploitantes. J’ai entendu votre inquiétude à cet égard.
Quelle que soit la solution retenue in fine pour la gestion de ces concessions, madame la sénatrice, le potentiel énergétique, technique et humain de la SHEM et des concessions qu’elle exploite ne sera nullement négligé. Soyez assurée de notre engagement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Madame la ministre, votre réponse ne me satisfait pas. On sait très bien que les opérateurs historiques que sont EDF et la SHEM, ces fleurons de notre industrie, risquent d’être mis à mal.
Pour ma part, je souhaite, comme d’autres, que la France joue de son influence pour éviter une remise en concurrence des concessions et qu’elle effectue un travail auprès de la Commission européenne, comme d’autres pays l’ont déjà fait.
prix des carburants en guyane
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 1125, adressée à Mme la ministre des outre-mer.
M. Georges Patient. Madame la ministre, la population guyanaise est celle qui paie le carburant routier le plus cher de France, alors même que les indicateurs économiques montrent qu’elle est l’une des plus défavorisées.
Parmi les nombreuses conséquences de ce prix élevé, il y a bien sûr le renchérissement du coût des déplacements pour les véhicules privés professionnels, mais aussi un alourdissement des charges des collectivités locales pour le soutien et le développement des réseaux de transport en commun et de transport scolaire, lesquels, vous le savez, constituent des besoins croissants dans notre territoire.
Plus généralement, c’est toute l’économie de la Guyane qui pâtit de ce prix élevé.
Le problème n’est pas nouveau et des mesures ont été prises à la suite d’événements qui ont secoué tout le pays, tel le décret du 27 décembre 2013 destiné à faire la transparence sur les marges sur les prix des carburants. Depuis, tous les prix sont administrés puisqu’ils sont fixés par le préfet. Force est néanmoins de constater que ce mode de fonctionnement n’a finalement pas eu l’effet escompté puisque les Guyanais continuent de payer le carburant le plus cher de France. Ils sont même désormais victimes d’une double peine !
Première peine : tout en étant dans un environnement riche en pétrole, ils n’ont pas espoir de voir la Guyane devenir un pays producteur, la loi Hulot, laquelle a mis fin à la recherche et à l’exploitation des hydrocarbures, interdisant tous les forages pétroliers en Guyane.
Deuxième peine : ils ne peuvent s’approvisionner auprès de leurs voisins directs, le Suriname et le Guyana, qui ont mis au jour des réserves importantes de pétrole et sont bien sûr producteurs.
Madame la ministre, pourquoi la Guyane ne peut-elle pas s’approvisionner directement auprès d’eux, au moins du Suriname, dont la raffinerie vient d’être modernisée ? Cette opération ne pourrait-elle pas se faire dans le cadre d’une convention de coopération régionale entre la collectivité territoriale de Guyane et l’État surinamais ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Georges Patient, je rappelle que les prix des carburants sont plus élevés en Guyane que dans les deux autres départements français d’Amérique que sont la Guadeloupe et la Martinique.
En Guyane, les supercarburants coûtent près de 9 % de plus qu’aux Antilles et près de 6 % de plus que dans l’Hexagone. Il en est de même du gazole, qui coûte 10 % plus cher en Guyane qu’aux Antilles et 3 % de plus que dans l’Hexagone. Il est important de rappeler ces différences.
C’est la fiscalité locale appliquée aux produits pétroliers qui explique principalement ces différences de prix en Guyane. En effet, le prix affiché à la sortie de la raffinerie est le même dans les trois départements – Martinique, Guadeloupe, Guyane. La fiscalité appliquée aux supercarburants et au gazole en Guyane est nettement plus élevée qu’aux Antilles – de 25 % pour les supercarburants et de 39 % pour le gazole –, même si elle reste inférieure à celle qui est appliquée dans l’Hexagone, où elle est inférieure de 24 % sur les supercarburants et de 39 % sur le gazole.
Vous évoquez ensuite, monsieur le sénateur, la situation monopolistique de la société anonyme de la raffinerie des Antilles, la SARA. Dans les faits, le monopole de la SARA ne porte que sur l’activité de raffinage, non sur la distribution. La Guyane compte en effet trois grossistes, bientôt quatre. L’effet de ce monopole est limité sur les prix, qui sont contrôlés par chaque préfet.
D’un point de vue économique, l’activité de la SARA dans les trois départements présente des avantages. Elle permet : de réaliser des économies d’échelle, la SARA important les produits pétroliers pour les trois collectivités ; de mutualiser les coûts ; enfin de garantir aux consommateurs des carburants de qualité, aux normes de l’Union européenne (UE). Telles sont les raisons qui justifient un marché unique pour les trois collectivités.
Vous évoquez la difficulté de s’approvisionner auprès de pays tiers de la zone Amériques-Caraïbes. Effectivement, la SARA importe principalement des produits pétroliers de la mer du Nord, car peu de producteurs de la zone produisent des carburants aux normes UE.
Les carburants du Venezuela et du Suriname comportent des taux de soufre élevés, comme l’ont encore démontré de récents contrôles. Les pétroles de schiste en provenance de la zone Amérique du Nord ont été pour le moment écartés en raison de leur forte teneur en particules fines et de leur faible indice d’octane.
Je pense, monsieur le sénateur, qu’il nous faut accélérer encore davantage la transition énergétique en Guyane, dont le potentiel est considérable, afin de permettre aux Guyanais de disposer d’une énergie moins coûteuse, comme vous le souhaitez.
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, pour la réplique.
M. Georges Patient. Madame la ministre, je précise que notre unique distributeur importe déjà du pétrole raffiné du Suriname. Le pétrole de la Guyane provient pour partie du Suriname, avant d’aller en Martinique et de revenir en Guyane, alors que, entre la Guyane et le Suriname, il y a juste un fleuve à traverser !
lutte contre les violences faites aux femmes
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, auteure de la question n° 878, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
Mme Michelle Gréaume. Madame la ministre, au quarante-neuvième jour de l’année, on déplore déjà 12 féminicides, selon la page Facebook « Féminicides par compagnons ou ex ». En 2019, 151 féminicides avaient été dénombrés sur cette même page. Le nombre de victimes est en constante augmentation. Autant de femmes menacées, traquées, terrifiées, violentées pendant des mois, d’enfants victimes collatérales pour qui les conséquences sont lourdes, de familles brisées : c’est pour eux qu’il nous faut agir, et vite.
Inscription de la notion d’emprise dans le code pénal et dans le code civil, prise en charge des auteurs des violences afin de réduire la récidive, reconnaissance du suicide forcé : les propositions présentées à l’issue du Grenelle contre les violences conjugales, bien qu’elles constituent des avancées, sont de toute évidence insuffisantes.
La différence entre les bonnes intentions et les actes concrets, c’est le milliard d’euros que réclament les associations et les professionnels de la justice, qui proposent des solutions concrètes, dont certaines ont déjà fait la preuve de leur efficacité.
Parmi ces mesures figurent l’enregistrement systématique des plaintes, une meilleure formation des policiers et des gendarmes, la délivrance rapide d’ordonnances de protection, la mise en place du bracelet anti-rapprochement dès le début de la procédure, et l’attribution de fonds aux associations, qui, jusqu’à présent, sont les seules à assurer la prise en charge des victimes de violence.
J’ajouterai qu’il est également nécessaire de créer une aide financière pour les femmes victimes de violences, car les conséquences financières d’un départ du domicile conjugal sont extrêmement lourdes et, de fait, décourageantes. C’est aussi pour cette raison que nous demandons l’égalité salariale, laquelle est une question non pas seulement de justice sociale, mais d’égalité tout court. Il s’agit de permettre aux femmes de faire face aux situations dramatiques. Hélas, pas un centime supplémentaire n’est prévu à cet égard, les crédits du programme « Égalité entre les femmes et les hommes » ayant même été diminués.
Le compte n’y est pas, madame la ministre, alors que la lutte contre le fléau que constituent les violences conjugales a été érigée en grande cause du quinquennat.
Il faut donc agir vite, débloquer les moyens humains et financiers indispensables pour mettre fin au macabre décompte qui se poursuit. Il faut également réparer les oublis du Grenelle. Je pense aux femmes en situation de handicap, pour lesquelles aucune mesure spécifique n’a été proposée.
Il s’agit de faire en sorte que nous n’ayons pas à déplorer ici, dans quelques semaines ou dans quelques mois, la mort de plusieurs dizaines supplémentaires de nos concitoyennes.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice Michelle Gréaume, vous avez interrogé ma collègue Marlène Schiappa, qui, ne pouvant être présente aujourd’hui, m’a priée de vous faire part de sa réponse.
Dans la continuité des engagements pris par le Président de la République le 25 novembre 2017 et des actions déjà entreprises pour faire reculer ces violences inacceptables, une nouvelle impulsion de la politique de prévention et de lutte contre les violences conjugales a été donnée lors du Grenelle contre les violences conjugales, lancé le 3 septembre 2019.
Sans attendre les conclusions de cette consultation, plusieurs mesures ont été annoncées par le Premier ministre dès le 3 septembre 2019, de manière à répondre en urgence aux premiers besoins remontés du terrain, dont la mise en œuvre de 1 000 nouvelles solutions de logement et d’hébergement pour les femmes victimes de violences, la mise en place du bracelet électronique anti-rapprochement, ainsi que la création d’un fonds spécial, dit « Catherine », contre les féminicides.
Ce fonds, doté d’un million d’euros, est destiné à financer des actions territoriales. Près de 15 % de l’enveloppe de ce fonds ont notamment été affectés à neuf projets mis en œuvre dans les Hauts-de-France, dont quatre projets dans votre département, madame la sénatrice.
Sur le fondement des propositions issues de cette concertation, une feuille de route nationale de lutte contre les violences conjugales a été arrêtée le 25 novembre 2019, laquelle engage l’État jusqu’en 2022 et prévoit 46 mesures concrètes, notamment des outils d’évaluation du danger, ainsi que la possibilité de déposer plainte dans les hôpitaux.
Il s’agit désormais de poursuivre cette dynamique, tout d’abord en veillant à la mise en œuvre et à la déclinaison dans les territoires de ces mesures opérationnelles ; en évaluant ensuite leurs effets – c’est l’une des priorités du Gouvernement –, afin de mesurer et de valoriser les résultats obtenus et d’améliorer ou de rectifier la conduite de ces actions, ou d’en adopter de nouvelles si nécessaire ; enfin, en poursuivant cette mobilisation en conjuguant tous nos efforts pour éradiquer ce fléau, cette cause étant transpartisane.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. Madame la ministre, vos réponses continuent de souffrir de douloureux angles morts : les crédits et les postes indispensables pour enrayer ce phénomène. Les récits des victimes, des enfants dont la mère a été tuée par un compagnon ou un ex-compagnon se multiplient dans la presse et nous bouleversent tous. Ils nous exhortent surtout à agir de toute urgence.
conséquence du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique sur les conseils de développement
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, auteur de la question n° 906, adressée à M. le ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales.
M. Bernard Bonne. Monsieur le ministre, j’avais déposé cette question orale en juillet 2019, soit bien avant l’examen au Parlement du projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
Je vous interrogeais alors sur l’article 23 de ce texte, lequel prévoyait de mettre fin à certaines obligations pesant sur les conseils municipaux et communautaires. Il rendait ainsi facultatifs les conseils de développement.
Dans le texte adopté définitivement en décembre 2019, le conseil de développement fait l’objet de l’article 80. Le Gouvernement a certes confirmé son intérêt pour cette structure, mais elle n’a été rendue obligatoire que dans les intercommunalités de plus de 50 000 habitants. Au-dessous de ce seuil, la loi la rend optionnelle. Or cette décision risque d’entraîner la disparition d’un grand nombre de ces conseils, notamment ceux qui ont été créés récemment dans les intercommunalités de plus de 20 000 habitants et de moins de 50 000 habitants.
Ces structures, émanation de la société civile, sont constituées de citoyens bénévoles, impliqués, qui font part aux élus de leurs réflexions sur la stratégie et le projet de territoire, sur l’adéquation des politiques publiques aux besoins de leur territoire, des usagers et des habitants.
Implantés à l’échelle des bassins de vie, ces conseils de développement doivent être vus non pas comme une obligation pesant sur les conseils communautaires, mais comme une véritable opportunité à la disposition des élus pour accompagner les transitions.
Monsieur le ministre, alors que le grand débat national a mis en lumière une réelle crise de la démocratie locale, il serait particulièrement inopportun de réduire à néant le travail de fond engagé depuis plus de vingt ans par les conseils de développement, qui participent justement à la mobilisation des citoyens sur les sujets d’intérêt local.
Alors que ces instances de démocratie participative ont notamment pour mission de coordonner la transition énergétique et sociale et que cet objectif est clairement affiché par le Gouvernement, n’y a-t-il pas là un réel paradoxe à ne pas les généraliser dans les intercommunalités de moins de 20 000 habitants ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur Bonne. Nous refaisons en effet ce matin un peu le débat que nous avons eu nuitamment, de manière très longue, ici, au Sénat, à l’automne dernier sur le degré de liberté et de confiance qu’il convenait d’accorder aux conseils communautaires en matière d’organisation des conseils de développement ; vous l’avez vous-même rappelé.
Je sais que votre département compte un certain nombre de conseils de développement dynamiques, qui apportent beaucoup de choses, qui portent la parole notamment de la société civile, du monde économique, du monde associatif, du monde agricole également – je le dis devant le ministre de l’agriculture ici présent.
Le constat que nous avions fait était simple : ces structures existent désormais, elles sont populaires, utiles. Fallait-il pour autant les rendre obligatoires dans la loi et devait-on laisser aux conseils communautaires le soin de les organiser comme bon leur semble ? Tel est le nœud que nous avons eu à dénouer à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Je note d’ailleurs que, sur cette question, les positions au sein des groupes parlementaires étaient très partagées, qu’elles ne reflétaient pas le clivage entre la gauche et la droite, chacun s’appuyant sur son expérience locale.
Je pense que nous avons trouvé le bon équilibre en fixant une base légale. Le groupe auquel vous appartenez souhaitait aller plus loin et laisser une liberté totale aux conseils communautaires en la matière. Finalement, les conseils de développement restent obligatoires pour les EPCI de plus de 50 000 habitants et sont facultatifs pour les établissements comprenant entre 20 000 et 50 000 habitants. Nous avons considéré que, dans ces EPCI à taille humaine, les élus locaux peuvent s’organiser comme bon leur semble.
Je pense que vous êtes tocquevillien comme moi et que vous faites confiance à la liberté locale et au libre arbitre de nos collègues élus locaux.
Enfin, la loi a prévu une innovation importante, à savoir la mutualisation des conseils de développement. On sait très bien que les cartes intercommunales, qui résultent de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, la loi NOTRe, ne correspondent pas toujours à des bassins géographiques. Il peut y avoir inadéquation entre l’organisation territoriale des intercommunalités et celle de la société civile locale, en raison de l’histoire, du mode de fonctionnement des chambres consulaires ou du tissu associatif.
Désormais, il sera possible d’avoir un seul conseil de développement sur le périmètre d’un pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) ou de plusieurs intercommunalités. Ce sont les élus locaux qui en décideront, et non plus le Gouvernement, ou la loi, ce qui va dans le bon sens. Qui sommes-nous en effet pour imposer depuis Paris un mode d’organisation dans la Loire, dans l’Eure ou ailleurs ?
Je le répète : un bon équilibre a été trouvé dans cette loi, dont les dispositions sur la question que vous soulevez, monsieur le sénateur, ont été adoptées à l’unanimité par le Sénat et l’Assemblée nationale. Je vous remercie de l’intérêt que vous portez aux conseils de développement, qui vont dans le bon sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Bonne, pour la réplique.
M. Bernard Bonne. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse. À la veille des élections municipales et des conseils communautaires, je forme le vœu qu’un très grand nombre de ces conseils communautaires suivront de telles recommandations, quel que soit le nombre d’habitants. Si cela apparaît nécessaire, j’espère que les conseils départementaux les inciteront à aller dans cette voie.
pouvoirs de police des maires dans les petites communes
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, auteure de la question n° 1080, adressée à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le ministre, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique vise notamment à raffermir les pouvoirs de police du maire et à développer les mutualisations entre intercommunalités et communes. À mon avis, cela va dans le bon sens.
Cependant, mes contacts et les réunions auxquelles je participe sur le terrain m’amènent à vous poser deux questions relatives aux petites communes.
Premièrement, en l’absence de moyens financiers et humains, les maires perçoivent une telle augmentation de leurs pouvoirs de police comme une forme d’injonction contradictoire. La mutualisation entre intercommunalités et communes ou les conventions entre communes sont un début de solution. Mais la mise en œuvre demeure quelque peu problématique s’agissant de la gouvernance, de la répartition des moyens et de la péréquation entre les communes ayant engagé des investissements et les autres. La mutualisation appelle une politique plus partagée. Cela renvoie à la question des compétences.
Deuxièmement, en matière de prévention de la délinquance – je pense en particulier à la petite délinquance, qui touche de plus en plus les communes rurales –, la réponse ne saurait résider dans la seule augmentation des pouvoirs de police ; il faut des moyens et une approche territoriale partagée. Or les élus soulignent un manque de coordination des différents acteurs à cet égard. Cela renvoie au problème de la coopération territoriale. Nous l’avons d’ailleurs évoqué hier lors de la réunion de concertation relative au futur texte « 3D » – décentralisation, différenciation et déconcentration.
Monsieur le ministre, quels moyens le Gouvernement compte-t-il mobiliser pour répondre aux préoccupations des élus locaux ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Madame la sénatrice, répondre à votre question en seulement deux minutes me semble un défi impossible à relever ; je me bornerai donc à évoquer quelques pistes, quitte à les affiner quelque peu au fur et à mesure des différents textes.
À mes yeux, la première question, avant même celle des moyens, était celle de la police administrative.
Toutes les consultations que nous avons menées dans le cadre du grand débat national ont montré que les élus étaient en demande, au-delà même des moyens, d’outils juridiques pour agir. À cet égard, le renforcement de la police administrative qui figure dans le texte Engagement et proximité constitue un bond en avant. C’est l’expression du respect des pouvoirs de police du maire en tant qu’agent de l’État dans la commune. Il n’y a rien de plus terrible pour un maire que de constater que l’un de ses arrêtés, par exemple en matière d’urbanisme, n’est pas respecté. Idem pour les débits de boisson ou les occupations du domaine public.
Nous le savons, dans les petites communes rurales, qui sont au cœur de votre question, l’enjeu, c’est le caractère exécutoire des décisions que le maire peut prendre. Telle est donc notre première piste ; elle est importante. Les amendes administratives ou les astreintes à 500 euros par jour en matière de droit de l’urbanisme sont des éléments extraordinairement novateurs.
La deuxième piste réside dans le transfert d’une partie des pouvoirs de police administrative du préfet vers les maires.
Là encore, c’est une innovation juridique importante. Il faudra l’évaluer et examiner combien d’élus du mandat 2020-2026 s’empareront de tels outils. Nous avons tout fait, notamment grâce au travail du Sénat, pour que les procédures soient les plus souples et les plus simples possible, par exemple avec l’envoi de courriers en recommandé avec accusé de réception s’agissant des mises en demeure ; je souhaite que l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité puisse en relayer les modèles auprès de ses membres.
Comme vous l’avez souligné, pour rendre exécutoire la décision de police, il y a les moyens propres des collectivités territoriales. C’est toute la question – la terminologie est un peu trop technocratique à mon goût – du continuum de sécurité, avec la mutualisation des polices municipales. La loi Engagement et proximité permet des actions à l’échelon intercommunal. Pour autant, le maire n’est pas mis de côté : il doit rester l’autorité de police dans la commune. Il faudra aussi remettre les gardes champêtres au goût du jour. Je pense que des réponses pourront être apportées à cet égard.
Tout cela fera l’objet du Livre blanc sur la sécurité intérieure. Le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, et son secrétaire d’État, Laurent Nunez, seront amenés à répondre aux questions que vous soulevez dans le cadre d’un texte ad hoc dans les mois à venir.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Harribey, pour la réplique.
Mme Laurence Harribey. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, à laquelle j’adhère sur le volet outils juridiques. Mais, comme vous le savez, les outils juridiques ne sont pas tout.
Essayons de mettre en place des formes de mutualisation et de coopération territoriales dans le cadre du travail qui sera mené avec Mme Gourault sur le futur texte 3D ; c’est là, me semble-t-il, que réside essentiellement la solution. Évitons l’approche hiérarchique et les mesures verticales. Essayons plutôt de favoriser des expérimentations territoriales avec l’ensemble des acteurs publics locaux. Je pense qu’il y a des innovations à trouver. La réunion que j’ai eue hier me l’a confirmé.
Je suis d’accord avec vous sur le fil conducteur. Mais allons plus loin dans l’expérimentation.
préemption partielle
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, auteure de la question n° 1076, transmise à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Annick Billon. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger – il ne sera pas question de tomates ce matin ! – sur les problèmes relatifs à la préemption partielle des territoires insulaires à l’occasion d’une vente soumise à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), qui est rendue possible par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Cependant, les conditions relatives au droit de préemption partielle prévues par cette loi rendent son application quasi impossible sur les territoires insulaires, notamment ceux qui sont situés sur la façade atlantique, entraînant de ce fait la perte de terres agricoles.
En effet, le fait que le vendeur puisse exiger la vente de l’ensemble des biens aliénés empêche quasi systématiquement la préemption par la Safer.
Par ailleurs, la partie en zone agricole du plan local d’urbanisme ou une parcelle à cheval entre une zone agricole et urbaine ne peuvent être préemptées que sur l’ensemble.
Une telle disposition peut dès lors décourager les collectivités demandeuses du fait du prix élevé de l’ensemble et ne permet pas le contrôle des prix de la terre agricole seule.
De plus, la révision de prix est impossible en cas de préemption partielle, ce qui ajoute au risque de non-maîtrise des prix pour la terre agricole.
Monsieur le ministre, quelles solutions peuvent être mises en œuvre pour faciliter la préemption partielle de terres agricoles et encourager ainsi les collectivités à les acquérir ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, chère Annick Billon, nous avons débattu du foncier dans cet hémicycle voilà quelques jours. Le débat, qui a été long et beau, a permis d’aborder toutes les facettes du problème. Il s’est tenu à la demande du groupe Les Indépendants, que je tiens à remercier. Nous aurons besoin d’avoir une réflexion sur le foncier au Parlement dans les semaines à venir ; votre question en pose très bien le cadre. J’ai lancé une grande consultation à la suite de l’annonce du Président de la République. Nous devons avancer.
Vous l’avez souligné, le sujet – droit de préemption totale ou droit de préemption partielle ? – est essentiel tant pour les agriculteurs que pour les communes. La loi du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt a renforcé ce droit, ainsi que le pouvoir des Safer. J’avais eu l’honneur d’être le rapporteur de ce texte au Sénat ; nous avions beaucoup travaillé avec les Safer et le monde agricole. Depuis l’adoption de la loi, la possibilité de préempter partiellement les biens mis en vente a été actée. En contrepartie, le vendeur a le droit d’exiger que le bien soit préempté en totalité.
Vous posez une question claire : préemption totale ou préemption partielle ? Je constate comme vous que de telles modalités peuvent conduire à freiner financièrement les Safer.
En 2018, les Safer ont effectué des préemptions partielles pour près de 10 % du total de leurs préemptions en valeur et près de 6 % en nombre d’actes. L’échec de ce type de préemptions ne me paraît donc pas aussi systématique, mais nous devons nous en préoccuper. Il ne faut pas négliger un fait : lorsque la Safer signifie son intention de préempter totalement ou partiellement un bien rural mis en vente, il arrive souvent que les propriétaires le retirent. Cela peut se produire pour les communes.
Nous avons donc besoin de travailler dans le cadre financier des Safer pour agir sur des biens mixtes et de forcer la capacité de celles-ci à agir en matière de mutation consécutive.
La réflexion est engagée dans le cadre de la consultation des parties prenantes qui a été lancée dès cet été. Nous allons bâtir ensemble les solutions, sur lesquelles portait votre question. Ainsi que je l’ai indiqué l’autre jour ici même, j’attends du Sénat, ainsi que de votre groupe, qu’ils nous aident à coconstruire cela. Les Safer sont ouvertes. Je n’en doute pas, nous arriverons à trouver une solution.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annick Billon, pour la réplique.
Mme Annick Billon. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse.
Vous l’avez bien compris, ma question concerne également les îles, où la pression foncière est extrêmement importante.
Mme Annick Billon. Elle m’a été inspirée par un rendez-vous que j’ai eu avec le Réseau agricole des îles atlantiques, qui couvre notamment les îles de Bréhat et de Noirmoutier, en passant par l’île d’Yeu, en Vendée.
Certes, des dispositions avaient été prévues dans la loi de 2014, mais sous conditions. Or ces conditions rendent impossible la préemption partielle.
L’île de Noirmoutier, dont la situation a inspiré ma question, et l’île d’Yeu sont concernées, de même que toutes les îles de l’Atlantique. Il y a urgence pour préserver les terres agricoles. On évoque souvent les « circuits courts ». Il faut aussi pouvoir les appliquer dans les îles.
règles de remboursement de la dotation jeune agriculteur
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la question n° 663, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le ministre, ma question porte sur la dotation jeune agriculteur (DJA).
Vous le savez, l’État détermine le cadre réglementaire national de la politique d’installation et de transmission en agriculture. Passées les cinq premières années, les agriculteurs qui ont bénéficié de la DJA sont contrôlés. Le plan de développement de l’exploitation impose de respecter un revenu global professionnel, une moyenne sur cinq ans, qui doit être situé entre un et trois SMIC. En cas de non-respect, le remboursement est demandé.
Vous ne pouvez pas l’ignorer, de nombreux cas ne répondent pas à ces critères. Certains agriculteurs n’atteignent pas sur la période des cinq ans un revenu moyen à la hauteur du SMIC et doivent faire face à une double peine. Ces exploitations sont en difficulté ; rembourser l’aide perçue les met encore plus en difficulté.
À l’opposé, il y a également des agriculteurs qui réussissent trop et sont pénalisés quand ils atteignent un revenu supérieur à trois fois le SMIC. Cela semble tout à fait paradoxal.
Si l’on peut bien comprendre que les aides ne soient pas versées sur des bases fantaisistes et, au bout du compte, en pure perte, il existe, malgré tout, des aléas conjoncturels que connaissent de nombreuses exploitations agricoles. On peut en particulier s’étonner que les résultats trop rapidement positifs des agriculteurs soient pénalisés.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, votre question porte sur les règles relatives au remboursement de la DJA lorsque le revenu professionnel global moyen sur les cinq premières années est supérieur à trois fois le SMIC.
Nous le savons, c’est un vrai problème. Comment dire au bout de plusieurs années à un jeune ou à un moins jeune qu’il a « trop bien travaillé » et qu’il doit rembourser les sommes perçues ? Le sujet est épineux ; nous en avons beaucoup parlé avec les jeunes agriculteurs, et nous y avons travaillé. Nous essayons de trouver la solution.
Je ne souhaite pas qu’une telle situation puisse perdurer. Quand on fait un parcours d’installation, on travaille sur l’ensemble des années. Tant mieux si les jeunes arrivent à gagner de l’argent ; dommage si d’autres n’y arrivent malheureusement pas.
Plusieurs outils sont mobilisés dans le cadre de la DJA ou du second pilier de la PAC. Nous voulons avancer.
Nous sommes en train de réfléchir avec les jeunes agriculteurs sur le dispositif qui fixe le seuil de revenu maximal à trois SMIC. En cas de dépassement, le préfet est tenu de prononcer une déchéance. Or ces dépassements sont parfois liés à des circonstances exceptionnelles. Nous avons besoin de réponses.
Une instruction technique a été publiée en 2018. En dehors des cas de force majeure et de cas précis, aucune dérogation à la demande de remboursement pour dépassement de seuil ne peut être accordée. C’est la règle.
Mais nous devons aller plus loin et solliciter auprès de l’agent comptable de l’Agence de services et de paiement (ASP) un échéancier. Il faut donner toutes les possibilités aux jeunes agriculteurs pour qu’ils ne soient pas pénalisés.
Aujourd’hui, selon les chiffres fournis par les services, environ 80 % des dossiers examinés ont pu obtenir une suite favorable. Il en reste encore 20 % pour lesquels ce n’est pas le cas.
Dans le cadre des prochaines programmations, il faut absolument que le dispositif soit assoupli et plus progressif, afin d’éviter au maximum les remboursements de DJA. C’est un engagement que j’ai pris. Pour l’instant, je ne peux pas répondre favorablement à votre question ; mais nous y répondrons favorablement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour la réplique.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le ministre, vous vous en doutez bien, votre réponse me fait extrêmement plaisir.
J’espère malgré tout que, pour les 80 % ayant trouvé une suite favorable, il ne s’est pas agi de fixer un échéancier et d’étaler le remboursement, car la pénalisation est exactement la même pour les agriculteurs.
Certes, c’est compliqué. Il faut intégrer le fait que le plan de développement d’exploitation part sur des moyennes et des prévisions très difficiles à établir, dans la mesure où les cours ne sont pas connus. Au demeurant, on travaille avec ces évolutions climatiques difficiles complètement à l’aveugle.
À l’évidence, si l’on considère que la DJA est une aide à caractère économique à l’installation, de même que pour n’importe quelle activité – là, il s’agit d’une activité agricole –, c’est la seule configuration dans laquelle elle peut éventuellement être remboursable. Quand une entreprise s’installe, à aucun moment, on ne demande, qu’il s’agisse d’un conseil régional ou d’une communauté de communes, aux jeunes qui se sont installés de rembourser parce qu’ils ont rencontré des difficultés ou parce qu’ils ont trop bien réussi ; dans aucun autre secteur d’activité on ne se trouve dans une telle configuration.
Mme Nadia Sollogoub. Je vous demande vraiment de continuer. Nous serons derrière vous.
taxes américaines et conséquences sur la filière vini-viticole
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, auteur de la question n° 1073, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Hervé Gillé. Monsieur le ministre, ma question porte sur les conséquences économiques désastreuses pour le secteur de la vini-viticulture des taxes américaines autorisées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les biens européens destinés à l’exportation, entrées en vigueur mi-octobre 2019 et dont le maintien a été confirmé vendredi dernier.
La France est le deuxième exportateur de vin – cela représente 25 % des exportations européennes – aux États-Unis, après l’Italie. Elle est directement visée par ces sanctions. Aujourd’hui, ce sont les PME et les TPE de ce secteur viticole qui sont prises en otage ; 500 000 emplois sont menacés, alors que l’on constate au dernier trimestre de 2019 un recul de 17,5 % des exportations françaises.
Votre ministère nous le rappelle, la résolution est avant tout européenne, puisque liée à Airbus. L’Union européenne a déjà accordé des mesures pour offrir plus de flexibilité et une simplification des fonds de promotion, mais la mise en place d’un mécanisme européen de compensation des pertes est toujours attendue.
Quel est aujourd’hui le contexte ? La Commission européenne a formulé des offres de négociations avec les États-Unis ; elles n’ont pas permis de résoudre le conflit. Nous attendons un jugement de l’OMC concernant les subventions américaines accordées à Boeing. Cela offrirait peut-être à l’Europe la possibilité d’imposer, elle aussi, des sanctions, mais seulement au printemps. Pendant ce temps, les exportateurs perdent déjà des parts de marché, malgré leurs efforts financiers pour compenser leurs pertes de compétitivité.
L’ensemble des acteurs demandent la mise en œuvre d’un fonds de compensation ou d’indemnisation, qu’il soit européen ou non.
Monsieur le ministre, qu’en est-il ? Avez-vous prévu d’abonder ce fonds sur le plan national ? Comment prévoyez-vous de décliner votre plan d’action à l’échelle des régions sur les plans administratif et politique ? Avez-vous prévu des dispositifs d’accompagnement en termes d’ingénierie de crise ? Avez-vous prévu d’y associer les collectivités territoriales ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur, je ne pourrai évidemment pas répondre à toutes les questions que vous avez posées en seulement deux minutes.
Le sujet est clair. Les États-Unis ont pris une décision – certes, ils ont le droit de la prendre – scandaleuse : faire payer aux viticulteurs français, qui sont des victimes, un conflit entre Airbus et Boeing. C’est inacceptable ! La viticulture française ne peut pas être la variable d’ajustement de je ne sais quel débat économique.
La France a immédiatement réagi, depuis le mois d’octobre. J’ai rencontré voilà quelques semaines M. Sonny Perdue, secrétaire à l’agriculture des États-Unis.
Nos demandes sont très claires.
Premièrement, nous réclamons l’arrêt de ces taxes, qui ont été rétablies vendredi dernier. C’est le combat que mènent Bruno Le Maire et notre diplomatie. Je le mène également dans le cadre de rencontres bilatérales avec mon homologue américain.
Deuxièmement, nous demandons à la Commission européenne une aide directe de compensation de 300 millions d’euros, ce qui correspond grosso modo au montant des pertes des viticulteurs français. Le Président de la République réitérera cette demande après-demain lors du Conseil des chefs d’État et de gouvernement européen. L’Europe doit aider la viticulture française à passer ce cap.
Troisièmement, la France aide directement les agriculteurs. Nous avons obtenu que, dans le cadre de l’organisation commune de marché (OCM) vitivinicole, nos viticulteurs puissent attaquer de nouveaux marchés dans des pays tiers avec des aides de l’Union européenne. Parallèlement, FranceAgriMer essaye d’accélérer l’avancée des dossiers.
La France est déterminée à agir dans ces trois directions. Les viticulteurs français ne peuvent être les victimes expiatoires d’un conflit entre Airbus et Boeing. J’ai soutenu la filière quand elle a rencontré le patron d’Airbus ; je le croiserai moi-même au salon international de l’agriculture dans les jours qui viennent et je lui dirai que cette situation ne peut perdurer.
Il faut une mobilisation générale ! L’Europe doit aider les viticulteurs français à s’en sortir, et la France sera au rendez-vous.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Je connais bien les mesures que vous avez exposées, monsieur le ministre.
J’attire toutefois votre attention sur l’intérêt d’une mobilisation collective plus forte qu’aujourd’hui. C’est pourquoi j’évoquais le rôle que pouvaient jouer les collectivités territoriales, au premier chef les régions, qui ont une compétence particulière en la matière.
Il serait intéressant également de disposer d’indicateurs sur la dégradation de l’activité de certaines entreprises viticoles.
M. Hervé Gillé. La MSA nous fait part de situations critiques, avec des difficultés de paiement des cotisations. Nous avons besoin de travailler ensemble sur des indicateurs et des tableaux de bord pour accompagner au mieux les entreprises viticoles, notamment à l’échelle territoriale.
tirs de défense contre les loups
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 1111, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
M. Cyril Pellevat. Monsieur le ministre, le 30 janvier dernier, le préfet de la Haute-Savoie listait les grands défis qui attendaient notre département. La prolifération des loups en faisait partie – hélas ! –, et pour cause : nous avons enregistré 32 attaques en 2017 et 71 en 2019, alors que l’objectif était de zéro attaque !
J’ai rédigé, en 2018, un rapport d’information relatif à la gestion des loups sur le territoire français, dans le contexte de la publication du plan loup 2018-2023. Ce rapport visait à susciter une prise de conscience de la désespérance du monde pastoral confronté au retour du loup et à l’augmentation continue des actes de prédation.
Rappelons que, en 2019, il y a eu environ 13 000 victimes animales, soit une augmentation de 70 % depuis 2013. Il convient donc d’agir afin de maintenir l’équilibre entre les activités humaines et la protection dont le loup fait l’objet au titre de la biodiversité.
Le plan loup a suscité différentes critiques. Les mesures de protection des troupeaux, notamment, ne sont pas suffisantes pour bon nombre d’éleveurs. Comme je l’évoquais dans mon rapport, ils aimeraient que leur soit reconnu un droit de légitime défense pour protéger leurs troupeaux en situation d’attaques.
Depuis 2019, le seuil de 500 loups est atteint. Aujourd’hui, le nombre de loups est certainement supérieur à 750. Il ne s’agit donc plus d’une espèce menacée. Les meutes se multiplient – on en dénombrait 53 en 2017, 80 aujourd’hui –, les fronts de colonisation également – un loup a été aperçu en Charente.
Nous devons agir ensemble. Nous voulons soutenir le Gouvernement dans une démarche visant à adapter le cadre juridique international et européen de gestion des loups. Je pense notamment au déclassement de la directive Habitats et de la convention de Berne, qui constituerait un signal fort pour nos éleveurs.
Il conviendrait également de donner des moyens aux préfectures pour aider la louveterie, qui soutiendra les éleveurs et les espaces pastoraux. Aujourd’hui, en Haute-Savoie, c’est le département et la région qui aident à l’achat de jumelles.
Monsieur le ministre, il y a urgence ! Quelles sont vos propositions pour endiguer cette hausse des attaques ? L’augmentation du seuil de prélèvement ne suffit pas.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je sais combien le sujet que vous évoquez, monsieur le sénateur Pellevat, tient à cœur aux sénateurs et sénatrices, en particulier à ceux qui habitent en zone de pastoralisme, et je sais combien vous êtes personnellement investi sur ce dossier.
Tout d’abord, le Gouvernement, pour la première fois, a eu le courage d’annoncer des chiffres très clairs : la population de loups en France a dépassé le nombre de 500 individus. Le loup n’est donc plus une espèce en voie de disparition, ce qui nous ouvre de nouvelles perspectives.
Ensuite, nous avons engagé un nouveau plan loup. Vous dites que le nombre de prélèvements n’est pas suffisant, mais je rappelle que nous l’avons doublé, ce que personne n’avait fait jusqu’à maintenant. Nous avons aussi dit que, dans certaines zones, la présence du loup doit être interdite, car elle est incompatible avec le pastoralisme. Je me suis exprimé à plusieurs reprises sur ce sujet. La cohabitation entre le prédateur et l’éleveur devient de plus en plus compliquée dans certaines zones, et je choisirai toujours l’éleveur plutôt que le prédateur.
Il n’en demeure pas moins que nous sommes favorables à la biodiversité. Il ne s’agit pas de supprimer les populations et les meutes de loups.
En France, le pastoralisme et l’élevage ne sont pas organisés de la même façon qu’en Italie ou en Espagne. Nos troupeaux vont défricher certaines zones de montagne et jouent aussi un rôle dans la lutte contre les incendies. L’installation de barrières ne suffit pas.
Nous avons déjà pris beaucoup de mesures pour aider les éleveurs à protéger leurs troupeaux et faire de la prévention, mais nous voulons aller plus loin.
L’échelon européen, comme vous l’avez souligné, est très important. Le loup n’étant plus une espèce en voie de dépeuplement, la France et d’autres pays de l’Union souhaitent pouvoir travailler sur le guide interprétatif de la directive Habitats.
Ne nous racontons pas d’histoires. Aujourd’hui, il n’y a pas de majorité en Europe pour revoir cette directive ou la convention de Berne. Ne leurrons pas les gens, nous sommes ultra-minoritaires. En revanche, un noyau d’États membres souhaite travailler sur le guide interprétatif, qui donnera encore plus de latitude aux États membres pour gérer ces populations, dans le cadre des plans loup nationaux.
Comme vous, cher Cyril Pellevat, nous sommes déterminés à aider les éleveurs à s’en sortir !
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Pour vous avoir sollicité à de nombreuses reprises, monsieur le ministre, je connais votre détermination, comme celle de votre prédécesseur.
Comme vous l’avez souligné, le seuil de prélèvement ne suffit pas. Nous pouvons travailler ensemble sur d’autres mesures complémentaires, notamment la capture-relâche, ou encore le puçage des loups dans les fronts de colonisation. Nous serons à vos côtés pour appuyer votre action.
politique agricole commune et agriculture française
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, auteure de la question n° 973, adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Mme Sylvie Vermeillet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation et porte sur l’importance des aides de la politique agricole commune (PAC) pour l’agriculture française.
La Bourgogne-Franche-Comté est l’une des régions les plus rurales de France, où l’agriculture et la forêt concentrent 5,54 % des emplois, contre 4,1 % en moyenne nationale, et occupent 90 % du territoire. Le secteur agricole produit 4 % de la valeur ajoutée régionale, ce qui place l’agriculture de Bourgogne-Franche-Comté au second rang des régions françaises. L’agriculture régionale se distingue par des filières d’excellence et par sa diversité. Dans le Jura, les moyennes et grandes exploitations sont orientées majoritairement « bovins-lait ». Suivent la polyculture-élevage, les productions céréalières et la viticulture. L’agriculture de ce département a su composer avec les contraintes géographiques, géologiques et climatiques.
Cependant, lors de la dernière programmation, l’ex-Bourgogne a été mal dotée quant à l’affectation des aides. Le produit intérieur brut (PIB) par habitant de la Bourgogne-Franche-Comté est aussi l’un des plus bas des régions métropolitaines, et il y a un déficit d’attractivité de nos territoires ruraux, qui perdent des habitants depuis 2011.
Aussi, pour la programmation 2021-2027, compte tenu des difficultés rencontrées par notre région Bourgogne-Franche-Comté pour accompagner une politique agricole d’avenir grâce à des mesures en faveur du renouvellement des générations, des investissements productifs, de la compensation des handicaps de l’environnement et du développement rural, je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, quelles mesures pourraient être prises au niveau de la PAC pour défendre les intérêts de l’économie agricole et des territoires ruraux de la région Bourgogne-Franche-Comté.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, votre question ne pourrait pas être plus d’actualité.
Lors du Conseil des chefs d’État et de gouvernement, qui se tiendra jeudi et vendredi prochains, et se prolongera peut-être au-delà, le Président de la République va porter les positions de la France. Le budget de l’Union européenne, et donc celui de la politique agricole commune, devrait être acté.
La position de la France est très claire. Il est hors de question que la PAC fasse les frais d’un accord européen qui entraînerait une diminution des aides à l’agriculture.
Appelons un chat un chat : le budget de la PAC va diminuer après le départ du Royaume-Uni.
M. Laurent Duplomb. Le chiffre ?
M. Didier Guillaume, ministre. Mais la France, avec une vingtaine d’autres États, s’oppose à la position de la Commission. Nous voulons une PAC au niveau des 27 États membres, et nous ne céderons pas sur ce point. Nous ne sommes pas aidés par nos alliés traditionnels allemands pour l’instant, mais nous espérons pouvoir aboutir.
Sans un budget de la PAC fort, au même niveau qu’aujourd’hui, nous aurons des difficultés. Au moment où l’on demande toujours plus aux filières agricoles, où l’on observe des difficultés économiques, sociales, humaines et de transition agroécologique, des aides doivent exister dans chacun des deux piliers.
Le premier pilier permet de verser des aides directes aux agriculteurs, tandis que le deuxième favorise l’aménagement, l’installation, la réponse aux risques naturels, aux aléas climatiques et économiques.
Nous voulons avancer, avec comme priorités un pilier fort d’aides directes, un eco-scheme obligatoire pour tous les États, et facultatif pour les agriculteurs, des mesures agroenvironnementales et climatiques, ainsi que le maintien des aides couplées, qui font la force de notre agriculture, et des indemnités compensatoires de handicaps naturels.
Cela vaut pour votre région, madame la sénatrice, avec toutefois cette spécificité des zones intermédiaires, qui rencontrent des difficultés et qui n’ont pas été assez bien dotées. Je partage votre interrogation. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du plan stratégique national, nous sommes en train, avec le Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire (CSO), d’élaborer des priorités communes.
Nous allons coconstruire avec les régions et le monde agricole le plan stratégique national de la future PAC.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Vermeillet, pour la réplique.
Mme Sylvie Vermeillet. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre, et je compte sur votre vigilance pour une répartition équitable des futures aides.
Le second pilier de la PAC laisse une certaine flexibilité aux États pour définir des programmes à mettre en œuvre prioritairement dans le cadre du développement rural. Aussi, je plaide également pour qu’un dispositif d’aides spécifiques au photovoltaïque et aux énergies renouvelables agricoles voie le jour dans la prochaine programmation.
Dans un contexte où le prix de l’électricité a progressé de plus de 50 % ces dix dernières années, les agriculteurs français ne bénéficient actuellement pas d’une aide financière suffisamment massive pour leurs investissements productifs. Je pense donc à l’équipement photovoltaïque, qui permet aux exploitations agricoles de faire des économies tout en accélérant la transition énergétique de notre société.
statut juridique des postes-frontières
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, auteur de la question n° 1054, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d’État, le 31 octobre dernier, notre collègue députée européenne Manon Aubry était empêchée… Empêchée d’exercer son droit de visite des lieux de privation de liberté, prévu à l’article 719 du code de procédure pénale, au motif que le poste-frontière de Menton, auquel elle demandait l’accès, n’était pas un lieu de privation de liberté.
Je vous avoue que ce refus apparaît curieux au parlementaire que je suis. En effet, j’ai pu accéder à ce même poste-frontière le 31 mars 2018 en vertu de ce même droit de visite des lieux de privation de liberté – les temps changent ! – et j’y ai constaté la présence d’espaces grillagés fermés ainsi que d’autres manquements à la loi. Ma collègue Michèle Rivasi et moi-même avons d’ailleurs effectué un signalement qui a entraîné le déclenchement, en novembre 2018, d’une enquête préliminaire pour « détention arbitraire et trafic de dates de naissance de migrants ».
La détention arbitraire ne suffirait donc pas à qualifier la privation de liberté… C’est ce que laisse à penser une note interne de la direction centrale de la police aux frontières du 2 mai 2019. Une note interne dont vous n’avez pas fait la publicité, mais qui a été opposée à Manon Aubry et qui précise que ce poste-frontière, ainsi que celui de Montgenèvre, est non pas un lieu de privation de liberté, mais un « lieu de mise à l’abri ».
Monsieur le secrétaire d’État, cette qualification n’existe pas dans notre droit. Le code de l’action sociale et des familles définit les « centres d’hébergement d’urgence », où les droits des personnes doivent être scrupuleusement présentés et respectés ; il définit aussi les « conditions de mise à l’abri » des mineurs isolés, mais jamais les « lieux de mise à l’abri ».
À quoi vos services font-ils référence précisément ? Pourquoi y interdire l’accès aux parlementaires ? Pour ne pas laisser croire que les postes-frontières sont des zones de non-droit, je vous invite à me préciser leur statut juridique.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Guillaume Gontard, permettez-moi tout d’abord de rappeler qu’il n’y a pas, dans notre État de droit, de « zones de non-droit ». Les locaux que vous évoquez sont des zones de mise à l’abri, aménagées par le service de la police aux frontières (PAF) territorial concerné, à Menton et Montgenèvre, au niveau des points de passage autorisés (PPA) terrestres, au sens du code frontières Schengen, institués à la suite de la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures.
Car si la France mène une politique migratoire responsable et ferme, elle attache aussi le plus grand prix à ce que les droits et la dignité des personnes soient à tout moment respectés.
L’administration agit d’ailleurs, je le rappelle, sous le contrôle du juge, notamment du juge des référés, et ne saurait se soustraire au respect des droits des personnes.
En frontières terrestres, le bénéfice du jour franc est inapplicable et il ne peut y avoir de zone d’attente. Ces « zones de mise à l’abri » répondent donc à un objectif simple : protéger les étrangers retenus provisoirement dans les locaux de la PAF, afin de ne pas soumettre les personnes non admises à un retour par leurs propres moyens, dans des conditions parfois dangereuses.
Ces locaux ne sont ni des locaux de garde à vue, ni des locaux utilisés dans le cadre de la retenue pour vérification du droit au séjour, ni des centres ou locaux de rétention administrative, ni des zones d’attente. C’est pourquoi le cadre légal existant ne prévoit pas que les parlementaires y disposent d’un droit de visite. Votre collègue députée, Mme Danièle Obono, a d’ailleurs récemment été déboutée par le tribunal administratif de Nice sur ce point. Quant au signalement que vous et diverses associations aviez adressé au parquet de Nice, il a, vous le savez, été classé sans suite.
J’espère que ces éléments seront de nature à vous rassurer, monsieur le sénateur. Tel est en tout cas l’état du droit.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le secrétaire d’État, vous ne m’avez pas rassuré.
Soit vous nous cachez la vérité, soit vous n’êtes pas allé sur place, ce dont je doute.
Lors de ma visite en novembre 2018, ce que j’ai vu est bien un lieu de privation de liberté. Des femmes, des hommes et des enfants étaient enfermés dans un même lieu pendant plus d’une nuit. On parle bien d’une zone de non-droit.
Vous parlez de « mise à l’abri » alors que, chaque jour, on renvoie sans ménagement des exilés sur les routes italiennes.
J’en veux pour nouvelle preuve que, les 31 janvier et 1er février derniers, 40 observateurs associatifs se sont relayés en continu pour observer les pratiques des forces de l’ordre à Menton. Au cours de leurs 39 heures d’observation, ils ont constaté les faits suivants : 79 personnes ont été interpellées, 92 personnes ont été refoulées sans respect de leurs droits ni des procédures, 38 personnes ont été enfermées pour une durée supérieure à 4 heures, allant même, pour 6 personnes, jusqu’à 12 heures 45 de privation de liberté…
En plus d’une politique inefficace, coûteuse et destructrice de vies, votre gouvernement bafoue sans ménagement les droits humains élémentaires.
listes communautaires
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question n° 1071, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le secrétaire d’État, vous savez que j’ai beaucoup de respect pour le travail que vous faites pour lutter contre le terrorisme. Dans cette maison, nous avons toujours été très solidaires de l’action des gouvernements successifs sur ce point.
Je crois toutefois que nous assistons en ce moment à un certain nombre de dysfonctionnements. Lorsque cette question a été inscrite à l’ordre du jour, je ne savais pas que le Premier ministre allait aujourd’hui même faire des annonces sur ce sujet.
J’ai pu relever qu’un think-tank, connu pour être financé par le Qatar, avait récemment organisé un certain nombre de réunions. Son directeur exécutif indiquait notamment que les Français de confession musulmane devaient constituer des listes communautaires et qu’ils avaient 6 millions de voix à portée de main. Il recommandait expressément de « taper aux urnes »…
Quelle est votre position sur ce sujet qui fait débat, monsieur le secrétaire d’État ? Comment pouvons-nous les uns et les autres empêcher ce type de dysfonctionnements ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice Nathalie Goulet, comme vous le savez, notre République est une et indivisible. Il ne saurait donc exister dans notre pays de communautés à l’existence juridique séparée sur un fondement religieux, ethnique ou autre. Sur ce principe, qui figure à l’article 1er de notre Constitution, soyez assurée que le Gouvernement restera toujours extrêmement vigilant et ferme.
En France, la liberté de candidater aux élections politiques est donc la règle. C’est la marque des démocraties en même temps qu’une tradition républicaine, dont nous sommes évidemment très fiers.
Les exceptions reposent actuellement sur des cas d’inéligibilité prévus par la loi, par exemple les régimes des incompatibilités entre mandats politiques ou encore ce qui est prévu pour certains emplois publics. D’autres exceptions résultent de condamnations judiciaires, lorsque le code pénal prévoit la possibilité de prononcer une telle peine.
Vous me demandez quelles mesures sont prises pour éviter des dérives liées à des listes communautaires.
Dans le cadre d’une campagne électorale, dans le cas où des candidats porteraient une atteinte pénalement répréhensible aux principes fondamentaux de la République, par exemple en appelant à la haine ou en tenant des propos susceptibles d’inciter à troubler l’ordre public, les préfets ont reçu du Gouvernement la ferme instruction d’en saisir le procureur de la République et, le cas échéant, de prendre les mesures de police administrative de nature à faire cesser les troubles encourus.
Le principe de laïcité n’interdit pas pour autant l’existence de formations politiques s’inspirant de valeurs religieuses, à l’instar du parti chrétien démocrate, ni même l’élection de ministres du culte, comme l’histoire de notre pays a pu le montrer.
Enfin, pour répondre à une de vos remarques, je rappelle que notre droit prohibe formellement le financement d’une campagne électorale par un État étranger, de quelque manière que ce soit. La lettre de l’article L. 52-8 du code électoral est limpide sur ce point. En application de ce même code, le candidat qui viole ces dispositions peut être puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Pour ce qui est du régime relatif aux associations, lui aussi un pilier de la République, vous le savez, le Gouvernement n’a jamais hésité à faire usage des facultés offertes par l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, qui prévoit notamment des dispositions en matière de dissolution.
Faut-il enrichir les outils existants, les moderniser ? Le Gouvernement y travaille, comme vous l’avez rappelé. C’est le Président de la République, et non pas le Premier ministre, qui est aujourd’hui à Mulhouse pour parler de l’ensemble de ces questions, qui dépassent, comme vous l’avez dit, le seul cadre de la lutte contre le terrorisme : c’est bien la lutte contre le séparatisme qui est aussi notre cible. Sur l’ensemble de notre territoire, nul ne peut considérer que la loi de Dieu l’emporte sur l’application des lois de la République.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour la réplique.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie. Je savais que vous alliez donner cette réponse totalement républicaine. Je suis quand même très inquiète sur le financement des associations, notamment par un État étranger, que j’ai d’ailleurs cité, et sur la multiplication de mouvements se réclamant de l’islam politique et des Frères musulmans, notamment dans des locaux municipaux, comme à Rouen récemment, où le préfet n’était même pas informé.
Dans le cadre du travail qui nous occupe et que nous avons en partage, je souhaiterais que nous puissions porter notre attention sur les financements étrangers des associations. Cela me semble très important. Je pense aussi qu’il nous faudra, à l’instar de ce qu’ont fait d’autres pays européens et les Émirats arabes unis, envisager un contrôle, voire une interdiction des Frères musulmans, qui, à mon sens, portent un islam politique contraire aux vertus de la République.
manque d’effectifs de gendarmes en zone de sécurité prioritaire
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylviane Noël, auteur de la question n° 911, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
Mme Sylviane Noël. Monsieur le secrétaire d’État, par la présente question orale, je me fais la porte-parole de plusieurs élus hauts-savoyards, préoccupés par la situation de deux secteurs en particulier.
Tout d’abord, la moyenne vallée de l’Arve, qui constitue une aire urbaine d’environ 60 000 habitants répartis sur les communes de Bonneville, Cluses, Marnaz et Scionzier, et qui est placée en zone de sécurité prioritaire (ZSP) depuis plusieurs années.
Au-delà de cette zone urbaine, on retrouve également une forte proportion de lits touristiques, la vallée de l’Arve étant le passage obligé vers les stations renommées de la vallée du Giffre et du pays du Mont-Blanc. Ainsi, cette zone du département connaît un quasi-doublement de sa population en haute période touristique, en été comme en hiver.
Située au carrefour de la Suisse et de l’Italie, la vallée de l’Arve concentre des déséquilibres sociaux et économiques majeurs, propices au développement de trafics en tout genre et d’un communautarisme radical. Or, en dépit de ces caractéristiques particulières, force est de reconnaître que la ZSP de la vallée de l’Arve vivote, comme celle d’Annemasse-Gaillard-Ambilly, d’ailleurs.
Qu’apporte-t-elle concrètement aujourd’hui en matière de sécurité ? À sa création, la ZSP de la vallée de l’Arve bénéficiait de 14 gendarmes mobiles en renfort, et cela a duré jusqu’à fin 2017. Ce renfort devait reprendre à hauteur de 11 gendarmes mobiles en novembre 2018, mais le mouvement des « gilets jaunes » n’a pas permis ce retour.
Quel est donc l’avenir de cette ZSP si on ne lui alloue plus les moyens nécessaires ?
Second secteur préoccupant, le bassin genevois français, qui a connu ces dernières années la plus forte progression démographique du département, certaines communes enregistrant un taux de croissance démographique supérieur à 30 %. Sa proximité avec la Suisse et son dynamisme économique exceptionnel en font un terrain de choix pour les cambriolages, actes de délinquance et trafics en tout genre. Les chiffres de la délinquance dans ce secteur ont été orientés à la hausse en 2019 – +33 % pour les seules atteintes à l’intégrité physique. Une telle situation pose la question de la capacité pour les services publics, et notamment ceux de la sécurité, à accompagner l’essor démographique vertigineux de ce département, notamment sur ce secteur.
Avec cet exposé, monsieur le secrétaire d’État, vous aurez compris que la Haute-Savoie constitue un territoire atypique du fait, à la fois, de son caractère doublement frontalier, hautement touristique et très attractif d’un point de vue démographique.
Je souhaiterais donc connaître les intentions de l’État quant à la mise en œuvre de moyens adaptés aux particularités de ce territoire, notamment d’un point de vue sécuritaire. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour le maintien des populations, le dynamisme économique et la vitalité des services publics.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Madame la sénatrice, la présence de la gendarmerie, mobile ou départementale, dans la moyenne vallée de l’Arve, comme partout sur le territoire, d’ailleurs, permet de mieux lutter contre l’insécurité et de rassurer nos compatriotes. Vous l’avez fort justement rappelé.
Vous l’avez également rappelé, la France a connu depuis 2018 des troubles à l’ordre public et des violences d’une ampleur inédite, d’abord à Notre-Dame-des-Landes, puis durant de nombreux mois en marge du mouvement des « gilets jaunes ». Dans ce cadre, le Gouvernement avait le devoir de restaurer l’ordre républicain, de protéger les Français des violences commises par des extrémistes et les commerces de pillages. Enfin, nous devions mettre à l’abri de tout saccage nos institutions et monuments nationaux.
Tous les gendarmes mobiles sécurisant les zones de sécurité prioritaire (ZSP) ont été mobilisés, mais, nonobstant la priorité qui a été donnée à ces missions, l’engagement des forces de l’ordre est loin d’avoir faibli.
Le groupement de gendarmerie de la Haute-Savoie, sous l’autorité du préfet, a pris des mesures opérationnelles concrètes pour pallier ce départ des gendarmes mobiles de la ZSP. Ainsi, des services de surveillance spécifiques, réalisés par des réservistes opérationnels et des militaires de l’escadron d’Annecy, sont effectués très régulièrement au profit des brigades territoriales de Bonneville et de Scionzier.
Par ailleurs, dans le cadre de la police de sécurité du quotidien, la Haute-Savoie fait partie des 20 départements les mieux accompagnés. D’ici à la fin du quinquennat, la gendarmerie de la Haute-Savoie bénéficiera d’un renfort de 25 militaires supplémentaires, 6 militaires étant déjà arrivés au sein des différentes unités de la ZSP ces derniers mois.
Cet effort en matière d’effectifs et de recrutements nouveaux est substantiel, et je puis vous assurer qu’il va se poursuivre.
Nous constatons d’ailleurs des chiffres encourageants au sein de la ZSP de Bonneville-Cluses-Scionzier-Marnaz, avec notamment une diminution de 15 % des atteintes aux biens – 834 délits enregistrés –, et une baisse significative des cambriolages, de près de 34 %.
Ainsi le redéploiement de forces mobiles au sein de cette ZSP sera-t-il réétudié dès que le contexte national en matière de sécurité et d’ordre public le permettra.
Il en va de même pour le bassin genevois français, que vous avez cité, et qui fera, bien évidemment, l’objet d’une attention soutenue.
J’en profite pour vous signaler, madame la sénatrice, que l’action des forces de l’ordre ne peut se résumer à la présence physique d’effectifs à un endroit donné.
Vous êtes élue d’un département de passage, dans lequel, nous le savons, de nombreuses bandes itinérantes mènent de véritables raids, commettant des atteintes aux biens et des cambriolages. L’action de la gendarmerie nationale sur les axes de mobilité est importante, car elle permet de démanteler énormément de réseaux de cambrioleurs, d’élucider des faits et d’en empêcher d’autres. Je veux leur rendre hommage à cet égard. Surtout, je crois qu’il faut aussi intégrer dans nos raisonnements sur les effectifs cette action menée en « missionnel » par les forces de l’ordre sur l’ensemble des axes de circulation, qui ont un rôle majeur, effectivement, dans votre département.
prérogatives des élus consulaires
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut, auteur de la question n° 1004, adressée à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
M. Ronan Le Gleut. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur les prérogatives et conditions d’exercice des conseillers des Français de l’étranger.
La réforme de l’Assemblée des Français de l’étranger de 2013 demeure incomplète. Certes, elle a eu le mérite de créer de véritables élus de proximité auprès des Français qui résident à l’étranger, mais des pans entiers ont été oubliés et, surtout, aucune mesure réglementaire n’a été prise pour sa bonne application.
Les conséquences de ces lacunes sont nombreuses, en particulier le manque de moyens d’action. Le statut et la considération dépendent en réalité de la bonne ou de la mauvaise relation de l’élu avec le chef de poste.
Monsieur le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur, imaginez un instant qu’un préfet se rendant à une cérémonie dans une commune soit se place à côté du maire, soit le fasse reléguer au fond de la salle selon les plus ou moins bonnes relations qu’il aurait avec cet édile. Vous-même, vous ne l’accepteriez pas. Pourtant, c’est ce qui peut se passer avec les élus consulaires : il y a 130 situations différentes, autant que de circonscriptions consulaires.
Le groupe Les Républicains du Sénat a poussé une proposition de loi de notre collègue Christophe-André Frassa, dont notre collègue Jacky Deromedi fut rapporteur. Ce texte, voté par le Sénat voilà un an, enrichi de nos amendements, apporte de nettes améliorations.
Qu’attend le Gouvernement pour l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ? Qu’attend le Gouvernement pour prendre une circulaire s’inspirant de la circulaire du 5 avril 2006 relative aux fonctions et prérogatives des conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger, prise par Philippe Douste-Blazy ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les prérogatives des élus consulaires.
Comme vous le savez, la loi du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique intègre différentes mesures visant à renforcer la visibilité et les prérogatives des élus des Français de l’étranger.
Un décret d’application de cette loi est en cours de préparation, et le projet sera bien évidemment soumis à l’avis de l’Assemblée des Français de l’étranger à l’occasion de sa prochaine session, dans la semaine du 16 mars 2020.
Ces mesures s’appliqueront aux conseillers élus à l’issue du scrutin des 16 et 17 mai prochains.
Les conseillers des Français de l’étranger, puisque telle sera leur nouvelle dénomination, présideront désormais les conseils consulaires réunis localement. Ils verront ainsi notamment leur rôle renforcé dans l’examen des dossiers d’aide financière à caractère social – bourses scolaires, aides sociales, notamment.
Cette nouvelle prérogative permettra aux élus d’être davantage impliqués aux côtés de l’administration consulaire dans le travail fait en faveur de nos compatriotes à l’étranger. De plus, elle viendra renforcer le lien de proximité entre les élus et nos compatriotes, valorisant pleinement leur connaissance du contexte local et de nos communautés.
La loi prévoit également le droit à une formation pour les conseillers des Français de l’étranger afin de faciliter l’exercice de leur mandat. Là aussi, les modalités pratiques sont en cours d’élaboration et seront effectives pour le collège issu des prochaines élections consulaires.
Vous le voyez, si la proposition de loi qui avait été adoptée au Sénat début 2019 n’a pas prospéré, la loi Engagement et proximité a intégré plusieurs des mesures qui étaient attendues dans le sens d’un renforcement du rôle des élus consulaires.
Par ailleurs, alors que s’achève prochainement leur mandat, mon collègue Jean-Yves Le Drian m’a chargé de leur transmettre par votre intermédiaire ses remerciements et sa gratitude pour leur engagement quotidien au service de nos compatriotes.
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour la réplique.
M. Ronan Le Gleut. Merci, monsieur le secrétaire d’État. Effectivement, une partie des propositions issues des travaux du Sénat ont été reprises, mais une partie seulement…
Finalement, pour résumer, ce qu’attendent les élus des Français de l’étranger est extrêmement simple : ils veulent être respectés pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire des élus au suffrage universel direct. Ce sont des élus de la République à part entière, et non pas des élus à part !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures vingt-trois, est reprise à onze heures vingt-sept.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
place du sport au concours et dans la formation des instituteurs
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, auteur de la question n° 1088, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
M. Michel Savin. Monsieur le ministre, voilà quelques jours, vous annonciez vouloir expérimenter dans plusieurs centaines de classes une mesure d’activité physique et sportive quotidienne obligatoire de trente minutes. C’est une très bonne nouvelle, alors que les rapports s’accumulent pour souligner le retard de la France dans la pratique sportive des élèves.
Toutefois, dans le même temps, c’est la place même du sport qui est questionnée dans le concours et la formation des professeurs des écoles, qui seront réformés à l’horizon 2022. Quelques mois après la suppression de l’option sport au baccalauréat, c’est de nouveau une mauvaise nouvelle qui est annoncée. Nous ne pouvons que le regretter.
Dans un récent document transmis aux enseignants, le ministère a indiqué vouloir supprimer le caractère obligatoire de l’oral d’éducation physique et sportive pour tous les prétendants au concours. Dans le même temps, les craintes sont grandes quant au taux horaire assuré dans la formation au sport des futurs enseignants dans le cadre de la révision des programmes.
Depuis quelques mois, comme je l’ai rappelé en introduction, vous mettez en avant une volonté de donner une place plus grande à l’éducation physique et sportive à l’école, comme le préconisait la Cour des comptes dans un récent rapport. Alors que la France est 119e sur 146 pour la pratique sportive des jeunes, il est urgent de soutenir la pratique de l’éducation physique dès le plus jeune âge et d’apporter aux enseignants les outils nécessaires.
Monsieur le ministre, face à ces enjeux, quelles sont vos réelles intentions ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur le sénateur Savin, je vous remercie d’avoir abordé ce sujet et rappelé l’importance qu’il revêt à nos yeux. Il me semble qu’il fait l’objet d’un consensus national.
Je ne saurais développer ici toutes les dimensions de l’activité physique à l’école. Pour en venir d’emblée au cœur de votre question, je rappellerai que nous menons une réforme globale de l’entrée dans la carrière enseignante. Cette réforme implique à présent, après la mise en place des deux premiers piliers qu’ont constitués la préprofessionnalisation et l’évolution de la formation initiale, de s’interroger sur la place du concours et son contenu.
Le ministère de l’éducation nationale a choisi de conforter la mastérisation, tout comme la formation universitaire : la voie de référence est le master « métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF). Cette transformation suppose d’adapter les épreuves du concours. Le cycle de concertation que nous menons actuellement et qui s’achèvera bientôt permet de travailler à cette adaptation dans l’écoute et l’échange. Le ministère a bien pris en compte les observations formulées : l’éducation physique et sportive sera valorisée lors des épreuves orales du futur concours de recrutement des professeurs des écoles. Je tiens à vous rassurer sur ce point.
Plus globalement, la promotion de la santé et du sport s’inscrit pleinement dans les objectifs de l’éducation nationale ; elle passe notamment par l’enseignement de l’éducation physique et sportive (EPS).
Le certificat d’aptitude au professorat d’éducation physique et sportive (Capeps) externe constitue le principal débouché des étudiants de la filière sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) qui se destinent à une carrière d’enseignant. Il est également la principale voie d’accès au recrutement en EPS, avec près des trois quarts des postes offerts. Les taux de pression pour le Capeps externe restent élevés au fil des sessions, du fait du vivier important que représentent ces étudiants.
Par ailleurs, les concours internes, qui viennent compléter les recrutements, permettent à la fois d’offrir une possibilité de titularisation aux contractuels exerçant déjà dans les établissements scolaires et de garantir une voie de promotion aux enseignants titulaires, par le biais de l’agrégation interne.
Les volumes de recrutement de professeurs d’éducation physique et sportive restent suffisamment élevés pour permettre un recours limité aux contractuels : la couverture des besoins exprimés par les académies lors du mouvement reste globalement satisfaisante. En octobre 2019, la part des contractuels s’élevait dans cette discipline à 2,9 % des effectifs enseignants, ce qui est très inférieur à la moyenne constatée à la même date pour l’ensemble des disciplines.
Depuis deux ans, une attention particulière est portée à cette discipline du fait, notamment, d’un accroissement prévu des départs à la retraite dans les prochaines années. Le volume global de postes offerts a par conséquent augmenté de 4 % pour la session 2019 et de 2,3 % pour celle de 2020, principalement au titre du Capeps externe. Le Capeps interne a également été réévalué : 80 postes seront ainsi offerts au titre des sessions 2019 et 2020, contre 70 postes en 2018.
Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement fait de l’éducation physique et sportive une vraie priorité. Mme Maracineanu, Tony Estanguet et moi-même soutenons par ailleurs une dynamique particulière en la matière dans la perspective de la préparation des jeux Olympiques de 2024.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, pour la réplique.
M. Michel Savin. Merci de votre réponse, monsieur le ministre. Les professeurs d’éducation physique et sportive ont un rôle important à jouer dans la pratique sportive, mais aussi au titre d’autres missions : ils ont ainsi un rôle de formation et d’information sur d’autres sujets qui concernent les jeunes, tels que la lutte contre le racisme ou l’homophobie, ou encore les agressions sexuelles. Tous ces enjeux qui intéressent notre jeunesse doivent être abordés au sein de l’école : les professeurs d’EPS ont un rôle de prévention et d’information à jouer en la matière.
loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et restauration scolaire
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, auteure de la question n° 1059, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Angèle Préville. Monsieur le ministre, ma question vise à attirer votre attention sur les difficultés liées à la mise en œuvre des objectifs de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Égalim », tout particulièrement en ce qui concerne la restauration scolaire. Celle-ci répond à une exigence de qualité nutritionnelle des repas et de transparence quant aux informations relatives à la sécurité alimentaire. Elle répond aussi à une exigence pédagogique. Dans cette optique, la loi Égalim a instauré un objectif d’incorporation de 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique, dans les repas servis dans les établissements chargés d’une mission de service public à l’horizon 2022.
Le département du Lot, dont je suis élue, s’est engagé voici plusieurs années – bien avant que cette loi en fasse une obligation – dans une démarche volontaire et vertueuse d’approvisionnement local et d’introduction de produits de qualité dans la restauration scolaire pour les collèges dont il a la responsabilité.
Dans cette perspective, les services du département ont mené des études nutritionnelles, les cuisiniers des collèges ont été formés, notamment, à la préparation des produits frais et des aides à la contractualisation pour l’achat de denrées en circuits courts ont été proposées aux établissements. Ce guide des bonnes pratiques n’a malheureusement pas été suffisant pour inciter l’ensemble des collèges à s’engager dans une véritable trajectoire qui permettrait d’atteindre dès le 1er janvier 2022 le fameux objectif de 50 % de produits de qualité et durables.
En effet, si le conseil départemental est responsable de la restauration dans les collèges et a autorité sur les agents qui l’assurent, en particulier les cuisiniers, les commandes sont en revanche passées par des fonctionnaires de l’éducation nationale sur lesquels le conseil départemental n’exerce aucune autorité.
Je m’interroge donc sur l’autorité légale qui fixe la trajectoire permettant d’atteindre les objectifs de la loi Égalim. Je souhaiterais aussi connaître les actions que compte engager le Gouvernement pour lever ce frein et permettre aux collectivités territoriales responsables de la restauration scolaire et aux personnels de l’éducation nationale d’œuvrer ensemble pour satisfaire aux objectifs chiffrés de la loi et s’engager dans une démarche alimentaire plus saine et durable.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame la sénatrice Préville, les dispositions de la loi Égalim, en particulier son article 24, relatif à l’introduction de 50 % de produits de qualité et durables, dont 20 % de produits issus de l’agriculture biologique, dans la restauration scolaire d’ici à 2022, ont pour objectif d’améliorer la qualité et la diversité des produits composant les repas servis aux élèves. Ces objectifs sont primordiaux dans un cadre scolaire : nous partageons évidemment l’esprit des propos que vous avez tenus à ce sujet.
Améliorer la qualité et la diversité des repas servis aux élèves est un enjeu en termes de promotion de la santé, mais aussi de réussite scolaire et de sensibilisation de nos élèves. L’alimentation d’un enfant doit lui apporter des aliments de bonne qualité pour répondre à ses besoins de croissance. Elle doit être équilibrée, variée et fractionnée en rations.
En outre, la restauration scolaire répond effectivement à une exigence pédagogique. Elle est un terrain d’expérimentation et de mise en pratique de l’éducation à l’alimentation, comme cela est prévu par le code de l’alimentation. Cette approche se voit renforcée, de la maternelle à la terminale, dans le cadre de la stratégie nationale de santé pour la période 2018-2022.
La mise en œuvre de cette éducation transversale s’adosse également aux orientations de la loi Égalim. C’est pour cette raison qu’un vade-mecum sur l’éducation à l’alimentation et au goût sera mis à disposition des équipes éducatives et pédagogiques dès la fin de ce mois, afin de renforcer l’articulation entre les objectifs d’apprentissages et les enjeux éducatifs. Dans le prolongement des enseignements et dans le cadre de projets interdisciplinaires, cette éducation transversale qui mobilise l’ensemble des programmes d’enseignement doit pouvoir entrer en résonance avec les pratiques de la restauration scolaire.
Par ailleurs, comme vous le rappelez, madame la sénatrice, la restauration scolaire des collèges est une compétence partagée entre le conseil départemental et l’établissement public local d’enseignement. L’articulation entre les compétences des personnels de la collectivité territoriale et ceux de l’établissement d’enseignement scolaire, dans le cadre des dispositions de la loi Égalim, procède d’une étroite collaboration entre tous, qui est déjà un fait dans beaucoup de départements et qu’on ne peut qu’encourager.
La formation intercatégorielle chef de cuisine- gestionnaire est un levier à privilégier. De même, la mise en place d’un projet pédagogique d’éducation à l’alimentation coordonnée par les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) favorise une réflexion systémique sur les repas servis au restaurant scolaire. Cette réflexion s’appuie sur les recommandations du groupement d’étude des marchés de restauration collective et de nutrition (GEM-RCN), ainsi que sur l’arrêté du 30 septembre 2011 relatif à la composition moyenne des repas scolaires, qui assure une appropriation de ces recommandations par tous les acteurs. Enfin, ces dispositions reposent sur une organisation locale conçue en fonction des ressources mobilisables et des besoins du territoire.
Je suis évidemment tout à fait prêt à adresser des recommandations nouvelles aux gestionnaires de manière à ce qu’ils soient attentifs aux politiques publiques des départements. Il y a là un enjeu éducatif fondamental, mais aussi un enjeu de société : il s’agit de favoriser l’établissement de bonnes relations entre nos élèves et le monde agricole qui les entoure.
Mme la présidente. La parole est à Mme Angèle Préville, pour la réplique.
Mme Angèle Préville. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Nous nous devons de réussir. Nos concitoyennes et nos concitoyens nous attendent sur ce sujet : la demande est très forte en la matière. Nous avons tout à gagner, en particulier dans les territoires ruraux comme le mien, à engager cette démarche vertueuse : c’est bon pour l’environnement, c’est bon dans l’assiette et c’est bon pour l’économie locale ! Je ne saurais trop vous inciter à encourager les gestionnaires à entrer dans cette démarche en liaison avec les départements ; vous savez que des freins existent encore.
situation des directrices et directeurs d’école
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, auteure de la question n° 1112, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse.
Mme Maryvonne Blondin. Monsieur le ministre, quelques jours seulement après la rentrée, Christine Renon, directrice d’école à Pantin, mettait fin à ses jours en laissant une lettre poignante dans laquelle elle exprimait son désarroi, son épuisement et l’absence totale de soutien de l’institution.
Depuis longtemps, les directrices et directeurs d’école tentent de vous alerter sur la dégradation de leurs conditions de travail, sur l’accumulation des réformes et des directives qui complexifient leur travail de terrain, sur l’accroissement des tâches administratives et des responsabilités qui leur incombent, au détriment du suivi des élèves et des relations avec les familles, ainsi que sur le manque de soutien face aux décisions à prendre.
Confronté à la médiatisation de ce drame, il vous a fallu réagir : vous avez pris des mesures d’urgence, plus cosmétiques qu’efficaces. Ainsi, à la mi-novembre, vous avez accordé aux directrices et directeurs d’école une journée supplémentaire de décharge jusqu’à la fin de 2019 et vous les avez dispensés, sur cette même période, de l’obligation d’apporter des réponses aux diverses enquêtes qui grèvent largement leur temps de travail.
Un questionnaire leur a par ailleurs été adressé. Les résultats, dévoilés en janvier, sont sans appel et confirment les attentes de ces personnels : ils ont exprimé leur besoin crucial d’un temps de décharge plus important, d’une simplification des tâches administratives et d’une meilleure formation continue. Peu de répondants demandent la création d’un statut spécifique : celle-ci ne fait pas consensus dans la profession.
Les réponses sont là, mais vos annonces se font attendre. Il est nécessaire et urgent de revenir sur les réelles missions du personnel de direction et l’organisation du travail de ces fonctionnaires afin de prévenir leur épuisement professionnel et de leur assurer une protection fonctionnelle.
Or ce n’est pas le dispositif fondé sur le service civique que vous avez envisagé qui le permettra ! Les tâches d’accueil et de secrétariat requièrent des personnels formés et ne sauraient être assurées par des titulaires de contrats courts sous-payés. Il leur faut de la stabilité !
Monsieur le ministre, quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour améliorer la situation de ces personnels et quels moyens leur seront attribués ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Comme vous le soulignez, madame la sénatrice, le suicide de Christine Renon, en septembre 2019, a mis en évidence le désarroi des directeurs d’école quant à leurs missions de direction, qui se conjuguent, la plupart du temps, avec des missions d’enseignement : c’est là un problème très ancien, qui n’est pas apparu au cours des deux dernières années !
À la suite de ce drame, je me suis rendu dans l’école dont Christine Renon était directrice et j’ai immédiatement pris des mesures pour répondre aux besoins les plus urgents des directeurs d’école. Je leur ai notamment accordé, comme vous l’avez rappelé, une journée supplémentaire de décharge d’enseignement afin de conduire les tâches administratives liées à leurs fonctions. J’ai aussi suspendu, jusqu’à nouvel ordre, toutes les demandes d’enquêtes qui alourdissent considérablement la tâche des directeurs d’école. Ces deux premières mesures en appelaient d’autres, à l’évidence.
Outre les éléments que vous avez rappelés, j’ai demandé à chaque recteur et à chaque inspecteur d’académie d’organiser des réunions de proximité afin que les directeurs d’école puissent s’exprimer, localement, sur les problématiques auxquelles ils sont confrontés. Il s’agissait de rompre leur isolement, mais aussi de trouver des solutions adaptées aux difficultés quotidiennes qu’ils rencontrent.
Durant le mois de décembre, un questionnaire a été proposé à l’ensemble des directeurs d’école. Plus de 29 000 d’entre eux y ont répondu, montrant ainsi leur volonté de s’associer à une réflexion sur l’évolution de leur métier. Ce questionnaire, totalement anonyme, avait pour objet de recueillir l’expression de leur vécu, de mieux cerner les problématiques de leur métier, mais aussi de faire émerger de nouvelles perspectives et ressortir des pistes d’évolution, d’allégement ou de simplification des tâches les plus chronophages.
Les résultats de cette enquête ont mis en évidence que la majorité des directeurs estiment exercer un métier satisfaisant, comportant des aspects pénibles ; leur besoin de soutien est prégnant, notamment en ce qui concerne la charge administrative qui leur incombe.
Trois perspectives d’évolution ont été plus particulièrement mises en avant.
Tout d’abord, ils ont exprimé l’attente d’un allégement de leur charge, par l’augmentation du temps de décharge d’enseignement, mais aussi par la simplification des tâches. À ce titre, nous travaillons d’ores et déjà à la mise en place de systèmes d’information plus performants de manière à éviter de réitérer, par le biais d’enquêtes multiples, des demandes d’informations identiques et à utiliser le mieux possible les informations déjà disponibles dans les bases de données existantes.
Ensuite, les directeurs d’école nous ont fait part d’un besoin de renfort humain. C’est dans cette perspective que le directeur général de l’enseignement scolaire travaille conjointement avec le directeur général de l’agence du service civique afin d’envisager des solutions pour accompagner les directeurs d’école tout en répondant aux objectifs de formation et de développement des compétences des volontaires du service civique. Cela pourrait s’accompagner d’autres mesures dans le cadre de la concertation que nous menons actuellement au sujet de l’évolution de la gestion des ressources humaines de notre ministère.
Enfin, les directeurs d’école ont exprimé un besoin de formation lié à leurs missions. En effet, plus de 60 % d’entre eux ont indiqué n’avoir suivi aucun module de formation continue lié à leur fonction au-delà de la formation suivie lors de leur prise de fonctions, notamment en ce qui concerne la connaissance du droit et de la réglementation.
Au regard de ces constats, le directeur général de l’enseignement scolaire et le directeur général des ressources humaines conduisent depuis le mois de janvier, dans le cadre de l’agenda social, des concertations avec les organisations syndicales. Il s’agit d’analyser les difficultés qui ont été mises en évidence par le questionnaire et de déterminer les actions à mener pour permettre à l’ensemble des directeurs d’école d’assumer leurs missions en toute sérénité et garantir l’efficacité de leur action. Des évolutions concrètes et importantes interviendront dès la rentrée prochaine dans ce cadre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryvonne Blondin, pour la réplique.
Mme Maryvonne Blondin. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, les problèmes que j’évoquais dans ma question. Je crois nécessaire, pour l’éducation nationale, de remettre de l’humain dans les ressources humaines.
karaté et jeux olympiques de paris 2024
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin, auteur de la question n° 1048, adressée à Mme la ministre des sports.
M. Vincent Segouin. Je souhaite aujourd’hui attirer l’attention du Gouvernement sur la possibilité de désigner le karaté comme sport additionnel pour les jeux Olympiques de Paris de 2024.
Il y a plusieurs mois, le comité d’organisation de ces derniers déclinait de proposer au Comité international olympique (CIO) de retenir le karaté comme sport additionnel. Cette décision est d’autant plus incompréhensible que le karaté a été sélectionné, pour la première fois, comme épreuve pour les jeux Olympiques de Tokyo, qui se tiendront cette année.
Les quatre sports additionnels qui ont été proposés sont le surf, l’escalade, le skate – trois sports qui seront déjà présents à Tokyo – et le breakdance, choix dont on peut fortement douter de la pertinence. Pour les jeux de Tokyo, cinq sports additionnels ont été ajoutés : je ne vois pas pourquoi le comité d’organisation de ceux de Paris ne pourrait pas en proposer autant.
Les précédentes réponses apportées sur ce sujet ne règlent pas le problème. C’est la raison pour laquelle je vous sollicite, monsieur le secrétaire d’État, pour répondre à la demande légitime de la Fédération française de karaté, qui souhaite voir figurer cette discipline parmi les sports additionnels lors des jeux Olympiques de 2024. Cette fédération puissante, à la solidité reconnue par le ministère des sports, rassemble plus de 250 000 licenciés, répartis dans plus de 5 000 clubs, et la France s’est classée première du championnat d’Europe de 2019 dans les épreuves olympiques. Surtout, notre pays est l’une des toutes meilleures nations dans ce sport.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur Segouin, en juillet 2018, la commission exécutive du CIO a encadré le processus décisionnel pour les épreuves des nouveaux sports des jeux Olympiques de Paris de 2024. Pour les jeux de Tokyo de 2020, le quota d’athlètes et le nombre d’épreuves des nouveaux sports étaient prévus en plus du quota de 10 500 athlètes et de 310 épreuves alloué aux sports olympiques. En revanche, pour les jeux de Paris, le CIO a souhaité intégrer le quota des nouveaux sports à celui qui est fixé pour les épreuves olympiques, ce qui fait peser une contrainte naturelle sur les choix à faire.
En accord avec le calendrier établi par le CIO, dix-neuf fédérations internationales, dont la World Karate Federation, ont été reçues par le comité d’organisation des jeux Olympiques (COJO) de Paris de 2024. Mme la ministre des sports a également reçu les représentants de la World Karate Federation.
Ces dix-neuf propositions ont été analysées au regard des grands principes suivants, conformément à la demande du CIO.
D’abord, les jeux devront être durables et responsables : les sports représentés rassembleront un nombre limité d’athlètes et ne devront nécessiter aucune construction pérenne.
Ensuite, les jeux devront être connectés avec leur époque, inspirer de nouveaux publics et attirer la jeune génération : les sports représentés, pratiqués partout au quotidien, en ville comme dans la nature, relèveront à la fois d’un moyen d’expression et d’un style de vie.
Enfin, les jeux devront refléter l’identité de Paris 2024, en accueillant des sports spectaculaires qui tissent des liens avec la culture, des sports accessibles, inclusifs et praticables hors des stades qui invitent à l’engagement, des sports, enfin, qui font appel à la créativité.
Les quatre nouveaux sports qui ont finalement été retenus sont le breaking, l’escalade, le skateboard et le surf. Le CIO a désormais la possibilité de retirer l’un des quatre sports proposés par le comité d’organisation Paris 2024 à la suite des jeux de Tokyo, mais il ne pourra en aucun cas en rajouter.
Le choix opéré a été extrêmement difficile, mais il ne remet pas en cause toute la reconnaissance liée à la popularité et au succès du karaté en France et dans le monde. En tout état de cause, je veux rappeler tout le soutien que le ministère des sports apporte à la Fédération française de karaté. Il a ainsi été décidé de lui accorder en 2019 une subvention de plus d’un million d’euros, notamment pour le développement du sport de haut niveau. Ce montant représente une augmentation de l’ordre de 20 % par rapport à l’effort financier consenti par le ministère des sports en 2018 et marque notre attachement à ce sport, porteur de valeurs fortes et qui compte de très nombreux licenciés. Indépendamment du choix du COJO quant aux sports additionnels qui figureront au programme des jeux Olympiques de Paris de 2024, la pratique du karaté en France continuera de faire l’objet d’une grande attention de notre part.
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin, pour la réplique.
M. Vincent Segouin. Monsieur le secrétaire d’État, vous reconnaissez l’importance de ce sport et la subvention qui lui est accordée augmente, mais votre réponse fera un grand nombre de déçus parmi les licenciés : l’organisation d’épreuves lors des jeux Olympiques est essentielle pour bénéficier d’une visibilité mondiale. Il est bien dommage que cette décision, liée surtout à des considérations budgétaires, ne puisse être revue.
taux de fiscalité sur le foncier bâti du conseil départemental de l’aisne
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 1077, transmise à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
M. Antoine Lefèvre. Depuis le 1er janvier 2011, le conseil général, devenu départemental, de l’Aisne, applique la déliaison du taux de la taxe d’habitation avec ceux des taxes foncières sur les ressources dont bénéficient les communes du département – une possibilité ouverte à l’occasion de la suppression de la taxe professionnelle.
Ainsi, pour l’exercice 2011, le taux de la taxe d’habitation a été diminué de 43 % et ramené à 19 %, tandis que le taux de la taxe sur le foncier bâti (TFB) a augmenté de 61 %. Actuellement, le taux axonais s’élève à près de 32 %, soit le troisième taux le plus élevé en France. Je me fais donc ici le relais du président du conseil départemental de l’Aisne, qui a par ailleurs saisi le Gouvernement de ce sujet à la fin du mois de décembre.
En effet, du fait de la baisse du taux de la taxe d’habitation de 13 % à environ 6 % et du relèvement de 7,7 points du taux de la taxe sur le foncier bâti, les marges de manœuvre fiscales du département ont été fortement réduites, ce qui entraîne à terme des conséquences négatives pour le département : capacités d’investissement des bailleurs réduites, prélèvements importants sur les locaux professionnels et commerciaux, et donc perte d’attractivité.
Par conséquent, la décision du Gouvernement de supprimer la taxe d’habitation n’aura qu’un effet très limité pour les Axonais. C’est pourquoi le conseil départemental sollicite l’autorisation de revenir sur la décision de 2010 en ramenant le taux de la taxe sur le foncier bâti à ce qu’il aurait été si cette déliaison, unique en France, n’avait pas été mise en œuvre.
Cette mesure aurait pour corollaire de diminuer d’autant la fraction de TVA compensatrice du conseil départemental, à laquelle serait substituée une dotation non indexée, du type de celles du Fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR).
Certes, l’État devrait, dans ce cas, faire un effort budgétaire supplémentaire correspondant au montant de TFB non prélevé, mais, dans le même temps, il conserverait le dynamisme de la partie de TVA non attribuée au département. Le conseil départemental perdrait pour sa part le dynamisme de cette fraction de TVA, mais notre département retrouverait de l’attractivité aux yeux du monde économique et des propriétaires, et ces derniers bénéficieraient du gain de pouvoir d’achat annoncé par la suppression de la taxe d’habitation.
Monsieur le secrétaire d’État, l’Aisne est prête à faire un effort financier. Comme d’autres départements, elle est très impatiente de connaître le sentiment et la réponse du Gouvernement sur ce dossier.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, vous l’avez rappelé, la taxe professionnelle a été supprimée en 2010. Cette année-là, les départements n’ont voté que les taux des taxes dites « ménages », soit la taxe d’habitation et les taxes foncières.
Le département de l’Aisne est le seul à avoir réduit de plus de 40 % deux de ces taux : celui de la taxe d’habitation et celui de la taxe sur le foncier non bâti. Il a compensé ces deux importantes baisses par une hausse de plus de 60 % du taux de la taxe sur le foncier bâti, dont la variation est libre de toute contrainte, sous réserve du respect du plafond prévu à l’article 1636 B septies du code général des impôts.
L’année suivante, les parts départementales de taxe d’habitation et de taxe foncière sur les propriétés non bâties ont été transférées aux collectivités du bloc communal.
L’article 16 de la loi de finances pour 2020 prévoit que, à compter de 2021, une fraction du produit net de la TVA est affectée aux départements en compensation de la perte de leur part de taxe foncière sur les propriétés bâties. Cette compensation est notamment calculée en fonction de la taxe foncière sur les propriétés bâties résultant du produit de la base d’imposition 2020 par le taux départemental appliqué sur le territoire départemental en 2019. Ce taux, légalement voté et appliqué pour une taxation devenue définitive, ne saurait être modifié.
S’agissant de l’année 2020, l’article 16 de la loi de finances pour 2020 ne prévoit aucune mesure de gel ou d’encadrement du taux de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Les départements gardent toute liberté de réduire ce taux à leur convenance, voire de l’augmenter dans les limites du plafond précité. Le département de l’Aisne pourrait donc ramener ce taux au niveau qui lui convient pour l’année 2020, au prix, évidemment, de l’acceptation d’une sensible baisse de ressources.
Il convient également de souligner qu’une telle décision réduirait d’autant le produit de taxe foncière transféré aux communes axonaises en contrepartie de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. En effet, le mécanisme de compensation prévu au IV de l’article 16 de la loi de finances pour 2020 repose sur une comparaison entre une perte communale de référence au titre de la taxe d’habitation et les ressources de taxe foncière départementale sur le foncier bâti constatées sur le territoire communal au titre de 2020.
Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de toutes ces informations sur ce sujet éminemment technique. Je vais les faire analyser. Il m’apparaît toutefois que, le taux de la taxe sur le foncier bâti étant chez nous supérieur à 150 % de la moyenne nationale, on aurait pu, à titre exceptionnel, permettre aux collectivités concernées de le réduire. Dans notre territoire, nous avons besoin de souplesse.
comptes de trésorerie des budgets annexes
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Delattre, auteure de la question n° 1132, adressée à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur le flou juridique qui peut subsister dans la définition des budgets annexes des collectivités territoriales.
Je prendrai l’exemple de la reprise en régie par la commune de Lesparre-Médoc de la gestion de ses services « eau et assainissement », auparavant confiés à un délégataire. Consécutivement à ce transfert, le comptable public a procédé, de façon unilatérale, à la création d’un compte de trésorerie 515 pour chacun de ces services.
Cette décision, prise de la même façon dans d’autres communes, crée dans nombre de ces collectivités des difficultés de trésorerie, les obligeant parfois à avoir recours à l’emprunt du fait du manque de trésorerie dû à cette dissociation artificielle entre le compte de trésorerie du budget principal et le compte de trésorerie dédié à l’exercice de la compétence eau et assainissement.
De plus, des différences significatives d’appréciation existent entre les différents comptables publics. En effet, d’autres collectivités dont les services « eau et assainissement » sont également en régie n’ont pas été obligées de mettre en place des comptes de trésorerie 515 séparés.
Depuis l’instruction M14, budget principal et budget annexe doivent faire l’objet d’une présentation agrégée. Selon la jurisprudence « Préfet de la Haute-Corse » du Conseil d’État en date du 25 février 1998, il appert qu’un budget autonome n’est pas un budget juridiquement distinct de celui de la collectivité, en ce sens qu’il doit impérativement être annexé à ce dernier et que toute suspension du budget principal entraîne l’impossibilité d’effectuer une quelconque opération d’exécution ou de modification du budget annexe.
Enfin, l’instruction sur les modalités de gestion des moyens de paiement et des activités bancaires du secteur public, qui explicite la mécanique des comptes de disponibilité, ne donne pas d’indications sur cette question.
C’est pourquoi je vous prie tout d’abord, monsieur le secrétaire d’État, de bien vouloir tenter de clarifier les règles applicables en la matière et de procéder ensuite à une harmonisation des directives adressées aux comptables publics sur l’ensemble du territoire national.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, les articles L. 1412-1 et L. 1412-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT) disposent que les services publics peuvent faire l’objet d’une individualisation au sein d’un budget annexe. Cette individualisation est même obligatoire dans le cas des services publics à caractère industriel et commercial.
L’article L. 2224-11 du CGCT prévoit par ailleurs que « les services publics d’eau et d’assainissement sont financièrement gérés comme des services à caractère industriel et commercial ».
Il résulte de ces principes, comme le prévoit une circulaire du 10 juin 2016, qu’un service public industriel et commercial (SPIC) en gestion directe prend obligatoirement la forme d’une régie dotée de l’autonomie financière avec un compte de trésorerie dédié. La seule exception concerne les régies simples ou directes créées avant le 28 décembre 1926. Il demeure alors une tolérance pour un rattachement au budget principal par un compte de liaison.
Cette individualisation budgétaire s’explique par le principe d’équilibre financier qui s’applique au budget des SPIC, en vertu des articles L. 2224-1 et L. 2224-2 du CGCT, et par le principe de proportionnalité de la redevance perçue auprès des usagers par rapport au coût du service. Le budget du SPIC doit ainsi retracer l’intégralité des dépenses et des recettes de l’activité, afin de dégager le coût réel du service et, par voie de conséquence, de déterminer le montant de la redevance due par les usagers.
L’architecture budgétaire et comptable à retenir est tributaire des modes de gestion adoptés par les collectivités territoriales. Par conséquent, le changement du mode de gestion d’une activité industrielle et commerciale peut emporter des conséquences, non seulement sur les modalités de suivi budgétaire et comptable, mais également sur la gestion de la trésorerie du budget.
À titre d’exemple, une délégation de service public est suivie au sein d’un budget annexe sans autonomie financière et sans compte de trésorerie. Le passage à une régie directe nécessite alors de doter ce budget de l’autonomie financière, et donc de son propre compte de trésorerie.
Compte tenu de la nature concurrentielle d’une activité commerciale, le principe d’équilibre financier ne permet pas une mutualisation de la trésorerie entre budget principal et budget annexe. C’est ce qu’a indiqué la direction régionale des finances publiques de la Gironde à la commune de Lesparre-Médoc. Elle demeure à sa disposition pour l’accompagner dans cette évolution.
imposition des français de l’étranger
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul, auteure de la question n° 1081, adressée à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Martine Filleul. Monsieur le secrétaire d’État, en décembre 2018, une réforme proposée et votée par votre majorité a prévu d’aligner la fiscalité des non-résidents sur celle des résidents français. Elle prévoit que leur soit appliquée une imposition de 20 % dès le premier euro gagné, ce qui entraînera une hausse d’impôts de 30 % à 200 %, y compris pour les titulaires de faibles revenus, sans par ailleurs ouvrir droit à des déductions fiscales, par exemple au titre des frais de garde ou de déplacement.
Devant l’inquiétude suscitée par cette réforme, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2020 à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a rétropédalé et décalé d’un an sa mise en œuvre, qui devait intervenir dès le 1er janvier 2020. Au Sénat, les membres du groupe socialiste et républicain ont demandé l’abrogation de ces règles discriminantes.
En effet – faut-il le rappeler ? –, ces Français de l’étranger ne sont pas des exilés fiscaux ! Dans la région des Hauts-de-France, près de 10 000 de nos compatriotes vivant en Belgique mais travaillant en France sont concernés. Ils sont inquiets, car si un moratoire a été voté, on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une manière de gagner du temps afin de procéder aux ajustements nécessaires au maintien de cette réforme.
Par ailleurs, l’étude d’impact qui doit accompagner ce moratoire ne devrait être publiée qu’en juin. Une telle échéance pose pour le moins question, puisqu’elle intervient après les élections consulaires. De plus, la méthodologie est opaque.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire où en sont ces travaux et comment le Gouvernement compte garantir une juste imposition pour les Français non résidents ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Madame la sénatrice, le Gouvernement a entendu, en 2019, la demande émanant de plusieurs parlementaires représentant les Français de l’étranger de simplifier l’imposition des Français non résidents et de la rapprocher de celle des résidents.
Cette volonté de simplification et de convergence des fiscalités s’est traduite par plusieurs mesures adoptées en loi de finances pour 2019 : une simplification est intervenue, avec la possibilité d’appliquer le prélèvement à la source pour les non-résidents comme pour l’ensemble des Français ; une convergence est assurée par un plus grand alignement de la fiscalité, d’une part, et des avantages fiscaux, d’autre part.
Les Français résidant à l’étranger peuvent désormais déduire de leur revenu imposable les pensions alimentaires qu’ils versent en France et continuer à bénéficier de la réduction d’impôt Pinel lorsqu’ils s’expatrient.
Dans le même temps, il était prévu de relever le taux minimum d’imposition de 20 % à 30 %. Cette modification, qui devait entrer en vigueur au 1er janvier 2020, a été reportée d’une année. Le Gouvernement a ainsi entendu les inquiétudes exprimées par les Français de l’étranger.
Par conséquent, pour 2020, rien ne change, et le barème spécifique des non-résidents n’est pas modifié. Les salaires perçus par les non-résidents sont soumis à la retenue à la source aux taux de 0 % pour la fraction du salaire net inférieure à 14 988 euros, de 12 % de 14 988 euros à 43 477 euros et de 20 % au-delà de 43 477 euros. La retenue à la source aux taux de 0 % et de 12 % est libératoire de l’impôt sur le revenu, ce qui signifie que seule la fraction du salaire soumise à la retenue à la source au taux de 20 % est imposable à l’impôt sur le revenu lors du traitement de la déclaration de revenus souscrite par le non-résident.
Si de nouvelles évolutions doivent intervenir, l’examen du projet de loi de finances pour 2021 pourra être l’occasion d’en débattre. Le Gouvernement a souhaité que cette année supplémentaire soit mise à profit pour expliquer la réforme à chaque personne concernée et dissiper les incompréhensions.
L’article 12 de la loi de finances pour 2020 prévoit la convergence entre la fiscalité des non-résidents et celle des résidents à compter du 1er janvier 2023. Cette convergence connaîtra une première étape avec la suppression du caractère libératoire de la retenue à la source aux taux de 0 % et de 12 % dès l’imposition des revenus de 2021.
Le législateur a par ailleurs prévu la remise avant le 1er juin 2020 d’un rapport au Parlement sur la fiscalité appliquée aux revenus de source française des contribuables fiscalement domiciliés hors de France, dont les conclusions pourraient aboutir à d’éventuelles corrections et améliorations, pour l’avenir, du dispositif applicable aux non-résidents.
Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.
Mme Martine Filleul. Tout en appréciant les avancées que vous avez évoquées, monsieur le secrétaire d’État, nous continuons à demander le rétablissement d’une imposition progressive, plus proche du droit commun, mais tenant tout de même compte des spécificités de la situation des Français de l’étranger.
En effet, la réforme fiscale prévue est discriminante envers la majeure partie de nos concitoyens établis hors de France, a fortiori pour les plus fragiles d’entre eux. Un salarié payé au SMIC continue ainsi à être imposé à 20 %. La progressivité de l’impôt relève pourtant de la justice fiscale !
réforme de l’apprentissage dans le secteur public
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, auteur de la question n° 889, transmise à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
M. Didier Mandelli. Fin décembre 2019, la France comptait 485 800 apprentis, soit une hausse de leur nombre de 16 % par rapport à l’année précédente. Je me réjouis de cette progression significative – excepté dans le service public –, qui traduit l’appétence des jeunes et de leurs parents pour la formation par alternance. C’est une réussite collective.
En 2018, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel a modifié la gouvernance et le financement de l’apprentissage en France, marginalisant le rôle des régions, qui avaient jusqu’au 1er janvier dernier la compétence exclusive.
De nombreux présidents de région – pour ne pas dire la totalité d’entre eux – ont alerté le Gouvernement sur les risques de déséquilibre qu’emporte cette réforme. Les régions s’inquiètent d’un renforcement des branches professionnelles les plus importantes au détriment des plus petites, du fait notamment de la rémunération des centres de formation d’apprentis (CFA) en fonction du nombre de contrats. Le financement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur devenant plus attractif que celui des formations infra-bac, les CFA auront logiquement une préférence pour les formations tertiaires plutôt que pour les formations aux métiers artisanaux ou industriels, nécessitant des investissements plus lourds.
Du fait de la recentralisation de la compétence de l’apprentissage, les régions perdent la possibilité de veiller au maintien des formations pour les premiers niveaux de qualification, et donc d’assurer l’équilibre de l’offre sur leur territoire.
Monsieur le secrétaire d’État, comment l’État compte-t-il veiller à l’équité des financements pour tous les métiers, pour tous les niveaux et sur tous les territoires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’action et des comptes publics, chargé du numérique. Monsieur le sénateur, la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a réformé l’apprentissage en modifiant son financement, sa gouvernance et sa réglementation autour d’un nouvel acteur, France compétences. Ce dernier financera les opérateurs de compétences (OPCO), qui ont notamment pour mission de financer les contrats d’apprentissage et d’aider les branches à construire les certifications professionnelles, en vertu de l’article L. 6332-1 du code du travail.
Les collectivités territoriales n’étant pas redevables de la taxe d’apprentissage, elles ne participent pas à la gouvernance des OPCO.
Les contrats signés avant le 31 décembre 2019 ont été encore financés, selon les modalités antérieures à la loi n° 2018-771, par les conseils régionaux. En 2019, l’État a compensé financièrement la totalité de ces contrats par une part de la taxe d’apprentissage et des fractions de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), à hauteur d’environ 2 milliards d’euros. Le financement de ces contrats sera ensuite repris par les OPCO durant toute leur durée, jusqu’en 2021.
Les contrats d’apprentissage signés après le 31 décembre 2019 seront pris en charge par les OPCO selon un mode de financement dit « au coût-contrat », sur la base de niveaux déterminés par chaque branche et tenant compte des recommandations de France compétences.
L’État finance par ailleurs, depuis le 1er janvier 2019, une nouvelle aide unique à l’apprentissage qui fusionne trois anciennes aides, ainsi qu’un crédit d’impôt à destination des employeurs d’apprentis.
Vous l’avez noté, l’apprentissage constitue un puissant levier à la formation et à l’insertion professionnelle des jeunes au sein des collectivités territoriales. De ce fait, la loi de transformation de la fonction publique prévoit que les contrats signés par les collectivités après le 31 décembre 2019 soient financés pour moitié par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), au titre d’une mission qui lui a été attribuée en 2016, l’autre moitié étant assurée par les collectivités elles-mêmes. Cette participation s’explique par le fait qu’elles ne sont pas redevables de la taxe d’apprentissage, dont le taux atteint 0,68 % de la masse salariale.
De surcroît, les régions continueront de bénéficier d’un soutien financier au titre de l’aménagement du territoire et de l’investissement des centres de formation des apprentis. Elles profiteront par ailleurs d’une enveloppe supplémentaire octroyée au titre de la recentralisation de l’apprentissage.
En définitive, à partir de 2020, l’État versera aux régions environ 590 millions d’euros au titre de la réforme de l’apprentissage.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Monsieur le secrétaire d’État, vous n’avez pas vraiment répondu à ma question sur l’équilibre de l’offre de formation et le financement des CFA.
Le contenu de la réforme est connu. Il faudra veiller, y compris dans le secteur public, où l’on note une baisse significative du nombre d’apprentis, au respect des équilibres dans les territoires et entre filières professionnelles, toutes n’ayant pas les mêmes ressources. Des moyens complémentaires seront peut-être nécessaires pour assurer à la fois une offre en adéquation avec les besoins des entreprises et la pérennité de certains centres de formation.
développement des habitats partagés et impact sur les budgets des conseils départementaux
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, en remplacement de M. Michel Vaspart, auteur de la question n° 1052, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Didier Mandelli. Cette question adressée au nouveau ministre des solidarités et de la santé porte sur le développement des habitats partagés pour des personnes bénéficiant d’une orientation en maison d’accueil spécialisée et son impact sur le budget des conseils départementaux, notamment de celui des Côtes-d’Armor, département de Michel Vaspart, auteur de la question.
Ce type d’habitat se développe fortement sous l’impulsion d’associations dynamiques. Cependant, ce développement se fait sans régulation possible, dans la mesure où il s’agit de domiciles.
Bien qu’ils apportent des solutions de prise en charge aux personnes, ces dispositifs posent des problèmes en termes de sécurité des résidents et de soutenabilité financière pour les départements. En effet, faute de places disponibles en établissement ou par choix personnel, les résidents des habitats partagés bénéficient de la prestation de compensation du handicap à domicile, généralement par le biais d’un accompagnement vingt-quatre heures sur vingt-quatre, alors que, dans le cas d’un accueil en maison d’accueil spécialisée (MAS), ils sont pris en charge grâce à des crédits relevant de l’assurance maladie.
Pour le département des Côtes-d’Armor, cela représente des millions d’euros de dépenses supplémentaires. Or, dans le même temps, la compensation versée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ne progresse quasiment pas.
Une telle situation est évidemment de nature à inquiéter les présidents de département, dans les Côtes-d’Armor comme ailleurs, puisque les orientations nationales promeuvent le développement de l’habitat inclusif, y compris par le biais de cofinancements départementaux extralégaux, les départements devant, dans le même temps, maîtriser leurs dépenses.
Je souhaite donc connaître les mesures envisagées par le Gouvernement afin de mettre fin à ce qui s’apparente à un transfert de charges de l’assurance maladie vers le conseil départemental.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, il est exact qu’un nombre croissant de personnes handicapées et de personnes âgées font le choix d’un mode d’habitat inclusif, qui leur permet d’habiter chez elles. Cette nouvelle offre s’inscrit dans une double perspective, celle d’un virage inclusif pour les personnes handicapées et celle du maintien à domicile pour les personnes âgées.
Afin de soutenir le développement de cette nouvelle forme d’habitat sur l’ensemble du territoire, l’article 129 de la loi du 23 novembre 2018, dite « loi ÉLAN », a créé un cadre juridique adapté.
Ces nouvelles dispositions permettent une double sécurisation : une sécurisation juridique, d’abord, avec la définition d’un cadre dans les textes, afin de limiter les risques de requalification de ces habitats en établissements sociaux et médico-sociaux, avec les conséquences que cela entraîne ; une sécurisation financière, ensuite, avec la création du forfait pour l’habitat inclusif, qui permet désormais le financement de l’animation du projet de vie sociale et partagée.
L’État, via la CNSA, a soutenu cette nouvelle offre à hauteur de 15 millions d’euros pour l’année 2019 et de 25 millions d’euros pour 2020. Ces crédits sont délégués aux agences régionales de santé, qui sont chargées de l’attribution du forfait pour l’habitat inclusif. Ce forfait permet de rémunérer un professionnel chargé d’assurer la vie quotidienne et les activités au sein de l’habitat inclusif. Il vient en complément des autres sources de financement existantes.
Comme vous le soulignez, le développement de solutions d’accompagnement en habitat inclusif peut concourir à la dynamique des dépenses de la prestation de compensation du handicap, dont les conseils départementaux assurent l’essentiel du financement. Le Gouvernement veille particulièrement à assurer un juste accompagnement financier des dépenses de solidarité à la charge des départements.
L’ARS et le conseil départemental des Côtes-d’Armor s’inscrivent dans une même dynamique, consistant à répondre de la façon la plus juste et inclusive possible aux besoins des personnes en fonction de leur projet de vie.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli, pour la réplique.
M. Didier Mandelli. Madame la secrétaire d’État, si Michel Vaspart, l’auteur de la question, était là, il vous répondrait peut-être que cette somme de 25 millions d’euros pour 2020 sera sans doute insuffisante et qu’il faudrait prévoir une progression significative de ce montant à l’avenir pour faire face à l’ensemble des demandes dans chacun des départements de notre beau pays.
devenir des maisons de naissance
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud, auteur de la question n° 1074, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Didier Rambaud. Madame la secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur le devenir des maisons de naissance.
Comme vous le savez, huit maisons de naissance existent actuellement en France : deux dans les départements d’outre-mer et six en métropole, dont deux dans mon département de l’Isère. Ces maisons de naissance ont été créées dans le cadre d’une expérimentation dont la fin est prévue en novembre 2020.
J’ai moi-même très récemment découvert ce concept de maison de naissance, à l’invitation de sages-femmes et de bénévoles assurant le fonctionnement de l’une des deux maisons de naissance iséroises, située à Bourgoin-Jallieu. J’ai pu constater l’intérêt croissant des femmes et des parents pour ce type de structure, qui permet d’élargir l’offre de soins autour de la naissance. Par comparaison, et pour ne parler que de nos voisins européens, il existe aujourd’hui 169 lieux de ce type au Royaume-Uni, une centaine en Allemagne ou vingt-cinq en Suisse.
Ces structures, souvent portées par une association, cogérées par des sages-femmes et des parents, sont toujours situées à proximité immédiate d’une maternité : c’est l’une des conditions qu’elles doivent respecter pour obtenir leur agrément. Elles s’adressent à des femmes présentant des grossesses à bas risques, souhaitant un accouchement physiologique sécurisé et un retour rapide à domicile, quelques heures après la naissance. Un groupe de recherche indépendant vient de réaliser une étude qui souligne que les huit maisons de naissance ouvertes en France depuis 2016 offrent « un niveau de sécurité satisfaisant » et « ont des résultats comparables » à ceux des autres pays à niveau de vie élevé.
La loi autorisant l’expérimentation prévoyait que le Gouvernement adresse au Parlement, un an avant la fin de celle-ci, un rapport d’évaluation qui, sauf erreur de ma part, n’a toujours pas été réalisé. L’ordre des sages-femmes et tous les acteurs engagés dans cette expérimentation y voient un signal inquiétant quant à la pérennisation de ces structures, d’autant que le projet de loi de financement de la sécurité sociale n’a pas prévu de prolonger le financement de celles-ci au-delà de novembre 2020. Ainsi, alors que les études et la pratique démontrent une montée en puissance des maisons de naissance, on peut craindre que celles-ci ne soient stoppées dans leur élan.
Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer sur vos intentions concernant cette expérimentation et sur le sort réservé aux maisons de naissance, sachant que les incertitudes pesant sur la poursuite de leur financement au-delà de novembre 2020 font craindre un arrêt de la prise en charge des femmes enceintes dès ce printemps ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question sur un sujet qui suscite beaucoup d’interrogations.
Comme vous le savez, une évaluation des maisons de naissance a été réalisée par le ministère des solidarités et de la santé. Le rapport au Parlement prévu par la loi du 6 décembre 2013 sera très prochainement diffusé.
Ce bilan embrasse notamment l’évaluation de la prise en charge effectuée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Il établit notamment que la sécurité des soins a été assurée en permanence et qu’elle s’est même améliorée au cours de l’expérimentation, les maisons de naissance ayant procédé à des ajustements dans les prises en charge pour mieux répondre aux situations d’urgence. La plupart des transferts se sont déroulés hors contexte d’urgence, ce qui témoigne d’une bonne anticipation des situations.
En outre, les principes de prise en charge – éligibilité, temps d’accueil des parturientes, suivi de la mère et du nouveau-né – ont été respectés. L’accompagnement à la parentalité a été particulièrement développé dans les projets. Les retours d’expérience des parturientes sont très positifs.
Au vu de ces éléments, le Gouvernement considère que l’expérimentation des maisons de naissance est positive et que celles-ci constituent une option complémentaire dans le paysage actuel de l’offre de soins de périnatalité pour les femmes potentiellement éligibles et souhaitant ce type de prise en charge.
C’est pourquoi je vous annonce que l’offre existante sera pérennisée dans le droit commun selon des modalités qui sont en cours de définition. Cette démarche permettra de sécuriser l’offre existante en prenant en compte les résultats de l’évaluation clinique et médico-économique réalisée, afin de garantir le maintien de la qualité et de la sécurité des soins et d’améliorer l’efficience du dispositif.
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Rambaud, pour la réplique.
M. Didier Rambaud. Je vous remercie de cette réponse très positive, madame la secrétaire d’État.
suppression de la dérogation à la demande d’entente préalable dans le cantal
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes, auteure de la question n° 1089, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Josiane Costes. Madame la secrétaire d’État, le code de la sécurité sociale impose qu’une demande d’entente préalable (DEP) soit adressée au médecin-conseil de la caisse à laquelle le patient est rattaché dans un délai minimum de quinze jours avant le transport, dès lors que la distance à parcourir est supérieure à 150 kilomètres.
L’hôpital principal du Cantal, l’hôpital Henri-Mondor d’Aurillac, est le seul en France à être situé à plus de 150 kilomètres du CHU (centre hospitalier universitaire) le plus proche, celui de Clermont-Ferrand, distant de 156 kilomètres.
De 2002 à 2018, une clause locale de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) et des principaux régimes d’assurance avait permis de déroger à la DEP pour tous les transports vers les CHU de Clermont-Ferrand, de Limoges et de Toulouse. Cette dérogation était rendue possible par l’application de l’article 6 du chapitre III de la convention nationale des transports sanitaires privés signée avec la CPAM.
Cependant, à la suite d’une volte-face des caisses du Cantal, toute la population de notre département est désormais soumise à la DEP. Or, comme vous le savez, madame la secrétaire d’État, les sorties du CHU sont souvent décidées au dernier moment, ce qui ne permet pas au patient de remplir en temps et en heure une demande d’entente préalable.
Ainsi, les ambulanciers du Cantal se refusent à réclamer aux patients l’avance des frais en raison des difficultés financières de nombreux Cantaliens, ce qui amène régulièrement les caisses d’assurance maladie à réclamer des indus aux entreprises. Il s’agit là d’une discrimination qui contribue à aggraver la fracture territoriale. Ne serait-il pas possible de revenir rapidement à la situation antérieure à 2018, c’est-à-dire d’obtenir de nouveau une dérogation à la demande d’entente préalable ?
Autre problème qui concerne les transports sanitaires : depuis octobre 2018, certains frais de transport sont à la charge des établissements de santé, et non des caisses du régime général, comme précédemment. Les sommes perçues par les établissements – 121,69 euros pour un aller simple, 144,2 euros pour un aller-retour – sont suffisantes pour des transports en agglomération, mais elles ne le sont pas du tout en milieu rural, où nos établissements sont très éloignés des villes dans lesquelles exercent les spécialistes. Ne serait-il pas possible que nos établissements ruraux perçoivent une indemnité kilométrique plutôt qu’une indemnité forfaitaire ? Il s’agit, là encore, d’une question d’équité territoriale.
Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir répondre à ma question.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous le savez, le Gouvernement attache une attention particulière à l’accès aux soins de l’ensemble des assurés, quel que soit leur lieu de résidence.
La possibilité pour le patient de disposer d’un transport sanitaire adapté à son état de santé pour se rendre sur le lieu de ses soins est indispensable à une bonne prise en charge.
S’agissant des dérogations à la demande d’entente préalable octroyées dans des territoires comme le vôtre, le ministère des solidarités et de la santé ainsi que l’assurance maladie ont connaissance de ces situations particulières et des adaptations qu’elles peuvent nécessiter.
Cependant, nous tenons à ce que chaque acteur, caisse d’assurance maladie comme patient, bénéficie d’une pleine sécurité juridique lorsqu’une demande de ce type est émise. C’est la raison pour laquelle l’assurance maladie travaille actuellement sur la refonte du dispositif de demande d’entente préalable. La question des transports sera traitée dans le cadre de ces travaux, qui ont récemment débuté. Je ne doute pas de la capacité des services de l’assurance maladie et du ministère à mettre en place un dispositif répondant aux réalités des territoires, tout en respectant les règles prévues par le code de la sécurité sociale.
En ce qui concerne le transport de patients hospitalisés, je veux rappeler que, depuis le 1er octobre 2018, les transports entre deux établissements de santé sont organisés et financés par les établissements eux-mêmes. Par conséquent, il n’y a plus de demande d’entente préalable auprès de l’assurance maladie pour ce type de transport. Naturellement, l’assurance maladie finance cette charge nouvelle auprès des établissements par l’intermédiaire des tarifs hospitaliers.
Pour tenir compte de la situation des établissements confrontés à des transports sur longue distance, comme dans le Cantal, le financement des transports est affiné, à compter de la prochaine campagne tarifaire des établissements de santé, de manière à moduler la valeur des suppléments en fonction de la distance parcourue.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes, pour la réplique.
Mme Josiane Costes. Je vous remercie de cette réponse porteuse d’espoir, madame la secrétaire d’État. Vous comprenez bien que, dans un territoire très enclavé comme le nôtre, où les transports sanitaires posent problème, on vit la situation présente comme une inégalité territoriale supplémentaire.
salariat des médecins dans les déserts médicaux
Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial, auteur de la question n° 1092, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Édouard Courtial. Madame la secrétaire d’État, la désertification médicale est un fléau qui touche tous les territoires, et plus particulièrement la ruralité. Cette désertification fragilise notre pacte républicain en remettant en cause la liberté de choix des Français de vivre à la ville ou à la campagne.
Confronté à un phénomène sous-estimé, trop peu anticipé et qui s’accélère, l’État a commencé, mais sans doute trop tardivement, à prendre des mesures. Ainsi, certaines dispositions qu’il met en œuvre vont indéniablement dans le bon sens, à commencer par le renforcement de la télémédecine et l’allégement des charges administratives.
Mais, pour pallier ce retard dans la prise de conscience du problème, les collectivités territoriales se sont organisées, avec les moyens qui sont les leurs, pour répondre à un enjeu majeur de santé publique. Si elles ne peuvent agir sur le premier levier, via l’augmentation significative du nombre de médecins par la nécessaire suppression du numerus clausus, elles actionnent le second en mettant en place des mesures incitatives fortes pour attirer les jeunes médecins.
C’est le cas du conseil départemental de l’Oise – que j’ai eu l’honneur de présider –, qui a lancé le plan « Oise santé » en 2018 et obtenu des résultats très encourageants. Plus localement encore, de nombreuses intercommunalités et communes s’engagent dans la bataille. Mais, une fois les locaux rénovés et prêts à recevoir les praticiens, les candidats sont encore trop peu nombreux. De ce fait, certaines collectivités proposent aux médecins d’être salariés. Cette formule séduit de plus en plus et peut être envisagée comme une offre complémentaire de la médecine libérale. Cependant, le salariat coûte très cher et peu de communes en ont, en vérité, les moyens. Pourtant, compte tenu des retours très positifs et de l’engorgement des services d’urgence dans les hôpitaux de proximité – lorsqu’il en reste ! –, il semble aujourd’hui indispensable de l’encourager pour toutes les collectivités, y compris les plus modestes, qui choisiraient cette voie.
Pour ce faire, le Gouvernement doit systématiser des mesures destinées directement aux communes, notamment pour les aider à assumer le coût de cette solution en dépit du contexte budgétaire actuel. Il y va de la survie de nos villages et de nos campagnes. Sur ce sujet comme sur d’autres, il y a les « diseux » et les « faiseux ». Nos collectivités appartiennent à la seconde catégorie, mais elles ne peuvent faire face seules.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous rejoins sur le fait que le défi démographique que nous avons à relever aujourd’hui est grand : le nombre de médecins généralistes ou spécialistes en accès direct exerçant en libéral est en baisse régulière depuis 2010, et cette baisse est susceptible de se poursuivre jusqu’en 2025.
Dès 2017, nous avons pris des dispositions pour proposer des solutions adaptables à chaque contexte local, car la réponse aux difficultés démographiques n’est pas unique.
Depuis, des dynamiques de mobilisation et de coopération se sont nouées localement et ont permis d’enregistrer les premiers progrès sur le terrain.
Le plan Ma Santé 2022, annoncé par le Président de la République en septembre dernier, est venu donner un nouvel élan à cette démarche en proposant des leviers supplémentaires, comme le déploiement de 400 postes de médecin généraliste en exercice partagé entre une structure hospitalière et une structure ambulatoire ou salarié d’un centre de santé ou d’un établissement de santé.
Sur le volet du dispositif relatif au salariat, qui vous intéresse tout particulièrement, sachez que nous soutenons financièrement les créations de postes en apportant aux structures qui emploient les médecins une garantie financière pendant les deux premières années suivant le recrutement, soit le temps de constitution de la patientèle : en 2019, treize recrutements ont ainsi été réalisés dans ce cadre dans les Hauts-de-France.
Je terminerai en rappelant l’effort consenti depuis plusieurs années pour conforter les centres de santé, que ce soit au travers de l’accord conventionnel interprofessionnel valorisant l’exercice coordonné ou des aides financières importantes versées pour aider les centres qui s’ouvrent dans des territoires en tension à faire face aux frais d’investissement qu’implique le début d’activité ou les inciter à maintenir leur activité.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous sommes nous aussi des « faiseux », et pas seulement des « causeux » ! (Sourires.) Travaillons tous ensemble : l’État, par le biais des ARS et des moyens financiers qu’il accorde, sera toujours aux côtés des collectivités territoriales qui se saisissent de cette problématique, car c’est à partir des territoires que l’on peut mener à bien les projets.
Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial, pour la réplique.
M. Édouard Courtial. Madame la secrétaire d’État, je n’ai jamais prétendu que vous faisiez partie des « diseux » ! (Sourires.) Je constate que le Gouvernement fait preuve de volontarisme. Allons ensemble encore plus vite, plus loin : c’est à ce prix que l’on réduira la fracture territoriale en matière d’accès aux soins.
coupes budgétaires sur les soins palliatifs dans l’aude
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 1122, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Roland Courteau. Je souhaite alerter le ministre des solidarités et de la santé – ce n’est pas la première fois – sur la situation très préoccupante des équipes dispensant des soins palliatifs aux personnes en fin de vie en Occitanie, et plus particulièrement dans le département de l’Aude. Je le dis avec gravité : en raison des coupes budgétaires importantes – baisse des crédits de 10 % en 2018, de 30 % en 2019 et probablement de 10 % encore en 2020 –, cette situation n’est plus tenable.
De quelle visibilité disposent ces équipes dans ces conditions ? Comment leur permettre de renforcer leur activité pour répondre à des besoins toujours plus importants ? Comment ne pas comprendre que les baisses de crédits cassent la dynamique engagée par ces personnels de santé ? Que dire aux patients qui souffrent ? Que, malgré les annonces, les services manquent cruellement de moyens ? La réalité, c’est que les propos tenus publiquement sur le développement de la prise en charge des patients sont en totale contradiction avec les faits, c’est-à-dire la réduction des financements !
Dès lors, comment répondre aux besoins, d’autant que les équipes mobiles, du fait de la désertification médicale, interviennent en première ligne en milieu rural, et non plus en deuxième ligne, comme ils le devraient ? La situation est grave.
De surcroît, ces baisses des financements n’ont fait l’objet d’aucune concertation avec les professionnels de santé concernés. Il devient urgent d’inverser la tendance, car, je le rappelle, il s’agit de soulager les souffrances de personnes en fin de vie. Il est temps que ces équipes de soins palliatifs ne soient plus privées des moyens de remplir les missions que l’État leur confie et puissent rendre les services que les citoyens sont en droit d’attendre.
Je sollicite une réponse claire du ministre des solidarités et de la santé quant à ses intentions et à ma proposition de financement complémentaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, le Gouvernement est très attaché à ce que les citoyens puissent bénéficier effectivement de l’ensemble des droits de la fin de vie que la loi a consacrés, en particulier d’un accès équitable aux soins palliatifs.
Le ministère des solidarités et de la santé s’est prononcé à plusieurs reprises, et tout récemment encore, en faveur d’une poursuite des actions menées pour développer les soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie.
Concernant le financement des équipes mobiles de soins palliatifs, les EMSP, un travail d’harmonisation a été réalisé en région Occitanie, sous l’égide de l’agence régionale de santé et en liaison avec les professionnels concernés.
L’objectif est de réduire les disparités constatées, l’écart pouvant aller de un à six entre les établissements porteurs.
Cette démarche avait vocation à assurer une répartition plus équilibrée et équitable des financements entre les EMSP en fonction des besoins des territoires. Elle s’est inscrite également dans le cadre du projet régional de santé 2018-2022, l’objectif prioritaire étant de réduire les zones dépourvues d’accès aux soins, et donc, dans le cas plus précis des EMSP, d’organiser la prise en charge sur tout le territoire, notamment de renforcer l’intervention au domicile du patient ou en établissement médico-social.
À l’issue de ces travaux, le modèle de financement retenu en région Occitanie pour les EMSP intègre une dotation socle – pour le financement forfaitaire d’une équipe type et des frais de fonctionnement – et une fraction variable composée d’une part populationnelle tenant compte des besoins de chaque territoire et d’une part définie en fonction de l’activité.
Si, en 2019, le financement des équipes mobiles de soins palliatifs a subi une baisse par rapport à 2017, un réajustement à la hausse des montants des financements attribués pour certaines EMSP de la région Occitanie, notamment pour celles du territoire audois, doit s’opérer en 2020 avec la mise en œuvre du nouveau modèle de financement. En 2020, l’analyse précise de l’activité des EMSP et la consolidation du diagnostic des besoins permettront d’affiner au mieux l’allocation de l’enveloppe régionale.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.
M. Roland Courteau. Je remercie Mme la secrétaire d’État de sa réponse, mais j’insiste sur le fait qu’il s’agit là de soulager la souffrance de patients en fin de vie. Ne faisons rien qui puisse réduire l’offre de soins, car chaque minute de souffrance est une minute de trop !
accompagnement des départements dans la gestion des mineurs non accompagnés
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, auteur de la question n° 1050, transmise à M. le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
M. Claude Kern. Madame la secrétaire d’État, permettez-moi de vous interroger aujourd’hui sur l’accompagnement des départements dans la gestion des mineurs non accompagnés (MNA), et plus particulièrement sur l’insuffisance notoire de l’engagement financier de l’État.
En effet, le nombre des MNA est en accroissement constant, la cellule nationale estimant à ce jour sa hausse à 20 %. Le département du Bas-Rhin, qui a su assumer ses responsabilités en créant un dispositif bienveillant et responsable pour faire face à la croissance exponentielle des besoins depuis 2014, a dû accueillir 282 MNA en 2019 selon la clé de répartition actuelle.
Néanmoins, le dispositif est en l’état saturé et la pertinence de la clé de répartition montre aujourd’hui ses limites, les mêmes départements étant depuis trop longtemps fortement sollicités. Il est temps d’envisager une plus grande mobilisation des départements jusque-là épargnés par l’afflux massif de MNA, de prendre en compte le nombre de jeunes majeurs ex-MNA toujours accompagnés par le département et de considérer la tension du secteur du logement, notamment social, sur le territoire.
Par ailleurs, à la suite des mouvements des départements à la fin de 2017 et de la mission d’inspection interministérielle, le Gouvernement a, par arrêté, apporté un financement exceptionnel aux départements ayant accueilli un quota supplémentaire de MNA au 31 décembre 2017 par rapport au 31 décembre 2016. Malgré un engagement ministériel de reconduire cette mesure, un nouvel arrêté en date du 27 août 2019 a considérablement diminué cette aide, dont le montant, originellement fixé à 12 000 euros par jeune supplémentaire pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, est passé à 6 000 euros.
Ce montant est notoirement insuffisant et traduit un inadmissible désengagement de l’État, puisque, bien évidemment, le coût de la prise en charge des MNA n’a pas baissé pour les départements : il est ainsi passé de 4 millions d’euros à 15,3 millions d’euros entre 2014 et 2018 pour le Bas-Rhin.
Au vu de ce constat, pouvez-vous nous indiquer, madame la secrétaire d’État, quelle est la position du Gouvernement concernant une redéfinition de la clé de répartition ? Par ailleurs, quelles mesures financières sont envisagées pour que l’État apporte aux départements le soutien qu’ils attendent légitimement et prenne pleinement ses responsabilités quant au nécessaire effort de solidarité nationale ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je vous confirme que le Gouvernement est attentif aux difficultés rencontrées par les conseils départementaux pour la mise à l’abri, l’évaluation et la prise en charge des mineurs non accompagnés. Nous avons renforcé, depuis le début de l’année 2019, l’appui opérationnel et financier qu’il leur apporte.
La réforme des modalités de participation financière forfaitaire de l’État à la phase de mise à l’abri et d’évaluation des personnes se présentant comme MNA vise à permettre une compensation plus juste des dépenses engagées par les départements, sur la base d’un forfait de 500 euros par jeune évalué, auxquels s’ajoutent 90 euros par jour de mise à l’abri pendant quatorze jours, puis 20 euros par jour pendant neuf jours au maximum.
Une participation financière exceptionnelle de l’État à la prise en charge des MNA avait été mise en œuvre en 2018, à hauteur de 12 000 euros par jeune supplémentaire pris en charge au 31 décembre 2017 par rapport au 31 décembre 2016, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur. Ce dispositif a été reconduit en 2019 à hauteur de 6 000 euros pour 75 % des jeunes supplémentaires pris en charge au 31 décembre 2018 par rapport au 31 décembre 2017. Le montant total de cette aide s’établit donc à 175 millions d’euros en 2019.
Sur un plan opérationnel, conformément à l’article 51 de la loi du 10 septembre 2018, le déploiement de l’outil d’aide à l’évaluation de la minorité vise à faciliter et à fiabiliser l’évaluation, par chaque président de conseil départemental, de la situation des personnes se présentant comme MNA. Cet outil est opérationnel depuis février 2019 ; son utilisation n’a pas été rendue obligatoire, mais le Gouvernement entend mettre en place un mécanisme incitant financièrement les conseils départementaux à y recourir.
L’un des objectifs du traitement d’aide à l’évaluation de la minorité est de lutter contre le nomadisme, en permettant par exemple au conseil départemental auquel se présente un MNA de l’orienter vers le préfet, qui pourra vérifier si l’intéressé a déjà fait l’objet d’une évaluation et éviter ainsi au département de procéder à une réévaluation coûteuse.
Nous devons avoir une approche volontariste, collective et plus globale encore qu’aujourd’hui : collective, car c’est par un travail commun entre les départements et l’État que nous pourrons trouver une réponse durable ; globale, car nous devons travailler sur l’amont, à savoir l’évaluation de la minorité, et sur l’aval, c’est-à-dire la formation et l’accès à l’emploi.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour la réplique.
M. Claude Kern. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie d’envisager également la redéfinition de la clé de répartition.
infanticides en France
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, auteur de la question n° 797, adressée à M. le ministre des solidarités et de la santé.
Mme Brigitte Lherbier. Rien n’est plus fragile qu’un enfant ! La société se doit de le protéger contre toutes les formes de violence.
Pourtant, au sein même de leur famille, 72 enfants sont tués chaque année. Un rapport glaçant de l’inspection générale des affaires sociales démontre que ce chiffre, malheureusement, ne baisse pas. Par ailleurs, « plus de la moitié des enfants concernés ont subi avant leur mort des violences graves et répétées […] souvent repérées – c’est le pire ! – par des professionnels ».
Ces morts auraient peut-être pu être évitées si les services de protection de l’enfance avaient été mieux organisés, mieux formés et surtout mieux dotés en moyens à la fois humains et financiers. Vous avez certainement vu, madame le secrétaire d’État, ce reportage diffusé récemment par M6 montrant combien les services de protection de l’enfance pouvaient être défaillants, faute de moyens humains suffisants ! Comment ne pas en être scandalisé ?
Dans le département du Nord, en zone gendarmerie plus précisément, les maltraitances faites aux enfants explosent : les viols sur mineurs ont augmenté de 25,53 % entre 2018 et 2019 ; les faits de harcèlement sexuel et autres agressions sexuelles contre des mineurs ont quant à eux augmenté de 18,31 %. Les scandales de maltraitance d’enfants ne sont pas vraiment relevés. Les enfants sont devenus les premières victimes de l’ensauvagement de la société que nous constatons.
Enfin, que dire des nouveaux scandales survenus dans le sport, où certains dirigeants, en connaissance de cause semble-t-il, ont laissé des prédateurs et des pervers entraîner des enfants ? Mettez-vous à la place des parents qui laissent, en toute confiance, leurs enfants faire du sport ! Toute personne travaillant ou ayant une activité avec des enfants devrait faire l’objet d’un contrôle beaucoup plus régulier par son employeur.
Madame le secrétaire d’État, pouvez-vous nous dire quelles mesures l’État compte prendre afin de protéger davantage et plus efficacement les enfants en souffrance ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, la prévention et la lutte contre toutes les formes de violences faites aux enfants constituent une priorité du Gouvernement.
Le secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé Adrien Taquet a présenté le 20 novembre un plan de lutte contre toutes les formes de violences faites aux enfants visant à mieux protéger les enfants dans tous les contextes de leur vie et dont certaines mesures permettent de mieux recueillir la parole de l’enfant, en liaison avec les différents acteurs, mais aussi de renforcer la lutte contre le syndrome du bébé secoué.
L’une des principales mesures consiste à renforcer les moyens du 119 : les effectifs d’écoutants sont accrus de 20 % grâce à l’augmentation du budget à hauteur de 400 000 euros dès 2020.
En outre, d’ici à 2022 seront constituées dans chaque région des équipes référentes en pédiatrie pour améliorer le repérage et la prise en charge des enfants victimes.
Par ailleurs, nous avons décidé d’augmenter le nombre d’unités d’accueil et d’écoute pédiatriques spécialisées pour couvrir l’ensemble du territoire d’ici à 2022.
Enfin, les auditions filmées seront étendues aux enfants exposés aux violences intrafamiliales de toute nature.
Outre ces actions portant sur le repérage et le signalement de toutes les formes de violence, le plan tend à généraliser les protocoles associant les parquets, les hôpitaux et la police judiciaire relatifs à la prise en charge des cas de mort inattendue du nourrisson, comme il en existe déjà dans certaines régions.
La Haute Autorité de santé a aussi engagé des travaux visant à définir un cadre de référence national pour l’évaluation des situations de danger concernant les enfants.
L’objectif est, notamment, de mieux tenir compte de l’ensemble des facteurs de risques – violences conjugales, addictions, etc. – et de mieux guider le repérage des « signaux faibles », tels que l’absentéisme scolaire.
Le dernier sujet que vous avez évoqué, madame la sénatrice, est suivi avec attention par mon collègue Adrien Taquet, en liaison avec la ministre des sports. Nous œuvrons avec les acteurs pour trouver les bonnes solutions, sachant que la réponse ne saurait être unique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Lherbier, pour la réplique.
Mme Brigitte Lherbier. Madame la secrétaire d’État, j’étais présente quand Adrien Taquet a exposé les mesures de prévention que vous avez évoquées. J’y crois en partie, et j’espère que la situation va évoluer. Comme je le dis souvent, un enfant ne peut pas porter plainte, il ne sait que se plaindre ; dès lors il faut l’écouter et l’entendre.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Politique familiale
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la politique familiale.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans lke débat, la parole est à Mme Pascale Gruny, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
Mme Pascale Gruny, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis sa création, la politique familiale française vise trois grands objectifs : maintenir le niveau de vie des familles, malgré les coûts engendrés par la naissance et l’éducation des enfants ; contribuer au renouvellement des générations par une politique de soutien à la natalité ; favoriser l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle.
Or, depuis 2012, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de remettre en cause les fondements de notre politique familiale. Les mesures prises au cours du dernier quinquennat ont été justifiées par la volonté de faire des prestations familiales un outil de lutte contre la pauvreté. En résumé, les familles « riches » doivent payer pour les familles « pauvres ».
À l’origine universelle, c’est-à-dire orientée vers l’ensemble des familles, cette politique se transforme en instrument conduisant à aider principalement, voire uniquement, les familles « vulnérables ». Et comme toujours, ce sont les classes moyennes qui trinquent !
C’est ainsi qu’a été décidé l’abaissement du plafond du quotient familial de 2 000 à 1 500 euros ou la modulation des allocations familiales en fonction du niveau de revenus du foyer.
Si la lutte contre la pauvreté des familles, et donc des enfants, est un objectif qui ne fait pas débat, ce changement d’approche fait perdre à la politique familiale sa vocation première, qui est de compenser la charge liée à l’éducation des enfants.
Interrogeons-nous sur l’acceptabilité sociale d’une politique familiale qui exclurait ses principaux contributeurs et qui traiterait de la même manière, à niveau de revenu identique, un ménage sans enfant et une famille.
Cette remise en cause du principe d’universalité est inquiétante en ce qu’une même logique pourrait être étendue demain à d’autres branches de la sécurité sociale, voire pour conditionner l’accès aux services publics.
Modulera-t-on demain les remboursements de frais médicaux en fonction de la capacité qu’ont les assurés à y faire face ? Remettra-t-on aussi en cause la gratuité de l’école publique, sous prétexte que certaines familles ont les moyens de recourir à l’enseignement privé ?
Les conséquences de ces choix politiques hasardeux voulus par François Hollande n’ont pas tardé à se faire sentir. Faute d’avoir réussi à inverser la courbe du chômage, il aura au moins réussi à en inverser une autre, celle de la natalité !
Si la France reste dans le peloton de tête européen avec un indice de fécondité de 1,87 enfant par femme en 2019, cet indice baisse pour la cinquième année consécutive. Les effets des mesures prises depuis 2012 ont commencé à se faire sentir dès 2016.
Le groupe Les Républicains s’est toujours opposé aux réformes intervenues au cours du quinquennat de François Hollande et à la poursuite de celles-ci par Emmanuel Macron.
Nous proposons au contraire de remettre la politique familiale au cœur de notre pacte républicain. Il est indispensable de traiter la famille comme un moteur de notre société jouant, au même titre que l’entreprise, un rôle essentiel pour l’avenir du pays.
L’investissement dans la jeunesse est fondamental, et la famille est le ciment de cette jeunesse. Quels que soient les progrès de la robotique et de l’intelligence artificielle, le facteur de production le plus important est et restera l’être humain.
Nous prônons tout d’abord un retour à l’universalité de la politique familiale.
La majorité de l’Assemblée nationale a tenté récemment de supprimer le quotient familial, déjà malmené par le gouvernement Ayrault et jugé trop coûteux, pour créer une nouvelle allocation mensuelle : un prélude évident à la fusion espérée entre l’impôt sur le revenu et la CSG, qui, jusqu’à présent, a été rendue impossible par le Conseil constitutionnel. Nous proposons au contraire de le remonter à 3 000 euros, de façon à éviter que soit repris par le biais de l’impôt le bénéfice des allocations versées aux familles.
Nous souhaitons également améliorer le niveau des retraites des personnes ayant élevé des enfants. La réforme des retraites doit être l’occasion d’uniformiser les règles de bonification des retraites en agissant sur la durée d’assurance ou sur la valeur du point.
À ce sujet, le remplacement envisagé des huit trimestres supplémentaires par enfant accordés aux mères par une majoration de 5 % de la retraite par enfant suscite l’inquiétude, car il risque de pénaliser les femmes, notamment dans les familles nombreuses, où les interruptions d’activité sont les plus importantes. Le projet de loi prévoit en effet, pour les familles de trois enfants, une majoration de pension de 17 %, contre 20 % actuellement.
Remettre la politique familiale au cœur du pacte républicain, c’est également améliorer la politique d’accueil du jeune enfant.
Pour cela, il faut d’abord améliorer l’efficacité de la prime à la naissance. Jusqu’au 1er janvier 2015, son versement intervenait au cours du septième mois de grossesse. Depuis cette date, il s’effectue au deuxième mois suivant la naissance. Ce décalage a compliqué la vie des familles, qui ont souvent à engager des dépenses liées à l’accueil de l’enfant avant sa naissance. C’est faire encore une fois montre d’une méconnaissance totale de la vie des Français. Nous proposons un retour à la situation qui prévalait avant 2015.
Nous défendons aussi la mise en place d’un congé parental plus court et mieux rémunéré que l’actuelle prestation partagée d’éducation de l’enfant (PreParE).
La réforme du congé parental a accéléré la baisse du recours au congé parental, principalement à cause de la baisse de la durée de perception en cas de non-partage entre conjoints.
Je salue l’adoption l’année dernière de la directive européenne sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, qui encourage le congé parental flexible – travail à distance, temps partiel – permettant aux parents de rester dans l’emploi. En effet, plus le congé parental est long, plus il éloigne de l’emploi, surtout pour les femmes.
Enfin, nous souhaitons donner davantage de moyens aux collectivités locales pour créer des places de crèche.
La précédente convention d’objectifs et de gestion pour la période 2012-2017 passée entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) n’a pas tenu ses promesses : 275 000 places en crèche avaient été prévues ; à peine 60 000 ont été créées, dont 30 000 par le privé. Ce résultat médiocre s’explique principalement par les difficultés budgétaires croissantes que rencontrent les communes pour assumer la charge financière du fonctionnement des crèches existantes.
L’objectif de 30 000 places supplémentaires prévu dans la nouvelle convention pour 2018-2022 n’est pas plus réaliste, et il est à craindre une augmentation du reste à charge à la fois pour les familles et pour les communes ou intercommunalités.
J’ajoute que, au travers de la loi du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance, dite « loi Essoc », le Gouvernement avait demandé une habilitation à légiférer par ordonnance sur ce sujet, mais il a laissé passer le délai des dix-huit mois, ce qui l’a obligé à demander une nouvelle habilitation au travers du projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique.
Nous continuons de dénoncer ce « chèque en blanc » pour une politique qui touche directement les collectivités locales et pour laquelle le Sénat pourrait utilement contribuer à l’élaboration des nouvelles règles.
En conclusion, mes chers collègues, la politique familiale a trop longtemps servi de variable d’ajustement budgétaire. Il est urgent de lui redonner du sens, en adoptant une vision à plus long terme. À défaut, l’exception française en matière de dynamisme démographique aura définitivement vécu.
Les Françaises et les Français qui mettent au monde des enfants et les éduquent investissent pour l’avenir, et cet investissement profite à l’ensemble de la Nation. C’est pourquoi le coût que cela représente doit être partagé par tous : ceux qui ont des enfants à charge comme ceux qui n’en ont pas. Il s’agit donc non pas d’aider les parents, mais de rétablir l’équité entre les citoyens.
Les gouvernements de la IVe République l’avaient très bien compris, répondant à l’avertissement que le général de Gaulle leur avait adressé : « Si les Français ont trop peu d’enfants, la France ne sera plus qu’une grande lumière qui s’éteint. » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe Les Républicains d’avoir inscrit à l’ordre du jour un débat sur la politique familiale.
Nous connaissons tous l’importance de cette politique : c’est une politique de solidarité, qui prend en compte les charges et les besoins liés à l’éducation d’un enfant, mais c’est aussi une politique d’investissement social, puisque les enfants d’aujourd’hui forment la société de demain.
Pour ces raisons, le Gouvernement investit massivement dans la politique familiale et la petite enfance. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : cette politique touche 6,6 millions de familles. La branche famille de la sécurité sociale, ce sont plus de 50 milliards d’euros de dépenses pour le soutien aux familles.
Ce gouvernement travaille à améliorer une politique essentielle à notre modèle social, tout en l’adaptant aux besoins nouveaux des familles.
Avant de répondre à votre intervention liminaire, je souhaite préciser le sens de la politique familiale menée par ce gouvernement, qui repose sur trois principes majeurs : l’universalité, la prévention et l’adaptation à tous les parcours de vie.
Le premier principe de notre politique familiale, c’est son principe historique : l’universalité. C’est le principe fondateur de la politique familiale, et nous y tenons. Notre ambition est simple : donner une nouvelle impulsion à ce principe en renforçant l’offre de services aux familles, notamment l’offre d’accueil des jeunes enfants.
Tous les parents qui confient leur enfant à un mode de garde formel sont aidés par la branche famille ; cependant, la recherche d’un mode de garde est trop souvent vécue par les parents comme un parcours du combattant.
Notre premier objectif est donc de renforcer l’offre d’accueil formel, collectif comme individuel, pour favoriser à la fois le développement des enfants et la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle des parents.
Nous avons annoncé la création de 30 000 places de crèches d’ici à 2022 ; ce chiffre sera atteint.
Mais, aujourd’hui, ces places ne profitent pas à tous les enfants, et c’est inacceptable : 54 % des enfants en situation de handicap de moins de 3 ans sont gardés exclusivement par leurs parents, contre 32 % des autres enfants ; 5 % des enfants défavorisés sont accueillis en crèche, contre 22 % des enfants favorisés.
Nous prenons à bras-le-corps ces inégalités, fidèles au principe d’universalité de la branche famille. Avec le bonus « inclusion handicap », un quart des crèches bénéficient d’aides financières.
Nous avons aussi créé le bonus « mixité sociale » pour encourager l’accueil en crèche des enfants issus de familles modestes.
Enfin, nous avons créé un bonus « territoires » pour encourager la création de places là où les besoins sont les plus importants.
En parallèle, nous améliorons l’offre de services de garde individuelle, parce que le premier mode d’accueil en France, ce sont les assistants maternels.
Depuis le mois de juin 2019, les parents n’ont plus à avancer le montant du complément de libre choix du mode de garde (CMG), grâce à l’introduction du tiers payant. Nous avons majoré de 30 % le montant du CMG octroyé aux familles monoparentales et aux familles dont un enfant est en situation de handicap pour la garde individuelle de leur enfant.
Enfin, nous souhaitons mettre en place un « service unique d’information des familles », qui permettra à tous les parents de connaître les disponibilités en matière d’accueil autour de chez eux ou de leur lieu de travail.
En fonction des résultats que nous obtiendrons, nous pourrons nous fixer de nouveaux objectifs en termes de mode d’accueil.
Le renforcement de l’offre d’accueil ne peut se passer d’une réflexion sur la qualité de l’accueil. C’est pourquoi nous avons lancé en janvier un vaste plan de formation, avec pour objectif de former les 600 000 professionnels de la petite enfance sur trois ans.
Pour assurer un accueil de meilleure qualité, nous allons créer 1 000 relais assistants maternels supplémentaires d’ici à 2022.
Construire une offre de service universelle, c’est aussi permettre à toutes les femmes de bénéficier du même congé de maternité, qu’elles soient salariées ou indépendantes. C’est désormais chose faite : depuis le 1er janvier 2019, la durée d’indemnisation a été portée à 112 jours pour toutes les femmes. C’est loin d’être négligeable, lorsque l’on sait l’importance du congé pour la santé de la mère et de son bébé, et pour la construction du lien d’attachement.
Le deuxième principe de notre politique familiale, sa dimension stratégique, c’est la prévention.
Cette prévention, elle commence dès le plus jeune âge, lors des 1 000 premiers jours. C’est au cours de cette période, et dès la grossesse, que beaucoup de choses se jouent pour le développement de l’enfant.
Cette période est souvent source de doutes, de questionnements et parfois d’inquiétudes pour les parents. Beaucoup ont le sentiment d’être trop seuls face à la parentalité et ses problèmes du quotidien.
Le Président de la République a donc installé en septembre une commission d’experts, qui remettra ses recommandations sur les 1 000 premiers jours de la vie au printemps.
M. Roger Karoutchi. Si c’est une commission d’experts…
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. À partir de ces recommandations scientifiques, mon collègue Adrien Taquet proposera un nouveau parcours d’accompagnement de cette période cruciale.
Avoir une politique publique ciblée sur ces 1 000 premiers jours, c’est s’assurer que nos concitoyens grandissent dans les meilleures conditions, dès les premiers pas.
La prévention, c’est aussi celle des ruptures de droits en cas de changements de situation brutaux, notamment en cas de séparation.
À ce titre, la question des impayés de pensions alimentaires a émergé avec force lors du grand débat national. La situation actuelle est préoccupante : 30 % des pensions alimentaires ne sont pas payées ou le sont de manière irrégulière.
Cette situation précarise les familles et les enfants : pour les familles monoparentales, la pension alimentaire représente en moyenne 18 % du budget. Nous avons donc créé le service public de versement des pensions alimentaires, qui entrera en vigueur à partir de juin 2020. Le versement des pensions alimentaires sera géré par les caisses d’allocations familiales, qui les prélèveront auprès des débiteurs et les reverseront aux parents créanciers.
Ce nouveau système permettra de prévenir les impayés, mais aussi de les détecter plus rapidement et d’engager immédiatement une procédure de recouvrement en cas de besoin avant que la situation ne s’aggrave.
Avec ce nouveau service, nous protégeons de manière durable les personnes ayant déjà fait face à un impayé de pension alimentaire, mais nous permettons également à tous les parents qui le souhaitent de s’affranchir du souci du paiement de la pension alimentaire pour se consacrer au développement de leur enfant.
Sans préempter les débats que vous aurez bientôt dans cette enceinte, j’ajoute que nous œuvrons, avec Adrien Taquet, pour accompagner les familles lors de la plus dure des ruptures : le décès d’un enfant.
Le troisième grand principe de notre politique familiale, c’est la prise en compte des parcours de vie.
Faut-il le rappeler : les modèles familiaux se renouvellent. On compte 23 % de familles monoparentales, l’homoparentalité fait pleinement partie de la famille du XXIe siècle, les Français vivent de plus en plus longtemps.
Les raisons de faire évoluer notre politique familiale sont donc nombreuses.
Pour les familles monoparentales, nous avons d’abord voulu lever le frein à l’emploi que constitue la garde des jeunes enfants. Ce frein est par nature encore plus important pour les chefs de famille monoparentale, puisqu’il n’y a pas de deuxième parent pour prendre le relais.
Je l’ai dit, nous avons augmenté le CMG pour les familles monoparentales, mais nous sommes également mobilisés pour promouvoir les crèches à vocation d’insertion professionnelle, pensées pour les jeunes parents éloignés de l’emploi, très souvent des mères de famille monoparentale.
La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté prévoit donc la labellisation de 300 crèches à vocation d’insertion professionnelle en 2020.
Nous avons également engagé la refonte du cadre normatif des modes d’accueil du jeune enfant avec les professionnels du secteur, pour que l’offre d’accueil puisse répondre aux besoins de tous les parents. Nous avons pris le temps de la concertation avec l’ensemble des parties prenantes pour travailler cette ordonnance.
Pour ce qui est du pouvoir d’achat, certaines familles monoparentales bénéficient d’un complément de revenu important grâce à la prime d’activité. La hausse exceptionnelle de la prime d’activité décidée à la fin de 2018 a particulièrement profité aux familles monoparentales : elle a permis une baisse de 0,9 point de leur taux de pauvreté, contre 0,5 point pour l’ensemble des bénéficiaires.
Notre politique familiale s’adapte aussi pour tenir compte de la situation des proches aidants : entre 8 et 11 millions de nos concitoyens soutiennent des proches en perte d’autonomie, et l’État a un rôle à jouer auprès de ces « familles élargies ».
Nous devons d’abord aider ces aidants à concilier leur vie professionnelle avec leur vie personnelle : la stratégie Agir pour les aidants annoncée en octobre dernier prévoit la création d’un congé de proche aidant indemnisé dès octobre 2020.
Nous devons ensuite permettre à ces proches aidants d’accéder à des solutions de répit, ce que la stratégie prévoit également avec l’octroi d’un financement supplémentaire de 105 millions d’euros sur la période 2020-2022.
Tels sont les premiers éléments de réponse que je souhaitais vous livrer, mesdames, messieurs les sénateurs. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Nos collègues du groupe Les Républicains ont souhaité débattre de la politique familiale de notre pays.
Ce débat est indispensable, à l’heure où l’Assemblée nationale examine une réforme des retraites qui prévoit le remplacement des trimestres supplémentaires accordés aux mères par un système de majoration pénalisant pour les familles nombreuses.
Actuellement, chacun des deux parents d’une famille d’au moins trois enfants bénéficie d’une majoration de sa pension de retraite de 10 %. Le nouveau système porte la majoration à 17 %, mais pour un seul des deux parents.
Madame la secrétaire d’État, sachant que, dans 75 % des couples, le salaire de l’homme est le plus élevé, votre réforme va pénaliser les futures pensions de retraite des femmes. Cette attaque s’inscrit dans la continuité des mesures prises par les gouvernements précédents, qui, pour des raisons comptables, ont diminué le montant des aides familiales – comme le quotient familial et la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) – ou modulé les prestations familiales.
À nos yeux, il est urgent de rétablir l’universalité des prestations familiales et d’orienter la politique familiale vers une répartition plus égalitaire, par exemple en allongeant la durée du congé de paternité et d’accueil du jeune enfant à quatre semaines et en le rendant obligatoire. Ce faisant, on irait vers une organisation moins sexuée de la vie familiale et professionnelle. Quel est votre avis sur la question ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous évoquez les conséquences de la réforme des retraites pour les familles nombreuses.
Les droits familiaux sont aujourd’hui inégalitaires. La majoration de la pension de retraite de 10 % pour chacun des parents des familles d’au moins trois enfants profite aux hommes à hauteur de 60 %, alors que les femmes subissent l’essentiel des préjudices de carrière.
En vertu du projet de loi de réforme des retraites, chaque naissance donnera lieu à l’attribution d’une majoration de 5 % des points dès le premier enfant, et de 2 % supplémentaires pour les familles de trois enfants et plus.
Les parents pourront choisir celui à qui cette majoration sera attribuée ou décider de la partager. Ils pourront statuer jusqu’aux 4,5 ans de l’enfant. Sans décision de leur part, ces droits seront automatiquement attribués à la mère. Ainsi, grâce à la réforme des retraites, les mères de famille nombreuse ne seront plus lésées par l’éducation de leurs enfants.
Vous avez mentionné une autre proposition du Gouvernement : le congé de paternité de quatre semaines obligatoire. Nous pourrions en débattre longuement. À ce stade, j’indiquerai simplement que le congé de paternité est un enjeu primordial, à la fois pour favoriser le développement de l’enfant, en renforçant les liens avec son père, et pour soutenir la mère.
Ce dispositif favorise donc lui aussi l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, nous avons décidé d’instaurer un congé de paternité plus long en cas d’hospitalisation immédiate de l’enfant.
Cette mesure est particulièrement importante. Plusieurs études ont montré l’effet positif sur le développement cognitif des enfants prématurés de l’implication des parents dans le soin et le développement. La commission des 1 000 premiers jours, présidée par Boris Cyrulnik, pourra également formuler des recommandations sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour la réplique.
Mme Michelle Gréaume. Madame la secrétaire d’État, il y a un peu plus d’une semaine, cinq associations familiales ont tenu une conférence de presse commune : la Confédération nationale des associations familiales catholiques, Familles de France, le Mouvement mondial des mères, la Confédération syndicale des familles et la Fédération nationale des associations familiales protestantes. Toutes ces associations vous interpellent sur l’impact réel d’une telle réforme. J’espère que vous les entendrez !
Mme Laurence Cohen. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Tous les États européens disposent d’une politique familiale, mais cette dernière varie sensiblement d’un pays à l’autre.
Notre politique familiale a été conçue pour encourager les Français à fonder une famille – en tout cas pour que le coût financier ne soit pas un obstacle.
Au fil des années, la structure familiale a évolué, avec une baisse de la natalité et l’augmentation du nombre des familles monoparentales, lesquelles sont souvent les plus touchées par la pauvreté.
La famille constitue un espace privé privilégié ; chacun de ses membres doit pouvoir s’y épanouir. Elle revêt néanmoins un aspect particulier lorsque l’un d’eux est en situation de handicap.
À cet égard, j’attire l’attention de notre assemblée sur une question qui préoccupe de nombreuses communes : la scolarisation des enfants en situation de handicap. Certes, d’importants progrès ont été accomplis, en particulier au titre de l’accompagnement, mais beaucoup reste à faire.
En septembre 2019, 300 unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS) ont été créées et 4 500 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ont été recrutés. Malgré cela, 8 000 enfants restent sans solution de scolarisation. Les deux principaux obstacles auxquels se heurtent les familles sont la lourdeur des démarches administratives et le manque d’accompagnement.
Lors de la Conférence nationale du handicap (CNH), le Président de la République a annoncé des solutions de scolarisation pour chaque enfant dès la rentrée prochaine, avec notamment la création de 1 000 places supplémentaires dans les établissements spécialisés.
Madame la secrétaire d’État, nous connaissons le désarroi des familles. Nous connaissons aussi les difficultés de mise en œuvre d’un accompagnement adapté. Pouvez-vous nous donner davantage d’éléments quant aux solutions envisagées pour permettre à chaque enfant de bénéficier d’une scolarisation adaptée d’ici à la rentrée prochaine ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur les moyens mis en œuvre pour permettre à chaque enfant handicapé de bénéficier d’une scolarisation adaptée d’ici à la rentrée de 2020.
Le Président de la République l’a rappelé lors de la CNH qui s’est tenue à l’Élysée le 11 février dernier : nos concitoyens en situation de handicap doivent pouvoir vivre comme les autres et au milieu des autres. Cette obligation s’applique dès le plus jeune âge. C’est la raison de l’engagement du Gouvernement pour la scolarisation des enfants handicapés.
Dès 2018, mes collègues Sophie Cluzel et Jean-Michel Blanquer ont mobilisé tous les acteurs concernés pour proposer un service public de l’école inclusive. Des pôles inclusifs d’accompagnement localisé (PIAL) ont été déployés au plus près de 2,5 millions d’élèves concernés dès la rentrée de 2019, et nous généraliserons ce dispositif d’ici à la rentrée de 2022.
Des cellules de réponse aux familles sont mises en place dans chaque département pour que les familles aient une réponse sous vingt-quatre heures.
Nous informons les enseignants et les accompagnons dans la prise en charge de tous les élèves, en augmentant l’offre de formation continue et en donnant accès, via la plateforme Cap école inclusive, à des ressources simples et directement utilisables en classe.
Au total, 900 millions d’euros supplémentaires ont été engagés pour que cette école inclusive devienne une réalité. Les premiers résultats sont là. Entre la rentrée de 2018 et la rentrée de 2019, 20 000 enfants supplémentaires ont été scolarisés et le nombre d’élèves en attente d’un accompagnement a été divisé par deux.
Néanmoins – nous le savons –, nous devons faire plus. Nous nous sommes fixé un objectif clair : dès la rentrée de 2020, plus aucun enfant handicapé ne doit se trouver sans solution de scolarisation.
En la matière, nous nous donnons les moyens de nos ambitions. Nous ouvrirons 11 500 postes d’AESH supplémentaires d’ici à 2022. Nous créons un numéro d’appel unique, le 360, afin que les familles aient un point de contact identifié pour adresser toutes leurs demandes d’aide.
Enfin, concernant l’avant-scolarisation, il faut favoriser l’inclusion dès le plus jeune âge. (Mme Colette Mélot acquiesce.) C’est tout l’enjeu de la mise en place du bonus inclusion handicap.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains)
Mme Élisabeth Doineau. Tout d’abord, je tiens à remercier Pascale Gruny d’avoir demandé la tenue de ce débat. Le Gouvernement serait bien inspiré de lancer un grand débat national sur la famille. En effet, la famille, c’est le socle de notre République !
La natalité est en baisse en France pour la quatrième année consécutive. Si cette tendance planétaire menace nos systèmes de sécurité sociale et de retraite, « la dénatalité est au fond le symptôme d’un mal bien plus vaste », selon un article du New York Times de novembre 2019.
En France, en 2019, l’indicateur de fécondité ne s’établit plus qu’à 1,87 enfant par femme, alors que le désir d’enfant reste fort. Selon une étude de l’OCDE menée dans vingt-huit pays en 2016, les femmes aspiraient en moyenne à avoir 2,3 enfants et les hommes 2,2.
Comment expliquer cet important écart ? Par la situation économique, sociale ou écologique ? Les causes sont sans doute multifactorielles.
D’une part, nombre de couples éprouvent des difficultés à concilier vie professionnelle et vie familiale. De plus en plus, le projet d’enfant est relégué au second plan, ce qui peut se comprendre. Devenir parent reste difficile, et particulièrement peu séduisant pour les femmes, qui, lorsqu’elles sont mères et actives, doivent assumer une double journée.
D’autre part, notre environnement dégradé est responsable de nombreux cas de stérilité et de pathologies survenant lors de la gestation et de l’accouchement.
Comment sortir de cette situation ? Une solution est de développer les modes de garde. Or les objectifs de création de places de crèches fixés dans la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2018-2022 ne seront pas atteints. Une autre solution est d’agir sur notre environnement en réduisant l’exposition aux polluants. La procréation exige le même élan de mobilisation des politiques publiques que l’urgence climatique.
Madame la secrétaire d’État, au regard de ces constats, comment le Gouvernement compte-t-il agir pour que les prochaines générations puissent avoir autant d’enfants qu’elles le souhaitent ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, la natalité est en effet en baisse : 2019 a été la cinquième année consécutive de recul du nombre de naissances, même si la baisse ralentit.
Cette baisse globale de la natalité reflète deux réalités : d’une part, la diminution du nombre de femmes en âge de procréer – la baisse actuelle est donc, d’abord, un écho du ralentissement des naissances observé à la génération précédente – et, d’autre part, le recul de la fécondité des femmes actuellement en âge de procréer. L’indicateur de fécondité diminue depuis quatre ans. Il s’établit désormais à 1,88 enfant par femme. Néanmoins, la France conserve le plus fort taux de fécondité en Europe.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette évolution. La mise en couple est plus tardive, ce dont témoigne, par exemple, l’âge au mariage, qui n’a cessé de croître depuis vingt ans. L’âge moyen de la maternité continue, lui aussi, d’augmenter régulièrement. Il a atteint 30,6 ans en 2018 ; il était de 29,8 ans dix ans plus tôt.
L’ampleur des effets potentiels de la politique familiale sur la fécondité est difficile à évaluer, dans notre pays comme ailleurs. Toutefois, en France, il semble que le soutien public apporté aux familles, notamment aux plus modestes d’entre elles, a permis d’atténuer les effets de la crise de 2008. Ainsi, il aurait limité leur impact sur la fécondité.
Afin d’encourager la natalité, la politique familiale a désormais pour priorité de permettre de concilier vie familiale et vie professionnelle. Il s’agit non seulement d’éviter aux femmes de devoir faire un choix entre une famille et une carrière, mais également de soutenir les familles les plus modestes.
« Ayez une carrière, ayez une famille : vous pouvez faire les deux en même temps » ; c’est le message que nous adressons aux femmes. À cet égard, notre ambition est forte. Pour ce qui concerne le mode d’accueil – collectif ou individuel –, il faut laisser la liberté de choix aux parents et leur éviter les avances de frais. Il importe également de développer les places d’accueil collectif ou individuel et former les professionnels pour renforcer la sérénité des parents. Enfin, ces derniers doivent pouvoir trouver facilement la bonne information lorsqu’ils veulent faire garder leur enfant.
M. le président. La parole est à M. Alain Milon.
M. Alain Milon. Madame la secrétaire d’État, en raison des réformes successives ayant affecté les prestations familiales depuis huit ans, la branche famille de la sécurité sociale traduit une politique de moins en moins universelle.
En effet, la modulation des allocations familiales en fonction des revenus, qui a permis de dégager 3,4 milliards d’euros d’économies depuis 2015, est venue écorner l’universalité de la politique familiale. Or, je le rappelle, le premier objectif de cette politique est de compenser les charges de famille selon une logique de redistribution horizontale.
En parallèle, les mesures de solidarité se sont développées au sein de la branche famille, à l’image de la majoration du complément familial en deçà du seuil de pauvreté, décidée en 2014. Bien entendu, il est nécessaire de soutenir les familles les plus modestes, mais, à nos yeux, cela ne devrait pas se faire au détriment des autres familles.
À ces mesures s’ajoute la sous-revalorisation, à l’instar des retraites, de l’ensemble des prestations familiales, décidée par votre gouvernement depuis deux ans. Le Sénat s’y est opposé lors de l’examen des deux derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale. Ces décisions déconnectent progressivement les cotisations prélevées des prestations servies aux allocataires. En outre, elles affectent leur pouvoir d’achat, ce qui est particulièrement pénalisant pour les familles nombreuses.
Si l’on poursuit dans cette logique que je déplore, il faudra s’interroger sur la place de la branche famille au sein de la sécurité sociale. Est-il encore cohérent que les prestations familiales soient financées à hauteur de 60 % par des cotisations sociales, alors que la branche famille sert de plus en plus une politique de solidarité décidée par l’État ? Puisque la politique familiale change progressivement de nature, l’État ne devrait-il pas contribuer davantage à son financement, afin que celui-ci ne relève plus de prélèvements assis sur les revenus du travail ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président Milon, vous proposez que la branche famille soit désormais financée par l’État et qu’elle ne soit donc plus considérée comme faisant partie de notre sécurité sociale.
Cette position n’est pas la mienne, pour deux raisons.
Premièrement, sur le plan des principes, le financement de la branche famille par les cotisations sociales justifie son caractère universel. Le financement permet la solidarité horizontale,…
M. Bruno Retailleau. De moins en moins !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. … qui est le fondement de notre politique au service de toutes les familles, quelles que soient leurs ressources.
Je le répète : notre politique familiale est universelle.
M. Bruno Retailleau. De moins en moins !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Les aides à la garde d’enfant s’adressent à toutes les familles, tout comme les allocations familiales, même si elles ont été modulées, en vertu, je le rappelle, d’une décision de l’ancienne majorité.
Le choix de cibler certaines aides sur les plus précaires relève de l’équité. Il s’agit de garantir l’égalité des chances entre toutes les familles. Remettre en cause ce financement, c’est remettre en cause ce pilier de notre politique familiale qu’est l’universalité.
Deuxièmement, sur le plan de la gouvernance, la branche famille est aujourd’hui gérée par un conseil d’administration où siègent les partenaires sociaux et les associations familiales. Cette instance de démocratie sociale fonctionne. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail constructif du conseil d’administration au service de toutes les familles, y compris les plus précaires.
Un financement par l’État mettrait à mal cette logique, ainsi que le rôle des partenaires sociaux dans notre politique familiale !
M. le président. La parole est à M. Alain Milon, pour la réplique.
M. Alain Milon. Madame la secrétaire d’État, je ne propose pas, je constate : actuellement, c’est l’État qui décide à la place de la branche famille ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret.
Mme Corinne Féret. Les politiques familiales devraient avant tout être guidées par des objectifs de solidarité et de justice sociale, notamment du fait de leurs conséquences sur la démographie de notre pays. Or le Gouvernement s’emploie à rogner le pouvoir d’achat des familles, et sa politique affecte particulièrement les plus modestes d’entre elles.
En 2018, le taux de pauvreté a augmenté de 0,6 point, pour représenter 14,7 % de la population. Ce chiffre est corroboré, malheureusement, par le rapport 2019 du Secours catholique, qui donne une photographie préoccupante de la précarité dans notre pays, sixième puissance économique mondiale.
Derrière ces inquiétantes statistiques se trouvent des familles. Les familles monoparentales sont particulièrement touchées. Au sein de ces dernières, 40 % des enfants vivent dans la pauvreté.
Année après année, nous faisons le triste constat de l’importance du taux de pauvreté des enfants. Rappelons le lien, scientifiquement établi depuis longtemps, entre conditions de vie difficiles dans la petite enfance et carences dans le développement intellectuel, émotionnel et social.
De quoi ont besoin ces enfants ? Que l’on tende la main à leurs parents, plutôt que de diminuer les allocations de logement. Le Gouvernement a-t-il bien mesuré l’impact du coup de rabot de 5 euros sur les aides personnalisées au logement (APL) et de la non-revalorisation de certaines aides sociales ?
Environ 70 % des enfants élevés par un ou deux parents au chômage ou inactifs vivent dans la pauvreté. La récente réforme de l’assurance chômage, qui se traduit par une baisse des droits, va toucher 1,3 million de personnes, soit un chômeur indemnisé sur deux. Comment imaginer que toutes ces décisions resteront sans conséquence sur les plus fragiles de nos concitoyens et sur leurs enfants ?
Au début du quinquennat, le Gouvernement a lancé sa Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, assortie d’un objectif chiffré de réduction de la pauvreté pour les enfants. Madame la secrétaire d’État, quel premier bilan peut-on tirer des politiques menées pour réduire la pauvreté des familles et de leurs enfants ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, les chiffres dont vous faites état, émanant de l’Insee, sont des données provisoires datant de 2018 ; l’Insee l’indique lui-même, elles n’ont pas encore été consolidées.
Mme Corinne Féret. Mais ce sont des faits !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Quant à celles issues de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), sous-jacentes à votre intervention, si elles prennent en compte l’augmentation de la prime d’activité, elles négligent la hausse du taux de recours à cette prestation, dont 1,5 million de foyers supplémentaires bénéficient désormais. De ce fait, le taux de pauvreté a reculé, en moyenne, de 0,5 point, et de 0,9 point pour les familles monoparentales. De même, ces chiffres ne tiennent pas compte de la création de la complémentaire santé solidaire, qui va garantir un meilleur accès aux soins pour les familles modestes : ces dernières n’auront plus à faire d’avance de frais et elles seront mieux couvertes. Ils ne prennent pas non plus en compte le reste à charge zéro, qui permet d’ores et déjà d’obtenir une paire de lunettes à 0 euro, et la prise en charge des appareils auditifs, certes partielle et progressive, à hauteur de 450 euros par oreille.
La stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, annoncée en septembre 2018 par le Président de la République, prévoit un effort de réinvestissement social au plus près des acteurs de 8,5 milliards d’euros, en liaison avec les départements, avec lesquels nous avons contractualisé.
Enfin, nous soutenons les politiques d’insertion menées par les départements à destination de ceux qui bénéficient du revenu social d’activité (RSA) depuis plus de quatre ans, en vue de l’instauration d’un véritable droit à l’accompagnement et d’un service public de l’insertion. Lutter contre la pauvreté, c’est permettre à ceux qui le peuvent de retrouver un travail. C’est ce que nous faisons par le déploiement de l’emploi sur l’ensemble de notre territoire.
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.
Mme Corinne Féret. J’ai entendu les chiffres que vous avez cités, madame la secrétaire d’État, mais je vois surtout ce qui se passe dans nos quartiers et dans nos communes rurales. Je constate le nombre croissant de personnes ayant recours aux associations caritatives pour pouvoir bénéficier, au moins, d’un repas équilibré par jour.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la secrétaire d’État, alors que la réforme des retraites est en cours d’examen à l’Assemblée nationale, plusieurs associations familiales s’interrogent sur ses conséquences pour les familles.
Trois dispositifs complémentaires d’aide existent aujourd’hui pour les parents : la majoration de durée d’assurance (MDA), l’assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) et les majorations de pension pour les pères et mères de famille nombreuse.
Ces droits jouent un rôle majeur dans la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes en matière de retraites, puisqu’ils profitent à plus de 70 % aux femmes et représentent, en moyenne, plus de 10 % du montant de leur pension. Ils soutiennent aussi le pouvoir d’achat des parents retraités.
Or pas moins de 90 % des femmes bénéficient d’au moins un droit familial au moment de leur retraite. Dans son projet de loi, le Gouvernement prévoit la suppression de la MDA et son remplacement par une bonification de 5 % des pensions de retraite des parents pour les deux premiers enfants, ainsi qu’un fort recentrage de l’assurance vieillesse sur les premières années de l’enfant. Supprimer la MDA pénalisera les familles de trois enfants et plus, la réduction de la bonification entraînant celle de la pension de retraite que toucheront les parents : pour trois enfants, la bonification passera ainsi de 20 % à 17 %.
Par ailleurs, la suppression de l’assurance vieillesse pour les mères de famille nombreuse au-delà des 6 ans de leur troisième enfant pourrait mettre en difficulté des femmes de condition modeste.
Madame la secrétaire d’État, dans la perspective du projet de réforme, pouvez-vous nous apporter des réponses sur la bonification au troisième enfant, pour l’heure insuffisante, sur une bonification majorée pour l’éducation d’un enfant handicapé ou encore sur une prise en compte équivalente à celle du système actuel dès la naissance du premier enfant pour les deux parents ? Pouvez-vous nous confirmer que les changements induits par la réforme ne réduiront pas les droits familiaux de retraite ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, j’ai déjà répondu sur la question de la bonification de la retraite pour le troisième enfant.
S’agissant des enfants en situation de handicap, le système actuel repose principalement sur l’assurance vieillesse des parents au foyer, l’AVPF, qui consiste en la validation de trimestres d’assurance et de paiement des cotisations par la solidarité nationale, pour un montant équivalent au SMIC, pendant une certaine durée et sous certaines conditions.
Le futur système de retraite reprend le principe de l’AVPF, transformée en garantie aidants. Concrètement, les proches aidants ayant dû restreindre ou limiter leur activité acquerront des points au titre de la solidarité nationale.
En outre, nous améliorons le dispositif actuel en comblant certains vides. Dans le futur système, par exemple, les mères d’enfant handicapé présentant un taux d’incapacité important, mais inférieur à 80 %, pourront bénéficier d’une majoration de points.
De même, les proches aidants de personnes en fin de vie bénéficieront du congé de solidarité familiale, conçu pour accompagner la fin de vie d’un proche, et pourront obtenir des points à ce titre, ainsi que les proches aidants de personnes ayant perdu leur autonomie du fait de la maladie ou de l’âge, lorsque la perte d’autonomie est particulièrement importante.
Nous avons également voulu marquer une solidarité nationale particulière envers les parents d’enfants handicapés, qui s’ajoutera à cette large garantie aidants. Dans le système universel, les parents d’enfants handicapés bénéficieront, comme les autres parents, d’une majoration de points de 5 % par enfant dès le premier, ainsi que d’une majoration spécifique de la prestation relative au handicap, qui ne sera pas conditionnée à une interruption ou à une réduction d’activité. Elle pourra atteindre 5 % du montant de la pension de retraite.
M. le président. La parole est à M. Martin Lévrier.
M. Martin Lévrier. À la demande du groupe Les Républicains, nous débattons aujourd’hui d’un sujet essentiel : la politique familiale en France.
Chacun des parents doit contribuer à l’entretien et à l’éducation des enfants, en fonction de ses ressources et des besoins de l’enfant, même – surtout, ai-je envie de dire – en cas de séparation ou de divorce.
Près d’un million de pensions alimentaires, dont le montant moyen est de 170 euros par enfant, sont versées chaque année, mais près de 30 % d’entre elles sont payées en retard ou pas du tout. Ce problème concerne près de 300 000 familles.
Sécuriser le versement de la pension alimentaire pour ces centaines de milliers de familles, telle est la mission du service public de versement des pensions alimentaires que souhaite mettre en place l’exécutif dès juin 2020.
Pensé conjointement par les ministères de la justice et de la santé et le secrétariat d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes, un nouveau service public, l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa), a pour ambition de protéger les familles.
Deux cas de figure pourront se présenter.
En cas d’accord des parties dans le cadre de la convention de divorce, le rôle de l’Aripa sera d’organiser, jusqu’aux 18 ans de l’enfant, le recouvrement de la pension par son intermédiaire.
En cas de signalement d’impayés émis par le bénéficiaire de la pension, l’Aripa se substituera au créancier et devra effectuer toutes les démarches nécessaires afin de résoudre la situation d’impayé.
Madame la secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé, pouvez-vous nous dire comment l’Aripa entend procéder en pratique, en termes d’éventuelles avances, de délais de procédure ou de forme que prendront les saisies, et quelle communication entendez-vous mettre en place pour que les parents concernés soient informés de cette avancée notable ? (M. Thani Mohamed Soilihi applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, le principe de la réforme que nous promouvons avec Nicole Belloubet est en effet de passer d’une logique de recouvrement à une logique de prévention des impayés de pension alimentaire.
Des mesures ont été votées lors de l’élaboration de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 et nous continuons à travailler avec le ministère de la justice pour que le nouveau service que vous avez évoqué se mette en place dès le 1er juin 2020.
Ce service garantira le versement de la pension alimentaire au long cours, jusqu’aux 18 ans de l’enfant, à toutes les familles ayant déjà subi des impayés. C’est la première situation.
Pour toute nouvelle séparation intervenant à partir du 1er juin, les familles concernées pourront bénéficier de cette intermédiation.
Surtout, nous travaillons à alléger les démarches administratives pour les familles, puisque ce sont les caisses d’allocations familiales (CAF), en liaison avec les juges, les avocats et les greffes, qui disposeront de tous les renseignements de nature à permettre la mise en œuvre de l’intermédiation.
Dans cette perspective, nous mettons la dernière main aux décrets d’application et nous préparons la formation des agents des CAF. Le nouveau service bénéficiera d’un budget de près de 42 millions d’euros, sachant que nous prévoyons le recrutement de 450 agents supplémentaires, 325 d’entre eux étant déjà en formation afin de pouvoir entrer en fonction au 1er juin. Nous formons également les juges, le personnel des greffes et les avocats pour que toutes les familles qui vivront une séparation à partir de cette date puissent être informées de l’existence de ce service.
Nous souhaitons voir progresser le taux de recours à l’allocation de soutien familial. Cette aide, dont peuvent bénéficier les familles qui subissent des impayés de pension alimentaire en raison de l’insolvabilité du parent débiteur, est en effet aujourd’hui peu demandée. Elle sera versée dès qu’une difficulté de paiement se fera jour.
Il s’agit en définitive de porter un regard nouveau sur la pension alimentaire, qui est un droit visant à garantir au parent créancier les ressources nécessaires pour élever ses enfants et à libérer les familles concernées d’un poids qui entrave leur développement. Les deux ex-conjoints doivent contribuer au bien-être des enfants.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. La complexité de notre système de prestations familiales le rend très difficilement compréhensible. Comment expliquer que les enfants de certaines familles ne bénéficient d’aucune aide de l’État, alors que, à titre d’exemple, une famille monoparentale avec quatre enfants perçoit jusqu’à 380 euros par mois et par enfant ?
Les familles françaises sont segmentées en trois groupes : celles qui ont des revenus modestes et perçoivent de nombreuses aides ; celles qui ont des revenus élevés et bénéficient du quotient familial ; enfin, celles des classes moyennes, qui profitent le moins de ces dispositifs.
Actuellement, l’octroi de l’allocation familiale est conditionné au fait d’avoir deux enfants ou plus. Si les conséquences de cette politique sur la natalité ne sont pas aisément mesurables, elles ne paraissent pas favorables. En outre, rien ne prouve que les coûts soient croissants en fonction du nombre d’enfants. Enfin, il est parfois difficile de définir le rang qu’occupe un enfant dans les familles recomposées, au moins avant le remariage.
Madame la secrétaire d’État, eu égard aux limites de notre système que je viens d’évoquer, nous saisissons de nouveau la proposition que formule M. Régent dans son récent ouvrage La Face cachée des prestations familiales pour vous interroger sur la création d’une allocation familiale unique (AFU) qui se substituerait aux aides familiales existantes, serait versée dès le premier enfant et supprimerait les effets de seuil des prestations familiales.
Lors d’un précédent débat, en 2018, Mme la ministre Agnès Buzyn m’avait indiqué qu’elle avait identifié 100 000 ménages avec un enfant percevant en général au moins 45 euros d’aides. Elle avait ajouté qu’il faudrait peut-être cibler ces familles en faisant, par exemple, évoluer le complément familial majoré. Qu’en est-il de cette proposition ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, vous évoquez la possibilité de créer une allocation familiale unique. À première vue, l’idée peut sembler intéressante, notamment pour éviter la complexité du calcul des prestations familiales, mais les allocations familiales ne sauraient être réduites à un versement unique, commun à toutes les familles, parce que nous devons répondre aux besoins spécifiques de chacune d’entre elles.
Je l’ai rappelé, la politique familiale repose sur le principe d’universalité, mais universalité n’est pas uniformité. Notre politique familiale ne peut pas ignorer les différences de situations et les moments de vie où un accompagnement particulier est nécessaire. Elle apporte un soutien à toutes les familles, notamment aux plus précaires. Les prestations familiales permettent de rehausser le revenu des familles nombreuses et monoparentales. Leur versement augmente ainsi le revenu médian des couples avec trois enfants ou plus de 24 % et celui des familles monoparentales avec deux enfants ou plus de 31 %. Les prestations familiales représentent 11 % du revenu des familles modestes, contre 2 % pour l’ensemble des ménages.
Notre politique familiale couvre tous les âges, mais elle apporte un soutien particulier dans les circonstances de vie telles que la naissance d’un enfant, la rentrée scolaire ou la garde d’enfants, qui font l’objet de prestations dédiées. Instaurer une prestation unique ne permettrait plus d’agir selon telle ou telle thématique en fonction des besoins et de l’évolution de notre société.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe, pour la réplique.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Mme Buzyn m’avait fait pratiquement la même réponse… Vous n’avez rien dit de sa suggestion de faire évoluer le complément familial majoré. Je reste persuadé que l’on pourrait instaurer un socle commun, assorti de modulations pour tenir compte des cas particuliers que vous avez indiqués.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade.
Mme Florence Lassarade. Selon le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, en 2014, 14 % de la population métropolitaine, soit 8,6 millions de personnes, vivait au-dessous du seuil de pauvreté. Le taux de pauvreté des enfants est sensiblement supérieur à celui de l’ensemble de la population, puisqu’il atteint presque 20 %. Aujourd’hui, en France, 2,8 millions d’enfants vivent en situation de pauvreté. Deux types de famille sont particulièrement concernés : les familles monoparentales et les familles nombreuses.
Cette situation est d’autant plus grave que les taux de pauvreté sont mesurés après prise en compte de l’ensemble des aides. Cela signifie que notre système de prestations sociales reste insuffisant dans certaines configurations familiales et doit être renforcé.
L’enfant d’une famille pauvre aura plus de difficultés qu’un autre à s’insérer à l’âge adulte et risque davantage de se retrouver dans une position socialement disqualifiée. Lutter contre les conséquences de la pauvreté pour les enfants est donc particulièrement important.
Actuellement, quatre types de prestations concourent à la baisse de la pauvreté.
Les prestations familiales contribuent fortement à améliorer le revenu disponible des familles, surtout celui des familles monoparentales ayant trois ou quatre enfants.
Concernant les aides au logement, on observe une augmentation du nombre de familles et d’enfants sans domicile, et environ 10 000 enfants vivent dans des bidonvilles. Les familles hébergées à l’hôtel connaissent également de nombreuses difficultés. Les enfants, en particulier, souffrent des conditions de vie insalubres, de la promiscuité et du ballottage d’hôtel en hôtel, qui rend leur scolarisation difficile, voire impossible.
Enfin, le RSA et la prime d’activité restent malheureusement insuffisants pour les familles en situation de pauvreté.
La situation des familles pauvres est complexe, mais elle est particulièrement révoltante dans un pays aussi riche que le nôtre. Madame la secrétaire d’État, quelles solutions alternatives le Gouvernement envisage-t-il de proposer, en matière de prestations sociales, pour cibler précisément les familles pauvres et répondre à leurs besoins ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur l’action du Gouvernement en faveur des enfants et des familles les plus pauvres.
Les enfants sont particulièrement touchés par la pauvreté, et c’est inacceptable ; on compte 3 millions d’enfants pauvres sur notre territoire.
La stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté que nous avons lancée dès 2018 et dont nous poursuivons la mise en œuvre avec les départements et l’ensemble des acteurs concernés a permis de financer des actions et des mesures de bon sens.
Concernant les enfants qui vivent dans des squats ou des bidonvilles, nous mettons en place des maraudes mixtes avec les départements pour aller à la rencontre des familles concernées et nous avons mis des moyens financiers supplémentaires à disposition du budget du logement pour prévenir l’apparition des bidonvilles et trouver des solutions de logement durable pour ces familles.
Nous créons en outre 400 points conseil budget pour prévenir le surendettement et l’enclenchement d’une spirale vicieuse susceptible d’entraîner vers la pauvreté des ménages qui n’étaient pas particulièrement en difficulté à l’origine. Ces points conseil budget sont donc des lieux de prévention du surendettement et d’accompagnement des familles.
Enfin, nous soutenons les collectivités territoriales, notamment les 10 000 communes rurales qui perçoivent la dotation de solidarité rurale, pour le financement des cantines. Si ces communes mettent en place une tarification sociale adaptée, avec un premier tarif de cantine de 1 euro pour certaines familles, l’État leur verse 2 euros par repas. Pour un enfant, déjeuner à la cantine, au-delà du temps collectif et récréatif passé avec ses camarades, cela signifie bénéficier d’un repas équilibré, un petit-déjeuner pouvant aussi être proposé gratuitement. En outre, ne pas avoir à s’occuper de leur enfant à l’heure du déjeuner peut permettre aux parents de mener une démarche de recherche d’emploi ou d’insertion.
Nous travaillons également sur la question du mode de garde, l’objectif étant de combattre les inégalités de destin sur tous les fronts.
M. le président. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique.
Mme Florence Lassarade. Madame la secrétaire d’État, je comprends bien qu’assurer aux enfants de familles pauvres quatre repas à 1 euro représente un progrès intéressant, mais il y a bien plus de quatre repas dans une semaine ! À mon sens, il faut cibler spécifiquement l’enfant plutôt que de faire du saupoudrage et de la démagogie.
Il me semble important, à cet égard, de prendre conscience que, malgré toutes les prestations et toutes les aides, nous sommes particulièrement mauvais, dans notre pays, en matière de traitement de la pauvreté de l’enfant.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Sur l’initiative du groupe Les Républicains, nous débattons cet après-midi de la politique familiale, une question que nous avons déjà évoquée ces dernières semaines, dans le cadre de l’examen du projet de loi bioéthique. Plus précisément, nous avons traité des différentes formes de famille : les familles ne prennent pas nécessairement la forme traditionnelle d’un couple hétérosexuel entouré de ses enfants.
Comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, une famille est une construction sociale, qui reflète les grandes étapes de nos vies, avec leurs bonheurs, par exemple les naissances, mais aussi la vie à deux sans enfants, comme leurs malheurs et leurs tristesses, celles des disparitions et des séparations.
Il ne nous appartient pas de fixer des normes ni de juger quelle forme de famille est la plus appropriée. Nous devons, en revanche, porter notre attention sur les inégalités sociales qui continuent de frapper plus durement les familles monoparentales.
L’Union nationale des associations familiales (UNAF) a récemment démontré qu’avoir des enfants a un coût non négligeable. Le niveau de vie d’une famille monoparentale est, en moyenne, inférieur de 30 % à celui d’un couple avec un enfant. Dans une famille monoparentale où l’adulte est au chômage, les enfants connaissent la pauvreté dans 79 % des cas ; au reste, le chômage est parfois induit par la charge familiale elle-même et les contraintes qui l’accompagnent.
L’enjeu, en matière de lutte contre les inégalités, est d’améliorer l’articulation entre vie professionnelle et vie de famille. Or, le 24 janvier dernier, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne se sont accordés sur le contenu d’une future directive proposée par la Commission européenne pour favoriser l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents. Madame la secrétaire d’État, quelles sont les ambitions de la France au regard de la transposition de cette directive ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, la directive sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, entrée en vigueur le 1er août dernier, doit maintenant être transposée par les États membres. Nous serons bien évidemment au rendez-vous pour la transposer dans le délai imparti de trois ans.
Grâce à la législation actuelle, nous remplissons déjà les objectifs fixés par la directive en matière de congé de paternité et de congé parental.
S’agissant du congé pour les aidants, le Gouvernement mène, dans le cadre de la stratégie Agir pour les aidants, une action très volontariste, qui va au-delà des exigences de la directive. Ainsi, dès le mois d’octobre prochain, un congé de proche aidant rémunéré de trois mois pourra être octroyé à tous les salariés, travailleurs indépendants, fonctionnaires et demandeurs d’emploi indemnisés ; le montant de l’allocation sera fixé au niveau de l’allocation journalière de présence parentale, soit, actuellement, 43 euros par jour pour une personne vivant en couple et 52 euros par jour pour une personne seule. Au total, tous les salariés ont droit à un an de congé de proche aidant au cours de leur carrière.
La possibilité d’adapter le travail à la suite d’une maternité ou d’une paternité, comme le prévoit la directive, existe également. Le congé parental est un droit, tout comme la reprise de travail à temps partiel. Nous étudierons, sur le fondement des travaux et des recommandations de la commission des 1 000 premiers jours de l’enfant, les possibilités d’aller plus loin, s’agissant notamment du congé parental.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bernard Bonne. La politique familiale est souvent conçue comme une aide aux familles. C’est une erreur d’analyse. À la vérité, elle a pour but de répartir les dépenses d’investissement dans la jeunesse entre tous les Français, ceux qui ont plus d’enfants que la moyenne et ceux qui en ont moins ou n’en ont pas.
De fait, les personnes qui mettent des enfants au monde, les élèvent et les entretiennent rendent service à la Nation. Sans procréation ni éducation, notre pays se trouverait, en quelques décennies, dépourvu des travailleurs nécessaires pour que son économie fonctionne et que les personnes âgées perçoivent de quoi vivre.
Lors de la présentation du projet de loi sur la réforme des retraites, le Premier ministre a affirmé vouloir défendre les familles, en particulier les familles nombreuses. Or les mères de famille qui prennent des congés parentaux pour élever leurs enfants seront pénalisées par le nouveau système de la retraite par points, calculée sur l’ensemble de la carrière. Concrètement, elles devront travailler plus longtemps pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Madame la secrétaire d’État, l’éducation des enfants est un travail d’une importance à ce point capitale qu’elle nécessiterait l’octroi d’un congé suffisamment long et intégralement indemnisé, sans préjudice des droits à retraite. Vous le savez, on ne peut pas bâtir un système de retraite solide sans une natalité dynamique. Alfred Sauvy l’a bien expliqué : « Nous ne préparons pas nos pensions de retraite par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants. »
Dès lors, entendez-vous corriger la profonde injustice qui serait faite aux femmes prenant un congé parental si le projet de réforme des retraites restait en l’état ? Elles ne doivent pas être les perdantes de cette réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, nous avons prévu, dans le projet de loi de réforme des retraites, une majoration de points de 5 % par enfant dès le premier, ainsi qu’une majoration supplémentaire de 2 % dès le troisième enfant, soit une majoration totale de 17 % ou de 22 % pour trois et quatre enfants respectivement.
Nous avons décidé d’amender ce dispositif pour garantir à la mère, qui porte l’enfant et prend un congé de maternité, une majoration minimale de ses points. Concrètement, la moitié de la majoration prévue, soit 2,5 %, sera attribuée d’office à la mère, au titre du congé de maternité ; l’autre moitié lui sera attribuée automatiquement, sauf avis contraire des parents exprimé avant les 4,5 ans de l’enfant.
Par ailleurs, nous travaillons avec l’ensemble des parlementaires sur des amendements visant à introduire un montant plancher garanti, défini par décret ; les majorations ne pourraient être calculées sur un montant inférieur, afin que les familles, en premier lieu les mamans, ne soient pas pénalisées, conformément à l’esprit de la réforme.
M. le président. La parole est à M. Bernard Bonne, pour la réplique.
M. Bernard Bonne. On verra bien si, avec le nouveau mode de calcul, les mères ne perdent pas en matière de droits à retraite. Pour ma part, je crains néanmoins que la réforme ne favorise pas la natalité, de nombreuses femmes s’inquiétant des conséquences sur leur pension de retraite d’une maternité et du temps consacré à leur enfant au détriment de leur carrière. S’occuper de ses enfants jusqu’à un âge relativement avancé est capital pour l’évolution de ceux-ci ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. L’avenir d’un enfant se joue dès le plus jeune âge : s’il est bien pris en charge, il deviendra un bon citoyen.
De nombreuses crèches ont cessé leur activité dans les outre-mer, en particulier en Guadeloupe, du fait de la mise en place de la prestation de service unique (PSU) et des nouvelles normes. Pourtant, la promotion de la socialisation et de la mixité sociale commence au sein de ces structures. Actuellement, la plupart des enfants sont pris en charge par des assistantes maternelles, même si quelques crèches ont résisté ; des microcrèches existent aussi, qui proposent quelques places, mais à des tarifs hors de portée de la plupart des familles.
Voilà un an et demi déjà, j’avais interpellé la précédente ministre de la santé sur la non-prise en compte de ces problématiques et sur la nécessité d’innover et d’assurer un traitement différencié de nos territoires, notamment dans le domaine de la parentalité.
Il est urgent de se préoccuper de la prise en charge périscolaire et de la pédopsychiatrie, mais aussi de mettre l’accent sur les services aux familles, comme l’accompagnement des jeunes décrocheurs. Il convient également de valoriser les contrats enfance-jeunesse et de renforcer la protection judiciaire de la jeunesse, afin d’anticiper les phénomènes de violence. Il est nécessaire et urgent d’adapter les moyens aux situations pour favoriser le mieux-vivre ensemble et de faire converger les actions relatives aux 1 000 premiers jours après la naissance pour offrir un avenir meilleur aux enfants, aux familles et, de façon générale, à la société.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Victoire Jasmin. Madame la secrétaire d’État, que comptez-vous faire dans cette perspective ? Je pense en particulier à l’éducation nationale, qui connaît des fermetures de postes.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, tout l’objectif de notre stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté est d’attaquer les inégalités de destin à la racine, dès le plus jeune âge.
J’ai déjà parlé de la liberté de choix du mode de garde, collectif ou individuel. Nous accompagnons les collectivités territoriales pour qu’elles puissent développer leurs crèches, via une nouvelle tarification du système collectif comportant des bonus inclusion handicap, territoires et mixité sociale – autant de moyens supplémentaires au service de l’ouverture de places là où les besoins sont importants, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les zones rurales, y compris outre-mer.
Un enfant ayant été accueilli en crèche ou pris en charge par une assistante maternelle maîtrise à son arrivée en CP, à 6 ans, 1 000 mots de plus qu’un enfant n’ayant pas eu la chance de bénéficier d’un tel accompagnement ; ces 1 000 mots, un trésor pour les premiers, sont parfois un mur pour les seconds. Parce que ce constat est inacceptable, nous développons les modes d’accueil pour combattre les inégalités de destin. Pour cela, en plus de la modification tarifaire dont j’ai parlé, nous avons dispensé les parents d’avancer les frais, grâce au Pajemploi+.
Pour ce qui est de l’éducation nationale, je rappelle que l’obligation d’accompagnement et de formation des 16-18 ans entrera en vigueur le 1er septembre prochain. En d’autres termes, tout jeune en situation de décrochage scolaire devra être accompagné, notamment par les missions locales, en liaison avec l’éducation nationale. Il s’agit d’éviter que ces jeunes ne deviennent invisibles, se retrouvent seuls chez eux et, à l’âge adulte, ne puissent pas s’insérer dans la société.
Voilà, madame la sénatrice, toute l’ambition qui anime notre stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté !
M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Vivette Lopez. Ce débat remet opportunément la politique familiale au cœur des discussions. Je ne saurais cacher ma satisfaction…
J’ai dit « opportunément », parce que la France, il faut bien le reconnaître, après avoir pu se targuer, à une époque, d’une politique familiale parmi les meilleures d’Europe, ne manifeste plus d’ambition en la matière. Pourtant, nous n’avons jamais eu autant besoin de nous appuyer sur la famille !
La famille, que fait-on pour elle ? On la malmène ! Les chiffres, édifiants, en témoignent, qui montrent une baisse record des naissances l’an dernier et une paupérisation de la plupart des familles.
À cet égard, je voudrais attirer plus particulièrement votre attention sur les mères de famille monoparentale, grandes oubliées selon moi de la politique familiale. J’estime qu’elles sont en droit d’attendre une retraite décente comme juste reconnaissance de la Nation. Je n’oublie pas non plus la situation des familles d’outre-mer.
Comment ne pas s’étonner que l’on promette à ces femmes une retraite minimale de 1 000 euros pour une carrière complète, alors que, justement, 40 % des femmes n’effectuent pas une carrière complète ? Chacun sait que de très nombreuses carrières féminines sont interrompues par des naissances, comportent des périodes de travail à temps partiel et de chômage.
Deux points forts du système actuel vont disparaître.
En premier lieu, les mères perdront le bénéfice des huit trimestres de cotisation supplémentaires par enfant, dès le premier enfant : comment et à quelle hauteur cette perte sera-t-elle compensée dans le calcul des points ? Pour l’instant, la question reste en suspens, et je m’en inquiète.
En second lieu, la majoration de 10 % de la pension à partir du troisième enfant, qui profitait à chaque parent, va disparaître. Les parents de trois enfants et plus pourraient donc voir leur pension baisser.
Madame la secrétaire d’État, reconnaître le temps et l’argent que les familles investissent pour leurs enfants me paraît être la garantie de ne pas scier la branche sur laquelle repose le financement des retraites, à savoir le renouvellement des générations. C’est une évidence, à l’instar de l’importance du rôle joué par les mères de famille pour le maintien de notre système de retraite. Comment comptez-vous garantir à celles-ci une pension de retraite décente, qui ne baisse pas ? Investir dans la famille, c’est investir dans l’avenir : puisse cette maxime guider vos pas ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, il n’est pas vrai que le Gouvernement ne fait rien pour les familles monoparentales. Au contraire : ces familles, qui n’avaient jusqu’à présent jamais été prises en compte dans nos politiques familiales, c’est nous qui les y avons incluses, notamment avec la création du service assurant le recouvrement des pensions alimentaires et l’augmentation du complément mode de garde. (Protestations sur les travées du groupe SOCR.) Je reconnais que l’Aripa a été créée en janvier 2017.
Mme Corinne Féret. Certes !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État. Nous sommes allés plus loin, avec la garantie de versement de la pension alimentaire et l’augmentation du complément mode de garde. Par ailleurs, ce sont les familles monoparentales qui bénéficient le plus de la prime d’activité : leur taux de pauvreté a baissé de 0,9 point.
Les familles monoparentales sont désormais pleinement prises en compte. Ces familles du XXIe siècle, qui représentent 23 % de l’ensemble des familles de France, doivent nous conduire à faire évoluer nos politiques pour bien tenir compte de leurs spécificités.
S’agissant des retraites, j’ajoute que les familles monoparentales subissent un préjudice de carrière plus grand encore du fait de leur isolement. Les personnes qui élèvent seules leurs enfants doivent être davantage soutenues. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que les bénéficiaires de l’allocation de soutien familial, versée lorsque le conjoint n’est pas présent pour élever l’enfant, aient droit à une majoration de leurs droits familiaux. Ainsi, dans le nouveau système de retraite, des points supplémentaires seront attribués aux femmes qui élèvent seules leur enfant.
Par ailleurs, le partage des points de majoration ne sera plus possible en cas de condamnation pour violences conjugales : c’est le conjoint victime – qui peut aussi être un homme – qui bénéficiera de tous les points de majoration.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Le groupe Les Républicains a eu raison d’inscrire à notre ordre du jour ce débat sur la politique familiale. En effet, les familles jouent un rôle fondamental pour structurer notre société. La famille est la cellule sociale de base, le lieu de la transmission des valeurs et de l’éducation.
Les familles demandent à l’État d’instaurer une fiscalité plus juste, progressive et transparente ; elles aspirent à une vie décente, sans peur du lendemain. C’est vrai particulièrement des familles habitant en zones rurales ou périurbaines.
Or, depuis 2012, la politique familiale est fortement mise à mal : baisse du quotient familial, modulation des allocations familiales en fonction des revenus, réduction des montants de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant. À revenus identiques, une famille avec enfants ne devrait pas voir son niveau de vie baisser par rapport à une famille qui n’en a pas !
C’est pourtant bien ce que prévoit le nouveau système de retraite par points. L’Institut de la protection sociale chiffre la perte à 750 euros par an pour une mère d’un enfant gagnant 15 000 euros par an et ayant cotisé 152 trimestres, et à 1 633 euros par an pour une mère de deux enfants.
Les femmes seront donc pénalisées financièrement deux fois : pendant leur activité, à cause d’une politique familiale qui les désavantage, puis une fois à la retraite, avec la suppression des trimestres de cotisation supplémentaires.
Madame la secrétaire d’État, les familles ont besoin d’être rassurées. Quels gages leur donnez-vous dans le cadre du projet de loi de réforme des retraites ? Plus largement, je m’interroge : où est passée la fameuse grande cause du quinquennat annoncée par le Président de la République, la promotion de l’égalité femmes-hommes ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je ne répéterai pas les propos que j’ai déjà tenus sur le principe d’universalité. De fait, chaque famille bénéficie de la solidarité nationale, en fonction de sa situation et de ses besoins. Cela passe aussi par la branche famille : on en parle assez peu, mais les caisses d’allocations familiales et de la Mutualité sociale agricole disposent de fonds d’action sociale qui sont à la main des organisations syndicales et patronales. Elles peuvent aussi octroyer différentes aides et mener des politiques adaptées aux besoins spécifiques des territoires.
Vous n’avez de cesse d’affirmer le contraire, mais, je le redis, les femmes et les familles seront les grandes gagnantes du nouveau système de retraites que nous entendons construire avec le Parlement. En effet, nous leur garantissons des bonifications et des points supplémentaires. Aujourd’hui, nombre de femmes connaissent des carrières hachées, parce qu’elles se sont arrêtées de travailler pour garder leurs enfants ; or cela n’est pas pris en compte pour le calcul de leur retraite et le système actuel les oblige à travailler jusqu’à 67 ans. Avec le nouveau système, ces femmes s’arrêteront de travailler trois ou quatre ans plus tôt : c’est un progrès important en termes d’accès aux droits et d’équité.
Enfin, leurs pensions de retraite augmenteront plus que celles des hommes, à hauteur de 10 % pour la génération des années 1990. Cette redistribution accrue entre les hommes et les femmes est rendue possible grâce au minimum contributif, à la valorisation des carrières incomplètes et à la fixation d’un âge d’équilibre beaucoup plus favorable.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la secrétaire d’État, faire de la politique familiale une variable d’ajustement financier est une erreur. Les familles ont besoin de stabilité. Une bonne politique familiale doit soutenir de manière équitable toutes les familles qui ont des enfants, en compensant partiellement leur perte de revenus, favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et permettre l’accès des femmes à l’emploi. C’est la position que nous défendrons lors du débat sur la réforme des retraites. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Nicole Duranton. Madame la secrétaire d’État, je remercie ma collègue Pascale Gruny d’avoir pris l’initiative de ce débat important.
Aujourd’hui, en France, 18 % des enfants sont élevés par un seul de leurs parents, la mère dans 85 % des cas. Ce sont 2,8 millions d’enfants qui se trouvent en situation précaire.
La famille monoparentale est une réalité en constante expansion. On comptait 9 % de familles monoparentales en 1975, contre 25 % aujourd’hui. Tandis que 55 % de ces situations étaient dues au veuvage en 1962, cela n’est plus vrai que dans à peine 6 % des cas aujourd’hui. Dans mon département, l’Eure, l’Insee a recensé entre 2009 et 2013 14 647 familles monoparentales pour 65 000 couples, soit 18,4 %, ce taux pouvant atteindre 27 % à Paris !
La politique familiale française s’est construite sur une base nataliste. Le décret de 1938 créait une prime pour la mère au foyer, la maternité étant perçue comme incompatible avec la tenue d’un emploi. Depuis, les femmes étant entrées massivement sur le marché du travail dans les années 1960, la notion de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est née, mais sa mise en œuvre concrète tarde encore à porter pleinement ses fruits. Les familles monoparentales sont deux fois moins souvent propriétaires de leur logement et deux fois plus touchées par le chômage que les autres.
Certes, 83 % des femmes mères de famille monoparentale travaillent, mais elles occupent souvent des emplois précaires, à temps partiel, parfois avec des horaires très difficiles. Pour ces parents, concilier vie familiale et vie professionnelle est donc un objectif essentiel. La politique familiale doit les aider à élever leurs enfants dignement, à faire face aux charges financières qu’entraînent la naissance et l’éducation de ceux-ci.
Dans cette perspective, au-delà des prestations financières pouvant être accordées, il faut surtout augmenter le nombre de structures de garde, comme les crèches à vocation d’insertion professionnelle.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour faire sortir ces familles monoparentales de la précarité, notamment en facilitant l’accès à l’emploi pour les parents et surtout la garde des enfants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d’État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, les familles monoparentales ne sont effectivement plus une exception : elles représentent désormais près d’un quart des familles.
Le meilleur moyen de sortir de la pauvreté, c’est bien d’accéder à l’emploi. Or on estime qu’entre 150 000 et 160 000 parents refusent un emploi faute de solution pour faire garder leurs enfants.
Que faisons-nous pour remédier à cette situation ? Je l’ai rappelé, nous avons augmenté le complément mode de garde pour les familles monoparentales. Vous avez évoqué les crèches à vocation d’insertion professionnelle (AVIP), dont 20 % des places sont réservées en priorité aux parents engagés dans une démarche d’insertion, de recherche d’emploi ou de formation. À la suite du travail accompli par Élisabeth Laithier sur l’attribution des places de crèche, il est prévu, dans le cadre de la stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté, de labelliser 300 crèches à vocation d’insertion professionnelle. Plus de 150 crèches l’ont déjà été.
La création d’un service unique d’information des parents sur les disponibilités en matière de modes de garde est également en cours. Pour l’heure, faire garder son enfant relève un peu du parcours du combattant : comment savoir s’il existe un relais assistantes maternelles (RAM) à proximité de son domicile ou de son lieu de travail ou si des places en crèche sont disponibles ? Certes, les services de la protection maternelle et infantile communiquent souvent une liste des assistantes maternelles, mais il faut les appeler l’une après l’autre et l’on finit parfois par renoncer.
Nous sommes donc allés plus loin, à la demande du Premier ministre. Dans le cadre de la mobilisation nationale pour l’emploi et la transition écologique, un groupe de travail spécifique s’est penché sur la levée des freins à l’emploi. Il s’est intéressé particulièrement à la problématique des modes de garde. Nous avons identifié, outre les crèches à vocation d’insertion professionnelle, des solutions innovantes. Ainsi, certaines associations proposent des modes de garde à domicile à horaires atypiques ou assurent le relais avec les écoles ou les structures de garde. Ce sont ces solutions que nous souhaitons financer par le biais de la convention d’objectifs et de gestion de la CNAF. Nous devons les mettre en place avec l’ensemble des acteurs, État, départements, EPCI et communes exerçant la compétence « enfance et petite enfance ». Seul, on ne peut rien ; tous ensemble, on peut trouver la solution !
Conclusion du débat
M. le président. Pour clore ce débat, la parole est à Mme Corinne Imbert, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Corinne Imbert, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme nous l’avons vu tout au long de ce débat, l’avenir de notre politique familiale est une question complexe ; la traiter est nécessaire et plus que jamais d’actualité. Je suis ravie que le groupe Les Républicains ait inscrit ce débat à l’ordre du jour de nos travaux.
Mes propos recouperont en partie ceux de ma collègue Pascale Gruny, dont c’est aujourd’hui l’anniversaire ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il n’aura échappé à personne, dans cet hémicycle, que la question du financement de la réforme des retraites est intrinsèquement liée à celle de la direction que nous souhaitons donner à notre politique familiale.
Historiquement, notre système de retraites repose sur un modèle de solidarité intergénérationnelle. La question de son financement est à mettre en parallèle avec les projections en matière de natalité pour les prochaines décennies. Si demain le nombre d’actifs n’était plus suffisant pour financer les retraites, nous glisserions nécessairement vers un système par capitalisation, contraire à notre tradition de répartition et aux valeurs de notre pays.
Or le texte présenté par le Gouvernement remet en cause certains droits familiaux, à savoir la majoration de durée d’assurance pour enfants (MDA), l’assurance vieillesse des parents au foyer ou encore la majoration de 10 % de la pension de retraite. Les femmes subiraient ainsi une double peine, la première pendant leur carrière professionnelle, la seconde une fois à la retraite.
Si la France a longtemps fait figure de bon élève en matière de natalité sur l’échiquier européen, il n’en est rien aujourd’hui et la situation se dégrade davantage chaque année. Nous nous éloignons progressivement du seuil de renouvellement de la population, qui se situe à 2,1 enfants par femme.
Comme mes collègues l’ont habilement rappelé lors de leurs interventions, les mesures prises lors du quinquennat précédent ont profondément affaibli les familles. Votre gouvernement a poursuivi dans cette direction, madame la secrétaire d’État, et a même amplifié la tendance au travers des projets de loi de financement de la sécurité sociale de 2019 et de 2020, en entérinant la sous-revalorisation de l’ensemble des prestations familiales à 0,3 %, alors que l’inflation s’établit aux alentours de 1 %.
M. Ladislas Poniatowski. Bien sûr !
Mme Corinne Imbert. Le Gouvernement nous opposera l’argument de l’équilibre des comptes de la branche famille, mais qu’en est-il de l’équilibre des familles ? Il existe des solutions ; nous sommes bien conscients du coût qu’engendrerait leur mise en œuvre, mais l’enjeu démographique est essentiel : c’est probablement l’un des grands défis du XXIe siècle pour notre pays.
Parmi les mesures envisageables figure le rehaussement du quotient familial à 3 000 euros. En effet, le rabotage orchestré sous la présidence de François Hollande, sous couvert de solidarité entre les ménages, a profondément affaibli les classes moyennes et a accentué les inégalités entre les familles. Où est l’universalité dont vous parlez, madame la secrétaire d’État ?
De la même manière, instaurer une majoration des points de retraite pour les personnes ayant élevé des enfants apparaît primordial. Il existe déjà des outils satisfaisants à cet égard. Toutefois, en raison de l’urgence de la situation et de l’apport considérable que constitue le renouvellement des générations, il serait judicieux de valoriser le rôle des parents, qui élèvent souvent leurs enfants au détriment de leur carrière professionnelle.
Pascale Gruny l’a rappelé : depuis le mois de janvier 2015, la prime à la naissance n’est perçue qu’au deuxième mois suivant la naissance de l’enfant. Ce décalage complique la vie des familles, qui ont souvent à engager des dépenses liées à l’accueil de l’enfant. Il conviendrait, comme l’a proposé tout à l’heure ma collègue, de revenir à la pratique antérieure, à savoir verser cette prime au septième mois de la grossesse.
La question du nombre de places de crèche est également essentielle ; vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, à l’instar d’un certain nombre de nos collègues. Il est nécessaire d’assouplir la réglementation en matière de construction, afin de remédier à la pénurie de places. De plus, la convention d’objectifs et de gestion pour 2018-2022 conduit à une augmentation du reste à charge à la fois pour les familles et pour les collectivités, qu’il s’agisse des communes ou des intercommunalités. Il serait préférable, a minima, de maintenir la participation de la branche famille au niveau de la convention d’objectifs et de gestion pour 2012-2017, plus à l’avantage des familles.
La mise en place de la prestation partagée d’éducation de l’enfant n’a pas eu les effets escomptés : manque de lisibilité, aide qui ne favorise pas toujours les deux parents, montant lissé, mais bien souvent trop peu élevé… Il serait préférable d’opter pour un congé parental plus court et mieux rémunéré.
Ces constats d’ordre économique ne doivent pas être considérés comme les seuls facteurs d’explication de la baisse de la natalité dans notre pays. Bien évidemment, l’évolution de notre société et des mœurs, le passage d’une société des individus à une société de l’individu sont autant d’éléments d’explication qu’il ne faudrait pas négliger.
Même si des incitations financières ne peuvent suffire, à elles seules, à endiguer la baisse importante de la natalité en France – je rappelle que, dans certains départements, elle a dépassé 10 % –, nous devons réaffirmer combien la famille est et doit rester la première pierre de la solidarité dans notre pays.
« Parce qu’un homme sans mémoire est un homme sans vie, un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir », a dit le maréchal Foch. Je ne voudrais pas que la France, devenue une nation sans peuple, ne soit plus qu’un lointain souvenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique familiale.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
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Irresponsabilité pénale
Débat organisé à la demande du groupe Union Centriste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Union Centriste, sur l’irresponsabilité pénale.
Dans le débat, la parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le débat qui nous réunit aujourd’hui à la demande du groupe Union Centriste, dans le cadre de la semaine de contrôle, est important et rendu nécessaire par la multiplication des actes de terrorisme, qui semblent bousculer notre droit de la responsabilité.
Il s’agit d’un débat d’opportunité, madame la garde des sceaux, et non d’un débat opportuniste. Je ne vous cache pas que cela me fait penser à la formule de Robert Badinter, qui disait qu’il ne faut toucher à la Constitution que « d’une main tremblante », tant cela implique des domaines différents.
Je le dis d’emblée : il n’est pas question de revenir sur le principe d’irresponsabilité pénale lui-même. Juger des individus qui n’auraient pas conscience de leurs actes serait évidemment une pure barbarie et une négation des principes républicains. L’irresponsabilité pénale est un garant du respect des libertés individuelles. Comme l’affirme l’ancien procureur Bilger, « parfois, bien juger, c’est ne pas juger ».
Depuis 2014, je travaille sur les questions de radicalisation. La question des discours extrêmes et violents s’applique évidemment aussi à l’extrême droite – suprématie blanche, etc. Je sais que le traitement de nombre d’auteurs de ces attentats relève aujourd’hui plutôt de la psychiatrie que de la prison ; malheureusement, c’est ainsi.
Dans un État de droit, l’équilibre entre sécurité et liberté est un débat probablement aussi ancien que le droit pénal. Des personnalités de différentes tendances politiques et de tous horizons font le constat de cette tendance à considérer les auteurs d’actes terroristes islamiques comme des déséquilibrés.
L’avocat Gilles-William Goldnadel, avec lequel j’ai par ailleurs de nombreux désaccords, le confirme ; il exprime le problème en ces termes : « Une tendance lourde du personnel médiatique et politique occidental des dernières années est de psychiatriser le terrorisme islamique ».
Plus sérieusement, ou en tout cas de façon plus constante, selon le « quasi-lanceur d’alerte » en matière de djihadisme, plus particulièrement de djihadisme français, le journaliste David Thomson, « appréhender uniquement le djihadisme sous le prisme d’une pathologie mentale ou d’un enrôlement sectaire vise à permettre aux autorités de nier la rationalité de l’engagement individualiste, politique et religieux qu’il représente indéniablement auprès des acteurs concernés. Mais cette réalité est plus dérangeante à admettre politiquement. »
Il poursuit : « Les djihadistes sont loin d’être tous fous ; ils ne sont pas non plus tous idiots, même s’il peut être tentant et rassurant de le croire. »
Cette position est aussi partagée par l’avocate générale près la cour d’appel de Paris, chef du service de l’action publique antiterroriste et atteinte à la sûreté de l’État, qui explique que la psychiatrisation du terrorisme « offre un système de défense aux terroristes, à leurs avocats et à leur famille ».
Ainsi, réduire les terroristes islamiques à de simples déséquilibrés mentaux revient à banaliser le chemin de leur impunité.
Olivier Roy explique quant à lui : « En fait, s’il est vain de s’interroger sur la folie des terroristes, il est clair que la construction narrative de Daech peut fasciner des gens fragiles, souffrant de vrais problèmes psychiatriques, ce qui fut peut-être le cas du tueur de Nice ».
Par ailleurs, peut-on décemment admettre qu’un acteur s’intoxiquant lui-même pour commettre un crime soit considéré comme irresponsable pénalement, alors qu’il a lui-même provoqué l’état d’ébriété dans lequel il se trouve ? Metz, Villejuif, Nice : les exemples récents abondent. L’auteur de l’assassinat de Sarah Halimi a quant à lui été considéré comme antisémite, mais comme non responsable !
La multiplication des agressions, dont les niveaux de violence sont variables, est source d’interrogations. Les actes d’un colloque intitulé « Terrorisme, psychiatrie et justice », qui s’est tenu en décembre 2018 à l’Institut pour la justice, sont tout à fait intéressants. Pour ne rien vous cacher, je m’en suis inspirée, l’improvisation sur ce type de sujet étant risquée.
Je me suis également inspirée d’une chronique extrêmement récente de Fiona Conan et Clément Brossard, parue au Dalloz le 10 février dernier – il vaut toujours mieux citer ses sources…
En France, la jurisprudence tendait à reconnaître la responsabilité pénale de celui qui s’était lui-même mis en état d’ébriété, conformément à l’article 64 et à l’article 122-1 du code pénal.
L’abolition du discernement au moment des faits exonère la personne de sa responsabilité pénale, alors que le trouble mental partiel est une cause d’atténuation de la responsabilité pénale. Le trouble doit en toute hypothèse être prouvé : il n’existe pas de présomption d’irresponsabilité ou d’atténuation de responsabilité.
En raison de la difficulté pour les juges de constater eux-mêmes le trouble, une expertise psychiatrique est souvent ordonnée par la juridiction d’instruction ou de jugement. Cette expertise psychiatrique est d’ailleurs obligatoire en matière criminelle.
Dans un arrêt du 13 février 2018, la Cour de cassation avait renvoyé le mis en examen devant la cour d’assises, en relevant notamment que « la consommation importante de stupéfiants ne doit pas s’analyser comme une cause d’abolition du discernement, mais, au contraire, comme une circonstance aggravante ».
C’est tout de même logique : le code de la route prévoit des circonstances aggravantes. Pourquoi n’en existerait-il pas dans le code pénal ?
Quant à la recherche volontaire d’ébriété, qu’elle soit provoquée par l’alcool ou par des substances stupéfiantes, elle ne peut être une cause d’exonération de responsabilité, même si l’intéressé commet une infraction non préméditée, qu’il n’aurait en toute hypothèse pas commise s’il avait été dans un état normal.
De multiples études montrent que nombreux sont ceux qui s’intoxiquent volontairement, afin de se donner du courage pour procéder à leur acte délictueux. Ce cas est prévu par la loi ; cette intoxication vaut préméditation. Mais où placer le curseur ? Où se trouve la frontière entre, d’une part, l’irresponsabilité pour cause d’intoxication et, d’autre part, la cause aggravante de responsabilité ? Telle est la question qui nous est posée.
Depuis la loi de 2008, lorsque le juge d’instruction considère qu’il y a irresponsabilité pénale, l’instruction peut se clore devant la chambre de l’instruction. Notre excellent collègue Roger Karoutchi,…
M. Roger Karoutchi. Et même excellentissime collègue ! (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. … notre excellentissime collègue Roger Karoutchi, en effet, vient de déposer une proposition de loi visant précisément à modifier cette procédure.
La sensibilité de ces procès devrait empêcher les auteurs des faits d’échapper aux assises. Un débat public fouillé, la recherche et les auditions d’une cour d’assises permettent à la famille, madame la garde des sceaux, de mieux comprendre les faits et, évidemment, de faire son deuil.
La question est de savoir qui doit trancher l’irresponsabilité pénale : des magistrats professionnels ou un jury populaire ? Il y a là un angle mort dans nos dispositifs. J’ai moi-même déposé une proposition de loi visant à modifier l’article 122-1 du code pénal, laquelle est évidemment très bien complétée par celle de Roger Karoutchi.
Nous pensons, madame la garde des sceaux, au droit des familles. Tout le monde a conscience qu’il est difficile de revoir le dispositif du code pénal, surtout dans les circonstances actuelles, sachant en outre que la psychiatrie en est un peu le maillon faible. Une mission d’information sur ce sujet est d’ailleurs en cours au Sénat.
Je me suis penchée sur ce qui se fait à l’étranger. En Italie, les cas d’exclusion ou de diminution de responsabilité renvoient tous à l’altération totale ou partielle de la capacité de comprendre ou de vouloir de leur auteur.
Il convient de relever que, parmi les facteurs spécifiques d’irresponsabilité, outre les pathologies mentales, l’intoxication ponctuelle ou chronique par consommation d’alcool ou de stupéfiants est largement évoquée dans cinq articles du code pénal. L’auteur, qui savait, ou aurait dû savoir, que sa consommation causerait une altération de ses facultés est jugé responsable. De plus, si l’ébriété a été arrangée sciemment aux fins de commettre un délit ou de se procurer une excuse, la peine est augmentée.
La même disposition s’applique en Allemagne. Le code allemand ne prévoit pas de dispositions spécifiques : c’est la jurisprudence qui a élaboré un dispositif pour conserver la responsabilité de l’auteur commettant un acte délictueux dans un cas d’intoxication dont il souhaitait ou pouvait prévoir les conséquences néfastes et qui n’a pris aucune mesure pour empêcher sa survenue.
Madame la garde des sceaux, il faut traiter ce sujet extrêmement délicat avec discernement. Le travail effectué par les pénalistes, les psychiatres et les parlementaires montre que notre dispositif de responsabilité présente une faille, qu’il y manque un maillon.
Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude. On ne peut volontairement commettre un acte délictueux en étant volontairement sous l’emprise de stupéfiants ou de l’alcool et se servir de cet état d’ébriété comme d’une excuse en arguant qu’on n’avait pas conscience de l’acte commis.
Madame la garde des sceaux, je conclurai en pensant aux victimes : combler cette faille les aiderait à faire leur deuil. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’irresponsabilité pénale est un sujet qui promet un débat passionnant. Le concept est simple : certaines personnes ont bel et bien commis une infraction, mais elles échappent à la sanction pénale. Ainsi, nous comptons parmi nos concitoyens des coupables irresponsables, dont l’absence de punition a été inscrite dans la loi.
Le cas du meurtrier de Sarah Halimi a suscité beaucoup d’interrogations et, parfois, d’incompréhensions sur la question de l’irresponsabilité pénale des personnes atteintes d’un trouble mental au moment où les faits sont commis. Deux de nos collègues ont ainsi récemment déposé des propositions de loi tendant à réviser le régime qui s’applique à tout trouble psychiatrique.
Comment rester sourd à la douleur des victimes ? Comment supporter que des coupables puissent échapper à la justice ?
La responsabilité pénale est la règle. Nous sommes tous personnellement responsables de nos actes. Lorsque quelqu’un enfreint volontairement la loi, il doit être puni. Il y a cependant des circonstances qui font exception à cette règle.
C’est le cas lorsque celui qui a commis l’infraction a agi conformément à la loi, ou lorsque son action a été dictée par la nécessité ou par la légitime défense. C’est aussi le cas lorsque l’auteur a été contraint de commettre le délit sous la menace d’une arme, par exemple, ou encore lorsque l’auteur est trop jeune pour être doué de discernement. Et c’est encore le cas lorsque l’auteur est atteint, au moment des faits au moins, d’un trouble mental qui abolit son discernement.
L’exception qu’est l’irresponsabilité pénale doit être interprétée, comme toutes les exceptions, de la manière la plus stricte. Pour qu’elle soit retenue, la réunion des conditions nécessaires doit être soigneusement vérifiée. Et c’est le juge judiciaire, magistrat indépendant et impartial, qui décide de son application, éclairé au besoin par les observations d’experts du domaine concerné.
N’est pas déclaré irresponsable qui veut. Il ne suffit pas de s’enivrer pour instrumentaliser ensuite son ivresse et la faire valoir en guise de défense. Cela fait longtemps que la prise de stupéfiants ou d’alcool constitue une circonstance aggravante de l’infraction qui en découlerait.
Il en va de même pour celui qui, se sachant épileptique, décide de prendre sa voiture et provoque un accident. Les juges ne sont pas dupes de ceux qui se placent délibérément dans des circonstances de nature à abolir leur discernement.
L’irresponsabilité pénale n’est ni un sauf-conduit ni une faveur que l’on accorde à l’accusé. C’est une exigence de justice : une même action n’a pas le même sens quand elle est commise par un malade mental ou quand elle l’est par une personne saine d’esprit. Punir un malade mental comme on punirait une personne saine d’esprit n’est pas juste.
Sans discernement, il n’y a pas d’intention, donc pas de remise en cause des lois établies par la puissance publique. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de préjudice ou qu’il n’y a pas de faute. Cela signifie que la réponse à apporter n’est pas de nature pénale.
La peine est la sanction infligée par la puissance publique à l’individu ayant volontairement enfreint la loi qui protège la société. L’élément intentionnel de l’infraction et le discernement qui en est le support nécessaire sont donc essentiels à la sanction pénale. La punition ne se justifie pas lorsque l’intention n’existe pas.
L’absence de responsabilité pénale ne fait cependant pas obstacle à la responsabilité civile. Celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation, comme le prévoit l’article 414-3 du code civil.
L’action civile tend à compenser au mieux le préjudice subi par la victime. Trop souvent, cette réparation ne peut être qu’imparfaite, car le passé ne saurait être changé. Rien ne peut effacer la douleur causée par la perte d’un être cher ; ses proches devront désormais vivre avec le poids de son absence.
Il nous faut cependant tenter d’atténuer au mieux cette douleur en indemnisant le plus justement possible la victime. Il est de notre devoir de veiller à ce que cette réparation puisse avoir lieu, même en cas d’insolvabilité de l’auteur de l’infraction.
Même s’il peut être difficile de l’entendre, il faut dire que le droit à réparation de la victime ne s’étend pas à la sanction pénale du coupable.
L’article 130-1 du code pénal prévoit que la peine a pour fonctions de sanctionner l’auteur de l’infraction et de favoriser sa réinsertion, et ce afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime.
L’action pénale est menée par le ministère public au nom et pour le bénéfice de l’État. Elle oppose l’État, garant des intérêts de la société, d’une part, et l’auteur de l’infraction, d’autre part.
Si « on ne juge pas les fous », que faut-il en faire quand ils sont dangereux ? L’irresponsabilité pénale ne fait pas obstacle au prononcé de mesures de sûreté. Ceux qui ont été affectés par un trouble mental qui les a conduits à s’en prendre à autrui doivent être soignés, pour leur propre bien et pour celui de tous les autres membres de la société.
Le rôle de l’État consiste notamment à assurer la protection de la société. Cette protection passe parfois par des sanctions pénales, parfois par des mesures de santé.
Notre rôle de législateur est d’œuvrer en faveur de l’intérêt général. Nous devons veiller à ce que la loi garantisse la sécurité et la justice, sans céder à l’illusion que nous pourrions éliminer le mal de notre société.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains.
Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’irresponsabilité pénale des malades mentaux, héritée du droit romain, est un principe fondamental du droit pénal et des droits de la défense.
Parce qu’un magistrat n’est pas médecin, l’avis d’un expert est le plus souvent requis pour déterminer le degré de responsabilité de l’individu ayant commis une infraction. Néanmoins, entre altération et discernement, les frontières sont bien fragiles, et les expertises sont loin de reposer sur une science exacte.
La porosité entre troubles psychiatriques et délinquance est importante et, dans bien des cas, des soins en milieu fermé seraient plus salutaires que l’enfermement, tel qu’il est conçu dans nos prisons.
En 2006, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’alarmait du nombre grandissant de malades mentaux en prison et indiquait : « On assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison. »
Plus de 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques, 7,3 % souffrant de schizophrénie, 7 % de paranoïa. Huit détenus sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs, parmi lesquels la dépression, à hauteur de 40 %, l’anxiété généralisée, à hauteur de 33 %, ou la névrose traumatique, à hauteur de 20 %. Le taux de pathologies psychiatriques est vingt fois plus élevé en prison que dans la population générale.
Il y aurait beaucoup à dire – et à faire surtout ! –, notamment sur les aménagements nécessaires des établissements pénitentiaires, sur le nombre de médecins dans le personnel, etc. Le budget des prisons est évidemment en jeu aussi.
L’objectif de réinsertion est à l’évidence largement compromis par l’ensemble de ces carences.
Il y aurait malheureusement beaucoup à dire aussi sur les faibles moyens alloués au secteur de la psychiatrie dans notre pays et sur la véritable misère hospitalière et humaine qui en résulte.
La frontière entre altération et abolition du discernement est fragile, les expertises médicales n’aboutissent pas toujours aux mêmes conclusions et, face aux circonstances de l’espèce, seul le juge est habilité à trancher. La victime, elle, se trouve à côté, impuissante et muette, pour ainsi dire effacée.
L’affaire dite « de Pau » avait déjà conduit le législateur à faire un premier pas en direction de la victime.
Aujourd’hui, comme en 2007, une affaire particulièrement odieuse suscite des interrogations. Une vieille dame a été assassinée par son jeune voisin sous l’emprise de psychotropes aux cris d’« Allahou akbar ». Son délire est devenu paroxystique à la vue d’objets religieux appartenant à la victime. Après de longs débats, l’acte est qualifié d’antisémite.
Plusieurs expertises ont mis en évidence la relation entre la prise volontaire de stupéfiants et la bouffée délirante qui l’a amenée au meurtre. Sept experts sur huit ont conclu à l’abolition du discernement ; un seul a distingué : « En dépit de la réalité indiscutable du trouble aliénant, l’abolition du discernement ne peut être retenue du fait de la prise consciente et volontaire de cannabis en très grande quantité. Il s’agit d’une appréciation légale constante. » Il a alors proposé de retenir l’altération du discernement, laquelle aurait conduit le prévenu devant la juridiction de jugement.
Jusqu’alors, la jurisprudence avait été constante dans ce sens – un acte délictueux n’avait encore jamais été considéré comme la possible exonération d’un crime. Cette jurisprudence paraît d’autant plus logique que le droit tout entier va dans ce sens. Emprise alcoolique ou toxicologique au volant sont des infractions autonomes et des circonstances aggravantes. Au civil, le principe est bien connu : nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.
Peut-être le dossier contenait-il d’autres éléments qui sont inconnus du grand public, mais ils auraient alors mérité d’être développés devant la juridiction de jugement, pour ne pas susciter ce terrible sentiment d’horreur et d’injustice qui a secoué la famille de la victime, mais aussi la République tout entière.
Ma collègue Nathalie Goulet a déposé une proposition de loi visant à modifier l’article 122-1 du code pénal. Je l’ai cosignée.
L’affaire dite « de Pau » avait permis une prise de conscience salutaire pour les victimes. La loi du 25 février 2008 a prévu que l’irresponsabilité pénale peut être déclarée lors d’une audience devant la chambre de l’instruction, en présence de l’auteur présumé et des parties civiles, ou devant la juridiction de jugement si la question de l’irresponsabilité pénale n’a pas été soulevée en amont ou retenue par le juge d’instruction. C’était un premier pas.
La justice ne peut être considérée comme telle si elle ne présente pas de garanties d’équilibre dans la considération des parties en présence.
Dans les cas d’irresponsabilité pénale, la victime, quelle que soit la gravité des actes qu’elle a subis, y compris d’ailleurs lorsqu’ils présentent un caractère de gravité, se trouve cantonnée à une position de repli quasi honteuse. L’acte est effacé face à la société. La loi de 2008 ne lui a pas permis d’occuper la place qui lui revient de droit, celle, naturelle, de partie civile à un procès pénal.
Ainsi, quelque 68 % des décisions d’irresponsabilité surviennent lors de la phase présentencielle. Si on ajoute à ces données les affaires ayant été classées sans suite sur le fondement de l’irresponsabilité pénale, il apparaît que le trouble mental est pris en compte avant la saisine des juridictions de jugement dans environ trois quarts des cas arrivant à la connaissance des autorités judiciaires.
Certes, l’auteur présumé des faits doit ne pas être privé des soins que son état nécessite. Mais l’irresponsabilité pénale qui était la sienne, ou peut-être pas, au moment des faits ne peut effacer le vécu de la victime, qui, comme toute victime, ni plus ni moins, doit avoir droit par un procès à la reconnaissance du drame qu’elle a vécu. La proposition de loi déposée par notre collègue Roger Karoutchi correspond à cet objectif.
Seule la juridiction de jugement serait apte à déclarer l’irresponsabilité pénale. En cas de crime, les jurés auraient à se prononcer sur la réalité des faits, le rôle de l’accusé et sa part de responsabilité, ou non, dans la commission de ceux-ci. J’ai aussi cosigné cette proposition de loi.
Qu’un délit ne puisse exonérer d’un crime découle de la cohérence même de notre droit. Et si des circonstances exceptionnelles existent, elles doivent être débattues lors d’un procès contradictoire et digne de ce nom. Qu’une personne reconnue irresponsable pénalement ne puisse être condamnée est un principe fondamental.
Toutefois, que toute victime puisse avoir accès à un procès est une nécessité de l’équité qui doit présider à tout jugement. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie le groupe UC, en particulier Nathalie Goulet, d’avoir demandé l’inscription de ce débat à l’ordre du jour de notre Haute Assemblée.
Je ne me fais pas beaucoup d’illusions, madame la garde des sceaux. Un débat, c’est bien. Mais même si j’obtenais, avec l’accord du président Bruno Retailleau, la possibilité de faire examiner ma proposition de loi dans une niche du groupe Les Républicains, ou si Mme Goulet parvenait à faire examiner la sienne dans une niche du groupe Union Centriste, le texte serait-il inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, où vous détenez la majorité absolue ? Seule votre décision vaudra.
Madame la garde des sceaux, je ne vais pas essayer de vous vendre ma proposition de loi ou celle de Nathalie Goulet. Simplement, j’ai bien entendu le Président de la République. J’ai bien entendu des magistrats. Et j’ai entendu bien des représentants d’associations de victimes. Il y a le droit. Il y a les conventions internationales. Il y a les règles de droit. Et, au-delà de la justice, dans son apparat, dans ses traditions ou dans son exécution, il y a simplement ce qui est juste.
Entendez les exemples qui ont été fournis. Aujourd’hui, on dit aux familles ou aux proches des victimes qu’il n’y a aucun doute sur l’identité de l’assassin de leur mère ou de leur sœur, ni sur le fait qu’il l’a torturée ou jetée par la fenêtre, et que la chambre d’instruction reconnaît totalement le caractère antisémite du crime, mais qu’il n’y aura pas de procès !
Comment voulez-vous que des personnes qui le voudraient pourtant puissent avoir confiance en la République, quand elles ont le sentiment que ce qui est juste n’est pas ce qui fait justice ? Comment voulez-vous que, dans un pays démocratique, elles ne se demandent pas pourquoi elles n’ont pas droit à un procès en bonne et due forme pour faire leur deuil ?
J’appartenais au gouvernement en 2008 ; j’aurais donc du mal à contester les réflexions de l’époque. Mais il y a aujourd’hui une multiplication des actes antisémites, des actes terroristes et des actes de délinquance, très souvent sous l’effet de drogues, d’alcool, de substances en tout genre. Et l’on nous dit que l’irresponsabilité pénale doit rester à la chambre d’instruction et qu’il ne faut pas de procès public.
Madame la garde des sceaux, dans une société de plus en plus violente, dénoncée comme telle par le Gouvernement et par le Président de la République, le droit doit évoluer. La société doit être protégée. Les familles doivent être protégées. Les proches des victimes doivent être protégés et représentés. Personne ne comprendra que la justice refuse aux victimes ou à leurs proches un procès au nom de l’irresponsabilité liée à tel ou tel événement.
Dans ce débat, certains journalistes ont l’air de dire que Nathalie Goulet ou Roger Karoutchi, qui sont par définition des monstres (Sourires sur les travées des groupes Les Républicains et UC.), veulent une condamnation même en cas d’irresponsabilité.
Toutefois, ce n’est pas du tout ce que nous disons : ce n’est pas une condamnation que nous demandons. Nous souhaitons qu’il y ait un procès public. Si, à l’issue de celui-ci, les magistrats considèrent qu’il n’y a pas lieu de prononcer une peine et décident de faire enfermer la personne en établissement psychiatrique plutôt qu’en cellule, nul ne le contestera ; les magistrats seront dans leur rôle. La justice doit être rendue selon des critères objectifs, de manière indépendante.
Convenons-en, si nous voulons rendre aux citoyens leur confiance dans la justice, il faut qu’ils puissent se dire que, face à la multiplication des drames, il y aura des procès publics et que tout ne se règlera pas entre spécialistes, sans que l’opinion publique soit prise à témoin.
La justice doit aussi être exemplaire, à l’égard de l’ensemble de l’opinion publique et pour tous les citoyens. À ce titre, nous avons besoin qu’il y ait des procès publics, quelle que soit la décision finale des magistrats, quand bien même ils reconnaîtraient l’irresponsabilité de la personne et décideraient de ne pas lui infliger de peine.
Madame la garde des sceaux, nous ne vous demandons pas de changer l’ordre du monde ; nous vous demandons simplement de rendre justice aux familles. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, Mme Goulet a eu raison de citer Robert Badinter, qui disait qu’il ne fallait traiter de certains sujets qu’avec « une main tremblante ».
En effet, c’est un sujet très difficile. Depuis des décennies, on en débat, on y travaille. Il n’y a pas de réponse simpliste à la question qui nous est posée, même si chacun comprend l’émotion liée au drame de l’assassinat de Mme Halimi – elle est très vive, et nous la partageons évidemment.
Selon nous, il ne serait pas inutile d’instituer au Sénat une mission d’information longue, avec de nombreuses auditions, pour avancer sur ce sujet complexe.
Bien entendu, nous sommes très attachés au respect de l’indépendance de la justice. Vous connaissez les déclarations qui ont été faites au plus haut niveau. Et vous n’ignorez pas la réponse succincte, mais lapidaire, apportée par la présidence et par le procureur général près la Cour de cassation.
Madame la garde des sceaux, pour nous, il ne saurait être question de mettre en cause l’indépendance de la justice. J’ajoute cependant que les décisions de la justice peuvent interroger dans une société humaine comme la nôtre.
Ainsi que cela a déjà été observé par plusieurs d’entre vous, mes chers collègues, le fait que la justice déclare dans le même arrêt qu’il y a antisémitisme et qu’il y a irresponsabilité pose incontestablement problème : s’il y a acte antisémite, il y a bien conscience et volonté de le faire. Cela peut effectivement apparaître contradictoire avec la notion même d’irresponsabilité.
M. Roger Karoutchi. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous devons le souligner ici, au moment où nous parlons de ce sujet difficile.
Deux propositions de loi ont été déposées.
Cela a été rappelé, Mme Goulet souhaite modifier l’article 122-1 du code pénal, pour indiquer que les dispositions de cet article « ne s’appliquent pas lorsque l’état de l’auteur résulte de ses propres agissements ». En l’état, le code pénal ne distingue effectivement pas la cause endogène ou exogène de l’abolition du discernement. Il y a là une idée qui mérite certainement d’être étudiée.
Toutefois, les travaux des experts font valoir que l’abolition ou la perte du discernement ne semblent pas pouvoir être imputés mécaniquement et automatiquement au recours habituel par l’intéressé, à savoir l’auteur de l’assassinat, de certains stupéfiants. Le juge prend et prendra nécessairement ces circonstances en compte au moment de prononcer un jugement sur la notion d’irresponsabilité.
La proposition de loi de Roger Karoutchi nous paraît plus problématique. En effet, dans son exposé des motifs, elle vise le droit au procès pour les victimes et le droit de savoir la vérité.
Dans une tribune parue le 10 février dernier, Mme Laure Heinich, avocate, se demande de quelle manière un fou pourrait bien concourir à la vérité. Elle rappelle qu’hospitalisé en psychiatrie l’auteur du crime est « passé par de nombreux autres épisodes délirants ». Elle ajoute : « Qu’aurait apporté son procès sans débat possible ? Le droit pour les victimes d’être mises en présence d’un fou ? Les victimes souffrent très logiquement de ne pas pouvoir obtenir la vérité, pourquoi faire croire que le jugement d’un homme incapable de s’exprimer pourrait les y aider ? »
Relisons les débats qui ont eu lieu en Norvège sur le cas Breivik. Il y a eu un long procès public, mais il a été impossible d’en tirer une conclusion quelconque, hormis le fait que l’intéressé a été heureusement mis hors d’état de nuire.
M. Roger Karoutchi. Pas vraiment…
M. Jean-Pierre Sueur. La proposition de Roger Karoutchi mérite bien entendu toute l’attention.
Simplement, il nous semble – on peut en débattre – que la loi de 2008 apporte une réponse importante. Vous le savez, cette loi, issue de l’affaire de Pau, a mis en place un nouveau système : si le juge d’instruction estime être face à une personne privée de discernement au moment des faits, il en informe les parties et le procureur, qui peuvent demander un débat public.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas un procès public !
M. Jean-Pierre Sueur. Les parties ont ainsi la possibilité de demander un débat public. Dans ce cas, il y a un procès public devant la chambre de l’instruction, qui est composée de magistrats. Une audience contradictoire – j’insiste sur ce point – et publique est alors organisée. La personne mise en examen comparaît si son état le permet, et un avocat l’assiste obligatoirement. Les experts psychiatres sont entendus, et des témoins peuvent être convoqués.
Si personne ne demande ce débat public, il n’y a alors pas de doute sur les troubles mentaux de la personne mise en examen. Et s’il n’y a pas de demande d’indemnisation, le juge d’instruction peut rendre une ordonnance d’irresponsabilité pénale.
Si, au contraire, une audience a lieu et que la chambre de l’instruction estime que les conditions sont réunies, elle prend un arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Nous avons longuement discuté ici de ce dispositif, qui constitue un progrès considérable.
Madame la garde des sceaux, je voulais vous interroger sur un élément. Les parties pourraient être puissamment attachées à une garantie qui est apportée : le débat est public. Toutefois, du fait de certaines restrictions, le juge peut, dans certains cas, décider que le débat n’est pas public. Je me demande s’il ne serait pas utile de revenir sur ce point, afin que le débat soit public dans pratiquement tous les cas.
Ce que nous demandons, c’est qu’il y ait un procès public sur l’irresponsabilité. S’il est trop largement possible de dire que ce n’est pas public, cela change évidemment les choses.
Dans sa tribune, Mme Heinich s’exprime en ces termes : « Si Kobili Traore » – c’est le nom du coupable – « était condamné, il le serait par une peine réduite en raison de l’altération de son discernement. C’est ce que prévoit la loi. Et cela ferait scandale tout autant que son irresponsabilité. »
Elle ajoute : « Aujourd’hui enfermé en hôpital psychiatrique, Kobili Traore ne pourra sortir que sur décision conforme de deux psychiatres, établissant qu’il n’est plus dangereux ni pour lui ni pour nous. Ce régime est largement aussi strict que le régime carcéral et bien plus protecteur en termes de sécurité publique, puisqu’il y est soigné. » Je ne pense donc pas que l’on puisse dire que le fait d’être en prison présente plus de garanties. Les conditions de sécurité sont bien entendu très importantes dans un hôpital psychiatrique.
Pour finir, il y a certainement des progrès à faire. Nous proposons que le Sénat y contribue par un travail long. Mais, de toute manière, mes chers collègues, il faudra faire appel à des experts qui feront des expertises diverses, qui sont des êtres humains et qui font œuvre humaine. Et la justice sera rendue en leur intime conviction par des magistrats qui sont des êtres humains et qui feront au mieux en cette qualité. C’est incontournable au sein de notre République ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, en 1810, notre droit reconnaissait le principe d’irresponsabilité pénale pour les personnes atteintes de démence. Puis, 183 ans plus tard, en 1993, la loi définissait ce principe par l’article 122-1 du code pénal, en ces termes : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »
Ainsi, une stricte distinction théorique est établie entre l’abolition du discernement et l’altération du discernement ou l’entrave au contrôle de ses actes. Dans le premier cas, cela se traduit par la reconnaissance d’une irresponsabilité pénale pour l’auteur d’un crime ou d’un délit. Dans le second cas d’altération, la responsabilité pénale peut-être engagée, avec une adaptation des peines prononcées par le juge.
En effet, en France, si l’esprit des Lumières consacre l’individu comme son arbitre suprême, il reconnaît que certaines forces peuvent altérer son libre arbitre. Comment effectivement demander des comptes à une personne alors qu’elle n’est pas dans notre même réalité ? Comment concourir à la vérité si sa volonté a été altérée ?
En France, on ne condamne pas la démence, et le contraire serait inhumain. Mais, régulièrement, les décisions de justice heurtent le peuple et ce qui paraît à ce dernier être de bon sens. Dans la tragédie de l’affaire Sarah Halimi et de la décision de la cour d’appel de Paris relative à Kobili Traore, l’opinion publique exprime même une incompréhension morale.
Or la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental visait justement à renforcer le droit des victimes, mais aussi des parties civiles, pour qu’au cours de cette procédure particulière, un effet de catharsis puisse s’opérer.
Ainsi, depuis 2008, le vocable a changé : on ne parle plus de « relaxe », « d’acquittement » ou de « non-lieu », mais bien « d’ordonnance d’irresponsabilité pénale ».
Dans le même temps, les victimes et leurs familles ont la possibilité de demander une audience devant la chambre d’instruction, où témoins et experts psychiatriques sont convoqués pour être entendus. Lorsque son état le permet, la personne mise en examen peut aussi assister, avec son avocat, à la déclaration de son irresponsabilité pénale.
Si cette audience a pu avoir lieu pour la famille de Mme Halimi, différents rassemblements populaires, à Paris, à Marseille ou ailleurs, continuent de réclamer « justice ». Et c’est non pas la clause de non-imputabilité tirée du trouble mental qui est remise en cause dans la rue, mais l’expertise psychiatrique qui a concouru à cette décision.
Il me paraît pourtant important de rappeler aujourd’hui, à l’occasion de ce débat, que le nombre de décisions d’irresponsabilité pénale est en forte diminution. Si la morale est sauve pour plusieurs observateurs, malheureusement, un grand nombre de personnes souffrant de troubles psychiques sont envoyées en prison plutôt qu’en hôpital psychiatrique, sans soins appropriés et sans réelle efficacité.
Le résultat est criant : un quart de la population carcérale présente des troubles psychotiques, et le taux de pathologies psychiatriques est de quatre à cinq fois plus élevé dans nos prisons que dans la population générale en France, selon l’Observatoire international des prisons.
Prison ou soins, telle semble être l’alternative, alors que les deux pourraient être utilement combinés, notamment dans des établissements adaptés, comme à Cadillac, en Gironde. Mais il faudrait prévoir pour cela un plan massif d’investissement.
Pour compléter les nombreux travaux parlementaires menés sur la question de l’irresponsabilité pénale, notamment le rapport d’information Prison et troubles mentaux, signé en mai 2010 par nos anciens collègues Mme Demontès et MM. Barbier, Lecerf et Michel, les commissions des lois et des affaires sociales ont souhaité confier à mon collègue Jean-Pierre Sol et moi-même la conduite d’une mission d’information sur l’expertise psychiatrique en matière pénale.
Aujourd’hui, l’expertise psychiatrique est le facteur déterminant dans la décision du juge de reconnaître ou non la responsabilité pénale d’une personne mise en cause. L’expertise psychiatrique joue le rôle de régulateur, ou plutôt d’arbitre, entre hôpital et prison. Il peut certainement y avoir meilleur arbitrage, meilleure articulation, meilleure prise en compte des attentes de chaque partie.
C’est pourquoi je profite de ce débat pour rappeler notre travail sénatorial partagé, qui en est actuellement au stade des auditions.
Mes chers collègues, la mission d’information vous fera des propositions concrètes et documentées dans le courant du mois de juin. En attendant, nous nourrirons nos travaux de ce débat utile que nous propose le groupe Union Centriste, plus précisément Nathalie Goulet, que je tiens à saluer tout particulièrement à cette tribune. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et UC.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, ce débat sur l’irresponsabilité pénale, dont le groupe Union Centriste est à l’origine – je remercie nos collègues, notamment Nathalie Goulet, de leur initiative –, nous fait remonter à la mise en mouvement de l’action publique et de ce qui fonde notre droit pénal, compris comme le contrôle de la violence par la société, à l’inverse d’un schéma de réponse de vengeance privée.
J’aimerais avant toute chose délimiter les contours de ce débat, tels que je les perçois et les comprends, en tant que législateur, mais aussi, il est vrai, en tant qu’avocat.
Mon propos ne consistera ni à commenter ni à évaluer l’arrêt de la Cour d’appel de Paris sur l’irresponsabilité pénale de l’auteur du meurtre de notre concitoyenne Mme Attal-Halimi, et ce au nom de la séparation des pouvoirs que nous devons respecter, d’autant que la Cour de cassation a été saisie d’un pourvoi par les parties civiles et que la procédure est donc toujours en cours.
Mon propos de législateur tiendra, mes chers collègues, en deux points principaux.
Tout d’abord, je veux rappeler avec fermeté, en mon nom et au nom de mon groupe, la détermination qui est la nôtre à lutter contre les surgissements de l’antisémitisme, dont Mme Attal-Halimi a été la victime, et que nous ne pouvons tolérer, quelles qu’en soient les manifestations.
À ce titre, notre rôle dans ce débat consiste, me semble-t-il, à réfléchir, sans commenter ni évaluer les décisions souveraines des juges du fond, au cadre légal que nous posons et que nous estimons être le mieux à même de garantir un État de droit juste et protecteur.
Certains de nos collègues se sont d’ores et déjà saisis de cette réflexion, en déposant des propositions de loi pour réformer le régime de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
La manœuvre est périlleuse, car l’irresponsabilité pénale se fonde justement sur un équilibre entre, d’une part, les attentes des victimes, s’agissant notamment de la qualification des faits, et, d’autre part, le principe selon lequel on ne condamne pas pénalement, dans un État de droit, les personnes dont le discernement est aboli.
Nous devons, en tant que législateurs, garantir ce principe cardinal de notre droit issu du code Napoléon. Sa mise en œuvre ne peut en tout cas être fonction de l’infraction en cause : exclure de son application certains crimes, selon leur motif, contreviendrait au principe d’égalité devant la justice.
Aussi, l’idée selon laquelle il ne pourrait y avoir d’irresponsabilité pénale pour les ennemis de la République ne peut s’appliquer dans notre État de droit, et c’est bien cela qui fait sa force.
Nous parviendrons, je l’espère, à nous accorder sur ce point. Car, quelle que soit l’infraction commise, la question centrale est bien celle du discernement. Une chose est de qualifier une infraction, une autre est de l’imputer à son auteur. Et c’est bien pour faire coexister ces deux éléments distincts que le législateur est intervenu en 2008.
Le régime antérieur à cette réforme comportait en effet plusieurs écueils fondamentaux : il tendait à mêler, dans une même catégorie procédurale, les personnes dont l’innocence était établie et celles qui, bien qu’elles soient reconnues comme auteurs des faits, étaient déclarées irresponsables pénalement en raison d’un trouble mental.
Surtout, il donnait au juge d’instruction la faculté de prononcer un non-lieu en l’absence d’un véritable débat.
La force de la loi du 25 février 2008 est, à cet égard, de permettre que soit déclarée l’irresponsabilité pénale à l’issue d’une audience publique et contradictoire, Jean-Pierre Sueur et Nathalie Delattre l’ont rappelé, pendant laquelle toutes les parties s’expriment et où peut avoir lieu un débat sur la matérialité des faits.
Dans ce cadre, la chambre de l’instruction rend ainsi, le cas échéant, un « arrêt de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental », par lequel elle peut également affirmer qu’il existe des charges suffisantes contre la personne suspectée d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés.
C’est par cette procédure que les juges ont pu, tout en suivant l’avis de la majorité des experts psychiatres sur l’irresponsabilité de l’auteur des faits, qualifier le meurtre de Mme Attal-Halimi de crime antisémite, après que toutes les parties, notamment les parties civiles, eurent été entendues, dans le respect du contradictoire.
Ce régime légal apporte, je le crois, mes chers collègues, une garantie essentielle, en permettant de se soustraire à la formule lumineuse d’Albert Camus, selon laquelle « mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde ».
Faire tenir ensemble les droits de la défense et la juste qualification des faits, après un débat dans lequel les victimes ont une voix, constitue une réussite de notre État de droit.
Certaines questions continuent légitimement à se poser, et notre groupe l’entend. Je pense notamment à la délicate articulation entre la qualification d’un motif, par exemple antisémite, et la reconnaissance d’un discernement aboli.
Cette réflexion est inhérente au régime de la loi de 2008, qui permet, tout en retenant l’irresponsabilité pénale de l’auteur des faits, de qualifier l’infraction et de prendre en compte les facteurs aggravants, qui peuvent, comme pour l’antisémitisme, procéder de représentations haineuses.
Cependant, il est possible de penser que le discernement, d’une part, et la représentation qui favorise un passage à l’acte, d’autre part, ne sont pas nécessairement réductibles l’un à l’autre.
En tout état de cause, gardons à l’esprit que la Cour de cassation n’a pas encore statué sur le pourvoi dont elle a été saisie. Elle apportera nécessairement toutes les précisions juridiques sur les questions de droit qui lui ont été soumises par les parties civiles.
Dans ce contexte, légiférer semble périlleux sans interférer avec l’autorité judiciaire, alors qu’une procédure est en cours et que l’interprétation des juges n’a pas encore été confirmée par la plus haute juridiction.
Pour finir, le sujet de l’irresponsabilité pénale devrait être traité au travers d’une approche globale, prenant en compte deux autres aspects importants : d’une part, l’hospitalisation d’office, favorisée dans le cadre d’une déclaration d’irresponsabilité pénale par la loi de 2008 précitée, et qui constitue une vraie contrainte, d’autre part, la surreprésentation croissante en prison des personnes atteintes de troubles mentaux.
Certes, aucune corrélation ne saurait être établie entre l’introduction en 1992 d’une référence à l’altération du discernement, qui permet de condamner pénalement l’auteur des faits, et la hausse du nombre de détenus présentant des troubles psychiques.
Cependant, a contrario, cette nuance entre altération et abolition du discernement, qui permet de mieux prendre en compte la diversité des situations, ne s’est certainement pas accompagnée d’un mouvement de déresponsabilisation pénale.
La question dont nous débattons aujourd’hui est complexe. L’approche du législateur nous semble devoir être juridique, nuancée et globale. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et UC. – M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Lherbier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Brigitte Lherbier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, d’après l’article 122-1 du code pénal, « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
Le 4 avril 2017, Sarah Halimi est sauvagement assassinée à son domicile par un homme qui semblait présenter, d’après certains témoins, des troubles psychologiques.
Lors des deux ans qu’a duré l’instruction, pas moins de sept experts ont examiné le meurtrier. Ils ont tous considéré qu’il était victime, au moment des faits, d’une bouffée délirante aiguë liée à la consommation de cannabis.
Six de ces experts sont parvenus à la conclusion que son discernement était aboli lors des faits et qu’il ne pouvait, dès lors, être jugé.
Un seul de ces experts en a tiré une conclusion différente. À ses yeux, le discernement du prévenu n’était qu’altéré au moment des faits. Par ailleurs, sa prise « volontaire et régulière » de cannabis – dix à quinze joints par jour depuis ses 16 ans… – n’était pas de nature à le rendre irresponsable pénalement.
La cour d’appel, dans son arrêt, n’a pas tiré les mêmes conclusions. Le 19 décembre 2019, après deux ans de procédure, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris déclare le prévenu irresponsable pénalement. Cette décision a provoqué un émoi important.
Certains professionnels du monde de la justice se sont inquiétés, à juste titre, des dérives que pouvaient susciter de telles décisions. Certains sont allés plus loin, en considérant que l’on venait de créer un « permis de tuer » sous l’emprise du cannabis. Sans aller jusqu’à ces extrémités, il est vrai que la situation est inquiétante.
C’est d’autant plus vrai que nous vivons à une époque où se multiplient les crimes perpétrés par des fanatiques radicalisés dont le discernement est régulièrement remis en question.
Si les magistrats restent heureusement indépendants et libres dans leur jugement, le législateur peut réfléchir à apporter des limites.
Au-delà du risque de voir certains individus utiliser l’argument de l’irresponsabilité pénale pour éviter la tenue d’un procès, un danger plus profond menace notre société. Si la plupart des criminels finissent par être déclarés irresponsables pénalement, comment réagiront les familles et les proches des victimes qui n’auront pu obtenir ne serait-ce qu’un procès ? Elles n’auront plus confiance en notre système judiciaire. Ne risque-t-on pas de les voir se faire justice elles-mêmes ?
La justice est le ciment du contrat social qui lie chacun d’entre nous à la société. Sans elle, c’est l’ensauvagement garanti des rapports humains. Laissons ce ciment s’effriter, et c’est tout l’édifice qui risque de s’effondrer.
Certes, la France s’honore de ne pas juger les individus présentant des troubles mentaux qui abolissent leur discernement. Mais elle ne remplirait pas son rôle de protection de ses citoyens si elle laissait des criminels conscients de leurs actes échapper à leur jugement sous le prétexte qu’ils auraient consommé des stupéfiants.
La commission d’un délit, ici la consommation de stupéfiants, ne peut permette à l’auteur d’un crime d’échapper à des poursuites pénales. Fort heureusement, des initiatives parlementaires existent pour essayer de résorber ce problème.
Tel est l’objet de la proposition de loi de notre collègue Roger Karoutchi, qui vise à garantir la tenue d’un procès en cas de procédure d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et à étendre le droit d’appel pour ces décisions.
Cette initiative est selon moi pleine de bon sens et équilibrée, en ce qu’elle offre des garanties aux parties civiles, sans pour autant porter atteinte aux droits de la défense.
Il était grand temps que nous ayons ce débat, ô combien important pour nos concitoyens, et je tenais à remercier les membres du groupe Union Centriste de l’avoir rendu possible, notamment notre collègue Nathalie Goulet. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, comment déterminer la responsabilité pénale d’un criminel sous l’emprise de la drogue ?
Cette question juridique a naturellement suscité l’émoi et l’incompréhension.
L’émoi, tout d’abord, puisque ce débat fait suite à un crime particulièrement ignoble commis le 4 avril 2017. Sarah Halimi, une femme juive de 65 ans, mère de trois enfants, est agressée et tuée sauvagement par Kobili Traore, qui revendique avoir « tué le démon ».
Malgré l’évidence de ce crime et de son caractère antisémite, la question de la responsabilité pénale de l’auteur au regard de ses troubles mentaux et de sa consommation de cannabis a rapidement suscité le débat.
En effet, le procureur de la République avait demandé un renvoi du criminel devant les assises, en déclarant que « par son comportement volontaire de consommation de cannabis, Kobili Traore a directement contribué au déclenchement de sa bouffée délirante aiguë. Le fait qu’il n’ait pas souhaité être atteint de ce trouble et commettre les faits ne peut suffire à l’exempter de toute responsabilité ».
Malgré cela, le 12 juillet 2019, les magistrats instructeurs en charge de l’affaire ont estimé qu’il existait des raisons plausibles de penser que le discernement du suspect était aboli au moment des faits.
Le 19 décembre dernier, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris a confirmé l’irresponsabilité pénale du mis en examen, en précisant : « Aucun élément du dossier d’information n’indique que la consommation de cannabis par l’intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle bouffée délirante ». Dès lors, la Cour d’appel de Paris a refusé qu’un procès se tienne devant une cour d’assises.
L’incompréhension a frappé l’ensemble des Français suite à cette décision de justice, madame la garde des sceaux.
La question est la suivante : un criminel peut-il être exempté de toute responsabilité pénale au motif que son discernement serait aboli dès lors qu’il se trouve sous l’emprise de stupéfiants ? Cette question est d’autant plus problématique que, dans ce cas précis, deux collèges de trois experts ont estimé que le discernement de l’auteur avait été aboli au moment des faits.
Jacques Julliard, essayiste, historien et journaliste, a confié mieux que quiconque son désarroi à ce propos, y voyant une manifestation du malaise français. « Dans ma naïveté, dit-il, j’avais cru jusqu’ici que provoquer un accident de la route sous l’emprise de l’alcool était une circonstance aggravante. Je sais désormais qu’assassiner son semblable sous l’emprise de la drogue vous met à l’abri des poursuites judiciaires. Messieurs les experts, messieurs les juges, merci de la recette ! »
Effectivement, le sens commun le plus élémentaire a fait défaut. C’est pourquoi les deux propositions de loi de nos collègues Nathalie Goulet et Roger Karoutchi, déposées au Sénat, nous permettent de prolonger ce débat, d’apporter des réponses à cette question et de nous prémunir des conséquences de cette jurisprudence.
Je forme le vœu que le Gouvernement puisse également proposer une évolution de la législation en vigueur, afin d’encadrer véritablement la notion d’irresponsabilité pénale. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame Nathalie Goulet, vous avez souhaité aborder aujourd’hui une question difficile, celle du traitement judiciaire de l’irresponsabilité pénale, avec des approches qui ont été parfois différentes, mais toujours sensibles et convaincues. Je tiens à vous remercier de la qualité des interventions que j’ai entendues.
C’est un sujet qui m’interpelle tout particulièrement, en tant que garde des sceaux et en tant que citoyenne de notre République, et qui nécessite la plus grande attention.
Beaucoup parmi vous ont rappelé l’horreur du meurtre, le 4 avril 2017, de Lucie-Sarah Attal-Halimi, violemment frappée, puis défenestrée, parce qu’elle était juive, par un individu déséquilibré. Ce drame a profondément touché la communauté nationale.
Ces faits ne sont pas sans en rappeler d’autres, similaires. Je pense en particulier au meurtre de Sébastien Selam, un disc-jockey parisien sauvagement poignardé, lui aussi parce qu’il était de confession juive, en 2003, par un individu également déséquilibré. Madame Goulet, vous-même, ainsi que d’autres orateurs, avez aussi rappelé les meurtres commis plus récemment par des terroristes, notamment à Villejuif.
Ces actes intolérables sont en totale opposition avec les valeurs que notre société entend promouvoir. Ils mettent dangereusement en péril la cohésion sociale ; Mme la sénatrice Lherbier, comme d’autres, l’a souligné dans son intervention.
Ils nous rappellent par leur horreur l’importance du pacte républicain et la nécessité de garantir la protection de chacune et de chacun contre tout comportement haineux, quel qu’il soit, notamment lorsqu’il est en lien avec l’appartenance religieuse.
Certains de ces meurtres ont un dénominateur commun : à chaque fois, une procédure d’instruction complexe a été engagée, au cours de laquelle plusieurs experts se sont penchés sur la question du discernement des mis en cause au moment de la commission de leur forfait. À l’issue de cette procédure, ces derniers ont fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale en application de l’article 122-1 du code de procédure pénale.
Toutefois, même si, dans son arrêt rendu le 19 décembre dernier dans l’affaire du meurtre de Mme Attal-Halimi, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a déclaré l’auteur des faits pénalement irresponsable, les juges ont expressément reconnu qu’il existait des charges suffisantes contre lui d’avoir commis les faits de meurtre et ont constaté le caractère antisémite de celui-ci.
C’est un élément essentiel, qu’il convient de rappeler à tous ceux qui douteraient des motivations du meurtrier.
Par ailleurs, comme les articles 706-125 et 706-136 du code de procédure pénale le permettent depuis la réforme de 2008, la chambre de l’instruction a ordonné à cette occasion que l’auteur des faits soit hospitalisé d’office et soumis à des mesures de sûreté. Au titre de ces mesures de sûreté, l’auteur de l’acte fait désormais l’objet d’une interdiction de paraître dans l’immeuble où ont eu lieu les faits et d’une interdiction d’entrer en contact avec les parties civiles, pour une durée de vingt ans.
Madame Goulet, tout en rappelant l’horreur de ces agissements, vous avez esquissé le lien complexe qui peut exister entre la psychiatrie, les maladies psychotiques et les attentats terroristes qui y sont liés.
La procédure applicable aujourd’hui a été considérablement modifiée avec l’adoption de la loi du 25 février 2008, qui a prévu trois évolutions majeures, que je veux vous rappeler.
Cette loi a tout d’abord permis que la question de la responsabilité pénale de l’auteur des faits soit débattue publiquement et contradictoirement lors d’une audience dédiée devant la chambre de l’instruction.
Elle a ensuite permis que la justice puisse, malgré la déclaration d’irresponsabilité pénale de l’auteur, dire qu’il existe des charges suffisantes à son encontre d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés.
Elle a enfin permis, je le rappelais à l’instant, que des mesures de sûreté puissent être décidées par les juges à l’encontre de l’auteur des faits, afin de garantir la protection des victimes et de la société.
Avant la réforme de 2008, l’irresponsabilité pénale était simplement constatée par le juge d’instruction ou par les juridictions, qui rendaient des ordonnances de non-lieu, des jugements de relaxe ou des arrêts d’acquittement s’ils estimaient que le trouble psychique ou neuropsychique dont était atteint le suspect au moment des faits avait aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La souffrance des victimes et la réalité de la commission matérielle de l’infraction ne pouvaient alors pas être reconnues par la justice.
Ces décisions étaient insatisfaisantes et très mal comprises par les victimes et leurs familles, celles-ci ayant le sentiment que, pour la justice, le crime ou le délit n’avait, en réalité, pas eu lieu.
La loi de 2008 a donc trouvé un équilibre, comme le soulignait le sénateur Thani Mohamed Soilihi, en permettant aux juges de dire tout à la fois qu’une personne peut être pénalement irresponsable, mais qu’elle a bien matériellement commis les faits qui lui sont reprochés.
Elle a ainsi permis, je le répète, qu’un débat public et contradictoire puisse se tenir, en présence de l’ensemble des parties, débat au cours duquel la personne mise en examen et les experts l’ayant examinée durant la procédure sont entendus. C’est, comme l’a dit le sénateur Jean-Pierre Sueur, un progrès considérable.
À cet égard, monsieur Sueur, vous m’avez interrogée sur le caractère public de l’audience qui s’est tenue à l’occasion de l’affaire Attal-Halimi. Je confirme ici que c’est bien en audience publique et après un débat public que la décision a été rendue.
Lors de cette audience, les témoins peuvent également être entendus. Le procureur général, la personne mise en examen, les parties civiles, ainsi que leurs avocats respectifs peuvent poser des questions au mis en cause. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le débat a été assez long dans l’affaire que je viens d’évoquer, puisqu’il a duré, je crois, près de neuf heures.
À l’issue du débat, les juges de la chambre d’instruction prennent leur décision en toute indépendance, sans être tenus par les conclusions des expertises livrées devant eux. Lorsqu’ils estiment qu’il existe des charges suffisantes et que le mis en cause était atteint d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement au moment des faits, ils rendent un jugement ou un arrêt de « déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ».
Par cette décision, ils déclarent, j’y insiste, que la personne a bien commis les faits qui lui sont reprochés, mais ils constatent qu’elle ne peut faire l’objet d’une condamnation pénale. C’est exactement ce qui s’est passé avec la décision de la chambre de l’instruction rendue en décembre dernier dans l’affaire du meurtre de Mme Attal-Halimi.
Je sais que cette décision a suscité une grande émotion auprès de nos concitoyens. Vous avez été plusieurs ici à le rappeler ; je pense notamment à ce qu’a dit le sénateur Bonhomme avec ses propres mots.
Beaucoup ne comprennent pas comment l’absorption volontaire de cannabis par l’auteur des faits peut entraîner une déclaration d’irresponsabilité, rendant in fine le deuil impossible, comme l’écrit le sénateur Roger Karoutchi dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi.
Certains se demandent si, juridiquement, la personne qui se met dans un état mental abolissant son discernement ou le contrôle de ses actes en prenant volontairement de la drogue ou de l’alcool ne doit pas demeurer pénalement responsable. C’est le maillon manquant de notre procédure, pour reprendre les mots de Mme la sénatrice Nathalie Goulet.
Bien évidemment, il ne m’appartient pas, en tant que membre du Gouvernement, de me prononcer sur une décision de justice en vertu du principe de séparation des pouvoirs, qui est un principe cardinal de notre État de droit. De surcroît, il s’agit d’une affaire en cours, puisque, vous l’avez rappelé, les parties civiles ont formé un pourvoi en cassation.
Je m’abstiendrai donc de tout commentaire dans cette affaire. Il appartient désormais à la Cour de cassation d’apporter toutes les réponses juridiques nécessaires.
J’ai toutefois, comme vous tous, ressenti et entendu l’émotion suscitée, ainsi que le souhait de reconnaître la place des victimes. J’ai lu avec beaucoup d’attention et d’intérêt les deux propositions de loi déposées par M. Karoutchi, d’une part, et Mme Goulet, d’autre part. Je pourrais aussi mentionner des textes déposés à l’Assemblée nationale sur ce même sujet.
Je pense néanmoins qu’il serait sage, avant d’envisager de légiférer de nouveau sur cette question, d’attendre l’énoncé de la position de la Cour de cassation à la suite du pourvoi formé par les parties civiles dans l’affaire Attal-Halimi.
En toute hypothèse, il m’apparaît important de procéder à un bilan précis du dispositif créé par la loi de 2008, entrée en vigueur voilà maintenant douze ans. Cela permettrait d’en mesurer les limites, parfois évoquées, avant d’envisager éventuellement de nouvelles réformes législatives sur le plan procédural.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme l’écrivait Montesquieu, « il est parfois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare, et lorsqu’il arrive, il ne faut y toucher » – c’est une expression que j’ai entendue cet après-midi – « que d’une main tremblante ». La situation que nous évoquons est complexe et elle révèle une porosité, pour reprendre le mot de Mme Sophie Joissains, entre les troubles psychotiques et la délinquance. Le sujet est donc sensible et délicat.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, plutôt que de se précipiter, a souhaité constituer une commission de personnalités qualifiées, composée d’anciens parlementaires – je pense ici aux deux anciens présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Philippe Houilllon et Dominique Raimbourg –, de magistrats et d’experts psychiatres, afin de dresser un bilan précis de la procédure spécifique créée par la loi de 2008. La lettre de mission que je vais leur signer permettra également d’analyser l’état de la jurisprudence en matière de troubles résultant d’une intoxication volontaire.
Il sera également demandé à ce comité de sages d’envisager, le cas échéant, des propositions d’améliorations, législatives ou non. Ces propositions pourraient être formulées au regard notamment de ce qui se fait à l’étranger, en Europe et en Amérique du Nord.
Ainsi, le Gouvernement et la représentation nationale disposeront d’un diagnostic éclairé sur les éventuelles lacunes de notre droit, auxquelles il conviendrait le cas échéant de remédier, sans remettre en cause le principe essentiel de notre État de droit selon lequel « on ne juge pas les fous, on ne condamne pas la démence », comme l’a dit Mme la sénatrice Nathalie Delattre.
Votre débat, ainsi que la mission d’information du Sénat, aussi évoquée par Mme Delattre, contribuera à cette réflexion. Notre souci commun est bien, en effet, que la justice dise ce qui est juste. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et UC.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur l’irresponsabilité pénale.
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Risques naturels majeurs outre-mer
Débat organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sur les risques naturels majeurs outre-mer.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que les auteurs de la demande disposent d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, les auteurs de la demande disposent d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Guillaume Arnell, au nom de la délégation qui l’a demandé. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Guillaume Arnell, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre des outre-mer, monsieur le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, voilà un peu plus de deux ans maintenant, le 6 septembre 2017, le cyclone Irma, d’une violence inouïe, frappait les îles du nord de la Guadeloupe, Saint-Barthélemy et Saint Martin.
Alors que nos deux territoires se retrouvaient coupés du monde, l’Hexagone semblait soudain découvrir la puissance des cyclones, en même temps qu’il se souvenait que, au-delà des mers, il s’agissait bien d’îles françaises qui étaient dévastées. C’est en partie ce qui fait que nous sommes réunis pour ce débat aujourd’hui.
Après cette catastrophe, la délégation sénatoriale aux outre-mer s’était engagée dans un travail de longue durée sur les risques naturels majeurs outre-mer, convaincue que, face à l’ampleur exceptionnelle de ce phénomène, les pouvoirs publics se devaient de tirer collectivement des leçons ; convaincue, également, que les changements climatiques en cours ne feraient malheureusement que renforcer la présence de telles catastrophes naturelles dans l’actualité de nos territoires ; convaincue, enfin, que du traumatisme résultant de cet événement inédit devait émerger une prise de conscience collective pour l’avenir des outre-mer.
Je tiens ici à remercier le président du Sénat, M. Gérard Larcher, d’avoir soutenu cette démarche et de s’être engagé devant les élus ultramarins, lors du récent congrès des maires, à la tenue de ce débat dans l’hémicycle.
Durant deux années, j’ai eu l’honneur de coordonner les travaux de la délégation sur ce sujet. Je remercie son président, Michel Magras, de sa confiance, ainsi que les quatre rapporteurs avec qui j’ai travaillé : Mathieu Darnaud, Victoire Jasmin, Abdallah Hassani et Jean-François Rapin. Mes chers collègues, je sais votre engagement sur ce sujet et vous assure de tout le bonheur que j’ai eu à travailler à vos côtés.
Ce travail s’est conclu par la production de deux rapports et d’une centaine de recommandations. Loin d’un positionnement politique vain, la délégation a fait le choix de l’ouverture, de la construction, avec le Gouvernement comme avec les collectivités, mais aussi de l’exigence. Nous le devions aux territoires que nous représentons ici.
Le temps est maintenant à la transformation de ces constats et préconisations. C’est bien l’action qui doit être au cœur de notre débat aujourd’hui.
Madame la ministre, sur la prévention des risques, quels sont vos projets pour adapter le cadre des plans de prévention des risques naturels (PPRN) aux réalités insulaires ou littorales et aux impératifs de développement de nos territoires ? Il est crucial de les rendre davantage compréhensibles, mieux acceptés et donc plus efficaces. L’exemple de Saint-Martin, aujourd’hui, en est une difficile démonstration.
Sur la prévention, encore, quels moyens financiers le Gouvernement débloquera-t-il ? Va-t-on assouplir le recours au fonds Barnier ? Quid d’un réel fonds vert ? Quelle accélération du plan Séisme Antilles, alors que les situations de la Martinique et de la Guadeloupe sont encore si préoccupantes ?
Quelles mesures comptez-vous prendre pour accompagner nos collectivités, afin d’accroître la préparation de nos populations et de réduire leur vulnérabilité ?
Sur la gestion des crises, comment renforcer les moyens de sécurité civile et d’alerte des populations dans les territoires qui en manquent cruellement, comme Mayotte, et, surtout, Wallis-et-Futuna ?
Quelle approche renouvelée de gestion des risques cycloniques faut-il adopter, après le travail sur les niveaux d’alerte mené à La Réunion ? Quels fonds d’intervention mettre en place pour une action rapide après chaque crise ?
Quant à l’adaptation de nos territoires, quelles actions entreprendre pour accroître la résistance des réseaux, infrastructures vitales en cas d’aléa ? Que préconiser quant aux normes de construction, sujet sur lequel travaille la Nouvelle-Calédonie ?
Concernant la résilience de nos territoires, quels efforts mener en matière de recherche scientifique face au défi du nouveau volcan découvert au large de Mayotte, face aux besoins en houlographes et en radars ? De manière opérationnelle, quel appui apporter aux collectivités qui luttent contre les sargasses ?
Quelles mesures prendre face à l’érosion du trait de côte et aux risques littoraux que doivent affronter tous nos territoires, de la Guyane équatoriale jusqu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, dans l’Atlantique Nord ?
Quelles ambitions se fixer dans la lutte contre les changements climatiques qui menacent en particulier, de manière imminente, les îles de Polynésie française ?
Madame la ministre, le Président de la République a annoncé un projet de loi relatif aux risques naturels. J’espère que le projet du Gouvernement et les moyens accordés seront à la hauteur du défi que nous devons collectivement relever. Les quelques questions que je viens de poser montrent que, bien plus qu’un simple texte de loi, c’est un plan d’action qui s’impose.
Si la délégation sénatoriale aux outre-mer a demandé la tenue du présent débat en amont de ce projet, c’est bien pour éclairer le Sénat sur les enjeux qu’il portera.
C’est aussi pour vous montrer l’attente qui est la nôtre, madame la ministre, et pour vous dire que nous resterons vigilants, afin que ce sujet ne soit pas, comme c’est trop souvent le cas, malheureusement, l’occasion de grands discours, mais de peu de réalisations.
C’est encore pour souligner que l’action que nous appelons de nos vœux ne peut être que collective et appuyée sur nos territoires, leurs populations et les élus de nos collectivités.
C’est enfin – je le dis avec gravité – pour qu’aucun de nous n’oublie la puissance dévastatrice que nous avons connue.
Les séismes de 1839 et 1843 en Martinique et en Guadeloupe, les éruptions de la montagne Pelée, en 1902, et de la Soufrière, en 1976, les cyclones Hugo, en 1989, Luis, en 1995, Alan, en 1998, Dina, en 2004, Irma, en 2017, toutes ces catastrophes ont jalonné les histoires de nos territoires. Mais, si elles sont gravées dans la mémoire collective de nos populations, elles n’ont pas suscité à ce jour de réponse assez ambitieuse des pouvoirs publics pour réduire durablement la vulnérabilité des territoires ultramarins.
Madame la ministre, il est aujourd’hui de notre responsabilité à tous de bâtir, ensemble, la résilience des outre-mer. Je ne doute pas que ce débat sera riche et apportera des réponses concrètes aux préoccupations de nos concitoyens.
Enfin, comment ne pas saluer l’ensemble de nos collègues présents aujourd’hui dans cet hémicycle ? Je veux remercier tout particulièrement nos collègues de l’Hexagone, qui portent un intérêt de plus en plus affirmé aux questions ultramarines et aux outre-mer, grâce aux travaux de notre délégation. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les ouragans Irma et Maria nous ont tous marqués. Si ces cyclones ne peuvent être imputés directement au changement climatique, les scientifiques nous indiquent bien que les cyclones pourraient connaître, dans les années à venir, une violence accrue.
Nous devons mieux nous y préparer : Irma et Maria ont causé, en quelques heures, onze décès ; 95 % des bâtiments des territoires frappés ont été endommagés et 20 % complètement détruits. Les dommages ont été estimés par le secteur des assurances à près de 3 milliards d’euros pour les seuls biens assurés, soit le même montant que plusieurs jours de crue dans les bassins de la Seine et de la Loire au printemps 2016.
Il est donc indispensable de mener collectivement, dans la durée, les différentes actions qui nous permettront de face à ces risques naturels.
Il faut connaître et comprendre les risques de catastrophe, pour mieux les gérer, renforcer la gouvernance des risques, pour être plus efficace dans la préparation et l’action de gestion de crise, investir dans la prévention des risques de catastrophe, pour renforcer la résilience des populations et des territoires, enfin améliorer les savoirs et les savoir-faire, pour faire et reconstruire mieux.
C’est toute l’ambition de l’objectif « zéro vulnérabilité aux risques naturels », que je porte pour nos territoires à l’horizon 2030 dans le cadre de la trajectoire « outre-mer 5.0 » que vous connaissez déjà.
Cette ambition est d’autant plus indispensable outre-mer que les aléas existants y sont énormes ; les enjeux spécifiques de ces territoires, leur insularité et leur éloignement de l’Hexagone doivent également être pris en compte.
En matière d’aléas, les outre-mer font partie des territoires les plus exposés, car ils cumulent la quasi-intégralité des risques naturels, dont certains aléas particulièrement violents, tels que les cyclones et les séismes.
Les territoires ultramarins connaissent également des enjeux spécifiques : on peut notamment citer leur démographie en croissance forte, la concentration de leur développement économique sur les littoraux et la persistance de l’habitat informel.
Une autre spécificité forte des outre-mer, qu’il ne faut pas négliger, est la distance et l’insularité ; celles-ci doivent être prises en compte, en particulier dans la préparation de la gestion de crise et l’action post-aléa.
Face à ces enjeux et à ces spécificités, l’État n’a cessé de renforcer ses moyens humains et financiers au bénéfice des outre-mer.
Nous savons tous que n’importe quelle politique publique est construite par les hommes et les femmes qui la mettent en œuvre. Les moyens humains des directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) ont donc été renforcés, à hauteur de 20 % entre 2012 et 2020, pour appuyer les préfets dans la prévention des risques.
Le Président de la République a souhaité dynamiser la prévention et la gestion des risques ; c’est pourquoi a été créée, par un décret du 24 avril 2019, la délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer, qui a été confiée à M. Frédéric Mortier et s’est vu assigner des priorités d’action : préparer le projet de loi sur les risques majeurs ; renforcer la démarche d’amélioration de la connaissance, de la prévention et de la gestion du risque sismovolcanique à Mayotte ; dynamiser le plan Séisme Antilles ; renforcer le pilotage de la lutte contre les sargasses ; enfin, développer la culture du risque, en lançant une campagne d’information d’envergure.
Le fonds Barnier est mobilisable dans les départements et régions d’outre-mer, mais aussi dans d’autres collectivités ultramarines, selon leurs compétences. Il est de plus en plus utilisé aujourd’hui dans les territoires d’outre-mer. En 2019, près de 52 millions d’euros ont été mobilisés de la sorte.
Je rappelle que la loi de finances pour 2019 a également facilité le recours au fonds Barnier en permettant d’accompagner les collectivités territoriales pour des montants beaucoup plus élevés que les 50 % permis par la règle générale, quand il s’agit de financer la mise aux normes parasismiques des établissements scolaires, le confortement parasismique ou la reconstruction des bâtiments domaniaux utiles à la gestion de crise ; les plafonds des mesures de confortement des HLM et des services départementaux d’incendie et de secours ont également été assouplis.
Les actions mises en œuvre dans les territoires ultramarins s’appuient sur le socle commun des outils de prévention des risques, mais elles sont adaptées aux besoins spécifiques de ces territoires, comme le montrent les exemples des plans de prévention des risques et du plan Séisme Antilles.
La réduction de la vulnérabilité passe par la réalisation de plans locaux de prévention des risques (PPR). Toutes les communes de Guadeloupe, de Martinique, de La Réunion et de Saint-Pierre-et-Miquelon sont d’ailleurs d’ores et déjà couvertes par de tels plans, approuvés par les préfets. À Mayotte, six PPR sur dix-sept sont approuvés ; les autres sont en cours d’élaboration. En Guyane, neuf PPR sur vingt-deux ont été approuvés. À Saint-Martin et Saint-Barthélemy, les révisions sont en cours.
Un PPR est efficace s’il est bien articulé avec la compétence d’aménagement portée par les collectivités et bien concerté avec les collectivités voisines, ce qui rend nécessaire un travail partenarial étroit et responsable entre les services de l’État et les collectivités. Je vois certains d’entre vous sourire : je dois avouer que cela n’a pas toujours été le cas ! Nous devons effectivement apprendre à mieux travailler ensemble dans cette coconstruction.
Je tiens à rappeler, au vu de l’actualité de Saint-Martin, que le cadre réglementaire fixé par le décret du 5 juillet 2019 permet à la fois d’affirmer la portée première des PPR, c’est-à-dire la réduction de la vulnérabilité des territoires, et de laisser à ceux-ci une marge d’appréciation sur certains enjeux, comme le renouvellement urbain. Nous reviendrons certainement sur ce sujet au cours du débat qui s’engage.
Quant au plan Séisme Antilles, il doit se déployer sur une trentaine d’années, pour un montant d’environ six milliards d’euros, si tous les leviers sont mobilisés. Il vise principalement à intervenir sur le bâti public existant.
Une première phase de ce plan a permis de mieux connaître la vulnérabilité des différents bâtiments publics et de commencer les travaux de renforcement : entre 2007 et 2015, 860 millions d’euros ont été investis, au sein desquels 397 millions d’euros ont été apportés par l’État.
La seconde phase du plan a été élaborée en 2016, en concertation avec les collectivités territoriales. Elle avait pour objectif d’amplifier le rythme des réalisations pour mettre en sécurité plus rapidement encore les populations.
Le nombre de projets est encore insuffisant : le rythme des travaux doit être accéléré. Le Gouvernement a donc confié au délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer la présidence du comité chargé de ce plan et incarnant une nouvelle gouvernance élargie aux élus, à la Caisse des dépôts et consignations et à l’Agence française de développement. La première réunion de ce comité a eu lieu : il semble qu’elle ait été une réussite, mais je reste extrêmement vigilante pour la suite.
Face au changement climatique, les outils de la prévention des risques naturels sont globalement adaptés, mais nous devons nous pencher sur la réduction de la vulnérabilité aux cyclones.
La Caisse centrale de réassurance a récemment réalisé, en partenariat avec Météo France, une étude très poussée sur ce sujet ; elle a conclu que les aléas climatiques allaient être toujours plus importants et que l’intensité de ces phénomènes serait particulièrement puissante dans le nord des Antilles. Nous devons nous y préparer.
Le Président de la République avait d’ailleurs annoncé, comme vous l’avez rappelé, monsieur Arnell, que des initiatives seraient prises par le Gouvernement, sur la base des retours d’expérience d’Irma, pour procéder à d’éventuelles adaptations législatives. C’est ce que nous allons faire, sur la base des travaux menés par votre délégation et à l’Assemblée nationale.
Des concertations sont actuellement menées sur le terrain, sous l’égide des préfets, en liaison étroite avec le délégué interministériel. Nous continuerons, à l’évidence, à coconstruire les réponses à ces problèmes. Chacun peut y participer dans ces territoires : plus de 1 500 personnes ont déjà pris part à ces travaux, et des contributions ont également été envoyées directement à la délégation interministérielle ; elles seront prises en compte dans le rapport final.
La direction générale des outre-mer va donc élaborer le projet de loi à partir de toutes ces données. Le texte devrait être transmis au Conseil d’État à la fin de février ou au début de mars prochain. Les collectivités ultramarines seront ensuite consultées. Vos recommandations y seront largement reprises, mesdames, messieurs les sénateurs : les travaux de votre délégation figurent en bonne place parmi les réponses que nous prenons en compte.
Bien sûr, ce texte législatif sera extrêmement important, mais vous avez raison, monsieur Arnell : il faut aussi que nous puissions travailler, territoire par territoire, sur des plans d’action. Nous nous y attellerons tous ensemble : c’est l’engagement que j’ai pris. (MM. Jean-Claude Requier et Michel Magras applaudissent.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Robert Laufoaulu.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos outre-mer sont particulièrement sensibles au changement climatique, du fait de leur insularité et de leurs différentes situations géographiques.
Il est dès lors primordial d’investir dans la recherche, l’observation et la prévention des risques climatiques pour tous les territoires ultramarins.
Pluies torrentielles, cyclones, tremblements de terre et tsunamis sont autant de phénomènes à l’intensité et à la fréquence croissantes.
Il en résulte des mouvements de terrain et des inondations sur les terres littorales, mais aussi, chose plus grave encore, des infiltrations d’eau salée dans les nappes phréatiques. Ainsi, à Wallis, l’eau deviendra à terme impropre tant à la consommation qu’à toute culture agricole.
Ce phénomène d’élévation inéluctable du niveau de la mer, combiné à l’acidification croissante des océans, est appelé à s’accroître dans la plupart des territoires ultramarins. Cela affectera à terme la survie et le bon fonctionnement des écosystèmes littoraux, tels que les récifs coralliens et les mangroves, qui exercent une fonction protectrice des littoraux.
Des marges de progrès existent pour les territoires d’outre-mer les plus démunis, en particulier à Mayotte et Wallis-et-Futuna. Des investissements doivent être faits dans le domaine des équipements, notamment pour renforcer la couverture en radars météorologiques et en houlographes.
Par ailleurs, des structures de coopération devraient être mises en place avec les autres îles et territoires de l’environnement régional de nos outre-mer.
Madame la ministre, je souhaiterais donc savoir à quels investissements le Gouvernement envisage de procéder dans ces deux domaines.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Je suis d’accord avec vous, monsieur le sénateur Laufoaulu : il convient de conserver des dispositifs de surveillance et d’observation de qualité, tant pour les phénomènes liés au réchauffement climatique que pour les autres risques auxquels sont exposés nos différents territoires d’outre-mer, où qu’ils soient situés.
Je veux proclamer ici, comme j’ai eu l’occasion de le faire en Polynésie il y a quelques jours, que nos territoires ultramarins sont de véritables vigies du dérèglement climatique sur nos trois océans. Il faut que nous soyons mieux équipés pour assumer ce rôle de vigie.
Dans mon propos introductif, j’ai rappelé combien nous étions investis dans la préparation à la lutte contre ces risques majeurs. Ces risques sont largement gérés aujourd’hui, comme l’illustrent plusieurs exemples. Nous sommes bien ces vigies !
Ainsi, nous disposons d’un observatoire volcanologique et sismologique à la pointe de la technologie ; il produit des résultats.
Nous avons également procédé à des investissements majeurs pour la surveillance des inondations et nous comptons les poursuivre. Nous menons plusieurs études prospectives cycloniques : divers organismes et chercheurs sont engagés sur ces sujets. Nous procédons à la régionalisation des scénarios climatiques outre-mer ; des modèles de submersion ont été développés. Nous disposons donc de plusieurs outils pour suivre l’évolution du dérèglement climatique et des risques qu’il engendre pour les territoires d’outre-mer.
Bien évidemment, nous maintiendrons notre capacité en la matière sur les trois bassins. Le Président de la République se rendra bientôt en Polynésie ; il souhaite partager avec les États insulaires du Pacifique l’ensemble de nos outils. Wallis-et-Futuna sera également représenté lors de ce déplacement.
Le Criobe, le Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement, travaille sur le dérèglement climatique en milieu insulaire, effectue des recherches sur le corail qui pourront être ainsi partagées. Nous savons bien combien les barrières de corail nous protègent ; c’est pourquoi il nous faut travailler sur ces sujets.
Je pense aussi à Mayotte…
M. le président. Il vous faut conclure, madame la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Ces deux dernières années, Mayotte a connu des séismes. On a découvert l’existence d’un volcan sous-marin à proximité de l’île. Nous en assurerons la veille en permanence, et je crois pouvoir dire que tous les moyens sont mis en œuvre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince.
M. Jean-Paul Prince. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’ouragan Irma, dont les conséquences dramatiques sont à l’origine de ce débat, a eu un impact profond sur les constructions dans les îles qui se trouvaient sur son passage, en particulier Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Cependant, il est rapidement apparu que les dégâts ont été significativement plus importants à Saint-Martin qu’à Saint-Barthélemy, et ce pour une raison très simple : la plus forte présence dans la première de ces îles d’un habitat informel ou insalubre, couplé à un moindre respect des règles d’urbanisme.
Nous avions déjà eu l’occasion de nous exprimer sur ce point, ici au Sénat, en novembre 2018, à l’occasion de la ratification d’une ordonnance visant justement à mieux faire respecter le code de l’urbanisme à Saint-Martin.
Les questions d’habitat, notamment d’habitat insalubre, sont particulièrement prégnantes en métropole. Elles le sont encore plus outre-mer, où la précarité de l’habitat vient démultiplier l’impact des catastrophes naturelles, avec les risques que cela comporte pour la population au moment de la catastrophe et les conséquences très lourdes qui la suivent. C’est vrai dans tous les territoires : à La Réunion, sur les collines de Mayotte, à Saint-Martin ou encore en bord de mer à Wallis et Futuna.
Par surcroît, les habitats insalubres ou qui ne sont pas aux normes ne sont pas assurés pour bon nombre d’entre eux. Cela place leurs occupants dans une situation encore plus compliquée en cas de sinistre ; on a pu le constater, par exemple à Saint-Martin après le passage de l’ouragan Irma.
Quelle est donc, madame la ministre, la politique du Gouvernement pour assurer outre-mer le respect des règles d’urbanisme et de construction décente ? Quelles réponses apportez-vous à la source de ces problèmes que sont les enjeux fonciers et la gestion des cadastres ultramarins ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Prince, vous soulignez à juste titre l’importance du respect des règles d’urbanisme pour assurer une meilleure résilience de nos territoires face aux risques majeurs, en prenant l’exemple de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy face à Irma.
L’action de l’État en la matière est multiple.
Je le rappelais, les outre-mer sont souvent en avance par rapport à l’Hexagone en matière de plans de prévention des risques, grâce à l’action des services de l’État dans l’ensemble des territoires, mais aussi des collectivités qui souhaitent apporter des réponses.
Comme vous le savez, les plans de prévention des risques, les PPR, imposent des prescriptions pour les documents d’urbanisme des collectivités. Dans l’Hexagone comme dans les DROM – il y a quelques exceptions pour les COM –, ce sont les communes qui fixent et mettent en œuvre les règles d’urbanisme, mais soyez assuré que l’État est plus particulièrement vigilant dans le cadre de son contrôle de légalité des actes d’urbanisme dans les zones à risque.
L’État s’implique aussi – c’est tout à fait normal –, en termes de financement. Il apporte ainsi des financements significatifs en matière de lutte contre l’habitat informel et insalubre. Entre 2015 et 2019, la participation de l’État via la ligne budgétaire unique (LBU) consacrée aux opérations de résorption de l’habitat indigne, s’est élevée à 93,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 101 millions d’euros de crédits de paiement. Ces opérations concernent au total plus de 12 000 ménages.
Les aides à l’amélioration de l’habitat et à l’accession très sociale participent également de la lutte contre l’habitat indigne. Sur la période 2015-2019, la LBU a permis de financer à hauteur de 125 millions d’euros la réhabilitation de près de 6 000 logements et la construction d’environ 2 000 logements pour les accédants modestes.
Par ailleurs, le rétablissement de l’aide à l’accession, opéré en loi de finances 2020 et voté sur ces travées, permettra de contribuer efficacement à l’action de l’État contre l’habitat indigne outre-mer.
Enfin, une politique spécifique de lutte contre l’habitat spontané et précaire, indispensable à Mayotte et en Guyane, sera menée par expérimentation. De nouveaux modes de construction seront donc également prévus.
M. le président. La parole est à M. Mathieu Darnaud.
M. Mathieu Darnaud. Madame la ministre, notre collègue Guillaume Arnell a fait état du rapport que nous avons rendu au nom de la délégation aux outre-mer présidée par notre collègue président Michel Magras.
Dans ce rapport, nous avons été attentifs à montrer la diversité des risques pour l’ensemble des territoires, qu’il s’agisse de cyclones, de tsunamis, de séismes, d’éruptions ou de nouveaux risques comme les sargasses. Cette vulnérabilité et cette exposition croissantes appellent d’urgence des mesures d’ampleur adaptées, en particulier en matière de prévention, madame la ministre.
Pourtant, lors de nos auditions, les collectivités locales nous ont fait part de leurs difficultés à porter les projets nécessaires, compte tenu notamment des possibilités limitées de mobilisation du fonds Barnier. Au manque d’ingénierie qui est fortement préjudiciable à la mise en œuvre rapide et efficace des projets nécessaires dans les territoires s’ajoutent les conditions d’éligibilité restrictives à ce fonds.
C’est pourquoi nous avons demandé la création au sein du fonds Barnier d’une section propre aux outre-mer, avec des conditions d’éligibilité assouplies, sous gestion conjointe du ministère de l’action des comptes publics, du ministère de la transition écologique et solidaire (MTES) et du ministère des outre-mer.
Par ailleurs, nous avons demandé à revenir sur le plafonnement, voté en loi de finances pour 2018, des ressources affectées au fonds Barnier. Nos collègues Hassani et Rapin ont noté dans le second volet du rapport les progrès accomplis dans la loi de finances pour 2019, notamment en ce qui concerne les assouplissements de plafond, mais aussi s’agissant du plan Séisme Antilles. Ces améliorations doivent être signalées.
Ma question est donc la suivante : quelles évolutions législatives, réglementaires et budgétaires le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour que le fonds Barnier prenne davantage en compte, et dans la durée, les contraintes des territoires ultramarins ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Mathieu Darnaud, les outre-mer bénéficient de dispositions plus favorables que l’Hexagone, et c’est bien normal, pour répondre aux défis énormes qui sont les leurs.
Dans les territoires d’outre-mer, il est possible de démolir des bâtiments construits sans droit ni titre – ce n’est pas possible ailleurs. Le fonds Barnier peut financer la mise aux normes parasismiques de bâtiments aux Antilles, par exemple des bâtiments de l’État qui sont utiles à la gestion de crise. Depuis 2019, le plafond du taux de soutien aux collectivités peut aller jusqu’à 80 % – ce qui n’est pas le cas en métropole, où ce plafond est fixé à 50 %.
S’agissant du fonds Barnier, je crois honnêtement que la question n’est pas celle des moyens budgétaires. Chaque année, la part de ce fonds allouée aux outre-mer est en augmentation : elle était de 23,7 millions d’euros en 2017, de 37,8 millions d’euros en 2018 et de 52,2 millions d’euros en 2019. Le fonds Barnier est donc largement mobilisé pour les actions menées outre-mer, notamment pour le plan Séisme Antilles.
Vous avez soulevé la question de l’ingénierie et de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage. Nous avons ouvert à l’Agence française de développement (AFD) une ligne budgétaire de 7 millions d’euros pour accompagner tous les projets des territoires d’outre-mer, qu’il s’agisse de projets visant à lutter contre les risques naturels ou d’autres projets.
Le fonds européen de développement régional (Feder), dont la gestion est assurée pour l’essentiel par les collectivités, le pseudo-fonds vert de l’AFD, qui permet l’octroi de prêts à taux zéro et dispose d’une enveloppe de 37 millions d’euros chaque année – nous y reviendrons peut-être –, ou encore la Caisse des dépôts peuvent également être mobilisés.
Ces dispositifs me paraissent susceptibles de répondre aux besoins des territoires d’outre-mer. Soyez assuré que l’ingénierie est à mes yeux une priorité.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Madame la ministre, le 6 septembre 2017, les vents violents du cyclone Irma frappaient Saint-Martin et Saint-Barthélemy, entraînant d’importantes conséquences sociales, environnementales, urbaines, économiques et humaines.
Je tiens à saluer l’implication de la délégation sénatoriale aux outre-mer et de son président, M. Michel Magras. Le travail dense et approfondi mené par tous les rapporteurs nous a permis de proposer 100 recommandations concrètes pour répondre à la problématique des risques naturels outre-mer.
Dans le cadre de la différenciation de chaque territoire, les réponses doivent être diverses et adaptées aux réalités de chaque région.
Ainsi, chers collègues, je souhaite insister sur l’un des points qui nous paraissent prioritaires : la prévention. En effet, celle-ci est fondamentale pour permettre aux populations et aux élus de mieux anticiper les risques et les aléas, et ainsi, mieux gérer les situations d’urgence.
Pour ce faire, des moyens humains et matériels importants doivent être mobilisés dès maintenant pour mettre à niveau les dispositifs territoriaux d’alerte et de prévention en direction des populations et des entreprises, en créant la continuité des activités économiques, sociales et sanitaires.
Il importe également d’impliquer les salariés et les usagers, pour désormais apprendre à vivre avec les risques naturels et pour anticiper toutes les situations prévisibles avec sérénité, en coordonnant les actions institutionnelles avec tous les partenaires publics et privés, la population et les volontaires des différents services de sécurité publique.
L’objectif est de renforcer la capacité d’anticipation pour une meilleure acculturation des populations et des entreprises, afin de mieux vivre les aléas potentiels.
Les amendements du sénateur Antiste au projet de loi de finances pour 2020, et le mien au projet de loi de finances pour 2019, étaient déjà des appels, madame la ministre, pour revoir les modalités du fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier ».
Ce fonds, qui est devenu la principale source de financement de la prévention, notamment pour le plan Séisme Antilles, est malheureusement difficilement mobilisable pour les collectivités d’outre-mer.
M. le président. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Victoire Jasmin. L’adaptabilité est désormais la règle, et la culture du risque est fondamentale. Madame la ministre, que comptez-vous faire pour éviter les répliques humaines ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, oui, nous devons nous préparer à faire face à ce que nous avons déjà connu – un cyclone de la violence d’Irma –, mais nous devons aussi nous préparer à pire.
L’enquête que j’évoquais à l’instant montre que le nord des Antilles sera encore davantage touché par des cyclones violents dans les années à venir. Cela nous oblige à nous préparer, dans votre collectivité comme dans l’ensemble des territoires d’outre-mer.
Cela nous oblige à réfléchir à la formation des fonctionnaires – cela a été pointé dans vos rapports – à la formation de nos jeunes et, plus largement, à la formation et à la préparation de nos populations à ce type de risque. Il nous faut développer davantage le modèle des « journées japonaises », aussi bien pour les formations professionnelles que pour la population.
La vigilance doit bien sûr être de rigueur partout dans nos territoires d’outre-mer. Elle doit nous obliger à nous préparer au pire.
Je suis d’accord avec vous : nous devons agir pour que des solutions soient apportées en ce domaine. Le délégué interministériel travaille sur ces sujets et formulera des propositions importantes dans le cadre de la loi, mais aussi, plus largement, au travers des plans que nous allons mettre en place.
Vous avez également évoqué le plan Barnier. Honnêtement, je me suis demandé, en préparant cette rencontre avec vous, quels projets n’auraient pas abouti avec le fonds Barnier. Il n’y en a pas ! Je veux bien que l’on dise que les collectivités n’arrivent pas à accéder au fonds Barnier, mais quel exemple pouvez-vous me donner ? Pourquoi et comment tel projet n’a-t-il pas abouti ?
En revanche, je sais que des projets ne se concrétisent jamais par manque d’ingénierie et d’accompagnement. C’est cet aspect que nous devons certainement creuser, en soutenant la maîtrise d’ouvrage et en fournissant une assistance aux différentes collectivités grâce aux moyens mobilisés par l’AFD.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano.
M. Stéphane Artano. Madame la ministre, en matière de risques naturels majeurs, la commune de Miquelon-Langlade est confrontée aux mêmes difficultés que celles que nos rapporteurs ont pointées du doigt, difficultés auxquelles s’ajoute un enjeu d’ingénierie qui pèse fortement sur ses équipes. Il faut évidemment une réponse adaptée, et je sais que vous en êtes consciente, madame la ministre.
De plus, le transfert de compétences de la protection du littoral à la commune, auquel je me suis opposé, contrairement à vous, madame la ministre, n’a pas amélioré sa situation.
L’exposition du village de Miquelon-Langlage au risque de submersion marine présente un caractère exceptionnel, car tout le village est concerné. Le coût des travaux dans notre archipel est fortement supérieur à celui de l’Hexagone, même si le fonds Barnier peut financer une partie des études et des travaux – 40 % pour les particuliers, 50 % pour la prévention pour les collectivités et 40 % pour les travaux –, nous ne disposons pas de taux dérogatoire à Saint-Pierre-et-Miquelon – Mathieu Darnaud a déjà quelque peu défloré le sujet.
Est-il envisageable, dans le projet de loi qui nous sera présenté dans le courant de l’année 2020, que les coefficients d’intervention du fonds Barnier, tant pour les particuliers que pour les collectivités, soient réévalués, afin de tenir compte des coûts de construction locaux, qui sont de 1,4 à 1,7 fois plus élevés que les coûts constatés dans l’Hexagone ?
Par ailleurs, en janvier dernier, nos concitoyens ont signifié leur désir de construire leur avenir au sud du village. Cette demande, qui n’avait jamais été exprimée aussi fortement, fera l’objet d’une réponse favorable du conseil territorial qui va s’engager pour urbaniser de nouvelles zones – cela s’impose avec le plan de prévention des risques littoraux (PPRL).
Tous les acteurs devront être au rendez-vous, car c’est l’ensemble des infrastructures qu’il s’agit à terme de relocaliser. Le président de la collectivité, Stéphane Lenormand, lancera cette concertation ce jeudi.
Vous avez indiqué lors de votre dernier déplacement vouloir soutenir la collectivité. Je souhaiterais donc savoir, madame la ministre, quels sont les fonds que l’État peut mobiliser pour ce projet, vital pour la population, et que la collectivité ne pourra mener à elle seule.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Artano, vous parlez de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui est votre collectivité comme la mienne.
N’étant pas parlementaire, je n’ai pas voté le texte que vous avez évoqué en 2018… Je me garderai donc de tout commentaire.
Le PPRL de Saint-Pierre-et-Miquelon a été signé le 28 septembre 2018. J’évoquais précédemment des situations particulières dans la négociation, notamment à Saint-Martin. À Saint-Pierre-et-Miquelon, certaines pratiques n’ont pas nécessairement été assez ouvertes à la population et aux collectivités. C’est pourquoi je veille désormais à ce que la transparence soit de rigueur.
Le schéma territorial d’aménagement et d’urbanisme, le STAU, de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui doit être compatible avec le PPR, fait actuellement débat. Ces sujets sont toujours très sensibles pour les populations de Saint-Pierre-et-Miquelon comme de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy ou de Wallis et Futuna.
Il était temps – je l’ai dit il y a plus d’un an – que l’on repense l’aménagement du village de Miquelon, afin d’étendre le village vers des terrains qui ne sont pas inondables ou, du moins, qui ne connaissent pas ce type de risque.
J’avais dit être prête à aider des porteurs de projets d’éco-quartier. Je suis prête à aider la collectivité et toutes les collectivités d’outre-mer en mobilisant le fonds Barnier, l’AFD et la Caisse des dépôts, qui peuvent accompagner les collectivités, notamment par des prêts à des taux très faibles, voire nuls sur des durées très importantes. Il est urgent de mettre ce travail en place.
Je me félicite de la prise en compte des demandes de nos concitoyens de Saint-Pierre-et-Miquelon. Ce devrait être le cas partout.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour la réplique.
M. Stéphane Artano. Je partage votre souci de réflexion et de projection : quand les travaux du STAU ont été lancés, ni la population ni les élus de la commune n’étaient prêts…
Je regrette simplement que vous ne m’ayez pas répondu sur la question des coefficients d’intervention du fonds Barnier. Compte tenu des taux d’intervention ailleurs outre-mer et du prix des travaux à Saint-Pierre-et-Miquelon – de 1,4 à 1,7 fois le coût de l’Hexagone –, il me paraît que la question devrait être posée dans le projet de loi à venir pour permettre aux communes, mais également aux particuliers, de pouvoir envisager des travaux, d’autant que certains de ces derniers ont été mis en demeure de le faire dans les cinq années qui viennent.
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Madame la ministre, je souhaite évoquer le problème des sargasses.
Depuis quelques années, vous le savez, les échouements d’algues sargasses se multiplient sur les côtes de la Martinique, de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, voire de la Guyane pour les zones de pêche. Après un pic en 2014 et en 2015, les échouements ont repris de plus belle à partir de février 2018, et la situation pourrait bien s’intensifier dans les mois et les années à venir.
Ces flux ont des conséquences économiques, bien sûr, puisqu’ils compliquent l’accès à certaines zones touristiques ou simplement de vie, mais aussi sanitaires, dans la mesure où la décomposition des sargasses libère du sulfure d’hydrogène et d’ammoniac.
Avec certains de mes collègues ici présents, j’ai eu l’occasion à de multiples reprises d’attirer l’attention de la représentation nationale et du Gouvernement sur ce sujet. Depuis quelques années, parlementaires et élus locaux de tous bords demandent que ces échouements massifs soient reconnus comme catastrophe naturelle.
Le 15 janvier dernier, lors de l’examen d’une proposition de loi visant à réformer ce régime, le Sénat a adopté à cette fin un sous-amendement de ma collègue Catherine Conconne.
Vous avez régulièrement manifesté votre opposition à cette réforme, madame la ministre : comme vos prédécesseurs d’ailleurs, qui, sous une autre étiquette politique, aboutissaient à cette même conclusion, vous considérez qu’elle ne constitue pas une réponse appropriée.
La loi sur les catastrophes naturelles, actuellement en préparation, devrait selon vous offrir une alternative. Pouvez-vous, madame la ministre, préciser vos propos, ainsi que l’état d’avancement de ce texte, dont l’examen a été plusieurs fois repoussé ?
Pour nous permettre de disposer de davantage de visibilité sur cette notion de catastrophe naturelle, pouvez-vous nous en dire davantage et, si possible, définitivement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Théophile, je sais votre engagement sur le sujet de la lutte contre les sargasses, phénomène qui touche votre territoire, comme d’ailleurs les deux territoires des Antilles, ainsi que la Guyane plus incidemment.
Vous évoquez l’amendement déposé par la sénatrice Catherine Conconne lors de l’examen d’une proposition de loi visant à réformer le régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Celui-ci tendait à supprimer le critère de « caractère anormal » de l’aléa causé par l’échouage des sargasses.
Le Gouvernement s’est opposé à cet amendement, car l’adoption de celui-ci n’aurait rien apporté et n’aurait aucun effet concret.
Aujourd’hui, le caractère anormal de l’aléa est au fondement même du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles. Mais, en réalité, c’est l’absence de relation directe entre le phénomène d’échouement et les dégâts provoqués sur les biens qui explique le rejet des demandes communales jusqu’à aujourd’hui.
En clair, lorsqu’elles sont ramassées dans les quarante-huit heures, les algues sargasses ne dégagent aucun gaz et ne causent aucun dommage. Comment peut-on dire, dans ces conditions, que ce fléau présente un caractère anormal ? Certes, vous avez raison, il s’agit d’un fléau, qui est naturel et qui constitue une catastrophe, mais il ne peut pas pour autant relever de ce régime.
Pour moi, il faut davantage aider les collectivités à collecter ces algues : c’est la seule solution dont nous disposons aujourd’hui. À ce titre, l’État a accordé 6 millions d’euros aux collectivités en 2018, puis 4,5 millions d’euros en 2019 : tout dépend en effet de la quantité d’algues qui échouent sur les côtes de la Guadeloupe ou de la Martinique. Un certain nombre de financements ont également été engagés pour mieux équiper les communes en vue du ramassage des sargasses.
Vous le savez, nous avons aussi lancé plusieurs études pour mieux comprendre le phénomène, déterminer exactement d’où il vient,…
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. … et, enfin, y apporter une réponse définitive.
Vous comprendrez pourquoi je reste dubitative devant une solution législative, qui n’apportera pas de réponse concrète sur le terrain.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est formel : les dérèglements climatiques vont croissant et risquent d’avoir des impacts durables dans les zones tropicales vulnérables, tels que nos territoires ultramarins.
En effet, le réchauffement climatique pourrait bientôt être à l’origine d’incendies de grande ampleur, à l’instar de ce qui s’est produit récemment en Australie. Les cyclones, de plus en plus nombreux et violents, sont également la conséquence directe de la hausse des températures et ont déjà fait de nombreux dégâts ; je pense notamment à l’ouragan Irma.
De même, la fonte des glaciers a déjà pour effet de créer des tensions au sein de la croûte terrestre, démultipliant ainsi les activités sismiques particulièrement dangereuses dans les régions volcaniques, notamment dans nos territoires des Antilles et de l’océan Indien.
Enfin, la montée du niveau des eaux rendra le risque d’inondation très élevé et causera le développement d’infections vectorielles.
Ma question est la suivante : madame la ministre, quels dispositifs financiers prévoyez-vous de développer, afin d’accroître la surveillance et l’observation des phénomènes climatiques outre-mer, pour mieux préparer les populations à faire face aux risques naturels majeurs directement liés aux dérèglements climatiques ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, je le disais, les outre-mer seront touchés par de nombreux phénomènes liés aux dérèglements climatiques, notamment dans nos trois bassins océaniques. Nous aurons pour mission, puisque nous sommes présents dans les trois océans – Pacifique, Atlantique et Indien –, d’être de véritables vigies.
Pour ce faire, il nous faut effectivement dégager des moyens. C’est ce que ma collègue ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et moi-même nous nous attachons à faire, au travers d’un certain nombre de dispositifs, notamment de soutien à des observatoires.
Je parlais du Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe) en Polynésie, des observatoires mis en place à Mayotte après la découverte d’un volcan, mais nous travaillons aussi dans les deux pôles en partenariat avec d’autres pays, notamment le Canada et l’Australie, pour développer la recherche, afin de mieux percevoir et prévenir les effets climatiques de plus en plus importants que nous connaissons.
Je crois sincèrement que la France a un rôle important à jouer en la matière, ce qui contribuera d’ailleurs à améliorer la visibilité de nos territoires ultramarins.
Dans cette logique, le Président de la République se rendra dans le Pacifique au mois d’avril prochain, d’une part, pour montrer que nous souhaitons être davantage aux côtés de nos collectivités d’outre-mer, et, d’autre part, pour partager nos avancées scientifiques et techniques avec nos voisins, notamment les petits États insulaires en développement, qui, tout comme nous, voient régulièrement leur trait de côte reculer, leurs territoires être submergés, ou encore les cyclones les dévaster.
Avec le ministère de la transition énergétique et solidaire et celui de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, le ministère des outre-mer continue à financer un certain nombre de projets.
Pour la première fois, nous avons créé au sein de l’Agence française de développement, l’AFD, un fonds de recherche doté de 2,5 millions d’euros, en supplément des financements déjà accordés pour la recherche par les autres ministères. Cette initiative répond aussi à ce besoin de résilience et d’adaptation que connaissent les territoires d’outre-mer.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.
Mme Esther Benbassa. Madame la ministre, tous les climatologues et scientifiques le disent : à l’horizon 2050, la sinistralité liée au changement climatique ira crescendo. Nous n’avons plus le temps de fermer les yeux.
La situation de nos concitoyens ultramarins légitime pleinement un investissement digne de ce nom, afin de prévenir les risques naturels majeurs.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans notre pays, en matière d’indemnisation des dommages liés aux catastrophes naturelles, deux acteurs majeurs interviennent conjointement : les assureurs privés et la Caisse centrale de réassurance (CCR), société publique créée par l’État en 1946, afin d’assurer la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales.
Or la multiplication des catastrophes naturelles pourrait conduire les assureurs à se montrer de plus en plus sélectifs, en particulier dans les territoires d’outre-mer, deux fois plus exposés que ceux de la métropole aux événements extrêmes et aux dérèglements climatiques.
Déjà, il apparaît que les quelques assureurs présents outre-mer quittent progressivement et discrètement ces territoires appelés immanquablement à devenir des zones non assurables, ce qui aboutirait à déstabiliser le régime français d’indemnisation des catastrophes naturelles et, chose plus grave encore, entraînerait une rupture d’égalité républicaine, ce qui est purement et simplement inadmissible.
Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour trouver une solution raisonnable à cette situation dramatique et par trop injuste ?
Par ailleurs, il est important que tous nos concitoyens ultramarins touchés par un phénomène météorologique de grande ampleur puissent recevoir des informations officielles et fiables, qui leur seraient une grande aide, ce que les stations du service public audiovisuel savent très bien faire.
C’est pourquoi il serait nécessaire qu’elles soient mieux identifiées par les populations comme des repères en cas de crise majeure. Aussi, j’aimerais savoir, madame la ministre, alors que la réforme de l’audiovisuel sera prochainement examinée par le Parlement, si de tels enjeux ont bien été pris en compte.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, la priorité absolue après une crise ou une catastrophe, c’est le rétablissement des réseaux de télécommunications, même en mode dégradé, ainsi que des réseaux électriques, mais aussi le retour à un fonctionnement normal de tous les autres réseaux ; je pense notamment à l’eau et à l’assainissement.
Le projet de loi sur les risques majeurs prévoira des mesures pour faciliter le rétablissement de ces réseaux par les opérateurs. Il visera aussi l’obligation d’établir un diagnostic de vulnérabilité et un plan de gestion de crise et de remise en état, ainsi que l’obligation d’établir des partenariats ou des conventions entre les différents opérateurs. Ce sont des dispositions que le Sénat avait déjà proposées ou, du moins, que la délégation à l’outre-mer avait proposées dans son rapport.
Vous parlez de l’importance des informations en cas de catastrophe. C’est effectivement primordial. Pour être arrivé à Saint-Martin quelques heures seulement après le passage du cyclone, je sais combien la lutte contre la propagation des rumeurs – celles-ci circulaient alors de toutes parts – est essentielle : nous n’avions alors aucun moyen de communication, ce qui causait une peur permanente.
La situation était complexe, mais, heureusement, une radio locale a pu rapidement diffuser des informations. On a vu alors combien ce type de démarche pouvait apaiser une population. Je suis donc véritablement très sensible à ce que vous avez dit, monsieur le sénateur, à propos de la nécessaire communication à destination des Ultramarins.
Aussi, les chaînes de télévision locales comme les radios locales seront concernées par le travail que nous engageons, vous pouvez en être assuré. Si quelque chose nous a fait perdre du temps dans la gestion de la crise à Saint-Martin, c’est notre incapacité à nouer des liens avec la population. Je le redis, je suis très attachée à cette question, à laquelle nous apporterons toutes les réponses nécessaires.
(M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. Vincent Delahaye au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, l’excellent rapport de nos collègues Guillaume Arnell, Abdallah Hassani et Jean-François Rapin constitue le volet relatif à la reconstruction et à la résilience des territoires et des populations d’un travail engagé voilà maintenant deux ans sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer.
Avec sagesse, ce rapport vient compléter le premier volet intitulé « Urgence déclarée outre-mer » et a notamment traité de la question, tout à fait primordiale pour des territoires majoritairement insulaires, du recul du trait de côte.
Élu de Bretagne, région sensible également à la question du recul du trait de côte – je pense notamment à l’érosion du Sillon de Talbert –, j’ai forcément été très attentif au problème touchant les territoires ultramarins, notamment, en septembre dernier, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie.
Les situations sont d’ailleurs très variables d’un territoire à l’autre, comme on le rappelait : 25 % des côtes sont en situation d’érosion en Guadeloupe, 10 % en Martinique, et jusqu’à 37 % à Mayotte.
La recommandation de nos collègues est on ne peut plus claire pour élaborer une politique publique d’aménagement des zones littorales sur le long terme : il est impératif de poursuivre la démarche d’observation de l’évolution du trait de côte.
La connaissance progresse en la matière avec le concours du Bureau de recherches géologiques et minières et des services des directions de l’environnement, de l’aménagement et du logement, mais le rapport rappelle que les efforts des départements et régions d’outre-mer pour lancer des projets de recomposition spatiale rencontrent certains freins juridiques et financiers, qui ont fait l’objet d’une récente mission d’inspection interministérielle.
Je souhaiterais donc savoir quand un travail spécifique consacré aux outre-mer commencera, puisque la mission d’inspection recommande « qu’un travail complémentaire soit effectué sur l’ensemble des outre-mer ».
Je souhaite aussi vous interroger sur deux propositions du rapport au sujet du recul du trait de côte, propositions qui constituent la recommandation n° 20.
Comment l’exécutif envisage-t-il de mettre en œuvre les ajustements réguliers nécessaires des plans de prévention des risques naturels (PPRN) suivant l’évolution du trait de côte ?
Enfin, comment compte-t-il intégrer les outre-mer à la réflexion nationale de financement des aménagements et réaménagements rendus nécessaires par le recul du trait de côte constaté ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, le phénomène du recul du trait de côte qui, nous le savons tous, est irréversible, touche aussi bien l’Hexagone que l’outre-mer, ce qui nous oblige à prendre en compte un certain nombre d’éléments.
On le voit en Guyane, par exemple, avec la combinaison de deux phénomènes d’érosion et de sédimentation liés à la migration de bancs de vase.
Certains territoires d’outre-mer connaissent des situations d’instabilité uniques au monde. Je le dis ici, parce que l’on méconnaît souvent ces petits exemples, qui ont pourtant des conséquences importantes. Il nous faut davantage les exposer ici, pour éclairer utilement les raisonnements.
Le risque lié au recul du trait de côte appelle le développement d’un nouveau modèle de réaménagement et doit être pris en compte dans les plans de prévention des risques naturels.
Vous avez d’ailleurs raison de le souligner, monsieur le sénateur, si les plans intègrent le principe d’une élévation de soixante centimètres du niveau de la mer – cette estimation n’est pas nouvelle, elle date de 2011 –, cela doit inciter les préfets, dans certains territoires, en fonction des informations dont ils disposent, à aller plus loin et à augmenter les seuils si besoin. Il est effectivement important de pouvoir s’adapter.
La question du trait de côte a été spécifiquement évoquée lors du conseil de défense écologique du 12 février dernier, c’est-à-dire il y a quelques jours.
Le Gouvernement envisage trois types d’actions.
Tout d’abord, dans les espaces menacés à court terme, d’ici à trente ans, il entend interdire les nouvelles constructions et en relocaliser certaines.
Ensuite, il prévoit de recréer des dunes, des forêts et des prairies pour limiter l’érosion.
Enfin, à plus long terme, pour adapter les règles de construction, il souhaite créer un nouveau permis de construire dans les espaces menacés. Il s’agit de n’autoriser dans ces zones que des constructions non pérennes et démontables, afin de prendre en compte la réalité des territoires et de s’adapter.
S’agissant des aménagements et des réaménagements rendus nécessaires par le recul du trait de côte constaté, le ministère des outre-mer participera évidemment aux financements.
Des réflexions sont actuellement menées avec le ministère de la transition énergétique et solidaire : mon ministère agira pour que les spécificités des territoires d’outre-mer soient prises en considération, ce qui rejoint les préoccupations du sénateur Artano sur les financements à attendre dans les mois à venir.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste.
M. Maurice Antiste. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, nos territoires sont, chaque année, durement touchés par des phénomènes naturels majeurs, notamment par les phénomènes cycloniques. Ceux-ci causent des dégâts considérables, qui ne sont malheureusement pas toujours reconnus comme relevant du régime de l’indemnisation des catastrophes naturelles.
Cette situation est due à une procédure particulière, qui exclut les vents cycloniques des outre-mer de la procédure classique en vigueur dans l’Hexagone.
Ainsi, les vents cycloniques doivent atteindre 215 kilomètres par heure pour les rafales, ou 140 kilomètres par heure en moyenne, pour être considérés comme une catastrophe naturelle. De tels vents ne sont relevés que très rarement dans nos territoires, même lors d’épisodes cycloniques majeurs, dont les dégâts ont été particulièrement importants pour les communes concernées.
Ainsi, lors de l’ouragan Dean en 2007, plusieurs communes ont déposé une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle, compte tenu des dégâts importants causés, mais n’ont pu obtenir satisfaction, car les vents n’avaient pas atteint la vitesse que je viens de mentionner.
Parfois, les communes limitrophes, exposées aux mêmes dégâts, ont vu leur demande acceptée, car la limite des 215 kilomètres par heure avait été franchie, sans qu’une réelle différence en termes de destructions entre deux communes ait été constatée.
Aussi, madame la ministre, me viennent deux interrogations.
Qu’est-ce qui justifie que les vents ultramarins soient soumis à des critères différents de ceux du continent, sachant que les dégâts qu’ils causent sont les mêmes ?
Quelle est la méthode de fixation de ces critères ? Sont-ils revus régulièrement et ont-ils pour objectif d’accompagner au mieux la commune face aux dégâts liés à ces risques majeurs ou, au contraire, de limiter les situations dans lesquelles l’état de catastrophe naturelle s’applique ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Antiste, le régime de la garantie catastrophe naturelle, défini par les articles L. 125-1 et suivants du code des assurances, vise à couvrir les dommages matériels provoqués par les événements naturels non assurables. C’est notamment le cas des dégâts provoqués par les inondations et les coulées, mais aussi par les vents cycloniques.
Vous me demandez comment les critères de la garantie sont fixés : ils le sont par loi et peuvent évoluer. Nous pouvons les faire évoluer, monsieur le sénateur, parce que nous connaissons des conditions climatiques de plus en plus difficiles, comme nous l’avons vu avec le cyclone Irma.
Les dommages provoqués par les tempêtes ou les tornades, qui ne remplissent pas les critères fixés par la loi, sont assurables et d’ailleurs pris en compte dans le cadre de contrats d’assurance, qui garantissent les dommages en matière d’incendie ou tout autre dommage pour des biens normalement assurés, comme les immeubles ou les véhicules.
Il faut donc faire la part des choses : tous les dommages qui se trouvent sous le seuil du déclenchement de l’état de catastrophe naturelle sont pris en charge par les assurances, évidemment si une police a été souscrite par les assurés ; au-dessus du seuil, les dégâts sont indemnisés par le dispositif de catastrophe naturelle.
Le législateur a entériné cette garantie dénommée aujourd’hui « Tempête, neige, grêle ». En conséquence, tous les particuliers, entreprises ou collectivités qui sont assurés se voient pris en charge, dans un cas comme dans l’autre, qu’ils se trouvent au-dessous ou au-dessus du seuil de classement en catastrophe naturelle. Et l’on ne peut pas dire qu’un outil vaut mieux que l’autre dans la prise en charge financière des dégâts ; la prise en compte est différente selon l’ampleur des dégâts.
À ce stade, je ne puis vous en dire plus. Si les critères devaient évoluer, nous pourrons en débattre ici dans le cadre de l’examen des projets de loi que je défendrai ultérieurement.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, pour la réplique.
M. Maurice Antiste. Je résume donc, madame la ministre : j’attends de votre part un engagement total pour que nous ayons – administrés, élus et communes – une plus grande transparence sur les critères et les méthodes d’analyse mis en œuvre pour déterminer le caractère « anormal » du phénomène.
N’oublions pas que les aléas « anormaux » deviennent de plus en plus fréquents en raison des changements climatiques et que les critères seront mécaniquement de moins en moins satisfaits dans les années à venir ! Par ailleurs, je le rappelle, pour que fonctionnent les assurances, il faut préalablement une déclaration de catastrophe naturelle.
Madame la ministre, je vous remercie par avance.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas.
Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation, cher Michel Magras, mes chers collègues, les rapporteurs de l’étude sur les risques naturels majeurs outre-mer ont appelé à s’appuyer dans chaque territoire sur les acteurs de l’urbanisme et de la construction pour adapter au mieux les règles qui sont applicables aux territoires.
La délégation sénatoriale aux outre-mer insiste en effet, depuis plusieurs années, sur la nécessité de valoriser les expériences et le retour au plus près du terrain des acteurs de la construction dans les territoires.
Aussi, dans le cadre des échanges avec les préfectures ou avec les collectivités, la délégation a pu recueillir différents exemples de prise en compte des risques naturels dans la construction, et ce dans les différents bassins océaniques.
À La Réunion par exemple, face aux risques cycloniques et sismiques, l’adaptation des règles de l’art aux conditions climatiques et la révision des règles de construction inadaptées à ce climat tropical humide font l’objet de démarches.
On remarque aussi, en Martinique, la volonté d’une meilleure prise en compte des configurations insulaires. Un groupe travaille notamment sur la possibilité d’intégrer les autres effets que ceux du vent lors d’un cyclone, à savoir ceux des projectiles, de la houle et des glissements de terrain.
De plus, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie conduit actuellement une réflexion globale, qui vise à produire un nouveau « référentiel de la construction » ayant pour objectif d’améliorer la qualité du bâti, de mutualiser les expériences et d’aider à construire des modèles pertinents et financièrement accessibles, en phase avec les modes de vie et les attentes des secteurs économiques locaux. Ce travail s’appuie notamment sur des rencontres menées dans tout le Pacifique Sud.
Ces exemples figurent tous dans le rapport susmentionné et pourraient être utiles à d’autres territoires ultramarins.
Madame la ministre, dans quelle mesure le ministère soutient-il ces efforts, et comment compte-t-il accompagner le mouvement qui se généralise ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, de nombreux travaux ont effectivement été ouverts pour mener des expérimentations ou travailler sur une adaptation de notre réglementation dans les territoires d’outre-mer.
Outre une série d’ordonnances que je ne citerai pas aujourd’hui, compte tenu du délai de deux minutes qui m’est imparti, je voudrais vous exposer les actions du ministère des outre-mer, notamment à travers le plan Logement outre-mer qui a été élaboré avec l’ensemble des partenaires – collectivités territoriales ou entreprises sur le territoire –, mais qui s’adresse aux départements et régions d’outre-mer (DROM) – je le précise, car nous avons aussi des collectivités d’outre-mer (COM).
Nous avons décidé de soutenir financièrement les expérimentations qui sont proposées par les entreprises du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP), via des subventions financées par le ministère des outre-mer grâce à la Banque publique d’investissement (BPI) : ce sont des tickets de 100 000 euros en subventions qui peuvent atteindre, à titre exceptionnel, 200 000 euros.
Nous allons mobiliser le réseau des directions de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL), pour accompagner les entreprises dans la procédure d’évaluation et de reconnaissance des matériaux et de procédés nouveaux.
Nous allons soutenir, via la ligne budgétaire unique (LBU), des commissions locales de normalisation, pour adapter les documents techniques unifiés (DTU) aux spécificités climatiques outre-mer.
Par ailleurs, l’État soutient des communes innovantes qui adaptent l’urbanisme aux risques, et ce dans tous les territoires d’outre-mer.
Je pense au cas de cette commune située en Martinique, Le Prêcheur, qui a été confrontée au risque de submersion et au recul du trait de côte : dans le cadre de l’appel à projets du ministère de la transition écologique et solidaire qui pourrait intéresser d’autres territoires « Imaginer le littoral de demain », la commune a répondu par une opération ambitieuse de relocalisation progressive de l’habitat sur les hauteurs – cet habitat du futur sera ainsi moins exposé aux risques –, tout en limitant l’installation de nouvelles populations dans les quartiers menacés.
Vous le voyez, ces exemples illustrent la façon dont le ministère des outre-mer, notamment avec ses partenaires du MTES, accompagne les spécificités ultramarines.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je tiens à saluer le Gouvernement pour la qualité de la concertation qui préside à l’élaboration de ce texte.
J’ai reçu un fonds de dossiers comportant de bonnes idées qui, je l’espère, pourront entrer en application. Nul doute que ce projet sera enrichi par les apports de la délégation sénatoriale aux outre-mer, par le rapport Bonnefoy et par les suggestions des parlementaires.
Mon intervention sera directe, donc non exhaustive concernant les enjeux. Elle comprendra l’une de mes interrogations et trois recommandations.
Mon interrogation porte sur la création du dispositif d’état d’urgence en cas de calamité naturelle exceptionnelle. En principe, la sécurité – c’est de cela qu’il s’agit ici – relève du domaine régalien. Mais il ne faut pas donner l’impression que l’on veut écarter les élus. Dans ce cas, comment les associer à la totalité du processus ?
J’en viens à mes recommandations.
Concernant l’offre assurantielle, en premier lieu, il conviendra nécessairement d’éviter l’explosion des surcoûts ou surprimes en matière d’assurances. Madame la ministre, comment comptez-vous améliorer le paysage assurantiel ? La concurrence étant trop rare et les tarifs ayant fortement augmenté, le Gouvernement est-il prêt à aller jusqu’à l’encadrement de la tarification ?
En cas de survenue de catastrophe majeure, en deuxième lieu, je vous suggère de faciliter l’utilisation de l’article 1er de la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, dite « loi de lutte contre la vie chère ».
L’article L. 410-3 du code de commerce créé par cet article permet au Gouvernement de prendre des mesures de régulation des marchés pour encadrer des prix. Chaque catastrophe est à l’origine, on le sait, d’une surenchère, d’une spéculation. En cas de difficultés d’approvisionnement ou de dysfonctionnement des marchés, le Gouvernement peut prendre un décret en Conseil d’État.
Toutefois, la procédure est un peu lourde, je l’avoue, et il faudrait faciliter ce type de mesures pendant une période de six à douze mois pour éviter de telles situations.
Concernant, enfin, les adaptations du droit du travail, en dernier lieu, j’espère une évolution de votre position, qui va à l’encontre de nos suggestions ; sinon nous allons nous opposer.
Je vous suggérerai de vous inspirer du modèle allemand du Kurzarbeit, que je résumerai ainsi : « Travailler moins pour licencier moins. » Pour s’adapter à la baisse d’activité, l’entreprise peut avoir recours au régime de chômage partiel, qui lui permet, au lieu de diminuer ses effectifs, de demander à ses employés un effort financier en ne leur payant qu’une partie de leur salaire. Ce système existe également au Canada et donne de bons résultats.
Madame la ministre, la normalité, pour les sargasses, c’est de rester au large ; l’anormalité, ce sont les échouements massifs. Or ce risque n’est pas assurable, car il s’agit encore d’une propriété de l’État.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Victorin Lurel. C’est à l’État de faire jouer la solidarité nationale.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, dans le cadre du projet de loi sur les risques naturels, nous envisageons de créer, vous l’avez dit, une nouvelle procédure, par l’instauration d’un « état de calamité naturelle exceptionnelle » à titre expérimental, pour une durée de cinq ans dans les collectivités d’outre-mer régies par les articles 73 et 74 de la Constitution – y compris, bien sûr, la Nouvelle-Calédonie.
Cet état serait déclaré par décret, pour une durée maximale d’un mois, renouvelable sous certaines conditions. La déclaration d’état de calamité naturelle exceptionnelle permettrait de présumer la condition de force majeure ou d’urgence à travers la commande publique, la gestion des déchets, le statut de renfort des équipes, la réquisition, la réglementation aérienne.
Plusieurs mesures du projet de loi seront directement associées à cette déclaration : exonération de l’octroi de mer, dérogation temporaire au droit du travail – vous en avez parlé.
C’est pourquoi nous débattrons ensemble des choix qui seront retenus. Vous avez raison, monsieur le sénateur, sur de tels sujets, il est impossible de ne pas coconstruire avec les collectivités ou de les associer seulement à la fin du processus d’élaboration du texte ; il faut leur donner la place qui doit leur revenir dans les choix qui seront opérés – il est important de le redire.
L’état de calamité naturelle exceptionnelle sera donc bien distinct de la déclaration de catastrophe naturelle : la reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle intervient après une catastrophe et vise à régler les questions d’indemnisation des dégâts, alors qu’il s’agit ici, dans un premier temps, d’une gestion de l’après-crise de l’ensemble des questions posées en vue d’un retour à la normale.
Monsieur le sénateur, je m’engage à étudier la meilleure manière possible de faire référence dans le futur texte à la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, loi que vous aviez portée.
M. le président. La parole est à Mme Vivette Lopez.
Mme Vivette Lopez. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation, mes chers collègues, les investigations conduites en vue du rapport d’information sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer ont été très denses, et je souhaite en tout premier lieu remercier les rapporteurs de leur souci constant d’effectuer leurs missions au plus près des réalités des territoires.
À cet égard, je voudrais m’attacher plus particulièrement aux conséquences sanitaires et psychologiques de ce type d’événements et à la prise en charge humaine qui en est faite dans la durée.
L’aspect humain de la reconstruction post-catastrophe me semble en effet trop souvent oublié. Pourtant, avec Irma, Jose, puis Maria, ce sont trois ouragans majeurs qui se sont ainsi succédé en moins de trois semaines, marquant profondément nos territoires ultramarins et leurs populations.
Dans le cas d’Irma, une mission sanitaire a engagé une prise en charge psychologique et psychiatrique dès l’issue du cyclone et jusqu’en décembre 2017. Ce dispositif de suivi avait pour objet d’évaluer le recours aux soins des populations résidentes des deux îles touchées par l’événement, depuis le passage d’Irma jusqu’à la fin de la saison cyclonique de 2018.
Or de nombreux acteurs de la santé ont fait état d’une sollicitation relativement faible de ces appuis par la population, certainement contrainte par des obligations vitales plus urgentes.
Pourtant, les différentes missions d’investigations conduites sur le terrain ont permis de mesurer les grandes fragilités qui sont encore ressenties au sein de la population, soulignant des situations de choc important, mais aussi un sentiment d’incompréhension et parfois de détresse face à des parcours de vie brisés, particulièrement au sein des familles avec des enfants.
L’accompagnement dans la durée apparaît donc comme une nécessité pour les autorités publiques, qui doivent proposer le maintien d’un suivi psychologique et psychiatrique.
Comme fondement de cet accompagnement dans la durée, je souhaite vous demander, madame la ministre, si vous comptez assurer dans les années à venir, par le biais de Santé publique France et de l’observatoire régional de santé, un suivi de l’évolution des pathologies dans les îles touchées, au travers d’un rapport annuel rendu public ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, vous parlez du suivi médical et psychologique des populations.
Pendant Irma, ce sont effectivement 3 910 actes médicaux psychologiques qui ont été réalisés à la fois à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et en Guadeloupe, vers laquelle un certain nombre d’habitants se sont déplacés. Des renforts sont arrivés de la zone, mais aussi de l’Hexagone, afin de renforcer les capacités locales de prise en charge.
Les effets médico-psychologiques après une crise majeure sur les personnels de santé et de secours doivent également être pris en compte. C’est pourquoi, pendant Irma, certains d’entre eux ont bénéficié d’une prise en charge médico-psychologique et d’un accompagnement, technique, administratif et personnel, qui se révèle tout aussi nécessaire.
Vous parlez d’un faible recours aux dispositifs qui ont été mis en place. Or je sais, mais cela n’a peut-être pas été comptabilisé, qu’un grand nombre de psychologues bénévoles se sont rendus dans les territoires, pour établir un lien avec les victimes et leur apporter un soutien.
Plus globalement, le dispositif d’organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelle, ou Orsan, élaboré par les agences régionales de santé (ARS), doit désormais comprendre un plan de prise en charge médico-psychologique de nombreuses victimes blessées psychiques.
Ce plan médico-psychologique s’inscrit dans la complémentarité du plan Orsec-Novi, déclenché par le préfet et qui permet la prise en charge rapide des blessés psychiques par les cellules d’urgence médico-psychologiques. Il définit la stratégie régionale de prise en charge des blessés en fonction des événements et des territoires visés, avec une attention particulière accordée à l’âge de ces personnes – enfants ou adultes – et à leur tableau clinique.
Il est important de se souvenir de l’exemple de Saint-Martin, car il peut être utile pour d’autres territoires : la langue maternelle peut être l’anglais, l’espagnol ou le créole ; nous devons davantage prendre en compte ces spécificités lors de prochaines crises ou, du moins, lorsque nous aurons à mettre en place de prochaines cellules.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre. Vous m’interrogez sur la nécessité d’un rapport pour suivre ces 3 910 personnes qui ont été touchées par Irma. Nous pouvons en débattre, pour trouver les moyens d’obtenir des données un an, deux ans ou trois ans après l’événement, voire quelques années plus tard, car le traumatisme perdure très longtemps et laisse des traces sur le comportement des blessés – panique, etc.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation aux outre-mer, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je salue cette initiative portée par la délégation et souligne avec beaucoup de respect et de reconnaissance le travail de nos collègues, qui se sont investis sur un sujet particulièrement sensible, à la suite des événements climatiques dramatiques qui ont touché les territoires ultramarins.
La métropole connaît aussi des catastrophes naturelles. Néanmoins, ces territoires éloignés sont particulièrement affectés. C’est pourquoi je voudrais insister, comme l’ont fait avant moi certains orateurs, notamment M. Arnell, sur la prévention de ces risques.
Or la climatologie et la géographie n’étant pas des sciences exactes – le droit à l’erreur est admis ! –, il est délicat d’établir les risques et, partant, de réaliser une sensibilisation et une information satisfaisantes.
Je n’oublie pas non plus l’urbanisme et toutes les difficultés liées à la construction – cela a été rappelé.
Enfin, il faudrait chiffrer ces risques à la suite de la consultation des différents opérateurs, tels que Météo France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) ou autres.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, la prévention, que j’ai déjà évoquée, est effectivement un sujet de la plus haute importance.
Avant tout, des formations doivent être déployées à tous les niveaux, qu’il s’agisse des fonctionnaires chargés de traiter ces dossiers ou des élus : combien d’entre eux ont besoin d’être préparés, non seulement pour gérer ces crises, mais aussi pour faire face à leurs suites ? Ils doivent notamment adapter les PPR, les schémas territoriaux d’aménagement et d’urbanisme (STAU) et d’autres schémas d’urbanisation.
De plus, les journées de prévention japonaises doivent s’étendre aux établissements d’éducation, enseignants et élèves confondus.
J’ajoute que, dans les territoires d’outre-mer, nous avons la culture du risque. M. Arnell a rappelé combien de catastrophes nous avons subies, notamment des cyclones. Cela dit, ces événements sont toujours plus forts, les dégâts sont toujours plus sévères. C’est pourquoi nous n’avons d’autre choix que de réactualiser les données.
En outre – j’y insiste –, les outre-mer ont beaucoup d’avance au titre des PPR : les préfets se sont très tôt saisis de cet outil, sachant quels défis devaient affronter les territoires confiés à leurs soins, quels risques couraient leurs populations.
Plans de prévention des risques, nouvelles formations mises en œuvre, journées de prévention japonaises, travail mené avec l’éducation nationale et avec l’ensemble des professionnels : au cours des mois qui viennent, toutes ces initiatives seront coordonnées dans des plans spécifiques, territoire par territoire. Elles apporteront ainsi, comme je l’espère, la réponse la plus adaptée possible, d’autant que ces plans feront partout l’objet d’une coconstruction !
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.
M. Marc Laménie. Madame la ministre, je tiens à vous remercier et à m’associer aux nombreuses recommandations formulées par mes collègues au terme d’un travail d’investigation particulièrement minutieux.
Comme vous, j’insiste sur la sensibilisation de tous les partenaires, notamment les élus ; je relève également que la notion de cartographie a toute son importance ! (Mme la ministre approuve.)
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Madame la ministre, il m’appartient de clore cette série de quinze questions, et je vous prie par avance d’excuser les éventuelles redondances de mon propos !
La France n’échappe pas aux effets du changement climatique. Nos territoires sont de plus en plus exposés à des phénomènes jusqu’à présent exceptionnels – incendies, inondations, fortes tempêtes –, et les territoires ultramarins sont particulièrement touchés.
Nos outre-mer sont en première ligne – vous avez même employé le mot de « vigies » –, car l’élévation du niveau des mers s’accompagne de phénomènes accrus d’érosion côtière. De plus, comme nos collègues le relèvent justement dans leur rapport d’information, l’acidification des océans devrait affecter la survie des écosystèmes qui assurent une fonction protectrice des littoraux, comme les récifs coralliens ou les mangroves.
Par son intensité et sa soudaineté, l’ouragan Irma l’a montré : nos territoires ne sont pas prêts à faire face à des cyclones si puissants. Le bilan de cette tempête fut hors normes, avec près de 26 000 sinistres enregistrés, pour un montant total de 1,9 milliard d’euros.
En outre – le rapport le relève également –, deux ans après, la reconstruction est loin d’être achevée : à Saint-Martin, le taux est de 49 % seulement, contre 87 % à Saint-Barthélemy, ce qui – il faut le souligner – est beaucoup mieux.
En prenant en compte ces enjeux dans une approche programmatique, quelles mesures spécifiques l’État et les collectivités territoriales ont-ils prises pour rendre ces îles plus résilientes ?
De manière générale, comment l’État compte-t-il faire appliquer, ou adapter, les normes de construction outre-mer, afin de garantir la sécurité des biens et des personnes ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur Mandelli, je vous le concède volontiers : il n’est jamais facile de poser une question après une dizaine d’interventions consacrées au même sujet ! (Sourires.)
J’ai déjà rappelé l’implication de l’État, notamment en détaillant ses missions de contrôle. Bien sûr, il exerce et continuera d’assumer son rôle régalien. Il en est de même pour l’accompagnement budgétaire, mis en œuvre au travers du fonds Barnier, que j’ai cité, ou encore par l’Agence française de développement (AFD).
Le ministère des outre-mer agit sur le front du logement ; le ministère de la transition écologique et solidaire pilote divers appels à projets ; le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation joue, lui aussi, un rôle de soutien. Le Gouvernement tout entier est mobilisé pour financer des outils adaptés et tenir compte des spécificités des territoires d’outre-mer.
Or plusieurs rapports récents ont pointé l’inadéquation de nombreuses réglementations et normes de construction au contexte des territoires ultramarins. Ainsi, au sujet du BTP, nous devons poursuivre le travail. Je vous renvoie notamment à deux parutions : Le BTP outre-mer, pied du mur normatif : faire d’un obstacle un atout et Adaptation et simplification des normes en matière d’aménagement dans les départements de la Guyane et de Mayotte.
L’enjeu est d’être plus efficace sur le terrain tout en composant avec certaines injonctions contradictoires. Quelquefois, les mesures de prévention sismique, prises en vue des cyclones, se heurtent à d’autres choix de construction. D’un côté, les toitures en dur sont nécessaires ; de l’autre, elles restent un handicap. La conférence du logement a travaillé sur ces questions, mais nous devons à présent les traiter de manière beaucoup plus technique.
À cette fin, le cadre législatif va être modifié : les assemblées parlementaires débattront ainsi d’un projet de loi spécifique – je l’ai dit en répondant à M. Arnell. Au-delà, il nous faut mettre en place un ensemble de plans locaux.
Parce que La Réunion ne ressemble pas à Mayotte, parce que la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie font face à des défis différents, parce que la Guadeloupe et la Martinique ont d’autres enjeux à traiter que la Guyane, parce que Saint-Pierre-et-Miquelon n’est pas Wallis-et-Futuna, il est indispensable de travailler territoire par territoire.
Il n’y a pas « l’outre-mer », mais une diversité de territoires, avec leurs problématiques propres ; et si un sujet permet de le constater, c’est bien celui dont nous avons débattu ce soir, même si tous les territoires d’outre-mer sont aujourd’hui touchés par les risques climatiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je tiens à vous remercier de ce débat. Le rapport présenté par M. le président de la délégation aux outre-mer et par M. Arnell, qui est très engagé sur ces questions, permettra, je l’espère, d’apporter les réponses aussi judicieuses que possible, pour répondre aux véritables besoins de nos concitoyens.
Si nos territoires d’outre-mer sont des vigies face au dérèglement climatique, vous êtes les vigies de la loi, notamment pour faire évoluer la législation destinée aux territoires d’outre-mer !
Conclusion du débat
M. le président. Pour clore le débat, la parole est à M. le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer.
M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme l’a rappelé à juste titre le rapporteur coordonnateur, notre collègue Guillaume Arnell, le choc représenté par le passage d’Irma ne pouvait laisser le Sénat sans réaction ; et c’est avec le soutien de notre président, Gérard Larcher, qu’une étude sur les risques naturels a été engagée. Qu’il soit ici remercié de l’attention qu’il a accordée à ce sujet dès les premiers instants.
En outre, je salue tout particulièrement l’implication de Guillaume Arnell, qui a su dépasser le seul drame de Saint-Martin pour embrasser la cause de l’ensemble des risques et de l’ensemble des territoires.
Dans cette tâche, il a été épaulé, pour le premier volet, par les rapporteurs Mathieu Darnaud et Victoire Jasmin et, pour le second, par Abdallah Hassani et Jean-François Rapin, dont l’expérience de médecin nous a permis de mettre l’accent sur un enjeu bien particulier : la délicate prise en charge psychologique des populations.
Mes chers collègues, les 100 recommandations formulées à l’issue de ces travaux sont donc le fruit d’un effort collectif et de l’écoute attentive des réalités de nos collectivités territoriales. Pour autant, votre présence témoigne d’un intérêt qui va au-delà de la seule délégation aux outre-mer, preuve, s’il en fallait une, qu’il s’agit là d’un sujet de portée nationale.
Nos outre-mer sont fortement exposés aux risques naturels, si bien que notre délégation a coutume de les qualifier de sentinelles des changements climatiques ; madame la ministre, vous avez parlé, pour votre part, de « vigies ». Je vous remercie de votre implication sans faille et de votre disponibilité : vous êtes toujours à l’écoute des territoires et au plus près de nos réalités complexes, en particulier lors de vos déplacements.
Je sais aussi votre engagement et votre détermination à voir aboutir un projet de loi traduisant les mesures et dispositifs nécessaires pour améliorer la prévention et la réponse à apporter aux catastrophes.
Je ne doute pas un seul instant de votre implication. Mais j’ose espérer que vous ne serez pas seule pour défendre ce sujet au sein du Gouvernement. Trop souvent, face à une thématique à caractère ultramarin, les autres ministères s’exonèrent de leurs responsabilités, et la question incombe à vos seuls services !
Je souhaite donc que l’ensemble des ministres concernés travaillent à vos côtés et se saisissent avec vous de ce texte, qui doit couvrir tant de champs, de problématiques et d’actions. (M. Guillaume Arnell opine.)
Dans cette perspective, notre ambition est que le travail approfondi réalisé par la délégation serve de base et éclaire le débat. D’ores et déjà, un dialogue constructif a été engagé avec le délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer, M. Frédéric Mortier.
Sur le fond, notre collègue Guillaume Arnell a soulevé, pour une très grande part, les questions qui doivent trouver une réponse concrète et énergique. Je sais bien que nos recommandations ne se traduiront pas uniquement dans la loi.
M. Michel Magras, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer. Vous l’avez dit, un certain nombre d’entre elles sont de nature réglementaire ; et leur mise en œuvre devra respecter le principe de libre administration des collectivités territoriales, d’autant plus lorsque ces dernières disposent d’une part d’autonomie.
Il faudra également tenir compte des opérateurs extérieurs intervenant dans les domaines de l’énergie, du numérique, de la téléphonie ou encore du BTP, que vous avez vous-même cité. (Mme la ministre acquiesce.)
J’en suis profondément convaincu : ces solutions ne peuvent venir que du terrain et les collectivités territoriales sont les mieux à même d’assurer l’adéquation des mesures préconisées aux réalités des territoires. C’est là encore un enjeu de différenciation territoriale, sujet qui, comme vous le savez, me tient à cœur.
Le rapporteur coordonnateur a soulevé un premier sujet : l’adaptation du cadre des plans de prévention des risques naturels (PPRN), dont l’efficience passe par un équilibre entre prescription et adaptation aux réalités. Ce travail suppose de rester à l’écoute des collectivités et de leurs populations.
Il en va de même pour les normes de construction, bien qu’elles dépassent le seul enjeu de l’exposition aux risques naturels.
L’organisation de véritables assises de la construction ultramarine me semble aller dans le bon sens : j’espère que cette initiative recueillera également votre soutien. Ces rencontres seront l’occasion de partager des expériences et de mutualiser des connaissances au service de l’acclimatation de la qualité de la construction, pour une meilleure protection face aux risques.
Enfin, on ne peut parler de risques, de prévention, de gestion de crises et a fortiori de résilience sans parler des populations. Avant tout, ces dernières doivent être formées : il faut leur inculquer une véritable « culture de crise ».
Vous assurez que nous possédons cette culture ; pour ma part, je suis tenté de conjuguer votre phrase au passé, madame la ministre, étant donné les changements de population que connaissent nos territoires, lesquels sont loin d’être négligeables. C’est pourquoi nous avons eu à cœur de parler de reconstruction non seulement matérielle, mais aussi humaine. Je vous sais gré, mes chers collègues, d’avoir été sensibles à cet enjeu.
Comme tel est le cas pour toutes les études de notre délégation, il appartient désormais à chacun de s’approprier nos recommandations pour les faire vivre. Vous le savez, la délégation a fait le choix de ne pas exercer de compétences législatives stricto sensu, et j’y tiens.
Je suis certain que, le moment venu, les commissions permanentes sauront se faire l’écho et les relais de nos ambitions, pour mieux faire face aux défis climatiques qui se présentent à nous ! (Applaudissements.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les risques naturels majeurs outre-mer.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Quelle doctrine d’emploi de la police et de la gendarmerie dans le cadre du maintien de l’ordre ?
Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, sur le thème : « Quelle doctrine d’emploi de la police et de la gendarmerie dans le cadre du maintien de l’ordre ? »
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe auteur de la demande.
Mme Éliane Assassi, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à clarifier quelle était l’intention de mon groupe en demandant l’inscription de ce débat à l’ordre du jour.
Il ne s’agit pas pour nous de jeter l’opprobre sur les forces de l’ordre de notre pays : nous avons d’ailleurs choisi de libeller l’intitulé de ce débat en termes mesurés pour éviter soigneusement toute caricature. Il s’agit globalement d’aborder le sujet de la sécurité publique dans notre pays sous l’angle, éminemment politique, du maintien de l’ordre.
Les élus de notre groupe ont souvent été force de proposition sur le sujet. Je pense non seulement à notre contribution à la commission d’enquête sur l’état des forces de sécurité intérieure, mais aussi à nos propositions de loi visant à instaurer une véritable police de proximité ou à interdire l’usage des lanceurs de balles de défense (LBD). Dans tous ces cas, nous avons travaillé dans le même esprit : le rééquilibrage indispensable du triptyque « prévention, dissuasion, répression ».
Avec ce débat, il ne s’agit donc pas d’alimenter la logique mortifère d’un « camp » contre un autre ou de dresser un constat stérile de la mauvaise gestion des manifestations par le pouvoir en place. Il y a bien sûr fort à dire des dérives autoritaires du Gouvernement, mis en défaut par la colère sociale et les mouvements sociaux qu’elle engendre ; mais, selon nous, l’essentiel aujourd’hui est de tenter de comprendre l’engrenage de la violence pour amorcer sa désescalade et entrevoir des solutions d’apaisement désormais urgentes.
En effet, une chose est sûre : les opérations de maintien de l’ordre et l’usage de la force lors des manifestations ont rarement été aussi discutés.
Depuis novembre 2018, le mouvement des « gilets jaunes » a mis au cœur de l’actualité l’usage de la force lors des manifestations, démontrant la nécessité de revoir la doctrine du maintien de l’ordre, déjà dévoyée depuis de nombreuses années.
Nous pourrions remonter aux dites « émeutes urbaines » de 2005, ou encore à Sivens, où les heurts entre police et manifestants ont conduit à la mort tragique de Rémi Fraisse. Mais, plus récemment, la gestion des manifestations contre le projet de loi Travail était déjà révélatrice d’un changement de paradigme, comme l’explique un chercheur spécialiste du maintien de l’ordre : « À partir de 2016, la violence de la répression à laquelle étaient habituées les populations des quartiers défavorisés a commencé à toucher des catégories de personnes auparavant épargnées. »
Dans ce contexte, le Défenseur des droits a publié, en décembre 2017, un rapport intitulé Le Maintien de l’ordre au regard des règles de déontologie. S’alarmant des mutations dont a fait l’objet la doctrine du maintien de l’ordre public en France ces dernières années, il souligne que « l’équilibre subtil entre exercice des libertés publiques et contraintes de sécurité, sur lequel repose la doctrine du maintien de l’ordre, se trouve fragilisé ». Nous ne pouvons, hélas ! que le constater davantage encore aujourd’hui.
L’institution recommande ainsi « une mise en œuvre du maintien de l’ordre plus protectrice des libertés ». À cet égard, elle rappelle : « L’ordre public est constitutif de la démocratie. Il doit permettre de conforter les droits fondamentaux, il ne saurait en être l’antagoniste. »
Beaucoup plus récemment, le Conseil de l’Europe et les Nations unies ont mis en garde la France sur ses méthodes brutales de gestion des manifestations. Les rapporteurs spéciaux des Nations unies rappellent que l’usage de la force dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre doit être déterminé par une structure de commandement claire, transparente, qui « doit être définie pour minimiser le risque de violence et de recours à la force ainsi que pour veiller à ce que les agents soient tenus responsables pour tout acte ou omission illicite ».
En février 2019, le Parlement européen condamnait « le recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques ». De plus, il rappelait que « les services répressifs doivent toujours rendre compte de l’exercice de leurs fonctions et de leur conformité avec les cadres juridiques et opérationnels applicables ».
Face à ce discrédit, aucune remise en cause des méthodes largement développées ces dernières années et employées depuis des mois n’a été annoncée par le ministère de l’intérieur. Le nouveau schéma national du maintien de l’ordre, qui sera prochainement dévoilé par la place Beauvau, apparaîtrait même inquiétant, à en croire le document de travail que s’est procuré la presse il y a peu – même si le contenu de ce schéma ne semble pas encore tout à fait arrêté.
Au mois de juin dernier, lors du lancement officiel de cette réflexion, M. Castaner a d’ailleurs donné le ton en expliquant : « Les forces de l’ordre ont été des exemples de professionnalisme, de maîtrise et de sang-froid. » Il ajoutait : « Malgré la violence extrême à laquelle elles ont été confrontées, le pire a été évité. »
À rebours de la tradition française de maintien de l’ordre consistant à tenir à distance les manifestants, la nouvelle doctrine rédigée par le ministère insiste sur la nécessité d’aller au contact des manifestants pour disperser et interpeller.
De fait, face aux exigences croissantes de sécurité dans un contexte de menace terroriste, la dimension judiciaire et répressive du maintien de l’ordre a pris une place plus importante dans la gestion de l’ordre public, au détriment de la mission d’encadrement et de protection des manifestations.
Des mesures d’exception devenues pérennes et inscrites dans le droit commun, liées à des menaces terroristes, ont profondément modifié le rapport des forces de police au maintien de l’ordre à la française.
Cette tendance à la judiciarisation du maintien de l’ordre, qui se traduit par la volonté d’interpeller davantage, y compris de manière préventive, résulte de choix politiques qui ont pour conséquence un recours accru à des forces non spécialisées, telles que la brigade anti-criminalité (BAC). Cela s’explique, rappelons-le, par la suppression, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, de 2 000 postes de CRS.
De plus, consigne a été donnée d’aller davantage au contact que ne le préconise traditionnellement la doctrine française de maintien à distance des foules.
Dans son témoignage, un commandant d’une compagnie républicaine de sécurité explique que cette volonté d’aller le plus vite possible au contact des manifestants est « un changement de pied historique » : « J’ai peur qu’il y ait des gens tués dans les prochaines opérations de maintien de l’ordre, d’un côté ou de l’autre. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu de mort jusque-là, car plus on va au contact, plus le risque d’accident grave est élevé. Tôt ou tard, on va être confronté soit à des policiers à moto coincés dans une rue et lynchés au milieu de la foule, soit à un nouveau Malik Oussekine. »
Selon Denis Jacob, dirigeant du syndicat Alternative Police CFDT, même si se sont agrégées aux mouvements sociaux « des personnes qui n’ont rien à voir avec les manifestants et ne viennent que pour en découdre avec l’autorité de l’État, […] le maintien de l’ordre ne doit pas être une réponse violente à la violence. »
Aussi, mes chers collègues, pour répondre aux exigences croissantes de lisibilité et de transparence à l’égard des institutions, il nous paraît nécessaire de recentrer le maintien de l’ordre sur sa mission de police administrative de prévention et sur l’accompagnement de la liberté fondamentale de manifester, garantie des droits et libertés publiques.
Les dispositifs de maintien de l’ordre doivent, en outre, reposer le plus souvent possible sur la négociation, le dialogue et la pédagogie, ainsi que le préconisait le Défenseur des droits dans son rapport sur le maintien de l’ordre en décembre 2017.
D’autres doctrines d’emploi des forces de l’ordre existent, notamment en Europe, pour pacifier le maintien de l’ordre.
La France est un des rares pays de l’Union européenne à utiliser des armes dites sublétales causant de graves blessures. En ce sens, il paraît urgent d’engager une réflexion et de s’appuyer sur les modèles existants chez nos voisins européens, dans les pays nordiques, par exemple, où la doctrine de maintien de l’ordre repose sur la désescalade et où la relation entre la police et la population est fondée sur une recherche de confiance. Tel est l’objectif de la proposition de loi que nous avons déposée, visant à rétablir une véritable police de proximité.
Par exemple, dans les pays du Nord – Pays-Bas ou Suède – des « unités de la paix » font désormais le lien entre les policiers antiémeutes et les manifestants, sur le modèle des officiers médiateurs.
En Allemagne, où un slogan affirme : « La police, ton ami », l’installation de grands écrans lumineux pour prévenir les manifestants des opérations – charge, sommation, demande d’évacuation d’une place ou d’une rue – permet de réduire l’incompréhension.
Au Danemark, la proximité avec la population est au centre de la formation des fonctionnaires de police.
Au Royaume-Uni, le consensus est au cœur de l’exercice.
L’Espagne a déjà emboîté le pas à ces pays en créant un département de médiation composé de policiers formés en psychologie ou en sociologie. Le dispositif aurait ainsi contribué à faire baisser le nombre d’incidents en manifestation de 70 % entre 2011 et 2014, selon un rapport des inspections générales de la police et de la gendarmerie.
En résumé, les solutions ne manquent pas pour pacifier le maintien de l’ordre en France et il est aujourd’hui urgent de tirer les leçons de l’escalade de la violence et de l’usage disproportionné de la force publique par les autorités, dont les policiers et les gendarmes sont eux-mêmes victimes. Ils sont en effet victimes d’instructions parfois peu déontologiques ; victimes d’une perte de sens de leur métier, qui les conduit parfois malheureusement au pire. Leur métier, rappelons-le, est pourtant d’abord d’utilité publique.
Vous l’aurez compris, notre groupe, en proposant que notre assemblée débatte d’un tel sujet, a souhaité que, ensemble et loin des polémiques, nous amorcions sereinement des pistes de travail pour restaurer le lien de confiance entre la police et la population. Celui-ci s’est distendu, en grande partie en raison d’une doctrine de maintien de l’ordre aujourd’hui dévoyée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le maintien de l’ordre est, sans nul doute, un sujet d’une grande actualité. C’est pourquoi je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE pour l’inscription de ce débat à l’ordre du jour, tant il est nécessaire de mieux comprendre comment la doctrine d’emploi de la police nationale et de la gendarmerie nationale dans le cadre du maintien de l’ordre a évolué depuis ces derniers mois.
Par où commencer ? Dans le sillage des manifestations liées à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, à la loi Travail, au mouvement des « gilets jaunes » et, plus récemment, au projet de loi portant réforme des retraites, force est de constater que l’État est confronté à une augmentation sans précédent des actes de violence tant envers les biens – notamment le mobilier urbain – qu’envers les symboles de la République, à l’image du saccage de l’Arc de Triomphe, le 1er décembre 2018.
Ainsi, pour les opérations de maintien de l’ordre, l’année qui vient de s’écouler aura été exceptionnelle, à la fois par la durée de mobilisation des forces de sécurité intérieure et par le niveau de violence auquel ont dû faire face gendarmes et policiers.
Afin de répondre à ce développement des troubles à l’ordre public, l’État, qui en est le principal garant, doit disposer d’unités professionnelles qui s’appuient sur des savoir-faire et des savoir-être garantissant une continuité de son action en tout temps et en tous lieux. C’est pourquoi des forces professionnelles de maintien de l’ordre, spécialement formées et solidement encadrées par des personnels expérimentés, sont les plus à même de favoriser une gestion politique des crises sociales. Rompues à doser l’emploi de la force, elles permettent ainsi d’éviter des fractures durables au sein du corps social qu’est la Nation.
Ces unités régulièrement entraînées doivent renforcer leur robustesse afin de se préparer collectivement aux situations les plus dangereuses et les plus instables, mais également développer leurs capacités physiques et leur maturité psychologique en matière de gestion du stress ainsi que le discernement individuel de leurs membres.
Vous l’aurez donc compris, mes chers collègues, la formation et l’entraînement sont la clé d’un maintien de l’ordre efficace, c’est-à-dire avec un usage strictement nécessaire de la force.
Face à l’intensification et à la multiplication dans le temps de ces mouvements de violence, cependant, l’État a dû faire appel à des policiers ou à des gendarmes qui n’étaient pas des spécialistes du maintien de l’ordre, issus notamment de brigades anti-criminalité. Confier les missions de maintien de l’ordre, même très ponctuellement, à des personnels non spécialisés peut présenter un risque pour ces personnels eux-mêmes, qui sont moins bien formés et mal entraînés à l’usage de tel ou tel matériel, mais aussi pour les personnes qui se trouveront face à eux.
À cet égard, il y a quelques mois, nous avions débattu dans cet hémicycle des lanceurs de balles de défense. D’utilisation complexe, mais indispensable, ce matériel nécessite une réelle expertise dans son maniement. Il est probable qu’un policier de la BAC ou un CRS, plongés au cœur d’une manifestation violente, n’auront pas exactement les mêmes réflexes ou les mêmes réactions en l’utilisant.
Comment, dès lors, concilier liberté de manifester et respect de l’ordre public ? Peut-on parler d’un changement, voire d’une remise en question, de la doctrine d’emploi du maintien de l’ordre ? Je le pense.
Comme je l’ai rappelé, nous avons assisté à une réorganisation du maintien de l’ordre qui permet aux forces de l’ordre d’être plus mobiles, présentes sur l’ensemble du territoire et plus dynamiques. Elles peuvent ainsi disposer d’une plus grande autonomie. Depuis plusieurs mois, la doctrine historique reposant sur le principe de la mise distance pour éviter un contact direct avec les manifestants a sensiblement évolué, afin que les compagnies de CRS ou de gendarmes mobiles ne soient plus simples spectateurs des agissements de ces casseurs appelés Black Blocs qui empêchent tout individu d’exercer son droit de manifester librement.
Ce changement de doctrine visant à permettre une intervention plus directe et plus réactive est, certes, salutaire, mais n’est pas dénué de conséquences. Lorsque des policiers et des gendarmes vont au contact, le risque de blessures s’accroît, du côté des manifestants comme des forces de l’ordre.
Enfin, le débat d’aujourd’hui nous donne l’occasion d’évoquer la décision rendue par le Défenseur des droits en décembre dernier rappelant que « les fonctionnaires de police et militaires de gendarmerie […] appartenant aux services et aux unités engagées en opération de maintien de l’ordre ne peuvent, au cours de ces opérations, dissimuler leur visage, notamment par une cagoule ».
Ce principe vient renforcer celui que met en œuvre la loi du 2 mars 2011, qui dispose que « se dissimuler le visage, c’est porter atteinte aux exigences minimales de la vie en société ».
Autrement dit, dans l’espace public personne ne peut porter une tenue destinée à dissimuler son visage sans motif légitime, tel que la participation à des missions spécifiques et strictement définies par une note de la direction générale de la police nationale (DGPN).
Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, il est important de rappeler que, comme n’importe quel citoyen, les agents de police se doivent d’être visibles, reconnaissables, notamment par leur numéro de matricule. Le port de la cagoule doit rester strictement encadré et les règles relatives au matricule respectées, y compris lors des opérations de maintien de l’ordre, afin que certains policiers ou gendarmes qui ne respecteraient pas les lois de la République ne puissent pas se réfugier dans l’anonymat.
Mes chers collègues, débattre du maintien de l’ordre n’est pas sans difficulté, tant la notion a évolué et s’est adaptée au cours des crises sociales que notre pays a connues. Il est fondamental que les forces qui assurent le maintien de l’ordre conservent toute la confiance du peuple, car elles sont les garantes de la stabilité de la société.
Pour que cette confiance soit garantie, il faut que les comportements déviants soient sanctionnés dès qu’ils sont détectés, afin que les agissements d’une infime minorité ne déteignent pas sur les policiers et les gendarmes qui assurent notre sécurité au quotidien.
C’est l’occasion, pour moi ainsi que pour les membres du groupe Union Centriste, de témoigner de notre soutien aux policiers et aux gendarmes et de notre respect pour le difficile métier qu’ils exercent. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis des mois, la France vit une situation politique et sociale dégradée à l’origine d’un climat de défiance et de violence à l’égard des représentants de l’autorité publique. Les forces de l’ordre, à propos desquelles nous débattons ce soir, font face à une situation inédite à plus d’un titre.
Il y a eu, d’abord, les attentats contre Charlie Hebdo, ceux du Bataclan, puis tous les suivants, qui ont conduit à une montée en puissance du dispositif de sécurité intérieure. Cette mission essentielle, qui s’avère consommatrice d’effectifs et de moyens, ne semble pas près de s’arrêter, compte tenu du niveau élevé de menace, du retour des revenants et des fins de peines de certains condamnés pour terrorisme.
Il y a, ensuite, la crise migratoire, dont l’issue n’est pas pour demain, avec des conditions difficiles et des situations qui dégénèrent parfois.
La radicalisation, encore, de la contestation sociale s’amplifie. Des manifestations tournent mal, noyautées par des individus qui débordent aussi bien les forces de sécurité que les organisateurs des manifestations. Les réseaux sociaux jouent un rôle d’activateur et de caisse de résonnance de ces violences, compliquant le maintien de l’ordre.
La crise des « gilets jaunes », enfin, s’est ajoutée au tableau. Ni son ampleur ni sa radicalité n’avaient été anticipées. Elle est attisée, selon moi, par des mouvements ultras, spécialistes du désordre, qui veulent abattre les institutions, quand le cœur du mouvement – il faut le dire – reste pacifique.
Il semble loin, le temps où les Français acclamaient dans les rues leur police qui venait de mettre un terme à la cavale meurtrière de terroristes. Un certain fossé se creuse entre les citoyens et la police ; les problématiques, pour ne pas dire les errements, du maintien de l’ordre n’y sont pas étrangers.
Cette situation ne peut plus durer, ne serait-ce que parce que personne, et surtout pas la démocratie, n’y trouve son compte, sauf l’extrême droite, qui se nourrit de ce climat délétère, et l’extrême gauche, qui peut donner libre cours à sa haine du capitalisme et des institutions, tout en médiatisant ses coups d’éclat.
C’est un fait, les forces de l’ordre sont épuisées d’avoir à faire face sur plusieurs fronts simultanément, le maintien de l’ordre s’ajoutant à leurs autres missions et s’inscrivant dans la durée.
Le bilan des blessés est inquiétant, sans parler des blessures invisibles, psychologiques, qui apparaissent lorsque les personnels sont à bout et peuvent conduire à des extrémités dramatiques. Ciblées par les Black Blocs, les forces de l’ordre le sont aussi par les terroristes. C’est la double peine !
De leur côté, les citoyens, choqués par certaines images, ne comprennent pas les stratégies de maintien de l’ordre mises en œuvre, et en sont parfois les victimes. Au cours de l’année dernière, celles-ci n’ont pas permis d’éviter, outre les violences sur les policiers, les atteintes aux personnes et les nombreuses dégradations de biens publics et privés.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, les dégâts matériels ont été considérables sur la voie publique, même si le pire a été évité. En guise de maintien de l’ordre, il n’y a eu, dans certains cas, ni maintien ni ordre, mais seulement une gestion désordonnée du désordre qui a mis en péril les policiers, les gendarmes, les manifestants pacifiques, les commerçants et les habitants des quartiers concernés.
Alors, fatigués, débordés, parfois désorientés par les consignes, certains policiers se sont laissés aller à des comportements inappropriés, dont les plus graves doivent être sanctionnés, et qui, en retour, alimentent la haine de la police, puissamment relayée sur internet et dans la « complosphère ».
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, quels retours d’expérience faites-vous des événements des derniers mois ? Comptez-vous abandonner des zones, comme ce fut le cas place d’Italie, dans lesquelles les radicaux peuvent tout casser ? Comment améliorez-vous la coordination avec les autres services, notamment les mairies, afin d’éviter aux forces de l’ordre d’être canardées par du mobilier urbain ou de chantier ? Comment renforcez-vous la formation au maintien de l’ordre ?
Je le conçois, la reprise en main du maintien de l’ordre ne passe pas uniquement par le ministère de l’intérieur et par la doctrine d’emploi des forces. Elle ne pourra être réellement efficace que si la réponse pénale, pour les cas qui en relèvent, est rapide et forte.
Manifester est, et doit rester, un droit fondamental dans notre démocratie. À cette occasion, ne laissons plus les casseurs tenir le haut du pavé et dégrader notre bien commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’avoir choisi ce thème de débat aujourd’hui, qui traduit sa volonté constante d’accorder de l’importance aux questions de maintien de l’ordre dans notre hémicycle. Mes chers collègues, vous aviez également invité le Gouvernement à discuter avec nous de l’interdiction des lanceurs de balles de défense en 2019, et M. Laurent Nunez avait alors fait des déclarations intéressantes, sur lesquelles je reviendrai.
Il est malheureux de constater que, débat après débat, le Gouvernement fuit les responsabilités qui sont les siennes dans l’état de tension qui existe dans le pays. C’est un jour la faute des « gilets jaunes » – admettons ! –, un autre, celle des Black Blocs – je veux bien le croire –, un autre encore celle des observateurs de la Ligue des droits de l’homme – ils ont le dos large ! –, mais jamais, au grand jamais, la responsabilité du Gouvernement ne saurait être invoquée !
Ces derniers mois, devant l’évidence, vous avez fini par lâcher du lest, en rejetant d’abord la responsabilité sur des policiers qui auraient commis individuellement des erreurs, puis en lançant une consultation citoyenne pendant deux week-ends, dont on a finalement peu entendu parler. Laissez-moi vous dire qu’un peu plus de transparence en la matière aurait été bienvenu ! Après tout, la convention citoyenne sur le climat travaille bien en communiquant beaucoup, l’exécutif sait donc rendre les choses accessibles au grand public, quand il le veut.
Au sujet de l’information rendue accessible au grand public, je me permets d’aborder un élément que Mediapart a porté à notre connaissance : la DGPN travaillerait à des évolutions législatives visant à limiter le nombre de vidéos de violences policières filmées par les citoyens. On évoque une moindre diffusion, voire des floutages. Nous aimerions en savoir plus et, surtout, comprendre la logique de cette démarche : d’un côté, le Gouvernement veut développer la reconnaissance faciale dans la vidéosurveillance et équiper les binômes porteurs de LBD de caméras-piétons et, de l’autre, il entendrait limiter la portée des images réalisées par les citoyens.
Je reviens sur les caméras-piétons, sans doute très utiles pour restaurer la confiance entre la police et la population en matière de maintien de l’ordre. J’ai déposé une question écrite à ce sujet, que vous me permettrez de relayer ici. Lors du débat passé sur l’interdiction des LBD, vous aviez déclaré, monsieur le secrétaire d’État : « Le ministre de l’intérieur a notamment exigé que tous les policiers et les gendarmes munis de LBD soient dotés de caméras-piétons pour pouvoir vérifier systématiquement le bon usage de l’arme et, surtout, contextualiser cet usage pour s’assurer qu’il a été effectué dans des conditions réglementaires. »
Un an plus tard, Le Canard enchaîné nous faisait part de l’inutilité supposée de 10 400 caméras-piétons, acquises pour 2,3 millions d’euros : ces équipements ne bénéficieraient pas de batteries suffisantes pour une utilisation facile. Les difficultés d’usage de ces dispositifs en situation de tir de LBD semblaient connues. La DGPN envisageait des binômes – porteur de LBD, porteur de caméra – dès 2019.
Monsieur le secrétaire d’État, ces informations sont-elles vraies ? Combien de caméras avez-vous achetées depuis 2019, et à quel prix unitaire ? Quelles sont les caractéristiques du modèle retenu ? Comment les équipements ont-ils été répartis entre forces de police et de gendarmerie ?
Par ailleurs, j’aimerais connaître les caractéristiques du modèle retenu pour l’équipement, annoncé l’été dernier, des pompiers de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et du service départemental d’incendie et de secours du Val-d’Oise.
Monsieur le secrétaire d’État, interrogé sur des actes précis, vous avez l’habitude de répondre qu’une enquête a été ouverte par l’inspection générale de la police nationale (IGPN). Je comprends tout à fait cette position, conforme, en quelque sorte, à la séparation des pouvoirs. Reste que des doutes existent sur l’IGPN. Je n’en donnerai qu’une seule illustration : après que, à Strasbourg, un jeune garçon ne participant à aucune manifestation a été blessé au visage, l’enquête de l’IGPN n’a abouti à rien et le policier ayant tiré n’a pas été identifié. Le Défenseur des droits s’est saisi de ce cas.
J’espère donc, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne me renverrez pas à l’IGPN en réponse à ma dernière interpellation. Vos brigades de répression de l’action violente motorisées, ces fameuses BRAV-M, qui tirent à bout portant au LBD quand elles ne sont pas en danger, est-ce normal ? Cela contribue-t-il en quelque façon à la désescalade ? Dans ces conditions, pensez-vous que la priorité soit vraiment de flouter les BRAV-M dans les vidéos des citoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de nos collègues du groupe CRCE, que je remercie, nous débattons aujourd’hui d’un sujet très médiatisé, en particulier depuis que s’est développé l’usage des LBD, suivi de leur remise en cause. Cette médiatisation a même dépassé nos frontières, puisque le Parlement européen a adopté, le 14 février 2019, une résolution rappelant l’importance d’un recours proportionné à la force.
Il s’agit pourtant d’un sujet sur lequel le législateur n’a, en réalité, que peu de prise. De fait, en matière policière comme militaire, les conditions d’emploi de la force ont toujours relevé du domaine réglementaire, plus précisément d’une doctrine – mot qui figure dans l’intitulé de ce débat –, susceptible d’évoluer dans le temps, en fonction de la modernisation des équipements ou par nécessité d’adaptation rapide aux menaces.
Il est ainsi utile de rappeler que le code de déontologie applicable aux forces de l’ordre, conformément à l’article L. 434-1 du code de la sécurité intérieure, est établi par décret en Conseil d’État, donc au niveau infralégislatif. Par ailleurs, la doctrine de maintien de l’ordre est définie par les directions générales, sous l’autorité du ministère de l’intérieur.
Il revient au juge de veiller à ce que cette doctrine respecte les principes fixés par la loi, notamment les règles énoncées à l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure en ce qui concerne l’usage des armes : « Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent […] faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée. »
S’agissant spécifiquement du maintien de l’ordre, le même article prévoit, dans son 2°, que l’usage des armes ne peut intervenir, pour la défense des lieux occupés par les forces de l’ordre ou des personnes qui leur sont confiées, qu’après deux sommations faites à haute voix. Saisi par un manifestant s’estimant victime de violences, le juge s’assurera que l’ensemble de ces conditions étaient réunies au moment de l’usage de la force dans le cadre d’une manifestation.
Depuis quelques années, on constate une multiplication des recours devant le juge judiciaire pour violence avec arme. Certains regrettent qu’ils aient donné lieu à peu de condamnations et mettent en cause le rôle de l’IGPN.
Pour notre part, nous n’oublions pas l’extrême difficulté de la tâche assignée à nos forces de l’ordre : sans que cela excuse aucun comportement fautif, elles doivent faire face à une violence de plus en plus banalisée, continue et provocatrice.
C’est dans ce contexte que le juge administratif également est de plus en plus saisi, aux fins de rechercher une responsabilité administrative pouvant remonter des agents de maintien de l’ordre jusqu’au préfet, voire au ministre de l’intérieur – avec, chaque fois, la nécessité de traiter de la question complexe de la proportionnalité.
Dans ces conditions, a-t-on intérêt à renforcer l’encadrement législatif des doctrines de maintien de l’ordre ? Je ne le crois pas.
Il est toujours difficile pour le législateur de se projeter dans la situation d’un fonctionnaire chargé de maintenir l’ordre ou d’assurer la sécurité. Sur le terrain, la subjectivité prend le dessus, la rapidité des événements également.
J’ai souvenir des débats qui nous ont longuement tenus en éveil après les attentats de 2015, tant il était difficile de trouver les mots pour permettre aux forces de l’ordre d’intervenir en cas de périple meurtrier sans exposer nos concitoyens à des risques de bavures. Face aux raidissements – c’est un euphémisme… – observés des deux côtés et à l’influence croissante des Black Blocs parmi les manifestants, nous avions proposé des solutions vidéo pour tenter, en objectivant les rapports de force, de sortir des subjectivités qui opposent agents du maintien de l’ordre et manifestants.
À ceux qui doutent de l’existence de grands hommes d’État au sein de nos forces de l’ordre, je rappellerai les directives données par le préfet de police Maurice Grimaud, le 29 mai 1968, aux agents placés sous sa responsabilité : « Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites. »
Très attaché à la liberté de manifester, notre groupe est tout autant un défenseur de l’ordre républicain. (M. Daniel Chasseing opine.) Nous considérons que la désescalade doit aujourd’hui venir de ceux qui, parmi les manifestants, remettent en cause la légitimité du monopole de la violence exercé par l’État. Étant entendu que, bien évidemment, les abus de pouvoir doivent être examinés par le juge au cas par cas, dans le cadre des voies de recours ouvertes à ceux qui s’en estiment victimes.
C’est ainsi, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que régneront dans notre pays l’ordre républicain et l’État de droit, auxquels nous sommes tous attachés ! (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, LaREM et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la demande formulée par nos collègues du groupe communiste est évidemment légitime. Ce débat nous permet d’échanger informations et réflexions. Je suggère simplement que, dans le calme et avec recul, résistant à la tentation de juger un peu vite et de se donner le beau rôle, nous ne cédions pas à la facilité.
Si la question de l’évolution des doctrines de maintien de l’ordre se présente aujourd’hui, c’est à cause de facteurs externes aux forces démocratiques représentées dans cette assemblée, externes aussi – c’est mon appréciation – à l’organisation de la démocratie en France.
J’ai d’ailleurs apprécié la prudence de la formulation choisie par Mme Assassi pour présenter, au nom de son groupe, la demande de ce débat. Elle a, en outre, eu l’habileté – chose tout à fait légitime dans un débat – de ne prononcer des propos négatifs ou suspicieux que sous forme de citations de tiers. (Murmures sur les travées du groupe CRCE.)
Prenons un peu de recul. Ce sujet, nous n’en aurions pas parlé voilà cinq ans. Pendant très longtemps – j’ai connu cette période –, lors d’une manifestation publique, la coexistence était correctement cogérée par les organisateurs et les responsables de la force publique. Comme souvent, quand une période est satisfaisante, on ne s’en aperçoit qu’après coup…
Le sujet principal qui motive nos échanges de cet après-midi, c’est évidemment l’apparition de plus en plus répétée de groupes organisés ayant planifié des actes agressifs à l’encontre des forces de l’ordre et, plus largement, des propriétés publiques et des institutions. À partir d’une idéologie et d’une volonté de démonstration, ces groupes ont pour stratégie de démontrer que la République ne parvient plus à gérer de façon correcte l’expression des opinions, la liberté de manifester et la paix publique. Voilà pourquoi ces groupes partent à l’attaque – c’est factuellement cela – des forces de l’ordre : déclencher la violence, les incidents, c’est ce qu’ils cherchent !
C’est ainsi que nous en venons à discuter d’une adaptation subie par les forces républicaines et d’un effort pour rétablir la sécurité publique, à commencer par celle des manifestants pacifiques, face à une agressivité construite de l’extérieur. Une agressivité d’ailleurs imitée, puisque, d’abord pratiquée par des groupes militants se rattachant à une forme d’anarchie, elle s’est ensuite étendue à des groupes ayant probablement d’autres racines idéologiques, mais fascinés par la volonté de montrer leur petite puissance, leur petite capacité de destruction face à la République.
Pour mon groupe et moi-même, l’intérêt de ce débat est aussi de demander au Gouvernement de tracer l’évolution de sa réflexion et de son travail sur ces enjeux, à partir de quelques questions.
D’abord, comment appréciez-vous, monsieur le secrétaire d’État, la capacité, en vue de laquelle les forces sont organisées, à mieux identifier et à mettre à l’écart les groupes repérables comme violents dès les premiers temps de la manifestation ? Aujourd’hui, le choix tactique est fait de séparer les groupes de type Black Blocs de la masse des manifestants, ce qui est évidemment très difficile : estimez-vous que la méthodologie a progressé ?
Ensuite, nous devons nous pencher sur un sujet dont on ne parle pas très souvent, parce qu’il a longtemps fait partie du train-train républicain de notre pays : la coopération entre les services d’ordre des manifestations, en particulier les services d’ordre syndicaux, qui ont la capacité d’encadrement la plus forte, et les dirigeants de la force publique. Ce dialogue, qui a longtemps été le premier facteur de régulation des manifestations, s’est-il maintenu au même niveau de qualité ? Du reste, les services d’ordre ont-ils aujourd’hui la même capacité d’encadrement qu’il y a dix ou vingt ans ?
Par ailleurs, les gens auxquels nous faisons face, des gens qui veulent fragiliser la démocratie à travers la violence dans les manifestations, commettent des délits. Ils sont donc susceptibles de poursuites judiciaires. Or nous avons une sérieuse difficulté à faire constater, sur le moment et de manière judiciairement probante, la réalisation de l’infraction et son imputation à un individu donné, généralement déguisé. Depuis deux ou trois ans, monsieur le secrétaire d’État, a-t-on progressé dans la caractérisation en temps réel des délits commis au cours des manifestations ?
Enfin, du fait de la fréquence des manifestations et de la forte mobilisation à laquelle elles vous contraignent, vous devez régulièrement faire appel à des forces de sécurité publique non destinées à maintenir l’ordre : ces forces appelées en renfort ont-elles pu gagner en formation et en aguerrissement, afin que soit confortée leur aptitude à intervenir auprès de leurs collègues spécialisés ?
Puisque l’on parle de liberté de manifestation, il est une manifestation que je crois unanime parmi nous : celle de la solidarité des républicains vis-à-vis de tous ceux, militaires et fonctionnaires civils, qui assument la charge de protéger la paix publique face à ceux qui se proposent de la détruire. Cette manifestation, il me semble qu’elle en vaut bien d’autres ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, 860 signalements réalisés auprès de l’IGPN pour violences de la part d’agents dépositaires de l’autorité publique, 2 décès, plus de 1 700 blessés, parmi lesquels une cinquantaine de lycéens et mineurs, ainsi que 115 journalistes, 315 blessures à la tête, 24 éborgnés, 5 mains arrachées ; des militants pratiquant la désobéissance civile arrosés de gaz lacrymogènes à moins d’un mètre de distance. Sans oublier le jeune Marseillais qui, pas plus tard que la semaine dernière, a trouvé la mort à la suite de coups infligés par des policiers de la BAC. Et tout cela pour maintenir l’ordre et pour le bien de nos concitoyens.
Mais qui donne les ordres ? Les policiers et gendarmes sont-ils les seuls responsables de ce que tant d’observateurs dénoncent ?
Les « gilets jaunes », comme les participants aux mouvements sociaux de ces dernières années, ont beaucoup d’histoires de violences à raconter. Des violences que, par ailleurs, des instances internationales dénoncent régulièrement. Le pire est qu’elles restent, dans la majorité des cas, impunies, parce que leurs auteurs sont difficiles à identifier.
La doctrine de maintien de l’ordre d’un État reflète son projet de société. Le vôtre, monsieur le secrétaire d’État, est autoritaire – oui, autoritaire.
En Europe, nous sommes le seul État, avec la Grèce et la Pologne, à utiliser encore contre des manifestants des lanceurs de balles destinés à l’origine à des contextes de guérilla urbaine. Pourtant, nos voisins aussi font face à des violences citoyennes, notamment l’Allemagne, où des néonazis s’infiltrent dans les cortèges, et la Grande-Bretagne, où les mouvements de skinheads prolifèrent – sans compter les Black Blocs un peu partout.
En Allemagne, la doctrine de la désescalade a été adoptée afin d’éviter les violences inutiles ; ainsi les forces de l’ordre agissent-elles en amont, afin de prévenir toute atteinte à l’ordre public. Chez nous, dans une situation analogue, les forces de l’ordre préfèrent laisser les Black Blocs et autres minorités violentes agir dans les cortèges, n’intervenant qu’une fois les méfaits commis. S’ensuit alors une répression généralisée, sans distinction aucune entre les manifestants pacifiques et légitimes et les casseurs ayant commis des actes répréhensibles.
Comment cette doctrine s’est-elle installée ? De fait, les forces de l’ordre ne l’appliquent pas sans en avoir reçu la consigne de leur hiérarchie.
En termes d’arsenal, alors que nous utilisons des armes susceptibles de blesser nos concitoyens, les Allemands se limitent à des dispositifs permettant de garder les foules à distance. Au contraire, depuis bien longtemps, nos forces de l’ordre privilégient le corps-à-corps et le nassage des cortèges, créant de fait une promiscuité oppressante susceptible d’engendrer l’escalade de la brutalité entre manifestants et policiers.
Derrière les chiffres impersonnels des violences policières, il y a des individualités, des vies : celles de manifestants venus battre le pavé pour leurs convictions ; celles de journalistes venus couvrir les cortèges afin d’informer nos concitoyennes et nos concitoyens ; celles, même, de passants, blessés pour avoir été présents au mauvais endroit, au mauvais moment. Nombre d’entre eux ne sont que d’innocentes victimes collatérales d’une doctrine de maintien de l’ordre qui a échoué à assurer les conditions d’une paix sociale ne serait-ce que relative.
Prenons aussi en considération le fait que, pour ces raisons, le désamour de la population à l’endroit des forces de l’ordre va crescendo, ce qui risque à terme de mettre leur autorité à mal et de produire davantage de violence.
Il est grand temps de nous réinventer, de bannir les armes sublétales de nos arsenaux de maintien de l’ordre, comme a pu le demander le groupe CRCE l’an passé, d’enseigner les stratégies de désescalade à nos policiers et gendarmes, de renouer un dialogue constructif entre manifestants et forces de l’ordre, sur le modèle de ce que font les peace units aux Pays-Bas ou les « officiers de dialogue » en Suède. Pour y arriver, il est surtout indispensable que l’État, le ministère de l’intérieur et les préfets fassent évoluer leur doctrine du maintien de l’ordre en renonçant au tout répressif.
Vous le devez à tous ces blessés, touchés dans leur corps. Nous le devons à Malik Oussekine, à Rémi Fraisse, à Steve Maia Caniço, à toutes ces victimes que nous déplorons depuis des décennies. Il est urgent de tirer les leçons de ces drames. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mmes Michelle Meunier et Angèle Préville applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’ordre public est nécessaire à l’exercice des libertés. Il a été gravement troublé durant les deux dernières années.
Au mois de novembre 2019, après un an de manifestations des « gilets jaunes », le bilan dressé par le ministère de l’intérieur faisait état de 2 500 blessés parmi les manifestants et de 1 800 blessés parmi les membres des forces de l’ordre.
Entre parenthèses, monsieur le secrétaire d’État, je tiens à vous dire que le délégué interministériel à la sécurité routière, qui a lancé l’opération des 80 kilomètres par heure, a une part de responsabilité dans la survenue du mouvement des « gilets jaunes ». Il vient d’être nommé préfet de police de Marseille. Je ne ferai pas de commentaire… (Sourires. – M. Alain Richard s’exclame.)
En dehors de ces chiffres qui doivent nous interpeller, nous avons assisté à des scènes d’une rare violence au cours de 2018 et de 2019. Des bâtiments ont été incendiés alors qu’ils étaient occupés – il faut en tenir compte –, des dizaines de véhicules ont été brûlés.
Ces dégradations ont parfois visé des lieux hautement symboliques : les Champs-Élysées bien sûr, des ministères et des préfectures, mais également l’Arc de Triomphe dans des circonstances qui ont profondément choqué tous les Français.
Monsieur le secrétaire d’État, les forces de l’ordre ont été mises à très rude épreuve dans un contexte sécuritaire qui reste préoccupant. Les personnels affectés au maintien de l’ordre n’étaient peut-être pas toujours suffisants, mais il est parfois difficile de tout prévoir.
Je veux rendre hommage au sang-froid et à l’engagement extraordinaires de nos forces de l’ordre. Si certains ont commis des violences injustifiées, comme on dit, ils devront être sanctionnés pour cela. Il ne faut cependant pas oublier que l’immense majorité des fonctionnaires a toujours fait preuve de mesure, dans des conditions qui étaient pourtant extrêmes. Je tiens à saluer, avec l’ensemble du groupe Les Indépendants, leur professionnalisme et leur exprimer tout notre soutien.
Le maintien de l’ordre obéit à diverses doctrines : la mise à distance, la nasse ou le contact. Depuis 1968, la France a choisi la mise à distance. Éviter à tout prix le contact entre manifestants et forces de l’ordre a permis d’éviter des morts et a contenu le nombre de blessés. Chaque fois que le contact a été recherché, le bilan s’en est trouvé alourdi.
Ces blessures sont notamment dues à l’utilisation d’un armement qui s’est révélé à l’usage mal adapté au maintien de l’ordre. La majorité de nos voisins européens n’ont pas recours aux lanceurs de balle de défense pour assurer la sécurité des manifestations. Idem pour les grenades GLI-F4, qui n’auraient pas dû être employées à partir du moment où leur dangerosité avait été établie.
Il est primordial que l’ordre soit maintenu en garantissant la sécurité des personnes concernées : celle des fonctionnaires de police et de gendarmerie, celle des manifestants et celle des citoyens qui se trouvent en même temps dans la rue.
Nous souhaitons que les fauteurs de troubles puissent être judiciarisés et durement sanctionnés – pas avec des peines de huit jours à trois semaines. Cela ne doit cependant pas se faire à n’importe quel prix.
Le préfet Grimaud, qui a été cité par d’autres orateurs, a assisté au 6 février 1934 et était en charge du maintien de l’ordre durant mai 68. Il écrivit aux fonctionnaires que la force ne devait être utilisée qu’en dernier recours et avec retenue. « Nous gagnerons peut-être la bataille dans la rue, mais nous perdrons quelque chose de beaucoup plus précieux et à quoi vous tenez comme moi : c’est notre réputation », a-t-il déclaré. La réputation de nos forces de police est bonne.
Il nous semble donc que la stratégie qui doit être retenue est celle d’un maintien de l’ordre focalisé sur la prévention des dégâts humains. Les interpellations doivent avoir lieu chaque fois qu’elles peuvent être réalisées en sécurité, et pour nos concitoyens et pour les forces de l’ordre. Chacun le sait, tout cela n’est pas facile.
Le droit de manifester est essentiel au dialogue social, tout le monde est d’accord. L’ordre public est nécessaire à l’expression des libertés. Les forces de l’ordre ne pourront pas tout faire. Il est de la responsabilité de tous les Français de contribuer à les préserver.
L’un de nos collègues a évoqué les caméras-piétons. Dans un rapport d’information sur la sécurité dans les gares – métro et chemin de fer –, dont j’ai été l’auteur, j’ai préconisé que tous les policiers soient équipés de tels dispositifs. À cette occasion, j’ai eu des contacts avec la SNCF et j’ai pu me rendre compte de la façon dont cela fonctionnait. J’ignore ce qu’il en est aujourd’hui, mais cela fonctionnait alors bien : les policiers et gendarmes que j’avais rencontrés dans le cadre de cette étude et qui en disposaient l’ont confirmé et m’ont indiqué que le résultat était positif. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants, LaREM et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la doctrine du maintien de l’ordre « à la française » s’est bâtie dans le temps autour d’un processus de pacification de la gestion des manifestations. Il s’agit de garantir la libre expression démocratique et, en même temps, la paix et la sécurité publique. Or cet équilibre périlleux est devenu de plus en plus ténu et extrêmement instable.
La doctrine du maintien de l’ordre « à la française » est mise en œuvre par deux unités de forces mobiles, qui sont les compagnies républicaines de sécurité et les escadrons de gendarmerie mobile. Elles fonctionnent en unités constituées, définies comme des unités organisées selon des règles hiérarchisées et collectives.
L’usage retenu de la force se décline en plusieurs principes strictement enseignés et respectés par les unités spécialisées dans le maintien de l’ordre : le principe de la mise à distance des manifestants, le principe d’intervention collective et sur ordre, le principe d’absolue nécessité, de gradation et de réversibilité.
La doctrine existe et elle est très claire ! Elle n’est pas un monolithe figé, comme certains aiment à le laisser croire. Elle s’adapte en fonction des contextes, de l’évolution de ses conditions d’exercice et de la diversification de ses missions. Elle évolue bien entendu dans le temps, grâce aux multiples compétences et à l’expertise reconnue de nos forces de l’ordre, que je salue ici. Le cadre juridique, quant à lui, existe aussi, qu’il s’agisse de l’adaptation, de la mobilité ou du contact.
C’est la raison pour laquelle, à mon sens, le problème réside aujourd’hui bien moins dans la doctrine que dans la stratégie à adopter face au cas de figure donné et à la tactique qui en découle. À ce moment-là, mes chers collègues, on ne peut sous aucun prétexte faire abstraction du monde dans lequel on vit ! La sollicitation croissante des forces de l’ordre, les violences inadmissibles et insupportables commises à leur encontre et le malaise policier qui y fait écho forment un très dangereux triptyque dans un climat de tension exacerbé.
De même, face aux exigences croissantes de sécurité dans un contexte de menace terroriste extrême, la dimension judiciaire et répressive du maintien de l’ordre a bien évidemment pris une place plus importante dans la gestion de l’ordre public. Comment s’en étonner ?
De quoi parle-t-on aujourd’hui ? Il s’agirait de peaufiner une nouvelle doctrine miracle accompagnant l’habile glissement sémantique du politiquement correct qui veut que l’on dise aujourd’hui « gestion démocratique des foules » plutôt que « maintien de l’ordre »…
Parle-t-on de dessiner un nouvel équipement des policiers et gendarmes, puisque le Défenseur des droits lui-même trouve, dans son rapport du mois de décembre 2017, que « l’équipement lourd, du style “robocop”, […] semble contribuer à une certaine déshumanisation des forces chargées du maintien de l’ordre » ? Pourquoi ne pas les mettre en slip de bain pendant qu’on y est ? Sous les pavés et les boules de pétanque, il y a sûrement la plage ! (Exclamations amusées.)
Non, mes chers collègues, je vous l’assure, nous pouvons continuer à débattre à l’envi. L’essentiel est ailleurs et personne ne s’en soucie, pas plus dans les débats que dans les actes !
Tant que raison sera donnée à ceux qui violent la loi, la démocratie et la justice, comme à Notre-Dame-des-Landes, par exemple,…
M. Loïc Hervé. Oui !
M. Jean-Raymond Hugonet. … tant que des décérébrés pourront saccager et profaner tranquillement l’Arc de Triomphe de notre République,…
M. Jean-Paul Émorine. Très bien !
M. Jean-Raymond Hugonet. … tant que l’on pourra impunément insulter et attaquer notre bien commun qu’est la Nation, alors, en vérité, nous pourrons nous attendre au pire, avec ou sans doctrine ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Sophie Taillé-Polian. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’être à l’initiative de ce débat. Les différentes interventions montrent que les choses évoluent et que, sur les problèmes des violences policières, puisqu’il faut bien employer cette expression, la prise de conscience progresse, à l’exception peut-être de Richard Ferrand… (Marques d’étonnement amusé.) Je pensais bien sûr à Alain Richard (Sourires), dont les propos nous renvoient quelques années en arrière, puisque, selon lui, on ne se posait pas ce type de questions il y a cinq ans.
Pourtant, en remontant quelques années en arrière, on constate que le problème des casseurs et des violences dans les manifestations n’est pas nouveau. En revanche, on observe qu’une certaine politique fait monter les tensions sociales et la violence dans notre société, alors que l’on peut y répondre par davantage de calme, sans mettre de côté la fermeté. En revanche, si l’on choisit une politique d’escalade, les tensions s’accroissent.
Aujourd’hui, l’escalade est en train de se mettre en œuvre ; elle est dangereuse pour notre démocratie. Le 5 décembre dernier, Le Parisien titrait : « Grève du 5 décembre, par peur des violences, ils n’iront pas manifester. » Un certain nombre de personnes étaient interrogées à cette occasion : « Ce qui me fait le plus peur ? Me retrouver piégé dans une nasse, suffoquer sous les lacrymogènes, voire perdre un œil. »
Il est un peu consternant de lire aujourd’hui que certains de nos concitoyens ont peur d’aller manifester, par peur des dispositifs policiers. Ils ont peur de ce que la police – enfin, certains de ses agents – a été vue en train de faire.
On nous rétorque que ce n’est pas vrai. Jusqu’à récemment, on nous répondait que les violences policières n’existaient pas. Elles existent, on le sait : 881 signalements pour violences policières ont été dénombrés. Affirmer qu’il n’y a pas de violences policières relève du déni. D’ailleurs, depuis quelques semaines, devant l’évidence, le Gouvernement a quelque peu évolué sur cette question et a appelé à faire évoluer la déontologie.
Ne peut-on voir que, avec ce niveau de dérives et le nombre très impressionnant de problèmes lourds qui sont survenus, on ne pouvait pas attribuer la responsabilité des faits à des individus ? Ces violences n’ont pas un caractère individuel, elles sont le fruit d’une vision globale du maintien de l’ordre. On a le sentiment que cette doctrine a évolué au lendemain du 1er décembre 2018 : il s’agit non plus de contenir la violence dans les manifestations, mais de faire passer les forces de l’ordre à l’offensive, de les rendre moins statiques.
Aujourd’hui, certains manifestants considèrent qu’ils sont des délinquants aux yeux de la police, alors qu’ils viennent manifester de manière tout à fait pacifique.
Cela a été rappelé, dans les pays nordiques, les doctrines du maintien de l’ordre reposent sur la désescalade et non sur l’escalade. Au contraire, on a le sentiment qu’en France on tombe dans l’excès inverse, alors même que cette vision est remise en cause dans les rangs de la police et que certains syndicats rappellent qu’il ne faut pas mettre en gestion de foule des BAC ou des BRAV-M.
C’est pourtant bien ce que l’on a vu dans les rues de Paris, le 5 décembre dernier. Il aura fallu qu’un certain nombre de journalistes ou de citoyens, que je tiens à saluer, filment ces scènes pour que l’on puisse enfin prendre conscience de la réalité. Ces BRAV-M ont bien été envoyées – elles ne sont pas venues d’elles-mêmes – dans la manifestation parisienne, le 5 décembre dernier.
Voilà ce qui se passe lorsque l’on mobilise des policiers qui ne sont ni formés à ce type d’opération de maintien de l’ordre ni équipés pour cela : les dérives sont très fortes. Ainsi, on a vu un homme à terre frappé par des policiers.
Que faut-il faire ? Face à la brutalité extrême de certains manifestants, il ne faut pas l’oublier, il faut agir, mais il ne faut pas non plus tomber dans la logique du « camp contre camp », parce que la police républicaine défend l’intérêt général. Il faut au contraire que cette doctrine évolue, que cesse la banalisation des violences policières, qui crée le manque de confiance d’une partie de la population envers la police.
Pour cela, il faut notamment interdire l’usage des lanceurs de balles de défense, revenir à des stratégies de désescalade. Il faut également donner davantage de moyens et d’indépendance à l’IGPN. Beaucoup peut être fait aujourd’hui pour revenir à une situation plus normale, plus garante de la démocratie.
On ne peut pas renvoyer les graves difficultés dans le maintien de l’ordre à des problèmes individuels de déontologie. C’est bien la stratégie politique du Gouvernement qui doit être revue. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le maintien de l’ordre permet à chacun de s’exprimer sans désordre. C’est pourquoi je ne peux pas cautionner l’expression « violences policières ». Juxtaposer ces deux termes laisse à penser que la violence serait la finalité de l’action d’une police brutale par nature. Or le recours à la force est un moyen et non une fin. Nul ne s’engage dans la police par goût de la violence.
Parler de « violences policières », ce n’est pas dénoncer des brutalités condamnables, c’est attaquer la police en tant qu’institution et en contester le principe même. Il n’en résulte que l’affaiblissement de la démocratie.
Soit le recours à la force est légal, soit il ne l’est pas. Soit les forces de police n’ont pas d’autres choix que de recourir à la violence – une violence proportionnée, pour préserver l’ordre et l’expression d’une opinion –, soit il y a une faute des forces de l’ordre et l’autorité judiciaire doit alors être saisie et des sanctions doivent être prononcées.
Ce qui compte, c’est non le principe du recours à la force, mais son contrôle. Il est vain de contester à la police son monopole de la violence physique légitime. Ce monopole est une garantie démocratique.
Ne laissons donc pas les querelles partisanes et les raccourcis lexicaux tapageurs prendre le pas sur notre objectif commun qui est de protéger nos concitoyens dans l’expression de leurs opinions.
Depuis décembre 2018 et le mouvement des « gilets jaunes », cette expression a changé. Son rythme, sa fréquence, ainsi que dans son mode organisationnel se sont intensifiés. Face à l’évolution du modus operandi des manifestants, la doctrine, les pratiques du maintien de l’ordre se sont révélées inadaptées, compte tenu du niveau de violence qui, oui, est extrême, au regard non pas de l’histoire, mais des dernières décennies. Je pense au 1er décembre 2018 et à la prise de l’Arc de Triomphe ; je pense aussi au 16 mars 2019 et au saccage des Champs-Élysées.
Cette violence de rue n’est pas proprement parisienne. Souvenons-nous de la ZAD de Sivens, de Bure et de son centre d’enfouissement des déchets nucléaires, ou encore de Notre-Dame-des-Landes. Ces situations nouvelles doivent nous conduire, comme nous l’avons fait au cours de l’histoire, à revisiter nos techniques, notre doctrine, pour que la liberté de manifester demeure le principe et le recours aux forces de l’ordre l’exception.
La première exigence est de toujours mieux préparer et anticiper les manœuvres de maintien de l’ordre public. Cela suppose de mobiliser encore plus les services de renseignement afin d’adapter au mieux les moyens humains et les matériels mobilisés. L’anticipation suppose aussi un renforcement de la concertation entre les organisateurs, la préfecture et les services d’ordre. Cette concertation a toutefois des limites du fait de l’augmentation des rassemblements spontanés, désorganisés et autopilotés depuis les réseaux sociaux. Envisageons, par exemple, un durcissement des peines encourues lorsque les manifestations ne sont pas déclarées ou en cas de participation à des manifestations interdites.
Nous gagnerions aussi à communiquer davantage sur les réseaux sociaux, tant en amont de la manifestation qu’au cours de celle-ci, pour prévenir des interruptions de circulation, des sommations effectuées ou encore des manœuvres de dispersion.
Ne négligeons pas la question des équipements. Le vieillissement des matériels est une source de préoccupation, pointée notamment par nos collègues Philippe Paul et Yannick Vaugrenard, qui dénoncent « des situations inadmissibles » et du matériel dans un « état de délabrement avancé ».
Il convient également de repenser la variété des armements disponibles. L’emploi des engins lanceurs d’eau a, par exemple, pour avantage de maintenir à distance les fauteurs de troubles. Nous devons en reconsidérer l’usage.
La formation au maintien de l’ordre est aussi cruciale. C’est une spécialité éprouvante, à laquelle doivent être préparées les unités de forces mobiles de façon harmonisée sur l’ensemble du territoire national. Cette harmonisation est d’autant plus indispensable lorsque l’on fait appel à des forces de sécurité publique non spécialisées.
Privilégions, enfin, l’effet de masse, qui permet d’éviter les incidents. Le conférencier Guillaume Farde rappelle la pérennité de la doctrine du préfet de police Maurice Grimaud, selon laquelle la trop forte proximité crée la violence. L’envoi au contact des manifestants de policiers en sous-nombre, trop peu formés, mal équipés, rompt avec cette doctrine, qui permettait d’éviter les blessures chez les manifestants, mais aussi dans les rangs des forces de l’ordre.
Nous ne pouvons pas demander aux unités de forces mobiles d’être présentes sur tous les fronts. Leur usage dévoyé pour d’autres missions éloignées de leur cœur d’action explique en partie les mauvais chiffres actuels de la délinquance. Dans ce contexte, nous devons également préparer des événements futurs, comme les jeux Olympiques de 2024.
Saisissons-nous des technologies nouvelles, je pense aux drones par exemple, pour maintenir l’ordre. C’est ainsi que nous pourrons protéger nos libertés fondamentales et que nous parviendrons à restaurer le lien de confiance entre nos concitoyens et les forces de l’ordre. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Alain Fouché applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, beaucoup de choses ont été dites depuis le début de ce débat. Certaines d’entre elles sont exactes, d’autres étaient des interrogations portant sur de véritables sujets de débat. Je répondrai évidemment à ces interrogations. D’autres, hélas ! m’ont semblé quelque peu polémiques. J’y répondrai également, évidemment, même si le but de ce débat est non pas d’entretenir de vaines polémiques, mais bien de rappeler quelques réalités importantes sur le maintien de l’ordre et son évolution récente, évolution que la plupart d’entre vous ont d’ailleurs relevée de manière extrêmement précise et exacte.
Il faut avoir à l’esprit que maintenir l’ordre, c’est préserver un équilibre entre, d’une part, la sécurité de tous nos concitoyens, qu’ils soient manifestants ou non, mais aussi celle des biens et des institutions, et, d’autre part, la protection de la liberté, celle de manifester, de s’exprimer et de contester. Cet équilibre est bien sûr mouvant. Il dépend des périodes, des pratiques et, surtout, des types de troubles auxquels nous avons à faire face.
Le maintien de l’ordre, c’est une certitude, n’est jamais une chose aisée, vous l’avez d’ailleurs tous très clairement laissé apparaître dans vos propos. Dans certains cas, il impose le recours à la force. Bien sûr, son usage ne peut être que proportionné à l’atteinte à l’ordre public. J’insiste toutefois sur le fait que ce n’est pas parce qu’il y a usage de la force qu’il y a faute. Il faut que les choses soient claires : le recours à la force est parfois nécessaire, cette nécessité devant bien évidemment être justifiée.
Le maintien de l’ordre est effectué par des professionnels qui ont suivi des formations et qui obéissent à des règles très strictes. J’y reviendrai, certains m’ayant interpellé sur la formation des unités que nous employons. Il n’y a donc jamais de bandes rivales qui s’affrontent, il n’y a que des unités accomplissant leur devoir républicain en faisant un usage maîtrisé de la force ou des armes, le cas échéant, pour faire face aux violences.
Aujourd’hui, nous en sommes tous d’accord, un débat sur le maintien de l’ordre s’impose, car les modalités de contestation ont changé. Comme Alain Richard l’a très bien dit, le dialogue systématique, réel, entre les organisateurs des manifestations et les forces de l’ordre, qui existait autrefois et qui, heureusement, subsiste encore dans certains cas, est désormais de plus en plus souvent rejeté par principe. Il n’y a plus de dialogue préalable à certaines manifestations. Les manifestations des « gilets jaunes » illustrent particulièrement ce phénomène.
Certains cortèges refusent toute forme d’organisation, même en leur sein, y compris la présence d’un service d’ordre. Ils refusent également de respecter le parcours qu’ils ont eux-mêmes déclaré à la préfecture, quand la manifestation est déclarée, bien évidemment, ce qui est de moins en moins souvent le cas.
On touche là du doigt le problème de la désescalade, dont certains ont parlé. Pour qu’il y ait désescalade, il faut que les forces de l’ordre aient un organisateur ou des interlocuteurs à qui s’adresser. Or il est évidemment difficile d’en trouver lorsque les manifestants se rassemblent sur la voie publique sans que la manifestation ait été déclarée.
Sans anticiper sur la réponse que j’apporterai tout à l’heure à la question que m’a posée Alain Richard sur nos relations avec les organisations syndicales, je rappelle que, dans les manifestations « à l’ancienne », nous avions des interlocuteurs sur le terrain, avec qui nous pouvions dialoguer, et qu’un service d’ordre était mis en place. Le contact était donc permanent entre les forces de l’ordre et les organisateurs, ce qui permettait une « coproduction » du maintien de l’ordre et la gestion des personnes indésirables et des débordements. Ce n’est plus le cas actuellement.
Je rappelle par ailleurs que nous avons allégé, dans un texte qui a été adopté avant l’été, les formalités de déclaration : un seul déclarant est désormais suffisant, contre trois auparavant.
Des violences surviennent désormais de plus en plus souvent lors des manifestations. Le phénomène est déjà ancien. Dans une période récente, il a été observé lors du sommet de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle, à la fin des années 1990. Il est apparu en France, pour la première fois de manière majeure, dix ans plus tard, en 2009, lors du sommet de l’OTAN à Strasbourg, au cours duquel tout un quartier avait été saccagé.
Des personnes ayant la volonté de commettre des exactions s’immiscent de plus en plus dans les cortèges. Elles prennent pour cible les forces de l’ordre et détruisent tout ce qui se trouve sur leur passage. Évidemment, ces exactions sont le fait non pas de l’ensemble des manifestants, mais d’un certain nombre d’individus à l’intérieur des cortèges. C’est ainsi qu’est née la technique, désormais tristement célèbre, des Black Blocs, qui n’est plus l’apanage de la mouvance d’ultra-gauche. On a ainsi vu, lors des manifestations des « gilets jaunes », un certain nombre d’« ultra-jaunes », comme les appellent les policiers dans leur jargon, recourir de plus en plus aux techniques des Black Blocs.
Depuis, les violences se sont propagées, systématisées. Elles touchent aujourd’hui toutes les villes et tous les cortèges. Les manifestations contre la loi El Khomri ont été les prémices de ces violences, qui se sont ensuite produites lors des manifestations du 1er mai 2017 et du 1er mai 2018.
Une autre mutation importante s’est produite : la diffusion des images sur les réseaux sociaux et sur les chaînes d’information en continu. Les casseurs ont désormais une caisse de résonance et un public.
Enfin, la violence a clairement franchi un nouveau cap lors des manifestations des « gilets jaunes » ces derniers mois. Elle s’est faite plus forte, plus vive, plus insurrectionnelle. Plus de 2 000 policiers et gendarmes et plus de 2 500 manifestants ont ainsi été blessés.
Ces violences se déroulent pendant les manifestations et sur leurs marges. Les cortèges sont éclatés, de petits groupes les quittent pour commettre des exactions. Nous ne sommes plus dans le scénario « à l’ancienne ». Il faut bien voir ce que cela signifie en termes de maintien de l’ordre. Je parle bien de « maintien de l’ordre » et non pas de gestion démocratique des foules – à cet égard, je rejoins ce qui a été dit par M. Hugonet.
Nous sommes aujourd’hui confrontés à des mouvements extrêmement violents et qui se dispersent, qui peuvent s’en prendre à un bâtiment institutionnel, comme cela fut le cas le 1er décembre 2018 avec la préfecture de Haute-Loire, que les manifestants avaient clairement l’intention d’incendier. Nous assistons aussi à des actions nocturnes, comme celle qui a été menée contre les locaux de l’escadron départemental de sécurité routière de la gendarmerie nationale de Narbonne, dans l’Aude. Je n’évoquerai pas les nombreuses exactions qui ont été commises contre les commerces des centres-villes.
Un certain nombre d’exactions commises en marge des manifestations peuvent être qualifiées de véritables opérations commando : je pense aux dégradations de permanences parlementaires et de péages, de nuit. Nous sommes de plus en plus confrontés à ce type d’actions.
Madame Assassi, vous avez évoqué les événements de 2005-2007. Je précise qu’il s’agissait là de violences urbaines, dont la nature est complètement différente de celles dont nous parlons aujourd’hui.
Il nous a donc fallu réagir, adapter le maintien de l’ordre tel que nous le connaissions, et c’est ce que nous avons fait, contrairement à ce que certains ont pu dire, mais j’y reviendrai. Nombre d’entre vous ont en revanche parfaitement décrit cette adaptation – les sénateurs Hervé, Allizard, Requier, Mme Assassi –, qui a commencé lors de l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes. Cette crise difficile a été surmontée et a permis des avancées fortes en matière de maintien de l’ordre, notamment l’utilisation de nouvelles technologies, en particulier les drones, et une judiciarisation plus systématique des individus violents désireux de commettre des exactions.
La semaine qui a suivi les événements du 1er décembre 2018 a été une deuxième étape importante pour l’évolution du maintien de l’ordre. La doctrine a évolué au lendemain de cette manifestation, et ce de manière non pas beaucoup plus radicale – ce n’est pas le bon mot –, mais plus forte. Ce jour-là, je le rappelle, l’Arc de Triomphe a été pris pour cible et saccagé. Des commerces ont été dégradés. Un cap a donc été franchi, qui nous a contraints, le ministre de l’intérieur et moi-même, à modifier la doctrine en une semaine à peine afin de la rendre, beaucoup l’ont souligné, plus réactive.
Être réactif, cela signifie être en mesure d’interpeller immédiatement les fauteurs de troubles, de mettre un terme rapidement aux exactions commises contre des personnes, des biens, des institutions. Nous avons souhaité accroître la mobilité, la réactivité, l’autonomie et les capacités d’interpellation des forces de l’ordre sur le terrain afin de leur permettre de faire face aux nouveaux modes d’organisation des manifestants et aux violences systématiques auxquelles elles sont confrontées. Une réaction extrêmement forte était nécessaire.
Que les choses soient claires cependant : nous n’avons pas abandonné la doctrine du maintien à distance pour passer à cette doctrine de réactivité, d’intervention, et nous n’avons jamais dit que nous l’avions abandonnée. Nous demandons simplement aux forces de l’ordre d’être en capacité d’intervenir rapidement quand des exactions ou des violences sont commises. En l’absence de violences, les forces de l’ordre encadrent évidemment la manifestation à distance. Cette règle n’a jamais évolué. Nous avons simplement demandé aux forces de l’ordre de se mettre en situation d’intervenir immédiatement en cas d’exactions et de ne pas tolérer de dégradations ni de violences aux personnes. Voilà ce qui a été décidé à ce moment-là.
Après le 16 mars 2019 et les incidents qui ont eu lieu sur les Champs-Élysées, notamment l’incendie du Fouquet’s, il a été demandé aux forces de l’ordre de ne même pas laisser se constituer de Black Blocs, ces groupes d’individus qui se masquent le visage au sein d’un cortège avant, on le sait pertinemment, de commettre des actions violentes et des exactions. Nous avons demandé aux forces de l’ordre d’intervenir immédiatement et de disloquer ces groupes à risque. Ces méthodes nous ont évidemment permis de contenir les violences. Nous n’avons pas simplement procédé à une « gestion du désordre », comme l’a dit M. Allizard, dont je ne partage pas du tout le point de vue.
Nous avons fait face, entre le 1er décembre 2018 et l’automne 2019, à des événements d’une ampleur exceptionnelle. Grâce à l’engagement des policiers et des gendarmes, que vous avez d’ailleurs tous salué, ce dont je vous remercie, l’ordre républicain a été maintenu. À mon tour, je salue le courage, le sang-froid et l’engagement des policiers et des gendarmes qui ont assuré, et continuent d’assurer au quotidien le maintien de l’ordre dans notre pays.
Nous devons évidemment aller plus loin et réfléchir à froid à la doctrine telle que nous l’avons adaptée après le 1er décembre 2018. C’est le travail que nous avons engagé dans le cadre du nouveau schéma national du maintien de l’ordre, auquel le ministre de l’intérieur et moi-même réfléchissons depuis l’été dernier, en concertation avec de nombreux acteurs du ministère, mais aussi avec des professionnels, des praticiens de terrain, des chercheurs, des journalistes, certaines associations comme la Ligue des droits de l’Homme ou Amnesty International, et le Défenseur des droits.
Monsieur le sénateur Durain, les consultations citoyennes ont eu lieu non pas dans ce cadre, mais dans celui de la préparation du Livre blanc sur la sécurité intérieure, au cours de laquelle ces questions ont évidemment été abordées. Il est normal que vous n’ayez pas encore connaissance des résultats de cette concertation avec un panel de citoyens, mais nous les rendrons évidemment publiques le moment venu.
Notre objectif est clairement de développer, dans le schéma national du maintien de l’ordre, une doctrine protectrice pour les manifestants et ferme à l’égard des fauteurs de troubles. C’est à cette condition que nous pourrons garantir durablement l’exercice de la liberté de manifester dans notre pays.
Nous dévoilerons évidemment ce schéma prochainement. Sans préjuger de ses conclusions, je peux dès à présent vous faire part d’un certain nombre d’éléments. Nous ne modifierons évidemment pas ce qui a fait notre force pour maintenir l’ordre républicain au cours des mois écoulés, à savoir la réactivité et la mobilité des forces de l’ordre, ainsi que la déconcentration des décisions au plus près du terrain, qui nous permettent de mettre un terme immédiatement aux exactions et aux violences dans les manifestations.
J’insiste de nouveau sur le fait que lorsque les manifestations se déroulent bien, lorsqu’il n’y a pas d’incidents, il n’y a aucune volonté du Gouvernement de taire quelque contestation que ce soit. Nous ne sommes pas dans un régime autoritaire, madame Benbassa. Je ne peux évidemment pas accepter ce terme. Certaines manifestations se passent très bien, y compris parfois celles de « gilets jaunes ». Les manifestations contre la réforme des retraites se sont elles aussi remarquablement déroulées. Lorsque nous encadrons de telles manifestations et qu’il n’y a pas d’incident, il n’y a pas d’intervention des forces de l’ordre.
Nous continuerons en revanche avec la doctrine consistant à être réactifs et à intervenir chaque fois qu’il y a des violences ou des incidents.
Bien entendu, nous allons chercher à maintenir le dialogue nécessaire avec les manifestants chaque fois – j’insiste sur ce point – que c’est possible. Quand nous n’avons pas de déclarant ou d’interlocuteur, c’est très compliqué. Il faut peut-être réfléchir aux sommations, c’est-à-dire aux alertes que donnent les forces de l’ordre avant de disperser, par exemple, un attroupement, afin de les rendre plus visibles et, sans doute, de changer leur nature.
De même, il faudra réfléchir à une meilleure prise en compte – vous l’avez souligné – des journalistes au sein des opérations de maintien de l’ordre, puisqu’il nous faut préserver leur intégrité physique. C’est évidemment le cas, puisque nous avons des contacts avec certaines associations de journalistes. Nous y veillerons tout particulièrement.
Je souhaite que les choses soient également claires sur l’emploi des armes intermédiaires. Ainsi que Christophe Castaner et moi-même l’avons souligné à de multiples reprises, l’objectif est évidemment de préserver le plus possible l’intégrité physique de chacun. Nous déplorons bien entendu les blessés qu’il peut y avoir à l’occasion d’interventions des forces de l’ordre. Mais, encore une fois, l’usage de la force est parfois nécessaire.
Madame Benbassa, le fait qu’il y ait une blessure, y compris une blessure grave, ne veut pas dire qu’il y a une faute des services de police. Quand l’usage de la force est proportionné, il n’y a pas faute ! Il faut accepter qu’il puisse y avoir des blessures. Les policiers ou les gendarmes répondent à des violences importantes et graves provoquées par des manifestants, et la réponse est toujours proportionnée et soumise à un contrôle. Il n’y a pas de corps plus contrôlé que nos policiers et nos gendarmes dans ce pays.
Le ministre a annoncé le 26 janvier la fin de l’utilisation de la grenade GLI-F4 et son remplacement par une grenade sans explosif, la GM2L. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Esther Benbassa. Elle est tout aussi dangereuse !
Mme Laurence Cohen. Franchement, on ne voit pas en quoi c’est une bonne nouvelle !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Je voudrais répondre à certaines remarques qui ont été formulées, notamment par M. Hervé, sur les forces utilisées en matière de maintien de l’ordre.
Oui, nous avons des forces spécialisées : les compagnies républicaines de sécurité, les escadrons de gendarmes mobiles ou les compagnies d’intervention de la préfecture de police de Paris. Ce sont les trois forces spécialisées en matière de maintien de l’ordre. Mais il serait illusoire de croire que nous utiliserons seulement ces forces pour gérer le maintien de l’ordre. D’abord, dans certains endroits, des manifestations peuvent se dérouler sans qu’il y ait de forces à disposition. Ensuite, dans des mouvements d’ampleur, comme ceux que nous avons connus, il faut aussi, malheureusement, faire appel à d’autres types d’effectifs de policiers et de gendarmes.
Il sera donc bien prévu au schéma national du maintien de l’ordre que l’ensemble des personnels soient formés et équipés en vue du maintien de l’ordre. Nous avons commencé à le faire. Nous avons augmenté les équipements en matière de protection, notamment pour des effectifs qui n’appartiennent pas aux forces spécialisées. Ce n’est pas parce qu’ils n’appartiennent pas aux forces spécialisées en matière de maintien de l’ordre qu’ils n’y sont pas formés. Ils sont également parfaitement formés à l’utilisation des armes intermédiaires. C’est extrêmement important et il est illusoire de laisser à penser que n’interviendront, lors des manifestations, que les effectifs spécialisés en matière de maintien de l’ordre.
Oui, il y aura toujours des escadrons d’une brigade territoriale de gendarmerie qui, pour se rendre sur un rond-point occupé par des manifestants, essuieront des jets de projectiles et se retrouveront en situation de maintien de l’ordre. Il est illusoire de raconter d’autres histoires…
Le ministre de l’intérieur et moi-même faisons donc en sorte que nos gendarmes et nos policiers soient formés partout en France aux techniques de maintien de l’ordre et puissent faire face à des manifestations, même si une telle mission reste évidemment la mission première des trois forces que j’ai évoquées.
De même, le schéma renforcera – nous avons déjà également commencé à le faire – le volet renseignement en matière de prévision des manifestations. Pardon, mais nous n’avons pas que des manifestants : il y a l’ultra-gauche, il y a les « ultra-jaunes » ! Nous avons aussi affaire à des personnes dont il faut anticiper les actions violentes. C’est ce que nous ferons. Une réflexion sur les services de renseignement est organisée dans le cadre du schéma national du maintien de l’ordre.
Si le maintien de l’ordre est une question si sensible, c’est évidemment aussi parce que, je l’ai indiqué, il implique l’usage proportionné de la force dans certaines circonstances. Je veux rappeler ici qu’une image tronquée, prise sur internet, déconnectée de son contexte, ne vaut pas vérité absolue. Nous avons eu énormément d’exemples de vidéos ayant circulé où, quand on regardait les tenants et les aboutissants, l’avant et l’après, nous avions souvent une autre histoire à raconter…
Mme Esther Benbassa. Quel vocabulaire : « une autre histoire à raconter » !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. … que celle qui pouvait circuler sur les réseaux sociaux.
Il est donc important pour nous que les forces de l’ordre soient en situation de filmer elles-mêmes leur action et de montrer par des vidéos le contexte dans lequel elles sont intervenues. Nous allons y travailler dans le cadre de la mise en œuvre du schéma national de maintien de l’ordre public.
Nous devons évidemment défendre les forces de l’ordre. Pour cela, ainsi que beaucoup d’entre vous l’ont dit, nous avons évidemment besoin de confiance, d’exemplarité et de déontologie. Cela me paraît évident. Chaque policier, chaque gendarme qui intervient dans le maintien de l’ordre doit être exemplaire et inscrire son action strictement dans le cadre prévu par la loi. Le schéma national du maintien de l’ordre examinera évidemment ces questions. Sachez d’ores et déjà que nos forces de l’ordre respectent ces règles de déontologie et sont soumises à un contrôle très exhaustif. (Rires sur les travées du groupe CRCE.)
Certains ont évoqué les signalements à l’IGPN. Un signalement à l’IGPN, cela ne signifie pas grand-chose. Ce n’est pas la preuve d’une « violence policière ». Ce n’est pas du tout cela ! Moi, je ne connais que 378 enquêtes judiciaires dont est saisie l’inspection générale de la police nationale. Un certain nombre ont été transmises au parquet. Un certain nombre ont d’ores et déjà donné lieu à des condamnations. Il y a eu 2 condamnations, et 26 informations judiciaires ont été ouvertes. Ce n’est pas rien !
Les forces de l’ordre travaillent sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Quand il y a des fautes, il y a évidemment des enquêtes et, le cas échéant, des sanctions. Mais j’insiste sur un point : l’usage de la force par nos forces de l’ordre au cours des mois écoulés a été exemplaire dans la quasi-totalité des cas. Simplement, quand il y a des fautes, il y a des enquêtes. Ces enquêtes sont en cours, et il faut laisser la justice faire son travail.
Ainsi que le soulignait M. Hervé, ce qui se joue en l’occurrence, c’est la confiance entre les forces de l’ordre et la population. Nous l’avons bien évidemment à l’esprit.
Je vais maintenant répondre brièvement aux questions qui m’ont été posées.
Monsieur Allizard, les sanctions contre les fauteurs de troubles existent évidemment. Au cours des manifestations des « gilets jaunes », il y a tout de même eu plus de 14 000 interpellations, plus de 12 000 placements en garde à vue, et plus de 3 000 condamnations. Je veux le rappeler ici, le maintien de l’ordre réside aussi dans la capacité de nos forces de police et de gendarmerie d’enquêter, d’investiguer et de confondre les auteurs d’exactions.
Monsieur Durain, je vous ai déjà répondu sur la consultation citoyenne. Vous m’avez également interrogé sur la réflexion relative aux films vidéo. Des demandes émanent d’un certain nombre d’organisations syndicales. Pour l’instant, il n’y a pas été donné suite. Mais on peut parfois comprendre – ce n’est qu’une réflexion personnelle – l’inquiétude de certains policiers. Ils sont systématiquement filmés, et leur image se retrouve jetée en pâture sur les réseaux sociaux. Certains sont identifiés et reçoivent des menaces, parfois jusqu’à leur domicile. C’est ce qui fonde la demande de certaines organisations syndicales d’un floutage des vidéos réalisées. À ce stade, il n’y a pas de projet en ce sens. Mais je tiens à vous dire l’inquiétude des policiers. Nous la vivons.
Vous avez évoqué la règle en vertu de laquelle le tireur de LBD lui-même ou son binôme portent une caméra-piéton. Elle est naturellement toujours en application. Vous avez fait référence aux 10 400 caméras-piétons qui ont connu des problèmes de batterie. Ils ont été résolus avec l’ajout d’une deuxième batterie. Ce sera pris en compte dans les appels d’offres à venir. Le déploiement dans les brigades de sapeurs-pompiers a commencé. Ainsi, 40 caméras ont été déployées dans 16 centres de secours. À partir du mois de mars 2020, nous en aurons 200 supplémentaires qui seront déployées.
M. Alain Fouché. Très bien !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Comme je l’ai indiqué, il y a 378 enquêtes de l’IGPN, 26 informations judiciaires, et 2 personnes ont été condamnées.
M. Richard m’a posé quatre questions précises.
Premièrement, afin de mieux identifier les groupes violents et de les mettre à l’écart, il y a des contrôles préventifs en amont. Nous avons mis en place cette mesure forte. Elle figurera au schéma de maintien de l’ordre. Il sera possible – cette disposition a été adoptée dans le texte sur la gestion du maintien de l’ordre public du mois de juin dernier – d’effectuer des contrôles en amont, sous l’autorité des parquets, évidemment, et de mobiliser nos services de renseignement sur la gestion de ces manifestations.
Deuxièmement, la coopération entre les organisations syndicales et les forces de l’ordre sur les manifestations continue de bien se passer. Nous l’avons encore vu pendant le mouvement contre la réforme des retraites, notamment à Paris, où des échanges ont eu lieu. Simplement, vous ne pouvez pas exclure – c’est malheureusement une réalité – qu’un certain nombre d’organisations syndicales soient aujourd’hui débordées. D’ailleurs, elles-mêmes, via leur propre service d’ordre, visent à exclure et excluent de fait de leur cortège des individus plus virulents dont elles savent très bien qu’ils vont commettre des exactions. La relation se passe bien. Mais les organisations syndicales – elles vous diront peut-être le contraire – sont confrontées exactement aux mêmes difficultés que les forces de l’ordre dans la gestion des manifestations.
Troisièmement, à propos de l’action judiciaire, nous avons fait adopter une disposition importante au mois de juin 2019 : venir le visage dissimulé dans une manifestation avec la volonté de commettre des exactions, donc de créer des troubles à l’ordre public, est devenu un délit. Cela permet d’interpeller les individus et de les placer en garde à vue.
Quatrièmement – j’ai déjà répondu sur le caractère professionnel des forces –, il y a des forces spécialisées, mais toutes les forces seront évidemment formées pour le maintien de l’ordre.
Non, madame Benbassa, nous ne sommes pas dans un régime autoritaire ! La mission qui est la mienne, celle de Christophe Castaner, celle des forces de police et de gendarmerie est de faire en sorte que les manifestations se déroulent sans violence et correctement dans ce pays.
Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas le cas !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Nous faisons notre travail. Quand il y a des exactions ou des débordements, nous intervenons pour y mettre un terme, ce n’est pas plus compliqué que cela. (Mme Esther Benbassa s’exclame.) Quand tout se passe bien, il n’y a pas de souci. Et quand il y a des violences, nous sommes obligés de les contenir. C’est notre travail.
Je ne peux pas non plus vous laisser dire que le décès d’un jeune homme de 18 ans à Marseille est lié à un mouvement d’ordre public. Il ne faut pas tout mélanger ! L’IGPN est saisie du décès d’un jeune homme du fait de l’action de la police. Mais il venait très probablement – l’enquête le confirmera ou non – de commettre un vol à main armée et il a retourné son arme contre les forces de l’ordre. Je ne crois pas que nous soyons dans un contexte d’ordre public.
L’IGPN est saisie et enquêtera. Mais, à ce stade, je n’ai pas de raison de penser que cette action n’était pas légale et légitime et que les fonctionnaires n’étaient pas en légitime défense.
Mme Esther Benbassa. Et Steve ?
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Madame Benbassa, les forces de l’ordre reçoivent évidemment des instructions en matière d’ordre public. Je viens de rappeler devant vous la doctrine que nous appliquons depuis plusieurs mois et que nous assumons totalement.
Je voudrais que vous sortiez de la légende de la désescalade à l’allemande. Il y a désescalade quand une manifestation se passe bien, quand vous avez des interlocuteurs.
Mme Sophie Taillé-Polian. Le 1er mai 2019, vous en aviez !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. D’ailleurs, je le rappelle, lors du sommet du G7 à Hambourg à l’été 2017, il y a eu des incidents d’une extrême violence, parce que les policiers allemands ont voulu intervenir au milieu d’une foule où il y avait des Black Blocs. Et ces incidents ont duré plusieurs jours. On cite souvent l’Allemagne comme un exemple de pays où la gestion serait plus soft et où il y aurait désescalade, mais c’est un tort. (Exclamations sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Éliane Assassi. Bref, vous ne voulez pas du modèle allemand ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Ils ne l’invoquent que quand ça les arrange ! (Mêmes mouvements.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Il faut savoir rétablir la vérité et avoir l’honnêteté de reconnaître que la désescalade n’est possible que quand il y a des interlocuteurs. Encore une fois, quand il y a des violences, il ne peut y avoir qu’un maintien de l’ordre assuré par les policiers.
De la même manière, madame la sénatrice, je ne peux à mon tour pas vous laisser parler de « violences policières ». Il ne s’agit pas d’un déni ou, si c’en est un, je l’assume.
Mmes Esther Benbassa et Laurence Cohen. Assumez-le !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Il y a une police républicaine qui effectue ses missions de manière remarquable et n’utilise la force que de manière proportionnée. Et quand il y a un usage disproportionné de la force, il y a des enquêtes et, le cas échéant, des sanctions.
Comme vous le savez, les policiers nationaux sont un corps de la fonction publique de l’État.
Mme Éliane Assassi. Justement !
Mme Sophie Taillé-Polian. Et c’est censé nous prouver que les violences policières « n’existent pas » ? (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. C’est un corps qui est contrôlé et qui exerce ses missions dans un cadre extrêmement réglementaire, déontologique, peut-être comme aucun autre corps de la fonction publique. C’est bien normal, puisque ces fonctionnaires sont dépositaires de la force.
À écouter certains d’entre vous, j’avais parfois un peu le sentiment de ne pas vivre dans le même monde. (Rires sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Laurence Cohen. Ça, c’est sûr !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Malheureusement, il y a des manifestants qui sont animés d’intentions très malveillantes et qui veulent commettre des exactions. Tant que ce sera le cas – à défaut de vous faire partager ce que je dis, je peux au moins vous rassurer sur un point –, nous serons toujours là. Les policiers et les gendarmes seront toujours là pour assurer le maintien de l’ordre public.
Mme Laurence Cohen. Vous tournez en boucle !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. M. Fouché évoquait la part de responsabilité du délégué interministériel à la sécurité routière dans le mouvement des « gilets jaunes ».
Il faut se garder de donner l’impression de légitimer des mouvements qui ont pu comporter une part de violence importante. Je sais que telle n’était pas votre intention, monsieur le sénateur. Mais gardons-nous de donner le sentiment que l’on peut légitimer la violence. Aucune revendication, aucune expression démocratique ne peut trouver à s’exprimer dans la violence.
Mme Esther Benbassa. Y compris dans la violence policière !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. M. le délégué interministériel à la sécurité routière a fait un excellent travail…
M. Alain Fouché. Non, non ! Aucune concertation !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Nous n’avons jamais eu aussi peu de morts sur les routes : il a donc fait un excellent travail ! Il va à présent rejoindre un poste que je connais bien, pour l’avoir occupé : celui de préfet de police des Bouches-du-Rhône. Je suis sûr qu’il continuera son excellent travail.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais apporter à vos interrogations, vos demandes de précisions et, parfois, vos observations sur le maintien de l’ordre. C’est effectivement un sujet important, qui touche à notre démocratie. Croyez bien que ce gouvernement veille à avoir sur le sujet une position équilibrée.
Mme Esther Benbassa. On ne vous croit pas !
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État. Elle réside à la fois dans la protection de nos concitoyens et dans le respect de la nécessaire liberté d’expression. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants, RDSE et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelle doctrine d’emploi de la police et de la gendarmerie dans le cadre du maintien de l’ordre ? »
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 19 février 2020 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
Désignation des vingt et un membres de la mission d’information sur le thème : « Quel rôle, quelle place, quelles compétences des départements dans les régions fusionnées, aujourd’hui et demain ? » ;
Proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 302, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinquante.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication
Erratum
au compte rendu intégral de la séance du 5 février 2020
Sous le titre « Enfants franco-japonais », page 1349, seconde colonne, huitième ligne,
Au lieu de : « l’entrée de civils au Japon »,
Lire : « l’entraide civile au Japon ».