M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. M. Labbé souhaite modifier l’échelle des peines en matière de droit de l’environnement. Or traiter de l’échelle des peines est un exercice extrêmement complexe : il faut tenir compte de nombreuses dispositions administratives, de modalités d’amende, d’interdictions d’exploitation ou de gestion… Ce que l’on appelle la « pénologie » est devenu une véritable science, et je ne me permettrais pas de m’engager dans une refonte du droit de la peine au détour d’un texte que nous avons dû examiner dans un délai relativement restreint.

Par ailleurs, sur un plan plus politique, comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, la véritable avancée de ce texte, en matière d’environnement, ne réside pas tant dans la création de juridictions spécialisées, qui ne traiteront que la partie médiane du spectre des infractions – j’y vois au moins une vertu pédagogique –, que dans celle de la convention judiciaire d’intérêt public.

Monsieur Labbé, vous proposez que le montant de l’amende puisse aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, quand la convention judiciaire d’intérêt public fixe le plafond à 30 % de celui-ci. Il s’agit donc d’un outil ultra-puissant, dont la mise en œuvre sera rapide et loin d’être indolore, une publication étant en outre prévue.

Enfin, la CJIP permettra, contrairement au droit pénal classique ou au droit administratif, un monitoring dans le cadre des plans de mise en conformité. Le parquet pourra ainsi exercer un contrôle au sein même de l’entreprise. Je vous renvoie aux débats sur les affrètements maritimes que nous avons eus dans le passé.

Il s’agit d’un outil plus puissant que ce que vous proposez, mon cher collègue, qui modifiera probablement en profondeur la manière dont les parquets appréhendent la répression des infractions en matière de droit de l’environnement.

Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Je partage l’argumentation de M. le rapporteur. J’ajouterai que la proposition de porter le montant de l’amende encourue pour l’ensemble des délits prévus dans le code de l’environnement à 10 % du chiffre d’affaires de l’entreprise me semble contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Dans une décision de 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale, ce dernier a en effet précisé qu’il était nécessaire d’établir un lien entre le critère de fixation du montant de la peine encourue et le comportement incriminé. En l’absence de lien entre l’infraction et le chiffre d’affaires, le Conseil constitutionnel juge que la peine est susceptible de revêtir un caractère manifestement hors de proportion avec l’infraction constatée, et donc de méconnaître la Constitution. Si l’on voulait se conformer à l’exigence constitutionnelle, il conviendrait d’examiner précisément chaque délit pour constater, ou non, l’existence d’un tel lien.

Sur un plan plus politique, comme je l’ai déjà souligné, le rapport que la CGEDD et l’IGJ nous ont remis le 6 novembre comporte des éléments qui touchent au fond du droit pénal. La révision de l’échelle des peines prévues par le code de l’environnement mérite d’être envisagée de façon plus globale pour être cohérente. En ce sens, je partage votre intuition, monsieur Labbé. Je vous suggère de travailler ensemble sur cette révision, pour arriver à une écriture plus cohérente et plus globale. Peut-être pourrons-nous le faire au cours de la navette parlementaire.

M. le président. Monsieur Labbé, l’amendement n° 18 rectifié bis est-il maintenu ?

M. Joël Labbé. Je suis très embêté de devoir retirer mes amendements les uns après les autres… (Sourires.) Il est important que le débat ait lieu. Madame la ministre, votre réponse est constructive ; monsieur le rapporteur, la vôtre est objective. Je vais, cette fois encore, retirer mon amendement, mais il n’en ira pas toujours de même par la suite !

M. le président. L’amendement n° 18 rectifié bis est retiré.

Demande de renvoi à la commission de l’article 8

M. le président. Je suis saisi, par MM. Durain, Jacques Bigot, Kanner et Sueur, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mme Rossignol et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 39.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission l’article 8 du projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée (n° 336, 2019-2020).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour deux minutes et demie, un orateur d’opinion contraire, pour deux minutes et demie également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jérôme Durain, pour la motion. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, chers collègues, nous avons mené une longue réflexion, au sein du groupe socialiste et républicain, avant de déposer cette motion de renvoi à la commission visant en priorité l’article 8 de ce projet de loi ambitieux, mais décevant.

L’« ambition déceptive » : n’est-ce pas là la plus belle formule qui résume la politique environnementale conduite depuis le début de ce quinquennat ?

Rappelez-vous, chers collègues : en juin 2017, le nouveau locataire de l’Élysée veut incarner l’avant-garde environnementale : make our planet great again ! Quelques chercheurs ont entendu l’appel du président Macron, mais Nicolas Hulot décide de quitter le navire, en raison d’un écart trop grand entre les discours et les actes. De la grande histoire à la petite, tout illustre le décalage entre les objectifs affichés et les petits pas accomplis grâce à la politique environnementale du Gouvernement.

Les attentes sont pourtant fortes. Une partie de la jeunesse se mobilise et se radicalise, dans le courant, notamment, du mouvement Extinction Rebellion. Voilà quelques jours, plus de 1 000 scientifiques ont signé un appel à la mobilisation, en incluant la désobéissance civile.

D’autres mouvements moins radicaux, mais tout aussi profonds, impriment encore l’opinion. Je pense ici à la plus belle réussite de l’exécutif en matière environnementale, à savoir la création de la Convention citoyenne pour le climat. Audacieuse sur la forme et dans ses objectifs, cette innovation institutionnelle soulève beaucoup d’espoirs.

Madame la ministre, avez-vous pris en considération dans vos travaux, ces derniers mois, cette convention citoyenne qui travaille sur des sujets de justice climatique. Des députés sont allés parler d’écocide avec ces citoyens. Je ne sais pas si la convention se montrera plus ouverte à cette innovation juridique que la majorité sénatoriale ne l’a été ; j’espère que oui.

On peut imaginer aussi que ces citoyens feront des propositions en termes de hiérarchie des peines en matière de délinquance et de criminalité environnementales, de moyens à la disposition de la justice. Quelle est votre opinion, madame la ministre, sur ces sujets ? Avez-vous volontairement arbitré certaines mesures de ce projet de loi à la baisse pour laisser des marges de manœuvre à la Convention citoyenne pour le climat ? Ces interrogations sont sincères, car nous ne comprenons pas quelle logique vous anime. Faute de réponse satisfaisante, nous jugeons préférable de renvoyer à plus tard nos débats sur ces sujets, pour ne pas court-circuiter les travaux de cette utile Convention citoyenne pour le climat. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?…

Quel est l’avis de la commission ?

M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur. La commission propose au Sénat de rejeter cette demande de renvoi à la commission de l’article 8.

Comme je l’ai déjà souligné, la création de juridictions spécialisées en matière d’environnement va plutôt dans le bon sens, même s’il ne faut pas en exagérer l’importance. Surtout, la convention judiciaire d’intérêt public constituera un outil très puissant pour réprimer, à l’avenir, les infractions au code de l’environnement et aussi assurer une forme de prévention.

Chers collègues du groupe socialiste et républicain, il serait d’autant plus dommage de renvoyer l’article 8 à la commission que la CJIP est un peu votre enfant. En effet, ce dispositif est apparu dans notre droit, en matière fiscale et en matière de corruption, avec la loi Sapin II. Peut-être auriez-vous pu faire une lecture différente de cet article, au-delà du caractère politique de cette demande de renvoi à la commission, en vous appropriant l’élargissement du champ d’intervention de cet outil ?

Lors de la discussion générale, Mme Assassi nous a fait part de son sentiment de voir notre législation glisser vers un droit anglo-saxon. S’il est vrai que ces conventions sont issues de pratiques rendues célèbres par le droit anglo-saxon, elles sont cependant un moyen d’affirmer la souveraineté de notre système judiciaire. En matière de corruption et de sanctions économiques, le drame des affaires BNP et Société Générale tient au fait que notre pays et l’Union européenne n’avaient pas de capacité de réponse : échec du règlement de blocage et de l’application de la loi de 1968… La seule solution viable, c’est d’établir une forme d’égalité des armes. Or le fait d’intégrer de telles dispositions dans notre droit nous permettra, demain, de nous retourner contre une société internationale responsable d’un acte de pollution maritime ou d’une infraction grave en matière d’environnement en employant les mêmes moyens. Il s’agit donc à mes yeux d’un élément de notre souveraineté juridique.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Monsieur le sénateur Durain, vous évoquez plusieurs sujets au travers de cette motion de renvoi à la commission, sur laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable.

La CJIP environnementale comporte des dispositions à la fois très précises et très efficaces pour lutter contre les crimes et délits environnementaux et surtout pour prévenir la réitération de faits similaires : amende pouvant aller jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, possibilité de régulariser, sous le contrôle des services du ministère de l’environnement, la conformité de l’entreprise au regard des réglementations en matière de police environnementale et réparation du dommage causé, par compensation ou en nature. Cette réparation peut consister, monsieur Jacques Bigot, en la dépollution d’un site industriel, le nettoyage d’eaux polluées aux hydrocarbures, un reboisement, etc.

La CJIP sera donc à la fois extrêmement utile pour le présent, car porteuse de sanctions efficaces, et particulièrement précieuse pour l’avenir, avec la mise en conformité. J’ajoute que la CJIP pourra être publiée : ce sera un facteur d’exemplarité et de dissuasion très fort, comme en témoignent des affaires récentes…

En ce qui concerne la Convention citoyenne pour le climat, monsieur le sénateur, il s’agit également d’une démarche extrêmement utile et précieuse. Nous ne connaissons pas encore pleinement les résultats de ses travaux, mais ils pourraient être intégrés à ce texte, à l’occasion de la navette, s’ils sont publiés à temps.

Nous sommes en train de travailler sur l’échelle et la hiérarchie des peines. Vos amendements contribuent à la réflexion, tout comme les observations des inspections générales, mais ce sont des éléments qu’il faut manier avec précaution. Il s’agit pour moi non pas de botter en touche, mais de profiter du délai offert par la navette parlementaire pour améliorer les dispositions. Nous pourrons ainsi aboutir à un outil cohérent et laisser de la place aux conclusions de la Convention citoyenne pour le climat si elles nous parviennent à temps et méritent d’être introduites dans ce projet de loi.

M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.

M. Jacques Bigot. Cette demande de renvoi à la commission vise à nous permettre de travailler avec le Gouvernement à l’élaboration d’une stratégie globale.

Vous avez affirmé, madame la ministre, que l’article 8 a pour objet de manifester une ambition politique de lutter contre les infractions au droit de l’environnement, mais on ne trouve quasiment rien, dans l’étude d’impact, en termes de poursuites et de sanctions. Si vous voulez effectivement lutter contre un certain nombre d’atteintes à l’environnement, il faudra, à un moment donné, développer une véritable stratégie en matière de protection de la biodiversité ou de lutte contre la pollution des sols, par exemple. On pourra alors mobiliser l’administration pour constater les infractions et créer des procureurs spécialisés. Mais à quoi bon créer des procureurs spécialisés par ressort de cour d’appel s’il n’y a pas de saisines, de rapports et de dossiers suffisamment solides et argumentés ?

Nous considérons que, en l’état, cet article 8, c’est du vent ! Voilà la réalité ! On pourra envisager de mettre en place la convention judiciaire d’intérêt public, mais elle doit s’inscrire dans une stratégie globale. Quelle est votre ambition politique, madame la ministre ? Pour l’heure, nous ne le savons pas.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 39, tendant au renvoi à la commission de l’article 8.

(La motion nest pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion de l’article 8.

Article additionnel avant l'article 8 - Amendement n° 18 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi relatif au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée
Article additionnel après l'article 8 - Amendement n° 8 rectifié

Article 8

Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Après l’article 41-1-2, il est inséré un article 41-1-3 ainsi rédigé :

« Art. 41-1-3. – Tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, le procureur de la République peut proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits prévus au code de l’environnement ainsi que pour des infractions connexes, à l’exclusion des crimes et délits contre les personnes prévus au livre II du code pénal, de conclure une convention judiciaire d’intérêt public imposant une ou plusieurs des obligations suivantes :

« 1° Verser une amende d’intérêt public au Trésor public. Le montant de cette amende est fixé de manière proportionnée, le cas échéant au regard des avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements. Son versement peut être échelonné, selon un échéancier fixé par le procureur de la République, sur une période qui ne peut être supérieure à un an et qui est précisée par la convention ;

« 2° Régulariser sa situation au regard de la loi ou des règlements dans le cadre d’un programme de mise en conformité d’une durée maximale de trois ans, sous le contrôle des services compétents du ministère chargé de l’environnement ;

« 3° Assurer, dans un délai maximal de trois ans et sous le contrôle des mêmes services, la réparation du préjudice écologique résultant des infractions commises.

« Les frais occasionnés par le recours, par les services compétents du ministère chargé de l’environnement, à des experts ou à des personnes ou autorités qualifiées pour les assister dans la réalisation d’expertises techniques nécessaires à leur mission de contrôle sont supportés par la personne morale mise en cause, dans la limite d’un plafond fixé par la convention. Ces frais ne peuvent être restitués en cas d’interruption de l’exécution de la convention.

« Lorsque la victime est identifiée, et sauf si la personne morale mise en cause justifie de la réparation de son préjudice, la convention prévoit également le montant et les modalités de la réparation des dommages causés par l’infraction dans un délai qui ne peut être supérieur à un an.

« La procédure applicable est celle prévue à l’article 41-1-2 du présent code et aux textes pris pour son application. L’ordonnance de validation, le montant de l’amende d’intérêt public et la convention sont publiés sur les sites internet du ministère de la justice, du ministère chargé de l’environnement et de la commune sur le territoire de laquelle l’infraction a été commise, ou à défaut, de l’établissement public de coopération intercommunal auquel la commune appartient. » ;

2° Après l’article 180-2, il est inséré un article 180-3 ainsi rédigé :

« Art. 180-3. – Les dispositions de l’article 180-2 sont applicables aux délits mentionnés à l’article 41-1-3 aux fins de mise en œuvre de la procédure prévue au même article 41-1-3. » ;

3° Le titre XIII bis du livre IV est ainsi modifié :

a) Au début, il est ajouté un chapitre Ier intitulé : « Des pôles interrégionaux spécialisés en matière d’atteintes à l’environnement et à la santé publique » comprenant les articles 706-2 à 706-2-2 ;

b) Il est ajouté un chapitre II ainsi rédigé :

« CHAPITRE II

« Des pôles régionaux spécialisés en matière datteintes à lenvironnement

« Art. 706-2-3. – Dans le ressort de chaque cour d’appel, la compétence territoriale d’un tribunal judiciaire est étendue au ressort de la cour d’appel pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits prévus par le code de l’environnement, à l’exclusion de ceux mentionnés aux articles 706-75 et 706-107, dans les affaires qui sont ou apparaîtraient complexes, en raison notamment de leur technicité, de l’importance du préjudice ou du ressort géographique sur lequel elles s’étendent.

« Cette compétence s’étend aux infractions connexes.

« Un décret fixe la liste de ces juridictions qui comprennent une section du parquet et des formations d’instruction et de jugement spécialisées pour connaître de ces infractions.

« Le procureur de la République, le juge d’instruction et la formation correctionnelle de ces tribunaux exercent une compétence concurrente à celle qui résulte de l’application des articles 43, 52, 382, 706-2 et 706-42.

« Lorsqu’ils sont compétents pour la poursuite et l’instruction des infractions entrant dans le champ d’application du présent article, le procureur de la République et le juge d’instruction exercent leurs attributions sur toute l’étendue du ressort de la cour d’appel.

« La juridiction saisie reste compétente quelles que soient les incriminations retenues lors du règlement ou du jugement de l’affaire sous réserve de l’application des dispositions des articles 181 et 469. Si les faits constituent une contravention, le juge d’instruction prononce le renvoi de l’affaire devant le tribunal de police compétent en application de l’article 522.

« Le procureur de la République près un tribunal judiciaire autre que ceux mentionnés au présent article peut, pour les infractions entrant dans le champ du présent article, requérir le juge d’instruction, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles 704-2 et 704-3, de se dessaisir au profit de la juridiction d’instruction du tribunal judiciaire à compétence territoriale étendue par application du présent article. »

La parole est à M. Guillaume Gontard, sur l’article.

M. Guillaume Gontard. Selon le Gouvernement et le rapporteur, l’article 8 est l’un des points forts du projet de loi.

En effet, le dispositif de cet article, qui s’appuie sur le rapport relatif à la justice environnementale remis le 30 janvier dernier, se veut particulièrement innovant en matière de traitement de contentieux souvent complexes, multiformes et trop peu sanctionnés.

La biodiversité et le vivant n’ont jamais été autant menacés. L’arsenal législatif, pénal et répressif doit donc être porté à la hauteur des défis écologiques, pour la survie même de notre humanité. Nous partageons l’intention de renforcer la justice environnementale et ses moyens. Pour autant, les mesures de ce texte sont largement décevantes.

Ainsi, l’article 8 prévoit la création d’une sorte de transaction pénale dans le domaine environnemental via la création de conventions judiciaires d’intérêt public. À l’image de ce qui existe en matière d’évasion fiscale, il s’agit d’ouvrir au ministère public la possibilité de traiter directement avec les délinquants environnementaux.

D’une part, un tel dispositif existe déjà et il n’y a donc pas de nouveauté, notamment pour les délits les moins graves. D’autre part, nous jugeons ce mécanisme contre-performant en termes de symbole.

Nous entendons les arguments du Gouvernement quant à la rapidité d’une telle procédure et à la possibilité de mesures de réparation ou de compensation environnementale. Pour autant, nous restons dubitatifs, craignant que cette transaction n’ouvre la voie à une justice d’exception, sans procès ni droits de la défense ; une justice externalisée, idéale pour ne pas trop abîmer l’image des entreprises.

Certes, il faut désengorger les tribunaux, mais est-ce vraiment la bonne solution ? Mes chers collègues, je crois que nous prenons la problématique à l’envers. Constater la difficulté qu’il y a à rendre la justice devrait nous orienter non vers la voie de la justice conventionnelle, mais vers celle d’une refonte des délits, des peines et des sanctions.

Ainsi, nous aurions souhaité l’insertion dans le code pénal des infractions constituant des atteintes à l’environnement. Nous aurions également souhaité, comme le préconisait le rapport que j’ai évoqué, la création d’un délit de mise en danger de l’environnement, afin de ne plus devoir attendre l’accident pour agir.

Madame la ministre, vous avez évoqué une refonte de l’échelle des peines, en mentionnant l’exemple de la peine applicable en cas d’exploitation sans autorisation, qui nous renvoie à l’actualité.

Toutes ces pistes sont ignorées par ce projet de loi ; nous le regrettons.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.

Mme Éliane Assassi. Mon collègue Guillaume Gontard a plus précisément évoqué les dangers de la convention judiciaire d’intérêt public. Nous nous étions déjà opposés aux transactions pénales en matière d’évasion fiscale. Nous n’avons aucune raison de changer d’avis aujourd’hui, quand bien même l’objet de ces transactions, dont le principal intérêt est de remplir les caisses de l’État, a changé. Je n’y reviendrai donc pas.

La question de fond que mon collègue a posée est de savoir de quel arsenal législatif et répressif nous avons besoin pour protéger l’environnement. La marche est relativement haute et le projet de loi est, de ce point de vue, trop peu ambitieux. Pour autant, de quels moyens avons-nous besoin pour instaurer une justice environnementale performante, et donc réellement dissuasive ?

La création de pôles régionaux spécialisés, présentée comme une grande avancée, se résume en réalité pour l’essentiel à une opération de communication.

Certes, comme le souligne François Molins, les délais de traitement du contentieux environnemental sont deux fois plus longs, mais, encore une fois, la bonne réponse consiste-t-elle à créer des structures spécialisées pour répondre à un problème organique ? Nous ne le pensons pas, surtout si ce doit être à moyens constants, comme le rappelle l’étude d’impact.

Il n’est pas question de doter ces structures de moyens spécifiques ; l’idée est simplement de nommer des référents pour les contentieux environnementaux au sein des juridictions existantes. Les juges ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : ils demandent en priorité une formation au traitement de ce contentieux relativement complexe.

Moyens constants, voire en recul s’agissant des moyens humains du ministère de l’écologie, en particulier ceux de la police environnementale chargée de relever les infractions : quelle ironie !

C’est bien une politique du « en même temps » que l’on déploie, en faisant illusion avec des mesurettes tout en limitant les moyens accordés à l’administration et à la justice pour faire leur travail. Je vous le dis comme je le pense, madame la ministre : sans remise en question des politiques d’austérité, les pollueurs ont encore de beaux jours devant eux !

M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, sur l’article.

M. Jean-François Husson. L’article dont nous débattons prévoit la création d’un nouveau mécanisme transactionnel pour régler les contentieux environnementaux les plus graves et la mise en place de juridictions spécialisées au sein des cours d’appel pour traiter de ces mêmes contentieux.

Madame la ministre, vous avez fait de l’article 8 une opération de communication, pour nous vendre une justice « verdie » ou encore une « nouvelle justice pour l’environnement ». Je crois qu’il s’agit plus simplement d’une opération de greenwashing et que le chemin est encore long pour atteindre un objectif que je partage par ailleurs.

Accroître la célérité de la justice dans ce domaine est nécessaire. Je ne peux cependant qu’émettre un certain nombre de doutes et d’interrogations quant à la voie que vous avez décidé d’emprunter.

Deux mécanismes transactionnels permettent aujourd’hui de traiter les contentieux relevant du code de l’environnement. Grâce à la transaction et la composition pénales, près de 80 % des cas sont réglés en évitant la lourdeur d’un procès. Or transiger n’est aujourd’hui possible que pour les affaires les moins graves. Est-on sûr, dans ces conditions, que la nouvelle convention judiciaire créée à l’article 8 permettra de régler beaucoup de nouveaux cas ? Avons-nous une estimation du nombre d’affaires qui pourraient être réglées par le biais de la CJIP environnementale ?

Par ailleurs, certains de mes collègues l’ont rappelé, comment peut-on être certain que la CJIP environnementale ne deviendra pas un moyen, pour certaines entreprises, d’éviter un procès et une condamnation publics qui, dans les dossiers les plus graves – je pense par exemple à celle de l’Erika –, sont absolument nécessaires ? Je ne suis pas sûr que les mesures de publicité prévues à l’article 8 suffisent.

Enfin, selon l’exposé des motifs du projet de loi, la CJIP est instaurée pour remédier à la lenteur des procès liés au contentieux environnemental. Bien sûr, transiger permettra d’aller plus vite et de réduire des délais de jugement qui peuvent parfois atteindre près de trois ans aujourd’hui. Mais le vrai remède n’est pas de multiplier les mécanismes alternatifs ; il est d’augmenter les moyens de la justice, de mettre fin aux économies de bouts de chandelles et de sanctuariser la reddition publique des comptes, ce que, hélas, la CJIP environnementale ne permettra plus demain. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. L’amendement n° 40, présenté par MM. Jacques Bigot, Durain, Kanner et Sueur, Mme de la Gontrie, M. Fichet, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et Sutour, Mme Rossignol et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Bigot.